Notes
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[1]
Le Plan cancer, présenté par le Président de la République Française le 24 mars 2003, avait pour ambition de répondre aux besoins des patients, de leurs proches et des professionnels qui prennent en charge les personnes atteintes par cette maladie.
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[2]
Nous avons considéré une période de 14 mois et non d’un an pour tenir compte des fluctuations dans la déclaration de l’ETM selon les assurés, et donc des décalages possibles entre la date de début d’ETM et la date réelle de découverte de la maladie.
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[3]
Le stade de gravité était inconnu dans 9,8 % des cas. De plus, pour 4,6 % des patients, il existait une incertitude de classement entre les stade III et IV : une imputation des patients entre les stades III et IV a alors été réalisée, au prorata du poids respectif de ces deux stades dans l’échantillon total (48 % en stade III,52 % en stade IV).
Introduction
1En France, le cancer colorectal est au deuxième rang des tumeurs malignes en taux d’incidence comme en taux de mortalité. En 2003, on estimait l’incidence du seul cancer du côlon à 21 500 nouveaux cas par an en France, soit 60 % des cancers colorectaux [1, 2].
2Le pronostic vital est étroitement lié au stade de gravité de la maladie au moment du diagnostic. Le traitement s’appuie sur un bilan diagnostique et pré-thérapeutique détaillé. Il comprend essentiellement de la chirurgie et de la chimiothérapie, dont l’administration dépend du stade de gravité de la maladie. Une détection précoce et une prise en charge coordonnée tout au long de la maladie permettent une amélioration de la survie.
3S’inscrivant dans la dynamique du Plan cancer [1], une enquête menée en 2003 par l’Union régionale des caisses d’assurance maladie d’Île-de-France (URCAMIF), portant sur les bénéficiaires de l’Assurance maladie nouvellement admis en affection de longue durée (ALD) pour cancer du côlon, a montré dans quelle mesure les pratiques médicales s’écartaient parfois des référentiels, notamment en matière d’analyse anatomopathologique et de traitement chimiothérapique [3].
4Sur la base de cette enquête, une étude économique a été réalisée pour mesurer le coût de la prise en charge médicale des patients. Ses objectifs ont été centrés sur la détermination des facteurs explicatifs de ces dépenses et sur l’impact financier qui résulterait d’un dépistage à un stade précoce et d’une meilleure application des recommandations thérapeutiques.
Méthodes
1 – Échantillon de patients et recueil des données
5Les données mobilisées se sont appuyées sur l’étude médicale menée en 2003 par l’URCAMIF, le Service médical de l’Assurance maladie d’Île-de-France (SMAM-IF) et les caisses d’Assurance maladie d’Île-de-France. Celle-ci portait sur des bénéficiaires (assurés et ayants droit) d’au moins 18 ans :
- affiliés à l’un des trois grands régimes d’assurance maladie en Île-de-France ;
- ayant une exonération du ticket modérateur (ETM) au titre d’une ALD ou d’une polypathologie invalidante pour cancer du côlon ;
- atteints d’un adénocarcinome du côlon (hors cas de récidive, polyposes, syndromes de Lynch et cancers in situ) ;
- dont l’attribution de l’ETM et/ou l’intervention chirurgicale sur le cancer du côlon (ou, à défaut, la première hospitalisation) se situaient entre le 1er avril 2001 et le 31 mars 2002.
6Parmi les variables médicales, le stade de gravité était une variable composite reconstruite a posteriori par le SMAM-IF à partir des trois grandes classifications usuelles de gravité du cancer (Dukes, Astler & Coller et TNM) sur le modèle de l’American joint cancer committee (AJCC). Il comptait quatre niveaux : le stade I représentait les cas de tumeur primitive limitée à la paroi intestinale, le stade II les cas où la tumeur atteignait la sous-séreuse ou s’étendait localement aux organes voisins ; le patient était classé en stade III en cas d’adéno-pathies et en stade IV en présence de métastases.
7Cette étude a également mobilisé une typologie des établissements hospitaliers dans lesquels étaient réalisées les interventions chirurgicales sur la tumeur. Cette typologie combinait le statut de l’établissement (privé lucratif, privé non lucratif et public, en séparant l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP)) et son niveau de spécialisation en cancérologie (sites hautement spécialisés, sites spécialisés et sites de proximité). Ce classement en cancérologie était fondé sur la nomenclature 2003 du niveau d’excellence des établissements hospitaliers (produit par la Commission d’identification des sites de cancérologie).
