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Article de revue

Dépistage du cancer chez les personnes handicapées : pratiques et difficultés spécifiques en établissement médico-social

Pages 245 à 253

Notes

  • [1]
    Psychosociologue, chargée d’études au CREAI PACA et Corse.
  • [2]
    Géographe de la santé, chargée des études au CREAI PACA et Corse.
  • [3]
    Médecin directrice du CREAI PACA et Corse.
    Adresse pour correspondance : Sophie Bourgarel, CREAI, 6, rue d’Arcole, F-13006 Marseille.
    E-mail : sb@creai-pacacorse.com
  • [4]
    Du 13 décembre 2006.
  • [5]
    Les personnes handicapées prises en compte dans l’article de C. Sermet [2] sont déterminées par l’utilisation d’une approche de la notion de handicap : existence d’une limitation depuis au moins six mois dans les activités habituelles et/ou existence d’un handicap moteur.
  • [6]
    D’après l’enquête de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) réalisée tous les quatre ans dans ces établissements, dite enquête ES 2006. Des taux équivalents sont applicables au territoire français dans son ensemble. Les résultats utilisés ici sont issus de la DRASS PACA.

Introduction

1Si le degré d’humanité d’une société se mesure par la manière dont elle traite les plus faibles, qu’en est-il de l’accès au dépistage pour les personnes handicapées ? Chacun devrait pouvoir accéder à tous les soins, curatifs ou préventifs, avec le même niveau de qualité. C’est ce que souligne la convention relative aux droits des personnes handicapées des Nations unies [4] en rappelant des principes généraux de non discrimination, de participation et d’intégration pleines et effectives à la société, ainsi que l’égalité des chances. L’article 25 précise en matière de santé : « Les États Parties fournissent aux personnes handicapées des services de santé gratuits ou d’un coût abordable couvrant la même gamme et de la même qualité que ceux offerts aux autres personnes […] et des programmes de santé publique communautaires. »

2La loi française du 11 février 2005 pour l’égalité des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées stipule, un an plus tôt, que « L’État est garant de l’égalité de traitement des personnes handicapées… » (article 2). Cependant, on constate en France ces dernières années [1, 2, 3 ] que les personnes handicapées [5], si elles ont des dépenses de soins supérieures à celles du reste de la population, ont des difficultés d’accès aux actions de prévention.

3Si les modalités de réalisation du dépistage systématique des cancers colorectaux et du sein en population générale [4-10] sont depuis longtemps étudiées, celles concernant les adultes handicapés en institution spécialisée le sont peu.

4Les personnes handicapées (qu’il s’agisse d’un handicap moteur, mental ou psychique, ou encore de polyhandicap) voient, ces dernières années, leur espérance de vie fortement augmenter. Cet allongement de leur durée de vie fait qu’elles sont confrontées à la survenue du cancer. Les travaux sur les prévalences des cancers chez les personnes handicapées (prévalences ajustées par âge et par sexe) dévoilent des taux similaires à ceux de la population générale pour les personnes déficientes intellectuelles [11, 12] à quelques exceptions près. La taille des tumeurs dépistées apparaît souvent supérieure à celle de la population générale, ce qui permet de penser que le dépistage est déficient et/ou le diagnostic tardif face à la difficulté d’expression des plaintes de ces personnes et d’accès à une information compréhensible [13]. Cependant, pour le cancer du sein, l’incidence chez les femmes atteintes de déficience intellectuelle serait deux fois inférieure à celle observée en population générale [14]. Parmi ces femmes, celles atteintes de trisomie 21 auraient un risque plus de dix fois inférieur à celui de la population générale [15] pour ce type de cancer. Parallèlement, deux études, réalisées en Angleterre et en Australie, montrent que les femmes avec déficience intellectuelle ont un taux de dépistage du cancer du sein (breast cancer screening) moindre que la population générale [14, 16]. À partir d’un groupe de 380 femmes avec déficience intellectuelle repérées au travers de registres, l’étude australienne rapporte que 34,7 % d’entre elles ont réalisé une mammographie, quand, en population générale, on obtient des taux autour de 54,6 %. L’étude anglaise a consisté en une enquête postale auprès de 99 femmes avec déficience intellectuelle âgées de 50 ans et plus. Les 58 retours ont permis de constater que seulement un tiers de ces femmes pratiquait régulièrement une mammographie de dépistage, et qu’une proportion similaire avait reçu une invitation au dépistage organisé.

