1Le monde vient de vivre une nouvelle crise alimentaire, les prix des produits agricoles ont fortement augmenté en 2006-2008. L’effet a été radical puisqu’en deux ans, le nombre de ceux qui ne disposent pas des 2 200 calories nécessaires pour une alimentation quotidienne suffisante a progressé de 20 %.
2En 2008-2009, les prix de ces produits ont pratiquement retrouvé leur point de départ d’avant la crise. Résultat, le revenu des agriculteurs français a été laminé. Il a baissé de moitié en deux ans et est désormais au niveau atteint au début des années 1970. Or pendant cette période de 40 ans, le revenu moyen des Français a été multiplié par deux.
3La crise financière et économique qui affecte l’économie mondiale ne va pas faciliter la recherche de solutions permettant d’éviter le renouvellement de tels incidents et de relever le défi alimentaire d’un monde qui accueillera deux milliards de personnes supplémentaires d’ici 2050.
4Rien n’interdit cependant d’être intelligent et de tirer les enseignements des expériences passées. S’il est toujours difficile de définir ce qu’il convient de faire, il n’est pas impossible de pointer les erreurs à ne pas rééditer.
5La crise alimentaire que l’on vient de vivre nous montre que l’humanité n’a pas trouvé le viatique qui permettrait de résoudre le problème de l’alimentation. Edgard Pisani rappelle souvent qu’il y a encore actuellement plus de morts à cause de la faim que par faits de guerre. Cela étant, il ne faudrait pas remettre à l’honneur les vieilles théories de Thomas Robert Malthus (voir l’article de Jean-Marc Boussard dans ce même numéro). Le problème de l’alimentation du monde est d’abord un problème politique. En effet, depuis 60 ans nous avons toujours été capables de produire suffisamment. La production de céréales a augmenté plus rapidement que la population. Schématiquement, il faut 200 kilos de céréales par an pour assurer la ration calorique de base d’un individu et nous en produisons actuellement 300. On est en droit de se demander pourquoi il y a encore un milliard de personnes qui souffrent de la faim et un autre milliard qui souffrent de carences alimentaires. Ce n’est pas qu’un problème de production, c’est aussi un problème de répartition de la richesse disponible.
6Cela pose la question de la capacité de chaque pays ou de chaque ensemble régional à assurer les besoins de sa population. Cela pose aussi celle de l’utilisation de produits alimentaires dans les rations pour animaux et a fortiori dans la fabrication d’énergie.
7Que faire pour que les agriculteurs d’un pays soient en mesure de satisfaire les besoins alimentaires de leurs concitoyens ? La recette a fait ses preuves : il faut leurs apporter une sécurité suffisante pour qu’ils aient envie d’investir et qu’ils puissent utiliser le progrès technique disponible. Pendant l’entre-deux-guerres, le rendement moyen du blé en France était de 15 quintaux par hectare alors qu’il existait dans d’autres pays des engrais et des tracteurs.
Rendements par ha des céréales dans le monde
Rendements par ha des céréales dans le monde
8Après la dernière guerre, on a commencé par réformer le statut du fermage et par ouvrir les portes du crédit. Mais en même temps on a tiré les leçons de la crise de 1929. Si on laisse les prix s’effondrer, ce sont les agriculteurs les plus modernes qui sont les plus fragilisés car ils sont endettés. La stabilisation des prix est donc une nécessité pour augmenter le revenu agricole et permettre la modernisation de l’appareil de production. En quelques années, les agriculteurs français ont rattrapé leur retard. Ils ont augmenté la production à tel point que la France a désormais un solde excédentaire de sa balance commerciale en produits agroalimentaires.
9Cela ne veut pas dire qu’il faille arriver à une production agricole excessive, car on sait pertinemment que tout excédent, même s’il est infime, entraîne une baisse des prix plus que proportionnelle. Il faut donc éviter les excès, dans un sens ou dans un autre. Il est parfaitement légitime de lutter contre les dérives bureaucratiques qui, pour avoir atteint un niveau caricatural en URSS, ont également touché aussi bien l’UE que les États-Unis. Il n’y a aucune raison de produire pour gonfler les stocks. Mais inversement on a vu, ces dernières années, les dangers d’une libéralisation excessive. La volatilité des prix qui a suivi est insupportable pour les agriculteurs, pour les entreprises de transformation et a fortiori pour les consommateurs.
