Couverture de POPU_703

Article de revue

Vagues de chaleur, fluctuations ordinaires des températures et mortalité en France depuis 1971

Pages 533 à 563

Notes

  • [*]
    Inserm, U754, IFR69, Université Paris Sud XI, Recherches en épidémiologie environnementale des cancers, Villejuif, France.
  • [**]
    Inserm, CépiDc, IFR69, Université Paris Sud XI, Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès, Le Vésinet, France.
  • [1]
    Cet article constitue une synthèse de travaux récents (Fouillet et al., 2007a ; Fouillet et al., 2007b ; Rey et al., 2007).
  • [2]
    Sur la base des fluctuations de la mortalité quotidienne observées pendant la période de référence, des intervalles de fluctuation à 95 % ont été calculés. Ce sont les intervalles dans lesquels la probabilité d’observer le nombre quotidien de décès à venir s’il avait les mêmes espérance et variance que ceux observés sur la période de référence est égale à 95 %. Les intervalles de fluctuation sont donc des intervalles de prédiction.
  • [3]
    Soit la 8e (1971–1978), la 9e (1979–1999) et la 10e (depuis 2000).

1 Dans le contexte du changement climatique global, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Intergovernmental Panel on Climate Change) prévoit une augmentation de la température et de la fréquence d’épisodes de chaleur très intenses (IPCC, 2001). L’ association entre chaleur et mortalité est clairement établie, comme le montrent notamment deux revues de la littérature très complètes (Basu et Samet, 2002 ; Besancenot, 2002). Pour analyser cette association, une première approche consiste à s’intéresser à des épisodes de chaleur isolés et majeurs, pendant lesquels une augmentation exceptionnelle de la mortalité est observée. Les études adoptant cette approche décrivent les caractéristiques de la mortalité pendant ou après la vague de chaleur. Une seconde approche consiste à décrire l’association entre les fluctuations ordinaires de la température et de la mortalité à l’aide de séries temporelles. Ces analyses permettent d’identifier des indicateurs climatiques associés à la mortalité (températures, humidité, délai d’induction de la chaleur sur la mortalité, etc.) et de quantifier cette association.

2 Nous adopterons successivement ces deux approches pour analyser les relations entre chaleur et mortalité en France métropolitaine au cours de la période 1971-2006 [1]. Les données utilisées relatives à la mortalité proviennent du Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès (CépiDc) de l’Inserm, les températures sont issues de Météo-France et les données démographiques de l’Insee.

3 Dans une première partie, nous identifierons les vagues de chaleur majeures observées en France métropolitaine de 1971 à 2003 et décrirons la surmortalité qui les a systématiquement accompagnées. Dans une seconde partie, nous décrirons les fluctuations quotidiennes « ordinaires » des températures et de la mortalité au cours des étés 1975 à 2003 et montrerons combien les deux s’avèrent étroitement liées. Dans une dernière partie, nous nous demanderons si les fluctuations quotidiennes des températures estivales et de la mortalité observées au cours des trois étés 2004 à 2006 sont en continuité avec les observations des trois décennies précédentes ou montrent, au contraire, que la « vulnérabilité » de la population aux vagues de chaleur a pu évoluer depuis l’été 2003.

I – Mortalité associée aux principales vagues de chaleur en France de 1971 à 2003

4 Les études décrivant des vagues de chaleur font toutes état d’un accroissement corrélatif de la mortalité sans que l’on puisse cependant clairement savoir si c’est l’existence même de cette surmortalité qui a conduit à réaliser ces études ou si les vagues de chaleur sont systématiquement associées à des surmortalités majeures. Ces études montrent aussi que la surmortalité est croissante avec l’âge, mais la description précise de cette relation a rarement été effectuée. Selon les études, ce sont tantôt les femmes, tantôt les hommes qui sont les plus touchés (Rooney et al., 1998 ; Whitman et al., 1997) mais ces observations sont rarement ajustées sur l’âge, dont l’importance est pourtant majeure.

5 Concernant les causes médicales des décès, de nombreuses études portent sur les décès dus à la chaleur en se limitant à ceux pour lesquels le certificat de décès fait mention de causes directement liées à la chaleur. Ce décompte est pourtant largement inférieur au surplus total de mortalité (Shen et al., 1998). En effet, d’autres causes de décès sont elles aussi en augmentation durant les vagues de chaleur. Elles reflètent aussi bien le processus morbide ayant conduit au décès qu’une vulnérabilité associée aux maladies chroniques préexistantes.

6 Certaines études ont décrit de façon systématique la structure par cause du surplus de mortalité (Applegate et al., 1981 ; Ellis et Nelson, 1978 ; Henschel et al., 1969 ; Michelozzi et al., 2005 ; Schuman, 1972). Les maladies cardiovasculaires, respiratoires et les causes « directement liées » à la chaleur (coup de chaleur, hyperthermie et déshydratation) contribuent fortement à la surmortalité. Cependant, l’excès de mortalité générale le plus important observé dans ces études est de 2 100 décès, ce qui limite le nombre de catégories observables et la précision statistique des analyses.

7 Nous nous intéresserons dans cette partie à la structure de la mortalité par âge, sexe et cause médicale de décès lors des principales vagues de chaleur survenues de 1971 à 2003 en France métropolitaine. Les températures utilisées pour l’analyse sont les moyennes départementales des températures maximales et minimales quotidiennes, pondérées par les populations départementales, pour les mois de juin à septembre de chaque année.

1 – Six vagues de chaleur majeures ont été observées de 1971 à 2003, toutes accompagnées d’une forte surmortalité

8 Pour prendre en compte l’importance concomitante de l’intensité et de la durée des épisodes de chaleur sur la santé, une vague de chaleur a été définie comme une période d’au moins 3 jours consécutifs pendant lesquels les températures minimales et maximales ont simultanément dépassé leurs 95e centiles respectifs calculés sur les mois de juin à septembre des années 1971 à 2003, soit 17,3°C et 30,0°C.

9 Sur la base d’observations antérieures (Basu et Samet, 2002 ; Fouillet et al., 2006), nous avons défini les périodes de mortalité associées aux vagues de chaleur comme les périodes de vague de chaleur augmentées de 2 jours, de façon à tenir compte du délai entre l’exposition à la chaleur et l’accroissement de l’incidence des décès.

10 La mortalité observée pendant ces périodes (O) a été comparée à une mortalité attendue (E) calculée sur la base de la mortalité observée pendant une période dite de référence, constituée des trois années précédant chaque vague de chaleur. Cette période de référence a été choisie pour assurer à la fois la comparabilité des structures et des taux de la mortalité par cause et une stabilité statistique suffisante. Pour estimer le nombre attendu de décès, on a utilisé un modèle poissonnien log-linéaire incluant pour chaque classe décennale d’âges une tendance linéaire annuelle et un terme spécifique à chaque mois (McCullagh et Nelder, 1989).

11 Six vagues de chaleur ont été identifiées entre 1971 et 2003 (tableau 1), leurs durées variant de 3 jours en 2001 à 11 jours en 2003. Lors des cinq premières vagues de chaleur, la température maximale moyenne a varié de 30,8°C (en 2001) à 33,5°C (en 1990) et la température minimale moyenne de 17,7°C (en 2001) à 18,5°C (en 1990). Au cours de la vague de chaleur de 2003, les températures maximales et minimales moyennes observées sont sensiblement plus élevées que pour toutes les autres vagues de chaleur : elles atteignent respectivement 36,4°C et 20,0°C.

