Couverture de POS_431

Article de revue

Gestion des risques associés aux soins : état des lieux et perspectives

Pages 35 à 45

Notes

  • [1]
    Membre de l’inspection générale des affaires sociales, IGAS.
  • [2]
    Membre de l’inspection générale des affaires sociales, IGAS.
  • [3]
    Directeur de recherches, CNRS.
  • [4]
    Un évènement indésirable est un évènement défavorable pour le patient, plus lié aux soins (stratégies et actes de traitement, de diagnostic, de prévention ou de réhabilitation) qu’à l’évolution de la maladie. Est considéré comme grave un évènement associé à un décès ou à une menace vitale, à un handicap ou à une incapacité, ou à la prolongation de l’hospitalisation d’au moins un jour.
  • [5]
    Le principe d’une obligation de déclaration à l’autorité administrative compétente des EIG autres que les infections nosocomiales a été posé par la loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique ; la mise en œuvre de cette disposition a été subordonnée à une expérimentation préalable, d’une durée maximale de trois ans, placée sous la responsabilité de l’InVS.

Introduction

1La mobilisation particulière des pouvoirs publics et des professionnels autour de la dimension de la sécurité des soins tient à une série de facteurs.

2Premièrement, à la faveur de dysfonctionnements majeurs à fort retentissement médiatique, l’opinion publique et les pouvoirs publics ont pris conscience de l’existence et de la gravité du risque médical. L’affaire du sang contaminé, liée à la transmission du virus de l’immunodéficience humaine (VIH) à l’occasion de transfusions sanguines, a marqué en France un premier tournant à cet égard. Il est hautement probable que l’affaire Mediator® mette fortement en cause les évolutions engagées depuis.

3À dires d’experts, alors qu’un degré de satisfaction globale élevé des patients à l’égard de leur système de santé a longtemps retardé la prise de conscience du risque médical, on constaterait désormais une moindre tolérance vis-à-vis de l’erreur médicale ou de l’évènement indésirable évitable [1]. L’aversion au risque peut même aboutir à un paradoxe, à l’instar de ce qui a été observé dans le secteur de l’aviation civile : plus le risque d’accident est faible, plus l’accident qui se produit est jugé inacceptable. Cette situation peut conduire à une tyrannie de l’exigence de « risque zéro » et compromettre la démarche même de gestion des risques. Celle-ci serait alors jugée illégitime puisque accordant de la valeur à l’erreur et aux enseignements qu’on peut en tirer [2].

4Pourtant, ainsi que le révèle le suivi barométrique organisé par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) [3], l’opinion publique est partagée sur l’évolution de la qualité des soins en France. En ce qui concerne la médecine de ville, une faible majorité (51 %), en 2010, dit ressentir une amélioration, 28 % considèrent que la qualité des soins est restée identique et 20 % qu’elle s’est détériorée. Les opinions à l’égard de l’hôpital sont plus critiques : 37 % (cinq points de plus qu’en 2009), considèrent que la qualité s’y est détériorée. Dans l’ensemble, les personnes interrogées reconnaissent que le risque zéro n’existe pas (95 % en 2010, soit trois points de plus qu’en 2008, neuf points de plus qu’en 2000).

5Deuxièmement, au-delà des affaires liées à un risque particulier, l’existence et la gravité du risque médical ont été établies par des enquêtes. Ainsi, des études ont été conduites, d’abord aux États-Unis et au Royaume-Uni, puis dans les autres pays de l’Union européenne, pour mettre en évidence la prévalence d’évènements indésirables liés aux soins. Celle-ci est apparue significative, de l’ordre de un pour 1 000 journées d’hospitalisation, soit un taux d’incidence largement supérieur à celui observé dans d’autres domaines d’activité, telle que l’aviation civile (en moyenne un accident par million d’heures de vol). Une large partie de ces évènements indésirables, entre le tiers et les deux tiers, est jugée évitable.

6En France, une première enquête nationale sur les évènements indésirables liés aux soins (ENEIS) a été conduite en 2004 et renouvelée en 2009. L’étude ENEIS de 2009 a montré la persistance des incidents graves liés aux soins : 6,2 évènements indésirables graves (EIG) [4] liés aux soins étaient survenus pour 1 000 journées d’hospitalisation ; un tiers de ces évènements a été jugé évitable et donc accessible à une politique de réduction des risques liés aux soins. En extrapolant les résultats, on peut estimer le nombre d’EIG à une fourchette allant de 275 000 à 395 000 par an, dont 95 000 à 180 000 EIG évitables. Les EIG évitables étaient généralement associés à l’une des expositions ou l’un des mécanismes suivants : un acte invasif (notamment les interventions chirurgicales), un produit de santé (médicament ou dispositif médical implantable), une infection associée aux soins.

7D’après les éléments recueillis par une étude de la Commission européenne [4], l’incidence d’évènements indésirables est plus faible pour les soins de ville que pour les établissements de santé. Cependant, en termes absolus, un nombre important de patients est susceptible d’être concerné par la médecine de ville.

8Il s’agit essentiellement d’évènements indésirables liés à la consommation de médicaments. Ainsi, l’étude EMIR (Effets indésirables des médicaments), menée en 2007 par le réseau des centres régionaux de pharmacovigilance, conduit à une estimation globale du nombre annuel d’hospitalisations dues à des effets indésirables de médicaments (144 000), ce qui représente un taux d’incidence de 3,60 %. Les accidents hémorragiques des médicaments anticoagulants de la classe des antivitamines K (AVK) arrivent au premier rang des accidents iatrogènes.

