Notes
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[1]
Ekblom B., Frisk M., 1961, « On changes in the death risk in mental hospitals in Finland during the years 1920-1955 »,. Acta Psychiatrica Scandinavica,. 36, p. 300-324.
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[2]
Von Bueltzingsloewen I. (dir.), 2005, Morts d’inanition. Famine et exclusions en France sous l’Occupation, Presses universitaires de Rennes, 306 p.
Florence Vienne, Une science de la peur. La démographie avant et après 1933, Francfort, Peter Lang, Publications universitaires européennes, 2006, 214 p.
1L’ auteur se saisit judicieusement de la peur du vieillissement des populations qui avait cours dans les milieux du Troisième Reich pour analyser en profondeur le rôle du nazisme dans l’histoire de la démographie. L’ analyse est d’autant plus pertinente que le problème du vieillissement de la population et les « craintes » qui en découlent obsèdent aujourd’hui les nations les plus riches de la planète et les organismes internationaux.
2Dans la première partie de son ouvrage, intitulée « La peur du vieillissement des populations hante aujourd’hui les sociétés occidentales » en écho au fameux « spectre (qui) hante l’Europe » de K. Marx, F. Vienne fait œuvre originale en se penchant sur la démographie des années trente et ses outils d’analyse. Elle pose d’emblée deux questions qui seront au centre de sa réflexion : d’où nous vient la peur du vieillissement de la population ? Quel rôle a-t-elle joué dans l’histoire ?
3L’?auteur y répond en analysant la genèse de cette peur. Elle rappelle tout d’abord que la communauté scientifique de l’Allemagne des années trente est fortement impliquée dans les exactions du régime nazi. En étudiant l’histoire de la démographie en Allemagne, Florence Vienne comble une lacune de l’historiographie des sciences telle qu’elle s’est développée dans les dernières décennies.
4Elle démontre que la grande majorité des scientifiques ayant traité de la démographie dans la première moitié du XXe siècle (Fisher, Gini, Burgdörfer, Kuzcynsky, etc.) ont mis au point des méthodes, concepts et outils d’analyse démographique qui reposaient sur des hypothèses communes quelles que soient leurs attaches idéologiques. Ils raisonnent tous en termes de population fermée (sans migration) et de population stable, analysent la population en termes de reproduction en biologisant le rôle de la femme, et simulent une évolution de la population sous forme de projection. Tous postulent le déclin des populations occidentales et soutiennent que l’accroissement du nombre de personnes âgées dans une population est annonciateur d’une disparition future.
5Pour appuyer sa démonstration, Florence Vienne compare les travaux et écrits de Burgdörfer, « l’idéologue fou nazi », à ceux de Kuzcynsky, « le savant juif » . Il est frappant de voir à quel point les deux hommes convergent dans leur façon de poser la question de la population et d’y répondre.
6Ils partagent la même vision du rôle qui doit être assigné aux projections de population : faire en sorte que les pouvoirs publics interviennent pour que les résultats des calculs ne se concrétisent pas. Ils plaident pour une politique démographique qui lutte contre le vieillissement en relevant la fécondité des personnes ayant les qualités requises. La stérilisation forcée a d’ailleurs été appliquée à 20 000 hommes et autant de femmes en Allemagne et elle n’a pas débuté avec le régime nazi.
7Un autre intérêt de l’ouvrage est d’insister sur le rôle des représentations graphiques. C’est au début des années 1930 qu’elles prennent une grande importance. Les différentes formes de la pyramide des âges (passée, idéale et future) contribuent à accentuer la peur d’une disparition des « races » supérieures, du fait de la baisse de la fécondité et du vieillissement de la population qui en découle.
8Les statisticiens des populations de l’époque ont presque tous en commun une vision ethno-raciale de la population. En témoignent les louanges presque unanimes en Allemagne et dans le monde entier qui accueillent la première édition de Volk ohne Jugend (Peuple sans jeunesse) de Burgdörfer, dont Florence Vienne a patiemment rassemblé tous les comptes rendus. Elle montre que privilégier la reproduction dans l’analyse démographique conduit à une conception des races sur la base d’une « lignée de sang » verticale.
9En analysant les activités de Burgdörfer pendant et après la période nazie, l’auteur nous amène à la question de la responsabilité des scientifiques associés à un système politique coupable de crimes contre l’humanité. La réhabilitation de Burgdörfer après la seconde guerre mondiale ne viserait-elle pas à réhabiliter en partie les politiques démographiques produites par la peur du vieillissement des populations du monde occidental ? Sinon, quel sens donner aux déclarations prononcées lors de son oraison funèbre, citées par Florence Vienne : « Bien avant le Troisième Reich, il était le porte-bannière d’idées sur l’aide aux familles qui sont aujourd’hui une partie incontestée de la politique familiale. Il a probablement cru, comme bien d’autres idéalistes, que le national-socialisme pourrait devenir l’exécuteur de ses propres idées » ?
10Kamel Kateb
Alain Monnier, Démographie contemporaine de l’Europe. Évolution, tendances, défis. Paris, Armand Colin, 2006, 416 p.
11L’?ouvrage donne en 400 pages une vue d’ensemble de l’évolution démographique de la population européenne depuis la fin de la seconde guerre mondiale et de son avenir possible dans les deux ou trois prochaines décennies. Il offre une description systématique des composantes de la croissance démographique et de leurs tendances. Il accompagne ce tableau d’une analyse des facteurs à l’œuvre dans ces évolutions, qu’ils soient politiques, économiques, sociaux ou culturels, et de vues sur les implications des phénomènes démographiques dans ces mêmes domaines de la vie des sociétés européennes. C’est donc un large panorama des mouvements démographiques, de leurs causes et de leurs conséquences sur près d’un siècle, à cheval sur la fin du précédent millénaire et le début du nouveau.
12L’Europe englobe ici l’ensemble de la Russie (ainsi que les États devenus indépendants avec la dissolution de l’URSS dans sa fraction occidentale : États baltes, Biélorussie, Moldavie, Ukraine). Elle adopte, quand c’est possible, les frontières politiques d’aujourd’hui, par exemple en Europe centrale ou dans les Balkans, pour créer la continuité des séries statistiques, si utile à la compréhension des évolutions souvent lentes de la démographie.
13Dans une première partie, de sept chapitres, c’est cet ensemble large qui est considéré, au fil de l’histoire. D’abord, le mouvement ample et séculaire de la transition démographique, comme prémisse et comme paradigme général qui permet de parler, pour la période d’après la seconde guerre mondiale, de démographie « post-transitionnelle ». Puis on y trouve un suivi de plus en plus serré sur des périodes de plus en plus courtes de l’évolution des différents phénomènes démographiques, entre 1945 et 1970, dans les années 1970 et 1980 et dans la décennie 1990. Enfin, l’auteur présente une projection vers l’avenir et des hypothèses sur ce que pourraient être les tendances longues en matière de fécondité et de mortalité et une confrontation entre ces évolutions possibles et le schéma général de la transition démographique.
14Pour ordonner la présentation des faits et des tendances dans un si grand nombre de pays, une première distinction est faite entre Europe de l’Ouest et Europe de l’Est. Le régime démographique de l’Europe de l’Est s’est distingué de celui de l’Europe de l’Ouest pendant toute la période socialiste, de 1950 à 1990, et il continue à s’en distinguer dans la dernière décennie du XXe siècle, les changements socio-politiques consécutifs à la chute du Mur de Berlin et au démantèlement de l’URSS ayant provoqué des secousses démographiques dont l’onde de choc se fait encore sentir.
