Notes
-
[1]
Néologisme apparu en 1976 combinaison de rural et de urbain, désigne le processus de retour des citadins vers des espaces qualifiés de ruraux, en gardant leurs exigences d’urbains.
Bauer et J.-M. Roux, La rurbanisation ou la ville éparpillée, éd. du Seuil, 1976. D’après le rapport Area pour la Datar, 1973. -
[2]
Insee Première n° 1129, mars 2007 et n° 767, avril 2001.
-
[3]
Taux moyen d’émissions de CO2 en France, Données 1999/2004, « Les véhicules particuliers en France », Ademe, mai 2007.
-
[4]
33,8 % des émissions de CO2 en 2005.
-
[5]
Fédération française Automobiles club, 2005.
-
[6]
DGEMP, 2007.
-
[7]
Newman et Kenworthy, Sustainability and cities : over-coming automobile dependence, 1999.
-
[8]
Source : Ademe, depuis 1991. Ces DEED (Diagnostics énergie environnement des déplacements) ont été réalisés depuis 1991 sur les aires urbaines de Lille, Grenoble, Bordeaux, Ile-de-France, Nancy, et sont en cours à Nevers, Besançon, Belfort-Montbéliard, Béthune, Lorient.
Cette méthodologie a été développée par l’Inrets pour l’Ademe. -
[9]
Source : Thérèse Saint-Julien (université Paris I), Patrice Caro et Loïc Grasland. GIP Reclus - La Documentation française, 1998, 128 pages, 157 cartes et graphiques.
-
[10]
« Quelle France rurale pour 2020 ? Contribution à une nouvelle politique de développement rural durable », Étude prospective de la Datar, CIADT du 3 septembre 2003.
-
[11]
Évaluation d’opérations exemplaires de transport à la demande, Ademe/Isis, 2004. « Services à la demande et transports innovants en milieu rural : de l’inventaire à la valorisation des expériences », Ademe-DTT-Datar/Adetec, 2004.
-
[12]
Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie.
-
[13]
Francis Beaucire, Les transports publics et la ville, éd. Milan, Les essentiels, 1996.
1La ruralité s’est développée par ses ressources naturelles, les activités agricoles en étant l’illustration la plus évidente. Depuis l’exode rural, la donne a changé : les populations, qu’elles soient intermittentes ou permanentes, représentent actuellement ses principales ressources de développement. La rurbanisation [1] constitue aujourd’hui son principal moteur de croissance. Cette nouvelle forme de ruralité plus exigeante provient d’une part d’une utopie collective de vouloir vivre au vert et d’autre part, de l’affranchissement des limites de proximité territoriale engendré par l’accession à l’automobile. La problématique de localisation fonctionnelle constitue le nœud des enjeux de développement durable. La rurbanisation est la nouvelle forme de l’étalement urbain et du mitage des territoires qui lui est inhérent.
2Le développement rural actuel permet-il une gestion rationnelle des ressources par l’accueil de ses nouvelles populations ?
3Les territoires ruraux dynamiques sont surtout des territoires facilement accessibles depuis les villes, à une distance raisonnable en temps de trajet. Cette corrélation induit fatalement l’intensification du phénomène de migration pendulaire. L’allongement de ces distances est encouragé par les politiques rurales d’accessibilité permettant des temps de trajet similaires à ceux des milieux urbain et périurbain. Ce phénomène des migrants alternant s [2] est observé par l’Insee sur les déplacements domicile-travail. En 2004, les salariés résidant dans l’espace rural travaillaient en moyenne à 40,2 km de leur domicile. Ceci représente un allongement des distances de plus de 17 % par rapport aux résidents urbains et périurbains. En 5 ans, ces migrations pendulaires ont plus que doublé : cette distance était évaluée à 18,5 km en 1999 (+117 %). Pendant ce temps, les émissions de CO2 par km sur les véhicules neufs n’ont baissé que de 7,8 % [3]. Cette divergence expliquée par l’allongement des distances est très préoccupante pour la maîtrise de l’effet de serre.