Tableau 1

Principales vagues de chaleur observées en France métropolitaine de 1971 à 2003 et mortalité associée

Tableau 1
1975 1976 1983 1990 2001 2003 Population Pop. totale (en millions) 52,7 52,9 54,8 56,7 59,2 59,8 Part des moins de 35 ans (%) 53,8 54,0 53,1 50,3 45,7 45,1 Part des 35-74 ans (%) 41,1 40,8 40,8 43,0 46,8 47,1 Part des 75 ans ou plus (%) 5,1 5,2 6,1 6,7 7,5 7,8 Températures (°C)(a) Nombre de jours chauds consécutifs(b) 5 9 4 5 3 11 Moyenne maximum 32,4 32,8 31,6 33,5 30,8 36,4 Moyenne minimum 18,2 17,9 18,4 18,5 17,7 20,0 Période de mortalité associée à la vague de chaleur(c) Début 1er août 28 juin 10 juillet 1er août 30 juillet 3 août Fin 7 août 8 juillet 15 juillet 7 août 3 août 15 août Mortalité associée à la vague de chaleur Observée (O) 12 507 20 560 10 301 10 838 7 814 31 431 Attendue (E) 9 555 15 444 8 828 9 214 6 484 17 697 Excès (O – E) + 2 952 + 5 116 + 1 473 + 1 624 + 1 330 + 13 734 Part des moins de 35 ans (%) 5,6 3,1 4,4 5,5 2,0 0,6 Part des 35-74 ans (%) 32,6 32,7 26,5 26,6 21,6 19,8 Part des 75 ans ou plus (%) 61,7 64,3 69,1 67,9 76,4 79,6 Part des femmes (%) 53,5 56,1 53,3 59,4 60,1 64,7 Ratio de surmortalité (O/E) 1,31 1,33 1,17 1,18 1,21 1,78 [intervalle de confiance] [1,28 ; 1,34] [1,31 ; 1,35] [1,14 ; 1,19] [1,15 ; 1,20] [1,18 ; 1,23] [1,75 ; 1,80] Effet de moisson(d) O – E – 89 – 696 + 2 131 – 1 214 – 111 + 754 O/E 1,00 0,97 1,07 0,96 1,00 1,03 (a) Températures moyennes calculées en pondérant les températures des 95 départements par leurs populations. (b) Au moins 3 jours consécutifs pendant lesquels les températures maximales et minimales sont simultanément supérieures à leur 95e centile respectif. (c) Période de vague de chaleur augmentée de deux jours après le dernier jour chaud. (d) Mortalité pendant les 20 jours suivant la période de mortalité associée à la vague de chaleur. Sources : Inserm-CépiDc, Insee et Météo-France.

Principales vagues de chaleur observées en France métropolitaine de 1971 à 2003 et mortalité associée

12 Toutes les vagues de chaleur identifiées sont associées à un excès significatif de mortalité : environ 3 000 décès en 1975, 5 100 en 1976, 1 500 en 1983, 1 600 en 1990, 1 300 en 2001 et 13 700 en 2003 (tableau 1). Les ratios de surmortalité (O/E) correspondants ont varié de 1,17 en 1983 à 1,78 en 2003.

13 Dans le cas des vagues de chaleur de 1976 et 2003, une vague de chaleur antérieure est présente dans la période de référence (3 années précédentes). Cependant, cela n’influence pas l’estimation de la mortalité attendue dans les deux cas : en 1976 parce que les mois de survenue ne sont pas les mêmes qu’en 1975, en 2003 parce que l’excès de mortalité observé en août 2001 est négligeable.

2 – L’évolution de la mortalité lors d’une vague de chaleur présente une forme caractéristique

14 On observe une bonne concordance entre les variations quotidiennes des températures et de la mortalité pour chacune des vagues de chaleur (figure 1). Une augmentation progressive de la mortalité tant que les températures sont très élevées est suivie d’une baisse rapide dès que la température redevient proche de la température de référence. La vague de 1983 semble être une exception, la température et la mortalité étant encore durablement supérieures aux valeurs de référence dans les jours qui ont suivi la vague de chaleur. La mortalité a néanmoins augmenté pendant la période de vague de chaleur et baissé après.

Figure 1

Évolutions temporelles de la mortalité et de la température lors des vagues de chaleur de 1975 à 2003 en France métropolitaine

Figure 1

Évolutions temporelles de la mortalité et de la température lors des vagues de chaleur de 1975 à 2003 en France métropolitaine

Lecture : le 6 juillet 1976 est compris dans une vague de chaleur ; l’excès de mortalité de ce jour est de 428 décès ; la température maximale moyenne est de 31,7°C et la température minimale moyenne est de 17,7°C.
Sources : Inserm-CépiDc et Météo-France.

15 Les critères utilisés ici pour identifier temporellement les principales vagues de chaleur de 1971 à 2003 et les périodes de mortalité associées visent à différencier clairement les vagues de chaleur des fluctuations ordinaires des températures. Si l’on observe bien que ces vagues sont toutes systématiquement associées à des excès majeurs de mortalité, on voit en 1983 – et plus en détail dans la suite de l’article – que les variations plus modérées des températures sont elles aussi associées à des variations de la mortalité.

3 – Un effet de moisson parfois observé, souvent d’ampleur limitée

16 Un effet de moisson se produit lorsqu’une forte surmortalité est suivie d’une sous-mortalité transitoire, révélant un éventuel phénomène d’anticipation à court terme de la mortalité normale. Nous avons donc comparé la mortalité observée à la mortalité attendue au cours des 20 jours suivant les vagues de chaleur, afin d’explorer l’hypothèse selon laquelle les personnes seraient décédées pendant ces jours-là si la vague de chaleur n’avait pas eu lieu.

17 Sur les 20 jours suivant les vagues de chaleur, les décès ont été moins nombreux qu’attendu pour quatre des six vagues (tableau 1). Hormis en 1983, une période d’au moins 5 jours consécutifs de mortalité inférieure à la mortalité attendue a été observée sur les 20 jours suivant chaque période de mortalité associée aux vagues de chaleur. Cependant, excepté en 1990, ce « déficit » de décès a été nettement inférieur au surplus de mortalité associé à la vague de chaleur et les effectifs quotidiens de décès ne sortent qu’une fois, en 1976, de l’intervalle de fluctuation [2]. De plus, il est difficile d’attribuer de façon certaine ces décès « manquants » à un effet de moisson car ces périodes coïncident avec une décroissance des températures (figure 1). Au total, l’existence d’un effet de moisson n’est ni systématique ni quantitativement significative.

4 – La surmortalité est plus importante chez les personnes âgées, très proche chez les femmes et les hommes de même âge

18 La proportion de personnes âgées de 75 ans ou plus a augmenté dans la population française de 1975 à 2003 (tableau 1). Corrélativement, la part du surplus de décès (OE) survenus au cours des 6 vagues de chaleur chez des personnes âgées de plus de 75 ans a augmenté, passant de 62 % en 1975 à 80 % en 2003, tandis qu’elle a baissé chez les sujets de moins de 35 ans, passant de 5,6 % en 1975 à 0,6 % en 2003. La part des femmes parmi les victimes des vagues de chaleur a augmenté de 53 % en 1975 à 65 % en 2003.

19 Pour toutes les vagues de chaleur, les ratios de surmortalité (O/E) par âge présentent des similitudes : ils croissent avec l’âge à partir de 55 ans ; l’excès de mortalité est déjà significatif si l’on considère l’agrégation des groupes d’âges jeunes : excepté en 2001, les ratios de surmortalité sont significativement supérieurs à 1 chez les personnes de moins de 35 ans.

20 Les proportions très élevées de décès liés aux vagues de chaleur ayant lieu chez les sujets de 75 ans ou plus reflètent à la fois la structure habituelle de la mortalité et l’accroissement des ratios de surmortalité avec l’âge. Ainsi, les personnes âgées constituent la population la plus vulnérable pendant une vague de chaleur et l’excès de mortalité des sujets de moins de 35 ans représente moins de 1 % du surplus total pendant la vague de chaleur de 2003. Cependant, aucun groupe de la population ne doit être considéré à l’abri du risque pendant une vague de chaleur.

21 Pour comparer la vulnérabilité des hommes et des femmes aux vagues de chaleur, la mesure la plus adéquate est la différence entre les taux de mortalité observés et attendus standardisés selon l’âge. De façon assez stable sur l’ensemble des vagues de chaleur, la différence des taux de mortalité générale observés et attendus, standardisés par âge, est plus élevée pour les hommes que pour les femmes (tableau 2). Cependant, cette différence est uniquement significative pour les vagues de 1975, 1976 et 1983. On ne peut finalement pas conclure à une différence notable de vulnérabilité selon le sexe, mais plutôt à un excès de mortalité masculine légèrement plus élevé quand on standardise sur l’âge.

Tableau 2

Différence entre taux de mortalité observés et attendus des hommes et des femmes, standardisés par âge, en France au cours des vagues de chaleur de 1975 à 2003(a)

Tableau 2
1975 1976 1983 1990 2001 2003 Hommes TmO 4,42 4,56 4,16 3,57 3,43 4,79 TmE 3,45 3,52 3,51 3,17 3,00 2,98 TmO – TmE (H) 0,97 1,04 0,65 0,40 0,44 1,82 Femmes TmO 2,62 2,77 2,38 2,11 2,06 3,42 TmE 1,98 2,01 1,95 1,75 1,72 1,70 TmO – TmE (F) 0,64 0,75 0,43 0,35 0,34 1,72 Différence (H) – (F) 0,33* 0,28* 0,22* 0,05 0,10 0,09 (a) Différence entre les taux de mortalité observés (TmO) et taux de mortalité attendus (TmE), standardisés sur l’âge à partir de la population France entière de l’année de la vague de chaleur (pour 100 000 personnes / jour) * : différence entre hommes et femmes significativement différente de zéro au seuil de 5 %. Sources : Inserm-CépiDc et Insee.