9Troisièmement, il est probable que la pression assurantielle a joué un rôle dans le développement de la place accordée à la sécurité. Aussi, dès lors qu’ils étaient confrontés à une hausse continue de leur prime en responsabilité civile professionnelle (RCP), les médecins exerçant des spécialités à risque ont accepté de s’engager dans la démarche d’accréditation, en contrepartie d’une aide à la souscription de l’assurance. Sur le terrain, les exigences des assureurs sont citées comme forces motrices de l’engagement dans des démarches d’amélioration de la sécurité des soins, tant par les médecins libéraux que dans les établissements de santé.

10Dans ce contexte, cet article vise à établir un état des lieux des actions menées dans le domaine ces dernières années en France et à mettre en perspective la question de la régulation de la sécurité des soins. Entre le souci de proximité dans l’accompagnement des professionnels à des fins d’amélioration et la quête de transparence sur le sujet, cet article expose des pistes de ce que pourrait être cette régulation.

Définitions

11L’analyse de la sécurité des soins est indissociable de celle de sa qualité. Dans les documents officiels, en France, les deux termes apparaissent souvent juxtaposés, sans qu’il y ait de définition unique et consensuelle de ces concepts, qui permettrait de tracer une frontière nette.

12La qualité est une notion plus large que la sécurité, dans la mesure où la qualité peut s’étendre à d’autres aspects de la prise en charge des patients que les soins proprement dits (exemple des droits des patients) et elle englobe, aux côtés de la sécurité, d’autres approches.

13L’Institut américain de médecine (Institute of medicine, IOM), pionnier dans ce domaine [5], définit la qualité comme : « la capacité, des services de santé destinés aux individus et aux populations, d’augmenter la probabilité d’atteindre les résultats de santé souhaités, en conformité avec les connaissances professionnelles du moment ».

14Se basant sur ces travaux, l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (IRDES) a proposé de retenir, au sein de la qualité, les dimensions d’efficacité, de sécurité, de réactivité, d’accès et d’efficience, tout en reconnaissant que d’autres approches existaient, fondées sur la pertinence dans le recours (appropriateness), la pertinence dans le temps (timeliness), l’approche patient (patient centeredness), la continuité, la satisfaction ou la compétence technique [6].

15Pour ne pas faire de la qualité une notion trop englobante, au sein de laquelle se dilueraient les priorités des politiques publiques et les nécessaires arbitrages qui y sont associés, il est proposé ici :

  • d’exclure l’efficience de la qualité ;
  • de considérer que les notions de qualité et de sécurité ne se confondent pas mais s’inscrivent dans un continuum. Autrement dit, la sécurité des soins doit faire l’objet d’une attention à part même si son amélioration peut ponctuellement découler de la promotion d’autres dimensions de la qualité. À titre d’exemple, l’accès des patients aux structures de soins les plus appropriées à leur état clinique, dans un délai raisonnable, est favorable à la sécurité des soins ensuite prodigués [7].

Méthodes et outils

16Cette distinction conceptuelle, selon laquelle l’amélioration générale de la qualité des soins peut servir la sécurité des soins mais ne saurait suffire, est importante en matière de définition et de conduite de politique publique. Les démarches qualité qui ont été promues dans les entreprises au cours des années 1990 et 2000 ont certes permis des progrès mais ont souvent cédé au risque de bureaucratisation. Celui-ci se caractérise par la formalisation minutieuse des processus et manières de faire existantes, sans questionnement systématique de leur pertinence, et par la difficulté d’intégrer dans la structure le spécialiste de la qualité, le qualiticien. Le management de qualité s’est ainsi fréquemment senti peu impliqué dans la démarche. Ce n’est pas tant la conception même des démarches qualité qui est en cause que sa mise en œuvre observée en pratique.

17Se préoccuper de sécurité, c’est s’intéresser aux éventuels incidents ou risques d’incidents qui peuvent survenir dans le système de soins. Or, en plaçant la notion de risque au centre, le manager est invité à l’identifier et à réinterroger de manière périodique, à partir des observations ainsi effectuées, les outils de gestion mis en place. La maîtrise des risques n’est pas sensée être confiée à des spécialistes mais intégrée dans l’activité quotidienne.

18Dans ce contexte, pour augmenter la sécurité des soins, les pays anglo-saxons, puis les États membres de l’Union européenne, se sont inspirés des méthodes d’analyse et des dispositifs de gestion des risques développés dans d’autres secteurs d’activité, tels que l’aviation civile et le nucléaire, qui constituent également des systèmes complexes, porteurs de risques potentiellement graves.

19Schématiquement, les dispositifs de gestion des risques se découpent dans les grandes étapes suivantes :

  • l’identification et le signalement des évènements indésirables liés aux soins ;
  • l’analyse des évènements indésirables pour en déterminer les causes ;
  • la conception et la mise en œuvre d’actions de prévention des facteurs de risque de survenue des évènements indésirables, ou near miss, ainsi que d’actions de réduction du risque ;
  • le suivi de ces actions et de leurs résultats afin d’assurer le bouclage du dispositif.
Or, pour chacune de ces étapes, les recherches et expérimentations menées dans les pays occidentaux ont autorisé des progrès, sans toutefois parvenir à l’esquisse d’un dispositif optimal.