5Cette étude a souhaité rendre compte de la situation française face au dépistage systématique des cancers du sein et colorectal dans les établissements médicosociaux hébergeant des personnes handicapées, avec pour objectifs principaux :

  • identifier les pratiques des structures d’hébergement pour personnes handicapées en matière de dépistage systématique du cancer ;
  • repérer les difficultés rencontrées pour le réaliser ;
  • faire émerger d’éventuels besoins en formation de personnes-relais ;
  • proposer des actions et/ou des leviers pour favoriser le dépistage organisé.

Méthodes

6L’étude a porté sur un échantillon représentant 15 % des établissements médico-sociaux pour adultes handicapés avec hébergement de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), au nombre de 200. Trente établissements ont été tirés au sort dans la base de données « établissements » du CREAI PACA et Corse, avec pour instruction que tous les départements soient représentés en fonction de leur poids démographique. Les catégories d’établissements servant de base à l’échantillonnage respectent aussi la répartition par catégorie observée en région PACA. Une liste complémentaire d’établissements a été créée : elle a permis de procéder à un nouveau tirage lorsque l’établissement sélectionné hébergeait moins de six personnes de 50 ans ou plus.

7Les catégories d’établissements incluses sont les suivantes [17] :

  • maison d’accueil spécialisée (MAS), qui reçoit des personnes handicapées non autonomes et dont l’état nécessite une surveillance médicale et des soins constants ;
  • foyer d’accueil médicalisé (FAM), où sont hébergés des adultes lourdement handicapés dont la dépendance est totale ou partielle ;
  • foyer de vie, qui reçoit des adultes handicapés ne nécessitant pas de soins constants mais dans l’impossibilité de se prendre en charge ;
  • foyer d’hébergement, qui accueille en fin de journée et en fin de semaine des travailleurs handicapés.
Comme tout un chacun, les personnes handicapées reçoivent tous les deux ans à partir de 50 ans, par courrier, une invitation au dépistage systématique du cancer du sein ou du colon. Cette invitation est reçue à l’adresse de l’établissement qui héberge la personne, et parfois en doublon à l’adresse du tuteur légal.

8Il s’agissait dans cette étude de mieux connaître les pratiques professionnelles relatives au dépistage : réaliser des entretiens a donc paru le meilleur moyen de faire émerger ces pratiques, la bibliographie n’ayant pas permis de trouver de travaux réalisés sur ce thème auprès des personnes handicapées en France. Des travaux anglo-saxons similaires ont été réalisés, mais selon des modalités de dépistages différentes [14, 16]. La méthode de l’entretien semi-directif a été utilisée, à partir d’un guide d’entretien pour le recueil de données qualitatives et d’une fiche signalétique pour le recueil de données quantitatives. Une psychosociologue a réalisé l’ensemble des entretiens en face à face. Dans la majorité des cas, les entretiens ont été conduits auprès de la direction de l’établissement et/ou du chef de service, assisté(s) ou pas d’un membre de l’équipe médicale. En effet, certains établissements ne sont pas médicalisés (foyer d’hébergement pour travailleurs handicapés, certains foyers de vie). Dans les autres, le personnel dédié aux soins est peu nombreux, et essentiellement paramédical (aidessoignantes, infirmières plus rarement, médecin psychiatre, médecin généraliste ou spécialiste à temps partiel très faible). De plus, le premier contact s’est fait auprès de la direction de l’établissement, et le choix a été laissé à la direction d’assister ou non à l’entretien. Quelques entretiens se sont déroulés uniquement avec le ou la responsable de l’équipe médicale. Dans tous les cas, ces établissements sont de petites tailles (en moyenne 35 places), et les usagers y sont hébergés le plus souvent de longue date et bien connus de tous les salariés.

