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Article de revue

Stratégies reproductives et prise de décision au Sénégal : le rôle de la mortalité des enfants

Pages 773 à 806

Notes

  • [*]
    Département d’anthropologie, University College, Londres.
  • [**]
    Département de démographie, université de Montréal. Traduit par Florence Waïtzenegger-Lalou.
  • [1]
    Pour les revues de littérature, voir les travaux de LeGrand et Sandberg (2004, à paraître) et de Cohen et Montgomery (1998). Plusieurs autres mécanismes peuvent être à l’origine d’un lien de nature comportementale entre mortalité et fécondité. La baisse de la mortalité conduit à une croissance plus rapide de la population et finalement à des densités de population plus élevées, lesquelles peuvent réduire la valeur économique des enfants pour leurs familles ou mener à la mise en place de politiques visant à limiter les naissances. Bledsoe et al. (1998) ont cependant démontré qu’en Gambie, les stratégies reproductives des femmes sont basées sur une compréhension différente des liens entre les enfants mort-nés, les décès d’enfants et la survie des enfants avec pour conséquence que les femmes qui ont perdu beaucoup d’enfants ou eu de nombreux enfants mort-nés retardent la venue de l’enfant suivant. L’épidémie de VIH/Sida, qui met en relation mort d’un enfant, perspectives de survie des enfants à venir et survie et santé à long terme des parents, semble modifier les stratégies reproductives dans certaines régions d’Afrique (Ainsworth et al., 1998 ; Grieser et al., 2001), bien qu’elle ait, jusqu’à présent, très peu d’effets sur la fécondité au Sénégal.
  • [2]
    La baisse de la mortalité des enfants conduit progressivement à un rajeunissement de la structure par âge, toutes choses étant égales par ailleurs. En Afrique, les épouses sont souvent beaucoup plus jeunes que leurs maris ; cet écart d’âge entre les conjoints peut provoquer un excédent numérique de candidates au mariage par rapport aux hommes. Un tel déséquilibre sur le marché matrimonial pourrait conduire à une augmentation de l’âge au mariage des femmes et à une réduction de l’écart d’âge entre les conjoints (pour des résultats empiriques, voir Hertrich, 2002 ; Blanc et Gage, 2000), ainsi qu’à un recul de l’âge à la première naissance. D’autres études ont montré que l’existence d’une pénurie de conjoints potentiels sur le marché matrimonial avait contribué à la baisse de la fécondité dans certaines régions d’Asie (Fernando, 1975 ; Caldwell et al., 1983 ; Mari-Bhat et Halli, 1999).
  • [3]
    Schultz note aussi que, dans un contexte de baisse de la mortalité des enfants, le coût moyen d’un enfant survivant (en termes d’argent, de temps et de santé de la mère, etc.) devrait diminuer et que le nombre d’enfants survivants souhaités par les parents devrait augmenter. L’effet global sur la fécondité de ces mécanismes qui sont liés à la fois à la survie et à la mortalité des enfants est ambigu.
  • [4]
    L’enquête sénégalaise sur les indicateurs de santé (ESIS) comporte de nombreuses questions semblables à celles posées lors des enquêtes démographiques et de santé (EDS).
  • [5]
    Si les perceptions des risques de mortalité sont exprimées à la suite d’une question précise, et non de façon spontanée lors de discussions informelles, alors il convient de s’interroger sur la valeur de ces réponses. En effet, il peut s’agir d’une volonté de politesse, d’idées ou d’opinions nouvelles qui n’avaient pas été envisagées jusqu’alors, ou bien de questions jugées sans importance ou trop embarrassantes pour pouvoir être abordées spontanément.
  • [6]
    Voir le site http ://www.ucl.ac.uk/Anthropology/bioanth/staff_member_randall. htm à propos du guide d’entretien, des méthodes d’enquête et d’échantillonnage dans chacun des sites étudiés.
  • [7]
    Dans les couples, les conjoints ont été enquêtés séparément et les citations issues de ces entretiens ont été analysées comme celles des entretiens approfondis. Il est indiqué lorsque les citations sont extraites de discussions de groupe.
  • [8]
    QSR NUD*IST (Qualitative Solutions and Research : Non-numerical Unstructured Data Indexing Searching and Theorising) est un logiciel permettant de traiter les données qualitatives et de les analyser.
  • [9]
    Cela n’empêche pas une recherche très active de soins de santé et de soins médicaux, qui sont présentés dans le Coran non comme un défi – mais plutôt comme une adhésion – à la volonté de Dieu (Omran, 1992).
  • [10]
    Les chercheurs européens et américains ont été peu associés au travail de terrain à Dakar. Tous les enquêteurs étaient Sénégalais et le projet était présenté comme celui de l’université de Dakar. Les auteurs se sont rendus à la fois dans le village et dans la petite ville, mais cela n’a pas pu influencer les entretiens qui ont eu lieu à Dakar.

1Au Sénégal, la fécondité a commencé à baisser, même si elle reste élevée (5,2 enfants par femme à la fin des années 1990). La mortalité infantile a fortement reculé, y compris en milieu rural. La théorie de la transition démographique postule une relation entre la réduction de la mortalité infantile et la baisse de la fécondité. Mais de quelle nature est ce lien ? À partir de données qualitatives recueillies dans des contextes locaux différenciés au Sénégal, Sara Randallet Thomas LeGrandmontrent que les raisonnements conscients et les calculs explicites concernant les risques de décès des enfants ou la baisse de la mortalité interviennent peu dans les pratiques de fécondité, qui continuent à être rarement présentées comme des décisions. En milieu urbain, les considérations sur le coût des enfants et la difficulté croissante de les élever sont mises en avant pour justifier l’aspiration à une fécondité plus réduite, cependant qu’en milieu rural, le souci de préserver la santé de la mère a acquis une certaine légitimité et motive le souhait d’un espacement plus grand des naissances.

2

« Toute société confrontée à la très forte mortalité qui caractérise l’ère pré-moderne ne peut survivre que grâce à une fécondité élevée. De telles sociétés se sont ainsi ingénieusement arrangées pour obtenir les naissances requises. »
(Notestein, 1945)

3Depuis les premiers travaux sur la transition démographique, la plupart des auteurs ont fait l’hypothèse que le déclin de la mortalité infantile et juvénile était un facteur important de la baisse de la fécondité. Sans remettre en cause la contribution, amplement démontrée, des autres déterminants de la transition de la fécondité (Bulatao, 2001), la baisse de la mortalité a souvent été considérée plus largement comme un élément de premier plan dans l’explication du changement social et certains démographes tels que Cleland (2001) en font l’élément central de la baisse de la fécondité. Dans ce domaine, les études empiriques ont privilégié l’analyse des effets physiologiques et des stratégies de remplacement, montrant finalement leur assez faible influence sur les niveaux de fécondité. Quelques rares études ont tenté d’évaluer l’effet d’assurance, dont on peut supposer qu’il joue un rôle essentiel en matière de fécondité, et les nombreux autres mécanismes par lesquels la mortalité des enfants peut affecter la fécondité ont été peu explorés. Dans l’ensemble, on sait peu de choses sur la façon dont les individus et les familles s’adaptent, selon les contextes, au risque de décès ou à la perte d’un enfant, sur la conscience qu’ils ont de l’évolution de ces risques et sur la manière dont ces derniers sont pris en compte dans les stratégies reproductives. Cette étude vise à approfondir ces questions en recourant à une approche qualitative. Elle s’appuie sur une enquête réalisée au Sénégal.

4D’après la littérature démographique, la mortalité des enfants peut induire différents types de comportements de reproduction. D’une part, ces comportements peuvent être le produit de choix « conscients » sur la taille finale de la famille, impliquant la prise en compte de l’expérience ou des risques de décès des enfants, ces stratégies étant fondées sur d’autres considérations elles-mêmes susceptibles d’être influencées par l’évolution de la mortalité. D’autre part, les comportements de reproduction peuvent ne pas résulter de calculs ou de stratégies délibérées (LeGrand et Sandberg, 2004, à paraître). Ces différents comportements reproductifs ne sont pas mutuellement exclusifs, mais peuvent, pour certains d’entre eux, coexister au sein d’une population ou chez un même individu. En effet, les aspirations et ce que les individus perçoivent comme étant dans leur intérêt varient assez fortement entre les hommes et les femmes, entre les jeunes et les anciennes générations, entre les riches et les pauvres, et il en résulte des stratégies de reproduction différentes. De plus, si l’on considère que ces stratégies s’inscrivent dans un contexte de transformations sociales et de développement ; qu’en parallèle, les évolutions des normes sociales ont un impact sur les choix en matière de reproduction et qu’enfin les individus réagissent en fonction de leurs propres expériences, de leur capacité à agir (agency) et de leurs priorités (agenda), il faut s’attendre à des conduites diverses, dont les effets se recouvrent et sont parfois décalés.

5Dans l’ensemble, trois perspectives théoriques dominent la littérature démographique relative aux effets de la mortalité sur la fécondité : le remplacement, l’assurance et l’analyse en termes de compromis entre la qualité et la quantité des enfants [1].

6La stratégie de remplacement signifie que la perte d’un enfant sera suivie par l’arrivée d’un nouveau-né, soit en différant l’arrêt de la procréation, soit en réduisant l’espacement des naissances. Cette stratégie ne peut être mise en œuvre qu’après la naissance d’un premier enfant et suppose un contrôle volontaire de la fécondité. En effet, la venue d’un nouvel enfant doit être un choix consécutif au décès d’un enfant précédent ; inversement, en cas de survie des enfants, le choix de limiter sa descendance doit également être possible. Ainsi, dans un régime de fécondité naturelle, il ne peut y avoir de stratégie de remplacement. On peut penser que cet effet joue un faible rôle (Preston, 1978), dans la mesure où certaines familles ne souhaitent pas nécessairement remplacer la perte d’un enfant et où certaines femmes peuvent ne pas parvenir à concevoir d’autres enfants. D’ailleurs, les études empiriques ont généralement conclu dans ce sens.