La sécurité alimentaire, un élément essentiel du pouvoir régalien
10Toutes ces raisons militent pour que chaque pays assure sa propre sécurité alimentaire. Cela paraît un objectif impossible à atteindre pour de nombreux pays pauvres et cela semble inutile pour les pays riches. Dans la réalité, nous n’avons pas le choix car l’expérience montre que le risque est trop important pour l’humanité si nous n’y parvenons pas.
11Pour les pays pauvres, le défi semble hors de portée. Prenons le cas de l’Égypte dont la surface agricole, comparable à celle de la Belgique, doit satisfaire les besoins d’une population supérieure à celle de l’Allemagne ! Est-ce possible ? De nombreux experts sont sceptiques et pourtant ces mêmes experts ne réussissent pas encore à croire que la Chine parvient à se nourrir. Il n’y a pourtant dans ce pays qu’un hectare de terre cultivable pour dix habitants. C’est actuellement le maximum atteint dans le monde, et c’est ce chiffre que la plupart des pays les plus peuplés devront atteindre en 2050 quand la population mondiale sera à son maximum.
Nombre d’habitants par hectare de terre cultivable
Nombre d’habitants par hectare de terre cultivable
12Pour les pays riches, quel besoin y aurait-il à produire en Europe ce que la Nouvelle-Zélande est prête à lui fournir ? Pourquoi inciter à produire alors que le Brésil prétend devenir la ferme du monde ? La première raison est que l’abondance actuelle sur les marchés ne s’explique que par le maintien en état de famine d’un sixième de la population mondiale. Comme cette dernière va continuer à augmenter, une forte pression s’exercera dans un certain nombre de pays pour que l’approvisionnement de la population locale soit prioritaire sur les exportations. Au Brésil aussi, les habitants auront envie de manger trois fois par jour ! Si les terres disponibles y sont importantes, les besoins locaux le sont aussi. Mais il y a une autre raison à la nécessité d’assurer sa propre sécurité alimentaire, qui relève d’une stratégie élémentaire. On n’imagine plus de confier à des mercenaires étrangers le soin d’assurer la défense de son territoire national. On ne peut dépendre de fournisseurs lointains pour son alimentation. Le danger terroriste est évident.
13Par ailleurs, il ne faudrait pas oublier le syndrome de l’Empire britannique. De nombreux ouvrages ont remarqué que, pendant les plus grandes famines qui ont eu lieu en Inde, des bateaux chargés de céréales indiennes voguaient vers le Royaume-Uni. Si nous ne produisons pas assez pour nos besoins, tant que nos moyens de pays riches nous le permettront, nous pourrons acheter sur le marché mondial ce qui nous manque. Mais, à chaque fois, cela aura pour résultat de faire augmenter les prix sur ce marché, et par conséquent d’en exclure les pays les plus pauvres. C’est ce que nous avons observé dans la période 2006-2008. Malgré une mauvaise moisson, ni les hommes ni les animaux n’ont manqué de céréales ces années-là en Europe, mais les émeutes de la faim se sont multipliées dans le monde.
14Si certains pays pauvres ne parviennent pas à se nourrir, il ne s’agit pas pour autant de produire, avec l’aide de subventions, en Europe ou aux États-Unis, pour exporter : c’est le meilleur moyen pour détruire toute production vivrière locale. Mais cela ne veut pas dire que les pays riches sont obligés de jouer les apprentis sorciers en supprimant leurs stocks stratégiques et en brûlant les produits agricoles dans leurs moteurs.
15L’enjeu est important : il faudra nourrir les 9 milliards d’habitants de la planète en 2050. Or on ne parvient toujours pas à assurer la subsistance de la population existante. Pire encore, la crise de 2006-2008 a nettement détérioré la situation. Les solutions libérales ont montré leurs limites. Il est vrai que nombre d’apôtres de ces solutions ont confondu abusivement libéralisme et paresse intellectuelle. De manière paradoxale, le libre jeu du marché s’est traduit par la création d’une nouvelle rente foncière (les aides découplées à l’hectare) et par une concentration des entreprises d’aval et d’amont.
16Sur le long terme, le bilan de la PAC peut être considéré comme très intéressant pour tous les pays qui manquent de terres. L’Union européenne réussit à nourrir 200 millions d’habitants de plus que les États-Unis avec deux fois moins de terres arables. Depuis la chute du Mur de Berlin, les vieux démons coloniaux resurgissent et laissent croire qu’on peut se nourrir à meilleur compte en important notre nourriture des pays qui « ne peuvent produire que cela ». Ce qui laisse entendre que la production agricole peut être réalisée par les pays techniquement peu évolués.