9Les principaux thèmes abordés par le guide d’entretien ont été :

  • Les pratiques des structures d’hébergement en matière de dépistage systématique du cancer.
  • La compréhension de l’information relative aux cancers et aux dépistages par les personnes handicapées.
  • Les besoins de formation au sein des structures d’hébergement.

Résultats

10Sur les 30 établissements sélectionnés par tirage au sort, 28 entretiens ont été réalisés entre septembre et décembre 2009, auprès de quatre MAS, quatre FAM, six foyers de vie, six foyers d’hébergement de travailleurs en établissements et services d’aide par le travail (ESAT, ex Centres d’aide par le travail) et huit établissements polyvalents. Les établissements enquêtés ont facilement donné leur accord pour les entretiens, dont les durées ont varié entre 25 mn et 1 h 45. Dans 70 % des cas, les entretiens se sont déroulés auprès d’un personnel féminin, dans des établissements où deux tiers des effectifs sont composés de femmes.

11La majorité des établissements n’ont pas vérifié que tous les résidents ayant 50 ans ou plus avaient reçu leur invitation au dépistage, et se sont contentés le plus souvent de le mettre en œuvre pour ceux ayant une invitation. Un seul établissement n’avait reçu aucune invitation au dépistage.

1 – Quelle perception du cancer chez les personnes handicapées ?

12Quel sens peut être donné au cancer par des personnes très déficientes intellectuellement, ou encore atteintes de forts troubles psychiques ? Comment obtenir un consentement « libre et éclairé » ?

13Dans les établissements inclus dans le champ de l’enquête, les handicaps étaient très diversifiés (figure 1), parfois au sein d’une même institution. Les responsables rencontrés ont exprimé les difficultés à faire comprendre la démarche préventive à des résidents n’ayant pas toujours les capacités pour appréhender tout ou partie de ces informations, le personnel travaillant auprès des résidents devant alors adapter son discours à chaque personne, en fonction de ses facultés.

Figure 1

Déficiences prises en charge dans les établissements enquêtés (enquête CREAI PACA Corse, 2009)

Figure 1

Déficiences prises en charge dans les établissements enquêtés (enquête CREAI PACA Corse, 2009)

14Ce personnel adoptait différentes postures face au dépistage du cancer. Certains n’osaient pas prononcer le terme de « cancer ». Il leur paraissait difficile d’expliquer ce qu’est le cancer sans générer une profonde angoisse chez la personne handicapée. D’autres estimaient les usagers pas aptes à comprendre ce qu’est le cancer : l’acte de dépistage pouvait alors être présenté comme un acte médical de routine, de type « photo » pour la mammographie par exemple. En effet, si les établissements pour personnes handicapées sont en général peu médicalisés, leurs résidents bénéficient d’un suivi médical régulier, effectué soit par le personnel médical ou paramédical salarié, le plus souvent à temps partiel, soit grâce à des collaborations avec diverses institutions. Du fait de ce suivi, souvent justifié par un traitement médicamenteux au long cours, les résidents ont l’habitude des examens médicaux.

15Comprendre la notion de cancer nécessite une capacité d’abstraction que certains résidents n’ont pas. Appréhender ce qu’est un dépistage implique de maîtriser la notion de temps, ce qui n’est pas toujours le cas dans la population concernée. Ainsi, expliquer à une personne déficiente mentale ou psychique que l’on cherche à prévenir une situation hypothétique par un acte médical peut vite devenir impossible. C’est pourquoi certains éducateurs y ont renoncé. Dans d’autres établissements, où les handicaps sont moins lourds, le cancer et son dépistage ont été expliqués, mais la mort était rarement évoquée, toujours pour éviter de générer une charge d’angoisse trop importante chez le résident, cette angoisse pouvant aussi être celle du professionnel face à cette maladie.

16Parfois, les usagers oubliaient ce qui leur avait été dit. Il fallait alors reprendre l’explication le jour du dépistage. Beaucoup d’usagers ne parlent pas, ou ne peuvent correctement communiquer. Aussi, il est difficile de s’assurer de leur niveau de compréhension. Pour les handicaps les plus lourds, la directrice d’une MAS soulignait que ses résidents « n’ont pas de compréhension de ce qu’est le cancer ».