20Enfin, pour être opérationnel, un tel dispositif doit être, d’une part piloté au bon niveau, c’est-à-dire doté du pouvoir décisionnel et des leviers requis pour la gestion des risques, et, d’autre part, être mis en œuvre au sein d’une organisation appropriée, c’est-à-dire réactive et disposant de moyens suffisants pour mettre en œuvre ses missions.

1 – Identification et signalement des évènements indésirables liés aux soins

21Pour caractériser les zones de risque dans le système de soins, la réalisation d’études épidémiologiques ne peut pas suffire. En effet, certains évènements indésirables sont trop rares (par exemple, les erreurs relatives à l’identité du patient) ou spécifiques à un contexte donné pour pouvoir être repérés de cette façon.

22Par ailleurs, le concept de médecine fondée sur les preuves (evidence based medicine, EBM), s’il repose essentiellement sur la recherche d’un niveau de preuve suffisant, fourni par des études randomisées, ne donne pas assez de place à l’expérience professionnelle des praticiens pour que ceux-ci se l’approprient complètement [8].

23Dans ce contexte, l’approche privilégiée consiste à partir des évènements avérés, et donc de réaliser une évaluation des risques a posteriori. Les erreurs ne sont alors plus considérées uniquement comme des fautes passibles de sanctions mais comme des sources précieuses d’information et d’enseignement sur le risque médical et ses causes. Ainsi, les revues de morbidité et de mortalité (RMM), menées depuis plusieurs années dans les établissements de santé, visent à tirer de l’analyse d’évènements graves des enseignements sur les forces et les vulnérabilités existantes, afin de mener des actions d’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins.

24De cette vertu reconnue à l’erreur, découle l’importance de garantir la déconnection entre gestion collective du risque et mise en cause individuelle de la responsabilité, par l’anonymisation des données recueillies ou la création de protections juridiques spécifiques [9]. Ainsi, aux États-Unis, la loi prohibe la poursuite d’un professionnel de santé, même au pénal (no shame, no blame), s’il s’engage dans la recherche des causes et des défaillances systémiques. Une logique similaire prévaut dans l’aviation civile. Dans la charte d’Air France, par exemple, la déclaration d’évènements indésirables est une obligation pour les agents, la compagnie s’engageant en retour à ne pas engager d’action disciplinaire.

25Les systèmes de recueil de données sur les risques médicaux, actuellement mis en œuvre en France (les principales « vigilances »), sont encore largement lacunaires. D’une part, les études nationales de prévalence ne sont menées que périodiquement (tous les cinq à six ans) et ne couvrent que partiellement les soins de ville ; elles ne répertorient pas tous les incidents ou quasi-accidents.

26D’autre part, les systèmes de signalement par les professionnels de santé, développés par les agences sanitaires françaises, souffrent de difficultés méthodologiques notables, qui limitent les possibilités d’exploitation des résultats pour évaluer les risques réels : sous-déclaration massive ; absence de définition consensuelle et distinction imprécise entre erreurs, évènements indésirables, évènements indésirables graves, presque accidents ; difficultés fréquentes à établir un lien de causalité, notamment en l’absence de boucle de retour et d’analyses locales de l’incident [10].

27On ne dispose donc pas de marqueurs de risque qui soient à la fois fiables et exhaustifs, ou du moins représentatifs des principaux dysfonctionnements à l’œuvre dans le système. Pour autant, comme exposé supra, quelques indications peuvent être données, à grands traits, sur l’ordre de grandeur de la prévalence des EIG (1/1 000) ainsi que sur les principales zones de risques : actes invasifs (notamment les interventions chirurgicales), produits de santé (médicament ou dispositif médical implantable), infections associées aux soins.

2 – Analyse des évènements indésirables pour en déterminer les causes

28Pour déterminer les causes des évènements indésirables liés aux soins, le modèle d’analyse conceptualisé dans les années 1990 par le professeur James Reason de la Manchester University, dit modèle de Reason, s’est progressivement imposé comme l’une des principales références. En effet, en allant au-delà des circonstances immédiates de l’accident, il aide à comprendre pourquoi celui-ci survient. Plus précisément, il considère que les systèmes complexes recèlent des facteurs de risque qui se combinent et créent un cheminement possible vers l’accident, au travers des barrières du système. Même si une erreur humaine constitue fréquemment la cause immédiate d’un évènement indésirable, sa survenue est favorisée par un contexte technique et organisationnel générateur de risques (causes latentes).

29Appliquée au secteur des soins de santé, cette méthode d’analyse a généralement permis de relativiser l’importance des défaillances individuelles, dès lors qu’elle mettait en lumière les causes liées à l’organisation des soins [11, 12].

30En France, l’expérimentation sur la déclaration obligatoire des EIG, conduite par l’Institut de veille sanitaire (InVS) en 2010 [5], a fait apparaître une typologie des circonstances, ou causes immédiates, dans lesquelles se sont produits le plus fréquemment les EIG : retard au diagnostic ou à la prise en charge, ou prise en charge inadaptée (28 %) ; mauvaise utilisation d’un dispositif médical ou d’un matériel paramédical (14 %) ; erreur médicamenteuse (11 %) ; chute (10 %). En outre, il ressort de l’évaluation de cette expérimentation que les établissements participants ont jugé, dans leur grande majorité, que le dispositif était utile, dans la mesure où il permettait une acculturation des équipes et un partage d’expérience entre établissements. Toutefois de nombreux freins ont été signalés : les doutes persistants de quelques praticiens sur l’utilité du système, notamment en l’absence de retour d’expérience ; la crainte de sanctions (perte d’image de marque, sanctions de la part de la hiérarchie, plaintes des patients) ; le doublonnage des outils de vigilance et de déclaration des évènements porteurs de risques (EPR).