17C’est pourtant l’inverse qui se produit. On peut difficilement trouver plus high tech qu’un paquet de salade prête à l’emploi. Même chose pour un grand vin qui suppose un savoir-faire spécifique. Pour relever le défi du réchauffement de la planète, il faudra déployer des trésors d’ingéniosité et beaucoup investir, en particulier dans le domaine intellectuel. Mais pour que les agriculteurs puissent se lancer dans des investissements nouveaux, il faut sécuriser leurs revenus, ce que ne permettent pas les aides actuelles, attribuées en fonction de considérations historiques.
Des solutions éprouvées
18La crise alimentaire que l’on vient de vivre a montré les limites des solutions basées sur la compétition entre individus et entre nations. Or, ce qui a toujours fait la force des agriculteurs en période de crise a été leur capacité à utiliser les possibilités de la coopération et du mutualisme. Qui aurait imaginé, à la sortie de la dernière guerre, que la banque des paysans deviendrait l’un des fleurons des banques françaises, au point de racheter la banque des villes – le Crédit Lyonnais – et la banque des colonies – Indosuez ? Un agriculteur qui cultive 1 000 hectares ne sera jamais compétitif tout seul, car son exploitation ne constitue qu’une micro-entreprise ne pesant d’aucun poids sur le marché et nécessitant moins d’employés que n’importe quel boulanger de centre ville !
19Encore faut-il des politiques qui encouragent la mutualisation ou la coopération entre les entreprises agricoles. Ce serait dommage de ne les adopter que lorsque les entreprises de l’Union européenne auront perdu la partie sous les coups de boutoir d’une conception restrictive du droit à la concurrence. Comment expliquer qu’on ne propose aucune alternative au démantèlement des mesures de soutien de marché ? Comment expliquer que l’on empêche la coopération entre acteurs d’une même filière au sein d’interprofessions ? Pendant le même temps, la concentration s’accélère dans les industries agroalimentaires.
20Même diagnostic pour la coopération entre les pays. La renationalisation de la PAC est devenue une perspective à la mode. Rappelons pourtant qu’elle a été créée pour permettre à une France souvent excédentaire et à une Allemagne souvent déficitaire de faire des économies dans la gestion d’inévitables crises. La compétition entre les pays ou les ensembles régionaux coûte plus cher que la coopération. Il est significatif que les grands secteurs exportateurs de la France, comme l’aéronautique, l’espace ou l’agroalimentaire, soient justement ceux qui ont fait l’objet de politiques concertées dans le cadre européen.
21La responsabilité des pays riches dans la crise est nette. En adoptant un système d’aide à la production, les deux principales puissances mondiales ont pu protéger leurs agriculteurs des prix bas que l’on observait sur les marchés mondiaux. Mais en subventionnant leurs exportations, ils favorisaient la baisse des cours à certaines époques. Comme pour le marché du pétrole, le maintien de prix anormalement bas a eu pour effet de décourager la production dans de nombreux pays qui ne disposaient pas des mêmes ressources financières. Faute de débouchés solvables, leurs agriculteurs n’ont pas pu vendre suffisamment pour acheter les intrants qui leurs auraient permis de développer leur production agricole. Ils sont les premiers à souffrir de la faim. Les programmes de la Banque mondiale ont bénéficié à d’autres secteurs de l’économie. Il a suffi d’une étincelle – l’augmentation de la production d’éthanol à partir de maïs – pour faire flamber les cours. Grâce aux récoltes mondiales exceptionnelles de ces dernières années, la fièvre est retombée qui a entraîné au passage 150 millions de personnes supplémentaires dans une situation de famine. Dès qu’il y aura des mauvaises récoltes, nous n’échapperons pas à une nouvelle crise. Mais, comme en matière de finances, nous aurons moins de moyens budgétaires disponibles pour réagir…
22L’échec du Sommet de Copenhague devrait nous servir de leçon. L’UE n’a rien à gagner à jouer les marchands de tapis qui promettent d’être vertueux si les autres acceptent les mêmes règles. On sait désormais qu’il faut encourager la production dans chaque pays pour insérer les agriculteurs concernés dans le circuit économique et leur permettre ainsi de sortir de la pauvreté et de ne pas rester les parias de l’économie actuelle. On sait que cela nécessitera, d’une part des aides à l’investissement, au stockage et au transport, et d’autre part un effort important de formation. Mais tous ces efforts se révèleraient inutiles si on n’entreprend pas, au préalable, une lutte efficace contre la volatilité des prix. Les pays de l’UE ont tous montré après la guerre que les solutions existaient. Est-il indispensable d’attendre la prochaine crise pour les mettre en œuvre ?