2 – La prévention, un acte sanitaire ou éducatif ?

17Les établissements médico-sociaux pour adultes handicapés sont, à l’origine, des établissements à visée essentiellement éducative. Ils ont été pendant des années peu ou pas médicalisés, en fonction du profil de leur clientèle. On comptait dans l’ensemble des établissements pour adultes handicapés en PACA en 2006 [6] 14 % en équivalent temps plein (ETP) de personnel médical ou paramédical (y compris les psychologues), quand le personnel éducatif ou social représentait 55 % des ETP [18]. Avec le vieillissement de leurs résidents, les effectifs de salariés en charge du soin augmentent. Un maximum de 30 % des ETP pouvait être observé en MAS ou FAM, alors que ces personnels de soins (y compris les psychologues) ne représentaient dans les autres types de foyers que 2 à 7 % des ETP. Avec des dotations aussi faibles, les actes autour du soin sont souvent perçus par le personnel éducatif comme empiétant sur les temps éducatifs. Ce personnel est en effet fréquemment amené à réaliser des toilettes quotidiennes, gérer des problèmes d’incontinence, ou accompagner les résidents en consultation médicale extérieure par exemple. Malgré cette prégnance progressive du soin, on observait encore un cloisonnement entre le personnel sanitaire et le personnel éducatif au sein des établissements accueillant ces personnes handicapées.

18La place de la prévention varie donc selon les métiers représentés dans le personnel. Avec un personnel majoritairement éducatif, seule une surveillance visuelle détectera une anomalie physique (amaigrissement, grosseur sur les seins, grain de beauté considéré comme suspect, etc.) lors des toilettes par exemple. Les responsables rencontrés ont souligné dans leur majorité que leur personnel était très attentif aux changements de comportements au quotidien, qui sont un autre indicateur indispensable auprès de résidents qui communiquent peu ou mal. La difficulté à dépister un problème de santé en général est rencontrée par tous ces professionnels. Ils ont souligné presque tous une endurance à la douleur chez leurs résidents.

19La prévention était aussi perçue comme très prenante en temps de déplacement pour les éducateurs, qui doivent préparer psychologiquement le résident à sortir de l’établissement pour l’accompagner en consultation, ce qui, pour beaucoup, est une épreuve.

20Le dépistage systématique du cancer pose la question de la place de la prévention dans des établissements médico-sociaux souvent plus formés à l’approche psychologique qu’à l’approche somatique. En amont, la place du soin est aussi interrogée.

3 – Dépistage du cancer du sein : acceptation et accessibilité

21Le dépistage du cancer du sein semble être entré dans les mœurs des institutions pour adultes handicapés. La mammographie était fréquemment effectuée, grâce à un suivi gynécologique régulier dans 90 % des établissements de l’échantillon.

22Cependant, la moitié des établissements interrogés n’ont pu accomplir la mammographie pour toutes les résidentes ayant reçu une invitation au dépistage systématique.

23La réalisation d’une mammographie implique de sortir de l’établissement et de se rendre à l’hôpital ou dans un cabinet de radiologie, ce qui perturbe les patientes. La préparation de l’examen est primordiale, afin qu’il paraisse le plus familier possible. Compte tenu de l’organigramme des établissements, l’accompagnateur était le plus souvent un personnel éducatif. Pour d’autres résidentes, au-delà de l’acceptation de l’examen, c’était le contact qu’elles refusaient : « Un simple examen médical est difficile à faire pour certains, ils ne se laissent pas approcher. » Dans ce cas, le moindre examen est problématique, et le personnel des établissements fait le choix de la contention pour maintenir la personne immobile, ce qui pose bien évidemment la question de l’adhésion à la réalisation du dépistage. Les responsables rencontrés signalaient souvent que certaines personnes ne sont pas dépistées, car il leur est impossible d’obtenir la participation du résident. D’autres encore ont eu recours à un sédatif.