31La détermination des causes latentes, d’ordre organisationnel et systémique, est un exercice beaucoup plus délicat, d’autant plus que la description des EIG déclarés n’est pas toujours assez précise pour en comprendre précisément les circonstances et que des investigations approfondies peuvent s’avérer nécessaires. À titre d’illustration, l’administration d’un mauvais médicament ou d’une dose inappropriée peut être liée à une série de facteurs : l’étiquetage du produit, qui prêterait à confusion ; des modalités de stockage non sécurisées ; un défaut de communication entre le prescripteur et la personne chargée de l’administration ; une identification du patient insuffisamment claire.

32Cet exemple illustre également la difficulté de déterminer le niveau adéquat pour conduire l’exercice d’analyse des risques : au niveau de chaque spécialité médicale ? Au niveau central en inter-spécialités ? Au niveau de chaque établissement de santé ?

33Toutefois, la mise en évidence de l’importance des risques systémiques ne doit pas conduire à occulter l’importance du facteur humain. C’est au contraire la capacité du professionnel de prendre de bonnes décisions dans des situations à risque imprévues – appréhendée dans la notion de résilience – qui peut s’avérer déterminante.

34Par ailleurs, les conclusions des analyses de causes se heurtent dans certains cas à la difficulté de les traduire en action préventive. En effet, les causes observées dans la survenue d’un évènement indésirable n’ont pas la garantie d’être reproductibles dans le temps. Perrow [13] a ainsi montré combien les combinatoires de causes observées dans des accidents survenus dans des organisations à haut risque sont singulières.

35Au total, les insuffisances des marqueurs de risque se conjuguent à la difficulté de déterminer les causes latentes, et leur caractère reproductible pour expliquer l’incapacité à ce jour des pouvoirs publics de dessiner une cartographie des risques sanitaires induits par le fonctionnement du système de soins ; et a fortiori de procéder à l’exercice de quantification et de hiérarchisation des risques, normalement associé à celui de cartographie.

3 – Conception et mise en œuvre d’actions de réduction du risque

36Dans ces circonstances, on comprendra aisément que la conception et la mise en œuvre d’actions de réduction des risques ont été faites de façon empirique et progressive, en fonction des progrès réalisés en matière d’analyse des évènements indésirables liés aux soins. On peut ainsi schématiquement distinguer plusieurs angles d’approche qui, il faut le souligner d’emblée, sont mis en œuvre à différents niveaux (national, régional, local), par différents acteurs (pouvoirs publics, assurance maladie, professionnels de santé et usagers) :

  • La sécurité des produits de santé (médicaments et dispositifs médicaux) et de leurs conditions d’utilisation. Dans cette approche, il s’agit d’évaluer le ratio bénéfice / risque intrinsèque à la consommation d’un produit de santé.
  • La sécurité des pratiques des professionnels de santé. Cette préoccupation tient non seulement à l’analyse des défaillances professionnelles ou de pratiques déviantes susceptibles de conduire à un évènement indésirable, mais aussi au constat plus général d’une grande disparité de pratiques entre professionnels de santé.
  • La sécurité de l’organisation interne des établissements de santé. L’exemple du circuit du médicament en établissement de santé est à cet égard symptomatique. En effet, il recouvre en réalité deux circuits, distincts et interconnectés, faisant intervenir de multiples acteurs [14]. Le premier circuit, clinique, est celui de la prise en charge médicamenteuse du patient hospitalisé, depuis son entrée au moment où son traitement personnel est pris en compte, jusqu’à sa sortie au moment où une prescription, qui sera dispensée en ville, est effectuée. Au sein de l’hôpital, ce circuit clinique inclut les phases de prescription, dispensation, administration. Le second circuit, logistique, concerne le médicament en tant que produit, de l’achat jusqu’à la délivrance dans l’unité de soins, rejoignant le circuit clinique au stade ultime, celui de l’administration du médicament au patient.
  • La sécurité de l’organisation des parcours de prise en charge des patients, qui mobilise tant les établissements de santé que la médecine de ville. Les données relatives aux risques liés aux parcours de soins, telles que des orientations inappropriées, l’absence ou la rupture de prise en charge, sont encore parcellaires [15]. Pourtant, le développement des maladies chroniques et des alternatives à l’hospitalisation rend le risque plus prégnant [16]. Dans son rapport de juin 2011 relatif à la perte d’autonomie, le Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie a ainsi insisté sur la nécessaire continuité des différents modes de prise en charge des soins pour les personnes âgées en situation de perte d’autonomie. Il s’agit aussi de traiter les effets de bord (side effects) de l’hospitalisation, telle qu’une prescription médicamenteuse inadaptée à la sortie de l’hôpital (produits non disponibles en ville, risque de non observance du traitement).
  • La sécurité de l’organisation territoriale de l’offre de soins. Cette approche tient, d’une part, au postulat que le nombre d’actes réalisés ainsi que l’expérience des professionnels et l’organisation adaptée qui en découlent sont corrélés à la sécurité des soins ; d’autre part, à la nécessité d’assurer, le cas échéant, un accès rapide aux soins requis par l’état clinique du patient.
Cette description schématique des différentes approches de la sécurité des soins fait apparaître un très grand nombre d’acteurs et de facteurs de risque, qui exigent la conjugaison d’actions de différents ordres. Par ailleurs, le choix des modalités a été également déterminé par les leviers d’actions à disposition des régulateurs. Au total, en France, les régulateurs mobilisent une large palette d’outils. À nouveau schématiquement, on peut distinguer différents types d’action :
  • la prescription de normes, par voie réglementaire, telles celles relatives aux caractéristiques techniques des produits de santé (médicaments et dispositifs médicaux) ;
  • la modification des comportements en influençant l’intérêt à agir des différents acteurs de la sécurité des soins. Plusieurs leviers peuvent être mobilisés à cette fin, en fonction de la sensibilité des acteurs à ces leviers : obligation instaurée par le cadre réglementaire (obligation de formation continue, protocoles opposables tels que la check-list au bloc opératoire), incitation financière (récompenses / sanctions), émulation par la pratique du benchmark, incitation faisant appel à l’éthique et la responsabilité professionnelles des personnes (diffusion d’une culture de sécurité des soins, par exemple via des RMM ; recommandations de bonnes pratiques, auto-évaluation) ;
  • la planification territoriale de l’offre de soins qui peut être obtenue de façon coercitive (octroi / retrait d’autorisation d’exercice) ou incitative (primes à l’installation, tarification des activités, mise à disposition de moyens).
Ces approches ont des degrés de contrainte et d’opposabilité différents. Elles se déploient et produisent également des effets sur des temporalités différentes. Certaines de ces actions visent à prévenir les facteurs risques de survenue des évènements indésirables, plutôt que de les réduire a posteriori. Cette approche permet d’aborder la gestion des risques dans un climat plus serein, favorable à des modes d’apprentissage et au développement d’actions préventives. Ainsi, ont vu le jour des méthodes d’évaluation spécifiques comme les trigger tools, l’analyse des modes de défaillance, de leurs effets et de leur criticité (AMDEC) et l’analyse préliminaire des risques (APR), ainsi que des outils de prévention du risque tels que la check-list opératoire ou les approches d’identito-vigilance.