Différence entre taux de mortalité observés et attendus des hommes et des femmes, standardisés par âge, en France au cours des vagues de chaleur de 1975 à 2003(a)

5 – La quasi-totalité des causes médicales de décès contribuent à la surmortalité

22 Pour être comparables entre les différentes révisions de la Classification internationale des maladies [3], les causes de décès ont été regroupées en 17 catégories agrégées par Eurostat (Jougla et al., 1998). Une 18e catégorie, intitulée « causes liées à la chaleur » (CLC), regroupant les causes directement liées à la chaleur (déshydratation, hyperthermie et coup de chaleur) a été constituée pour cette étude spécifique.

23 La cause initiale de décès est consignée par le médecin certificateur sur le certificat de décès ; elle est définie comme la cause à l’origine du processus morbide ayant conduit au décès. Outre la cause initiale, des causes associées sont également mentionnées sur les certificats de décès. Une catégorie des « CLC initiales ou associées » a donc aussi été considérée, comportant l’ensemble des décès pour lesquels l’une des causes mentionnées, initiale ou associée, était une CLC. Cette dernière catégorie regroupe donc les décès pour lesquels la chaleur a été déclarée par le médecin comme facteur principal ou contributif du décès.

24 Dans cette partie, on compare les nombres de décès observés par cause spécifique (Oc ) aux nombres de décès attendus par cause médicale de décès (Ec ), calculés selon la même méthode que dans la partie précédente. L’?excès de mortalité par cause (Oc Ec ) indique la part des décès dus à une cause « c » dans l’excès de mortalité toutes causes (OE) pendant une vague de chaleur. Durant toutes les vagues de chaleur, un excès de mortalité apparaît pour la quasi-totalité des causes de décès (figure 2).

Causes liées à la chaleur

25 Pour toutes les vagues de chaleur, à l’exception de celle de 1975, la part des CLC en tant que cause initiale dans l’excès de décès global est supérieure à 4 % (figure 2). Elle est particulièrement élevée en 2003 (21 %). Ces proportions sont à peu près doublées lorsque l’on prend en compte les CLC en tant que cause associée : la part du surplus de décès pour lesquels une CLC est une cause initiale ou associée varie de 6 % en 1975 à 44 % en 2003, quelle que soit la vague de chaleur considérée (résultats non présentés sur la figure).

Autres causes médicales de décès

26 Les maladies cardiovasculaires, respiratoires, cancers, morts violentes et états morbides mal définis constituent une part importante de l’excès de mortalité toutes causes durant les six vagues de chaleur (figure 2). La part des maladies cardiovasculaires dans la surmortalité globale décroît de 41 % en 1975 à 23 % en 2003, cette proportion étant parallèlement en diminution dans la mortalité totale attendue (de 37 % à 29 %).

Figure 2

Part des causes médicales de décès dans la surmortalité totale lors des vagues de chaleur observées en France métropolitaine de 1975 à 2003

Figure 2

Part des causes médicales de décès dans la surmortalité totale lors des vagues de chaleur observées en France métropolitaine de 1975 à 2003

Sources : Inserm-CépiDc et Insee.

27 Ces résultats sont robustes au contrôle de l’évolution de la structure par âge et sexe en utilisant des proportions standardisées.

28 Si les causes liées à la chaleur sont les causes de décès dont l’augmentation relative est la plus importante pendant les vagues de chaleur (Applegate et al., 1981 ; Henschel et al., 1969), elles ne sont responsables que d’une fraction très limitée du surplus absolu de mortalité.

6 – Certaines maladies chroniques semblent être des facteurs de vulnérabilité

29 Pour comparer la surmortalité entre les différentes vagues de chaleur, le ratio de surmortalité toutes causes (O/E) est pris comme une mesure de l’impact d’une vague de chaleur sur la population. Pour chaque groupe de causes médicales de décès c, un ratio de surmortalité relatif a été calculé comme le rapport du ratio de surmortalité pour une cause spécifique (Oc /Ec ) au ratio de surmortalité toutes causes (O/E) :

equation im5
La variabilité des ratios de surmortalité relatifs pour une même cause c entre les vagues de chaleur a été testée en considérant que les nombres de décès pour les différentes vagues de chaleur suivaient des distributions multinomiales indépendantes, conditionnellement au ratio de surmortalité toutes causes.

Causes liées à la chaleur

30 Les ratios de surmortalité relatifs pour les causes initiales de décès liées à la chaleur vont de 1,9 en 1983 à 18,2 en 2003 et ils sont les plus élevés quelles que soient les vagues de chaleur (tableau 3). Les ratios de surmortalité relatifs des CLC en cause initiale ou associée varient de 2,2 en 1983 à 9,2 en 2003 et sont légèrement moins variables d’une vague de chaleur à l’autre que si l’on ne retient les CLC que comme cause initiale.

Autres causes médicales de décès

31 Pour les autres causes initiales de décès, les ratios de surmortalité les plus élevés pendant les six vagues de chaleur concernent les maladies de l’appareil respiratoire, les maladies du système nerveux et les troubles mentaux, les maladies infectieuses et les maladies endocriniennes et nutritionnelles. D’autres causes provoquent une surmortalité plus faible. C’est le cas pour les états morbides mal définis (sauf en 2001), les maladies de l’appareil génito-urinaire (sauf en 1990), les morts violentes, les maladies cardiovasculaires et les cancers.

32 Pour toutes les causes de décès, les ratios de surmortalité relatifs sont du même ordre pour toutes les vagues de chaleur (tableau 3). Cependant, pour presque toutes les causes, on observe une hétérogénéité significative entre vagues de chaleur, le plus souvent en raison de la singularité de la vague de 2003. En effet, les ratios de surmortalité relatifs sont plus élevés en 2003 en comparaison des cinq autres vagues pour les CLC, les états morbides mal définis et les maladies de l’appareil génito-urinaire tandis qu’ils sont moins élevés pour les cancers, les maladies cardiovasculaires et les morts violentes.

Tableau 3

Ratios de surmortalité relatifs(a) par cause médicale de décès en France métropolitaine au cours des vagues de chaleur de 1975 à 2003

Tableau 3
1975 1976 1983 1990 2001 2003 Causes initiales 1. Maladies infectieuses 1,03 1,13 1,21 1,19 1,38 1,31 * 2. Cancers 0,93 0,84 0,91 0,94 0,90 0,66 * 3. Maladies du sang 0,96 0,95 0,84 0,93 0,78 0,92 4. Maladies endocriniennes et nutritionnelles(b) 1,23 1,18 1,10 1,07 1,22 1,18 5. Troubles mentaux 1,21 1,25 1,23 1,02 1,25 1,23 * 6. Maladies du système nerveux 1,19 1,35 1,07 1,23 1,33 1,26 * 7. Maladies cardiovasculaires 1,02 1,05 1,00 0,96 0,98 0,91 * 8. Maladies de l’appareil respiratoire 1,09 1,25 1,11 1,20 1,03 1,34 * 9. Maladies de l’appareil digestif 0,92 0,84 0,95 0,93 0,93 0,77 * 10. Infections de la peau 1,12 0,87 1,00 1,45 1,26 0,88 * 11. Maladies du système ostéo-articulaire et des muscles 1,09 0,90 1,13 1,09 1,29 1,06 12. Maladies de l’appareil génito-urinaire 0,92 0,93 1,03 0,91 1,21 1,33 * 13. Complications de la grossesse 0,86 0,34 0,43 3,68 0,00 0,00 * 14. Infections périnatales 0,55 0,59 0,69 1,49 1,00 0,80 * 15. Malformations congénitales 0,73 0,74 0,80 1,15 1,21 0,89 16. États morbides mal définis(c) 0,99 1,05 1,02 0,95 1,10 1,27 * 17. Morts violentes(d) 1,00 0,90 1,04 1,02 0,89 0,74 * Causes liées à la chaleur(e) 3,37 10,74 1,94 2,67 2,06 18,15 * CLC initiales ou associées(f) 3,66 7,38 2,19 2,82 2,36 9,24 * Toutes causes 1 1 1 1 1 1 * (a) O/E relatif : ratio de surmortalité d’une cause spécifique divisé par le ratio de surmortalité toutes causes ; O : nombre de décès observé ; E : nombre de décès attendu ; (b) : Non compris déshydratation ; (c) : Non compris hyperthermie ; (d) : Non compris coup de chaleur ; (e) : Causes liées à la chaleur : déshydratation, hyperthermie et coup de chaleur ; (f) : Inclut les décès pour lesquels une des causes codées est une CLC. Italique : O/E n’est pas significativement différent de 1 au seuil de 5 %. * : l’hypothèse d’égalité des ratios de surmortalité relatifs pour 1975, 1976, 1983, 1990, 2001 et 2003 est rejetée au seuil de 1 %. Sources : Inserm-CépiDc et Insee.