7La stratégie d’assurance implique la constitution d’une « réserve » d’enfants en prévision des décès éventuels pendant l’enfance. Telle que présentée classiquement par les démographes, cette analyse stipule que les couples, conscients des plus grandes chances de survie de leurs enfants, estiment qu’ils peuvent en avoir moins tout en s’assurant un nombre idéal ou acceptable d’enfants. Cette hypothèse soulève deux questions essentielles. Il faut tout d’abord s’interroger sur la justesse des perceptions des individus au regard des niveaux et tendances de la mortalité. Ensuite, il importe de se demander dans quelle mesure ces informations sont prises en compte dans les décisions en matière de fécondité. Les données d’enquête par questionnaire ne sont pas les plus adéquates pour répondre à ces questions. En effet, il est moins aisé de procéder à une évaluation personnelle des risques de mortalité de ses enfants, qui relèverait d’une stratégie d’assurance, que de prendre en compte sa propre expérience de la perte d’un enfant, dont dépend l’hypothèse de remplacement. Les quelques études portant sur cette question indiquent que les individus évaluent de façon assez imprécise l’intensité et l’évolution de la mortalité (Montgomery, 1998 ; Mahy, 1999 ; Watkins, 2000 ; Carvalho et al., 2001).

8Au niveau de la société, il existe aussi des mécanismes qui ont une fonction d’assurance. En effet, des normes et des codes de comportements peuvent se mettre en place en réponse à une mortalité élevée. On peut penser notamment au mariage précoce des femmes, aux attitudes pronatalistes, à la prolongation de l’allaitement et de l’abstinence. Cette perspective est au cœur des travaux de Notestein (1945) sur la transition démographique ainsi que de ceux de Lloyd et d’Ivanov (1988) sur l’effet de transition. Elle va également dans le sens des courants évolutionnistes concernant la reproduction humaine (Mace, 2000). Ces comportements traditionnels ne sont pas gouvernés par des stratégies « conscientes » des individus ou des familles, bien qu’ils permettent d’assurer un nombre d’enfants suffisamment élevé pour compenser les effets de leur forte mortalité. Selon Lloyd et Ivanov (1988), le degré d’incertitude quant à la taille finale de la famille est si élevé dans un contexte de forte mortalité qu’il interdit en général toute planification à long terme de la constitution de la famille. Il en résulte un régime de fécondité naturelle caractérisé par des normes et des pratiques sociales et culturelles favorisant la famille nombreuse. Dans ce contexte, le besoin de planifier la taille finale de la famille ne se fait pas sentir et le fait de désirer un nombre spécifique d’enfants semble même être étranger aux façons de penser habituelles (van de Walle, 1992). Mais Lloyd et Ivanov soutiennent que le déclin de la mortalité des enfants a permis aux couples de prendre conscience de leur capacité à planifier le nombre de leurs enfants, et du fait qu’en changeant leur comportement, ils pouvaient constituer leur famille de manière plus raisonnée. Cela engendre le développement de stratégies de fécondité conscientes qui peuvent être fondées sur des objectifs de remplacement ou d’assurance. De plus, l’évolution des institutions et des normes sociales qui guidaient auparavant les comportements de constitution de la famille et les modifications de l’environnement sont des facteurs qui ont suscité l’émergence d’aspirations et de stratégies nouvelles.

9La nuptialité est un facteur intermédiaire qui joue un rôle majeur dans la relation entre la mortalité et la fécondité (Notestein, 1945 ; Preston, 1978). Les recherches de LeGrand et Barbieri (2002) ont mis en évidence une forte association statistique entre la mortalité des enfants au niveau de la communauté et l’âge au premier mariage et à la première naissance chez les femmes d’Afrique sub-saharienne. Cette relation peut relever de stratégies individuelles ou d’effets d’assurance au niveau de la société. À titre d’exemple, il est concevable que dans un contexte de forte mortalité, des parents cherchent à marier leurs enfants précocement afin d’accroître leur descendance potentielle. On peut considérer cette stratégie comme une variante de l’effet d’assurance, dans la mesure où elle opère à travers l’âge au mariage. Des liens plus mécaniques peuvent aussi découler de coutumes traditionnelles, telles que le sororat ou le lévirat qui n’impliquent pas nécessairement des stratégies conscientes, ou d’une pénurie de conjoints potentiels sur le marché matrimonial [2].

10Le compromis entre la quantité et la qualité des enfants : la diminution des risques de décès et, plus généralement, l’amélioration de la santé des enfants vont accroître les préférences des parents pour une plus grande « qualité » des enfants (par rapport à leur quantité ou à leur nombre), les encourageant finalement à limiter le nombre d’enfants compte tenu des investissements qui leur sont consacrés (Schultz, 1981 ; Cohen et Montgomery, 1998) [3]. Le concept de qualité de l’enfant recouvre classiquement l’éducation et parfois la santé, même si d’autres types d’investissements pourraient aussi être pris en compte. Cette évolution des préférences devrait être particulièrement significative lorsque les progrès sanitaires dont bénéficient les enfants se conjuguent à de nouvelles perspectives en termes économiques et sociaux, qui accroissent la valeur des investissements consentis pour l’éducation des enfants.

11Par ailleurs, Cleland (2001) et Davis (1963) soutiennent que, dans un contexte de baisse de la mortalité, les coûts d’opportunité augmentent avec le nombre d’enfants. Ainsi, selon ces auteurs, les parents perçoivent la hausse progressive du nombre d’enfants survivants comme une entrave à la réalisation de leurs aspirations et à leur capacité à tirer profit des nouvelles perspectives au plan économique. Dans la mesure où le nombre d’enfants augmente au sein de la communauté, les mécanismes traditionnels mis en place pour faire face aux familles nombreuses – comme le partage des coûts et des ressources associés aux enfants avec d’autres familles plus petites – se révèlent par ailleurs moins efficaces. Un nombre accru d’enfants peut enfin entraîner un plus grand morcellement des terres familiales et perturber, de diverses façons, l’organisation traditionnelle de la famille (VanLandingham et Hirschman, 2001 ; Casterline, 1999). Ces processus peuvent conduire à une régulation de la croissance démographique par une demande d’enfants plus faible ou par la migration d’enfants à l’âge adulte.

12Une des difficultés rencontrées pour tester empiriquement les relations supposées entre la mortalité et la fécondité résulte du fait qu’elles sont liées à des phénomènes qui surviennent de façon simultanée dans la plupart des pays en voie de développement et qui sont partie intégrante des processus interdépendants de développement socio-économique, de modernisation et de globalisation. Les études quantitatives qui mettent en évidence des corrélations statistiques ou des associations temporelles conformes à ces hypothèses théoriques ne devraient pas, en elles-mêmes, être considérées comme des preuves légitimes, en raison du grand nombre d’explications concurrentes qui peuvent être avancées. Pour l’Europe du XIXe et du début du XXe siècle, Knodel et van de Walle (1979) ont montré que malgré un tableau d’ensemble caractérisé par la concomitance de l’industrialisation, de l’urbanisation, des progrès de l’instruction et du déclin de la fécondité et de la mortalité, les liens temporels entre ces phénomènes ont fortement varié selon les pays. Par conséquent, une relation de cause à effet valable pour une population peut ne pas l’être pour une autre, même si elles sont toutes deux en phase de changements sociaux et démographiques rapides.

13De plus, la plupart des études statistiques utilisent des données issues de contextes très différents couvrant un ou plusieurs pays. Dans l’ensemble, ces études ne prennent pas en compte la très forte hétérogénéité sociale, régionale et ethnique que connaît actuellement l’Afrique. Tout au plus cette disparité est-elle approchée par l’utilisation de quelques variables de contrôle (résidence urbaine ou rurale, etc.). Cependant, la variabilité des contextes et leurs effets complexes et multidimensionnels sur les perceptions, les attitudes et les comportements des individus ne peuvent pas ressortir correctement à partir de quelques coefficients de régression. Ainsi, au regard de la distinction entre l’urbain et le rural en Afrique, les capitales offrent un environnement relativement moderne, et sont dotées d’infrastructures sanitaires et éducatives ; elles bénéficient également de liaisons intra-urbaines et vers l’extérieur satisfaisantes ainsi que de la diversité des médias ; enfin, une proportion importante des citadins sont employés dans l’économie de marché ou dans le secteur moderne. À l’opposé, il existe dans une grande partie de l’Afrique des zones rurales à économie de subsistance qui semblent, tout au moins en apparence, s’être peu transformées au cours des dernières décennies, même si, là encore, on constate une prédominance de l’économie monétaire et une amélioration de l’accès aux soins, en particulier à la vaccination. Dans ces zones, la migration de travail est un moteur du changement social à la fois parce qu’elle véhicule des idées et des attitudes nouvelles et qu’elle favorise l’insertion dans l’économie mondiale moderne. Finalement, dans des contextes aussi contrastés, les populations vivent probablement de façon très différente la baisse de la mortalité, les progrès de l’instruction et bien d’autres changements qui en découlent. Un défi à relever consiste à déterminer si les décisions en matière de reproduction prises au niveau de l’individu ou du couple, qui sont propres à chaque contexte, correspondent aux corrélations établies par les études statistiques.

14Au total, il importe sans doute de comprendre si les populations raisonnent suivant les mêmes hypothèses et font appel aux mêmes logiques que celles énoncées par les théories démographiques. Dans le cadre de cette étude, des données qualitatives ont été collectées auprès de trois communautés du Sénégal, toutes différentes du point de vue de leur développement socio-économique et de leur insertion dans la société moderne. Cette étude a pour objet d’analyser les effets de la perte d’un enfant et de la perception du risque de décès sur les décisions prises au sein du couple en matière de reproduction. Le mariage est un sujet complexe qui recouvre l’entrée en union, le divorce, le remariage, la polygamie, etc. Il fera l’objet d’une analyse approfondie dans une prochaine étude et sera donc peu abordé dans cet article.

