Notes
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[*]
Institut national d’études démographiques.
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[1]
Le cas du partenariat au Royaume-Uni n’est pas étudié ici.
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[2]
Le cas du partenariat homosexuel et hétérosexuel au Luxembourg n’est pas étudié ici.
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[3]
Le cas de l’Espagne, où le mariage a été ouvert aux homosexuels sans forme alternative d’enregistrement, n’est pas étudié ici.
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[4]
Nous remercions pour leur contribution Turid Noack et Ane Seierstad (Statistique Norvège), Jan Latten et Lisbeth Steinhof (Bureau central de statistique, Pays-Bas), Anna Qvist (Statistique Danemark), Ólöf Gardarsdóttir (Hagstofa, Islande), Gunar Andersson (Max Planck Institute for Demographic Research, Allemagne).
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[5]
Les résultats numériques relatifs aux hommes et aux femmes étant étroitement corrélés, on considère indifféremment les uns ou les autres.
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[6]
L’Islande est un cas à part, qui perd toutefois de sa spécificité à mesure que le mariage cesse d’être le cadre privilégié pour la naissance des enfants dans les autres pays. Depuis longtemps, les naissances hors mariage sont fréquentes, atteignant déjà autour de 25 % en 1960 contre moins de 10 % ailleurs en Europe occidentale ; aujourd’hui, leur part s’établit à 65 % en Islande contre un maximum de 50 % dans les autres pays.
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[7]
Des mesures plus fines de la nuptialité n’ajouteraient rien aux tendances et aux comparaisons de niveau entre pays ayant des structures démographiques voisines.
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[8]
On trouvera plus de détails dans Waaldijk, 2004, p. 34.
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[9]
Décret n° 99-1090 du 21 décembre 1999, relatif aux conditions dans lesquelles sont traitées et conservées les informations relatives à la formation, la modification et la dissolution du PACS et autorisant la création à cet effet d’un traitement automatisé des registres mis en œuvre par les greffes des tribunaux d’instance, par le greffe du tribunal de grande instance de Paris et par les agents diplomatiques et consulaires français, article 2. L’élaboration de statistiques est limitée à la « production d’informations rendues anonymes, exclusivement destinées à permettre de connaître le nombre de déclarations, de modifications et de dissolutions de pactes civils de solidarité ayant fait l’objet d’un enregistrement ».
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[10]
Les greffiers des tribunaux se livrent à des décomptes « sauvages » qui distinguent les enregistrements qui sont le fait de couples homo- et hétérosexuels. La présidente de l’association des greffiers en chef a cité les pourcentages suivants, lors d’une audition par le groupe de travail sur l’évaluation et l’amélioration du pacte civil de solidarité, mis en place par le ministre de la Justice : 45 à 50 % de couples homosexuels (et 50 à 55 % de couples hétérosexuels) en 2000, 15 à 20 % (et 80 à 85 %, respectivement) en 2004. La validité de ces chiffres est impossible à préciser, mais nous les utiliserons faute de mieux, en procédant à une interpolation linéaire entre ces valeurs pour estimer ceux des autres années.
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[11]
Les registres ayant un caractère permanent, un certain flou existe à propos de la date à laquelle les statistiques sont établies : une personne non résidente lors de l’enregistrement peut l’être devenue au moment où sont établies les statistiques, par exemple en fin d’année, voire plus tard.
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[12]
Des différences du même ordre existent dans les statistiques de mariages couramment publiées, qui peuvent se référer aux couples dans lesquels au moins un des époux réside dans le pays (Danemark), à l’époux (Norvège) ou bien à l’épouse (Finlande, Suède), etc.
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[13]
Les statistiques de mariages sont plus difficiles à interpréter que celles des partenariats précédemment. Il se pourrait que se soit installée aujourd’hui une réelle concurrence entre les deux formes de légalisation des couples homosexuels, le recul récent du nombre de mariages s’accompagnant d’une hausse des partenariats.
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[14]
Au Danemark, les partenaires ont moins de droits parentaux que les cohabitants homosexuels. C’est la conséquence d’une disposition qui n’est pas propre à ce pays : l’adoption par une seule personne est autorisée en général, mais elle est impossible pour une personne appartenant à un couple homosexuel enregistré.
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[15]
A contrario, en un an, après l’ouverture du mariage aux homosexuels en mai 2004 au Massachusetts, on a enregistré 3 421 mariages de femmes et 1 961 mariages d’hommes, soit un rapport égal à 1,7.
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[16]
En Finlande et en Allemagne, les lois de 2001 n’ouvrent pas le droit à l’adoption de l’enfant du partenaire enregistré.
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[17]
L’indicateur de protection sociale d’Esping-Andersen, calculé en 1980, était maximum au Danemark, en Norvège et en Suède (38-39 points), un peu moindre en Belgique et aux Pays-Bas (32 points) et plus faible encore en France, en Allemagne et en Finlande (autour de 28 points). Dans les pays dits libéraux, comme le Royaume-Uni ou les États-Unis, l’indicateur n’atteignait que 13 à 23 points (Esping-Andersen, 1996, p. 52).
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[18]
L’impact de la situation de couple sur l’impôt sur le revenu dans les pays de l’Union européenne a été mesuré par Sterdyniak (2004, p. 454) ; sur les pensions de retraite, il l’a été par Jepsen et Meulders (2002, p. 103).
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[19]
La notion de vie en couple séparé recouvre néanmoins des situations très hétérogènes (Haskey, 2004).
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[20]
Au Danemark et en Finlande, on considère comme couples cohabitants les duos de personnes non mariées et non apparentées ayant moins de 16 ans d’écart d’âge ou un enfant en commun. Aux Pays-Bas, la règle est plus complexe, prenant en compte davantage de critères (Steenhof et Harmsen, 2004).
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[21]
L’Islande fait cependant exception : la statistique décompte les couples non mariés dans le registre de population sur la base de leur déclaration administrative de cohabitation. Le nombre publié par Hagstofa (Statistique Islande) est celui des couples ayant fait enregistrer leur union selon une procédure certes simple et fréquemment suivie par les couples mais qui ne concerne ni l’ensemble des non-mariés, ni toute la période de vie en couple hors mariage. Parmi les mariages célébrés en 2001-2004, 87 % ont été précédés d’une cohabitation enregistrée, témoignant à la fois que la pratique est extrêmement répandue, mais qu’elle n’est pas systématique. Par ailleurs, pour 100 couples qui font enregistrer leur union, environ 68 finissent par se marier (indice du moment, moyenne 2001-2004) ; cf. Statistics Iceland, 2004.
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[22]
Pour l’Allemagne, l’estimation du nombre de couples homosexuels est tirée des Mikrozensus depuis 1996. Le dénombrement identifie d’abord les personnes qui ont déclaré leur lien de couple dans la question sur la composition du ménage. Il s’élargit ensuite aux paires de personnes de même sexe appartenant au même ménage. Dans la définition restreinte, le nombre de couples homosexuels passe de 38 000 en 1996 à 56 000 en 2004. Dans la définition large, le nombre de couples homosexuels passe de 124 000 en 1996 à 160 000 en 2004. En France, le recensement de 1999 n’a pas comptabilisé les couples homosexuels qui s’étaient déclarés comme tels. En revanche, on dénombre 76 000 ménages formés de deux personnes de même sexe qui se sont déclarées comme ami(e)s (les cas d’étudiants partageant un même logement ont été exclus), cf. (Digoix, Festy et Garnier, 2004). Par ailleurs, les enquêtes sur l’emploi réalisées dans la seconde moitié des années 1990 permettent d’estimer le nombre de couples de même sexe qui se sont déclarés comme tels, car ils n’ont pas été rejetés de la procédure de classification comme cela a été le cas au recensement. En 1995-1999, ils ont été en moyenne 45 000 chaque année.
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[23]
Le recensement de 2001 en Norvège a pris la forme d’un questionnaire envoyé aux personnes figurant dans le registre de population, pour qu’elles confirment la validité de leur adresse et le nom de ceux avec qui elles partageaient leur logement. Un dénombrement des couples cohabitants a été réalisé sur cette base, soit 2 295 pour ceux de même sexe. Les responsables de l’opération estiment cependant que le nombre de couples cohabitants hétérosexuels est sous-estimé de 15 à 20 % et celui des homosexuels encore davantage « since we believe that not everybody want to confirm their relationship » [communication personnelle de Turid Noack, 27 mai 2004].
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[24]
Résultats de l’enquête nationale sur la presse gay en 1997 cités par Philippe Adam (1999).
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[25]
Macura, Mochizuki-Sternberg et Lara Garcia, 2002 (en particulier, figure 4.7, p. 38).
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[26]
Cf. Schiltz, 2004 (en particulier, p. 230). Dans un échantillon très restreint et non représentatif de 29 homosexuels pacsés, W. Rault observe que 2 ont débuté leur cohabitation avec le Pacs (Rault, 2005).
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[27]
Les taux en Islande sont un peu surestimés car le dénominateur ne comptabilise les couples non mariés que dans la mesure où ceux-ci se sont enregistrés (cf. note 21).
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[28]
En France, si nous retenons les proportions de Pacs homosexuels évoquées précédemment (cf. note 10), le taux d’enregistrement serait de l’ordre de 7 %, soit le plus élevé des neuf pays après la Belgique.
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[29]
Pour la Norvège et la Suède, cf. Andersson et al., 2004.
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[30]
En revanche, les procédures de rupture des Pacs français, des cohabitations légales belges et des partenariats néerlandais sont plus souples que celles des mariages. Aux Pays-Bas, la facilité de rompre les partenariats semble créer un courant favorable à cette forme de légalisation au détriment du mariage, chez les homosexuels comme chez les hétérosexuels.
1L’ouverture du mariage ou du partenariat enregistré aux couples homosexuels a fait l’objet de débats intenses et très polémiques lorsqu’ils ont été institués. Neuf pays européens ont adopté des législations dans ce sens entre 1989 et 2003 et, avec le recul, il est maintenant possible d’examiner comment ces comportements sont entrés dans les mœurs. C’est l’objet de l’article de Patrick Festy, qui analyse les séries statistiques de neuf pays européens sur l’union homosexuelle. Il rappelle d’abord que le mouvement de légalisation des couples de même sexe prend place dans un mouvement général de désaffection à l’égard de l’institution matrimoniale (sauf peut-être au Danemark), qui ne peut pas être sans effet sur l’intensité du recours à la nouvelle législation. Les différences entre pays dans la fréquence des enregistrements ne s’expliquent pas par les différences dans l’étendue des droits inscrits dans la loi : les pays qui accordent le plus aux couples enregistrés ne sont pas ceux où l’on recourt le plus à l’enregistrement. Les couples masculins dominent dans les débuts, mais lorsque la fréquence des enregistrements se stabilise, les couples féminins les rattrapent, voire les dépassent.
2À la suite du Danemark en 1989, dix autres pays européens ont offert aux couples la possibilité de légaliser leur union par une procédure d’enregistrement distincte du mariage (tableau 1). Dans sept pays (les cinq pays nordiques, l’Allemagne et le Royaume-Uni [1]), la loi ne s’est adressée qu’aux couples de même sexe, en créant un « partenariat » ; dans les quatre autres (les pays du Benelux [2] et la France), elle a concerné à la fois les homosexuels et les hétérosexuels, les dispositifs ayant des appellations variées. En outre, les Pays-Bas puis la Belgique ont étendu aux homosexuels la possibilité de se marier, après leur avoir ouvert la voie du partenariat et de la cohabitation légale quelques années plus tôt [3].
Chronologie législative
Chronologie législative
3Ces avancées juridiques sont à situer dans un contexte large qui englobe à la fois la diversification des formes conjugales, le souci d’étendre les protections et solidarités réservées jusqu’alors aux personnes mariées (de sexe différent) et la revendication de non-discrimination des couples en fonction de leur orientation sexuelle. Plus généralement, elles contribuent au mouvement qui éloigne, depuis quarante ans, la famille européenne occidentale du monopole réservé jusqu’alors au mariage (hétérosexuel) comme forme instituée du couple. La formule de Napoléon, « les concubins ignorent la loi, la loi les ignore », n’a jamais été aussi fausse.