Ratios de surmortalité relatifs(a) par cause médicale de décès en France métropolitaine au cours des vagues de chaleur de 1975 à 2003

33 Les ratios de surmortalité par cause initiale de décès observés pour les décès sans mention de cause liée à la chaleur, c’est-à-dire ni en cause initiale ni en cause associée, sont similaires à ceux observés pour l’ensemble des décès pendant toutes les vagues de chaleur. On peut donc considérer que la description des ratios de surmortalité les plus élevés par cause initiale, à l’exception des CLC, aide à identifier les pathologies chroniques constituant des facteurs de vulnérabilité pendant une vague de chaleur. C’est clairement le cas pour les pathologies chroniques telles que le diabète et le cancer, dont l’incidence dans la population ne peut augmenter sur une période aussi courte qu’une vague de chaleur. C’est par contre moins net pour toutes les catégories de causes médicales de décès recouvrant à la fois des formes chroniques et des formes aiguës, telles que les maladies cardiovasculaires, respiratoires, etc. Ces catégories de causes peuvent être aussi bien des facteurs de vulnérabilité que des pathologies contractées pendant une vague de chaleur. Des observations et analyses spécifiques supplémentaires seraient nécessaires pour expliquer ces phénomènes.

7 – Des causes spécifiques pour les jeunes, peu de différences selon le sexe

34 On retrouve des résultats similaires pour les groupes d’âges 35-74 ans et 75 ans ou plus. Parmi les moins de 35 ans, la principale cause initiale de décès responsable de la surmortalité est constituée par les morts violentes, sauf en 2001 et 2003. Cette cause de décès est également la plus fréquente en mortalité attendue pour ce groupe d’âges. Excepté en 2001, les causes liées à la chaleur expliquent toujours un surcroît de décès significatif.

35 À l’exception des vagues de chaleur de 1975 et 1983, les ratios de surmortalité toutes causes, standardisés sur l’âge, sont plus élevés chez les femmes que chez les hommes, de 3 % en 1983 à 25 % en 2003. Pour les six vagues de chaleur, les ratios de surmortalité standardisés sont notablement plus élevés chez les femmes pour les maladies infectieuses et génito-urinaires en tant que cause initiale, et pour les décès avec CLC en cause initiale ou associée. En ce qui concerne les maladies génito-urinaires, la différence est significative pour les vagues de chaleur de 1975, 1990, 2001 et 2003. Pour toutes les autres causes, les ratios de surmortalité standardisés par âge ne sont pas significativement différents entre hommes et femmes pour au moins trois des six vagues de chaleur.

36 L’?analyse des causes médicales de décès nous a permis de décrire l’augmentation relative ou absolue de certaines causes de décès pendant les vagues de chaleur. Elle permet ainsi de déterminer la fréquence des différentes pathologies impliquées et les maladies chroniques susceptibles de représenter des facteurs de risque lors des vagues de chaleur.

II – Corrélation des fluctuations quotidiennes de la mortalité et des températures en été

37 La description des principales vagues de chaleur observées dans les périodes estivales en France métropolitaine au cours de la période 1971-2003 a montré qu’il existe une étroite corrélation entre élévations extrêmes et durables des températures et excès de mortalité. La relation entre chaleur et mortalité sur la période estivale peut être appréhendée par une seconde approche, fondée sur une analyse temporelle des variations « habituelles » d’indicateurs climatiques et de la mortalité.

38 Certaines études ont porté sur la recherche d’un « optimum thermique », défini comme l’intervalle de températures pour lequel la mortalité atteint son plus bas niveau au cours d’une année (Basu et Samet, 2002). Cet optimum varie selon le climat des pays ou régions considérés et dépend de la capacité de la population à s’adapter et à répondre aux variations climatiques. D’autres travaux ont visé à modéliser la relation entre les indicateurs climatiques et la mortalité afin d’identifier les indicateurs climatiques et/ou de pollution atmosphérique les plus associés à la mortalité, ou de déterminer le délai d’induction des variations des indicateurs sur la mortalité.

39 La composante climatique est généralement caractérisée par les températures minimales et/ou maximales quotidiennes. Si la température maximale caractérise l’exposition de la population à la chaleur, la température minimale représente la capacité de récupération pendant la nuit du stress thermique subi la journée lors de fortes chaleurs.

40 D’autres paramètres climatiques tels que l’humidité, la vitesse et la direction du vent ou encore la pression atmosphérique ont également été considérés, en tant que variables indépendantes, dans des indices combinés ou dans des indices synoptiques représentant des masses d’air. La pollution atmosphérique a également été prise en compte, particulièrement dans l’étude de zones urbaines.

41 Si les études réalisées ont permis d’observer que les épisodes de chaleur intenses et durables étaient responsables d’une surmortalité importante, rares sont les travaux qui ont estimé des modèles incluant des indicateurs quantitatifs qui prennent en compte à la fois l’intensité et la durée de ces épisodes (Diaz et al., 2006 ; Fouillet et al., 2006 ; Grize et al., 2005 ; Rousseau, 2005). À notre connaissance, leur capacité de prédiction n’a jamais été validée sur des observations distinctes de celles qui avaient permis d’ajuster des modèles.

42 Dans cette partie, nous examinerons la corrélation temporelle entre les fluctuations quotidiennes des températures et de la mortalité sur l’ensemble de la France métropolitaine au cours des 29 périodes estivales de 1975 à 2003. L’?existence d’une très forte corrélation entre ces variations nous permettra d’en proposer une modélisation et de définir une combinaison d’indicateurs de température permettant de prédire aussi bien les fluctuations quotidiennes « ordinaires » de la mortalité en été que les excès de mortalité associés aux vagues de chaleur.

43 L’?étude de la surmortalité observée en août 2003 a montré que la majeure partie (95 %) de l’excès total de décès avait été observée chez les personnes âgées de 55 ans ou plus. Cette modélisation portera donc sur les seuls décès des sujets âgés de 55 ans ou plus.

1 – La corrélation temporelle entre les fluctuations quotidiennes estivales des températures et de la mortalité est très forte

Évolution tendancielle de la mortalité générale sur la période 1975-2003

44 Au cours de la période 1975-2003, le taux de mortalité observé en France métropolitaine enregistre une décroissance tendancielle, passant de 10,2 décès par jour et pour 100 000 habitants de 55 ans ou plus en 1975 à 7,7 en 2003 (figure 3). Cela représente un nombre quotidien de décès de sujets âgés de 55 ans ou plus proche de 1 200 en moyenne.

Figure 3

Évolution quotidienne du taux de mortalité de la population âgée de 55 ans ou plus au cours des mois de juin à septembre sur la période 1975-2003, France métropolitaine (pour 100 000)

Figure 3

Évolution quotidienne du taux de mortalité de la population âgée de 55 ans ou plus au cours des mois de juin à septembre sur la période 1975-2003, France métropolitaine (pour 100 000)

Sources : Inserm-CépiDc et Insee.

45 Plusieurs années se distinguent par des épisodes où les taux de mortalité dépassent les marges de fluctuations habituelles de manière importante et pendant plusieurs jours consécutifs. C’est notamment le cas des années 1975, 1976, 1982, 1983, 1987, 1990, 2001 et 2003 (figure 3).

46 L’?épisode de 2003 reste cependant exceptionnel : le taux de mortalité augmente jusqu’à atteindre 20 décès pour 100 000 habitants de 55 ans ou plus le 12 août 2003, alors qu’il ne dépasse jamais 15 pour 100 000 sur le reste de la période étudiée.