I – L’évolution de la mortalité des enfants et de la fécondité au Sénégal

15Les caractéristiques démographiques du Sénégal sont très semblables à celles de nombreux autres pays de la région (Ndiaye et al., 1997 ; Pison et al., 1995). Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, la mortalité infanto-juvénile (i.e. des enfants de moins de 5 ans) a baissé de près des deux tiers, passant d’un taux de près de 400 ‰ à environ 140 ‰ au milieu des années 1990. La baisse de la mortalité a démarré avant les années 1950 dans les grandes villes tandis que dans les zones rurales, la mortalité infanto-juvénile est restée élevée jusqu’au début des années 1970 avec un taux d’environ 350 ‰, puis elle a chuté pendant les deux décennies suivantes, en partie grâce aux campagnes de vaccination. Alors que dans cette période, les progrès ont été plus modestes en milieu urbain, il n’en reste pas moins que les chances de survie sont à l’avantage des citadins par rapport aux enfants issus du monde rural ; de même, le risque de décéder est, chez les enfants de mère instruite, inférieur à celui de ceux qui ont une mère non instruite. L’analyse de l’enquête ESIS [4] de 1999 et de l’EDS de 1997 a montré que la survie des enfants de moins de 5 ans n’a que peu progressé pendant les années 1990, et indique même une tendance récente à la stagnation.

16La fécondité demeure élevée au Sénégal malgré l’amorce d’une baisse. Au niveau national, l’indice synthétique de fécondité était évalué à 7,1 enfants par femme au milieu des années 1970 (enquête mondiale de fécondité de 1978), à 6,0 à la fin des années 1980 et au début des années 1990 (EDS-II) et à 5,2 à la fin des années 1990 (ESIS). Jusqu’à présent, cette baisse est essentiellement due aux femmes instruites vivant dans les zones urbaines. De plus, jusqu’en 1997, la fécondité a surtout baissé parmi les femmes de moins de 30 ans, en raison essentiellement du recul de l’âge au mariage et à la première naissance (Pison et al., 1995 ; Mahy et Gupta, 2002). L’analyse des données issues de l’ESIS de 1999 montre que la transition de la fécondité sénégalaise se caractérise par un changement radical du calendrier de la fécondité à la fin des années 1990, avec une baisse très nette de la fécondité chez les femmes de plus de 30 ans. Le recours à la contraception moderne a progressé, passant de moins de 1 % en 1978 à 7 % en 1999, mais cette utilisation reste trop faible pour expliquer, à elle seule, la baisse de la fécondité.

II – Valider les théories démographiques à partir de données qualitatives

17L’explication démographique des évolutions de la mortalité des enfants et de la fécondité est un préalable à notre enquête qualitative qui vise à examiner le rôle de ces facteurs démographiques dans les comportements et les stratégies de constitution de la famille.

18Pourquoi utilise-t-on des données qualitatives ? Les théories présentées plus haut concernant les effets de la mortalité infantile et juvénile sur la fécondité sont fondées sur des corrélations quantitatives. Selon l’hypothèse de base, les sociétés prétransitionnelles étaient organisées pour faire face à un environnement très incertain, marqué notamment par de hauts niveaux de mortalité. Les transformations importantes du contexte, notamment le recul de la mortalité avec ses conséquences, engagent dorénavant ces sociétés dans une nécessaire adaptation. Cependant, des logiques diverses à l’échelle individuelle ou communautaire peuvent conduire à des stratégies reproductives qui ne sont pas nécessairement conformes aux théories démographiques. De plus, il est difficile d’établir une causalité à partir de corrélations statistiques et une relation causale peut prendre diverses formes. Le comportement, tel qu’il est observé, est la plupart du temps expliqué en termes de prise de décision en matière de reproduction, même si la responsabilité de cette prise de décision, ses motivations et la concordance entre la décision et le comportement sont des éléments qui ne sont pas toujours bien cernés. Si nous cherchons à identifier les mécanismes de la prise de décision en matière de reproduction – en termes de choix « conscient » émanant d’une stratégie au niveau de l’individu –, alors la validation des théories sur les relations entre la mortalité et la fécondité ne peut pas se satisfaire des données quantitatives. Il faut également examiner les croyances et les modes de raisonnement des populations sur ces questions.

19Cette étude s’appuie sur des entretiens semi-structurés, complétés par des discussions de groupe. Notre objectif était de vérifier l’existence des différentes stratégies reproductives conscientes, susceptibles de témoigner d’une diversité des réponses comportementales, que nous avons présentées plus haut. L’analyse qualitative a porté une attention particulière aux trois questionnements suivants :

  • En premier lieu, les individus raisonnent-ils de façon aussi explicite qu’on le suppose ? Expriment-ils clairement l’idée de remplacer un enfant décédé par un nouvel enfant ? Modifient-ils leurs comportements pour avancer une naissance ou pour avoir un enfant supplémentaire, alors qu’en l’absence de décès, ils auraient cessé d’avoir des enfants ? La stratégie d’assurance est-elle évoquée spontanément d’une façon ou d’une autre ? Les individus soulèvent-ils la question des risques de mortalité des enfants lorsqu’ils abordent leurs projets passés, présents ou futurs de constitution de leur famille ? Accordent-ils une valeur potentielle plus élevée à un nombre limité d’enfants instruits qu’à un plus grand nombre d’enfants ayant reçu un plus faible investissement ? Les coûts liés à une famille nombreuse sont-ils considérés comme très élevés et pour quelles raisons ?
En deuxième lieu, les individus perçoivent-ils les risques conformément à la façon dont ils sont formulés par les démographes et, dans l’affirmative, les expriment-ils spontanément ou seulement s’ils y sont incités par des questions orientées [5] ? Les personnes qui ont été confrontées durant l’enfance à la mort d’un frère ou d’une sœur ou à la perte d’un de leurs propres enfants ont-elles plus conscience des risques qui pèsent sur la survie des enfants que les personnes qui n’ont pas vécu une telle expérience ? Les populations perçoivent-elles la baisse de la mortalité qui ressort de façon frappante des données démographiques ? Même si les risques de mortalité sont considérés comme élevés, les comportements de fécondité en sont-ils influencés ? Les populations estiment-elles que les risques encourus, lors de la maternité et de la période du développement de l’enfant, sont moindres que par le passé ? Dans ces conditions, doit-on investir davantage dans les enfants ? Dans quelle mesure les enfants sont-ils considérés comme des « biens » qui engendrent des coûts et procurent des ressources ou la valeur de l’enfant s’exprime-t-elle autrement ?

20En troisième lieu, les individus ont-ils la capacité d’agir conformément à leurs perceptions ? Quel est le pouvoir ou le contrôle qu’ont les individus sur leur procréation ? Y a-t-il des différences entre les hommes et les femmes et entre les groupes sociaux ?

21Pour traiter de la question relative au compromis entre la quantité et la qualité des enfants, nous nous sommes appuyés non seulement sur les réponses et les opinions qu’ont exprimées les individus lors des entretiens, mais aussi sur des informations supplémentaires collectées par les enquêteurs concernant l’environnement familial des enquêtés. Ainsi, le fait de cerner la situation des individus au sein de leur famille de même que les relations dans la fratrie, avec les parents et les autres membres de la famille nous permet de mettre au jour les mécanismes de l’aide intergéné-rationnelle et de prise en charge des coûts. Des questions plus directes ont été posées aux enquêtés sur la taille idéale de la famille, sur leurs préférences relatives au sexe des enfants et sur leurs aspirations pour leurs propres enfants. Enfin, des informations ont été recueillies sur la biographie des enfants vivants, sur les activités et les difficultés qu’ils ont rencontrées. Tous ces renseignements vont nous permettre de dégager des modèles d’attitudes à l’égard du compromis entre la qualité et la quantité des enfants en fonction des différentes situations.

III – Les sites étudiés

22Des données issues d’entretiens semi-structurés et de discussions de groupe ont été collectées dans trois sites localisés au nord-ouest du Sénégal entre les mois de février et de juin 1999. Ces sites ont été sélectionnés de façon à prendre en compte la diversité des contextes, notamment au regard de la disponibilité des infrastructures, du poids de l’agriculture et des évolutions de la fécondité et de la mortalité. Dans les trois sites, la population est essentiellement d’origine wolof, le principal groupe ethnique du Sénégal. Tous les enquêtés étaient de confession musulmane.

23Le premier site est un village composé de plusieurs hameaux, qui sont éloignés de 3 à 7 km d’une route principale. Une école primaire avait été récemment ouverte dans un abri temporaire constitué d’une seule pièce. Au moment de l’enquête, seul l’enseignement du cours préparatoire était dispensé. Le village ne dispose ni d’infrastructures sanitaires, ni d’électricité et des bornes-fontaines avaient été installées depuis peu dans quelques hameaux. Le ménage du chef de village possède une télévision fonctionnant sur batterie. L’agriculture, le bétail, les animaux de bassecour, les chevaux et le transport par charrette sont les piliers traditionnels de l’économie villageoise. À l’heure actuelle, la plupart des jeunes hommes migrent pour le travail de façon saisonnière, pendant la saison sèche, ou parfois pour une année complète. Certaines jeunes filles vont aussi travailler de façon temporaire à Dakar.

24Le deuxième site retenu est une petite ville localisée au bord de la route principale. Elle possède un lycée, ouvert depuis peu, et un petit hôpital. Cette petite ville bénéficie de bonnes communications ainsi que des services de base. Une forte proportion des jeunes hommes ont émigré en Italie où ils travaillent dans des usines ou dans le commerce informel. Les transferts de capitaux des travailleurs émigrés ont fortement contribué au développement des infrastructures de la ville, de même qu’ils jouent un rôle important dans les comportements matrimoniaux.

