Pour 2009/1 N° 200

Couverture de POUR_200

Article de revue

Diversité des parcours, diversité des populations formées

Pages 87 à 92

Notes

  • [1]
    55 rue Rabelais, BP 30748, 49007 Angers Cedex. Les auteurs écrivent cet article au titre des fonctions qu’ils ont exercées jusqu’en 2008, l’un comme directeur délégué du centre de formation continue et apprentissage du Groupe ESA, l’autre comme directeur délégué de l’ESA (formation d’ingénieurs).
  • [2]
    Commission du titre d’ingénieur. C’est l’instance qui évalue les écoles d’ingénieurs et leurs programmes de formation.

1Le Groupe ESA a cherché, dès sa création, à répondre à l’attente de son secteur professionnel d’une part, et à l’attente des jeunes et des adultes en matière de formation d’autre part. C’est pourquoi l’offre de formation du Groupe ESA a toujours été diversifiée :

  • la formation d’ingénieurs, mais aussi de techniciens et techniciens supérieurs, a été une réponse aux besoins du secteur agricole qui se sont particulièrement manifestés à partir des années 1960 ;
  • la mise en place de modalités pédagogiques variées a permis de répondre à la forte attente des jeunes et adultes ruraux : enseignement à distance à partir de 1927 (200 000 anciens élèves), formation pour adultes par la promotion sociale à partir des années 1960, apprentissage à partir de 1974.

2Cette diversification s’est principalement manifestée pour les publics de techniciens, mais elle a aussi concerné l’école d’ingénieurs, de manière marginale dès les années 1960 et d’une manière plus organisée à partir des années 1980. À cette période, avec la volonté de développer ses activités et ses ressources financières, l’école d’ingénieurs a souhaité élargir son offre. Elle a pu bénéficier pour cela de l’expérience acquise dans les autres niveaux de formation au sein du Groupe ESA.

3Le cursus ingénieur, porté à cinq ans en 1988, a progressivement été diversifié pour élargir les possibilités de spécialisation lors des deux dernières années. Agricole au départ, l’école a progressivement ouvert des spécialités en agroalimentaire, en viticulture et œnologie, en environnement et en échanges internationaux de biens agricoles. Elle répondait ainsi à des besoins exprimés par les employeurs, mais cherchait aussi à élargir son attractivité pour des bacheliers en quête d’une formation d’ingénieur.

4L’ouverture à de nouveaux publics s’est adressée dans un premier temps aux étudiants français, qui ont pu accéder au diplôme d’ingénieur par des voies différentes :

  • formation initiale par admission à l’issue d’un bac, d’un bac + 2 technique (BTS) ou plus scientifique (DUT – Deug), d’un bac + 3, d’un bac + 4 ;
  • formation continue d’adultes suite à la parution de l’arrêté Fontanet (à partir de 1989) ;
  • formation par apprentissage (parcours de deux ans proposé, à partir de 1998, aux étudiants de troisième année).

5Elle s’est adressée, dans un second temps, aux étudiants étrangers (on ne parle pas ici des échanges courts). Comme les étudiants français, ils peuvent intégrer l’École à divers niveaux, suivre un parcours de formation initiale aussi bien qu’une formation par alternance calquée sur la formation par apprentissage (et, dans certains cas, en bénéficiant de ce statut). Ils bénéficient d’un tutorat individualisé conséquent, assuré par les enseignants-chercheurs. Près de 40 nationalités sont aujourd’hui représentées dans l’école.

6Ces ouvertures concernent un nombre très significatif d’étudiants : aujourd’hui les étudiants qui suivent la voie normale (recrutement niveau bac, cinq années d’études, statut d’étudiant) ne représentent qu’un peu plus de la moitié des étudiants diplômés chaque année. L’autre moitié est composée des multiples filières que l’École a progressivement mises en place.

7Il s’ensuit qu’aujourd’hui un enseignant peut avoir comme auditoire un groupe composé de sept ou huit parcours, nationalités, âges et expériences différents. En effet, tant par idéologie (ne pas créer de différenciation entre les personnes en raison de leur nationalité, de leur parcours ou de leur statut) que par intérêt pédagogique (brassage interculturel enrichissant pour les étudiants) ou économique (ne pas augmenter à l’excès le nombre de groupes à enseigner/encadrer), le fonctionnement de l’École est tel que, lorsqu’ils sont à l’ESA, ces étudiants se retrouvent le plus souvent dans les mêmes amphis pour y suivre les mêmes enseignements.