Fluctuations quotidiennes des températures moyennes 1975-2003

47 Les températures minimales et maximales quotidiennes sont respectivement de 13,2°C et 23,7°C en moyenne sur l’ensemble de la France au cours des 29 périodes estivales de 1975 à 2003. Au cours de chaque période estivale, la variation saisonnière des températures minimales et maximales moyennes est d’au moins 3°C entre les mois de juin et septembre et ceux de juillet et août.

Corrélation des fluctuations quotidiennes des températures moyennes et de la mortalité durant les périodes estivales 1975-2003

48 Si les études décrivant les vagues de chaleur ont clairement montré qu’il existe une élévation importante de la mortalité avec la durée et l’intensité des températures (cf. partie I), on peut également observer une corrélation frappante entre les variations quotidiennes des températures en été et celles de la mortalité en dehors des périodes de chaleur extrême (figure 4) : chacune des évolutions des températures, aussi ténue soit-elle, est accompagnée d’une évolution parallèle du taux de mortalité, avec un décalage fréquent de quelques jours.

Figure 4

Fluctuations quotidiennes du taux de mortalité de la population âgée de 55 ans ou plus et des températures minimales (Tmin) et maximales (Tmax) en France métropolitaine du 1er juin au 30 septembre, années 1975, 1976, 1983 et 2003

Figure 4

Fluctuations quotidiennes du taux de mortalité de la population âgée de 55 ans ou plus et des températures minimales (Tmin) et maximales (Tmax) en France métropolitaine du 1er juin au 30 septembre, années 1975, 1976, 1983 et 2003

Sources : Inserm-CépiDc, Insee et Météo-France.

49 Au cours de la vague de chaleur d’août 2003, mais également à une moindre échelle en 1976, on observe que le maintien des températures maximales à un niveau très élevé pendant plusieurs jours consécutifs n’est pas suivi d’une stagnation du taux de mortalité, mais d’un accroissement majeur de ce taux (figure 4).

2 – Modélisation de la relation entre les fluctuations quotidiennes des températures et de la mortalité au cours des étés 1975 à 2003

50 Les températures minimales (Tminj ) et maximales (Tmaxj ) quotidiennes du 1er juin au 30 septembre des années 1975 à 2003 prises en compte sont les moyennes spatiales des valeurs enregistrées par Météo-France, pondérées par la population des départements. La moyenne des températures sur des fenêtres disjointes de 10 jours (moyennes « décadaires ») et sur une période de 28 ans (1975-2002) constitue la température habituelle de référence.

51 Une moyenne mobile sur une fenêtre glissante de 10 jours des températures moyennes (moyenne entre la température minimale et la température maximale) a également été calculée. Elle reflète le climat moyen des dix jours qui précèdent un jour donné.

52 Enfin, pour tenir compte de l’évolution temporelle de la mortalité et des températures pendant les périodes de fortes chaleurs (cf. partie I), une variable d’accumulation des températures maximales a été calculée en sommant les nombres de degrés enregistrés au-dessus de 27°C, sur une fenêtre glissante de 10 jours. Ce nombre est remis à 0 si la température du jour est inférieure à 27°C. Le point de coupure de 27°C a été sélectionné par maximisation de la vraisemblance du modèle incluant les températures minimales et maximales et la variable d’accumulation des températures maximales.

53 Le nombre quotidien de décès (Oj ) sur les quatre mois d’été de juin à septembre et sur l’ensemble de la France métropolitaine suit une loi de Poisson d’espérance E(Oj )=µ j et de variance V(Oj ) = ? × E(Oj ), où ? est le paramètre de dispersion (McCullagh et Nelder, 1989). Ce paramètre vaut 1 lorsque les observations (nombre quotidien de décès) présentent uniquement des fluctuations de Poisson. Lorsque le paramètre de dispersion ? est supérieur à 1, on parle alors de surdispersion ou de dispersion extra-poissonnienne.

54 À titre d’illustration, le nombre quotidien de décès de personnes de 55 ans ou plus sur les quatre mois d’été de 1975 à 2003 est de 1 161 en moyenne, avec un écart type de 109 décès. Si le nombre quotidien de décès observait uniquement des variations de Poisson, l’écart type serait de 34 décès. Il y a donc surdispersion. Une surdispersion peut être due à une mauvaise spécification du modèle ou à un facteur d’hétérogénéité non pris en compte dans le modèle.

55 Après ajustement du modèle, la valeur du paramètre de dispersion est estimée par :

56

equation im9

57Oj est le nombre de décès observé le jour j (j variant du 1er juin au 30 septembre), equation im10 est le nombre de décès estimé par le modèle le jour j, N représente le nombre d’observations et p le nombre de paramètres estimés par le modèle ; et on calcule le khi-deux de Pearson.

58 Par ailleurs, le nombre de décès d’un jour donné est fortement corrélé à celui du jour qui le précède. Une partie seulement de cette autocorrélation est expliquée par l’association de la mortalité avec les températures, également fortement autocorrélées. Les observations au sein d’un été ne sont donc pas indépendantes, ce qui peut avoir une influence majeure sur l’estimation des variances des coefficients de régression.

59 Le nombre quotidien de décès (Oj ) a été modélisé à l’aide d’un modèle GEE (équations d’estimation généralisées) fondé sur une distribution de Poisson. Le modèle GEE constitue une extension des modèles linéaires généralisés à des données corrélées (Liang et Zeger, 1986). Cette approche permet de prendre en compte à la fois un paramètre de dispersion et une autocorrélation d’ordre 1 entre les observations. Le modèle s’écrit :

60

equation im11

61PopJ est l’estimation de la population de chaque année, Saison représente la saisonnalité de la mortalité (fonction quadratique sur les jours d’été).

62 Le niveau moyen de la mortalité de chaque été est ajusté sur celui des mois qui précèdent (octobre et novembre de l’année n – 1, avril et mai de l’année n) et dont la mortalité évolue de façon régulière et linéaire d’une année sur l’autre (Log(TMref )).

63 Les indicateurs de température (Indicateur de température) sont les températures minimales et maximales, la moyenne mobile des températures moyennes et la variable d’accumulation des températures maximales. Un décalage jusqu’au jour j – 5 et des interactions entre les variables de température sont également introduits dans le modèle. Ainsi, le modèle complet contient 29 indicateurs de température.

64 Afin de déterminer les indicateurs les plus explicatifs des fluctuations quotidiennes de la mortalité estivale, une procédure de sélection a été mise en œuvre. Pour ne pas séparer chaque interaction des deux indicateurs qui la composent au cours de la procédure de sélection, 17 groupes d’indicateurs de température ont été constitués. La sélection des groupes d’indicateurs de température a été réalisée en appliquant une méthode descendante (backward) fondée sur la valeur du paramètre de dispersion ?. On cherche à rendre ce critère le plus proche de 1. À chaque étape de la sélection, la méthode exclut le groupe d’indicateurs qui fait augmenter le moins le critère de surdispersion, jusqu’à ce que l’ensemble des indicateurs de température soit exclu du modèle.

65 Ce modèle a été ajusté sur les 25 premières années d’observation, de 1975 à 1999. Les années 2000 à 2003 ont alors constitué un ensemble de « validation », totalement disjoint de l’ensemble d’ajustement, et ont permis d’évaluer la capacité du modèle à prédire les taux de mortalité quotidiens à partir des températures observées, aussi bien sur les périodes de températures habituelles que pendant une vague de chaleur extrême.

Indicateurs de température les plus prédictifs de la mortalité quotidienne

66 Parmi l’ensemble des 29 indicateurs de température inclus dans le modèle complet, 10 ont été retenus comme étant les plus explicatifs des fluctuations quotidiennes de la mortalité en été :

  • Groupe 1 : température minimale du jour j (Tminj ), température maximale du jour j – 1 (Tmaxj – 1), et leur interaction ;
  • Groupe 2 : moyenne mobile sur 10 jours des températures moyennes ;
  • Groupe 3 : température maximale du jour j (Tmaxj ), accumulation des températures maximales au jour j (Atxj ) et leur interaction ;
  • Groupe 4 : température maximale du jour j – 2 (Tmaxj – 2), accumulation des températures maximales au jour j – 2 (Atxj – 2) et leur interaction.
Le modèle explique 79 % de la variabilité extra-poissonnienne des taux de mortalité quotidiens observés au cours des vingt-cinq étés de 1975 à 1999. En d’autres termes, l’ajout des variables de température dans le modèle divise par cinq le surcroît de variance par rapport à la variance poissonnienne. Le modèle permet de fournir une mesure quantitative du nombre de décès attendu un jour donné sur l’ensemble de la France métropolitaine, compte tenu des températures observées ce même jour et les dix jours précédents.