8Dans un second temps, le volet économique de l’enquête a permis de reconstituer les dépenses de soins de ces bénéficiaires. Les données de liquidation adéquates ont été extraites des systèmes d’information de l’Assurance maladie : le SIAM pour le régime général et OCAPI pour le régime des indépendants. En revanche, l’extraction n’a pas pu être menée à bien pour les patients assurés à la Mutualité sociale agricole, pour des raisons techniques.
9Par ailleurs, nous n’avons retenu que les bénéficiaires présentant au moins un séjour d’hospitalisation dans les données de remboursement, car la découverte d’un cancer du côlon s’accompagne systématiquement d’une phase d’hospitalisation et presque toujours d’une intervention chirurgicale. En effet, il existait une carence de remontée des séjours hospitaliers du secteur public dans les données de liquidation : nous pouvions alors repérer les carences totales et exclure les assuré ne présentant aucun séjour hospitalier. En revanche, nous ne pouvions pas détecter ni corriger les carences partielles de remontée.
2 – Reconstitution et analyse des dépenses de soins
10L’extraction des données de remboursement portait sur une période de 14 mois pour chaque patient, à partir du mois précédant le début de leur exonération ALD [2].
11Les soins hospitaliers des secteurs public et privé, repérés par la facturation d’un prix de journée pour hospitalisation (PJ), étaient datés, géo-localisés (grâce au numéro d’identification FINESS de l’établissement) et assortis des données tarifaires en fonction de la discipline du service. Pour les soins ambulatoires et biens médicaux, seuls étaient connus les montants d’honoraires et de prescriptions agrégés par type de soins sur 14 mois, sans notion de date ni de localisation.
12Les données ne permettant pas de relier une consommation de soins à la maladie qui l’avait motivée, a priori nous ne pouvions reconstituer que le coût de prise en charge globale d’un patient, sans pouvoir distinguer le coût relatif au traitement du cancer stricto sensu.
13L’analyse de la dépense de soins totale sur 14 mois a permis d’évaluer l’ampleur des écarts entre dépenses réelles, remboursables et remboursées, tout en mesurant la contribution respective des différents types de soins à ces dépenses. Puis, la dépense remboursable moyenne a été déclinée selon les principales caractéristiques administratives et médicales des bénéficiaires et selon quelques marqueurs principaux des examens et des soins qui leur étaient fournis. Une attention particulière a notamment été prêtée aux dépenses hospitalières, à leur composition et à leur répartition chronologique. Ensuite, une modélisation statistique de la log-dépense remboursable nous a permis de mesurer l’influence des différentes caractéristiques du patient et de sa prise en charge, toutes choses égales par ailleurs. Cette modélisation ne portait que sur les patients pour lesquels le stade de gravité était connu, et seules les variables significatives (sélectionnées au seuil de 5 % sur le test de Fischer) et certaines variables de contrôle (âge, sexe, régime d’assurance maladie) ont été conservées.
14En complément, pour tenter d’estimer la part des dépenses réellement imputable au cancer du côlon, les dépenses de soins des patients ont été comparées à celles d’un échantillon témoin d’assurés du régime général d’Île-de-France qui respectait la même structure d’âge, de sexe et de département de résidence que notre population d’analyse.
15Toutes les analyses ont été réalisées avec le logiciel SAS® v9.1.
3 – Simulation des dépenses et scénarii d’évolution des pratiques
16Le modèle statistique produit a servi de cadre à des simulations d’évolution des dépenses de soins des assurés, répondant à différents scénarii d’évolution des pratiques de dépistage et de traitement des cancers du côlon.
17Deux scénarii ont ainsi été construits afin de mesurer les évolutions théoriques de dépenses engendrées.
18Un premier scénario clinique reposait sur l’idée d’une généralisation du dépistage et posait comme hypothèse la découverte du cancer à un stade plus précoce. Pour l’appliquer, on a fait varier la variable stade de gravité dans le modèle statistique en utilisant trois structures alternatives de gravité qui concentraient davantage de malades dans les stades les moins sévères. La première hypothèse reposait sur la répartition des stades de gravité constatée lors de la découverte du cancer du côlon en Bourgogne, région pilote en matière de dépistage, dans une étude récente de Lepage et al. [4]. Les deux autres hypothèses étaient fictives : elles proposaient des structures par stade de gravité encore meilleures, correspondant à une amélioration progressive de la précocité de découverte du cancer du côlon.