24Le mammographe était parfois incriminé. Plus d’un tiers des équipes rencontrées jugeaient ce matériel inadapté. Pour les personnes en fauteuil ou de petite taille, la difficulté venait de l’impossibilité du mammographe à descendre suffisamment bas pour atteindre la poitrine de la personne. Toutes les personnes en fauteuil ne peuvent pas être verticalisées, du fait de leur handicap ou d’une déformation au niveau de la colonne vertébrale. Enfin, des clichés ont échoué fréquemment car la patiente n’arrivait pas à s’immobiliser.

25Si la mammographie ne pouvait être réalisée, l’alternative proposée par certains cabinets de radiologie était la réalisation d’une échographie des seins.

26L’accessibilité physique aux cabinets pour des personnes en fauteuil n’était pas toujours acquise.

27De plus, les responsables rencontrés témoignaient que la population handicapée était parfois perçue dans les cabinets de radiologie comme « dérangeante », pour les professionnels de santé, mais également pour les autres patients. Les personnes atteintes de troubles intellectuels ou psychiques ont des difficultés à supporter l’inconnu, l’attente, la foule. Les accompagnants essaient alors de prendre rendez-vous à des heures où l’attente est moins longue et où il y a moins de monde afin de générer un minimum d’angoisse. La présence des accompagnants lors de l’examen est indispensable en raison d’éventuels troubles du comportement.

28Mais la présence de personnes handicapées n’était pas seulement dérangeante pour les patients, elle a pu l’être pour les professionnels : ils sont peu familiarisés avec les handicaps, et le temps de passation d’un examen pour une personne handicapée est beaucoup plus long que pour une personne sans handicap. En 2002, un panel de médecins de PACA [3] a exprimé son malaise face à des patients handicapés. Un quart de ce panel a déclaré réaliser des actes de prévention moins fréquemment chez les patients handicapés que chez les autres patients. Parmi ces actes était cité le dépistage du cancer du sein. On retrouve ces mêmes difficultés en Angleterre [16] où il est souligné que les médecins généralistes jouent un rôle très faible en matière de prévention du cancer du sein, et que le niveau de premier recours manque des opportunités de prévention auprès de la population avec déficience intellectuelle. Sullivan souligne en Australie une sous-utilisation des services de dépistage pour cette même population [14].

4 – Dépistage du cancer colorectal : peu réalisé

29Pour le cancer du colon, le dépistage est récent et l’examen nécessite une plus grande implication du personnel, sur un matériau peu amène que sont les selles. La complexité du test Hémoccult II vient s’ajouter aux multiples soins supplémentaires induits par le vieillissement de la population en établissement.

30Les trois quarts des établissements interrogés n’avaient pu effectuer le test Hémoccult II pour tous les résidents ayant reçu une invitation au dépistage. Huit établissements sur dix rapportaient avoir des difficultés pour faire les trois prélèvements dans un délai de dix jours. Pour presque la moitié des établissements, le test a paru compliqué à réaliser car les résidents ne comprenaient pas ou oubliaient ce qu’on leur avait demandé. Nos interlocuteurs ont souvent considéré que les prélèvements de selles devaient être réalisés par du personnel médical, quand il est présent dans l’établissement. Presque un quart des responsables rencontrés a estimé qu’il n’y avait pas assez de personnel de santé pour réaliser l’Hémoccult II.

Figure 2

Difficultés des établissements pour réaliser l’Hémoccult II (Enquête CREAI PACA-Corse, 2009). Le total dépasse 100 % car plusieurs réponses sont possibles.

Figure 2

Difficultés des établissements pour réaliser l’Hémoccult II (Enquête CREAI PACA-Corse, 2009). Le total dépasse 100 % car plusieurs réponses sont possibles.

31Les infirmières intervenant en foyer d’hébergement de travailleurs handicapés sont des infirmières libérales qui viennent pour des soins spécifiques. Lorsque ces résidents n’étaient pas capables de faire eux-mêmes le prélèvement de selles (oublis fréquents), il était très difficile de finir le test.

32Certains établissements pour personnes plus lourdement handicapées (foyer de vie, MAS, FAM) ont réussi à accompagner leurs résidents tout au long de la journée pour la réalisation du test, ce qui supposait une grande disponibilité du personnel. Le personnel devait également gérer le problème de l’acceptation du test, surtout à l’égard des résidents souffrant de troubles mentaux, en particulier les psychotiques pour lesquels il représente une intrusion.