67 Le critère de qualité d’ajustement du modèle confirme la précision de l’ajustement du modèle aux observations sur la période 1975-1999 (figure 5). Cette figure montre les fluctuations quotidiennes des taux de mortalité observés et estimés pour les quatre étés 1975, 1976, 1983 et 1990, selon les indicateurs de température inclus dans le modèle. Pour ces quatre étés, on observe une surmortalité associée à un épisode de températures extrêmes, qui diffère en intensité et en configuration temporelle selon les épisodes.

68 Lorsque les températures enregistrées ne sont pas extrêmes, en intensité et en durée, les estimations des taux de mortalité quotidiens fournies par le modèle incluant uniquement le 1er groupe d’indicateurs (température minimale du jour j, température maximale du jour j – 1, et interaction) sont très proches des valeurs observées.

69 Ces indicateurs sont cependant insuffisants pour estimer les taux de mortalité quotidiens au cours des épisodes extrêmes et l’inclusion du 3e groupe dans le modèle améliore alors très nettement les estimations : c’est particulièrement le cas pour les étés 1975 et 1976. Le 4e groupe d’indicateurs améliore encore l’estimation de la mortalité pour la vague de chaleur de 1976 ; cet épisode est le plus important parmi ceux observés sur la période 1975-1999 (figure 5).

Figure 5

Taux de mortalité quotidiens observés et estimés dans la population âgée de 55 ans ou plus selon le modèle incluant respectivement 3 et 10 indicateurs de température, France métropolitaine, mois de juin à septembre des années 1975, 1976, 1983 et 1990

Figure 5

Taux de mortalité quotidiens observés et estimés dans la population âgée de 55 ans ou plus selon le modèle incluant respectivement 3 et 10 indicateurs de température, France métropolitaine, mois de juin à septembre des années 1975, 1976, 1983 et 1990

Tm : taux de mortalité observé, 1 groupe : taux de mortalité estimé avec trois variables (groupe 1), 4 groupes : taux de mortalité estimé avec 10 variables (groupes 1 à 4).
Sources : Inserm-CépiDc, Insee et Météo-France.

Le modèle fournit une très bonne prédiction de la mortalité à partir des données météorologiques

70 La capacité du modèle à prédire le nombre de décès d’un jour donné en fonction des seules températures du même jour et de celles des 10 jours précédents (modèle incluant les quatre groupes d’indicateurs de température sélectionnés) a été évaluée en comparant les nombres de décès quotidiens observés à ceux prédits sur une période de validation. La période de validation est constituée des quatre étés 2000 à 2003, tandis que la période d’ajustement, totalement disjointe de la période de validation, est constituée des 25 étés de 1975 à 1999.

71 La période de validation 2000-2003 a été choisie car elle comporte à la fois (i) des jours avec des températures proches des valeurs habituelles, (ii) des jours avec des températures légèrement supérieures aux valeurs habituelles, sur de courtes périodes, notamment en 2001 et en juillet 2003, et (iii) des jours avec des températures très nettement supérieures aux valeurs habituelles et sur une longue période (3 au 15 août 2003).

72 La figure 6 compare les fluctuations quotidiennes des taux de mortalité observés et attendus (fournis par le modèle en fonction des températures enregistrées). Les taux de mortalité prédits par le modèle se caractérisent par une très bonne adéquation avec les taux de mortalité observés, avec une légère sous-estimation de la mortalité pendant la vague de chaleur du 3 au 15 août 2003.

Figure 6

Taux de mortalité quotidiens observés et attendus dans la population âgée de 55 ans ou plus du 1er juin au 30 septembre 2000 à 2003, d’après le modèle établi sur la période 1975-1999, France métropolitaine

Figure 6

Taux de mortalité quotidiens observés et attendus dans la population âgée de 55 ans ou plus du 1er juin au 30 septembre 2000 à 2003, d’après le modèle établi sur la période 1975-1999, France métropolitaine

Sources : Inserm-CépiDc, Insee et Météo-France.

73 Les écarts entre les nombres de décès observés et prédits varient entre – 11 et + 52 décès par jour, ce qui représente moins de 5 % du nombre quotidien moyen de décès. Pour l’été 2003, seul le mois d’août présente un écart plus important entre nombres observés et prédits de décès, avec en moyenne 52 décès en excès par jour (4 % de la mortalité quotidienne moyenne), contre des écarts de – 18 décès pour le mois de juin, + 10 décès pour le mois de juillet et + 23 décès pour le mois de septembre.

Le modèle est stable selon la période, la classe d’âges, le sexe et les groupes de causes médicales de décès

74 La même analyse a été réalisée :

  • pour différents groupes d’années (avec ou sans les années 2000-2003, années paires seules ou impaires seules dans la période 1975-2003) ;
  • pour différentes populations (ensemble de la population, personnes de 55-74 ans, personnes de 75 ans ou plus, hommes de 55 ans ou plus, femmes de 55 ans ou plus) ;
  • pour différents groupes de causes médicales de décès : causes directement liées à la chaleur (coup de chaleur, hyperthermie, déshydratation), maladies cardiovasculaires, maladies respiratoires.
Dans tous les cas, les résultats sont très similaires à ceux obtenus chez les sujets âgés de 55 ans ou plus, aussi bien en termes de sélection des indicateurs de température qu’en termes d’adéquation du modèle aux valeurs observées (Fouillet et al., 2007b).

75 Ainsi, le modèle temporel établi sur la période 1975-1999 a fourni les estimations des nombres de décès d’un jour donné à partir des températures observées le même jour et les 10 jours précédents sur les périodes estivales (juin-septembre). Il permet d’expliquer 79 % de la variabilité extra-poissonnienne des nombres quotidiens de décès en été. Ce modèle a également fourni d’excellentes prédictions des nombres de décès quotidiens sur une période de validation recouvrant les 4 étés de 2000 à 2003, totalement disjointe de celle utilisée pour l’estimation des paramètres.

76 Au total, les fluctuations quotidiennes des températures et celles de la mortalité s’avèrent non seulement liées au cours des vagues de chaleur d’intensité et de durée particulièrement marquées mais encore, et très nettement, en situation « normale ». Ces deux types de variations présentent une certaine continuité, toutes deux faisant intervenir les températures maximales et minimales du jour considéré et des jours précédents et leurs interactions le même jour ou avec un décalage dans le temps ; elles présentent aussi une certaine spécificité, puisque seules les vagues de chaleur semblent faire intervenir de façon importante des indicateurs de température cumulatifs.

III – La relation entre températures et mortalité a-t-elle évolué après la vague de chaleur d’août 2003 ?

77 Depuis l’été 2004, un système de surveillance des températures et d’alerte en cas de prévision de la survenue prochaine d’une vague de chaleur a été mis en place par l’Institut de veille sanitaire (InVS) en collaboration avec Météo-France (Laaidi et al., 2006 ; Pascal et al., 2006).

78 Un « Plan national canicule » a également été mis en place par la direction générale de la santé (DGS) pour limiter les risques associés aux températures extrêmes (DGS, 2006). Ce plan comporte une série de mesures visant à réduire la vulnérabilité de la population aux vagues de chaleur : élaboration d’un système de surveillance des données de santé en temps réel, élaboration et diffusion par les médias de recommandations de prévention et de traitement des pathologies associées à la chaleur, équipements de climatisation dans les maisons de retraite et services hospitaliers, recensement et visites des personnes isolées et vulnérables dans chaque commune, renforcement de l’offre de soins pendant les périodes d’alerte. Toutes les directions générales du ministère chargé de la santé ainsi que la direction générale de la défense et de la sécurité civile ont été impliquées dans ce plan.

79 Ainsi, depuis 2004, la mise en place de mesures de prévention des risques sanitaires liés aux températures estivales excessives et celle d’un système de surveillance et d’alerte des vagues de chaleur du 1er juin au 31 août ont visé à réduire la vulnérabilité de la population aux températures extrêmes. La prise de conscience de ces risques, tant par la population que par les autorités sanitaires et institutions intervenant dans le domaine de la santé, a également pu contribuer à la réduction de la vulnérabilité de la population aux températures extrêmes.

80 Avec un recul, encore limité, de trois étés, mais comportant cependant déjà une vague de chaleur importante en juillet 2006, nous avons cherché à savoir si la relation entre chaleur et mortalité s’était modifiée. Après avoir décrit les fluctuations quotidiennes corrélatives des températures et de la mortalité au cours des étés 2004, 2005 et 2006, nous les comparerons à ce qu’on pouvait attendre compte tenu des observations tirées des 29 années précédentes, 1975 à 2003 (cf. partie II).