15Au sein de chacune de ces deux Europes, Alain Monnier distingue des grandes régions, plus ou moins homogènes du point de vue démographique, et qui peuvent servir de cadre de référence :
16En Europe de l’Ouest :
- l’Europe septentrionale, comprenant le Danemark, la Finlande, la Norvège et la Suède ;
- l’Europe occidentale : Allemagne (réduite jusqu’à la réunification à sa partie occidentale), Autriche, Belgique, Irlande, France, Luxembourg, Pays-Bas, Royaume-Uni et Suisse ;
- l’Europe méridionale : Espagne, Grèce, Italie et Portugal.
- l’Europe centrale, composée de ce qu’on appelait les « pays socialistes » : RDA, Bulgarie, Hongrie, Pologne, Roumanie, Tchécoslovaquie (en distinguant le cas échéant les républiques tchèque et slovaque), ainsi que l’Albanie et la Yougoslavie (et éventuellement les nouveaux États nés de son éclatement) ;
- l’Europe orientale, c’est-à-dire les anciennes républiques soviétiques européennes : États baltes, Biélorussie, Moldavie, Russie et Ukraine.
17La diversité qui caractérisait dans la première partie l’Europe géographique prend une forme différente dans l’espace politique de l’Europe communautaire. Dans la plupart des pays, le sentiment d’être un Européen régresse depuis dix ans, et le sentiment national exclusif demeure très fort, voire se développe, y compris dans les pays fondateurs, ayant la plus longue expérience de l’Europe. En même temps, l’absence d’une langue commune prive l’Europe d’un puissant facteur d’unification. À cet égard, la reconnaissance de vingt langues officielles illustre la diversité linguistique de l’Europe, l’anglais étant loin de jouer le rôle d’une langue de communication.
18Dans ce contexte, la démographie apparaît-elle comme un élément supplémentaire de diversification ou y a-t-il une certaine convergence entre pays ? Il n’y a pas de réponse univoque à cette question. Du point de vue de la dynamique de la population, tous les pays de l’Union connaissent une faible croissance, fondée essentiellement sur l’immigration (à quelques exceptions près, dont la plus notable est celle de la France). Tous les pays qui constituaient l’Europe des Quinze, ainsi que Chypre et Malte, bénéficient d’une situation sanitaire sans équivalent dans le monde, à l’échelle d’un ensemble humain de cette dimension. Tous les pays également enregistrent des fécondités faibles, voire très faibles, mais les différences entre pays sont révélatrices de situations qui demeurent très diverses. Modalités de constitution des couples, possibilités de concilier vie familiale et professionnelle, intervention de l’État, parité entre hommes et femmes, rôle de la famille élargie : autant d’éléments qui dessinent une carte complexe des déterminants de la fécondité dans l’Union européenne. En outre, les nouveaux adhérents d’Europe centrale se distinguent encore par une mortalité sensiblement plus forte en dépit des progrès récents, et par une fécondité qui reflète sans doute les difficultés de la transition vers le libéralisme.
19Néanmoins, tous les pays de l’Union européenne vont être confrontés à un même avenir démographique, porteur de défis partagés, et c’est peut-être ce qui les unit le plus étroitement.
20Pendant de longues années, Alain Monnier a constitué patiemment la base de données statistiques qui a alimenté la rubrique de conjoncture européenne de la revue Population. L’ouvrage s’appuie largement sur cet outil d’où ont progressivement été éliminés les manques, les faiblesses, les incohérences et les défauts de comparabilité. Le fondement statistique de l’ouvrage est donc aussi complet et irréprochable que possible.
21Cette systématisation a une conséquence importante lorsque, dépassant la description minutieuse des tendances démographiques, on en vient à avancer une explication. Le tableau dont on doit rendre compte n’offre plus les contrastes simples dont on se contente le plus souvent et qu’il est relativement facile de théoriser, mais il fait apparaître une série de nuances, voire de contradictions, qu’il faut bien également considérer dans un schéma interprétatif. On ne peut pas parler de déclin du mariage dans les social-démocraties du Nord de l’Europe sans voir la distance qui sépare aujourd’hui sur ce point la Suède du Danemark ; on ne peut pas généraliser sur la résistance au changement des pays « familialistes » du Sud en omettant ce qui sépare la Grèce ou le Portugal de l’Italie ou de l’Espagne. On lira ainsi avec un grand intérêt l’analyse extrêmement riche et nuancée qu’Alain Monnier fait des évolutions récentes et futures de la fécondité en Europe au chapitre 6, en partant d’une opposition simple et radicale entre pays nordiques et pays méridionaux, puis en prenant en compte progressivement les divers éléments qui viennent compliquer le panorama quand l’observation se fait plus large et plus fine tout à la fois et que les éléments simples d’interprétation ne suffisent plus.
22Outre la maîtrise des instruments de mesure, ceci suppose aussi une grande familiarité avec les schémas explicatifs qui ont été proposés au fil du temps pour rendre compte des évolutions démographiques en cours dans les pays industriels et la capacité de les utiliser souplement, sans dogmatisme, au gré des besoins. L’?opposition entre lectures transversale et longitudinale des changements en matière de fécondité, qui a divisé la communauté scientifique à certains moments, est ici dépassée par un usage de l’une et l’autre catégories d’indice selon qu’il faut faire apparaître par exemple le poids de la conjoncture économique ou politique sur les mesures « du moment » ou l’inscription de transformations lentes et progressives dans l’histoire des générations. Le recours aux interprétations « individualisantes », qui expliquent les évolutions par les choix des acteurs en matière familiale, est également équilibré par des analyses de type institutionnel, au niveau macro-social, qui donnent la prédominance aux interventions des États-providence et au poids des politiques. Les progrès de l’espérance de vie sont également vus comme le résultat de progrès considérables effectués dans la lutte contre la mort, conséquence d’avancées scientifiques et technologiques, de la mise en place dans tout le continent de services de santé très développés, ainsi que de systèmes de protection sociale permettant au plus grand nombre d’accéder aux soins dans des conditions relativement égalitaires. Mais cette vue est complétée par celle d’un changement dans les comportements de la population et dans les attitudes, à l’égard de la santé comme à l’égard de la mort, et par l’idée que la santé est aussi de la responsabilité de chacun, à la suite de campagnes de prévention inscrites dans un mouvement général tendant à donner une place centrale à l’individu, à son épanouissement personnel.
23Cette utilisation souple d’une diversité de schémas explicatifs est d’autant mieux venue qu’Alain Monnier s’est donné pour objet la considération simultanée de l’ensemble des composantes de la croissance démographique, natalité, mortalité et migrations, et des conséquences structurelles qui accompagnent les fluctuations des rythmes d’évolution. Cette mise en relation était l’objet de la théorie de la transition démographique présentée au premier chapitre et qui fut sans doute pertinente pour le passé. L’?ouvrage d’Alain Monnier démontre de façon très convaincante que la clé de lecture ne fonctionne plus pour l’Europe après 1950, et il offre d’autres grilles qui, sans avoir l’ambition démesurée d’être universelles, stimulent le lecteur quel que soit son niveau d’expertise : étudiant, enseignant, chercheur, car chacun y accédera sans difficulté et avec grand profit.
24Patrick Festy
Renzo Derosas et Frans van Poppel (éd.), Religion and the Decline of Fertility in the Western World, Dordrecht, Springer, 2006, XI-320 p.