25Le troisième site couvre deux zones urbaines dans le quartier de la Médina à Dakar. La zone du Centenaire, vue de l’extérieur, est dotée d’une bonne infrastructure moderne avec des logements datant des années 1960, acquis au moment de leur construction par des fonctionnaires aujourd’hui retraités. Très souvent, ils y vivent avec leurs enfants et petits-enfants ; ces logements apparemment en bon état sont en fait surpeuplés et comptent un nombre important de chômeurs. La zone de Santhiaba abrite une communauté wolof traditionnelle ; dans ce quartier, l’habitat est de qualité très variable et il y règne une ambiance de marché.

IV – La collecte des données qualitatives

26Les données utilisées proviennent de 137 entretiens semi-structurés et de 14 discussions de groupe (tableau 1). Elles ont été enrichies par des entretiens auprès d’informateurs-clés, tels que des chefs religieux locaux et le personnel médical, ainsi que par les notes de terrain des enquêteurs. L’équipe de terrain était constituée d’étudiants de troisième cycle en anthropologie et en sociologie, ayant déjà eu pour la plupart des expériences d’enquêtes qualitatives. Ils ont reçu une formation sur les techniques d’entretien, ainsi que sur les questions théoriques abordées dans cette étude. Sans jamais perdre de vue les objectifs de l’étude, les enquêteurs ont contribué de façon notable à la réflexion sur les thèmes de l’enquête et à la confection du guide d’entretien. Celui-ci s’est construit autour de différents thèmes en rapport avec la biographie des individus. Ainsi, tous les entretiens ont démarré avec la question suivante : « Pouvez-vous me parler de votre enfance et de l’endroit où vous avez été élevé ? ».

Tableau 1

Nombre d’entretiens et de discussions de groupe selon les sites

Tableau 1
Entretiens approfondis Village Petite ville Dakar Hommes Âgé de 50 ans ou plus et marié 7 6 7 Âgé de 35-49 ans et Marié depuis plus de 10 ans 7 5 6 Marié depuis moins de 5 ans 4 5 2 Célibataire 3 2 3 Femmes Âgée de 45 ans ou plus, mariée ou veuve 7 6 8 Âgée de 30-34 ans et Mariée depuis plus de 10 ans 7 4 5 Mariée depuis moins de 5 ans 6 5 5 Célibataire 2 (20-24 ans) 3 (20-24 ans) 4 (dont 3de plus de 30 ans) Couples mariés 0 0 9 × ?2 Nombre total d’entretiens approfondis 43 36 58 Discussions de groupe Femmes 5 3 (22-59 ans, épouses de migrants) (32-40 ans, épouses de non-migrants) (19-40 ans, mariées et célibataires) 2 (25-38 ans, <niveau primaire) (29-40 ans, niveau secondaire ou plus) Hommes 1 1 (28-45 ans, mariés) 2 (27-45 ans, mariés) Note : dans le village, les discussions de groupe ont eu lieu de façon informelle.

Nombre d’entretiens et de discussions de groupe selon les sites

27Nos données proviennent essentiellement des entretiens semi-structurés, réalisés auprès d’hommes et de femmes d’âge et de statut matrimonial différents, et interrogés à des moments distincts de leur vie reproductive. Lors de cette collecte, les femmes ont été interrogées par des enquêtrices et les hommes par des enquêteurs. Dans chaque site, notre objectif était d’interroger six hommes et six femmes mariés, d’âge et de durée de mariage différents (voir tableau 1), ainsi que trois hommes et trois femmes célibataires. Les ménages ont été tirés au hasard par des techniques adaptées mais différentes pour chacun des sites [6]. La plupart des entretiens ont fait l’objet d’un enregistrement suivi d’une transcription ; toutefois, certains entretiens ont été reconstitués juste après la rencontre à partir de notes détaillées prises en direct. Les enquêteurs ont été formés à ne poser des questions sur les perceptions concernant la mortalité des enfants que si le sujet n’était pas soulevé de façon spontanée, et à le faire avec circonspection en cas de nécessité. Même si la confrontation du répondant à la mort d’un enfant, lors de son enfance ou en tant que parent, était un thème essentiel dans cette étude, celui-ci ne devait pas empêcher d’aborder les autres questions, à savoir les perceptions individuelles relatives aux prises de décisions, aux expériences et aux motivations au regard de la fécondité. Ce n’est que vers la fin du travail de terrain que l’on a abordé plus directement les stratégies de fécondité et le rôle de la mortalité des enfants. Ces questions ont fait l’objet de discussions de groupe dans chacun des sites et d’entretiens auprès des couples enquêtés à Dakar. Les résultats de ces discussions et de la confrontation des déclarations faites par chacun des deux partenaires dans les couples [7] ont complété les entretiens approfondis.

1 – Analyse des données qualitatives issues des entretiens

28Tous les entretiens ont été traduits en français et transcrits par les enquêteurs, ce qui a permis de conserver les termes-clés wolof. Les transcriptions ont été mises en forme pour l’analyse par le logiciel NUD*IST [8]. Chaque texte a été relié à des questions ou des thèmes précis. Les entretiens ont été codés à la fois par un membre de l’équipe sénégalaise et par un des chercheurs responsables de l’enquête. Les différences de codage ont fait l’objet de discussions approfondies quant à leur signification et à leurs implications. L’analyse a reposé sur des lectures successives des transcriptions, le logiciel NUD*IST permettant de sélectionner les textes par thèmes. Nous avons resitué les textes sélectionnés dans leur contexte, pris en compte la façon dont le sujet avait été abordé (de façon spontanée ou à la suite d’une question directe) et procédé à des analyses de cohérence interne des discours individuels. Enfin, ces textes ont été situés par rapport au tableau d’ensemble résultant des autres entretiens, des discussions de groupe et des notes de terrain.

29Les citations, issues des entretiens et insérées dans notre analyse de la prise de décision en matière de reproduction, témoignent des différentes manières dont les individus s’expriment sur ces sujets. En général, les citations sont choisies pour illustrer un type particulier de réponse et l’argumentation qui y est développée. Parfois, l’extrait est choisi pour son caractère exceptionnel, ce qui est alors explicitement indiqué.

2 – Les questions abordées dans les entretiens sur la prise de décision en matière de reproduction

30La collecte de données sur la prise de décision en matière de reproduction n’est pas particulièrement aisée (voir Randall et Koppenhaver (2001) pour une analyse détaillée des problèmes méthodologiques dans leur étude). La meilleure approche est probablement l’observation participative, habituellement utilisée en anthropologie, qui consiste à séjourner au moins un an dans une communauté. Toutefois, une telle méthode fournit des résultats de portée limitée, dans la mesure où chaque groupe a une histoire démographique et un environnement uniques, spécificités qui rejaillissent nécessairement sur les biographies individuelles. La multiplication d’entretiens semi-structurés approfondis et de discussions de groupe dans différents sites est une méthode qui permet de diversifier les situations et les trajectoires appréhendées.

31Dans la population étudiée, les décisions en matière de fécondité, les relations au sein du couple et la mortalité des enfants sont des sujets sensibles et intimes, sur lesquels les personnes peuvent être peu enclines à s’exprimer même avec des amis ou de la famille proches. La prééminence de l’islam dans la vie quotidienne se traduit par la réticence des répondants à contester ouvertement la doctrine religieuse et la responsabilité de Dieu dans toute chose, même si, dans leur vie privée, ils essayent de contrôler leur reproduction. Dans le cadre d’un seul entretien, il est parfois impossible d’aller au-delà de ce qui est socialement acceptable, aussi compétent que puisse être l’enquêteur. Ainsi, face au discours « tout est entre les mains de Dieu » produit par les enquêtés, l’interprétation des réponses est particulièrement difficile. En effet, il est malaisé de distinguer entre ceux qui sont convaincus de leur impuissance face à la volonté de Dieu et ceux qui utilisent cette formulation en public, parce qu’elle est socialement acceptable, mais qui en réalité agissent et cherchent à maîtriser le cours de leur vie. L’ensemble de l’entretien doit être confronté aux comportements réels, afin d’évaluer la capacité d’agir de l’individu au moment de faire des choix en matière de reproduction. Dans le cas suivant, la gravité du ton, ajoutée à d’autres éléments, dénote que le répondant croit totalement à ce qu’il dit. Dans d’autres cas, des déclarations comparables, lorsqu’elles sont replacées dans le contexte de l’ensemble de l’entretien, ne sont pas à prendre au pied de la lettre.

32Un homme de Dakar, âgé de 67 ans, marié avec 4 épouses, ayant 16 enfants vivants, au moins 3 enfants décédés, scolarisé jusqu’au niveau secondaire

E (l’enquêteur) « Est-ce que le fait de perdre un enfant peut pousser le mari à imposer une autre grossesse à sa femme ? »
R (le répondant) (Sur un ton grave) « Qu’est-ce que vous dites là ? Mais ce n’est pas lié. La mort d’un enfant et le fait de souhaiter une grossesse, ce n’est pas lié. On fait un enfant avec la bénédiction de Dieu. S’il le reprend, il n’y a qu’à attendre jusqu’à ce qu’il te le redonne. […] je ne vois aucun calcul possible… Voyez ! Il ne faut pas aller chercher des explications là où il n’y en a pas. Le fait d’avoir des enfants relève de la volonté divine. »
La volonté de ne pas tenter le destin constitue un autre obstacle à l’interprétation des discours. Les individus hésitent à évoquer la possibilité de perdre un enfant ou au contraire à nier ce risque, car le simple fait d’en parler pourrait provoquer le drame. Dans des contextes de forte comme de faible mortalité, peu de gens sont prêts à dire publiquement « mon enfant ne va pas mourir », même si dans la sphère privée, ils peuvent percevoir le risque comme faible. Dans ses travaux, Castle (2001 ; voir aussi Olaleye, 1993) a montré que la dissimulation des désirs et des choix individuels par des références à Dieu pouvait procéder d’une stratégie volontaire de constitution de la famille. Le fait d’annoncer ses désirs ouvertement est susceptible de provoquer la « colère » des puissances surnaturelles, comme elle peut conduire à la condamnation sociale d’une conduite jugée excessive ou même arrogante. Par conséquent, le silence sur ces questions ne signifie pas que celles-ci soient sans importance ; pour l’interpréter, il faut utiliser d’autres indices que le discours spontané de l’enquêté.