4On peut en prendre la mesure en droit, en comparant simultanément la situation faite aux couples homosexuels et hétérosexuels et celle faite aux couples selon leur statut (mariés, enregistrés en dehors du mariage et simples cohabitants). C’est l’objet d’une publication récente de l’Ined (Waaldijk, 2004). Nous nous penchons ici sur l’usage que les couples font des procédures d’enregistrement et de mariage, en mesurant la fréquence de recours à celles-ci et en les comparant. Nous nous appuyons pour cela sur les statistiques d’enregistrement, comme on le fait classiquement sur celles de mariage, et nous établissons dans quelle proportion s’engagent les couples visés par les lois des différents pays, dans les années qui suivent la mise en place de celles-ci. Au cœur de l’étude se trouve la mesure du comportement des couples homosexuels face à des procédures de légalisation alternatives au mariage, à laquelle s’ajoute tout naturellement la mesure de la nuptialité de ces mêmes couples quand, aux Pays-Bas et en Belgique, leur est ouverte la possibilité de se marier.
5Usuelle en démographie, l’analyse de la nuptialité consiste, pour l’essentiel, à déterminer la proportion d’adultes qui se marient et à étudier ses variations à travers le temps, l’espace, les groupes sociaux, etc. Soucieuse de définir avec précision la population « exposée au risque », la statistique démographique a cependant toujours ignoré que le mariage était réservé jusqu’à présent aux couples hétérosexuels, en se fondant implicitement sur le fait que les homosexuels ne représentent qu’une proportion marginale qu’on peut ignorer sans grandes conséquences.
6Quand la recherche porte sur les couples de même sexe, il devient nécessaire d’élaborer pour eux des outils d’observation et de mesure qui permettent à la fois d’étudier leur comportement et de le comparer à celui des couples hétérosexuels. Ainsi, le présent article repose sur la possibilité de distinguer, dans le dénombrement des mariages et des enregistrements alternatifs au mariage, ceux qui sont le fait des couples homosexuels et hétérosexuels chaque fois que la procédure est ouverte simultanément aux uns et aux autres. Il est par ailleurs nécessaire de pouvoir dénombrer les couples eux-mêmes en distinguant ceux dans lesquels les conjoints sont de même sexe et ceux qui sont de sexe différent.
7Comme le plus souvent en démographie, les statistiques nécessaires à la recherche émanent principalement de deux catégories de sources gérées par les instituts nationaux de statistique : l’état civil pour les mariages ou les enregistrements alternatifs, et les recensements (ou leurs équivalents : registres de population, grandes enquêtes) pour le dénombrement des couples. La plupart des données figurent dans les publications des instituts de statistique (très souvent sur leurs sites internet pour les informations récentes), avec deux réserves essentielles :
- la statistique des enregistrements n’a pas atteint le degré de systématisation de celle des mariages, parce que les petits effectifs empêchent la publication des mêmes détails, ou parce que la source est spécifique et qu’elle se heurte à des obstacles depuis longtemps surmontés par l’état civil ;
- le dénombrement des couples homosexuels suppose une adaptation des instruments mis en place par les statisticiens pour comptabiliser les couples hétérosexuels afin de faire face aux particularités du groupe, un effort qui n’a pas toujours été fait à ce jour.
I – Le cadre d’observation et d’analyse
8Depuis quinze ans au Danemark, les couples homosexuels peuvent légaliser leur union par une procédure autre que celle du mariage. Ceux qui l’ont fait ont été enregistrés en mairie, à l’instar des couples qui se marient. L’une des conséquences légales attachées à cet acte est le changement d’état civil des partenaires, dont la statistique danoise fait la chronique depuis 1989. Nous utilisons ces données pour étudier le recours des couples à l’enregistrement de leur union, hors des liens du mariage.
9La loi mise en application au Danemark en 1989 a ensuite eu des équivalents plus ou moins proches dans divers pays d’Europe, jusqu’en 2002 en Finlande. On dispose donc de l’enregistrement des unions dans ces pays sur des durées variables, la plus courte étant limitée à trois ans.
10Dans cet article, nous examinons les similitudes et les disparités entre pays en matière d’enregistrement des unions. L’idée sous-jacente est que les similitudes pourraient refléter des proximités dans le cadre contextuel qu’offrent les pays, au premier rang desquelles des similitudes dans les termes de leurs lois. Réciproquement, les disparités pourraient refléter celles des cadres contextuels nationaux, en particulier au niveau des législations. L’étude démographique comparée est donc une étape vers une analyse interprétative, qui intégrera aussi les résultats de l’analyse juridique comparée.
11Nous comparons ensuite la fréquence de légalisation de leur union par les couples homosexuels à la nuptialité des couples hétérosexuels, avec les réserves que les données statistiques mettent à cet exercice. Cette comparaison se justifie notamment par le principe de non-discrimination entre homosexuels et hétérosexuels qui a souvent conduit à l’adoption des lois relatives au partenariat. Les différences entre le statut des époux et celui des partenaires enregistrés peuvent-elles contribuer à expliquer les écarts entre la fréquence des mariages et celle des enregistrements alternatifs pour chacun des groupes concernés ?
12Mais la référence au mariage n’est pas seulement celle d’une pratique ouverte à certains, fermée à d’autres, qui peut servir de repère commode parce que bien documenté aux plans juridique et statistique. C’est aussi la norme juridique et sociale dominante en matière conjugale, un élément clé du cadre national dans lequel viennent s’insérer de nouvelles procédures de légalisation des unions après des siècles de monopole. Or, ce chapitre récent s’écrit dans une phase particulière de l’histoire du mariage, au moment où une proportion substantielle des couples concernés s’en détournent.
1 – Première hypothèse
13Le mariage a évolué en droit, civil et social, pour faire face aux changements dans le fonctionnement des couples hétérosexuels, mais sa fréquence n’a cessé de décroître. C’est pourtant lui qui a inspiré les règles de légalisation des couples homosexuels malgré les différences avec les modes de vie hétérosexuels. Inspiration, mais pas décalque. Même aux Pays-Bas ou en Belgique, où le mariage a été ouvert aux couples homosexuels, il subsiste des écarts entre les mariages hétérosexuel et homosexuel dans le domaine de la filiation. C’est a fortiori le cas dans les autres pays, où il a été choisi de n’associer au partenariat qu’une part des conséquences attachées au mariage.
14Dans le couple masculin, la relation stable n’est pas nécessairement exclusive et associée à la co-résidence, comme dans le couple hétérosexuel traditionnel (Schiltz, 1997, 1998). Le partage est sexuel, parfois affectif et souvent non matériel : on vit seul ou ensemble, on entretient une relation exclusive ou non, on se comporte différemment à l’intérieur et à l’extérieur de la relation stable. L’absence de légitimité du couple homosexuel, sa particularité de ne pas être réglé par une relation de genre font qu’il n’y a pas de « modèle ».
15Une évolution progressive, mais sensible et régulière, se fait vers la co-résidence. Celle-ci est d’ores et déjà plus fréquente dans les couples féminins, mais elle reste, pour les uns et les autres, fortement attachée à une acceptation externe de l’homosexualité. Chaque société a, sur ce point, un degré de tolérance et une forme de lutte contre l’homophobie qui influencent les attitudes de la société en général et celles des individus concernés. Certains sont mieux armés que d’autres pour faire face aux résistances.
16Comment les comportements vont-ils affronter la normativité proposée par le droit à la légalisation ? Ce droit implique aussi le choix d’officialiser ou non une union : les couples homosexuels peuvent s’approprier ou non l’institution qu’on leur propose et saisir la possibilité de transformer ainsi des unions dont on a constaté qu’elles peuvent se pérenniser. L’enregistrement pourrait alors donner au couple stable et cohabitant la légitimité qui lui manquait pour s’instituer. Si, à l’avenir, « le bonheur dans le ghetto » se dissolvait au profit de l’égalité totale dans l’anonymat (« assimilationnisme »), il pourrait en être l’instrument (Pollak, 1982 ; Bech, 1992 ; Adam, 1999).
17Nous posons l’hypothèse qu’il en va des couples homosexuels comme des hétérosexuels et qu’ils font enregistrer leur partenariat dans une proportion d’autant plus élevée que la loi de leur pays leur offre davantage de légitimité, par une égalité plus grande des droits avec ceux des couples mariés. Nous supposons en outre que les couples homosexuels font enregistrer leur partenariat dans une proportion d’autant plus élevée que la proximité est grande entre leurs modes de vie et ceux des hétérosexuels.
2 – Seconde hypothèse
18L’instauration du partenariat, et dans certains cas du mariage, ouvre aux homosexuels un choix qui n’était proposé, jusqu’à présent, qu’aux couples hétérosexuels. Des conséquences matérielles (fiscales, successorales, etc.) et immatérielles (patronymiques, droit à la citoyenneté, etc.) sont attachées à ce statut, qui peuvent être considérées comme autant d’avantages relatifs, par rapport aux couples non légalisés. Des conséquences de même ordre sont aussi attachées au mariage des couples hétérosexuels, mais la légalisation homosexuelle n’ouvre qu’à une fraction de celles-ci. Les législateurs ont ainsi mis une distance entre les statuts proposés aux uns et aux autres, distance qui est inégale selon les pays.
19Si le choix de la légalisation par les partenaires homosexuels répond à une rationalité, c’est en fonction d’un ensemble complexe de motivations, où se mêlent le tangible et l’intangible, et qui nous place aux antipodes d’un économisme simpliste. Mais dans tous les cas, la loi et la perception qu’en ont les intéressés interviennent directement dans le recours à l’enregistrement. Le droit ne se contente plus d’entériner les évolutions déjà en cours (Lund-Andersen, 2001 ; Waaldijk, 2001 ; Ytterberg, 2001).
20La légalisation crée des liens juridiques entre les partenaires, qui consolident les liens affectifs et matériels déjà existants. L’extension de cette solidarité interpersonnelle renforcée à des groupes qui étaient exclus du mariage pourrait avoir été favorisée par les sociétés du bien-être, aujourd’hui limitées dans leur générosité par la pression croissante qu’exercent sur leurs ressources le chômage structurel, le vieillissement des populations ou la hausse du coût des soins médicaux. L’enregistrement se cantonne aux partenariats homosexuels dans les pays nordiques, où la protection sociale passe essentiellement par l’individu ; il s’étend aux couples homosexuels et hétérosexuels et il semble nettement plus fréquent dans des pays qui donnent plus de place aux droits conjugaux « dérivés », comme la France et les Pays-Bas ; son application aux fratries et autres situations de co-résidence est en cours de discussion dans d’autres pays, après la Belgique. Il se pourrait que l’inégale importance donnée à l’autonomie individuelle, aux liens interpersonnels et à la solidarité sociale par les différents régimes de bien-être en Europe se reflète dans l’inégale fréquence des enregistrements dans les divers pays (Esping-Andersen, 1996, 1999).
21Ces deux hypothèses sont plus complémentaires qu’antagonistes et elles articulent les niveaux micro- et macrosocial.
II – Un contexte de « démariage »
22Adoptées à partir de la fin des années 1980, les lois offrant une forme de légalisation aux couples homosexuels l’ont été dans un climat de désaffection à l’égard du mariage de la part des hétérosexuels, qualifié de « démariage » (Théry, 1993). Les premiers signes de ce mouvement étaient apparus dès les années 1960 en Scandinavie (en Suède puis au Danemark), avec une chute du nombre des mariages de jeunes couples, avant de se généraliser. Comparés à ce qu’ils étaient une quarantaine d’années plus tôt, les mariages (et les remariages) sont aujourd’hui sensiblement moins fréquents et plus tardifs ; les divorces rompent plus souvent les mariages et surviennent plus tôt dans la vie du couple. Les naissances se produisent moins systématiquement au sein de couples mariés.
23La proportion de femmes mariées avant 50 ans, qui était proche de 100 % au début des années 1960 dans à peu près tous les pays, est aujourd’hui comprise entre 50 % et 70 % (tableau 2). Si les taux de nuptialité par âge qui concourent au calcul de cette proportion devaient durablement se maintenir, 30 % à 50 % des jeunes femmes ne se marieraient pas, contre moins de 10 % antérieurement. C’est un bouleversement majeur [5].
Nuptialité, divorces et naissances hors mariage en 2000
Nuptialité, divorces et naissances hors mariage en 2000
24À l’inverse, le divorce est en forte hausse. Si les taux qu’on observe aujourd’hui aux différentes durées de mariage devaient se pérenniser, la proportion de couples ainsi dissous atteindrait presque partout 40 % et même 50 % dans certains pays. Au début des années 1960, le même indicateur n’approchait 20 % qu’au Danemark (et un peu moins en Suède) et plafonnait sous 10 % dans les autres pays. Le lien qui unit les deux conjoints repose de plus en plus exclusivement sur l’affinité élective qui rapproche les deux partenaires, de moins en moins sur l’institution qui établit entre eux une communauté de vie. Cette mise en cause, qui transparaît aussi bien dans la baisse du nombre de mariages que dans la hausse de celui des divorces, porte sur les fondements mêmes de l’institution matrimoniale.