19Un second scénario thérapeutique postulait une normalisation des pratiques de chimiothérapie conformément aux référentiels médicaux. Pour ce faire, un marqueur de conformité de l’administration de chimiothérapie selon le stade de gravité a été construit. Celui-ci s’appuyait sur le consensus thérapeutique et sur les recommandations de pratiques en vigueur à l’époque en France [5, 6] : la chimiothérapie devait être administrée à tous les patients de stade III ou IV, elle était proscrite en stade I et ne se justifiait que dans certains cas extrêmes en stade II. Les conclusions de la conférence 2004 de l’American society of clinical oncology (ASCO) précisaient le critère de jugement pour le stade de gravité II : une chimiothérapie pouvait être administrée en cas de perforation, d’histologie mal définie ou de code T4 dans la classification TNM [7]. Il a donc ainsi été possible de comparer l’existant à une situation fictive où les pratiques de chimiothérapie seraient strictement conformes à cette norme, et d’estimer ensuite le différentiel de dépenses de soins entre ces deux situations.
20Le principe des simulations était de faire varier artificiellement dans le modèle la ou les variable(s) adéquate(s) selon les besoins du scénario et de procéder à un calcul d’ effets partiels pour mesurer les différences de dépenses engendrées [8]. La méthode détaillée du calcul est disponible dans le rapport complet de l’étude [9].
Résultats
1 – Caractéristiques des patients
21L’échantillon retenu comprenait 1 504 patients franciliens admis en ALD pour cancer du côlon, avec un peu plus d’hommes que de femmes (sex-ratio = 1,1). Cet effectif est à rapporter aux 2 500 nouvelles exonérations ALD annuelles pour cancer du côlon en Île-de-France. À titre de comparaison, l’incidence totale du cancer du côlon en Île-de-France est estimée à environ 4 000 nouveaux cas chaque année [10, 11].
22Ces patients étaient globalement âgés et gravement atteints sur le plan médical (tableau I). Deux tiers des patients avaient plus de 65 ans et 20 % plus de 80 ans. Si un patient sur six présentait une complication au moment de la découverte (essentiellement des occlusions intestinales), 56 % présentaient une extension de la tumeur au-delà du niveau locorégional, dont autant de stades de gravité III (avec adénopathies) que IV (avec métastases) [3].
23Par ailleurs, près de trois patients sur dix avaient au moins une ALD pour un autre motif ; cette proportion étant équivalente à la prévalence globale des exonérations pour ALD en population générale à âge égal [12]. Globalement, le bilan diagnostique était conforme aux référentiels de pratiques médicales dans les deux tiers des cas, mais moins d’un quart des patients semblait bénéficier d’une consultation pluridisciplinaire ; sans préjuger de la conformité, on comptait une coloscopie dans plus de huit cas sur dix, une échographie abdominale dans deux cas sur trois et un dosage des marqueurs tumoraux dans plus d’un cas sur deux. La prise en charge thérapeutique comprenait presque toujours un acte chirurgical initial, effectué en urgence une fois sur huit. Le nombre de ganglions analysés était supérieur à huit (conforme aux référentiels de bonnes pratiques) dans seulement 60 % des cas. Enfin, une chimiothérapie était administrée à plus d’un patient sur deux ; cependant, dans un cas sur six, l’administration ou non d’un tel traitement n’était pas conforme aux recommandations des Standards, options & recommandations (SOR) et de l’ASCO.
2 – Analyse de la dépense médicale totale des patients
a – Estimation de la dépense médicale totale
24Les soins médicaux administrés à un patient durant les 14 mois suivant la découverte de son cancer du côlon ont généré, en moyenne, une dépense réelle de 28 900 €. Cela recouvrait le coût intrinsèque de prise en charge de ce cancer plus l’ensemble des soins médicaux reçus pour d’autres motifs.