33Malgré ces limites, les arguments et les préoccupations exprimés par les divers participants ont néanmoins contribué de façon significative à mieux nous faire comprendre les interprétations et les comportements des Sénégalais face à la fécondité et à la survie des enfants, et à évaluer la validité des théories établissant des liens entre ces événements.

V – Raisonner de façon consciente : les motivations de remplacement

34Des répondants ont spontanément exprimé le désir de remplacer un enfant, sans que cela se traduise nécessairement par des stratégies et des comportements spécifiques. On retrouve cette attitude surtout dans le village, parce que ce site est peut-être le seul où un nombre important d’individus ont fait récemment l’expérience d’un décès d’enfant. Le désir de remplacer un enfant s’exprime, à la fois chez les hommes et chez les femmes, par un besoin profond de combler le vide laissé par la perte d’un enfant. Contrairement à ce que de nombreux démographes avaient supposé, les motivations de remplacement d’une femme africaine lors du décès de son enfant sont probablement assez proches de celles d’une femme vivant dans une société à faible fécondité : elles relèvent plus du désir émotionnel de compenser une place vide que de la volonté d’avoir un nombre suffisant d’enfants survivants, compte tenu de leur utilité à long terme.

35Une femme du village, âgée de 37 ans, mère de 7 enfants vivants, ayant perdu 3 enfants, analphabète

« Oui, c’était juste après, je voulais avoir un enfant pour oublier mais j’ai dû apprendre que c’était la volonté de Dieu, on n’y peut rien. »
Une femme du village, âgée de 38 ans, mère de 4 enfants dont un est décédé, épouse d’un migrant, analphabète
E « Vous venez de parler de décès d’enfants. Comment se fait-il qu’un an après le décès de votre aîné vous ayez eu un autre enfant aussitôt ? »
R (elle parle sans contrainte) « C’est qu’en fait je voulais avoir à ce moment un autre enfant car je n’en avais pas un seul. Mais avec l’aide du bon Dieu trois mois après, j’étais tombée enceinte. Je désirais vraiment avoir un autre enfant… Je voulais au plus profond de moi-même en avoir un autre. »
Cependant, lorsque le décès d’un enfant est suivi rapidement par une nouvelle naissance, celle-ci n’est pas toujours désirée et la brièveté de l’intervalle entre ces deux événements peut être plus souvent le résultat d’un effet physiologique que d’une stratégie reproductive délibérée. Ce cas est particulièrement vrai dans le village.

36Une femme âgée de 37 ans, mariée, mère de 10 enfants dont 3 sont décédés, analphabète

E « À propos d’enfants pouvez-vous me dire l’écart d’âge avec ceux qui sont décédés ? »
R « Il y a un écart d’âge de 3 ans entre les jumeaux décédés et l’autre qui suit après, c’est-à-dire “A”. »
E « C’était le même écart d’âge entre ce dernier et “B” ? »
R « Non, il y a un écart d’un an après j’ai fait une autre grossesse. Je ne m’y attendais pas, en réalité je n’avais pas pensé à faire un autre enfant sitôt mais c’est Dieu qui a décidé de tout cela. »
Vers la fin du travail de terrain à Dakar, des questions directes ont été posées au sujet de la mortalité infantile et des stratégies de reproduction. De nombreuses personnes ont signalé qu’elles envisageraient de remplacer un enfant décédé si cela arrivait, bien que d’autres éléments seraient aussi pris en compte tels que la volonté de ne pas avoir d’importantes différences d’âge entre les enfants ou le fait d’éviter une grossesse tardive. Dans tous les sites, alors que le désir d’un nouvel enfant se manifeste après la perte d’un enfant, c’est la santé physique et mentale de la femme qui reste prioritaire (Randall, 2001).

VI – Raisonner de façon consciente : les motivations d’assurance

37Le concept d’assurance a rarement été évoqué spontanément, surtout dans le village, bien que dans tous les sites, il y ait eu des discours qui ont à la fois mentionné une taille idéale de la famille et ont fait valoir le risque de mortalité des enfants.

38Une femme du village, âgée de 57 ans, mère de 8 enfants, deux enfants décédés, a subi une stérilisation en raison de problèmes de santé, analphabète

E « À propos d’enfants, combien désiriez-vous en avoir ? »
R « Mon souhait était d’avoir 10 ou 12 enfants mais je sais qu’ils ne vont pas tous survivre. »
E « Vous disiez que les 10 ou 12 enfants ne vont pas survivre. Qu’est-ce qui vous pousse à le dire ? »
R « Ah… parce qu’à ma connaissance, tous les couples qui ont 10 ou 12 enfants, soit un des parents meurt ou quelques enfants décèdent. Peut-être même si j’ai 10 ou 12 enfants, il peut m’arriver la même chose que ces autres. Mais tout cela dépend de Dieu, c’est lui qui décide, on peut avoir un seul enfant et il peut mourir […] tout dépend de Dieu. »
Un homme vivant dans la petite ville, âgé de 61 ans, père de 11 enfants, sa première épouse est morte lors de l’accouchement de son 8e enfant, analphabète
« Ce qui est bon quand on a beaucoup d’enfants, c’est qu’on est sûr qu’on aura des enfants qui s’occuperont de nous plus tard. Par exemple si on a 40 enfants, les 40 ne vont jamais mourir ensemble, il y en a qui vont mourir ensemble, il y en a qui vont mourir avant d’avoir 20 ans mais c’est sûr qu’il en restera toujours. Parmi les 40 aussi certains vont réussir, vont prendre en charge la famille… C’est cela l’intérêt d’une famille nombreuse. Elle permet de faire face aux imprévus qui peuvent survenir à tout moment. »
Une femme de Dakar, âgée de 27 ans, mariée, mère de trois enfants, secrétaire et scolarisée jusqu’au niveau secondaire
E « S’il s’agit simplement de s’occuper d’eux, il est plus facile de gérer deux enfants ? »
R « Oui, il est plus facile de gérer deux enfants. »
E « Pourquoi n’aviez-vous pas opté pour deux enfants ? »
R « Tu sais, personne ne sait ce que fera Dieu. Il peut te donner quatre, il peut même te donner dix et les reprendre tous en même temps. […] Tu peux avoir deux enfants, tu en perds un, tu fondes alors tous tes espoirs sur l’autre et Dieu te le prend aussi. »
E « C’est pourquoi tu as opté pour quatre ? »
R « Oui. »
Les deux premières citations mettent en avant la conscience des risques de mortalité des enfants ; dans la deuxième, l’avantage d’avoir une grande famille pour faire face à ces risques est explicitement formulé. Le témoignage de la femme du village n’illustre pas un comportement d’assurance, dans la mesure où elle-même ne prévoyait pas d’avoir autant d’enfants car ils ne pourraient pas tous survivre. Cependant, l’association spontanée de ces deux idées dans la même phrase suggère que pour elle (comme pour beaucoup d’autres), les deux questions sont étroitement liées. De son côté, la Dakaroise est celle qui, parmi l’ensemble des enquêtés, a eu le discours le plus clair sur une stratégie délibérée d’assurance. De façon quelque peu prévisible, elle est issue de l’élite instruite de Dakar ; mais même dans ce groupe, elle fut l’une des rares personnes à exprimer de façon aussi explicite cette stratégie.

39Nous devons insister sur le fait que le petit nombre de discours spontanés sur ces questions n’empêche pas qu’un plus grand nombre de personnes raisonnent, en leur for intérieur, conformément à ces idées. Cependant, lorsque les enquêteurs abordaient délibérément ces notions d’assurance avec les enquêtés, les réponses sur la conception de la fécondité et de la mortalité, telles qu’elles étaient exprimées oralement, étaient apparemment fatalistes, remettant à Dieu le contrôle de la naissance et de la mort [9]. En milieu urbain, les citadins reconnaissent néanmoins des limites au pouvoir de Dieu ; l’attitude générale étant que si l’on fait assez enfants, tous ne pourraient être repris par Dieu. À l’opposé de ce discours, ceux qui ne remettent pas en cause aussi ouvertement la doctrine religieuse disent que l’on peut tout aussi bien avoir un seul enfant qui réussit que beaucoup d’enfants qui meurent. Selon cette logique, si Dieu est l’ultime responsable de la survie de l’enfant, et que les croyants ne peuvent défier Dieu, il est alors blasphématoire d’affirmer que l’on a beaucoup d’enfants pour contrer les risques d’une mortalité élevée. Prenons l’exemple d’un homme très instruit, seul survivant d’une fratrie de onze enfants, qui affirmait vouloir beaucoup d’enfants (il a déjà neuf enfants issus de cinq mariages) sans nécessairement relier ce désir à sa perception du risque de mortalité des enfants. Pour lui, ses nombreux enfants constituent la famille qu’il n’a pas pu avoir, après le décès précoce de ses frères et sœurs. Les enquêtés déclarent rarement souhaiter un nombre donné d’enfants, plus ou moins garanti par un nombre encore plus élevé de naissances, et ils se préoccupent davantage d’avoir une descendance qui leur assurerait une compagnie, une aide domestique et une assistance pendant leur vieillesse. À l’exception de certains répondants de Dakar et de quelques femmes de la petite ville, aucune indication sur la taille idéale de la famille n’a été clairement exprimée. Les réponses aux questions sur le nombre souhaité d’enfants ont souvent évolué à mesure que l’entretien avançait, sous l’effet parfois des explications et des relances de l’enquêteur, indiquant une possible prise de conscience de ce concept par l’enquêté.