25Cet ouvrage est un recueil des actes de l’Atelier « Culture and the decline of fertility : religious norms, education and the changing status of women » organisé, à l’initiative des éditeurs de l’ouvrage, à l’Université internationale de Venise (San Servolo) les 15 et 16 octobre 2004.
26Sur le plan théorique, le point de départ de Derosas et van Poppel est de reconsidérer le rôle de la religion dans la transition démographique en Europe en l’inscrivant dans le contexte historique et religieux des pays de l’Europe de l’Ouest. En effet, comme le remarquent les auteurs, les aspects culturel et religieux, pris en considération au début du processus de la transition démographique en Europe, ont ensuite perdu de l’importance dans l’explication de la première transition de la fécondité à la suite des résultats du Projet de Princeton (European Fertility Project). C’est seulement à partir des années 1990, grâce aux études de Greenhalgh, Kertzer et McQuillan, qu’une nouvelle vague d’études a réhabilité la dimension culturelle dans l’analyse des comportements démographiques.
27C’est dans ce cadre que s’inscrit cet ouvrage, dont le but principal est de mieux saisir du point de vue démographique le rapport qui s’est établi au cours de l’histoire entre religion et fécondité en Europe. Il s’agit, en outre, d’une étude comparative dans laquelle les auteurs utilisent des données de type micro ; ils se proposent d’analyser les rapports entre religion, vie familiale et fécondité dans leur contexte historique et institutionnel.
28L’?ouvrage est divisé en douze chapitres ; dans le chapitre introductif, Derosas et van Poppel expliquent les objectifs et le cadre théorique de cette recherche ; ils analysent et résument les différents travaux qui ont fourni la matière de l’ouvrage.
29Le deuxième chapitre, écrit par K. A. Lynch, est aussi théorique : il offre une vue d’ensemble des différentes approches explicatives du rôle des facteurs culturels et religieux pendant la première transition démographique en Europe. L’?auteur apporte d’importants éclaircissements sur les origines de la pratique du contrôle des naissances, laquelle existait en effet bien avant la transition démographique et n’?entrait pas en contradiction avec les dogmes religieux. Les réseaux sociaux ont eu une importance fondamentale car ils ont permis la diffusion des idées sur le planning familial. L’hypothèse ici est que le planning familial dans cette phase de la transition découle d’une transformation de la relation au sein du couple. Par contre, les différences dans l’adoption du contrôle des naissances entre groupes religieux découlent du pouvoir institutionnel et politique au sein de chaque religion.
30Dans le troisième chapitre, C. Goldscheider reprend les éléments développés dans le chapitre précédent sur l’importance des institutions religieuses et politiques et l’influence qu’elles peuvent exercer sur les valeurs liées à la famille et à la reproduction. Il prend pour exemple la communauté musulmane d’Israël et sa fécondité plus forte par rapport aux communautés juive et chrétienne présentes. L’?explication donnée par Goldscheider souligne surtout la politique de ségrégation communautaire de l’État d’Israël, qui a poussé au maintien d’une fécondité élevée et de rapports de genre de type inégal au sein de la société palestinienne. L’État a donc un rôle très important dans les comportements démographiques, malgré l’absence de politiques spécifiques de planning familial.
31Les deux chapitres suivants s’intéressent à la relation entre fécondité et religion aux Pays-Bas. Dans le chapitre 4, J. Schellekens et F. van Poppel étudient les différences de fécondité dans le mariage entre groupes religieux (catholiques, juifs, protestants réformés) dans la ville de la Haye dans la seconde moitié du XIXe siècle. Leur analyse se base sur les données des registres de population. Suivant les hypothèses de Goldscheider (1971), ils arrivent à démontrer que les juifs n’ont pas été précurseurs dans la transition de la fécondité des couples mariés. Puis ils expliquent les différences dans le rythme de baisse de la fécondité par les processus de sécularisation différents des trois communautés religieuses.
32Dans le cinquième chapitre, J. Kok et J. van Bavel étudient la transition de la fécondité dans le mariage dans la ville de Rotterdam et dans la province d’Utrecht entre 1845 et 1945. Ils observent qu’aux Pays-Bas, la fécondité a baissé plus lentement que dans les pays voisins. Ce rythme de baisse plus faible est-il imputable à la religion ? Et si oui, quels sont les aspects de la religion qui l’ont provoqué ? Les auteurs concluent que la religion peut influencer fortement les comportements démographiques lorsqu’elle arrive à établir un contrôle social large sur les croyants.
33C’est en Allemagne et précisément dans la région de Baden en 1869 que nous amène E. Benz dans le sixième chapitre. Il nous montre les interactions entre la révolution contraceptive de l’époque, le Kulturkampf et la sécularisation. La division des pouvoirs entre l’État et l’Église catholique a conduit l’État de Baden à promouvoir une politique très libérale qui l’a rendu précurseur en plusieurs domaines, dont la contraception. Les catholiques sont aussi précurseurs dans l’utilisation du contrôle des naissances, pratiqué dans cette région allemande bien avant 1850. La transition de la fécondité n’?avait donc dans ce cas aucun rapport avec la religion.
34K. McQuillan s’intéresse dans le chapitre 7 aux différences de fécondité entre groupes religieux avant la transition démographique en Alsace. Il utilise, pour la période 1750-1882, les données des registres paroissiaux et de l’état civil de cinq villages. L’?auteur souligne l’importance des institutions religieuses pour expliquer les différences dans les comportements démographiques entre catholiques et luthériens. Il rappelle notamment le pouvoir et l’influence de l’Église catholique en Alsace au XIXe siècle. Les différences de fécondité sont aussi imputables à un rapport plus égalitaire entre les époux luthériens et à la plus grande attention accordée à l’éducation chez les protestants.
35Le huitième chapitre, réalisé par A.-F. Praz, est dédié à l’étude du rôle institutionnel de l’État comme médiateur entre fécondité et religion dans deux cantons suisses, Fribourg (catholique) et Vaud (protestant) dans la période 1860-1930. L’?analyse des politiques de scolarisation menées dans les deux cantons est très intéressante : elles sont fondées sur les valeurs religieuses et elles ont eu un impact sur le coût de l’enfant et, par suite, sur la fécondité. Pour les protestants, la hausse du coût de l’enfant a été une forte motivation pour développer la pratique du contrôle des naissances. Chez les catholiques, par contre, des économies d’argent furent réalisées grâce à la discrimination envers les filles dans la scolarisation. C’est un bel exemple de l’intégration de la variable genre dans l’explication des différences de fécondité selon la religion.
36Dans le chapitre 9, R. Derosas analyse les différences de fécondité entre juifs et chrétiens à Venise entre 1850 et 1869. Il se propose ainsi de vérifier l’hypothèse de Goldscheider sur les groupes minoritaires. Il arrive à montrer que les juifs qui vivent dans le ghetto et qui n’ont pas migré ont une fécondité plus élevée que les juifs qui vivent hors du ghetto et que les catholiques, l’hypothèse des groupes minoritaires étant ainsi confirmée.
37Les chapitres 10 et 11 sont consacrés à l’étude des différences de fécondité au XIXe siècle au Canada : P. Thornton et S. Olson s’intéressent à la ville de Montréal et D. Gauvreau au pays entier. Dans les deux cas, les différences observées reviennent non seulement à la religion (catholique et protestante) mais aussi aux différences culturelles dues à l’origine ethnique des groupes (irlandais, français, anglais). La religion ne peut donc pas expliquer complètement les différences de fécondité qui sont dans ce cas attribuées aux origines ethniques.