Le paradoxe des politiques rurales de mobilité
4Bien qu’elle soit la première responsable des émissions de gaz à effet de serre [4], la mobilité est encore considérée comme la condition sine qu a non du développement rural. Ce constat place donc en position antagoniste le développement rural sous sa forme actuelle et les enjeux environnementaux. Les politiques de transport en milieu rural se sont toujours traduites et se traduisent encore par une course effrénée à l’accessibilité, c’est-à-dire par la construction de réseaux routiers d’accès. Mais les progrès considérables réalisés par la technologie ne parviennent toujours pas à réduire l’impact des transports sur l’effet de serre. Si la lutte contre le changement climatique nécessite des politiques de rupture, la disjonction la plus importante concernera la mobilité : il faudra inévitablement mener une politique de management, puis de réduction et même de rationnement de la mobilité.
5Le coût insoutenable de l’automobile est estimé à 0,48 € [5] par km circulé et, de surcroît, ne constitue que 5 % de son coût réel.
6La raréfaction des ressources pétrolières provoquant la hausse du prix des carburants pénalisera en premier lieu les territoires dépendant de la mobilité. Le prix hors taxes des carburants a augmenté de 65 % en 3 ans [6]. Cette tendance à l’accroissement du prix de l’énergie n’est pas conjoncturelle mais bien structurelle, puisqu’elle repose quasiment exclusivement sur des ressources fossiles (pétrole, uranium, gaz, charbon…).
7Le territoire rural est considéré comme le plus fragile économiquement. Or le principal développement qu’on lui offre repose sur la mobilité individuelle qui sera plus pénalisante pour les populations les plus vulnérables.
8Est-il bien raisonnable de fonder un développement local des territoires les plus défavorisés sur des modèles non viables économiquement ?
Dispersion actuelle des territoires et impact énergétique
9Le lien entre densité et consommation énergétique est incontestable. Cette relation, identifiée par les chercheurs Newman et Kenworthy, est représentée par la courbe dite australienne [7] ci-dessous.
Relation entre densité et consommation énergétique des transports
Relation entre densité et consommation énergétique des transports
10La consommation énergétique des transports est inversement proportionnelle à la densité : elle décroît de manière hyperbolique entre des territoires faiblement peuplés ou mités – et des espaces compacts et denses.
11Cette tendance est confirmée à l’échelle de la France, par les Diagnostics énergie environnement des déplacements [8].
12Dans les territoires ruraux français, la dispersion est de règle partout à l’exception du Nord-Est (ligne Le Havre - Genève) et en façade méditerranéenne [9] (carte ci-dessous). Cette logique d’urbanisation éparse s’oppose à l’objectif d’efficience énergétique des territoires.
Représentation de l’éparpillement des territoires en France
Représentation de l’éparpillement des territoires en France
Le paradoxe des politiques de développement rural durable
13En 2003, la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (Datar) a réalisé un état des lieux du milieu rural [10]. Ce rapport analyse dans un premier temps la situation actuelle ainsi que les tendances de développement, et dans un second temps, propose des éléments stratégiques de développement rural durable.
14Paradoxalement, ce rapport propose des solutions en contradiction avec le diagnostic et les objectifs environnementaux recherchés. Dans la première partie, les enjeux y sont présentés sans détour : une politique de développement durable passe par la refondation de la relation ville-campagnes, autour de la reconstruction de « la ville sur la ville ». L’étude pointe aussi l’importance de la « régulation de la fonction résidentielle des “campagnes de villes” [c’est-à-dire la rurbanisation] ». L’analyse des tendances de développement actuelles – scénario dit « rural sous dominance urbaine » –, conclut qu’une « campagne résidentielle qui s’inscrit dans le cadre du “tout-mobilité” et donc du “tout automobile”, est économiquement vulnérable et n’est écologiquement pas durable ».
15Tous les éléments de ce diagnostic appellent donc à une rupture dans les politiques de développement des territoires ruraux.
16Les éléments stratégiques évoqués dans la seconde partie sont étonnants et paradoxaux vis-à-vis des enseignements de la première partie. L’étude propose de prolonger dans la continuité les efforts de développement initiés. On notera notamment que « l’arrivée de nouveaux habitants au pouvoir d’achat supérieur à la moyenne observée dans les territoires ruraux, et demandeurs de services [c’est-à-dire la continuité de la rurbanisation] constitue une véritable chance ». Aussi est-il proposé d’« achever l’accès aux grandes infrastructures » comprenant « la création d’antennes routières express », perpétuant ainsi la logique frénétique du toujours plus d’accessibilité routière.