37Ces approches ont en commun de souligner l’importance des conditions locales dans lesquelles vont se développer ces démarches préventives. À cet égard, l’évaluation de la culture de sécurité au sein des équipes médicales et soignantes est devenue une autre composante importante de la gestion des risques. Selon le niveau de culture, les actions préventives et l’apprentissage s’ancreront plus ou moins aisément dans les pratiques collectives des équipes, soulignant le besoin d’étudier minutieusement les modalités d’implantation de cette culture [17].

38Toutes ces actions correspondent davantage à une logique de promotion de démarches continues d’amélioration de la sécurité des soins que de sanction de pratiques déviantes ou dangereuses. Elles doivent donc être conçues comme complémentaires des actions d’inspection et de contrôle organisées par ailleurs.

4 – Suivi de ces actions et de leurs résultats afin d’assurer le bouclage du dispositif

39Pour être complet, un dispositif de gestion des risques doit comporter un mécanisme de bouclage ou de retour d’expérience, qui implique une mesure de l’effectivité et de l’efficacité des actions engagées. Les informations ainsi recueillies doivent permettre une révision régulière de la cartographie des risques et des actions à entreprendre pour les réduire.

40De manière plus générale, la démonstration d’un impact positif constitue une forte préoccupation des pouvoirs publics, non seulement du fait des contraintes budgétaires qui peuvent exiger des arbitrages entre dispositifs, mais aussi car il en va de la crédibilité même des dispositifs auprès des professionnels de santé qui les portent et donc de leur efficacité.

41Or, si les études d’impact réalisées au cours des dernières années ont pu ponctuellement mettre en évidence des effets sur les pratiques des professionnels de santé, l’exercice est beaucoup plus embryonnaire et complexe en termes d’impact sur l’état clinique des patients [18]. Or il apparaît que les indicateurs de process et les indicateurs de résultats ne sont pas toujours convergents.

42Dans ce contexte, un symposium relatif à l’impact des programmes qualité, organisé par la Haute Autorité de santé (HAS) en avril 2010 en collaboration avec le British Medical Journal, avait permis de mettre en exergue l’importance du développement de la recherche sur le résultat clinique (outcome research) et le développement d’indicateurs à partir de cet objectif final (reverse indicators).

43Au total, disposer d’indicateurs relatifs à l’état clinique des patients pourrait avoir un double intérêt : disposer de marqueurs de risques plus fiables que les vigilances, et suivre l’efficacité des actions de gestion du risque engagée.

44Or, les indicateurs et les données qu’il serait nécessaire de mobiliser à cette fin sont encore insuffisants en France à ce jour.

5 – Des progrès à attendre du côté de la construction d’indicateurs et de l’exploitation des données médicales ?