38L’?ouvrage se termine par une synthèse de S. Kertzer qui résume les différents chapitres et leur portée scientifique. Il rappelle ainsi comment, après une longue période au cours de laquelle la religion avait perdu son pouvoir explicatif dans la transition de la fécondité, il y a aujourd’hui un regain d’intérêt pour réintroduire cette variable. Ceci parce que des pays où le rôle de l’Église catholique a toujours été très important, comme l’Italie et l’Espagne, ont atteint des niveaux de fécondité parmi les plus bas au monde.
39En conclusion, l’intérêt scientifique de cet ouvrage est considérable car il nous donne un nouvel aperçu de la relation entre fécondité et religion à partir de travaux de démographie historique. En même temps, comme le montre très bien l’étude de Goldscheider, il s’agit aussi d’une thématique très actuelle qui nous porte à réfléchir sur l’importance de cette relation, mise de côté, à tort, dans les théories de la transition de la fécondité. Remarquons enfin les efforts des auteurs pour élaborer les bons indicateurs de la dimension religieuse.
40Elena Ambrosetti
Fiorenzo Rossi, Silvia Meggiolaro, Da Nord Est a Nord Ovest. Gli emigrati veneti in Italia nel XX secolo (Du Nord-Est au Nord-Ouest. Les émigrés vénitiens en Italie dans le XXe siècle), Padoue, Cleup, 2006, (VI-209 p.)
41Dans cet ouvrage de démographie historique, les auteurs se proposent d’analyser un phénomène relativement peu étudié jusqu’ici : la migration interne italienne au cours du XXe siècle, de la Vénétie (Nord-Est) vers le Piémont et la Lombardie (Nord-Ouest). Historiquement, la région de la Vénétie était déjà très connue pour ses flux migratoires vers l’étranger, qui ont démarré au cours de la seconde moitié du XIXe siècle et ont duré jusqu’à la fin de la première moitié du XXe. C’est après la première guerre mondiale que commencèrent les migrations vers les autres régions italiennes, notamment vers le Nord-Ouest. Les causes principales de ces mouvements migratoires, tant vers l’étranger que vers les autres régions italiennes, étaient économiques et sociales. Les auteurs nous rappellent que la Vénétie était à l’époque une région essentiellement agricole et au revenu par habitant inférieur à celui des régions du Nord-Ouest en cours d’industrialisation.
42L’ouvrage se compose de six chapitres ; il a pour objectif la description des caractéristiques socioéconomiques des émigrés vénitiens qui vivent dans le Nord-Ouest de l’Italie, notamment dans le Piémont et la Lombardie. Les auteurs comparent les caractéristiques des populations émigrées avec celles des populations des régions de départ et celles d’arrivée. Ils s’intéressent aussi à la question identitaire des migrants. Enfin, les auteurs tentent de savoir si les migrants ont amélioré leurs conditions de vie par rapport à la situation antérieure à la migration.
43Les données utilisées proviennent d’un échantillon tiré des recensements de la population de 1981 et 1991 que l’Institut national de statistique italien (Istat) met à la disposition des chercheurs depuis 1981. L’?échantillon permet de repérer les personnes nées dans la Vénétie qui résident au moment des recensements en Lombardie et au Piémont.
44Dans les chapitres 2, 3, 4 et 5, les auteurs nous décrivent donc les caractéristiques démographiques et socio-économiques des émigrés vénitiens, en les comparant à celles des populations piémontaises, lombardes et vénitiennes non émigrées. Puis ils analysent les caractéristiques familiales ainsi que les conditions de logement des émigrés vénitiens. Ils les confrontent avec celles des autres populations immigrées au Piémont et en Lombardie, plus précisément celles en provenance du Sud de l’Italie.
45Ces chapitres, très denses en information, ont donné lieu à l’utilisation de nombreuses méthodes statistiques, dont celle des enfants propres, nécessaire au calcul de la fécondité (méthode amplement développée en annexe de l’ouvrage).
46Du point de vue démographique, la nuptialité des émigrés vénitiens est plus élevée que celle des résidents de Vénétie et que celle des populations des régions d’arrivée. En revanche, la fécondité des femmes émigrées est plus basse que celle des vénitiennes, et proche de celle des femmes lombardes ou piémontaises. Sur le plan des caractéristiques socio-économiques, les émigrés vénitiens sont moins instruits que les résidents vénitiens. Ils ont également des taux d’activité plus élevés que ceux des populations de départ et d’arrivée, mais ils terminent leur vie active plus tôt. Ils sont le plus souvent salariés dans l’industrie. Leur situation par rapport au logement est plus défavorable que celle des Vénitiens non migrants ainsi que celle des populations originaires du Piémont et de la Lombardie.
47En résumé, les émigrés vénitiens ont des comportements semblables à ceux de n’importe quelle population émigrée pour ce qui est de la nuptialité, du logement ou de l’éducation, mais ils ressemblent aux non-migrants des régions d’accueil quant au secteur d’emploi et à la fécondité. La situation socio-économique des émigrés s’est améliorée par rapport à celle connue avant l’émigration, sans pour autant atteindre le niveau de celle des populations des régions d’accueil.
48Des annexes avec les définitions, les mesures et les sources statistiques utilisées complètent utilement l’ouvrage.
49Elena Ambrosetti
Guy Burgel, La revanche des villes, Paris, Les éditions Hachette Littérature, 2006, 240 p.
50G. Burgel se donne pour objectif d’étudier le triomphe de l’urbanisation et le recul de la civilisation urbaine dans un monde où s’accélèrent les échanges commerciaux, s’intensifient les mobilités et se multiplient les mélanges ethniques. La fin des villes, clamée à hauts cris il y a quelques années, ne serait plus à l’ordre du jour. Mais cette nouvelle vitalité de l’urbanisation s’accompagne d’interrogations multiples quant à la qualité de vie que les villes offrent à leur population.
51Ce regain de vitalité s’opère avec des rythmes de changement très rapides dans les modes de pensée, de vie et de travail. Des changements similaires se sont opérés par le passé sur une période qui couvrait l’existence de plusieurs générations. Aujourd’hui, selon l’auteur, un individu peut voir des transformations fondamentales à l’œuvre au cours de son existence. Partout les villes, et surtout les plus grandes, sont le lieu de production et d’accumulation des biens matériels et immatériels. En même temps, les disparités sociales et spatiales n’ont jamais été aussi grandes, entraînant de graves problèmes de sécurité, d’environnement, de circulation, de ségrégation ethnique des espaces urbains, etc.
52Ce renouveau de la ville est aujourd’hui caractérisé davantage par la mobilité que par la sédentarité, mobilité qui se limite de moins en moins aux déplacements domicile/travail. L’?auteur insiste sur le fait que la mobilité des individus est le signe de leur intégration et de leur promotion sociale. Ce renouveau amène G. Burgel à s’interroger sur l’existence de la ville post-industrielle : quelles en seraient les caractéristiques ?
53Le rejet des ouvriers hors des centres-villes s’est accompagné d’un processus de désindustrialisation (friches industrielles, délocalisations). La population employée dans le secteur tertiaire représente aujourd’hui les trois quarts de la population active des villes. Ce processus de tertiarisation des villes s’est amorcé au milieu des années 1970 et s’est accéléré à la fin du siècle en amplifiant les tendances à la concentration économique et géographique. Le processus d’homogénéisation du système urbain découle de cette économie globale et mondialisée. Il est accentué par le développement « universel du tourisme urbain ». La ville lieu de culture et de rencontre, point d’accès obligé des transports (avions et TGV), mais aussi lieu d’activités des tour-opérateurs, de l’hôtellerie, de la restauration, etc. accueille les emplois directs et indirects générés par ces activités. Ces tendances ne concernent pas seulement les villes du Nord.