40Pour les parents, surtout lorsqu’ils vivent en ville, la question-clé porte beaucoup moins sur le nombre d’enfants survivants, que sur leurs caractéristiques ou leur « qualité ». Selon eux, un seul enfant peut réussir et devenir un soutien pour ses parents, comme une douzaine d’enfants peuvent devenir des « bons à rien ». Les enfants sont perçus comme des personnes à qui l’on donne de l’amour, qui apportent la vie dans un ménage et qui dans de nombreux cas sont un investissement pour l’avenir. Les enquêtés étaient plus portés à discuter de la qualité de l’enfant, et donc des difficultés et des coûts relatifs à sa bonne éducation, qu’à réfléchir sur ses chances de survie. Cela dit, les parents ont pu préférer discuter de leurs rôles et de leurs responsabilités dans l’éducation des enfants, sujet sans doute plus acceptable que la perte d’un enfant, dont l’évocation peut être en outre de mauvais augure.

41Finalement, la nécessité d’avoir plusieurs enfants pour leur procurer une compagnie et ne pas avoir à craindre de se retrouver isolés est le point de vue le plus courant des individus. Avoir des enfants pour mettre de la vie dans le ménage est un sujet qui a été souvent abordé lors des entretiens dans l’ensemble des sites.

42Une femme, lors d’une discussion de groupe dans la petite ville

« Il ne s’agit pas d’une question de peur de perdre des enfants. Il s’agit plutôt d’un désir de vivre à plusieurs. […] Avoir peur de perdre des enfants équivaut à remettre en cause la volonté divine. Néanmoins, on se sent moins solitaire avec quatre enfants qu’avec un enfant. »

VII – Effet d’assurance et perception du risque de mortalité

43Il est important de savoir si les individus évaluent le risque de décès des enfants comme étant faible ou élevé, dans la mesure où cette perception est à la base des comportements d’assurance. Les populations du village ont conscience de la fragilité de la vie des enfants bien que de nombreux villageois estiment que la mortalité a baissé ces dernières années en raison de la vaccination et de l’amélioration des soins de santé. Toutefois, une minorité assez importante considère, sur la base d’observations plus que de connaissances statistiques, que la mortalité augmente ou reste stable. Dans la petite ville, les risques de mortalité sont généralement perçus comme faibles et les personnes relient peu leur propre expérience, surtout pendant leur enfance, à leur perception des risques actuels de perdre un enfant. À Dakar, le risque de décès des enfants est surtout perçu par les jeunes comme appartenant au passé et un petit nombre de personnes ont déclaré ouvertement qu’elles s’attendaient à disparaître avant leurs enfants.

VIII – La capacité d’agir selon les perceptions

44L’effet d’assurance ne peut se manifester que dans le cas où le contrôle de la fécondité constitue un choix délibéré. La plupart des villageois, de nombreux habitants de la petite ville et quelques Dakarois considèrent, eu égard au contrôle des naissances, que le nombre d’enfants est uniquement déterminé par la volonté divine, que les individus ont des rapports sexuels et qu’ensuite Dieu décide de la survenue ou non d’une grossesse.

45Un villageois, âgé de 40 ans, monogame, père de 8 enfants tous vivants, analphabète

E « Je ne vous le souhaite pas et que Dieu nous en garde, mais supposons que vos enfants décèdent, que feriez-vous ? »
R « Rien. Je vais continuer à avoir des rapports sexuels avec ma femme jusqu’à ce que Dieu m’en donne d’autres. Parce que tout dépend de Dieu. Nous, ce qu’on fait c’est notre devoir de marié, c’est-à-dire la nuit faire l’amour à sa femme (rires). »
Au début des entretiens, les villageois avaient tendance à nier toute connaissance en matière de contraception. Puis, au fur et à mesure, on a pu constater que sans avoir une connaissance précise des différentes méthodes de contraception, les hommes comme les femmes étaient généralement au courant de l’existence des méthodes contraceptives et de leur disponibilité dans les centres de santé, ces derniers étant perçus comme accessibles à la fois sur le plan géographique et financier. De plus, si le contrôle de la fécondité pour limiter le nombre de naissances était souvent perçu comme contraire à la volonté divine, il devenait acceptable lorsqu’il s’agissait de protéger la santé de la femme. Les travaux de Bledsoe et al. (1998) sur la théorie du potentiel reproductif, qui insiste sur l’importance de la bonne santé de la mère pour qu’une grossesse se termine par une naissance vivante, apportent un éclairage sur les préoccupations des hommes et des femmes vis-à-vis de la reproduction et de la santé des femmes (voir note 1). Toutefois, nos investigations sur le Sénégal n’ont pas permis d’obtenir les mêmes résultats que ceux obtenus en Gambie. Nos données suggèrent que dans l’interprétation locale de la promotion de la santé par l’islam, il est possible pour les femmes qui veulent contrôler leur fécondité d’utiliser des raisons de santé comme justification acceptable ou comme prétexte. Avancer des raisons de santé permet de contrer les oppositions masculines au contrôle de la fécondité (Randall, 2001). Dans le cas des villageoises, elles seraient prêtes à passer outre leurs réticences vis-à-vis de la contraception seulement si leur santé était gravement compromise. En général, les citadines instruites tolèrent moins les malaises entourant la grossesse tels que les nausées matinales ou les douleurs de l’accouchement, ce qui pourrait les amener à accepter le contrôle des naissances. Les désirs des femmes de contrôler leur fécondité se formulent davantage par rapport à leurs propres réactions physiologiques à la grossesse, comme la douleur, les risques pour la santé et l’épuisement. Pour justifier la limitation des naissances, on évoque plutôt ces raisons de santé, devenues des arguments acceptables à la fois pour les hommes et les femmes, qu’une perception de la baisse de la mortalité des enfants qui permettrait d’en avoir moins.

46Un homme habitant la petite ville, âgé de 44 ans, marié avec 3 épouses et père de 8 enfants, en formation professionnelle

E « Vous dites que vous voulez avoir beaucoup d’enfants et pourtant vos femmes utilisent encore des méthodes de contraception modernes, comment expliquez-vous cela ? »
R « Il n’y a pas de paradoxe en cela car si j’ai proposé à mes femmes d’utiliser ces méthodes c’est juste pour qu’elles soient en bonne santé, qu’elles se reposent un peu avant une autre grossesse. Cela ne veut pas dire qu’elles vont arrêter de faire des enfants. »
Un villageois, âgé de 61 ans, marié avec 2 épouses, 10 enfants vivants, analphabète
E « Et si ta femme ne veut plus avoir d’enfants ? »
R « J’ai entendu parler à la radio de “palani”, c’est-à-dire arrêt des naissances. Si ma femme est malade et qu’elle peut avoir des problèmes, je peux accepter, mais dans le cas contraire je ne le fais pas et si elle le fait, je la laisse tomber pour en chercher une autre. Parce qu’on n’a pas le droit de diminuer les naissances. »
La plupart des hommes du village ont d’abord pris position contre la contraception. Néanmoins, cette réaction a ensuite été nuancée par un certain nombre d’hommes qui déclaraient approuver le contrôle de la fécondité pour leur épouse dans le cas où un avis médical préconiserait l’arrêt des grossesses. L’influence des campagnes de santé publique dans ce secteur sur les changements d’attitudes n’est pas très clair. De toute façon, pour les hommes, l’arrêt de la fécondité de leur épouse ne met pas un terme à leur propre fécondité, en raison de la polygamie.

47Un villageois, environ 45 ans, monogame, 10 enfants, 2 enfants décédés, analphabète

E « Si Dieu vous prend un enfant parmi les dix que vous avez, allez-vous chercher à en faire un autre ou le contraire ? »
R « Je vais continuer à avoir des rapports sexuels avec ma femme et chercher un autre enfant. Si ma femme ne peut plus faire d’enfant et si mes moyens me le permettent, j’épouserai une deuxième femme. »
La polygamie est souvent justifiée par les hommes et les femmes par des raisons matérielles : l’aide soulage notamment la première épouse de ses devoirs domestiques, sexuels et reproductifs ; elle permet aussi à l’homme d’avoir davantage d’enfants.

48Admettre que le contrôle des naissances est une pratique acceptable si elle est justifiée par des raisons de santé est un discours important à double titre. Premièrement, il révèle que la connaissance de l’existence des méthodes de contrôle de la fécondité s’est diffusée dans les populations, ce qui est une condition nécessaire au déclin de la fécondité. Deuxièmement, les femmes ont tout à fait conscience, dans ce cadre qui légitime le contrôle de la fécondité, de leur capacité à manipuler leur mari à leurs propres fins. Plusieurs femmes ont déclaré qu’elles commenceraient à utiliser la contraception lorsqu’elles seront fatiguées, leur mari ne pouvant ni contester ni refuser une décision qui implique leur santé. Le contrôle de la fécondité pouvant maintenant faire l’objet d’un choix délibéré, même au village, il devient donc possible, pour la plupart des individus, d’avoir une réflexion sur le nombre d’enfants. Le fait que dans tous les sites – bien que très peu au village –, il y ait eu des cas de femmes plus âgées contrôlant leur fécondité pour des raisons de santé rend crédible l’évolution observée dans les attitudes et les comportements.