33Le dépistage du cancer colorectal est difficile à réaliser chez des résidents constipés. Cette constipation est souvent liée à des traitements médicamenteux au long cours. Un établissement a mis en place un régime spécial à base de fibres afin de faciliter la réalisation de l’Hémoccult.

34Si les MAS et les FAM ont en général assez de personnel de santé, ce n’est pas le cas des foyers d’hébergement ou des foyers de vie. L’enquête a montré que la réalisation du dépistage du cancer colorectal est directement liée à la présence de personnel de santé à temps plein au sein des établissements.

5 – Dépistage du col de l’utérus : frottis ou échographie

35Le dépistage du cancer du col de l’utérus est basé sur la réalisation d’un frottis lors d’un examen gynécologique. Pour certaines résidentes, cet examen est sûrement l’un des plus difficiles à réaliser : c’est un examen intime, alors que le contact avec un autre est difficilement supportable. Dans les établissements concernés, l’alternative proposée par les gynécologues était une échographie pelvienne.

6 – Formation de personnes relais

36La quasi-totalité des interlocuteurs interrogés a déclaré n’avoir bénéficié d’aucune formation sur le cancer ou le dépistage du cancer, alors que des formations sur d’autres thèmes liés à la santé (obésité, alimentation) sont plus fréquentes.

37Près des trois quarts des responsables interrogés considéraient qu’une formation pourrait être bénéfique, pour tout le personnel intervenant auprès des résidents. Certains ont précisé que ces formations devraient pouvoir être accessibles à tout le personnel, afin qu’en découle une attention généralisée autour du dépistage. Les responsables des foyers d’hébergement de travailleurs handicapés ont marqué leur intérêt à former leur personnel éducatif, dans ces établissements où il n’y a généralement pas de personnel soignant. Beaucoup se sont accordés sur le fait que former les éducateurs à des fonctions autour du soin les aiderait à faire évoluer la vision qu’ils ont de leur profession. Une telle évolution leur a paru à la fois enrichissante et nécessaire, compte tenu du vieillissement de leurs résidents.

38Un grand nombre de responsables interrogés ont parallèlement souligné l’intérêt qu’il y aurait à former au handicap les professionnels en charge du dépistage systématique.

Discussion

39Nous souhaitons extrapoler nos résultats à la question plus générale de l’accès aux soins des personnes handicapées. Les pratiques professionnelles mises à jour à l’occasion de cette enquête révèlent des difficultés de réalisation partagées par la majorité des établissements, dont les causes sont multiples, et qui interrogent différents domaines. Cette enquête montre surtout que le dépistage des cancers du sein et du colon n’a pas encore trouvé sa place dans les établissements médico-sociaux pour personnes handicapées. Compte tenu des difficultés d’accès aux soins observées de façon générale en France pour les personnes handicapées, on peut imaginer que la situation observée en PACA relative aux dépistages étudiés n’est pas une exception dans le paysage français.

40Dans une majorité d’établissements, l’entretien s’est déroulé, avec la direction, dans un esprit de collaboration. Les usagers, pour qui le foyer est leur lieu de vie, sont toujours bien connus des cadres, avec lesquels ils cohabitent chaque jour, dans des établissements de petites tailles où ils vivent depuis des années, le taux de rotation étant proche de zéro chez les résidents.

1 – Des formations au dépistage des cancers

41Un des principaux freins au dépistage est certainement la culture plus éducative que sanitaire qui existe dans ces établissements, liée à la répartition des qualifications des personnels, majoritairement éducatifs, et aux missions légales de ces établissements. Le vieillissement des usagers force à porter sur eux un regard neuf. Face à cette évolution, les éducateurs ont besoin de nouveaux outils pour bien accompagner les personnes handicapées au quotidien. Se former au dépistage des cancers pourrait être un des moyens de construire une culture commune autour du soin au sein des établissements. Cela peut aussi être une opportunité pour chacun d’évacuer une partie des freins repérés en population générale, qui se répercutent forcément aujourd’hui sur leur pratique de dépistage. L’intérêt pour une formation, manifesté par les responsables interviewés, montre la prise de conscience du manque de connaissance sanitaire au sein du personnel. L’idée de rencontrer d’autres professionnels d’établissements médico-sociaux et de pouvoir échanger sur leurs pratiques lors de ces formations a paru très attractive, au-delà des informations techniques qui pourraient être fournies. On a relevé plus haut que beaucoup de résidents ne bénéficient pas du dépistage par Hémoccult II. Une formation du personnel éducatif sur la réalisation de ce test semble avoir tout son intérêt.