25La dépense remboursable, c’est-à-dire reconnue par l’Assurance maladie, représentait globalement 97 % (environ 28 000 €) de la dépense réelle du fait de la prise en charge à 100 % de tous les soins en rapport avec le cancer au titre de l’ALD. Le montant effectivement remboursé à chaque assuré (27 700 € en moyenne) laissait à la charge du patient ou de sa complémentaire santé une somme non négligeable (1 200 €). Celle-ci se composait principalement de forfaits journaliers hospitaliers (520 €), de dépassements d’honoraires (380 €), ainsi que d’environ 300 € correspondant notamment aux tickets modérateurs de soins liés à d’autres pathologies et donc non couverts par l’ALD.
26Les soins hospitaliers représentaient 85 % de la dépense remboursable : 57 % provenaient du secteur public (l’AP-HP pour plus de la moitié) et 28 % du secteur privé. Les coûts ambulatoires, bien moindres (14 %), se composaient essentiellement d’honoraires de médecins (3 %), de dépenses de pharmacie (6 %) et de transports sanitaires (2 %).
27Les soins de court séjour formaient logiquement la quasi-totalité des dépenses hospitalières (96 %). L’hospitalisation complète générait 88,5 % des coûts hospitaliers, les hospitalisations de jour 5,5 %, les cures et traitements ambulatoires 4,6 % et l’hospitalisation à domicile (HAD) 1,4 %.
28Un tiers (32 %) des dépenses hospitalières a été engagé le mois suivant le diagnostic, ce qui correspondait à la chirurgie initiale de la tumeur. De nombreux patients ont reçu ensuite un traitement chimiothérapique, certains ont bénéficié de soins de suite et réadaptation, ou bien ont eu des actes chirurgicaux complémentaires ou répondant à des complications à distance. Au total, les dépenses hospitalières diminuaient progressivement et rapidement au fil des mois (figure 1), mais la part relative des alternatives hospitalières (HAD, hospitalisation de jour) augmentait.
Caractéristiques sociodémographiques, cliniques et de prise en charge des bénéficiaires (N = 1 504) (Île-de-France, 2003).
Caractéristiques sociodémographiques, cliniques et de prise en charge des bénéficiaires (N = 1 504) (Île-de-France, 2003).
Chronologie des dépenses d’hospitalisations (prix de journées des séjours) (Île-de-France, 2003).
Chronologie des dépenses d’hospitalisations (prix de journées des séjours) (Île-de-France, 2003).
29Au total, un patient admis en ALD pour cancer du côlon a été hospitalisé, en moyenne, plus d’un mois et demi (49 jours) sur les 14 premiers mois.
b – Part de la dépense réellement attribuable au traitement du cancer
30Pour isoler les coûts intrinsèques de la prise en charge du cancer du côlon, une analyse des consommations de soins a été réalisée sur un échantillon témoin de bénéficiaires du régime général respectant la même structure d’âge, de sexe et de département de résidence que notre population d’analyse (N = 4 002). En 14 mois (de janvier 2002 à février 2003), leur dépense de soins remboursable moyenne était de 3 171 €, ce qui peut être considéré comme la dépense médicale qu’auraient eu les bénéficiaires de notre population d’analyse s’ils n’avaient pas été atteints d’un cancer du côlon. Sous cette hypothèse, le coût du cancer du côlon stricto sensu serait estimé à 24 882 €, soit 89 % de la dépense remboursable d’un bénéficiaire qui en est atteint. Cette proportion était naturellement variable selon l’état de santé général du bénéficiaire.
31Par ailleurs, les patients nouvellement admis en ALD pour cancer du côlon avaient une dépense 4,3 fois plus élevée, en moyenne, que les bénéficiaires de l’échantillon témoin ayant une exonération ALD, quelle qu’en soit sa nature et son ancienneté (27 300 € contre 6 328 €).
c – Décomposition de la dépense selon les principales caractéristiques des patients
32Sur l’ensemble des patients nouvellement admis en ALD pour cancer du côlon, il y avait, en moyenne, peu de différence de dépense médicale entre les hommes (28 600 €) et les femmes (27 400 €). Les différences étaient également négligeables entre assurés du régime général et assurés du régime des indépendants. Il y avait d’importantes disparités selon l’âge, en particulier une dépense médicale moindre chez les sujets les plus âgés (dépense moyenne supérieure à 29 000 € avant 75 ans et inférieure à 27 000 € après 75 ans).