25Moins fréquents, les mariages sont aussi plus tardifs. L’âge moyen des femmes à leur premier mariage est compris entre 28 et 30 ans dans la plupart des pays, contre moins de 24 ans quatre décennies plus tôt, quand une sexualité de plus en plus précoce, mais difficile à vivre durablement hors du cadre légal du mariage, conduisait à régulariser hâtivement par le mariage des grossesses prénuptiales.
26Le relâchement du lien entre mariage et fécondité se traduit aujourd’hui par la forte proportion de naissances issues de parents non mariés, dans un éventail ouvert entre un quart et deux tiers, à comparer avec des pourcentages généralement inférieurs à 10 % en 1960 [6]. Là encore, l’évolution est radicale : la cohabitation des partenaires hors du cadre formel du mariage est devenue à peu près partout un type d’union suffisamment reconnu pour que les enfants puissent y être accueillis et élevés.
27L’évolution du taux brut de nuptialité (rapport du nombre de mariages à la population de chaque pays [7]) permet de mieux situer la chronologie des évolutions, en particulier par rapport à celle des innovations législatives concernant les couples de même sexe (figure 1).
Évolution du taux brut de nuptialité depuis les années 1960 (pour 1 000 habitants)
Évolution du taux brut de nuptialité depuis les années 1960 (pour 1 000 habitants)
28La Suède est l’exemple emblématique de la longue période de recul de la nuptialité. Le mouvement a précédé celui des autres pays, au cours des années 1960, et les taux de nuptialité y ont été à peu près constamment les plus faibles, en particulier dans les décennies 1970 et 1980, quand la tendance se diffusait progressivement hors de l’Europe scandinave. Le taux de nuptialité a atteint un minimum au milieu des années 1990 à un très bas niveau, inférieur à 4 pour 1 000 habitants, contre plus de 7 ‰ trois décennies plus tôt. La loi qui institue le partenariat homosexuel en prenant le mariage comme référence est adoptée en 1994 (et mise en application le 1er janvier 1995), dans cette période d’étiage. En fait, tout le processus de réflexion et d’élaboration législative, débuté dès les années 1980, s’est déroulé dans un contexte de très basse nuptialité, parfois considéré comme une « crise » du mariage.
29Les autres pays nordiques ont suivi la Suède avec cinq ou six années de retard (à peine une ou deux au Danemark, sur lequel nous reviendrons). Au début des années 1990, dans tous ces pays, le taux de nuptialité a atteint un niveau très faible, inférieur à 5 ‰.
30Dans les pays non nordiques (Belgique, France, Allemagne et Pays-Bas), la France fait figure de pionnière, « à la scandinave », le taux de nuptialité descendant en dessous de 5 ‰ au milieu des années 1980, une dizaine d’années avant les autres pays de la région. Dans ces derniers pays, lorsque les diverses formes de légalisation des couples homosexuels ont été introduites, elles l’ont été avec quelques années de retard sur les pays voisins du Nord, mais la nuptialité elle-même venait d’atteindre de très faibles niveaux avec un certain décalage. En revanche, la France était déjà depuis plusieurs années dans cette situation au moment où le Pacs a été adopté, voire au moment où a débuté le long débat qui allait y conduire.
31Le Danemark est un cas à part. La tendance à la baisse, qui avait suivi de près celle de la Suède dans les années 1970, s’est inversée brutalement durant la décennie suivante. Une reprise spectaculaire s’est installée et s’est confirmée pendant deux décennies. La loi sur le partenariat enregistré a été adoptée en 1989, alors que la nuptialité s’accroissait depuis quelques années. Depuis son entrée en vigueur qui a donné la possibilité aux couples homosexuels de légaliser leur union, la hausse de la nuptialité des hétérosexuels se prolonge, avec un léger ralentissement récent.
32Le mouvement est désormais partagé par les autres pays nordiques, dont la nuptialité s’est systématiquement relevée depuis le milieu ou la seconde moitié des années 1990. Si l’adoption des lois relatives au partenariat s’est faite dans un contexte de nuptialité basse et décroissante (avec l’exception danoise, d’autant plus remarquable que le pays a donné le ton en matière législative), ces lois se mettent en pratique partout au moment où la nuptialité hétérosexuelle se redresse après avoir atteint le niveau le plus bas.
33Le contraste est frappant avec les pays non nordiques, où la nuptialité continue de décroître jusqu’aux années les plus récentes (Allemagne, Belgique et Pays-Bas) ou enregistre à nouveau dès 2000 une baisse qui l’amène aujourd’hui à son plus bas niveau (France). Dans ces pays, la mise en pratique des procédures de légalisation des couples homosexuels, plus récente que dans le Nord de l’Europe, s’accompagne d’une baisse de la nuptialité hétérosexuelle.
III – Enregistrement des unions homosexuelles et statistique
34Depuis l’origine de la discipline, la démographie s’est appuyée sur la compilation des actes d’état civil à l’échelon local ou national (l’exemple originel est celui des bills of mortality de Londres utilisés par John Graunt). Les migrations, qui impliquent un changement de résidence, sont également prises en compte par certaines administrations qui peuvent ainsi tenir à jour de façon permanente un état de la population résidente dans un registre et retracer les composantes naturelle et migratoire de la dynamique démographique. Ce n’est pas le cas dans tous les pays mais, en revanche, l’état civil au sens strict enregistre à peu près systématiquement les mariages au même titre que les naissances et les décès. L’analyse statistique de la nuptialité se fonde essentiellement sur ces données.
35Les étapes qui conduisent de l’enregistrement des mariages à leur traitement statistique sont souvent plus complexes qu’on ne l’imagine à partir de l’exemple français contemporain, où une même personne reçoit en mairie les informations sur les époux et leur union, établit l’acte de mariage, organise la circulation de l’information (transcriptions en marge d’autres actes concernant la personne) et assure une compilation au niveau local (avant transmission à l’institut de statistique pour les décomptes aux échelons géographiques supérieurs). Il en va à peu près de même dans les pays voisins de la France (Belgique, Allemagne et Pays-Bas), mais les pays nordiques offrent plus de diversité à leurs concitoyens en leur laissant le choix de célébrer et d’enregistrer leur mariage religieusement ou civilement, le lieu d’enregistrement du mariage civil pouvant lui-même faire l’objet d’un choix et variant d’un pays à l’autre (registre local de population, tribunal, notaire public, etc.) [8]. Il n’y a pas d’équivalent exclusif de l’officier d’état civil français (son intervention n’est prévue qu’en Finlande sur le registre et au Danemark en mairie). Un regroupement des données est cependant assuré avec une grande efficacité dans les registres de population.
36En France, il a été exclu que le Pacs soit enregistré en mairie par l’officier d’état civil au même titre que le mariage : c’est le greffe du tribunal d’instance qui reçoit les pacsés. La procédure est donc strictement coupée de celle du mariage, aussi bien pour l’état civil proprement dit que pour la statistique. Le statut de pacsé n’entre à aucun moment dans l’état civil des personnes (la mention n’est pas portée en marge des actes d’état civil) ; la statistique est compilée par les greffes et centralisée par les services du ministère de la Justice, sans intégration dans le circuit de l’institut de statistique.
37Nulle part dans les pays voisins la distance avec la procédure d’enregistrement des mariages n’est aussi grande, mais la situation varie d’un pays à l’autre. Aux Pays-Bas, l’enregistrement du partenariat se fait par la même voie que pour le mariage : dans le registre de population, qui est généralement tenu en mairie. La statistique s’établit selon la même procédure que pour les mariages. En Belgique, la cohabitation légale et le mariage sont également consignés en mairie, sur le registre local, par l’officier d’état civil. La cohabitation légale n’est cependant pas rattachée aux autres actes d’état civil par transcription en marge. En Allemagne, la loi laisse une large liberté aux autorités locales et régionales (Länder), d’où une grande diversité de modes de recueil (registre, notaire public, etc.), même si la solution adoptée est unique dans chaque lieu. Dans ces deux pays, la compilation statistique reste à ce jour problématique : en Belgique, des informations ponctuelles sur la cohabitation légale ont été fournies par le ministère de l’Intérieur en réponse à des questions parlementaires (les mariages ont fait l’objet d’un décompte publié par l’institut de statistique) ; en Allemagne, des informations ont été obtenues des ministères de l’Intérieur régionaux à l’initiative d’une association de juristes gays.
38La situation est beaucoup plus simple et claire dans les pays nordiques. La procédure d’enregistrement des partenariats (homosexuels) est la même que celle des mariages (hétérosexuels), sauf sur un point : elle exclut l’intervention des églises. La centralisation statistique sur les registres de population suit (à cette exception près) la même voie que celle empruntée par les mariages et la publication est faite par l’office de statistique dans des conditions similaires.
39La production statistique est en outre soumise à des contraintes légales ou administratives qui en limitent la teneur. Certaines sont spécifiques, d’autres sont plus générales. En France, les décrets qui ont accompagné la mise en place du Pacs en 1999 ont limité fortement les possibilités de disposer de statistiques détaillées, en empêchant en particulier de procéder à une comptabilisation selon le sexe des partenaires [9]. Ainsi, le Pacs est ouvert aux couples homo- comme hétérosexuels, mais la distinction de ceux-ci par la statistique a été rendue impossible dans les premières années d’application de la loi. Depuis lors, l’article 16 de la loi du 6 août 2004 relative à la protection des personnes physiques à l’égard des traitements de données à caractère personnel a levé cette restriction, mais aucune application n’en a encore été faite par le ministère de la Justice, qui continue de publier une statistique des enregistrements (et des dissolutions) de Pacs sans autre détail sur les personnes. Ici, on a pallié cette carence par une estimation de la part des Pacs homosexuels et hétérosexuels fondée sur des informations fournies par les greffiers de tribunaux, mais il s’agit d’une tentative aventureuse [10].
40En Belgique, la loi du 23 novembre 1998 instaurant la cohabitation légale ouvre celle-ci aux situations de vie commune de deux personnes, qu’elles soient le fait de couples homo- ou hétérosexuels, de paires de proches parents (parents-enfants, frères-sœurs, etc.) ou autres cas de vie commune. Les cohabitations légales peuvent être comptabilisées selon le sexe des partenaires, mais les personnes ne sont pas tenues de préciser leurs liens au-delà de leur volonté de cohabiter et il n’est donc pas possible de distinguer les couples des autres formes familiales et non familiales.
41Les pays nordiques et les Pays-Bas produisent leurs statistiques de partenariats enregistrés et de mariages homosexuels (Pays-Bas) à partir des registres de population. Or, les registres ne prenant en compte les personnes qu’au moment où leur résidence dans le pays est établie, il n’est pas toujours possible de connaître les caractéristiques des partenaires ou des conjoints qui, venant de l’étranger pour l’enregistrement de leur union, n’ont pas encore de résidence à cette date [11]. Par ailleurs, les effectifs des partenariats ou des mariages homosexuels étant souvent modestes, la caractérisation des conjoints doit rester sommaire lors de la publication des statistiques afin de respecter la confidentialité des données : d’où des regroupements en larges classes d’âges, etc.
42Enfin, malgré les efforts de coordination qui ont pu présider à l’élaboration des lois (en particulier entre pays nordiques), la diversité règne dans le domaine de la production statistique et rend difficile l’établissement de séries comparables d’un pays à l’autre. Les disparités les plus sérieuses sont d’ordre conceptuel. Ainsi, les conditions de résidence sont prises en compte différemment selon les pays. Au Danemark, la statistique publiée porte sur les couples dans lesquels au moins un des partenaires réside dans le pays ; en Norvège, la condition porte non pas sur l’un des deux mais sur l’aîné des deux ; en Finlande, l’information détaillée est publiée, ce qui permet de s’ajuster aux définitions danoise et norvégienne. En Suède, on s’appuie sur une autre base : le nombre d’enregistrements publié n’est pas celui des partenariats mais des partenaires (soit environ le double) lorsqu’ils résident dans le pays [12].