23Peut-on au minimum retenir qu’à défaut d’être utile, il faudrait du moins ne pas nuire ? Les aides à l’exportation ont montré leur nocivité, mais dès que nous connaissons des difficultés sur un marché, le processus refait surface : l’UE a décidé de rétablir ces funestes aides pour la poudre de lait !
24Mêmes constatations pour les stocks. On a de mauvais souvenirs de l’époque où ils étaient si importants qu’ils mettaient en péril le budget européen. Ce sont les autres pays du monde qui ont désormais un mauvais souvenir de l’absence des stocks européens, car elle a facilité la tâche des spéculateurs. L’UE peut-elle enfin prendre ses responsabilités vis-à-vis du reste du monde en finançant des stocks stratégiques, sans attendre que les autres pays riches fassent de même ? La mondialisation en cours devait nous apporter La fin de l’histoire. Elle nous apporte la tempête. Les sommets se succèdent pour l’OMC, la FAO, le G 20 et Copenhague. Ils se traduisent par des échecs. La position européenne ne peut pas être une position attentiste. Il en va de la sécurité alimentaire du monde.
La sécurité alimentaire : une longue histoire de crises et controverses
25L’alimentation de la population a toujours constitué une préoccupation essentielle de la vie des sociétés. L’histoire de Joseph, dans la Bible, est la première justification des stocks publics de céréales pour faire face aux aléas climatiques. On connaît aussi l’importance que Rome attachait à son approvisionnement en blé. Il est étonnant qu’à chaque crise on ait tendance à oublier les débats antérieurs. Depuis 300 ans, le débat fait rage, mais la solution libérale qui consiste à laisser faire le marché n’a été en définitive que rarement appliquée et n’a pas apporté la preuve de sa capacité à éviter les crises.
Pas un marché comme les autres
26En 1699, l’économiste anglais Gregory King avait remarqué que la variation des prix des produits agricoles était plus que proportionnelle aux variations des quantités produites. C’est une loi qu’on observe depuis 300 ans, mais on feint encore de s’étonner quand la volatilité s’accélère dès que l’on réduit les mesures de soutien du marché.
27En 1770, l’abbé Galiani, un Italien vivant à Paris, s’oppose aux mesures préconisées par Turgot pour libéraliser le commerce des grains en France, en expliquant que le commerce des grains n’est pas de même nature que celui des cotonnades… Turgot libéralise cependant en 1774, ce qui déclenche la spéculation et la pénurie, ainsi qu’une série d’émeutes au printemps 1775 qui préfigurent la Révolution française dans la moitié nord du royaume. En 1789, les émeutes du 13 juillet sont déclenchées par la rumeur selon laquelle le pain allait manquer. La Convention et le Directoire reprennent les politiques de stockage public.
Une activité stratégique à cause de la démographie
28En 1798, Thomas Robert Malthus publie son Essai sur le principe de population. Il constate que la population a tendance à croître selon une progression géométrique, alors que la production agricole ne suit qu’une progression arithmétique. Il en conclut qu’il faut empêcher les pauvres d’avoir des enfants et retarder le mariage des riches ! Depuis cette époque, la population s’est accrue plus que ne l’aurait jamais imaginé Malthus, et l’espérance de vie a augmenté grâce à une production agricole qui a crû encore plus vite. En 1809, Napoléon écrit de Varsovie à son ministre de l’Intérieur pour lui enjoindre de ne pas se défaire des stocks de céréales en dépit de la bonne récolte, parce qu’on ne sait jamais ce qui peut arriver…
La tentation du libéralisme
29En 1815, les aristocrates revenus au pouvoir en France après la Révolution et l’Empire, réclament le rétablissement du libre-échange car ils se croient en position de nourrir l’Europe. Louis XVIII ne les suit pas et instaure un système de prélèvement variable aux frontières, pour régulariser le prix intérieur des céréales.
30En 1817, David Ricardo publie ses Principes d’économie politique et de l’impôt dont la thèse sur les avantages comparatifs servira de référence à tous les ennemis du protectionnisme. Quelques années plus tard, en 1846, le lobby des filateurs anglais obtiendra la suppression des Corn Laws, ancêtres de nos taxes à l’importation sur le blé. Mais l’expérience libérale anglaise a été la seule expérience de longue durée et n’a pu réussir que dans le cadre très organisé de l’Empire britannique.