1 – Fluctuations quotidiennes corrélatives des températures et de la mortalité de 2004 à 2006

81 Au cours des trois périodes estivales 2004 à 2006, on observe toujours un lien très étroit entre les fluctuations quotidiennes des températures minimales et maximales et celles du niveau de la mortalité générale : les évolutions, aussi bien modérées qu’importantes, des températures moyennes maximales et minimales sont toujours accompagnées de fluctuations de la mortalité générale.

82 Deux périodes sont marquées par une augmentation des températures minimales et maximales à un niveau élevé pendant plusieurs jours consécutifs. La première est observée au cours de la seconde quinzaine du mois de juin 2005, pendant laquelle les températures minimales et maximales ont dépassé respectivement 17°C et 30°C pendant 8 et 9 jours. La seconde est observée entre les 11 et 28 juillet 2006. Une vague de chaleur a alors touché une grande partie de la France métropolitaine. Selon Météo-France, elle se situe au deuxième rang des vagues de chaleur les plus sévères observées en France depuis 1950, après la vague d’août 2003. La canicule de 2006 a dépassé en durée celle de 2003, mais elle a été moins intense et moins étendue géographiquement.

2 – Comparaison des mortalités observées et attendues compte tenu des températures enregistrées

83 Le modèle mettant en relation les fluctuations quotidiennes des températures et de la mortalité au cours des étés 1975 à 2003 a été appliqué aux températures enregistrées pendant les étés 2004 à 2006. Ce modèle permet ainsi de prédire le nombre quotidien de décès attendu à partir des températures enregistrées au cours des étés 2004 à 2006 (noté Ôj ), si la relation chaleur-mortalité était restée identique à celle mesurée sur la période 1975-2003.

84 De même, la prédiction du nombre quotidien de décès à partir des températures moyennes sur 30 ans permet d’obtenir une estimation de la mortalité de référence qui représente la mortalité que l’on observerait avec des températures habituelles. Le nombre quotidien de décès de référence est noté Êj .

85 Pour comparer les nombres quotidiens de décès observés pendant les étés 2004 à 2006 à ceux attendus, les trois indicateurs suivants sont considérés :

  • surmortalité observée Oj Êj  : écart entre le nombre observé de décès et le nombre de décès de référence ;
  • surmortalité attendue Ôj Êj  : écart entre le nombre attendu de décès si les conditions étaient celles de la période 1975-2003 et le nombre de décès de référence ;
  • écart de mortalité Oj Ôj  : écart entre le nombre observé de décès et le nombre attendu de décès si les conditions étaient identiques à celles de la période 1975-2003.
Au cours des étés 2004 et 2005, le nombre quotidien de décès observé est inférieur de 1 % à 6 % au nombre attendu de décès, indépendamment du niveau quotidien de la température. Sur l’ensemble de l’été (122 jours), le modèle surestime le nombre de décès des sujets âgés de 55 ans ou plus d’environ 7 077 décès en 2004 et de 7 298 décès en 2005 (tableau 4).

Tableau 4

Comparaison des nombres de décès observés et attendus par mois pour les étés 2004, 2005 et 2006, ensemble de la population, France métropolitaine

Tableau 4
Juin Juillet Août Septembre Été 2004 Nombre observé de décès Oj 39 018 39 973 39 090 39 359 157 440 Nombre attendu de décès Ôj 40 942 41 437 41 302 39 811 163 492 Nombre de décès de référence Êj 40 560 41 103 40 478 39 254 161 395 Surmortalité observée Oj – Êj – 1 542 – 1 130 – 1 388 105 – 3 955 Surmortalité attendue Ôj – Êj 382 334 824 557 2 097 Écart de mortalité Oj – Ôj – 1 923 – 1 464 – 2 212 – 452 – 6 052 2005 Nombre observé de décès Oj 40 709 39 772 38 862 38 942 158 285 Nombre attendu de décès Ôj 43 146 41 567 40 432 39 587 164 732 Nombre de décès de référence Êj 40 475 41 017 40 393 39 172 161 057 Surmortalité observée Oj – Êj 234 – 1 245 – 1 531 – 230 – 2 772 Surmortalité attendue Ôj – Êj 2 671 550 39 415 3 675 Écart de mortalité Oj – Ôj – 2 437 – 1 795 – 1 570 – 645 – 6 447 2006 Nombre observé de décès Oj 40 700 43 135 39 870 39 782 163 487 Nombre attendu de décès Ôj 40 954 48 151 39 365 39 371 167 841 Nombre de décès de référence Êj 39 979 40 514 39 898 38 692 159 083 Surmortalité observée Oj – Êj 721 2 621 – 28 1 090 4 404 Surmortalité attendue Ôj – Êj 975 7 637 – 533 679 8 758 Écart de mortalité Oj – Ôj – 254 – 5 016 504 411 – 4 354 Sources : Inserm-CépiDc, Insee et Météo-France.

Comparaison des nombres de décès observés et attendus par mois pour les étés 2004, 2005 et 2006, ensemble de la population, France métropolitaine

86 L’?écart entre la mortalité observée et la mortalité attendue au cours des deux étés 2004 et 2005 est compatible avec l’hypothèse d’une diminution de la vulnérabilité de la population à la chaleur. Cependant, cet écart est réparti de façon homogène sur l’ensemble des jours de ces deux étés (du 1er juin au 30 septembre) et s’avère indépendant des fluctuations quotidiennes de la température : cette observation ne nous semble donc pas corroborer cette hypothèse.

87 On ne peut pas non plus écarter formellement l’hypothèse selon laquelle les décès des personnes les plus vulnérables aux vagues de chaleur survenus en août 2003 auraient pu réduire, non pas la vulnérabilité de la population, mais le niveau général de la mortalité estivale observée au cours des étés 2004 et 2005, par un effet de sélection (Toulemon et Barbieri, à paraître ; Valleron et Boumendil, 2004). À l’encontre de cette hypothèse, l’importante surmortalité observée à la suite de la vague de chaleur de l’été 1975 (+ 3 000 décès) a été suivie en 1976 d’une surmortalité majeure (+ 5 000 décès) également bien prédite par le modèle. Cette hypothèse ne nous semble donc pas non plus très plausible.

88 Il reste que toutes les évolutions de la mortalité estivale postérieures à la vague de chaleur d’août 2003 ne lui sont et ne lui seront pas nécessairement liées, de façon directe ou indirecte. Nos observations sont donc compatibles avec une troisième hypothèse : celle d’évolutions concomitantes de la mortalité générale et de facteurs indépendants de la vulnérabilité de la population à la chaleur. Cette hypothèse a d’ailleurs pour partie été avancée pour expliquer la sous-mortalité proche de 25 000 décès observée sur l’ensemble de l’année 2004 en France, y compris sur les mois non estivaux (Toulemon et Barbieri, à paraître).

3 – La surmortalité observée lors de la vague de chaleur de juillet 2006 est inférieure à la surmortalité prédite par le modèle

89 Sur les trois mois de juin, août et septembre 2006, les fluctuations quotidiennes de la mortalité observées sont parfaitement conformes à celles qu’on pouvait attendre à partir des températures quotidiennes observées et de la modélisation de la relation température-mortalité sur la période 1975-2003 (figure 7).

Figure 7

Nombre quotidien de décès observés et attendus de personnes âgées de 55 ans ou plus du 1er juin au 30 septembre 2006, France métropolitaine

Figure 7

Nombre quotidien de décès observés et attendus de personnes âgées de 55 ans ou plus du 1er juin au 30 septembre 2006, France métropolitaine

Sources : Inserm-CépiDc, Insee et Météo-France.

90 Au cours de la vague de chaleur du 11 au 28 juillet 2006, la surmortalité observée parmi les personnes de 55 ans ou plus est de 1 727 décès (2 087 décès en excès sur l’ensemble du mois de juillet), ce qui représente une augmentation de 8 % de la mortalité. La surmortalité attendue est estimée à 6 082 décès (7 181 décès sur l’ensemble du mois), soit une augmentation de la mortalité de 29 %.