43De 1989 à 1998, le Danemark n’a pas publié de statistiques de partenariats mais des statistiques de partenaires, comme la Suède. Cependant, à la différence de la Suède (et des autres pays), il ne s’agissait pas de personnes dénombrées lors de l’enregistrement tout au long de l’année mais de personnes comptabilisées à une date précise (31 décembre), en distinguant celles qui étaient encore engagées dans un partenariat et celles qui ne l’étaient plus, par suite d’une séparation ou du décès du partenaire. Il ne s’agit plus alors d’une comptabilisation du nombre d’événements enregistrés pendant l’année mais du nombre cumulé de personnes ayant conclu un partenariat dans le passé qui n’est pas encore rompu (par séparation ou décès). À défaut d’informer sur les flux annuels de partenariats, la série chronologique de ces stocks permet de reconstituer approximativement le nombre de partenariats enregistrés chaque année entre 1989 et 1998.
44Ces différences conceptuelles introduisent une certaine imprécision dans les comparaisons internationales. On peut les négliger la plupart du temps, car nous verrons que les contrastes entre pays sont généralement trop accentués pour tenir à ces nuances, mais des incertitudes demeurent néanmoins.
IV – Les taux bruts d’enregistrement : tendances, niveaux, différences
45Le Danemark a été le pionnier dans la légalisation des couples homosexuels. Ce pays dispose donc de la série chronologique la plus longue, qui peut servir de référence. Les taux bruts d’enregistrement (nombre d’enregistrements de partenariats masculins ou féminins pour 100 000 hommes ou 100 000 femmes respectivement) peuvent être trompeurs la première année car la loi n’est entrée en application que le 1er octobre. Leur niveau élevé n’en est que plus remarquable, surtout pour les hommes. Le taux reste élevé en 1990, puis se stabilise durablement à un niveau plus modeste (tableau 3).
Taux brut d’enregistrement des Pacs, partenariats ou mariages homosexuels (pour 100 000 hommes ou femmes)
Taux brut d’enregistrement des Pacs, partenariats ou mariages homosexuels (pour 100 000 hommes ou femmes)
46Il en va de même dans les autres pays : on observe des taux élevés la première année (tronquée plus ou moins sévèrement) et parfois l’année suivante, puis un recul substantiel, qui marque généralement une stabilisation quand la loi d’enregistrement est suffisamment ancienne pour qu’on dispose d’une série longue. L’observation n’est pas surprenante : elle correspond à l’existence d’un « stock » de couples qui attendaient depuis quelque temps l’adoption de la loi pour pouvoir enfin en faire usage. On est plutôt surpris par la brièveté et la modération de cette phase, par rapport au niveau qui s’établit ensuite : elle ne dure jamais plus que les deux premières années civiles, la première étant souvent réduite à moins de douze mois. Cela suggère l’existence d’un stock peu volumineux.
47Au Danemark, en Norvège et en Suède, où les lois datent d’au moins une dizaine d’années, la période récente se caractérise par une augmentation par rapport au niveau de stabilisation. Le recours au partenariat s’intensifie à la longue. Dans les autres pays, le recul est insuffisant pour permettre une vérification (Finlande, France, Allemagne) ; en outre, aux Pays-Bas et en Belgique, l’adoption successive d’une forme de partenariat puis du mariage pour les homosexuels rend la lecture de tendance difficile.
48Pour comparer les taux bruts d’enregistrement d’un pays à l’autre, le mieux est sans doute d’éviter les toutes premières années suivant l’adoption des lois et de se situer juste après, lorsque s’amorce la stabilisation provisoire des taux (ou ce qui s’avère être tel dans les pays où le regard ultérieur permet de le vérifier). Les disparités sont alors très fortes. L’éventail va de moins de 2 pour 100 000 hommes ou femmes en Suède à plus de 10, voire plus de 20 dans certains pays. Ce rapport de 1 à 5 ou 10 dépasse de beaucoup celui qu’on enregistre entre les taux bruts de nuptialité hétérosexuelle dans les différents pays.
49Les pays où les taux sont faibles sont la Suède, la Norvège, la Finlande et l’Islande, avec des niveaux inférieurs à 4 pour 100 000. C’est-à-dire, avec les nuances qui les séparent, l’ensemble des pays nordiques sauf le Danemark. Il faut peut-être ajouter l’Allemagne, où les taux des 3,5 premières années atteignent à peine 5 pour 100 000 en moyenne annuelle, ce qui laisse anticiper une fréquence encore moindre en fin de période.
50Du côté des taux élevés figure la Belgique (environ 21 pour 100 000 la deuxième année d’application de la loi sur le mariage). Viennent ensuite les Pays-Bas, où les taux d’enregistrement relatifs au partenariat puis au mariage étaient de l’ordre de 11 pour 100 000 la deuxième année d’application de chaque loi [13]. Au Danemark, les taux du début des années 1990 sont nettement différenciés entre gays et lesbiennes (un point sur lequel nous reviendrons) : 11 à 13 pour 100 000 hommes ou femmes chez les premiers, 5 à 7 chez les secondes. La France appartient sans doute à ce groupe : si les pourcentages de Pacs homosexuels cités à la note 10 traduisent la réalité, le taux brut d’enregistrement serait de l’ordre de 12 ou 13 pour 100 000 chaque année depuis 2001.
51Les groupes de pays dégagés à l’examen des statistiques s’accordent mal aux intuitions que peut suggérer la lecture des lois instituant la légalisation des couples homosexuels. L’ensemble nordique est éclaté, bien qu’il y ait eu concertation sur un principe législatif commun : les enregistrements sont rares en Suède, peu fréquents en Finlande, en Islande et en Norvège et relativement nombreux au Danemark (au moins pour les hommes). À l’inverse, les pays non nordiques ont en commun des taux d’enregistrement largement supérieurs à la moyenne (à l’exception de l’Allemagne), alors que leur processus législatif a été extrêmement hétérogène.
1 – Éléments d’interprétation des différences entre pays : le contenu des lois
52La fréquence des légalisations peut être rapprochée du contenu des lois pour mettre en évidence une éventuelle influence de celles-ci. Nous retenons deux indicateurs globaux empruntés à Kees Waaldijk (2004). Le premier mesure l’ampleur des conséquences juridiques attachées au statut de couple homosexuel enregistré qui manquent pour en faire l’égal d’un couple hétérosexuel marié ; ce déficit peut être envisagé comme un frein à la légalisation de leur union par les homosexuels (tableau 4, colonne c). Le second saisit l’aspect positif de la législation en mesurant le surplus relatif de conséquences juridiques apporté par l’enregistrement des couples homosexuels par rapport aux couples restant sous le régime de la seule cohabitation informelle ; ce surcroît peut être envisagé comme une incitation à la légalisation de leur union par les homosexuels (tableau 4, colonne e).
Niveau de conséquences juridiques attachées au partenariat et à la cohabitation, en général et dans le domaine parental (couples de même sexe comparés aux couples mariés de sexe différent)
Niveau de conséquences juridiques attachées au partenariat et à la cohabitation, en général et dans le domaine parental (couples de même sexe comparés aux couples mariés de sexe différent)
53Ces mesures ont été obtenues par une procédure originale. Trente-trois conséquences juridiques susceptibles d’être associées à la reconnaissance légale du couple ont été étudiées dans les lois des neuf pays, en différenciant les cas du mariage, du partenariat et de la cohabitation de fait, et, à chaque fois, la situation des couples homosexuels et hétérosexuels. Ces conséquences relèvent du domaine parental pour sept d’entre elles (par exemple : les partenaires peuvent-ils adopter conjointement un enfant ?), sont d’ordre matériel pour dix-sept autres (par exemple : la protection sociale peut-elle être étendue d’un partenaire à l’autre ?) et d’ordre immatériel pour les neuf dernières (par exemple : un partenaire étranger obtient-il une carte de séjour ?). Dans chaque pays, des juristes experts ont été chargés de dire si la loi attache ou non les conséquences étudiées aux diverses situations de couple. À chaque conséquence a été attribué un score compris entre 3 et 0 : 3 si la loi prévoit la conséquence, 2 si elle y met des restrictions, 1 si la loi ne prévoit la conséquence que dans des cas spécifiques et 0 si elle exclut la conséquence. Un score global a été calculé par addition simple pour l’ensemble des 33 items étudiés ou pour des sous-ensembles.
54La distance entre la situation des couples homosexuels légalisés et celle des hétérosexuels mariés est maximale dans le Pacs français et la Lebenspartnerschaft allemande : 45 % des conséquences légales attachées au mariage ne sont pas accordées aux pacsés et 32 % à leurs homologues allemands. Elle est beaucoup plus faible ailleurs (moins de 20 %), c’est-à-dire dans l’ensemble des pays nordiques, mais aussi en Belgique et aux Pays-Bas, avec des minima dans ce dernier pays et en Suède. Il n’y a guère de relations entre cette mesure de la proximité entre partenariat (ou mariage) homosexuel et mariage hétérosexuel d’une part et la fréquence de légalisation des couples de même sexe d’autre part. Ni le taux record de la Belgique, ni la très faible statistique suédoise, ni la position originale du Danemark dans l’ensemble nordique ne sont l’écho du contenu des lois.
55L’incitation à s’enregistrer que pourrait représenter l’écart entre la situation juridique des partenaires et celle des cohabitants de même sexe est maximale en Belgique et en Islande, deux pays où la cohabitation de fait ouvre peu de droits aux couples homosexuels. Elle est minimale en Suède et aux Pays-Bas, où la cohabitation est au contraire déjà porteuse de nombreux droits auxquels le partenariat (ou le mariage) n’ajoute guère ; elle est minimale aussi en France, mais dans une configuration différente où le Pacs ajoute peu de droits à un concubinage lui-même très restrictif. Il n’y a certes pas de relation systématique entre ce qui pourrait être perçu comme un avantage à faire reconnaître une union et la fréquence des légalisations, mais on notera tout de même, aux deux extrêmes, le cas de la Belgique et celui de la Suède. La Belgique est le pays où la légalisation du couple homosexuel ouvre le plus de conséquences juridiques – en particulier comparativement aux pays occidentaux voisins – et celui où elle est la plus fréquente. La singularité suédoise est à l’inverse, en particulier par rapport aux voisins nordiques : la loi ouvre aux simples cohabitants des droits plus nombreux que dans les autres pays, le partenariat n’en ajoutant qu’à la marge et étant peu utilisé par les couples homosexuels. Davantage que la proximité avec les droits procurés par le mariage hétérosexuel, ce sont les droits ouverts par rapport aux concubins de même sexe qui pourraient être dans certains cas un motif de légalisation capable d’expliquer certaines disparités entre pays.
56On peut toutefois penser que toutes les conséquences juridiques attachées aux divers statuts conjugaux n’ont pas le même poids dans la décision de faire reconnaître une union et qu’en particulier les restrictions en matière parentale faites aux couples homosexuels jouent un rôle majeur dans la décision de légalisation. D’où l’intérêt d’une analyse spécifique portant sur ces seuls aspects (tableau 4, italiques).
57La distance relative entre le partenariat et le mariage hétérosexuel est beaucoup plus importante sur ce point particulier que sur l’ensemble des conséquences juridiques étudiées. En moyenne, la moitié des droits des parents hétérosexuels mariés sont fermés aux partenaires homosexuels, cette proportion étant maximum en France (83 %), puis en Allemagne et au Danemark (63 %), et minimum aux Pays-Bas (14 %) et en Suède (24 %). À l’inverse, le surcroît de droits dans le domaine parental des partenaires enregistrés par rapport aux simples cohabitants est modeste, avec un maximum en Suède et un minimum au Danemark [14].
58Aucun des points saillants que l’on a dégagés précédemment sur la fréquence des légalisations ne s’accorde avec les constats juridiques dans le domaine parental. Par exemple, les partenariats beaucoup plus nombreux au Danemark qu’en Suède ne le sont pas du fait de droits parentaux plus importants dans le premier pays que dans le second. C’est l’inverse, qu’il s’agisse de la proximité avec le mariage hétérosexuel ou de l’avantage donné aux partenaires enregistrés par rapport aux simples cohabitants.
59En fait, pour percevoir un effet du contenu parental des lois sur les comportements de légalisation, il faut distinguer entre couples masculins et féminins. Au cours de la première moitié des années 1990, les enregistrements de couples masculins étaient fortement majoritaires dans les pays pionniers de la légalisation des couples homosexuels (Danemark, puis Norvège et Suède). Les couples féminins étaient alors moitié moins nombreux que les couples masculins à utiliser les lois de partenariat. Mais un mouvement continu a amené progressivement à un meilleur équilibre entre les sexes (figure 2).