31En 1860, Napoléon III signe un traité de libre échange avec l’Angleterre, dans l’espoir de développer les exportations agricoles, en particulier de vin de Bordeaux. Ce traité, dans les années suivantes, est étendu à toute l’Europe. Cette première expérience de Marché commun européen durera moins de deux décennies.
32En 1879, Bismarck met en place des mesures protectionnistes en Allemagne. En 1881, le traité de libre-échange franco-britannique prend fin. En 1892, le ministre de l’Agriculture français, Jules Méline, met en place une forte protection à l’importation. Les autres pays du monde ont en majorité adopté des politiques peu favorables aux échanges de produits agricoles. En France, Jules Méline aura laissé son nom aux mesures protectionnistes mises en place à partir des années 1880. Les États-Unis ont fait le choix du protectionnisme pour développer l’industrie.
33En 1840, Friedrich List publie son Système national d’économie politique dans lequel il fait cette observation étonnante : « Adam Smith et J.-B. Say avaient déclaré que les États-Unis étaient voués à l’agriculture comme la Pologne… car ils avaient établi que la nature avait destiné les Nord-américains exclusivement à l’agriculture, tant que la terre la plus fertile pourrait y être acquise presque pour rien… Mais l’École (libérale) éprouva bientôt la contrariété de perdre cette preuve importante de la rectitude et de l’applicabilité de sa théorie, et de voir les États-Unis chercher leur fortune dans une voie diamétralement opposée à celle de la liberté commerciale absolue. » Au moment où l’Europe cherchait à ouvrir ses frontières, la guerre de Sécession faisait rage aux États-Unis et c’est le Nord industriel et protectionniste qui l’a emporté sur le Sud agricole et libre-échangiste.
Les politiques agricoles modernes inventées à cause de la crise de 1929
34En 1933, Franklin Roosevelt est élu président des États-Unis. Il doit faire face aux conséquences de la plus grande crise économique de l’histoire. Pour l’agriculture, la situation est très bien décrite dans le fameux roman Les raisins de la colère de John Steinbeck. Le nouveau président met aussitôt en place les fondements des politiques agricoles modernes. Celles-ci reposent sur les quatre piliers qui restent en place jusqu’à maintenant aux États-Unis et avec quelques variantes en Europe : la surveillance des importations, le stockage d’une partie des récoltes trop abondantes, le gel des terres quand cette abondance se poursuit d’une année sur l’autre et enfin l’utilisation de ce gel des terres en priorité sur les endroits où il y a un risque d’érosion.
35Pendant les deux guerres mondiales, les Européens ont connu la faim avec des tickets de rationnement.
36En 1945, le GATT considère que l’agriculture est un domaine trop sensible pour faire l’objet d’accords de libre-échange.
37De 1945 à 1950, toutes les nations occidentales adoptent des politiques agricoles plus ou moins inspirées des politiques mises en œuvre par Roosevelt aux États-Unis.
38En août 1961, le Mur de Berlin est érigé et sépare la partie ouest de l’Europe de la plupart de ses greniers à blé. Les premiers règlements de la PAC sortent un an plus tard en 1962.
L’agriculture, un secteur comme les autres…
39En 1986, l’Uruguay Round revient sur le principe de l’exception agricole : la libéralisation des échanges agricoles revient au premier rang des préoccupations, du fait de la croissance immodérée des excédents partout dans le monde. En 1989, le Mur de Berlin tombe. Pour éviter le blocage de l’Uruguay Round, l’UE accepte d’aligner les principaux aspects de la PAC sur les méthodes en usage aux États-Unis. Le traité de Marrakech, axé sur l’idée de laisser le marché gérer la production agricole, est signé en 1994.
… sauf aux États-Unis ou le découplage est vite abandonné
40En 1996, un nouveau Farm Bill libéralise significativement la politique agricole américaine. Mais en 1999, devant l’ampleur de la catastrophe et la montée du mécontentement dans les États agricoles, les États-Unis prennent des mesures d’urgence qui les ramènent au système antérieur. Or la même année 1999, l’UE persiste et signe sa politique de déconnexion entre les aides et la production et en 2003, l’UE annonce la suppression des quotas et le découplage total des aides.
41En 2007-2008, les prix agricoles crèvent tous les plafonds et en 2009 ils reviennent brutalement au niveau antérieur. En 2009, la part de la production de blé qui transite par le marché mondial n’est pas plus élevée qu’en 1914 et elle a beaucoup diminué depuis le début des années 1980 !
42Florilège élaboré en complicité amicale avec Jean-Marc Boussard