49Néanmoins, il reste, et de façon de plus en plus marquée lorsqu’on passe de Dakar à la petite ville et enfin au village, que le contrôle de la fécondité n’est acceptable que lorsqu’il est lié à la santé de la femme. Les risques pour la santé sont une justification recevable alors que le fait de vouloir tout simplement moins d’enfants n’est pas acceptable, en particulier pour les hommes. Leur résistance à l’utilisation de la contraception pour contrôler la fécondité en soi est une donnée importante car la plupart des femmes sont dépendantes de la volonté de leur mari à ce sujet, à l’exception partielle des Dakaroises. Alors que certaines femmes pourraient exprimer leur désir d’arrêt ou d’espacement des naissances, la plupart ne le feraient pas sans l’accord de leur mari, même si elles essaieraient de le convaincre.

50Une femme vivant dans la petite ville, âgée de 22 ans, mariée, sans enfant, scolarisée jusqu’au niveau secondaire

E « À ton avis, est-ce que les hommes de cette ville sont pour l’espacement des naissances par la contraception ? »
R « Non, les hommes d’ici n’apprécient pas beaucoup le “planning”, ils empêchent souvent leurs femmes de le faire. C’est pourquoi d’ailleurs certaines le font en cachette… »
E « Si après avoir eu les 5 enfants, tu ne souhaites plus en avoir et que ton mari est d’avis contraire, que feras-tu ? »
R « Ah, je suivrai sa volonté, comme c’est lui mon mari, je ne ferai que ce qu’il veut dans la mesure où il ne voudrait pas me faire du mal. J’essaierai quand même de lui faire comprendre les raisons pour lesquelles je voudrais faire du “planning” mais je ne ferai rien contre sa volonté. Tu sais, toute femme a ses astuces ou méthodes pour amener son mari à faire ce qu’elle veut… »
Nous ne pouvons bien sûr pas savoir si les femmes agissent réellement de la sorte, mais c’est ainsi qu’elles perçoivent leur capacité d’action. Une contrainte pesant sur l’utilisation de la contraception parmi les jeunes femmes vivant en milieu rural et dans la petite ville provient de leur manque d’autonomie dans le cadre du mariage. Avec la progression de l’instruction et l’urbanisation, cette contrainte s’est atténuée de deux façons : d’une part, les femmes ont plus de liberté vis-à-vis des choix faits par leur mari et, d’autre part, les hommes eux-mêmes sont plus enclins à accepter le contrôle de la fécondité et une famille de taille plus réduite. La baisse de la mortalité ne joue aucun rôle dans ces évolutions, à ceci près que les facteurs explicatifs du déclin de la mortalité sont aussi partie prenante du changement social, un processus qui agit sur l’autonomie des femmes et sur les relations entre hommes et femmes.

51Tout mécanisme d’assurance doit être analysé dans ce contexte. Parmi les villageois et dans une bonne partie de la population de la petite ville, le contrôle de la fécondité, bien qu’il relève en apparence du domaine des choix délibérés, n’est acceptable socialement que vers la fin de la vie reproductive d’une femme, lorsque le nombre d’enfants survivants peut être estimé. Mais même ce consentement donne rarement lieu à une utilisation effective de la contraception. Ainsi, il est peu probable que ces changements dans les comportements reproductifs aient un rôle central dans la transition de la fécondité, laquelle semblait principalement être le fait des jeunes générations au Sénégal jusqu’au milieu des années 1990. À Dakar, le contrôle de la fécondité se fait davantage sentir à toutes les étapes de la vie reproductive, la taille idéale de la famille se situant entre trois et cinq enfants. Le nombre d’enfants souhaités est faible à Dakar, non en raison d’un changement de perception en ce qui concerne la survie des enfants mais en raison a) des difficultés économiques et de l’élévation du coût des enfants, b) d’une volonté d’investir davantage dans chacun de ses enfants et c) du temps et de l’attention nécessaires à une bonne éducation en milieu urbain. Manifestement, les faibles risques de mortalité sont à la base de cette aspiration à la qualité de l’enfant sans être toutefois exprimés en tant que tels lors des entretiens.

IX – Les coûts et la qualité de l’enfant

52Dans les trois sites, les discussions sur les coûts de l’enfant ont été inévitablement liées à la qualité de l’enfant ; les investissements consentis pour élever un enfant ont une répercussion sur la vie future de l’adulte. Les individus estiment, surtout en milieu urbain, que pour assurer la réussite des enfants, il est nécessaire d’investir à la fois du temps et de l’argent. Bien qu’ils évaluent parfois la réussite en termes financiers ou professionnels, ils la caractérisent davantage par le respect des autres, le fait d’être respecté et de prendre soin de sa famille à la fois sur le plan matériel et affectif. À Dakar, les hommes s’inquiètent des aspects financiers et matériels de l’éducation en invoquant souvent les frais liés à la scolarisation, aux soins de santé et aux besoins matériels des enfants. Ils attendent de leurs épouses qu’elles se conforment à leur rôle traditionnel : élever les enfants, administrer les soins quotidiens, donner une bonne éducation aux enfants et leur transmettre des valeurs morales. Les hommes du village sont quant à eux peu soucieux des coûts de l’enfant bien qu’ils mentionnent de façon occasionnelle les dépenses relatives à l’école et aux soins médicaux ; c’est l’accroissement du nombre de leurs enfants et la chance que certains d’entre eux réussissent qui entrent surtout en ligne de compte.

53Un villageois, âgé de 40 ans, marié à une épouse, père de 8 enfants tous vivants, analphabète

« Ce que les gens ignorent quand tu limites les naissances, c’est que tu peux empêcher un enfant très chanceux de venir au monde parce qu’entre l’aîné et le cadet on ne peut savoir qui est-ce qui t’aidera demain. »
Au village, les hommes considèrent plutôt les enfants comme un atout matériel et une sécurité pour leur vieillesse et rarement comme un coût net. Cette perception de l’enfant associée à leur opposition à la maîtrise des naissances va dans le sens des théories qui voient dans l’augmentation du coût de l’enfant un facteur majeur de la baisse de la fécondité. Les femmes vivant au village perçoivent les coûts de l’enfant de façon différente, surtout comme une ponction faite sur leurs propres ressources physiques et sur leur santé.

54Une villageoise, âgée de 38 ans, mariée, mère de 7 enfants dont 1 est décédé, analphabète

« Pourquoi donnons-nous naissance à nos enfants ? Seulement pour qu’ils nous viennent un jour en aide. Tu dois admettre que c’est pour cela que nous souffrons le martyre de la maternité. Il est facile d’avoir un enfant, le plus dur est d’avoir un bon enfant. »
Comme au village, certains hommes de la petite ville valorisent la famille nombreuse et perçoivent les enfants plutôt comme une ressource que comme un coût. D’autres évoquent les coûts financiers ; et parmi ceux qui acceptent le contrôle de la fécondité, nombreux sont ceux qui y voient un mal nécessaire en raison de leurs faibles moyens. Les hommes ont une position ambivalente car, d’une part, ils ont un très fort désir d’avoir une nombreuse descendance, sentiment renforcé par leurs convictions religieuses et, d’autre part, ils sont l’objet de sollicitations quotidiennes pour les dépenses liées aux enfants.

55Un homme résidant dans la petite ville, âgé de 61 ans, monogame, père de 11 enfants, sa première épouse est décédée lors de la naissance du 8e enfant, analphabète

« Mais elle [la religion] accepte que des gens qui sont mariés légalement planifient le nombre d’enfants qu’ils vont avoir en tenant compte de leurs moyens. Quand on n’a pas les moyens d’avoir une famille nombreuse, on ne fait pas beaucoup d’enfants et pour ne pas en faire beaucoup, on a recours à quelque chose comme ces méthodes-là. »
(Plus loin, il continue) « C’est cela l’intérêt d’une famille nombreuse. Elle permet de faire face aux imprévus qui peuvent survenir à tout moment. »
Dans la petite ville, on observe une situation en pleine évolution. Certains hommes ont conscience de l’augmentation du coût des enfants liée à leur scolarisation de plus en plus importante et au développement du salariat au détriment de l’activité agricole. Leur souci est de réussir l’éducation de leurs enfants compte tenu de ces évolutions. Néanmoins, ils savent aussi que la réussite d’un enfant n’est jamais garantie.

56Un homme résidant dans la petite ville, âgé de 26 ans, célibataire, scolarisé jusqu’au niveau primaire

« Tout est cher et ce n’est plus comme avant où on était sûr que quel que soit le nombre d’enfants ils pouvaient tous réussir et bien gagner leur vie. Maintenant, on peut avoir seulement deux enfants, les mettre dans de bonnes conditions pour qu’ils réussissent et les voir finalement échouer leur vie parce qu’ils n’auront pas d’emploi et vous serez alors obligé de les entretenir… On sait tous que la réussite des enfants dépend de Dieu, mais le mieux c’est de faire un nombre d’enfants raisonnable pour être sûr de leur assurer un bon avenir. »
Dans la petite ville, la nourriture des enfants n’est jamais mentionnée comme un coût par les hommes, alors qu’il s’agit du souci majeur des femmes. Pour eux, Dieu subviendra toujours aux besoins alimentaires de leurs enfants. Ainsi, le rôle des relations de genre dans la détermination des coûts et des ressources attribués aux enfants a toute son importance. Dans l’ensemble des trois sites, les hommes assument les frais scolaires et médicaux et ils les mentionnent comme des coûts, auxquels s’ajoutent les frais vestimentaires pour les Dakarois. Les femmes sont responsables de la nourriture et des soins quotidiens, et elles invoquent davantage les coûts indirects, en termes de temps et d’efforts, que les coûts financiers qui restent secondaires.

57Dans l’ensemble des sites, le souhait des hommes comme celui des femmes est de voir réussir leurs enfants à l’âge adulte. Pour les villageois, le succès des enfants doit bénéficier aux parents et leur assurer la sécurité au moment de leur vieillesse. Or, dans le village et à un degré moindre dans la petite ville, les parents ne mentionnent aucun moyen pour influencer la réussite de leurs enfants : en fait, ils misent sur la chance et sur un nombre élevé d’enfants afin d’augmenter les probabilités d’avoir un enfant qui réussira.