Évolution du ratio entre les taux d’enregistrement des couples féminins et des couples masculins (ratio F/H)
Évolution du ratio entre les taux d’enregistrement des couples féminins et des couples masculins (ratio F/H)
60Dans les trois cas cités, où des séries longues sont disponibles, le ratio entre les taux d’enregistrement masculins et féminins se rapproche régulièrement de l’unité. Dans les pays ayant proposé plus récemment une reconnaissance aux couples homosexuels (Islande, Pays-Bas, Finlande), l’équilibre numérique entre couples gays et lesbiens s’établit presque immédiatement dans les années 2000. L’Allemagne constitue une exception notable puisque les partenariats des années récentes sont à large prépondérance masculine, comme ils l’étaient en Scandinavie dix ans plus tôt [15].
61L’évolution enregistrée dans les pays pionniers suggère une accoutumance progressive des lesbiennes aux lois sur le partenariat, comme si les femmes de ce groupe surmontaient peu à peu des réticences à donner une visibilité à leur union par une légalisation inspirée de la pratique hétérosexuelle. Mais la vue d’ensemble a montré que dans des pays ayant adopté plus tardivement des lois sur le partenariat, la fréquence des légalisations a rapidement atteint des niveaux voisins chez les couples masculins et féminins.
62Les conditions de reconnaissance légale faites aux couples homosexuels sont identiques pour les hommes et les femmes dans les différents pays : on ne saurait donc expliquer par là les différences de taux d’enregistrement des gays et des lesbiennes. Il faut sans doute à la fois supposer une sensibilité différente des deux sexes aux mêmes conditions légales et postuler que certains aspects des lois revêtent une importance plus grande que d’autres dans ce mécanisme de différenciation. On pense ici aux conditions faites à la parentalité homosexuelle, qu’on peut supposer plus cruciales pour les lesbiennes que pour les gays et éventuellement déterminantes dans leur décision de légaliser leur union.
63Par exemple, les trois pays scandinaves ont en commun d’avoir accordé aux partenaires homosexuels enregistrés le droit d’adopter l’enfant de leur conjoint – sans offrir cette même possibilité aux couples cohabitants – longtemps après les lois de partenariat : le Danemark dix ans après (soit en 1999), la Norvège neuf ans après (en 2002) et la Suède huit ans plus tard (en 2003). En Islande, le décalage est seulement de quatre ans (en 2000) et aux Pays-Bas de trois ans (en 2001, mais la loi bénéficie aussi aux couples non enregistrés) [16]. La prise en compte du statut de partenaire homosexuel dans les lois d’adoption a eu lieu dans un petit nombre d’années autour de 2000, indépendamment de la chronologie antérieure des lois sur la légalisation des couples.
64Comme on le pressentait, la relation entre le contenu des lois sur la légalisation des couples homosexuels et la fréquence du recours à l’enregistrement n’est pas simple et simpliste. Il ne suffit pas que la loi d’un pays place le statut juridique des partenaires enregistrés au plus près de celui des conjoints mariés hétérosexuels, ou qu’elle mette une distance importante entre les couples légalisés et ceux qui restent dans une situation de fait, pour que la fréquence des légalisations soit plus élevée qu’ailleurs. Il y a seulement des signes, ici ou là, qui suggèrent des pistes pour l’interprétation. Par exemple, le faible recours à l’enregistrement en Suède pourrait tenir au fait que la plupart des droits ouverts aux couples homosexuels le sont aux simples cohabitants, la légalisation n’apportant qu’un surcroît modeste de droits. Nous y reviendrons plus loin. De même, les droits ouverts dans le domaine parental pourraient jouer un rôle, moins à l’égard des couples homosexuels en général que des couples lesbiens en particulier, à mesure que sont levées les restrictions par rapport aux couples mariés hétérosexuels. Mais des éléments d’interprétation sont aussi à chercher dans d’autres champs, en ouvrant la compréhension des comportements à l’influence éventuelle de facteurs contextuels plutôt qu’à un lien direct avec le facteur juridique.
2 – Les facteurs contextuels
65L’attitude des populations à l’égard de la reconnaissance légale des couples homosexuels est sans doute l’expression la plus simple et directe du contexte sociétal (tableau 5). L’approbation du mariage homosexuel est sensiblement plus fréquente dans les neuf pays étudiés que n’importe où ailleurs en Europe, mais il y a de fortes disparités à l’intérieur des neuf pays et même à l’intérieur des deux groupes nordique et occidental. L’approbation de l’adoption d’enfants par les couples homosexuels donne des résultats sensiblement équivalents. Le Danemark, qui fut pionnier dans la reconnaissance des couples homosexuels, se distingue par sa tolérance, en ligne avec le « frisind » décrit par Henning Bech (1992), mélange d’ouverture d’esprit et de souci de montrer la voie en matière de non-discrimination ; la Finlande et la Norvège sont très en retrait. À l’Ouest, les Pays-Bas, qui ont été les premiers à ouvrir le mariage aux homosexuels, sont au même niveau que le Danemark ; la France est la moins tolérante. La Belgique, qui a ouvert une voie originale avec la cohabitation légale et qui a suivi son voisin néerlandais sur le mariage, ne se distingue pas par ses attitudes à l’égard du mariage et de l’adoption comme elle le fait par la fréquence élevée des légalisations de couples homosexuels.
Quelques indicateurs de contexte : tolérance à l’égard de l’homosexualité, individualisation des droits sociaux, part relative des couples non mariés
Quelques indicateurs de contexte : tolérance à l’égard de l’homosexualité, individualisation des droits sociaux, part relative des couples non mariés
66La place faite aux couples dans les systèmes de protection sociale est un élément de contexte plus complexe que le précédent. Dans la typologie des États-providence de Gøsta Esping-Andersen (1996), les pays qui assurent le mieux le remplacement du salaire en cas de chômage, de maladie ou de retraite sont aussi ceux qui fondent les droits sociaux sur un principe d’universalité, au bénéfice de tous les individus, indépendamment de leur situation effective en matière d’activité ou de famille [17]. Dans ce cas, l’appartenance d’un individu à un couple est sans effet sur ses droits sociaux, contrairement à ce qui se passe dans des régimes plus « familialistes ». À l’inverse, l’existence d’avantages au bénéfice des couples témoigne du souci de favoriser, aux côtés d’une forte solidarité sociale, le maintien d’une solidarité privée entre conjoints. On peut juger de la réalité des faits en examinant si les couples (hétérosexuels) bénéficient ou non d’un bonus par rapport aux personnes seules en matière d’impôt sur le revenu, de couverture du risque maladie ou de retraite (pension de réversion).
67Aucun pays n’a pleinement individualisé les droits sociaux : les couples, en particulier les couples mariés, bénéficient partout d’avantages, qui sont à leur maximum en Allemagne, en France et en Norvège et à leur minimum en Suède et au Danemark [18]. Les avantages des couples mariés par rapport aux simples couples cohabitants sont aussi maximum en Allemagne et en France et minimum en Suède et aux Pays-Bas, où le statut légal du couple est sans importance.
68Il y a bien sûr une relation entre l’avantage donné aux couples mariés et le contexte de démariage évoqué précédemment. Appréhendée par la proportion de couples hétérosexuels cohabitants relativement à ceux qui sont mariés, l’importance du non-mariage est maximale en Suède, loin devant les autres pays nordiques, et elle est nettement moindre à l’ouest de l’Europe, avec un minimum en Allemagne et en Belgique.
69Toutefois, les deux facteurs contextuels que nous venons d’évoquer (la tolérance à l’égard de l’homosexualité et la place faite au couple, en particulier marié, dans l’organisation sociale) sont en relation inverse. Par exemple, les trois pays qui donnent le moins d’avantages aux couples mariés par rapport aux personnes seules (Suède, Danemark et Pays-Bas avec en moyenne 3 points sur 9 selon Waaldijk) sont aussi ceux où l’approbation du mariage pour les couples homosexuels est la plus forte (en moyenne 60 %) ; à l’inverse, en Allemagne, en France et en Norvège, le bonus aux couples mariés est maximal (9 points sur 9) et l’approbation du mariage homosexuel n’est en moyenne que de 34 %. Les sociétés les plus ouvertes à la reconnaissance des couples homosexuels sont aussi celles qui ont poussé le plus avant l’indifférenciation à l’égard des arrangements domestiques, en minimisant les avantages liés à la situation de couple et à la légalisation de celui-ci.
70Pas plus que le contenu des lois, les éléments contextuels ne peuvent expliquer de façon univoque les comportements de légalisation des couples homosexuels. Les incohérences qui peuvent apparaître dans la relation entre la fréquence des légalisations et l’attitude des sociétés à l’égard de l’homosexualité (par exemple le faible recours au partenariat enregistré en Suède, par ailleurs tolérante à l’égard du mariage ou de l’adoption pour les couples homosexuels) peuvent avoir leur origine dans l’importance que ces mêmes sociétés donnent au couple et à son statut juridique (voir l’indifférenciation du régime fiscal et social à cet égard en Suède). Réciproquement, l’importance que les systèmes sociaux français ou allemands donnent au couple et à sa légalisation ne se reflètent pas nécessairement dans la fréquence du recours à l’enregistrement par les couples homosexuels, face à une opinion relativement peu favorable au mariage de ces couples.
V – Dénombrement des couples non mariés ou non enregistrés
71Les taux bruts de nuptialité et d’enregistrement utilisés pour mesurer le comportement respectif des couples hétérosexuels et homosexuels se rapportent également à la population totale de chaque pays, comme si celle-ci était indifférenciée sexuellement. Ceci crée faussement les conditions de la comparabilité entre les comportements des hétéro- et des homosexuels, car les premiers sont beaucoup plus nombreux que les seconds. Que les taux de nuptialité soient beaucoup plus élevés que les taux d’enregistrement (les premiers sont exprimés pour 1 000 habitants, les seconds pour 100 000) reflète avant tout cette disparité.
72La comparaison a bien davantage de sens si elle prend pour base respective chacun des deux groupes, en saisissant ceux-ci à la même phase du processus conduisant à la légalisation de leur union. Nous nous proposons de considérer ici les couples hétérosexuels non mariés, en mesurant la fraction de ceux qui légalisent leur union dans l’année, puis de procéder de même avec les couples homosexuels non enregistrés. Le taux de nuptialité des couples hétérosexuels et le taux d’enregistrement des couples homosexuels permettent de déterminer si la reconnaissance légale des unions est plus courante chez les uns que chez les autres.
73Les données nécessaires au calcul de ces taux ne sont cependant pas d’accès simple partout et la signification des résultats n’est pas toujours d’interprétation aussi directe qu’il paraît. En France, le nombre de couples hétérosexuels non mariés est estimé grâce aux enquêtes sur l’emploi, avec une fiabilité satisfaisante depuis le début des années 1990. D’autres pays procèdent de même : l’Allemagne avec les Mikrozensus depuis 1991 ; la Norvège avec les Omnibus Surveys depuis 1993 ; la Suède avec les Living Conditions Surveys (ULF) depuis 1985. Dans tous les cas, les couples identifiés résident dans le même ménage ; les estimations du nombre de couples vivant leur conjugalité sans partager le même logement sont peu élevées [19] (Villeneuve-Gokalp, 1997 ; Toulemon, 1996).
74Dans les autres pays, il est fait recours aux registres de population. Ceux-ci s’appuient sur le constat de co-résidence des personnes et classifient comme couples non mariés les paires d’hommes et de femmes non apparentés, sous certaines conditions [20]. Le lien de couple n’est donc pas déclaré par les intéressés mais postulé par les statisticiens [21]. Par construction, le dénombrement ne porte que sur les couples partageant la même adresse. À cette restriction près, les statistiques peuvent être utilisées en confiance, moyennant quelques réserves au cas par cas.