45Les indicateurs relatifs à l’état clinique des patients sont encore très rares. Ainsi, les indicateurs, développés sous l’égide de la HAS et du Ministère de la santé, généralisés en 2011 dans les établissements de médecine-chirurgie-obstétrique (MCO), sont relatifs à la tenue du dossier patient, au délai d’envoi des courriers en fin d’hospitalisation, à la traçabilité de l’évaluation de la douleur, au dépistage des troubles nutritionnels, à la tenue du dossier anesthésique et à la prise en charge médicamenteuse de l’infarctus du myocarde après la phase aiguë. Ils évaluent ainsi des modes de coordination fondés sur une information partagée, elle-même gage de réduction des risques. Le tableau de bord des infections nosocomiales évalue pour sa part des actions et procédures mises en place, mais pas l’impact des infections sur les résultats cliniques.

46Toutefois, plusieurs projets sont en cours et pourraient être porteurs d’améliorations sensibles. En matière de sécurité stricto sensu, le projet de recherche CLARTE, soutenu par le ministère de la santé et la HAS, vise à définir des indicateurs de sécurité des soins pour évaluer, d’une part, la fréquence des évènements indésirables liés aux soins à partir des bases médico-administratives des établissements de santé français (Programme de médicalisation des systèmes d’information, PMSI) et, d’autre part, la culture de sécurité chez les professionnels de santé. Seules quelques expérimentations ont été engagées à ce stade.

47Quant au chantier ouvert sur l’élaboration et la diffusion d’indicateurs de mortalité dans les établissements de santé, il a peu avancé à ce jour. Le modèle développé au Royaume-Uni est pourtant riche d’enseignements à cet égard. Des indicateurs de résultats sont publiés par établissement et par type d’interventions. Par ailleurs, dans le cadre d’un programme intitulé Patient reported outcomes measures (PROMs), les patients sont invités à remplir un questionnaire pré- et postopératoire permettant d’apprécier leur douleur et capacité de mobilité [19].

48Il faut souligner que si la demande des pouvoirs publics est forte pour le développement de tels indicateurs, les difficultés de mise en œuvre sont également importantes ; il s’agit en particulier de résoudre des questions d’ajustement à la gravité des patients et de capacité à comparer des évènements qui restent malgré tout rares dans la plupart des cas.

49Le développement des indicateurs est également très dépendant des sources de données disponibles. À cet égard, dès la mise en place du projet COMPAQ-Hpst, il est apparu que le PMSI, conçu dans un objectif d’évaluation médico-économique, recueillait des données (codes diagnostics et actes en lien avec des séjours anonymisés) qui ne permettaient pas une mesure de la qualité des processus réalisés au cours des séjours.

50Le dossier médical du patient avec un recueil ad hoc d’informations a, par conséquent, été retenu comme base pour les indicateurs qualité de la HAS. Mais il s’agit dans la grande majorité des cas de dossiers papier dont l’exploitation est particulièrement lourde. L’informatisation des dossiers patients dans les établissements de santé est encore peu répandue.

51Se pose alors la question de l’équilibre entre, d’une part l’intérêt de ces indicateurs pour les établissements de santé et le système et, d’autre part, le coût et niveau de contrainte qu’ils représentent [20].

52Quant au suivi par registres, des initiatives ont été lancées, restreintes à des activités spécifiques. La Société française de cardiologie, par exemple, a mis en place plusieurs registres nationaux depuis 2005.

53Dans ces circonstances, deux voies pourraient être explorées pour faciliter l’évaluation de l’amélioration de la sécurité de soins : l’ouverture de l’accès au système national d’information inter-régimes d’assurance maladie (SNIIRAM) d’une part, et la mise en place du dossier médical partagé (DMP), d’autre part.

Quelle régulation en France de et / ou par la sécurité des soins ?

1 – Quel partage de responsabilité entre professionnels de santé et pouvoirs publics ?

54Face à cet enjeu global, les pouvoirs publics et la HAS doivent se positionner entre, d’un côté l’accompagnement des opérateurs dans leurs démarches de réduction des risques et, de l’autre côté, la gestion directe de ces risques, que ce soit par l’analyse directe des zones de risque, l’élaboration de recommandations ou le suivi / évaluation / contrôle des actions engagées. Il ne s’agit pas tant d’un choix binaire que d’un curseur à placer, en fonction de considérations à la fois d’efficacité et de faisabilité.

55Autrement dit, les pouvoirs publics doivent s’attacher à répondre aux questions suivantes :

  • D’après les connaissances disponibles, quel est le levier le plus efficace pour traiter chacune des zones de risque dans le système de soins ? Schématiquement, la modification des pratiques des professionnels est sans doute favorisée par une appropriation par les professionnels de la santé de la légitimité de la démarche et par la diffusion d’une culture de gestion des risques au sein des établissements de santé ; mais peut-être l’instrument réglementaire peut-il s’avérer indispensable pour prohiber certaines pratiques ou comportements ou pour promouvoir certains équipements ou modes d’organisation. En raison de la diversité des causes des risques, une palette de mesures peut être nécessaire.
  • Au regard du contexte plus large, incarné notamment par les négociations conventionnelles, quelle acceptabilité prévisible des dispositifs mis en œuvre par les pouvoirs publics, quelle probabilité que les personnes concernées acceptent de participer ? Cette question est déterminante pour des dispositifs tels que les vigilances qui requièrent, pour être efficaces, une participation active des professionnels de santé.
  • En termes de crédibilité du dispositif, l’autorégulation par la profession / la spécialité suffit-elle ou faut-il que le contrôle de l’efficacité du dispositif soit garanti par les pouvoirs publics ?
  • Compte tenu des pouvoirs que lui a conférés le législateur, quels sont les leviers à la disposition des pouvoirs publics pour mettre en œuvre les dispositifs qu’ils conçoivent ?
À cet égard, la diffusion publique d’indicateurs de sécurité, et plus généralement l’obligation de rendre des comptes sur ces sujets, fait débat [21]. Elle peut représenter une incitation à l’amélioration de la sécurité, et non une menace [22]. Mais il peut lui être préféré l’approche dite de l’internal reporting : on rend des comptes à une structure indépendante sur tous les évènements indésirables. La structure gère au cas par cas la relation avec le professionnel ainsi que la synthèse proposée à l’attention du grand public. Ainsi, le professionnel de santé est amené à reconnaître plus facilement et à apprendre de ses erreurs et à trouver des points d’amélioration [23].