54Chaque grande ville du Sud a aujourd’hui en son sein un noyau aux allures post-modernes qui n’a rien à envier aux villes des pays développés (high-tech, communication globale, entreprises transnationales, etc.). Paradoxalement, les villes du Nord ont à l’intérieur d’elles-mêmes une ville du tiers monde (insécurité, chômage, ghettoïsation de la pauvreté, SDF, etc.). Car « le fonctionnement global de l’économie et de la société entraîne des inadaptations croissantes d’une partie des populations urbaines » (p. 168). Ce qui aboutit par différents mécanismes économiques et sociaux à concentrer la « nouvelle pauvreté » dans les segments les plus dévalorisés du parc de logements, formant un espace urbain aux contours parfois ethniques, qui brouille ainsi les analyses et représentations.
55L’?auteur, sur la base d’un certain nombre d’exemples, montre que l’explosion urbaine des villes du Sud correspond à une conjonction historiquement inégalée de facteurs de croissance (fort exode rural, fécondités élevées et extension des territoires urbanisés). De plus, la rapidité de la transformation de leurs activités vers des services de plus en plus évolués et rémunérateurs correspond à la nouvelle donne de la compétition économique internationale. Sur la vingtaine de villes de plus de 10 millions d’habitants, à peine quatre appartiennent aux pays les plus riches de la planète. Ces transformations urbaines d’une grande rapidité nécessitent l’approfondissement des connaissances technologiques (système de transport, protection de l’environnement), médicales (lutte contre les pandémies, affections dues au vieillissement), sociales et culturelles (architecture, planification de l’urbanisation) (p. 210). Elles interviennent à un moment où la gouvernance de la ville serait affaiblie par l’action des entreprises (les lois du marché) et par l’action des citoyens, susceptibles de mobiliser des ressources autour des problèmes d’environnement, et enfin par la montée en puissance d’autorités supranationales.
56Outre la nécessaire revalorisation de l’action politique, la solution aux innombrables problèmes urbains nécessite, selon l’auteur, de l’imagination et de la créativité pour passer de « la métropole des individus » à la société des citoyens, conscients des enjeux et des contradictions de la ville. Et cela passe par « le patient apprentissage collectif des modes de fonctionnement de la société et par la détermination citoyenne de leur infléchissement » (p. 217).
57Kamel Kateb
Christian Baudelot et Roger Establet, Suicide, l’envers de notre monde, Paris, Éditions du Seuil, 2006, 264 p.
58Si la probabilité de se suicider est infinitésimale sur l’étendue d’une vie, elle atteint tout de même un risque de deux pour cent pour les hommes contre moins d’un pour cent pour les femmes. Soit 11 000 suicides par an en France, un effectif deux fois supérieur à celui des accidents de la route.
59Le suicide est un phénomène qui varie en fonction de certaines caractéristiques sociales : l’âge, le sexe, le revenu ou encore la situation matrimoniale. Au-delà de ces facteurs sociaux révélés de longue date par Durkheim, l’étude du suicide amène surtout les auteurs à questionner les raisons de ces variations. L’?ouvrage se construit autour de neuf chapitres et tire profit d’une masse extraordinaire de données provenant de divers pays. Les auteurs vont, pas à pas, décortiquer les différents facteurs liés au suicide tout en montrant que ceux-ci se conjuguent, qu’ils font système et qu’ils ne peuvent être compris sans être préalablement réinscrits dans leur contexte sociétal.
60Dans son ouvrage de 1897, Durkheim soutenait que la misère protège du suicide. Or, en mettant au centre de leurs analyses cette dimension économique, Baudelot et Establet démontrent que la situation sociale a clairement évolué entre le XIXe et le XXe siècle. Fait inchangé, aujourd’hui comme hier, il existe bel et bien une corrélation positive entre les taux de suicide dans les différents pays du monde et leur niveau de richesse, exception faite des pays de l’ancien bloc soviétique qui, malgré leur faible PIB, enregistrent de forts taux de suicide. Toutefois, ce constat est rapidement nuancé par de plus amples analyses qui révèlent que ce sont dans les régions pauvres de ces pays riches que le suicide atteint son maximum. Ainsi, la misère semble plus difficilement supportable dans un pays riche que dans un pays pauvre et il apparaît au final que la corrélation entre le suicide et la richesse n’est plus si évidente. C’est pourquoi les auteurs vont chercher à étudier finement cette évolution des comportements au cours des deux derniers siècles. Au XIXe siècle, les taux de suicide pouvaient s’expliquer par les transformations sociales récentes (urbanisation, industrialisation, etc.) liées à la croissance économique, qui produisaient une déstabilisation de la cohésion sociale et des valeurs communautaires. Le suicide est de ce fait plus fort à cette époque dans les régions les plus dynamiques économiquement. De même, le décollage économique de l’Inde dans les années 1950 et de la Chine dès 1980 ont conduit, par la modernisation de ces sociétés, à des hausses des taux de suicide. En cela, la division du travail provoque une montée des individualismes qui sont dans un premier temps une source de perturbations de l’ordre social, rendant les individus plus vulnérables. En revanche, cette autonomie croissante n’est plus au fil du XXe siècle aussi désintégratrice. Les grandes villes ne sont plus propices au déracinement car la vie sociale s’y organise, alors que désormais, le suicide augmente dans les régions qui se dépeuplent.
61Les auteurs distinguent trois périodes dans l’évolution du suicide au XXe siècle : du début du siècle aux années 1945, la tendance est à la baisse, notamment parce que les deux guerres mondiales entraînent des bouleversements majeurs qui renforcent l’intégration des individus à la société. La deuxième période se poursuit jusqu’aux années 1970 et elle est marquée par une irrégularité des taux. Enfin, la fin du XXe siècle amène une recrudescence du suicide. Ainsi, les deux moments où le suicide a été le plus fort se situent entre 1906 et 1908 puis de 1985 à 1987. Or, d’un point de vue économique, ces deux périodes divergent. Alors qu’au début du XXe siècle, le revenu moyen stagne et le pouvoir d’achat est faible, dans les années 1980 le pouvoir d’achat est extrêmement fort. La hausse tient au fait que cette fin de siècle est marquée par un ralentissement de la croissance économique. Les deux chocs pétroliers ont notamment contribué à la transformation du paysage social : précarisation des emplois, montée du chômage, délocalisations, etc. La montée des taux de suicide durant cette période témoigne donc avant tout d’un sentiment grandissant d’insécurité.
62Si l’enrichissement des pays transforme les comportements des individus, l’effet de ces transformations est variable. Par exemple, le travail peut avoir un effet positif selon la place qu’il prend dans la vie des individus. Lorsqu’il permet l’épanouissement personnel, il participe au bonheur individuel et il renforce le lien social. Face aux bouleversements majeurs du XIXe siècle, de nouvelles formes de solidarité ont pu émerger notamment par le biais du travail. Toutefois, comme le soulignent les auteurs, ce « bonheur au travail » se manifeste davantage parmi les professions intellectuelles que parmi les ouvriers précaires.