91 On observe donc au cours de cette vague de chaleur une surmortalité certes statistiquement significative et non négligeable, mais aussi très sensiblement inférieure à la surmortalité attendue compte tenu des températures observées. Ainsi, l’écart entre les nombres de décès observés et attendus, si la relation entre les températures et la mortalité en 2006 était restée identique à celle de la période 1975-2003, est de – 4 355 décès chez les personnes de 55 ans ou plus sur les 18 jours de la vague de chaleur. Il est de – 5 094 décès pour l’ensemble du mois de juillet 2006.

92 Lorsque l’on considère la population dans son ensemble, l’excès de mortalité est proche de 2 100 décès, ce qui représente une augmentation de 9 % de la mortalité. La surmortalité attendue est estimée à 6 500 décès, soit une augmentation de la mortalité de 27 % (tableau 5). L’?écart entre les nombres de décès observés et attendus si le lien entre les températures et la mortalité en 2006 était resté identique à celui de la période 1975-2003 est de – 4 400 décès sur les 18 jours de la vague de chaleur.

Tableau 5

Surmortalité observée et attendue pour l’ensemble de la population et par sexe du 11 au 28 juillet 2006 en France métropolitaine

Tableau 5
Nombre de décès de référence Ê Ratio de surmortalité Surmortalité Observé O / Ê Attendu Ô / Ê O / Ô Observée O – Ê [IC95 %] Attendue Ô – Ê [IC95 %] O – Ô [IC95 %] Ensemble 23 519 1,09 1,27 0,85 2 062 6 458 – 4 397 [1 339 ; 2 790] [6 178 ; 6 726] [– 5 209 ; – 3 566] Hommes 12 213 1,08 1,21 0,89 979 2 552 – 1 573 [568 ; 1 389] [2 408 ; 2 695] [– 2 028 ; – 1 118] Femmes 11 306 1,10 1,35 0,81 1 083 3 906 – 2 824 [648 ; 1 517] [3 740 ; 4 073] [– 3 327 ; – 2 320] O : Nombre observé de décès ; Ô : Nombre attendu de décès ; Ê : Nombre de décès de référence. [IC95 %] : Intervalle de confiance à 95 %. Sources : Inserm-CépiDc, Insee et Météo-France.

Surmortalité observée et attendue pour l’ensemble de la population et par sexe du 11 au 28 juillet 2006 en France métropolitaine

93 Les surmortalités observée et attendue concernent plus particulièrement les personnes les plus âgées, aussi bien chez les hommes que chez les femmes. Pour les personnes de 75 ans ou plus, l’excès observé est proche de 1 300 décès tandis que la surmortalité attendue atteint 5 100 décès. La surmortalité observée est donc inférieure à celle attendue de près de 3 800 décès sur les 18 jours de la vague de chaleur.

94 La structure du « déficit de surmortalité » observé au cours de l’été 2006 est donc notablement différente de celle qui a été observée au cours des étés 2004 et 2005 : les mortalités observées et prédites sur la base des températures coïncident parfaitement avant et après la vague de chaleur de juillet 2006 et le déficit observé est lié aux températures quotidiennes et exclusivement limité aux 18 jours de la vague de chaleur.

95 Ces observations suggèrent que la vulnérabilité de la population aux vagues de chaleur a bien décru, sans que l’on puisse analyser les parts des deux composantes probables de cette décroissance, que sont (i) la prise de conscience générale à la fois des risques liés aux températures estivales extrêmes et durables, de la nécessité et de la possibilité matérielle de s’en protéger et d’en protéger les personnes les plus vulnérables, (ii) la mise en place par les autorités et institutions intervenant dans le domaine de la santé de mesures de prévention des risques liés à la chaleur estivale en général et aux vagues de chaleur en particulier, incluant notamment un système de surveillance des vagues de chaleur et de gestion de niveaux gradués d’alerte (DGS, 2006).

Conclusion

96 L’?analyse de la mortalité lors des principales vagues de chaleur qui se sont produites en France entre 1971 et 2003 montre que malgré l’impact exceptionnel de la canicule de 2003, celle-ci partage de nombreuses caractéristiques épidémiologiques avec les cinq autres vagues de chaleur enregistrées sur la période. Certaines populations sont particulièrement vulnérables aux vagues de chaleur : les personnes âgées et les sujets ayant certaines pathologies spécifiques. Cependant, aucun groupe de la population ne peut être considéré comme protégé des risques associés aux vagues de chaleur.

97 L’?analyse du lien entre les variations temporelles de la mortalité et celles des températures en France métropolitaine a permis d’identifier des indicateurs de température très prédictifs de la mortalité quotidienne en été sur l’ensemble de la période 1975-2003. La meilleure prédiction du nombre de décès un jour donné a été obtenue à partir des températures observées ce jour-là et les 10 jours précédents ; elle fait intervenir à la fois des indicateurs cumulatifs et des interactions entre indicateurs caractérisant un même jour ou des jours successifs.

98 Bien que plusieurs vagues de chaleur aient entraîné de fortes surmortalités en France depuis 1971, les risques liés à la chaleur n’ont été considérés comme majeurs par la population générale et par les pouvoirs publics au niveau national qu’après la vague exceptionnelle d’août 2003. À partir de 2004, un plan national canicule, incluant des mesures de prévention et un système de surveillance et d’alerte, a été mis en place ; il est opérationnel chaque été du 1er juin au 31 août. À cet effort de prévention et de surveillance s’ajoute une prise de conscience générale par l’ensemble de la population des risques associés aux fortes chaleurs et de la vulnérabilité de certaines catégories de population.

99 L’?application sur la période 2004-2006 du modèle établi sur la période 1975-2003, qui relie la mortalité et les températures, a permis une évaluation de l’évolution des comportements de la population vis-à-vis des fortes chaleurs estivales. En particulier, pendant la vague de chaleur du 11 au 28 juillet 2006, le modèle a permis d’estimer que la surmortalité aurait dû atteindre environ 6 500 décès compte tenu des températures enregistrées. La surmortalité réellement observée, bien qu’importante, a été nettement moins forte que celle attendue : elle est de 2 100 décès, soit environ un tiers de la surmortalité attendue. Cette situation peut être interprétée comme le résultat d’une réduction de la vulnérabilité de la population aux vagues de chaleur estivales. Celle-ci reste toutefois importante et nécessite que l’effort de prévention soit maintenu.

100 Au total, la force du lien qui existe en régime « normal » entre les fluctuations quotidiennes des températures et de la mortalité, la fréquence relativement élevée des vagues de chaleur « majeures » et la surmortalité considérable qui leur est systématiquement associée, ainsi que l’ampleur même de la réduction de la surmortalité durant la vague de chaleur de juillet 2006 soulignent, chacune à leur façon, l’importance des risques de mortalité liés à la chaleur et le rôle majeur que peut jouer l’adaptation des populations face à ces risques.

101 Contributions. Grégoire Rey et Anne Fouillet ont contribué de façon égale à l’analyse, à l’interprétation des données et à l’écriture de cet article. Denis Hémon et Éric Jougla ont mis en place et dirigé cette étude. Ils ont également fourni une expertise épidémiologique et statistique et participé à l’interprétation des données.

Remerciements

Nous remercions vivement les institutions qui se sont impliquées à divers titres dans la réalisation de ce travail, ainsi que les personnes avec lesquelles nous avons collaboré au sein de ces institutions : G. Pavillon, F. Laurent, C. Jacquart et A. Le Toullec à l’Inserm-CépiDc-IFR69 ; K. Laaidi, V. Wagner et P. Empereur-Bissonnet à l’InVS ; G. Desplanques à l’Insee ; P. Bessemoulin, P. Frayssinet, J.-M. Veysseire et G. Gayraud à Météo-France.

Bibliographie

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Notes

  • [*]
    Inserm, U754, IFR69, Université Paris Sud XI, Recherches en épidémiologie environnementale des cancers, Villejuif, France.
  • [**]
    Inserm, CépiDc, IFR69, Université Paris Sud XI, Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès, Le Vésinet, France.
  • [1]
    Cet article constitue une synthèse de travaux récents (Fouillet et al., 2007a ; Fouillet et al., 2007b ; Rey et al., 2007).
  • [2]
    Sur la base des fluctuations de la mortalité quotidienne observées pendant la période de référence, des intervalles de fluctuation à 95 % ont été calculés. Ce sont les intervalles dans lesquels la probabilité d’observer le nombre quotidien de décès à venir s’il avait les mêmes espérance et variance que ceux observés sur la période de référence est égale à 95 %. Les intervalles de fluctuation sont donc des intervalles de prédiction.
  • [3]
    Soit la 8e (1971–1978), la 9e (1979–1999) et la 10e (depuis 2000).
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