75La tâche est autrement ardue lorsqu’il s’agit d’estimer le nombre de couples homosexuels (Festy, 2005). La population qu’il faut mesurer étant beaucoup moins nombreuse que les couples hétérosexuels, l’utilisation des enquêtes est beaucoup plus problématique. Le recours aux recensements (les micro-recensements en Allemagne) est nécessaire, avec des risques importants de sous-déclaration du lien de couple homosexuel, du fait de la sensibilité du sujet, de la concision du questionnaire et des pratiques de certains instituts de statistique peu soucieux de créer une catégorie spécifique pour les couples de même sexe. En Allemagne et en France, on a estimé que seuls un tiers des couples homosexuels se déclarent comme tels, les deux autres tiers se classant sans doute dans d’autres catégories comme les paires d’ami(e)s [22]. En Norvège, le recensement de 2001 était mal adapté à un décompte fiable des couples de même sexe [23]. En Suède, il n’y a plus de recensement de population.
76Aux Pays-Bas, la procédure adoptée pour estimer le nombre de couples cohabitants hétérosexuels sur la base du registre de population a été transposée aux homosexuels (Steenhof et Harmsen, 2004). À partir du constat de co-résidence d’adultes de même sexe non apparentés, un jugement est porté sur la probabilité qu’ils forment un couple à partir d’un petit nombre de critères (différence d’âge, emménagement simultané dans le même logement, etc.). Dans les autres pays où la transposition est envisageable, comme le Danemark ou la Finlande, elle n’a pas été faite à ce jour.
77En France, les couples homosexuels (déclarés comme tels ou non) représentent environ 0,9 % de l’ensemble des couples à la fin des années 1990 ; en Allemagne, cette fraction est passée de 0,6 % en 1996 à 0,7 % en 2004 ; aux Pays-Bas, de 1,0 à 1,2 % entre 1995 et 2002. Hors d’Europe, le pourcentage est du même ordre aux États-Unis (1 % vers 2000), plus faible au Canada ou en Nouvelle-Zélande. Cet éventail relativement restreint nous laisse supposer que la proportion de couples homosexuels est comprise entre 0,7 et 1,2 % dans les pays où nous n’avons pas d’information.
78Dans tous les cas – mesure, estimation ou supputation – le nombre pris en compte est relatif aux couples partageant un même logement. Or, les couples homosexuels résident ensemble moins systématiquement que les hétérosexuels. D’après les enquêtes conduites en France auprès des lecteurs de la presse gay, le pourcentage d’hommes vivant une relation stable sans pour autant cohabiter serait encore de 40 % en 1997, malgré une décroissance régulière au cours des années passées. Pour les femmes, la proportion était de 20 % (sur un échantillon restreint) [24]. En Allemagne, d’après le même type d’enquête, 59 % des hommes dans une relation stable ne cohabitaient pas avec leur partenaire en 2003 (Bochow, 2004). Si l’objectif est de dénombrer les couples homosexuels quel que soit leur mode de résidence, les résultats fondés sur les seuls partenaires cohabitants risquent de les sous-estimer sensiblement, contrairement à ce qui concerne les hétérosexuels.
79L’interprétation des taux de nuptialité des couples hétérosexuels et des taux de légalisation des couples homosexuels doit prendre en compte une difficulté. Pour les hétérosexuels, le rapport du nombre de mariages à celui des couples non mariés mesure correctement les comportements de légalisation si les futurs époux vivent ensemble à la veille de la cérémonie. C’est le cas dans la plupart des pays [25]. Dès les années 1980, guère plus de 5 % des jeunes Suédoises en couple avant 25 ans s’étaient mariées sans cohabitation préalable. Dans les autres pays c’était encore 10 à 20 % en Finlande, 30 à 40 % ailleurs, mais l’écart avec la Suède s’est comblé dès la décennie suivante. Seule la Belgique fait exception avec de fréquents mariages directs, en particulier en Flandre (mais les informations sont anciennes). Le taux de nuptialité des couples hétérosexuels est donc pertinent dès les années 1980 dans certains pays du Nord, un peu plus tard ailleurs, avec des réserves pour la Belgique.
80La question peut être transposée à la légalisation des couples homosexuels, mais les éléments de réponse sont rares. D’après une enquête auprès des séropositifs en France en 2003, 10 % des couples gays étaient pacsés, mais c’était le cas de 21 % de ceux qui partageaient le même logement et d’à peu près aucun pour ceux qui ne vivaient pas ensemble [26]. Les légalisations seraient donc exclusivement le fait des partenaires cohabitants ; le taux relatif à ces couples pourrait donc être tenu pour pertinent. C’est ce que nous faisons ensuite en comparant la nuptialité des hétérosexuels à la légalisation des couples homosexuels, sur la base des couples cohabitants dans les deux cas.
VI – Nuptialité des couples hétérosexuels et légalisation des couples homosexuels
81Les taux annuels de nuptialité des couples hétérosexuels sont en moyenne de l’ordre de 10 % (tableau 6). Ceci peut signifier que les couples attendent une dizaine d’années avant de se marier, mais c’est en fait le reflet d’une réalité plus complexe où une fraction seulement des couples se marient (la moitié ?), mais le font dans un délai sensiblement moindre (3-5 ans ?). Les taux faibles correspondent à des situations de mariage rare et tardif ; c’est l’inverse lorsque les taux sont élevés.
Taux de légalisation des unions par les couples homosexuels et hétérosexuels
Taux de légalisation des unions par les couples homosexuels et hétérosexuels
82La nuptialité des couples hétérosexuels est élevée en Allemagne (plus de 16 %), en Belgique, mais aussi au Danemark. Elle est faible en Norvège et surtout en Suède (6 %) [27]. Le contraste est marqué entre les deux extrêmes (Allemagne et Suède). Il est très amplifié par rapport à ce que révélaient les taux bruts de nuptialité récents, inférieurs à 5 pour 1 000 habitants dans les deux pays ces dernières années. C’est que les couples non mariés sont peu nombreux en Allemagne (un couple sur dix, les neuf autres étant mariés), contrairement à la Suède (un couple sur trois) : même si dans les deux cas la cohabitation prénuptiale est systématique, elle est brève en Allemagne et prolongée en Suède.
83Plus généralement, la nuptialité des couples est plus faible dans les pays nordiques que dans les autres pays, parce que la cohabitation hors mariage est sensiblement plus longue, mais aucun des deux ensembles n’est vraiment homogène : le Danemark se distingue de ses voisins par une nuptialité relativement forte, la France par une nuptialité relativement faible.
84Les taux de légalisation des couples homosexuels se situent quant à eux entre 1 % et 10 %, ce qui traduit soit une cohabitation extrêmement longue avant l’enregistrement (en moyenne, une vingtaine d’années !), soit, plus vraisemblablement, des durées nettement plus courtes et des proportions élevées de couples qui ne font pas reconnaître légalement leur union.
85Dans les pays nordiques, les taux de légalisation sont faibles, sauf au Danemark. Ils ne dépassent guère 2 % et sont même inférieurs en Suède. Ces taux sont bas par rapport à ceux des autres pays, mais surtout par rapport aux taux de nuptialité des couples hétérosexuels. Ils représentent à peine 30 % de ces derniers : le recours aux procédures de légalisation est modeste par rapport à l’usage que les hétérosexuels font du mariage.
86Le Danemark se différencie un peu de ses voisins nordiques, avec des taux sensiblement plus élevés. Cependant, comme le mariage des hétérosexuels est lui-même fréquent, la fréquence de la légalisation des couples homosexuels ne représente que 40 % de celle des couples hétérosexuels.
87Les pays non nordiques forment un ensemble plus disparate. Le taux de légalisation est faible en Allemagne (moins de 3 % par an, bien que la période inclue la phase initiale où les enregistrements sont généralement nombreux) et élevé en Belgique, où le mariage a attiré une proportion record de couples homosexuels en 2004, proche de 10 %. Les Pays-Bas (mariages) sont en position intermédiaire, mais les mariages ont reculé au fil du temps, sans doute concurrencés par le partenariat [28].
88Le contraste est encore accentué si l’on considère la relation entre légalisation des couples homosexuels et nuptialité des couples hétérosexuels, car on a vu que cette dernière est nettement plus élevée en Allemagne qu’ailleurs. L’écart entre les comportements des uns et des autres est maximum en Allemagne : les taux de légalisation ne représentent que 15 % des taux de nuptialité. Il est au contraire minimum en Belgique. De toutes les formes de reconnaissance des couples homosexuels adoptées en Europe, le mariage belge est celui dont la diffusion se rapproche le plus du mariage hétérosexuel : le taux de nuptialité des homosexuels est égal à 70 % de celui des hétérosexuels, soit un déficit de seulement 30 %.
VII – Mariages hétérosexuels et légalisations homosexuelles : autres différences
89Les comportements des homosexuels à l’égard de la légalisation de leurs unions ne diffèrent pas seulement de ceux des hétérosexuels par leur fréquence. Les enregistrements ont plus souvent lieu dans les grandes villes et à des âges plus tardifs. Ils se terminent aussi plus fréquemment par une rupture [29].
90La proportion de légalisations effectuées dans les grandes villes est généralement supérieure à celle des mariages. Mais les différences entre pays sont difficiles à interpréter, tant sont variables les découpages administratifs. En Norvège, de 1993 à 2002, 61 % des partenariats masculins et 44 % des partenariats féminins ont été enregistrés à Oslo, alors que seulement 16 % des mariages sont célébrés dans la capitale (soit des ratios de 1 à 4 et de 1 à 3, respectivement pour les hommes et les femmes). En Suède, de 1995 à 2003, 47 % des partenariats masculins et 37 % des partenariats féminins ont été enregistrés dans le comté de Stockholm, contre seulement 27 % des mariages (ratios inférieurs à 2). En Allemagne, entre 2001 et 2004, plus de 20 % des partenariats ont été enregistrés dans les deux villes-Länder de Berlin et Hambourg, contre 6 % des mariages (ratios de 1 à 3). Toutefois, en Belgique, en 2003-2004, 12 % des mariages entre personnes de même sexe ont été enregistrés à Bruxelles, contre 13 % des mariages entre personnes de sexe différent.
91Par ailleurs, les légalisations aux jeunes âges sont beaucoup plus exceptionnelles que les mariages. Pour l’observer, mieux vaut éviter les toutes premières années d’application des lois, où le phénomène est accentué par la relative abondance des régularisations de situations anciennes. En Norvège, en 1999-2001, les unions légalisées avant 30 ans ne constituent que 25 % des partenariats masculins et 22 % des partenariats féminins (contre 42 % de la nuptialité des hommes et 59 % de celle des femmes). En Suède, en 2000-2004, ces chiffres s’établissent respectivement à 10 % des partenariats masculins et 27 % des partenariats féminins (contre 26 % et 42 % des mariages). Aux Pays-Bas, les différences entre les deux types de légalisation sont minimes : 12 % des partenaires (hommes comme femmes) avaient moins de 30 ans en 1999 ; c’était le cas de 10 % des mariés homosexuels et de 14 % des mariées en 2002 (contre 32 % des hommes et 50 % des femmes dans les mariages hétérosexuels).
92En Norvège et en Suède, l’éventail des écarts d’âge entre partenaires est en outre beaucoup plus large dans les couples homosexuels que dans les couples hétérosexuels qui se marient. Les gays et les lesbiennes ont des âges à l’enregistrement voisins en Norvège et aux Pays-Bas tandis qu’en Suède, les lesbiennes sont plus jeunes que les gays.
93Les couples homosexuels qui légalisent leur union ont précédemment eu des enfants dans des proportions moindres que les couples hétérosexuels qui se marient (Andersson et al., 2004). En Suède, en 1995-2002, dans 19 % des partenariats masculins et dans 34 % des partenariats féminins l’un au moins des partenaires avait eu un enfant (contre 58 % des conjoints dans les mariages). En Norvège, en 1993-2001, les pourcentages étaient de 13 % pour les gays et 26 % pour les lesbiennes. Ces proportions s’ajustent étroitement à celles des partenaires ayant été mariés antérieurement (respectivement 20 % et 27 % en Suède, 15 % et 26 % en Norvège), car la plupart des enfants sont nés d’une union hétérosexuelle aujourd’hui dissoute. En revanche, la proportion de nouveaux mariés l’ayant déjà été est moitié moindre que celle des époux ayant déjà eu des enfants (27 % contre 58 % en Suède), car de nombreux couples hétérosexuels ont eu des enfants ensemble pendant leur cohabitation prénuptiale.