Le fonctionnement pédagogique du système

8Les titulaires du bac entrent à l’ESA pour un cursus de cinq ans. Les trois premières années sont consacrées aux sciences et aux enseignements technologiques transversaux aux différentes spécialisations de l’école. Ce premier cycle est ponctué de stages, en France et à l’étranger, et la troisième année laisse une place importante à la formalisation du projet professionnel afin d’anticiper sur le choix de spécialisation. Le cycle terminal de deux ans est consacré à la spécialisation choisie par l’étudiant et à la réalisation de son projet d’ingénieur (mémoire de fin d’études). Pendant ce dernier cycle, les étudiants effectuent presque tous un séjour à l’étranger (semestre d’étude en université et/ou stage en entreprise ou laboratoire de recherche) et un semestre de stage en entreprise consacré au projet d’ingénieur.

9Les BTS intègrent en deuxième année, les autres bac + 2 en troisième année. Les titulaires d’un bac + 4 intègrent en quatrième année l’un des parcours de spécialisation du cycle terminal.

10Les étudiants ont la possibilité d’effectuer le cycle terminal par la voie de l’alternance (dans la plupart des cas sous statut d’apprenti). Ce parcours est choisi par une cinquantaine d’élèves dans chaque promotion (soit un stock annuel d’une centaine de parcours d’alternance à gérer et accompagner). Il s’agit d’un enseignement inductif qui prend fortement appui sur les missions confiées en entreprise, sur la mutualisation des observations et des analyses faites par les apprentis en entreprise à partir d’outils communs, sur la conduite de projet. Il combine des activités spécifiques à ce groupe et de nombreuses séquences communes avec les autres étudiants de l’école. Chaque apprenti bénéficie d’un encadrement individualisé assuré par le maître d’apprentissage d’une part et par un professeur référent de l’ESA d’autre part.

11Les adultes en formation continue ont un parcours en deux cycles. Le premier, réalisé en enseignement à distance, permet d’assurer la mise à niveau scientifique nécessaire et est compatible avec le maintien dans l’emploi. Le second cycle de 18 mois, en présentiel ou en alternance, est réalisé en rejoignant les étudiants de quatrième et cinquième années.

12En résumé, l’école recrute des étudiants de différentes origines, en même temps qu’elle leur offre différentes possibilités de parcours.

13Diversité des origines, combinée à la diversité des parcours : il y a une forte personnalisation de la formation. Cette personnalisation amène deux questions :

  • que devient la marque ESA ?
  • quelle pédagogie et quel impact sur le métier des enseignants ?

14Avant de traiter ces deux questions, nous voudrions souligner la richesse du système et l’accord qu’il recueille auprès des étudiants comme des enseignants :

  • l’école est très internationale de l’intérieur. Dans les salles de cours et autour des points café, on parle plusieurs langues, les cultures se rencontrent (et se confrontent !), les amitiés se nouent ;
  • jeunes et adultes ensemble : les premiers apprennent des seconds la rigueur d’organisation, la valeur du temps. Les seconds apprennent des premiers l’imagination créative, la remise en cause, les questionnements impertinents ;
  • alternants et présentiels ensemble : partage de visions différentes sur le travail, le rapport à l’autorité dans l’entreprise ;
  • universitaires et ingénieurs : les premiers savent mieux travailler sans encadrement (ce n’est pas pour rien qu’ils ont réussi leurs études universitaires) et montrent un esprit plus ouvert au questionnement. Les seconds apportent la largeur de vue, la capacité d’interdisciplinarité.

15Les enseignants eux-mêmes sont très attachés au système, même s’il pose les questions que l’on va aborder ci-dessous. Ainsi, lors de la mise en place de la dernière réforme de programme (dite ESA 2010), il leur était proposé de séparer les étudiants alternants des autres afin de simplifier la gestion du système. C’est à la quasi-unanimité qu’ils ont manifesté leur volonté de conserver des groupes mélangés.

Quelle marque ESA ?