33Le tableau II montre d’importantes disparités départementales dans les coûts de prise en charge des patients : le coût moyen par bénéficiaire variait de 23 500 € dans les Yvelines à 33 000 € pour les assurés parisiens, soit une variation de 40 %. C’est surtout le montant des dépenses à Paris qui était frappant, puisque sur les 14 premiers mois de soins, la dépense médicale d’un parisien atteint d’un cancer du côlon excédait, en moyenne, de 5 000 € la dépense médicale des résidants des départements limitrophes et de 8 000 € celle des patients de la Grande couronne.
Ventilation de la dépense médicale selon les caractéristiques des patients (Île-de-France, 2003).
Ventilation de la dépense médicale selon les caractéristiques des patients (Île-de-France, 2003).
34Les caractéristiques cliniques et thérapeutiques du patient discriminaient sa dépense médicale, et en premier lieu la gravité de la tumeur au moment de sa découverte.
35Plus la tumeur a été découverte à un stade avancé, plus la dépense médicale totale du patient était élevée (figure 2). La dépense médicale globale d’un patient dont la tumeur primitive était limitée à la paroi intestinale (stade I) était de 17 000 €, soit 60 % de moins que la dépense moyenne ; elle s’élevait à près de 22 000 € lorsque la tumeur atteignait la sous-séreuse ou s’étendait localement aux organes voisins (stade II). En cas d’adénopathies (stade III), le coût était de 30 440 € et, en cas de métastases (stade IV), il atteignait 35 660 €, soit 2,1 fois plus que le coût d’un patient en stade I.
Dépense médicale selon le stade de gravité et selon le poste de soins (Île-de-France, 2003).
Dépense médicale selon le stade de gravité et selon le poste de soins (Île-de-France, 2003).
d – Modélisation statistique
36La modélisation ne portait que sur les patients qui peuvent être classés dans un stade de gravité (N = 1 347). Le R2 du modèle valait 0,31, ce qui signifie que les co-variables introduites expliquaient 31 % de la variance des dépenses de soins sur 14 mois (tableau III).
Modélisation log-normale de la dépense médicale (Île-de-France, 2003).
Modélisation log-normale de la dépense médicale (Île-de-France, 2003).
37Dans l’ensemble, les caractéristiques générales et administratives du bénéficiaires avaient peu d’effet : les dépenses étaient similaires quels qu’étaient le sexe, l’âge et le régime d’affiliation. La diminution des coûts liés au cancer du côlon chez les patients âgés constatée précédemment était donc principalement due à des facteurs de confusion comme le stade de gravité ou l’existence d’autres exonérations ALD qui ont été contrôlés ici. L’existence d’au moins une autre exonération pour ALD chez un patient induisait, en effet, une augmentation de la dépense médicale totale (coefficient de 0,16).
38Le stade de gravité de la tumeur conditionnait le coût médical de la prise en charge, même si son effet était minoré par l’introduction d’une variable de conformité de la chimiothérapie (elle-même calculée à partir du stade de gravité et qui capture donc une partie de son pouvoir explicatif). Néanmoins, le modèle démontrait l’opposition entre les patients en stade II et ceux en stade IV chez qui la dépense médicale était bien supérieure (coefficient de 0,3).
39Le département de résidence de l’assuré était également très discriminant. C’est dans les Yvelines que la dépense médicale totale était la plus faible, toutes choses égales par ailleurs ; ce département a ainsi été pris comme référence dans le modèle. Paris, la Seine-Saint-Denis, l’Essonne et le Val-de-Marne se démarquaient nettement, avec des coûts médicaux totaux supérieurs à ceux des Yvelines et également supérieurs à la moyenne. Le surcoût constaté chez les assurés parisiens dans l’analyse bivariée était atténué ici par le contrôle simultané du statut et de la spécialisation en cancérologie de l’établissement où a été opéré le patient. Les assurés en ALD pour cancer du côlon du Val-d’Oise et de Seine-et-Marne avaient également des dépenses médicales supérieures, mais l’écart était moindre. Enfin, les Hauts-de-Seine ne se démarquaient pas des Yvelines en termes de dépenses médicales.
40La typologie des établissements hospitaliers testée dans le modèle a fait émerger un fort effet « statut » et, à un degré moindre, un effet « spécialisation ». Toutes choses égales par ailleurs, notamment à département de résidence et stade de gravité égaux : la dépense médicale totale sur l’année d’un patient était plus importante s’il a été opéré dans le secteur public, et a fortiori à l’AP-HP, plutôt que dans le secteur privé et elle croissait également avec le niveau de spécialisation en cancérologie de l’établissement.