Le transport à la demande : vocation sociale ou exigence environnementale ?
17A fin de répondre aux besoins en services liés au renouvellement des populations rurales, l’étude de la Datar préconise de développer le transport à la demande. Le transport à la demande est un « service de transport public ne fonctionnant que sur appel préalable d’un ou plusieurs clients ».
18En 2004, deux études [11] sur le transport à la demande, menées par l’Ademe [12], nous éclairent sur sa soutenabilité. Il s’agit d’un système répondant efficacement aux attentes de mobilité en zone peu dense. Il se distingue par sa qualité de service (complément à l’offre existante en transports en commun, adaptabilité des solutions). Malgré son coût excessivement élevé, le transport à la demande répond aux besoins de couverture géographique et sociale, d’accès à la mobilité pour tous et de satisfaction de la demande. Il a donc à une très forte vocation sociale qui cache une absence de rationalisation du service. Le bilan environnemental est, lui, bien plus mitigé. Le transport à la demande induit une surconsommation de 50 % par rapport à l’utilisation de la voiture individuelle mais une réduction de 35 % par rapport à un service de transport en commun classique.
Vers une ruralité de proximité
19Les exemples de disjonction entre diagnostic et choix de développement sont caractéristiques de la position française en matière de politique rurale et environnementale.
20Quelles sont les raisons de cette divergence ? Le lobbying politique du développement local n’explique pas à lui seul ces choix. Le culte de la ville du XIXe siècle qui s’exprime aujourd’hui dans les projets d’aménagement révèle la difficulté française à faire le deuil de son exode rural. Aura-t-on le courage politique d’aller à rebours de l’attente publique de vivre au vert ?
21Il faudra pourtant choisir entre, d’une part, la fuite en avant de l’étalement urbain par le mitage des territoires, et d’autre part, l’amplification d’une binarité spatiale entre des espaces urbains denses et des espaces ruraux, permettant de relever les défis environnementaux. Ces derniers devront s’organiser autour de centres bourgs compacts répondant à la théorie des villes à courte distance [13] et d’espaces naturels gérés écologiquement.
22Le milieu rural n’est-il pas le mieux placé pour s’imaginer ainsi un modèle de décroissance lui assurant un équilibre environnemental et économique ?
Notes
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[1]
Néologisme apparu en 1976 combinaison de rural et de urbain, désigne le processus de retour des citadins vers des espaces qualifiés de ruraux, en gardant leurs exigences d’urbains.
Bauer et J.-M. Roux, La rurbanisation ou la ville éparpillée, éd. du Seuil, 1976. D’après le rapport Area pour la Datar, 1973. -
[2]
Insee Première n° 1129, mars 2007 et n° 767, avril 2001.
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[3]
Taux moyen d’émissions de CO2 en France, Données 1999/2004, « Les véhicules particuliers en France », Ademe, mai 2007.
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[4]
33,8 % des émissions de CO2 en 2005.
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[5]
Fédération française Automobiles club, 2005.
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[6]
DGEMP, 2007.
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[7]
Newman et Kenworthy, Sustainability and cities : over-coming automobile dependence, 1999.
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[8]
Source : Ademe, depuis 1991. Ces DEED (Diagnostics énergie environnement des déplacements) ont été réalisés depuis 1991 sur les aires urbaines de Lille, Grenoble, Bordeaux, Ile-de-France, Nancy, et sont en cours à Nevers, Besançon, Belfort-Montbéliard, Béthune, Lorient.
Cette méthodologie a été développée par l’Inrets pour l’Ademe. -
[9]
Source : Thérèse Saint-Julien (université Paris I), Patrice Caro et Loïc Grasland. GIP Reclus - La Documentation française, 1998, 128 pages, 157 cartes et graphiques.
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[10]
« Quelle France rurale pour 2020 ? Contribution à une nouvelle politique de développement rural durable », Étude prospective de la Datar, CIADT du 3 septembre 2003.
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[11]
Évaluation d’opérations exemplaires de transport à la demande, Ademe/Isis, 2004. « Services à la demande et transports innovants en milieu rural : de l’inventaire à la valorisation des expériences », Ademe-DTT-Datar/Adetec, 2004.
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[12]
Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie.
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[13]
Francis Beaucire, Les transports publics et la ville, éd. Milan, Les essentiels, 1996.