94Enfin, à durée égale depuis la légalisation, les ruptures sont plus fréquentes chez les partenaires enregistrés que chez les hétérosexuels mariés, bien que, dans les pays nordiques étudiés ici, les procédures de dissolution des partenariats et des mariages soient identiques [30]. Mais on ne peut juger que des premières années de vie commune légalisée. Au Danemark (1999-2003), la divortialité des partenaires masculins est légèrement supérieure à celle des mariés hétérosexuels (+ 12 %) ; celle des partenariats féminins l’est plus largement (+ 58 %). En Islande, depuis l’instauration du partenariat enregistré (1996-2004), la sur-divortialité des partenaires masculins est très forte (rapport de 1 à 3) ; celle des femmes est un peu moindre (rapport de 1 à 2). En Norvège, depuis l’instauration du partenariat (1993-2001), la divortialité des partenaires masculins ne diffère pas de celle des mariés, alors que celle des partenaires féminines est double. En Suède (1998-2004), la divortialité des partenaires masculins est légèrement supérieure à celle des mariés (+ 20 %), mais celle des femmes est près du double. Au fil du temps, la sur-divortialité des partenaires se réduit, les comportements se rapprochant graduellement de ceux des mariés et l’écart entre hommes et femmes se résorbant légèrement. La divortialité est généralement plus forte pour les partenariats des femmes que pour ceux des hommes (sauf en Islande), et l’écart est très net en Norvège et en Suède. La distance avec les couples mariés se réduit peut-être avec le temps, mais la tendance reste incertaine.
95L’ensemble des disparités entre couples homo- et hétérosexuels face à la légalisation de leur union souligne bien que ceux-ci ne sont pas deux catégories que seule leur orientation sexuelle distinguerait. Sous les différences de lieu de résidence, d’âge, de présence d’enfants, d’espérance de vie commune ou encore de partage du logement affleurent des modes de fonctionnement contrastés dont la différence des pratiques de légalisation est une des dimensions. Au fil du temps, des signes apparaissent cependant, ici et là, d’une atténuation des écarts entre couples homosexuels et hétérosexuels : concernant les âges, les risques de rupture, mais aussi la résidence conjointe, etc. Ces mouvements discrets accompagnent celui qui anime la fréquence des légalisations, qui se rapproche lentement de la nuptialité des couples hétérosexuels, mais dans une période où celle-ci est elle-même faible et déclinante dans la plupart des pays.
Vue d’ensemble et conclusion
96Conduite dans neuf pays d’Europe où des lois récentes ont ouvert des possibilités de reconnaissance légale des unions alternatives au mariage, l’analyse comparative des procédures de légalisation des couples révèle trois catégories de phénomènes.
97Tout d’abord, la légalisation des couples homosexuels par les procédures nouvelles d’enregistrement ou par le mariage est sensiblement moins fréquente que celle des couples hétérosexuels par le mariage. Et ceci malgré la désaffection qui touche l’institution matrimoniale. Ce n’est peut-être pas une surprise puisque les lois nouvelles peuvent être jugées tout à la fois trop en deçà de la législation du mariage pour être attrayantes et trop proches d’elle pour être adaptées à la spécificité des couples qu’elles visent. C’est l’occasion de s’interroger sur ce qui fait la différence entre la légalisation des couples homosexuels et hétérosexuels et, plus radicalement, sur le bien-fondé de la comparaison entre les uns et les autres.
98Ensuite, la fréquence des enregistrements dans les différents pays est disparate, bien davantage que ne l’est le recours au mariage. Toutefois, la diversité observée n’est pas forcément celle que l’intuition aurait laissé attendre. Non seulement les pays nordiques, qui ont souvent paru pionniers dans l’adoption de nouveaux comportements conjugaux, ne sont pas ici en tête du classement des plus fortes fréquences, mais ils présentent une hétérogénéité interne qui s’accorde mal avec le fait que les lois y ont suivi un processus commun d’élaboration. Plus généralement, on s’étonne que les pays qui semblent avoir accordé le plus de droits aux couples enregistrés ne soient pas toujours ceux où le recours à la loi est le plus important.
99Enfin, les lois ont été adoptées dans un contexte général de désaffection à l’égard du mariage. Le « démariage » est aujourd’hui répandu en Europe, mais il a historiquement débuté dans les pays du Nord, ceux qui ont aussi été les premiers à adopter des lois dites de partenariat enregistré. D’où l’hypothèse d’une possible influence de cet environnement sur l’attitude des couples concernés à l’égard des nouvelles législations. D’autant que la faible nuptialité n’est qu’un élément d’un ensemble plus large de remise en cause des formes familiales classiques par la montée des divorces, le développement des naissances hors mariage, etc.
100Dans les différents pays, les couples visés par les lois de partenariat ne légalisent pas leur union aussi souvent que ceux concernés par le mariage. Le constat s’applique essentiellement à la comparaison entre homosexuels et hétérosexuels, même s’il a une portée plus générale puisque, par exemple, les conjoints de sexe différent qui ont le choix optent dans une large majorité pour le mariage plutôt que ses alternatives (Pacs ou autres).
101C’est peut-être un déficit provisoire que le temps finira par combler. Il est courant que les institutions familiales mises en place par la loi tardent à entrer dans la pratique des populations, même quand celles-ci les ont appelées de leurs vœux. En France, aux trois grands stades de son développement, lors de son instauration en 1792, de son rétablissement en 1874 et de son extension en 1975, le divorce n’a d’abord suscité qu’un modeste afflux de demandes, compte tenu des attentes qu’on pouvait imaginer, avant une croissance lente et régulière de la fréquence des mariages rompus. Ainsi, huit décennies ont été nécessaires après la loi Naquet pour que s’établisse, dans les années 1950-1960, un régime stable où un mariage sur dix se concluait par un divorce. Quant au mariage, selon Georges Duby, il lui a fallu deux siècles au moins au Moyen Âge pour que l’Église catholique l’impose comme cadre consacré, contrôlé par le clergé, au terme d’un long conflit où l’ordre nouveau se substituait à un ordre différent, contrariant d’autres obligations morales et de vieilles habitudes. Dans les pays nordiques où les lois de partenariat offrent un recul de plusieurs années, la hausse progressive du nombre de couples enregistrés a commencé de rapprocher le comportement des couples homosexuels de celui des hétérosexuels. Cette hausse est avant tout le fait des lesbiennes qui recouraient le moins aux dispositifs d’enregistrement dans les premières années d’application des lois. Au fil du temps, les pratiques s’installent dans la vie des couples sans pour autant que l’évolution du cadre législatif puisse être tenue pour principal responsable.
102Le contenu même des lois peut cependant aussi être invoqué pour expliquer le faible recours des couples aux possibilités nouvelles d’enregistrement. Dans aucun pays, les alternatives au mariage n’ont tous les attributs du mariage. Même quand celui-ci s’ouvre aux homosexuels comme aux Pays-Bas et en Belgique, il exclut certaines conséquences légales, qui restent propres à l’union des personnes de sexe différent. Le déficit est systématique en matière parentale : il n’y a jamais d’équivalent de la présomption de paternité au bénéfice du conjoint quand un des deux partenaires devient parent ; les partenaires ne peuvent se prévaloir de la légalité de leur union pour adopter ensemble un enfant qu’en Suède et aux Pays-Bas et avec des restrictions, etc. Des avantages matériels accordés aux mariés sont déniés aux partenaires en Allemagne ou aux pacsés en France (le droit à la pension de réversion ou les exonérations de droits de succession), etc. Les procédures d’enregistrement diffèrent presque toujours de celles du mariage, soit qu’elles excluent l’intervention des églises dans les pays nordiques, soit qu’elles prévoient des voies spécifiques en France ou en Allemagne. Substantiellement ou symboliquement, il subsiste partout des éléments qui distinguent ce que le vocabulaire différencie (partenariat et mariage) et même ce qu’il tend à confondre (mariage homosexuel et hétérosexuel).
103À l’« offre » incomplète proposée par la loi se confronte la « demande » des couples qu’elle vise. Or, rien n’assure que ces attentes se confondent avec celles des candidats au mariage. Les signes s’accumulent qui montrent que les couples homosexuels diffèrent des couples hétérosexuels par leurs conditions de vie et leurs comportements. Les formes de vie commune des homosexuels ne sont pas celles des hétérosexuels, avec des pratiques diverses en matière de fidélité, de partage des biens, des tâches ou des activités, etc. Les conjoints qui contractent un partenariat sont souvent plus âgés que ceux qui se marient, les écarts d’âge ont une amplitude plus large, leur union est en moyenne plus éphémère. De même que la protection qu’offrent les liens du mariage est inégalement recherchée par les hommes et les femmes des diverses classes sociales, les besoins et les attentes des couples homo- et hétérosexuels ne sont pas identiques. La revendication d’une originalité homosexuelle laisse présager une spécificité des comportements vis-à-vis de l’institution matrimoniale. Dans le cas le plus radical, le mariage ou ses alternatives sont rejetés, quel qu’en soit le contenu, du fait de leur association historique avec l’hétérosexualité. À l’inverse, le recours à l’enregistrement peut être considéré comme une mesure approximative de l’adhésion à la norme hétérosexuelle d’institutionnalisation du couple.
104Le recours à l’enregistrement est très inégal selon les pays. La vue d’ensemble est encore compliquée par le fait que, parfois, les mêmes catégories de couples (homosexuels ou hétérosexuels) ont le choix entre le mariage et des procédures alternatives, qui peuvent se présenter comme des formes concurrentes ou des étapes successives du processus de légalisation. Les différences portent aussi sur les caractéristiques des conjoints (sexe, âge, lieu de résidence, etc.).
105Les disparités internationales sont nettement plus grandes en matière de partenariat que de mariage, mais ces dernières ne sont pas négligeables pour autant : le statut de marié a généralement moins d’implications dans les pays nordiques qu’en France et chez nos voisins, en particulier parce que les systèmes de protection sociale y sont davantage attachés à la personne qu’à l’unité familiale. Sur l’échelle établie par Kees Waaldijk pour mesurer les conséquences légales du mariage, le Danemark recueille 15 points de moins (sur 99) que la France ou la Belgique. Par ailleurs, la fréquence du recours au mariage diffère selon les pays : elle est aussi généralement moins élevée dans les pays nordiques qu’ailleurs, une fraction plus forte de couples hétérosexuels restant durablement dans le simple statut de cohabitants. Mais la corrélation se limite à ce niveau de généralité : plus en détail, il y a des disparités importantes dans le groupe nordique, qui ne reflètent pas de différences visibles dans la substance légale du mariage, et des disparités également fortes entre les autres pays. Au total, la diversité des comportements en matière de nuptialité est sensiblement plus grande que la diversité des implications légales du mariage, ce qui suggère le jeu de facteurs contextuels autres que juridiques dans le recours à la légalisation des unions.
106C’est a fortiori vrai pour la légalisation des couples homosexuels, la dispersion étant encore plus grande que pour le mariage, sur les plans tant juridique que statistique. Le Pacs français ou la Lebenspartnerschaft allemande ont une portée bien moindre que le partenariat nordique ou néerlandais, en particulier parce qu’ils excluent toute conséquence juridique dans le domaine parental. Sur l’échelle de Waaldijk appliquée à ces statuts, la France et l’Allemagne recueillent 24 points de moins (sur 99) que les Pays-Bas. En regard, la dispersion des comportements est considérable, malgré les imprécisions qui entourent sa mesure. Mais la relation entre la loi et le nombre ne se prête guère à des généralisations simples. Au sein du groupe nordique, qu’un esprit commun a animé dans la rédaction des lois sur le partenariat, la distance est grande entre le Danemark et les autres pays en matière d’enregistrement des unions ; entre ce groupe de pays d’une part, la Belgique et les Pays-Bas d’autre part, l’écart est important en ce qui concerne la fréquence des légalisations, mais modeste en termes de contenu juridique. Est-ce parce que les uns dénomment partenariat ce que les autres appellent mariage ? Plus généralement, ce qu’une lecture globale des lois ne permet pas de discerner devra sans doute être recherché dans une lecture en détail, car l’usage que les couples font des procédures de légalisation qui leur sont proposées dépend probablement de dispositions spécifiques.
107À l’inverse, des éléments du contexte plus global sont également à prendre en compte. L’exemple de la comparaison entre le Danemark et la Suède permet de suggérer la direction que pourrait prendre cet effort. Le rapprochement des deux pays étonne parce que la fréquence des enregistrements y est largement différente, plus forte au Danemark qu’en Suède, alors que les lois de partenariat sont pour l’essentiel calquées l’une sur l’autre. Par ailleurs, les deux pays ont montré presque simultanément dans les années 1960 les premiers signes d’un recul profond du mariage, qui s’est ensuite diffusé dans la plupart des pays d’Europe. Mais le parallélisme des tendances dans ce domaine a été rompu depuis maintenant vingt ans, la nuptialité se redressant vigoureusement au Danemark pendant qu’elle continuait à reculer en Suède, si bien que les lois de partenariat sont entrées en vigueur dans des environnements sensiblement différents. D’où le constat que les lois jumelles adoptées à cinq ans d’intervalle ont bénéficié d’une adhésion nettement plus grande dans le pays où le mariage enregistre lui-même une évolution beaucoup plus positive.