56Les interactions entre normes et outils de soft law doivent par ailleurs être conçues de façon dynamique. En effet, si la norme peut fixer un niveau d’exigences que les opérateurs s’efforceront d’atteindre en mobilisant des référentiels développés par des institutions telles que la HAS, elle peut aussi être utilisée pour valider et généraliser des bonnes pratiques identifiées, diffusées et testées sur le terrain. Elle doit également tenir compte des critères favorisant l’adoption par les professionnels [24].

57Enfin, pour les responsabilités attribuées aux professionnels de santé, se pose la question de l’équilibre entre approche individuelle et approche collective. Cette dernière pouvant être organisée par spécialité médicale, au sein des établissements de santé ou par filière de soins.

2 – Les pouvoirs publics mettent-ils en œuvre une stratégie nationale d’amélioration de la sécurité des soins ?

58En ce qui concerne le partage des responsabilités entre les différents acteurs institutionnels, on constate une forte dispersion, quelle que soit l’approche de la sécurité des soins considérée. Les descriptions ci-dessous ne prétendent pas à l’exhaustivité ; elles illustrent simplement la complexité du système de régulation de la sécurité des soins. Ainsi :

  • La sécurité des produits (médicaments et dispositifs médicaux) relève en premier lieu de la responsabilité de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) qui, pour l’évaluation du rapport bénéfice / risque de ces produits, applique une législation essentiellement d’origine communautaire. La HAS remplit un rôle de « deuxième rempart » à l’occasion de l’évaluation des produits de santé, en vue de leur remboursement par la sécurité sociale. La surveillance du marché et les mesures de police sanitaire, telles que les retraits des produits du marché, sont de la compétence de l’AFSSAPS.
  • La sécurité des pratiques s’inscrit dans le champ de compétences de la HAS, chargée par le législateur d’élaborer des recommandations de bonnes pratiques. Cependant, d’autres institutions sont appelées à formuler des recommandations sur des champs spécifiques : l’Institut national du cancer (INCa) en matière de cancérologie, l’Agence de la biomédecine (ABM) en matière d’assistance médicale à la procréation (AMP). Quant à l’interdiction de pratiques potentiellement dangereuses, la loi ne prévoit cette possibilité que pour les actes à finalité esthétique. Les décisions relatives à la suspension d’un praticien appartiennent au directeur général de l’ARS.
  • L’organisation interne des établissements de santé s’inscrit dans le cadre de la réglementation élaborée par le Ministère de la santé. En particulier, la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (dite loi HPST) a modifié en profondeur la gouvernance hospitalière et a notamment inclus dans le champ des responsabilités des conférences et des commissions médicales d’établissement (CME) la qualité et la gestion des risques liés aux soins. L’organisation interne relève ensuite de la responsabilité des instances dirigeantes de l’établissement. Elle peut être influencée par l’intermédiaire des relations contractuelles avec les ARS, traduites dans les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM), ainsi que via la fixation des tarifs des groupes homogènes de séjour (GHS) par le Ministère de la santé.
  • L’organisation des parcours de soins fait intervenir de multiples opérateurs, eux-mêmes régulés par différents acteurs. À titre d’illustration, les répartitions de compétences entre les professions de santé sont fixées par voie réglementaire. Les négociations conventionnelles sont menées, séparément avec chacune des professions, par l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (UNCAM). La HAS, pour sa part, a élaboré des guides relatifs aux affections de longue durée (ALD).
  • La planification et l’organisation de l’offre de soins relève essentiellement des ARS, en fonction d’orientations ou de réglementations fixées au niveau national, que ce soit pour l’offre de soins hospitalière ou la médecine de ville.
Un même éclatement des responsabilités existe si l’on considère les différentes composantes de la gestion des risques associés aux soins.
  • Pour l’identification des évènements indésirables liés aux soins, l’AFSSAPS gère sept types de vigilances : pharmacovigilance, hémovigilance, matériovigilance, réactovigilance, biovigilance, cosmétovigilance, pharmacodépendance ; l’InVS, la surveillance des infections nosocomiales et l’expérimentation en 2010 de la déclaration des EIG ; l’ABM, l’AMP-vigilance ; la HAS, la déclaration des évènements porteurs de risque (EPR), organisée dans le cadre de l’accréditation des médecins exerçant des spécialités à risque.
  • En ce qui concerne l’analyse des évènements indésirables, conduite pour en identifier les causes, elle revient en général à l’institution en charge du système de signalement. Par exemple, pour les dispositifs médicaux, c’est l’AFSSAPS qui analyse les données issues de la matériovigilance. Toutefois, l’analyse au niveau central peut se doubler d’une analyse au niveau local, dans l’établissement de santé ; au niveau régional, par l’ARS ; au sein de la spécialité médicale, pour les EPR.
  • Pour la conception et la mise en œuvre d’actions de réduction des risques, les initiatives se sont multipliées, en fonction des missions des uns et des autres. À titre d’illustration, l’information sur les produits de santé est fournie aux professionnels de santé tant par l’AFSSAPS que par la HAS et par l’UNCAM. Les recommandations de bonne pratique sont élaborées par la HAS mais aussi par les sociétés savantes et, pour certaines activités, par des agences spécialisées telles que l’INCa ou l’ABM. Les actions de gestion du risque à prendre à l’hôpital sont déterminées tant par le Ministère de la santé, via la réglementation, que par la HAS, via la certification des établissements de santé. L’Agence nationale d’appui à la performance (ANAP) peut également jouer un rôle via les contrats de performance qu’elle signe avec certains établissements de santé.
  • Quant au suivi des actions ainsi engagées, les données qui seraient nécessaires, notamment celles issues du SNIIRAM (Système national d’information inter-régimes d’assurance maladie), sont aux mains de l’UNCAM et, à ce titre, peu mobilisables par les autres acteurs de la gestion du risque.
Cet éclatement des responsabilités, en matière de sécurité des soins, selon plusieurs lignes de partage, engendre des risques d’incohérence, voire de concurrence, entre les actions engagées. Au-delà, c’est l’efficacité même de la régulation de la sécurité des soins qui est compromise.