63Au niveau macroscopique, Baudelot et Establet montrent l’existence d’une relation positive entre la richesse des pays et leur taux de suicide. Mais les pays de l’ancien bloc soviétique font figure d’exception avec des taux de loin les plus élevés. Du milieu des années 1920 au début des années 1960, la hausse du suicide (et parallèlement celle de la consommation d’alcool) est exceptionnelle et semble liée à l’?émergence d’une société industrielle moderne, comparable au développement des pays européens du XIXe siècle qui ont pareillement connu une croissance du suicide. Cependant, contrairement aux autres pays, suite à cette industrialisation les taux ne vont ni stagner ni diminuer, bien au contraire. De même, l’espérance de vie diminue et, de façon inattendue, les décès à l’âge adulte augmentent. Qu’elles soient le résultat de suicides ou d’homicides, les morts violentes explosent et s’expliquent par les crises économique, politique et sociale qui sévissent dans ces pays.
64Depuis le début du XIXe siècle, le suicide croissait avec l’âge et Durkheim attribuait cela aux effets de la vie sociale sur les individus. À partir des années 1970, la tendance s’est inversée : le suicide des jeunes augmente tandis que celui des plus âgés diminue, ce qui rend compte de l’évolution du contexte social. Aujourd’hui, le statut social de la jeunesse a changé ; elle est synonyme de chômage et de précarité. Les exceptions japonaise et allemande sont le résultat de spécificités internes dues en partie aux modes d’insertion professionnelle des jeunes. Dès lors que l’organisation économique se transforme au profit d’une plus grande flexibilité, la précarité des jeunes s’accroît et leurs taux de suicide augmentent. Le néolibéralisme n’a fait que renforcer leur exclusion sociale. Ces analyses sont riches d’enseignements d’un point de vue méthodologique : il importe de « prendre au sérieux les dimensions sociales de l’âge », comme le font les auteurs, et de ne pas se contenter d’étudier cette variable comme un simple effet structurel.
65Les inégalités selon les classes sociales sont flagrantes. Ce fait s’observe au niveau collectif selon la richesse des régions mais aussi au niveau individuel selon les professions exercées. Richesse et urbanisation allant de pair, ce sont les régions les plus rurales qui ont les taux de suicide les plus forts. Ceci s’observe en France comme en Angleterre où les villes fortement désindustrialisées comme Manchester sont les plus touchées par la misère sociale et du même coup par un fort taux de suicide. En termes de milieu social, c’est au bas de l’échelle sociale que les individus se suicident le plus au XXe siècle. Chez les hommes, ce sont surtout ceux qui sont « inoccupés » qui sont les plus touchés. De plus, les périodes de chômage sont d’autant plus difficiles à surmonter pour les jeunes qu’elles freinent leur entrée dans la vie adulte, en entraînant une « crise dans la construction de soi ». Chez les femmes, la donne est quelque peu différente dans la mesure où ce sont les professions libérales et intermédiaires de la santé qui connaissent les taux de suicide les plus forts. Dans certaines professions comme celle d’infirmière, les femmes, largement surreprésentées, sont amenées à côtoyer de près la maladie et la mort et donc à éprouver progressivement un épuisement moral. De plus, contrairement aux hommes, le taux de célibat des femmes s’accroît avec le niveau de diplôme, alors que le mariage ou la vie en couple constitue un facteur de protection. Ainsi, la profession n’est pas en soi la cause du suicide mais elle constitue un indicateur du mode de vie des individus.
66Les couches sociales les plus riches étaient au XIXe siècle bien plus exposées au suicide, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Jadis la sociabilité passait essentiellement par la famille et la religion, tandis qu’aujourd’hui elle s’est étendue à d’autres sphères. Les milieux socialement favorisés sont ceux qui ont les sociabilités les plus intenses, alors que les personnes qui ressentent un isolement relationnel sont aussi les plus démunies économiquement. « Moins exposées à la précarité, aux menaces de licenciement et, d’une manière générale, à la dureté de la vie, les professions situées au sommet de l’échelle sociale disposent, dans les grandes villes où elles vivent, de conditions d’existence, de réseaux de relations, d’équipements sanitaires et de compétences pour savoir consulter avant de sombrer dans la dépression et le désespoir. » (p. 206). La pauvreté n’a pas uniquement des incidences matérielles, elle remet en question le sens de l’existence dans la mesure où chacun attend de l’autre d’être reconnu pour exister et que cette reconnaissance et cet accomplissement personnel passent en partie par le travail.
67Cet effet protecteur de l’intégration sociale explique pourquoi les femmes se suicident en moyenne trois fois moins que les hommes. Éduquées dès leur plus jeune âge dans une optique relationnelle, elles sont aujourd’hui encore au centre de la sphère familiale, ayant à charge les enfants mais aussi les relations avec la famille et la belle-famille. Elles ont une sociabilité moins étendue que celle des hommes mais plus structurée. La seule exception vient de la Chine où les femmes se suicident plus que les hommes. Cette situation est due aux conditions de vie de ces femmes qui sont nombreuses à subir les violences de leur conjoint et de leur belle-mère. En mettant fin à leurs jours, elles jettent l’opprobre sur leurs agresseurs. Il s’agit pour elles du seul acte de rébellion possible et d’un moyen efficace de se venger en quelque sorte des violences endurées.
68Au final, l’apport de cet ouvrage est manifeste. Baudelot et Establet ont poursuivi les analyses menées par Durkheim en montrant en quoi le suicide, un acte a priori éminemment individuel, est un phénomène social ; ils reviennent sur certains résultats importants en montrant par exemple qu’au XXe siècle, la misère ne protège plus du suicide, bien au contraire. Les auteurs, par leur rigueur méthodologique et leur démarche pédagogique, nous révèlent progressivement comment le suicide éclaire la société.
69Alexandra Filhon
Laurent Heyberger, La révolution des corps. Décroissance et croissance staturale des habitants des villes et des campagnes en France, 1780-1940, Belfort-Montbéliard, Presses universitaires de Strasbourg, coll. « Sciences humaines et technologie », 2005, 750 p.
70Si l’histoire des idées figure en bonne place dans la tradition historiographique française, l’histoire des corps a suscité un bien moindre intérêt. Seule, au tournant du XXe siècle, l’anthropologie française, non exempte de racisme et de sexisme, s’est intéressée à sa mesure. Justice est faite au corps, avec cet ouvrage issu de la thèse de Laurent Heyberger. Son apport considérable réside dans la démonstration que les variations spatio-temporelles de la taille du corps, loin de renvoyer à des explications génétiques discutables, sont des indices robustes des évolutions différenciées, sur le territoire français, des conditions de vie des populations.
71Ce livre volumineux (750 pages) restitue de façon subtile ces évolutions en partant de sources fiables, les listes de conscrits. Après une présentation des travaux pionniers en anthropométrie, ponctuée par une discussion à propos des thèses racialistes (le conte racial), l’auteur entame une discussion méthodologique qui confère à sa recherche une crédibilité certaine. Son « objet unique », le conscrit sur lequel on porte la toise, est étudié à partir de sources instables, les méthodes pour établir les listes de conscrits ayant évolué avec le temps et les régimes politiques (liste de tirage, liste de recrutement et liste de recensement).