16Comme la plupart des écoles d’ingénieurs, l’ESA prétend avoir une certaine marque de fabrique. Cela est particulièrement vrai d’une école qui recrute ses étudiants au niveau du bac et les forme pendant cinq ans. Même si pendant ces cinq années ils sont souvent hors l’école (stages, études à l’étranger), ils vivent suffisamment d’expériences communes (le stage agricole de première année est l’une d’elles, significative) et sortent d’un même moule. D’une part, un employeur est ainsi assuré de trouver chez l’ingénieur ESA un certain nombre de savoir-faire et d’attitudes. D’autre part, la marque de fabrique est un des éléments de cohésion du réseau des anciens élèves. Enfin, l’école étant la propriété de ses anciens élèves et ayant un conseil d’administration dans lequel ils sont très majoritaires, la marque de fabrique est un point d’attention régulièrement en débat. Le débat sur les programmes est permanent. Tous les étudiants doivent-ils acquérir les mêmes savoirs et savoir-faire ? La chose était possible à l’époque du recrutement très majoritaire au bac. Elle reste fortement dans la culture de l’école, de son corps enseignant et de son administration. Elle est renforcée par une certaine lecture des recommandations de la CTI [2]. L’équilibre entre la formation abstraite (le raisonnement, la capacité à bien poser une question, le raisonnement systémique, la modélisation, etc.) et la formation concrète (la connaissance des techniques, du milieu socio-économique, la capacité d’action et de décision, les références technico-économiques) est sans cesse interpellé. Ainsi la diversité des origines et des parcours provoque une plus grande dispersion des capacités à la sortie. La marque de fabrique ne peut plus reposer sur l’homogénéité des compétences. Peut-elle reposer davantage sur des valeurs partagées (ouverture au monde, attention aux dimensions humaines, confiance pour entreprendre…) ?

Impact sur le métier d’enseignant

17La diversité des publics comporte un risque pédagogique évident : la baisse du niveau de la formation, par alignement sur le dénominateur commun. Pour contrer ce risque, il y a différentes stratégies :

  • s’appuyer sur la richesse collective du groupe (ce que nous essayons de faire aujourd’hui), quitte à dévier un peu du programme ;
  • faire de l’enseignement très individualisé (tout le monde dans le même groupe, certes, mais avec en surplus un tutorage individuel très poussé… et coûteux) ;
  • une inventivité pédagogique pour faire face à ces risques. Pour cela les enseignants investissent dans la pédagogie (par exemple il leur est proposé des formations sur l’enseignement à des groupes multiculturels).

18Cet investissement dans la pédagogie doit rester dans un volume compatible avec le bon exercice des activités de recherche et les tâches administratives. Mais il est clair que l’inventivité pédagogique peut rapidement devenir un nouveau savoir-faire collectif de l’École et constituer un atout. À titre d’exemple, un groupe d’enseignants d’agronomie, statistiques, agroalimentaire et œnologie a produit une communication lors d’un récent colloque international sur les métiers en éducation et formation (Nantes, 18-19 juin 2009), intitulée « Hétérogénéité des publics en enseignement supérieur : capital ou risque ? »

19L’inventivité nécessaire pour relever les défis de l’alimentation de la planète au XXIe siècle demandera de brasser les disciplines, les cultures, les manières de voir. Ce brassage peut être préparé dès la formation supérieure, dès lors qu’il reste compatible avec le niveau de compétences attendu d’un ingénieur, voire le renforce. Un nouvel objectif se présente à l’institution : utiliser la diversification de ses publics et de ses parcours, non seulement comme une stratégie pour obtenir plus d’étudiants et de financements, ou pour un brassage sympathique de populations et de cultures, mais aussi comme un levier pour accroître sa capacité pédagogique et doper l’esprit d’invention de ses ingénieurs.


Date de mise en ligne : 19/12/2014

https://doi.org/10.3917/pour.200.0087

Notes

  • [1]
    55 rue Rabelais, BP 30748, 49007 Angers Cedex. Les auteurs écrivent cet article au titre des fonctions qu’ils ont exercées jusqu’en 2008, l’un comme directeur délégué du centre de formation continue et apprentissage du Groupe ESA, l’autre comme directeur délégué de l’ESA (formation d’ingénieurs).
  • [2]
    Commission du titre d’ingénieur. C’est l’instance qui évalue les écoles d’ingénieurs et leurs programmes de formation.

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