59Les risques inhérents à l’éclatement des responsabilités entre les acteurs institutionnels pourraient être réduits par l’action fédératrice d’un chef de file ou bien par une convergence « naturelle » des actions entreprises vers un même objectif. Or, ni l’une, ni l’autre des conditions ne semble actuellement réunie.

60D’une part, si le Ministère de la santé doit s’affirmer comme chef de file, force est de constater sa faiblesse en termes de moyens et de légitimité face aux institutions du champ sanitaire.

61D’autre part, une convergence naturelle présuppose une concordance des objectifs poursuivis par les différents acteurs institutionnels, qui n’existe pas dans le système de régulation actuel. Par conséquent, les leviers potentiellement les plus efficaces pour réduire les risques associés aux soins sont susceptibles d’être mobilisés à d’autres fins.

62En particulier, l’UNCAM dispose de nombreux leviers vis-à-vis des professionnels de santé, tels que les incitations financières accordées dans les négociations conventionnelles, les visites des délégués de l’assurance maladie (DAM), les outils informatiques de contrôle de l’activité des établissements de santé et des professionnels libéraux. Mais l’UNCAM les utilise en priorité pour l’atteinte de ses propres objectifs, parmi lesquels la sécurité des soins occupe un rang secondaire.

63De toute façon, la coexistence de multiples dispositifs, dont la mise en cohérence n’est pas visible, nuit à leur efficacité. En effet, la plupart des dispositifs exigent une participation active des opérateurs de la santé, qui ne sera obtenue que pour des dispositifs jugés compréhensibles, utiles et crédibles.

Conclusion. La sécurité des soins : un outil de la régulation globale du système de soins ?

64Au total, il n’existe pas en France à ce jour de régulation de la sécurité, en l’absence de stratégie explicite et globale de gestion du risque sanitaire inhérent au fonctionnement du système de soins.

65Quant à la régulation du système de santé par la sécurité, pour atteindre d’autres objectifs tels que la maîtrise des dépenses ou l’accès aux soins, elle est embryonnaire. Pourtant, la performance en matière de sécurité des soins, mesurée au travers d’indicateurs de qualité et de sécurité des soins, des résultats de la certification et de ceux de l’accréditation, comme du recours à des méthodes d’auto-évaluation (RMM, REX – Retour d’expérience) pourrait être intégrée dans les choix régissant les restructurations de l’offre de soins ou les attributions de financements.

66La régulation pourrait aussi se faire via les choix des patients. Certains établissements de santé l’ont compris, lorsqu’ils affichent leurs scores en matière de qualité pour accroître leur attractivité ; tout label de qualité est alors vu comme « un éventuel avantage concurrentiel dans la chasse à l’acte ou au patient » [25]. Toutefois, d’après les études conduites à ce sujet, l’influence des informations diffusées sur le comportement des usagers apparaît généralement comme faible [26].

Bibliographie

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Notes

  • [1]
    Membre de l’inspection générale des affaires sociales, IGAS.
  • [2]
    Membre de l’inspection générale des affaires sociales, IGAS.
  • [3]
    Directeur de recherches, CNRS.
  • [4]
    Un évènement indésirable est un évènement défavorable pour le patient, plus lié aux soins (stratégies et actes de traitement, de diagnostic, de prévention ou de réhabilitation) qu’à l’évolution de la maladie. Est considéré comme grave un évènement associé à un décès ou à une menace vitale, à un handicap ou à une incapacité, ou à la prolongation de l’hospitalisation d’au moins un jour.
  • [5]
    Le principe d’une obligation de déclaration à l’autorité administrative compétente des EIG autres que les infections nosocomiales a été posé par la loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique ; la mise en œuvre de cette disposition a été subordonnée à une expérimentation préalable, d’une durée maximale de trois ans, placée sous la responsabilité de l’InVS.
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