108En fait, la similitude apparente du contenu des lois cache sans doute une divergence profonde dans leur esprit et dans les raisons qui ont conduit à leur mise en place. La désaffection des couples suédois à l’égard du mariage et le développement de la simple cohabitation ont d’abord conduit le législateur à renforcer ce statut pour améliorer la protection des partenaires (dès 1974), puis à envisager de faire bénéficier les couples homosexuels des mêmes progrès que les hétérosexuels dans ce domaine (dès 1988). Dans le même temps, le parlement danois a préféré porter ses efforts sur le mariage, pour en accroître l’attractivité, et l’ouvrir aux homosexuels par l’instauration d’un statut spécifique mais largement inspiré de celui des hétérosexuels. Au Danemark, la loi sur le partenariat a été le point focal d’une action concertée visant à soutenir le regain de la nuptialité, alors qu’elle a été, en Suède, une opération d’harmonisation des législations nordiques, acte étant pris d’une désaffection à l’égard du mariage.
109À bien des égards, le Danemark reste une exception en Europe où la tendance générale est au « démariage ». Les procédures nouvelles de légalisation des unions ont donc été proposées aux couples, en particulier homosexuels, dans une phase de déclin de l’institution matrimoniale. Les faibles taux d’enregistrement de la plupart des pays doivent être replacés dans ce contexte, où ils ne constituent pas une surprise. Mais à l’instar du Danemark et de la Suède, les États-providence ont aussi le souci de donner aux solidarités interpersonnelles le soutien d’un cadre légal que le mariage assurait traditionnellement, en offrant des formes nouvelles d’institutionnalisation inspirées des précédentes à des groupes élargis (couples hétérosexuels non mariés, couples homosexuels, voire paires de personnes vivant conjointement). Que ce soit pour réduire les discriminations entre les uns et les autres, pour combattre des fragilités spécifiques (sida) ou pour réduire la charge des solidarités sociales. Dans le temps court de mise en place des nouvelles lois, ce jeu de facteurs complexes peut donner des résultats contradictoires que la démographie des procédures d’enregistrement fait affleurer.
Remerciements
Cette recherche a bénéficié d’un financement de la Mission de recherche Droit et Justice.RÉFÉRENCES
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Notes
-
[*]
Institut national d’études démographiques.
-
[1]
Le cas du partenariat au Royaume-Uni n’est pas étudié ici.
-
[2]
Le cas du partenariat homosexuel et hétérosexuel au Luxembourg n’est pas étudié ici.
-
[3]
Le cas de l’Espagne, où le mariage a été ouvert aux homosexuels sans forme alternative d’enregistrement, n’est pas étudié ici.
-
[4]
Nous remercions pour leur contribution Turid Noack et Ane Seierstad (Statistique Norvège), Jan Latten et Lisbeth Steinhof (Bureau central de statistique, Pays-Bas), Anna Qvist (Statistique Danemark), Ólöf Gardarsdóttir (Hagstofa, Islande), Gunar Andersson (Max Planck Institute for Demographic Research, Allemagne).
-
[5]
Les résultats numériques relatifs aux hommes et aux femmes étant étroitement corrélés, on considère indifféremment les uns ou les autres.
-
[6]
L’Islande est un cas à part, qui perd toutefois de sa spécificité à mesure que le mariage cesse d’être le cadre privilégié pour la naissance des enfants dans les autres pays. Depuis longtemps, les naissances hors mariage sont fréquentes, atteignant déjà autour de 25 % en 1960 contre moins de 10 % ailleurs en Europe occidentale ; aujourd’hui, leur part s’établit à 65 % en Islande contre un maximum de 50 % dans les autres pays.
-
[7]
Des mesures plus fines de la nuptialité n’ajouteraient rien aux tendances et aux comparaisons de niveau entre pays ayant des structures démographiques voisines.
-
[8]
On trouvera plus de détails dans Waaldijk, 2004, p. 34.
-
[9]
Décret n° 99-1090 du 21 décembre 1999, relatif aux conditions dans lesquelles sont traitées et conservées les informations relatives à la formation, la modification et la dissolution du PACS et autorisant la création à cet effet d’un traitement automatisé des registres mis en œuvre par les greffes des tribunaux d’instance, par le greffe du tribunal de grande instance de Paris et par les agents diplomatiques et consulaires français, article 2. L’élaboration de statistiques est limitée à la « production d’informations rendues anonymes, exclusivement destinées à permettre de connaître le nombre de déclarations, de modifications et de dissolutions de pactes civils de solidarité ayant fait l’objet d’un enregistrement ».
-
[10]
Les greffiers des tribunaux se livrent à des décomptes « sauvages » qui distinguent les enregistrements qui sont le fait de couples homo- et hétérosexuels. La présidente de l’association des greffiers en chef a cité les pourcentages suivants, lors d’une audition par le groupe de travail sur l’évaluation et l’amélioration du pacte civil de solidarité, mis en place par le ministre de la Justice : 45 à 50 % de couples homosexuels (et 50 à 55 % de couples hétérosexuels) en 2000, 15 à 20 % (et 80 à 85 %, respectivement) en 2004. La validité de ces chiffres est impossible à préciser, mais nous les utiliserons faute de mieux, en procédant à une interpolation linéaire entre ces valeurs pour estimer ceux des autres années.
-
[11]
Les registres ayant un caractère permanent, un certain flou existe à propos de la date à laquelle les statistiques sont établies : une personne non résidente lors de l’enregistrement peut l’être devenue au moment où sont établies les statistiques, par exemple en fin d’année, voire plus tard.
-
[12]
Des différences du même ordre existent dans les statistiques de mariages couramment publiées, qui peuvent se référer aux couples dans lesquels au moins un des époux réside dans le pays (Danemark), à l’époux (Norvège) ou bien à l’épouse (Finlande, Suède), etc.
-
[13]
Les statistiques de mariages sont plus difficiles à interpréter que celles des partenariats précédemment. Il se pourrait que se soit installée aujourd’hui une réelle concurrence entre les deux formes de légalisation des couples homosexuels, le recul récent du nombre de mariages s’accompagnant d’une hausse des partenariats.
-
[14]
Au Danemark, les partenaires ont moins de droits parentaux que les cohabitants homosexuels. C’est la conséquence d’une disposition qui n’est pas propre à ce pays : l’adoption par une seule personne est autorisée en général, mais elle est impossible pour une personne appartenant à un couple homosexuel enregistré.
-
[15]
A contrario, en un an, après l’ouverture du mariage aux homosexuels en mai 2004 au Massachusetts, on a enregistré 3 421 mariages de femmes et 1 961 mariages d’hommes, soit un rapport égal à 1,7.
-
[16]
En Finlande et en Allemagne, les lois de 2001 n’ouvrent pas le droit à l’adoption de l’enfant du partenaire enregistré.
-
[17]
L’indicateur de protection sociale d’Esping-Andersen, calculé en 1980, était maximum au Danemark, en Norvège et en Suède (38-39 points), un peu moindre en Belgique et aux Pays-Bas (32 points) et plus faible encore en France, en Allemagne et en Finlande (autour de 28 points). Dans les pays dits libéraux, comme le Royaume-Uni ou les États-Unis, l’indicateur n’atteignait que 13 à 23 points (Esping-Andersen, 1996, p. 52).
-
[18]
L’impact de la situation de couple sur l’impôt sur le revenu dans les pays de l’Union européenne a été mesuré par Sterdyniak (2004, p. 454) ; sur les pensions de retraite, il l’a été par Jepsen et Meulders (2002, p. 103).
-
[19]
La notion de vie en couple séparé recouvre néanmoins des situations très hétérogènes (Haskey, 2004).
-
[20]
Au Danemark et en Finlande, on considère comme couples cohabitants les duos de personnes non mariées et non apparentées ayant moins de 16 ans d’écart d’âge ou un enfant en commun. Aux Pays-Bas, la règle est plus complexe, prenant en compte davantage de critères (Steenhof et Harmsen, 2004).
-
[21]
L’Islande fait cependant exception : la statistique décompte les couples non mariés dans le registre de population sur la base de leur déclaration administrative de cohabitation. Le nombre publié par Hagstofa (Statistique Islande) est celui des couples ayant fait enregistrer leur union selon une procédure certes simple et fréquemment suivie par les couples mais qui ne concerne ni l’ensemble des non-mariés, ni toute la période de vie en couple hors mariage. Parmi les mariages célébrés en 2001-2004, 87 % ont été précédés d’une cohabitation enregistrée, témoignant à la fois que la pratique est extrêmement répandue, mais qu’elle n’est pas systématique. Par ailleurs, pour 100 couples qui font enregistrer leur union, environ 68 finissent par se marier (indice du moment, moyenne 2001-2004) ; cf. Statistics Iceland, 2004.
-
[22]
Pour l’Allemagne, l’estimation du nombre de couples homosexuels est tirée des Mikrozensus depuis 1996. Le dénombrement identifie d’abord les personnes qui ont déclaré leur lien de couple dans la question sur la composition du ménage. Il s’élargit ensuite aux paires de personnes de même sexe appartenant au même ménage. Dans la définition restreinte, le nombre de couples homosexuels passe de 38 000 en 1996 à 56 000 en 2004. Dans la définition large, le nombre de couples homosexuels passe de 124 000 en 1996 à 160 000 en 2004. En France, le recensement de 1999 n’a pas comptabilisé les couples homosexuels qui s’étaient déclarés comme tels. En revanche, on dénombre 76 000 ménages formés de deux personnes de même sexe qui se sont déclarées comme ami(e)s (les cas d’étudiants partageant un même logement ont été exclus), cf. (Digoix, Festy et Garnier, 2004). Par ailleurs, les enquêtes sur l’emploi réalisées dans la seconde moitié des années 1990 permettent d’estimer le nombre de couples de même sexe qui se sont déclarés comme tels, car ils n’ont pas été rejetés de la procédure de classification comme cela a été le cas au recensement. En 1995-1999, ils ont été en moyenne 45 000 chaque année.
-
[23]
Le recensement de 2001 en Norvège a pris la forme d’un questionnaire envoyé aux personnes figurant dans le registre de population, pour qu’elles confirment la validité de leur adresse et le nom de ceux avec qui elles partageaient leur logement. Un dénombrement des couples cohabitants a été réalisé sur cette base, soit 2 295 pour ceux de même sexe. Les responsables de l’opération estiment cependant que le nombre de couples cohabitants hétérosexuels est sous-estimé de 15 à 20 % et celui des homosexuels encore davantage « since we believe that not everybody want to confirm their relationship » [communication personnelle de Turid Noack, 27 mai 2004].
-
[24]
Résultats de l’enquête nationale sur la presse gay en 1997 cités par Philippe Adam (1999).
-
[25]
Macura, Mochizuki-Sternberg et Lara Garcia, 2002 (en particulier, figure 4.7, p. 38).
-
[26]
Cf. Schiltz, 2004 (en particulier, p. 230). Dans un échantillon très restreint et non représentatif de 29 homosexuels pacsés, W. Rault observe que 2 ont débuté leur cohabitation avec le Pacs (Rault, 2005).
-
[27]
Les taux en Islande sont un peu surestimés car le dénominateur ne comptabilise les couples non mariés que dans la mesure où ceux-ci se sont enregistrés (cf. note 21).
-
[28]
En France, si nous retenons les proportions de Pacs homosexuels évoquées précédemment (cf. note 10), le taux d’enregistrement serait de l’ordre de 7 %, soit le plus élevé des neuf pays après la Belgique.
-
[29]
Pour la Norvège et la Suède, cf. Andersson et al., 2004.
-
[30]
En revanche, les procédures de rupture des Pacs français, des cohabitations légales belges et des partenariats néerlandais sont plus souples que celles des mariages. Aux Pays-Bas, la facilité de rompre les partenariats semble créer un courant favorable à cette forme de légalisation au détriment du mariage, chez les homosexuels comme chez les hétérosexuels.