42Des formations collectives sont déjà réalisées dans certaines de ces institutions, autour d’actes paramédicaux (par exemple pour nourrir une personne gastrostomisée ou empêcher des fausses routes chez des personnes polyhandicapées), ce qui crée un savoir-faire et une attention partagés sur ces questions au sein de tout le personnel, et aussi parfois une émulation. À la suite de cette étude, des formations de personnes-relais au dépistage des cancers dans les établissements pour personnes handicapées ont été proposées en 2010 dans certains départements de la région PACA.

2 – Donner des outils aux professionnels

43S’il paraît difficile de pouvoir faire accepter le dépistage dans ses formes actuelles à tous les résidents des établissements, la rédaction d’un protocole de dépistage, interne à l’institution, définirait à qui incombe la réalisation des dépistages, assurant ainsi de meilleures conditions de mise en œuvre. À ce jour, il semble, comme le précise une personne de l’équipe médicale d’un établissement, que « la prévention passe après les autres soins, après d’autres priorités ». Le dépistage pourrait être attribué dans les fiches de poste du personnel. Cette modification des fiches de postes est d’autant plus nécessaire que la loi autorise depuis 2002 ces établissements à héberger leurs résidents sans limite d’âge (à l’exception des foyers d’hébergement de travailleurs handicapés).

44Les modalités de réalisation du dépistage pourraient parallèlement faire l’objet d’un guide de bonnes pratiques adaptées aux personnes handicapées, à l’attention des personnels. Un tel guide permettrait à chaque institution de se saisir de cette problématique et d’y trouver des réponses à ses difficultés. Ce document sensibiliserait aussi les professionnels du dépistage, peu familiers du handicap. On peut aussi imaginer la spécialisation de certains centres de dépistage dans l’accueil des personnes handicapées, comme cela existe dans le cadre de consultations spécialisées pour personnes handicapées. Le réseau HandiDent, implanté dans plusieurs régions de France, dispose par exemple d’une équipe mobile et peut aussi intervenir dans un Centre ressource de santé orale, auprès des personnes handicapées, selon le type d’intervention et le niveau de coopération.

45Enfin, la question du bénéfice-risque de la mammographie de dépistage concernant les femmes trisomiques a été posée par Satgé en 2002 [19], et reste à investiguer, en particulier sur le versant de la sensibilité aux radiations ionisantes de cette population.

3 – Améliorer le feed-back

46En règle générale, lorsqu’un dépistage n’a pu être réalisé, la structure de gestion des dépistages au niveau départemental demande que l’invitation lui soit renvoyée, en expliquant la cause de cette non-réalisation. Il est apparu au fil des entretiens qu’aucun établissement n’utilisait cette opportunité de souligner ses difficultés. Pourtant, ce coupon-réponse permettrait d’alerter ces services sur l’inaccessibilité de certains lieux, ou sur la lourdeur de ces dépistages pour certaines pathologies. Il aiderait au repérage des mammographes inadaptés ou inaccessibles à certains handicaps.

4 – L’après-dépistage, en cas de cancer

47Le dépistage pose aussi la question de l’après. En effet, un dépistage positif amènera le résident à subir une hospitalisation, voire une intervention chirurgicale, puis un traitement. En cas d’hospitalisation, l’hôpital ne pourra garantir une prise en charge adaptée de la personne handicapée. L’idéal serait qu’un membre du personnel de l’établissement ou de l’hôpital séjourne avec le malade, ce qui est rarement réalisable par les institutions, dans lesquelles ce personnel manquerait au quotidien auprès des autres usagers. L’hospitalisation à domicile est peu répandue dans les établissements médico-sociaux et pourrait représenter une bonne alternative à l’hospitalisation souvent problématique de ce public. Une autre entrave au dépistage réside probablement dans cet après, pour lequel ni les hôpitaux ni les établissements médico-sociaux ne sont adaptés.