41La conjonction de ces deux effets faisait que la dépense d’un patient opéré dans un site AP/HP spécialisé ou hautement spécialisé en cancérologie était beaucoup plus élevée que la moyenne (coefficients de + 0,35 et + 0,15 par rapport à un patient opéré dans un site de proximité public) ; a contrario, ce sont les patients opérés dans des sites de proximité du secteur privé qui coûtaient le moins cher à l’Assurance maladie.
3 – Scénarii d’évolution théorique des dépenses
42Un premier scénario clinique rapportait la répartition par stade de gravité dans notre échantillon à celle constatée dans une étude similaire menée en Bourgogne par Lepage et al. [4], puis à des structures de gravité fictives postulant une amélioration progressive de la précocité de découverte du cancer (cf. tableau IV pour la confrontation des différentes structures de gravité utilisées).
Scénarios cliniques et thérapeutiques utilisés pour le calcul des coûts (Île-de-France, 2003).
Scénarios cliniques et thérapeutiques utilisés pour le calcul des coûts (Île-de-France, 2003).
43La mise en œuvre du scénario thérapeutique était plus complexe car elle reposait sur la combinaison de deux variables – le stade de gravité du patient et l’administration d’une chimiothérapie – pour construire un indicateur de conformité du traitement par chimiothérapie. D’une part, il était nécessaire de classer les patients en stade II selon que la chimiothérapie se justifiait ou non au regard des recommandations : 16 % des patients de stade II présentaient un critère rendant l’administration d’une chimiothérapie envisageable (code T4 de la classification TNM, perforation ou histologie mal définie).
44La confrontation de la réalité observée en Île-de-France à une situation théorique de normalisation des pratiques de chimiothérapie a montré, qu’en l’état actuel des choses, plus de 21 % des patients n’étaient pas convenablement traités par chimiothérapie au regard des référentiels de bonnes pratiques : 11 % ne bénéficiaient pas d’une chimiothérapie adjuvante alors que leur situation le nécessitait et 10 % étaient traités par chimiothérapie à mauvais escient ou de façon discutable.
45Une fois ces scénarii définis précisément, le coût médical total estimé dans le modèle (28 800 € environ) a été confronté aux coûts qui seraient produits par la réalisation de ces scénarii et par l’évolution des variables associées.
46Le scénario de gravité inspiré de l’étude réalisée en Bourgogne produirait un coût médical moyen, par bénéficiaire sur 14 mois, d’environ 25 000 €, soit une diminution de 14 % par rapport à la réalité. Les deux autres scénarii d’évolution clinique testés étaient plus « optimistes » mais beaucoup moins réalistes à court terme, puisqu’ils ne prévoyaient que 5 à 10 % des cancers découverts en stade IV. Ils conduiraient à une diminution de 20 % à 25 % des coûts de prise en charge du cancer du côlon la première année.
Évolutions des dépenses médicales selon plusieurs scénarios cliniques et thérapeutiques (Île-de-France, 2003).
Évolutions des dépenses médicales selon plusieurs scénarios cliniques et thérapeutiques (Île-de-France, 2003).
47L’impact financier du scénario thérapeutique serait bien moindre. Les conséquences immédiates d’une normalisation des pratiques de chimiothérapie sur les dépenses seraient faibles (– 2,6 % d’après nos calculs) et négligeables par rapport au coût global supporté par l’Assurance maladie dans le cadre de la prise en charge d’un patient en ALD pour cancer du côlon dans sa première année de soin.
Discussion
1 – Limites de l’étude
48Notre étude comportait des limites à la fois techniques, dues aux spécificités des données recueillies, et méthodologiques, propres à ce genre d’exercice de valorisation de la prise en charge d’une pathologie.
49Rappelons que l’extraction des données de soins a porté sur une période de 14 mois et non sur un an, afin de chercher à prévenir les biais liés aux dates d’attribution d’ETM et à leur décalage avec la date réelle de découverte de la tumeur. L’absence des dates de soins ambulatoires et la concentration des coûts hospitaliers lors des premiers mois nous a empêché de reconstituer un coût annuel a posteriori.