72Laurent Heyberger n’élude pas les problèmes liés aux sources. Au contraire, il les discute et les affronte. Parmi ceux-ci, citons les biais introduits par les différentes unités de mesure et les arrondis opérés sur les mesures ; l’absence de sources concernant les femmes alors que cet ouvrage a pour objet d’analyser l’évolution de la stature « des habitants » ; ou bien encore le fait que parmi les conscrits on ne retrouve que certaines classes d’âge et classes sociales (on peut ou on sait échapper à la conscription lorsqu’on est issu de certains milieux). La discussion concernant la troncature de l’échantillon des conscrits engendrée par l’existence d’une taille minimale en dessous de laquelle le conscrit est réformé est particulièrement stimulante et se conclut par une solution statistique apportée au problème.
73L’?auteur a travaillé à partir des listes trouvées dans les archives de plusieurs départements et celles de l’Armée. L’?analyse est très riche et il serait illusoire de vouloir la restituer en quelques lignes. Ce voyage à travers les cohortes nées entre 1790 et 1940 permet de saisir – les statistiques inférentielles étant ici d’un précieux recours – comment une relative homogénéisation des conditions de vie a entraîné une atténuation des différences de stature. Par conditions de vie, Laurent Heyberger entend une variété de facteurs : croissance démographique, revenu paysan, salaires urbains et consommation alimentaire. Le temps n’est pas une variable neutre, linéaire. Bien au contraire, c’est le temps historique, des phases d’expansion économique et des crises qui est pris en compte. On voit notamment que certaines catégories de populations (paysans, petits commerçants ou ouvriers) ont subi de façon différenciée la Grande Dépression à la fin du XIXe siècle. L’?évolution différentielle de la stature entre les groupes socioprofessionnels intervient selon l’impact que provoque une crise. Cet impact se mesure sur les cohortes d’enfants concernées par les évolutions économiques. La stature d’une cohorte de conscrits est en effet expliquée par les conditions de vie que celle-ci a connues au cours de son enfance.
74Si la dimension temporelle est au cœur du dispositif empirique de vérification des hypothèses, la dimension spatiale est introduite au moyen d’une approche comparative de l’évolution des statures des Alsaciens, Briards et Limousins. L’intérêt de cette comparaison est multiple : ces régions connaissaient des situations économiques et présentaient des structures sociales variées au début de la période étudiée ; elles ont connu des évolutions économiques diverses ; enfin, elles ont toutes été constamment le siège de migrations. Cette dernière caractéristique est importante dans la mesure où l’auteur a pu minimiser le rôle des migrations dans l’évolution de la stature des populations, en particulier dans le cas de la Brie (p. 353).
75En revanche, les variations dans l’espace, considérées en termes de « milieu », ont reçu un traitement très classique au sens des géographes. On aurait apprécié une approche mobilisant des méthodologies issues de l’analyse spatiale, susceptibles de dévoiler l’effet des phénomènes de diffusion de l’amélioration des conditions de vie des villes ou des petites villes vers les campagnes sur l’évolution des statures des populations.
76Enfin, on apprécie la richesse des illustrations : tableaux, graphiques et cartes. Parfois, cette richesse frise même la surabondance (dans le chapitre 17), l’obsession de la mesure tendant à faire perdre le fil au lecteur. Peut-être une édition « allégée » aurait-elle permis à cette publication de toucher un lectorat plus large.
77Christophe Imbert
Isabelle von Bueltzingsloewen, L’hécatombe des fous : la famine dans les hôpitaux psychiatriques français sous l’Occupation, Paris, Aubier, « Collection historique », 2007, 512 p.
78Malgré le nombre important d’écrits évoquant la mortalité des malades mentaux hospitalisés en France pendant la seconde guerre mondiale, jusqu’aux travaux d’Isabelle von Bueltzingsloewen, aucune étude historique approfondie n’avait été consacrée à la famine dont ont souffert ces personnes, et dont sont mortes plusieurs dizaines de milliers d’entre elles. L’?obstacle n’a pas été l’indifférence, mais la passion exprimée par certains auteurs : au prix d’affirmations approximatives et dénuées de preuves, voire au mépris de faits attestés, ces auteurs ont enrôlé les morts au service, qui de la dénonciation du régime de Vichy, qui de celle des psychiatres et de la psychiatrie.
79Contrairement à ce qui a pu être réalisé pour les juifs assassinés, il est impossible d’entreprendre le dénombrement des personnes mortes de la famine : quand bien même existerait un registre des décès mentionnant les causes de la mort, il ne permettrait pas d’identifier les situations provoquées ou aggravées par la famine, comme la recrudescence de la tuberculose et des autres infections. C’est pourquoi il convient en l’occurrence de procéder à une estimation de la surmortalité, c’est-à-dire du nombre supplémentaire de personnes décédées par rapport à ce qui aurait pu avoir lieu si la situation antérieure avait prévalu. Tel est le travail présenté par l’historienne dans le premier chapitre de son ouvrage, avec l’aide méthodologique d’un conseiller scientifique de la Direction de la recherche, des études de l’évaluation et des statistiques du ministère des Solidarités (Drees). En appliquant à la période 1940-1945 les taux moyens observés dans les années 1935 à 1939, l’auteur estime le surcroît de décès produit par la famine dans les hôpitaux psychiatriques français sous l’Occupation à environ 45 000 morts, tout en précisant que les résultats auraient pu être différents si la période de référence avait été plus longue.
80À l’appui de la décision d’inclure l’année 1945, ajoutons pour notre part qu’en Finlande, pays qui a lui aussi beaucoup souffert pendant la seconde guerre mondiale, la surmortalité des malades mentaux hospitalisés a perduré en 1945, non seulement parce que l’alimentation n’est pas redevenue normale aussitôt après la fin des hostilités, mais surtout parce que certaines affections contractées pendant la guerre, au premier rang desquelles la tuberculose, ont continué ensuite à produire leurs effets [1].
81Une fois cette estimation effectuée, Isabelle von Bueltzingsloewen consacre l’essentiel de son ouvrage à décrire les événements puis à reconstituer le contexte qui les ont rendus possibles. S’appuyant sur ses travaux antérieurs [2], et citant abondamment les archives, elle décrit la complexité et la disparité des situations, mettant en perspective la place de chacun des acteurs, qu’il s’agisse des malades eux-mêmes, de leurs familles, des médecins, du personnel des hôpitaux et notamment des (médecins-)directeurs, des préfets et de leurs subordonnés, du service du ravitaillement, des sociétés savantes, ou des ministres. Le système d’assistance aux aliénés fait l’objet d’une analyse approfondie ; l’opinion publique et ses relais sont évoqués en détail. Ainsi, par exemple, l’auteur décrit les circonstances qui entourent la publication par le secrétariat d’État à la Famille et à la Santé de la circulaire du 4 décembre 1942, qui prescrit l’augmentation des rations alimentaires pour les malades mentaux hospitalisés. Ce texte, appelé « circulaire Bonnafous » (du nom du ministre de l’Agriculture et du Ravitaillement), produit des effets visibles sur le taux de décès, qui baisse nettement dès 1943, contredisant à nouveau la thèse de l’extermination, même douce, des malades mentaux français.
82François Chapireau
Hervé Le Bras, Les 4 mystères de la population française, Paris, Odile Jacob, 2007, 304 p.