5 – Des besoins d’information aussi du côté des usagers

48La question du consentement libre et éclairé du patient ne peut être évacuée. À notre connaissance, aucun outil spécifique n’est diffusé en France pour expliquer le cancer, son dépistage, son traitement, à des personnes déficientes intellectuelles ou atteintes de troubles psychiques. Malgré l’existence d’un tel outil en Angleterre depuis 2002 [20], I. Tuffrey-Winje [21] notait le désarroi de déficients intellectuels atteints ou concernés par le cancer, de ne pas avoir été avertis – ou suffisamment avertis – des difficultés des traitements et de leurs effets secondaires par exemple. L’auteur souligne qu’il n’y a pas de raison de penser que les personnes déficientes ont moins besoin d’être informées que les personnes ordinaires. Dans cet article, l’interview des aidants, qu’ils soient professionnels ou familiaux, montre souvent leur peur d’utiliser le mot cancer. Le manque d’expérience des professionnels de santé de premier recours comme hospitaliers face au handicap explique leur faible niveau de connaissances de cette question. En France, des informations pourraient être délivrées aux personnes déficientes dans un format adapté, de type livre d’images, où chaque étape de la maladie et du traitement serait illustrée, sur le modèle de ce qui est proposé en Angleterre, par exemple.

6 – Rendre les soins plus accessibles

49La Haute Autorité de santé (HAS) en 2008 [1] a souligné les difficultés d’accès aux soins des personnes handicapées. Une partie de nos constatations vont dans le même sens que celles faites par la HAS, bien que centrées sur la question du dépistage.

50Dans un contexte généralisé de vieillissement des résidents, au-delà de l’embauche de personnel médical et paramédical, ce sont aussi les procédures pour intégrer les actions de prévention qui doivent être aménagées. L’accessibilité aux cabinets médicaux et la rareté des personnels de santé formés à l’accueil des personnes handicapées rendent plus complexe la réalisation de ces dépistages. C’est donc aussi le monde dit « ordinaire » qu’il faut rendre plus accueillant aux personnes handicapées.

Références

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  • Sermet C. Données statistiques sur la consommation de soins, in : Haute Autorité de santé (HAS). Audition publique : Accès aux soins des personnes en situation de handicap ; 22 et 23 octobre 2008, texte des experts, Tome 1. Saint-Denis La Plaine : HAS ; 2009 : 14-5.
  • Verger P, Aulagnier M, Souville M, Ravaud JF, Lussault PY, Garnier JP, et al. Women with disabilities: general practitioners and breast cancer screening. Am J Prev Med. 2005;28:215-20.
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Mots-clés éditeurs : établissement médico-social, cancer, disparités d'accès aux soins, trouble du comportement, dépistage systématique, handicap, frein, déficience intellectuelle

Date de mise en ligne : 24/10/2012

https://doi.org/10.3917/pos.424.0245

Notes

  • [1]
    Psychosociologue, chargée d’études au CREAI PACA et Corse.
  • [2]
    Géographe de la santé, chargée des études au CREAI PACA et Corse.
  • [3]
    Médecin directrice du CREAI PACA et Corse.
    Adresse pour correspondance : Sophie Bourgarel, CREAI, 6, rue d’Arcole, F-13006 Marseille.
    E-mail : sb@creai-pacacorse.com
  • [4]
    Du 13 décembre 2006.
  • [5]
    Les personnes handicapées prises en compte dans l’article de C. Sermet [2] sont déterminées par l’utilisation d’une approche de la notion de handicap : existence d’une limitation depuis au moins six mois dans les activités habituelles et/ou existence d’un handicap moteur.
  • [6]
    D’après l’enquête de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) réalisée tous les quatre ans dans ces établissements, dite enquête ES 2006. Des taux équivalents sont applicables au territoire français dans son ensemble. Les résultats utilisés ici sont issus de la DRASS PACA.

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