50Dans les données de liquidation de l’Assurance maladie, il existait une carence de remontée pour certains soins hospitaliers du secteur public qui pouvait s’avérer potentiellement préjudiciable à la fiabilité de nos estimations. En effet, la dotation par budget global n’incitait pas les établissements publics et PSPH à fournir systématiquement leur activité auprès de l’Assurance maladie, contrairement au secteur privé où le financement était indexé sur la remontée de cette information. Toutefois, il n’a pas été possible de quantifier ces carences pour les hôpitaux susceptibles de prendre en charge des cancers du côlon ni donc de mesurer et de corriger ce biais. La non-réponse à l’enquête médicale interdisait également de mobiliser certaines informations sur des examens fondamentaux du bilan diagnostique et pré-thérapeutique (entre 12 % et 25 % de valeurs manquantes selon les examens).
51Par ailleurs, le manque d’informations sur le profil socio-économique des assurés dans l’enquête a limité la portée de l’analyse en termes d’inégalités sociales de soins. Pourtant, des études anglo-saxonnes ont pointé l’importance des différences sociodémographiques et de revenu dans la précocité du diagnostic de cancer, la qualité de la prise en charge et, in fine, les chances de survie [13].
52Dans la méthode employée, seuls les coûts médicaux directs de la première année de traitement sont considérés et, en travaillant sur les dépenses remboursables, nous avons adopté implicitement le point de vue du financeur, en l’occurrence l’Assurance maladie. Pourtant, dans son acception la plus large, la notion de « coût d’une pathologie » devrait théoriquement intégrer d’autres types de coûts qui ont été ignorés ici [14, 15].
53D’une part, notre estimation néglige les coûts directs non médicaux comme les indemnités journalières et les pensions d’invalidité versées aux malades du cancer du côlon. Ces montants pourraient augmenter le coût direct de près de 20 % d’après une étude récente sur le coût du cancer colorectal [16]. D’autre part, dans une perspective plus large, en adoptant le point de vue du malade ou de la société dans son ensemble, l’analyse devrait intégrer les coûts sociaux de la maladie, les coûts indirects (par exemple le manque à gagner des malades qui ne perçoivent plus de salaire) et les coûts intangibles (qui valorisent monétairement les pertes de bien-être des patients). Enfin, notre étude étant centrée sur le coût de la première année de traitement, elle ne rend pas compte des coûts du suivi et des récidives.
54En dernier lieu, extrapoler ces résultats en une estimation globale du coût de la prise en charge du cancer du côlon en France s’avère impossible pour deux raisons. Premièrement, l’incidence du cancer peut différer largement d’une région à l’autre, notamment en raison de programmes de dépistage organisé spécifiques à certaines régions. La technicité des interventions chirurgicales et des traitements peut également varier en fonction de l’offre hospitalière mobilisable. L’estimation des coûts, fondée ici sur la région Île-de-France, ne saurait donc être étendue à l’échelle nationale. Deuxièmement, il existe un décalage important entre la taille de notre échantillon, l’incidence de l’exonération ALD pour cancer et l’incidence du cancer mesurée dans les registres : 1 500 patients contre 2 500 nouvelles exonérations pour ALD et 4 000 nouveaux cas de cancer du côlon en Île-de-France [10, 11]. Ce décalage étant peu documenté et délicat à justifier, il nous interdit toute extrapolation d’une dépense de soins mesurée pour des assurés en ALD à l’ensemble des malades atteints d’un cancer du côlon.
2 – Disparités des dépenses de soins
55Si les soins reçus par les assurés admis en ALD pour cancer du côlon ont généré une dépense remboursable très élevée en moyenne (28 900 €) lors de la première année de soins, celle-ci masquait en réalité d’importantes disparités selon les individus. Près de la moitié d’entre eux avaient une dépense inférieure à 22 000 € et 14 % une dépense inférieure à 10 000 €. À l’opposé, pour 12 % des patients la dépense excédait 50 000 €.
56La gravité de la tumeur discriminait très logiquement les coûts de prise en charge, à la fois parce qu’elle déterminait les traitements à mettre en œuvre (notamment la chimiothérapie) mais aussi par un effet propre. La différence moyenne de dépense entre un patient en stade II et un patient en stade III était de 8 600 € mais elle se réduisait à 4 800 € entre des patients de stade II et III qui suivaient un traitement chimiothérapique.