83L’?auteur se propose d’examiner le modèle démographique français en passant au crible de la critique les quatre « obsessions » de la démographie française : la dénatalité, le vieillissement, l’immigration et la désertification de l’hexagone. Il annonce la couleur d’entrée de jeu : une « théorie démographique française » a été construite qui offre une vision du monde en déphasage par rapport à la réalité statistique et économique de la France (p. 11). L’?auteur se propose, par la preuve statistique, d’aller à l’encontre des idées dominantes dans la démographie française et dans l’opinion publique. Pour cela, il propose une réinterprétation des données démographiques récentes et actuelles produites par ceux-là mêmes qui entretiennent l’illusion démographique française. Il concentre ses efforts sur l’analyse des principaux indicateurs démographiques : la fécondité, l’espérance de vie et le solde migratoire. La science sociale la plus mathématisée serait pleine de partis pris qui orientent l’interprétation (p. 18). En même temps que la mise en œuvre de l’ensemble des outils de l’analyse démographique, l’auteur annonce une démarche empruntée à l’histoire contrefactuelle pour atteindre les objectifs qu’il s’est assignés.
84Les rétroprojections des pyramides des âges dans leurs différentes variantes et la prise en compte de temporalités différentes permettent une bonne appréciation des apports respectifs à la croissance de la population française, de la fécondité, de la migration, et de la baisse de la mortalité. Elles permettent aussi d’inciter à plus de prudence dans les projections démographiques, car les retournements de tendance sont généralement imprévisibles et toujours possibles.
85L’?auteur souligne un phénomène que personne ne veut évaluer, celui des sorties temporaires ou définitives du territoire. Combien de Français émigrent chaque année ? Combien de personnes entrées sur le territoire français quittent l’hexagone au bout d’une certaine période de séjour ? L’?absence de registre de population rend difficile une comptabilisation dans la statistique démographique des sorties du territoire. Pourtant, le bilan démographique de chaque cohorte d’âge entre 1990 et 1999 montre l’existence d’une émigration des personnes âgées de 20 à 30 ans. L’idée préconçue du comportement migratoire des Français l’emporterait-elle sur l’observation et le traitement des données ?
86Une autre évolution démographique importante soulève des craintes dans de nombreux secteurs de la société. L’?allongement de la durée de vie qui entraîne le vieillissement de la population doit-il être redouté ? Pourquoi s’inquiéterait-on de ce que les gens vivent plus vieux et surtout beaucoup plus longtemps en bonne santé qu’autrefois ? Les dépenses de santé et la couverture des retraites par les cotisations connaissent une situation alarmante et justifieraient cette inquiétude générale. Le recul de la mortalité et l’élévation de l’espérance de vie aux différents âges qui en découle constituent-ils une menace pour le modèle social français ? Le vieillissement fournit une explication commode à l’accroissement des dépenses de santé sans que cela ne corresponde à la réalité des faits. Les causes de ces augmentations relèvent plus des changements du type de consommation médicale par génération et de la plus grande solvabilité des patients (p. 107). Il est par ailleurs évident que l’espérance de vie augmentant après l’âge de la retraite (à 60 ans, elle passe de 10 à 21 ans au cours des cinquante dernières années) et celui de la cessation d’activité diminuant (à 58 ans en moyenne aujourd’hui), le système actuariel ne peut qu’être en difficulté. La réponse à ce problème se situe au niveau de la formation et de la qualification de la main-d’œuvre. C’est le vieillissement des formations acquises qui met hors activité les personnes de plus de 50 ans.
87Malgré un indice synthétique de fécondité (ISF) situé au-dessous de 2,1 enfants par femme depuis 1974, la population française a continué de croître. Du fait du non-remplacement des générations, la population française aurait dû commencer à décroître, or il n’en est rien. Elle connaît l’un des plus forts rythmes de croissance de l’UE. L’?origine de ce mystère réside dans « une conception simpliste de la fécondité que des idéologues et de mauvais vulgarisateurs ont véhiculé depuis plusieurs décennies » (p. 118). Pour le démontrer, l’auteur reprend le processus à partir des concepts utilisés et de leur signification pour discerner entre l’observable (ce qui est sûr) et le prévisible (une des possibilités), généralement mélangés par les vulgarisateurs. Il démontre par un graphique simple que de 1919 à 1965, le remplacement des générations (nombre de filles comparé au nombre des mères d’une même génération) a été assuré, contrairement à ce que laissait prévoir l’utilisation de l’Indicateur synthétique de fécondité et du seuil de remplacement. Privilégier les indices défavorables procède d’une démarche plus idéologique que scientifique. Les migrations ont assuré le remplacement des générations (p. 132) bien qu’elles ne relèvent pas de beaucoup l’indice de fécondité. L’ISF, inventé pour contourner l’impossibilité de prévoir la descendance finale d’une génération avant que les femmes qui la composent n’atteignent 50 ans, joue le rôle d’un véritable tour de passe-passe en utilisant une génération fictive (p. 135). Si l’indice est adapté pour la comparaison statistique de la fécondité de plusieurs pays ou régions à un instant donné, son usage pour anticiper le remplacement des générations dans le futur est totalement inapproprié. Cette vision erronée n’est pas sans incidence sur les politiques de l’enfance et de la famille (p. 151).
88La migration est perçue comme une invasion en France, avec un volume toujours supérieur à celui des pays voisins. C’est l’offre de travail insatisfaite et la proximité avec le pays de départ (lorsque d’autres immigrés ne sont pas déjà installés) qui décide de la destination des flux migratoires d’un pays donné. Les migrants mettent à profit les réseaux sociaux constitués qui leur sont favorables. L’?analyse critique des chiffres de migrants produits par différentes institutions publiques met en évidence les difficultés de la tâche en l’absence de registre de population mais aussi en raison des différentes conceptions de la définition du migrant permanent (notamment en ce qui concerne la catégorie étudiant ressortissant de l’UE). La catégorisation administrative adoptée ne permet pas une analyse fine des causes ni des motifs de la migration.
89Le retard de l’exode rural en France et son importance après la seconde guerre mondiale ont eu un effet idéologique aussi retentissant dans l’opinion que la « dénatalité ». C’est ainsi que fut développée l’idée d’un désert français opposé à Paris. Du fait de la dénatalité, Paris puis les autres grandes agglomérations étaient contraintes pour se développer de drainer toutes les forces vives de la nation au détriment du monde rural et des petites et moyennes villes de province. L’idée de la diagonale du vide est venue à son tour renforcer le discours idéologique dominant. La thématique du déclin fut ainsi réactualisée. À partir d’un travail cartographique minutieux, l’auteur met en évidence une tendance profonde qui invalide tous les schémas élaborés avant l’exploitation du recensement rénové à partir de 2004. La disparition de cette diagonale du vide s’accomplit à la faveur d’une généralisation de la croissance démographique dans toutes les régions françaises. Le changement de la dynamique du peuplement apparaît nettement. C’est la fin du désert français par un repeuplement des plus petites communes du territoire. La vision idéologique empêche de voir à temps les transformations en cours et l’élaboration d’explications plus proches de la réalité des phénomènes étudiés.
90La démarche de l’auteur et la rigueur dans l’utilisation des concepts et des données font de ce livre un excellent ouvrage pour les étudiants et doctorants en démographie. La fluidité de sa rédaction en fait aussi un excellent ouvrage de vulgarisation scientifique.
91Kamel Kateb
Notes
-
[1]
Ekblom B., Frisk M., 1961, « On changes in the death risk in mental hospitals in Finland during the years 1920-1955 »,. Acta Psychiatrica Scandinavica,. 36, p. 300-324.
-
[2]
Von Bueltzingsloewen I. (dir.), 2005, Morts d’inanition. Famine et exclusions en France sous l’Occupation, Presses universitaires de Rennes, 306 p.