57Le surcoût constaté chez les patients souffrant d’au moins une autre ALD identifiée s’explique vraisemblablement par une augmentation des soins (ambulatoires notamment) sans rapport direct avec le cancer du côlon. Secondairement, cela peut s’expliquer par un état de santé général aggravé qui majore les coûts de prise en charge.
58Les différences de dépenses de soins entre départements de résidence étaient très nettes, avec une opposition marquée entre Paris, la Petite couronne et la Grande couronne. Néanmoins, le statut et la spécialisation en cancérologie de l’établissement expliquaient une part de ces différences. Par exemple, le surcoût chez les assurés parisiens était dû, en grande partie, à une fréquentation plus importante des établissements de l’AP-HP et/ou très spécialisés en cancérologie où les coûts de prise en charge étaient plus élevés.
59Une lecture plus fine du différentiel géographique de coût de prise en charge en Île-de-France nécessiterait donc une analyse spécifique des effets conjoints du département de résidence et de l’offre hospitalière disponible à proximité, ainsi qu’une prise en compte des effets de déplacements inter-départementaux pour l’intervention chirurgicale initiale ou pour des soins ultérieurs [9].
3 – Portée des résultats des scénarii d’évolution
60La validité méthodologique des scénarii cliniques et thérapeutiques réalisés découle directement de la signification de notre modèle de coûts, utilisé ici à des fins prédictives. La part de variance des dépenses expliquée par le modèle construit ici n’est que de 31 %, ce qui en toute rigueur pourrait s’avérer insuffisant.
61La mise en œuvre de ces scénarii a montré qu’une application rigoureuse des recommandations en matière de chimiothérapie n’augmenterait pas globalement le coût de prise en charge lors de la première année de soins – notamment par compensation entre chimiothérapies indues et omises chez certains patients – et qu’une détection précoce des cancers du côlon le réduirait significativement (de 15 % à 25 %). On peut même extrapoler ce bénéfice en supposant que les coûts médicaux de long terme seraient également réduits par la diminution des aggravations et des récidives et que le bien-être du malade serait en fin de compte amélioré.
62A contrario, cette lecture réduite aux aspects économiquement vertueux pour l’Assurance maladie doit être mise en parallèle avec les investissements nécessaires pour atteindre ces objectifs. En effet, l’essor d’un dépistage de masse du cancer du côlon génèrera des coûts importants pour la collectivité, à travers le remboursement des examens et les campagnes de sensibilisation et d’implantation de ces dépistages.
Remerciements
Les auteurs tiennent à exprimer leur gratitude à Pierre Ouanhnon (URCAMIF) qui est à l’initiative de cette étude et en a assuré la coordination et le suivi ; au Docteur Lina Silvéra (SMAM-IF) pour ses connaissances de l’enquête médicale et ses conseils précieux tout au long de ce travail ; à Hélène Grière et Carine Mathat (CPAM des Yvelines) qui ont piloté l’ensemble des extractions des données du système informationnel de l’Assurance maladie auprès des caisses primaires ; et enfin aux membres du groupe de suivi de cette étude qui nous ont épaulé tout au long de ce travail, en particulier les Docteurs Francis Corrias (SMAM-IF) et Marianne Charvier (CMR-IdF).Références
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Mots-clés éditeurs : Île-de-France, affection de longue durée, chimiothérapie, coût médical, maladie chronique, cancer du côlon
Date de mise en ligne : 23/10/2012
https://doi.org/10.3917/pos.394.0283Notes
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[1]
Le Plan cancer, présenté par le Président de la République Française le 24 mars 2003, avait pour ambition de répondre aux besoins des patients, de leurs proches et des professionnels qui prennent en charge les personnes atteintes par cette maladie.
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[2]
Nous avons considéré une période de 14 mois et non d’un an pour tenir compte des fluctuations dans la déclaration de l’ETM selon les assurés, et donc des décalages possibles entre la date de début d’ETM et la date réelle de découverte de la maladie.
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[3]
Le stade de gravité était inconnu dans 9,8 % des cas. De plus, pour 4,6 % des patients, il existait une incertitude de classement entre les stade III et IV : une imputation des patients entre les stades III et IV a alors été réalisée, au prorata du poids respectif de ces deux stades dans l’échantillon total (48 % en stade III,52 % en stade IV).