58À Dakar et parmi les individus les plus instruits dans la petite ville, les parents sentent leurs responsabilités beaucoup plus engagées dans la réussite de leurs enfants à l’âge adulte. À Dakar, où la contraception est la plus répandue, le coût des enfants est un sujet abordé par presque tout le monde, que les personnes aient ou non des enfants. Les hommes l’expriment en termes financiers et les femmes évoquent les soucis inhérents aux soins quotidiens des enfants et à leur bonne éducation, même si elles ont tout à fait conscience des contraintes économiques. Certains hommes ont un discours ambivalent comme cela a été observé dans la petite ville, souhaitant idéalement plus d’enfants qu’ils ne peuvent se le permettre. D’autres ont revu à la baisse leurs objectifs relatifs à la taille de la famille.

59Un Dakarois, âgé de 44 ans, marié, père de 1 enfant, scolarisé jusqu’au niveau secondaire

« Faire beaucoup d’enfants n’est pas réaliste de nos jours car les conditions de vie deviennent de plus en plus difficiles. Les enfants, il faut les entretenir, les éduquer et veiller sur leur santé […] Et aussi l’éducation à la maison et celle de la rue devient difficile. »
Un Dakarois, âgé de 42 ans, marié, père de 2 enfants, formation en droit
« Je voudrais avoir une grande famille avec 20-25 enfants et les nourrir sans sueur, sang et eau, mais c’est impossible, compte tenu de la cherté des coûts relatifs aux scolarités, à l’éducation et de leur prise en charge. »
À Dakar, la réussite de l’éducation d’un enfant à l’âge adulte se mesure, selon les femmes, par sa capacité à entretenir ses parents au moment de leur vieillesse, et surtout par l’amour qu’il leur donne et le respect qu’il leur témoigne ainsi qu’aux autres. Mais elles voient de nombreux obstacles parmi lesquels le manque de ressources financières pour satisfaire les besoins et les désirs des enfants. Beaucoup plus importantes sont les difficultés liées au manque de temps et à l’environnement urbain. Les femmes s’interrogent particulièrement sur le ménage étendu, où plusieurs familles apparentées partagent la même concession. Le processus de nucléarisation des arrangements résidentiels et donc des familles vient peut-être des plaintes des femmes concernant les difficultés à élever correctement leurs enfants, alors qu’ils côtoient dans le ménage d’autres enfants moins bien élevés. De même, les mauvaises influences sont perçues comme omniprésentes dans les rues de Dakar et les femmes sont inquiètes de leur manque de contrôle sur leurs enfants en dehors de la concession.

60Une Dakaroise, âgée de 23 ans, mariée, mère de 1 enfant, scolarisée jusqu’au niveau primaire

« D’abord, c’est l’inscription à l’école, le surveiller à la maison et essayer de lui donner sa chance pour affronter la vie. Ensuite, il faut qu’il apprenne le Coran, qu’il reconnaisse qui est qui parmi les membres de la famille… Je crois que 2 ou 3 [enfants] c’est suffisant car de nos jours il est presque impossible d’éduquer, d’entretenir beaucoup d’enfants. »
Une Dakaroise, âgée de 26 ans, célibataire, sans enfant, scolarisée jusqu’au niveau secondaire
« Si ça ne dépend que de moi, j’aurai 2 à 3 enfants car il faut penser à leur éducation sinon, ils seront des enfants de la rue, des délinquants. Et tout cela c’est à cause des familles nombreuses. »
La religion est au cœur de la société. Pour les hommes comme pour les femmes, pour les urbains comme pour les ruraux, une bonne éducation nécessite d’être aussi un bon musulman. Il s’agit d’une qualité essentielle de tout adulte.

61Les arguments en faveur de la limitation de la taille de la famille vont de pair avec l’attention portée à la qualité de l’enfant. À ce titre, les citadins au Sénégal raisonnent de façon analogue à celle des démographes. Pour les habitants des zones urbaines, la qualité de l’enfant nécessite des investissements financiers et, de façon tout aussi importante, l’attention des parents et le maintien de leur autorité. Ces différents types d’investissements sont difficiles à assurer lorsque la famille est nombreuse. En fait, il semble se mettre en place une stratégie d’assurance étendue qui vise un nombre suffisant d’enfants, pour garantir la possibilité que certains d’entre eux réussissent, et qui en même temps cherche à éviter un trop grand nombre d’enfants, afin de pouvoir investir dans la « qualité » de ces derniers (LeGrand et al., 2003).

62Une dimension supplémentaire émerge dans le discours des hommes les plus instruits vivant à Dakar : l’idée des démographes, selon laquelle les comportements de fécondité sont une réponse au risque de mortalité, est critiquée comme étant étrangère à la façon de penser traditionnelle des Africains [10].

63Un Dakarois, âgé de 25 ans, célibataire, scolarisé jusqu’au niveau secondaire

E « La mort d’enfants influence-t-elle la fécondité dans le couple ? »
R « Je n’ai pas compris. »
E « Est-ce que le fait de perdre des enfants constitue-t-il un frein à la procréation ou une motivation suffisante à faire beaucoup d’enfants ? »
R « Je ne crois pas que les gens réfléchissent comme vous. Car il y a le phénomène de Dieu, la religion, la foi, etc. Tout ça compte. Les gens sont des croyants. »
Un Dakarois, âgé de 55 ans, monogame, père de 3 enfants, niveau universitaire
« Tu peux même aller jusqu’à 30 et qu’ils meurent tous. Tout dépend de Dieu. Il ne faut pas essayer de planifier comme ça en voulant imiter les “tubaab” (blancs). »
Ces commentaires, qui sont aussi une critique implicitement adressée à l’enquêteur (d’origine wolof), renvoient à des questions plus générales sur le nationalisme, la construction identitaire, la colonisation et la religion ; questions qui agissent aussi plus largement sur la prise de décision en matière de procréation et sur la façon dont les personnes perçoivent leurs propres comportements et motivations. Ce discours doit nous inciter à rester prudents à la fois lorsque nous cherchons à faire émerger des logiques et des normes, qui peuvent relever de l’histoire démographique et des traditions occidentales, et que nous essayons de les appliquer à un contexte dans lequel la famille, le mariage et la parenté ont une histoire très différente.

Conclusion

64Cette étude montre l’importance de ne pas simplifier à l’excès des théories sur les objectifs, les stratégies et les comportements des individus, afin de les faire correspondre aux résultats des analyses quantitatives. On ne peut réduire l’analyse de la fécondité à une simple série de motivations, stratégies et résultats et se focaliser sur une seule finalité comme le nombre d’enfants survivants ; il est important de considérer différentes motivations simultanées et interdépendantes telles que la qualité de l’enfant, l’espacement des naissances, la santé de la mère, etc. Ces objectifs multiples sont souvent contradictoires et les individus ou les couples doivent les gérer en tenant compte d’un ensemble de contraintes personnelles et sociales. Le fait de reconnaître cette complexité ne signifie pas nécessairement qu’il n’existe pas de stratégies de remplacement et d’assurance, ni de liaison entre la mortalité et la fécondité, mais plutôt qu’une multitude d’autres facteurs entrent aussi en ligne de compte. Si nous nous limitons à une analyse trop restreinte de quelques objectifs et stratégies, nous n’aboutirons qu’à une compréhension partielle et peut-être même biaisée de la façon dont les individus font face à la mortalité des enfants.

65L’analyse des données qualitatives met en évidence des motivations et des comportements conscients de remplacement et d’assurance dans le cadre du mariage, même si on note aussi, au Sénégal, des réticences à parler ouvertement de ses préférences et stratégies en matière de fécondité. Toutefois, d’après le tableau général qui se dégage, ces mécanismes ne sont pas des déterminants majeurs du comportement reproductif et leurs effets globaux sur la fécondité sont vraisemblablement faibles au Sénégal. Ces stratégies, qui visent de façon générale à limiter les naissances, s’observent surtout en milieu urbain et parmi les hommes et les femmes les plus instruits. Même si les progrès en matière de santé et de survie de l’enfant expliquent une part importante de la baisse de la fécondité, une partie de leurs effets ont jusqu’à présent probablement emprunté d’autres voies.

66En milieu urbain sénégalais et en particulier à Dakar, la volonté de limiter le nombre de naissances est fortement liée aux considérations sur les coûts et les difficultés à élever les enfants. La « qualité » de l’enfant renvoie à l’instruction scolaire et surtout à l’éducation morale des enfants et au maintien de l’autorité parentale, des éléments essentiels pour avoir des enfants qui feront honneur à la famille et sur lesquels celle-ci pourra compter. La mortalité des enfants est rarement une préoccupation, bien qu’il soit possible que dans un contexte de forte mortalité, la perception des avantages et des risques associés à une stratégie de substitution de la quantité par la qualité serait différente. En milieu rural, la « qualité » de l’enfant est une question rarement évoquée.

67Paradoxalement, alors que la mortalité des enfants est plus élevée au village, les villageois semblent les moins préoccupés par les risques encourus par leurs enfants. La vie dans le village demeure relativement « simple », du moins en termes de stratégies et de comportements de constitution de la famille, qui sont gouvernés par la conviction que la fécondité et la mortalité dépendent de façon ultime de la volonté de Dieu. Les faibles capacités du village à investir dans les enfants (école, etc.) et l’existence d’un environnement qui préserve les valeurs traditionnelles jouent probablement aussi un rôle. Entre les sites urbains et ruraux, il existe des différences marquées dans les attitudes, les stratégies et les comportements. La fécondité est, en milieu rural, encore largement commandée par le contrôle social et les pratiques traditionnelles, alors que dans les petites et grandes villes, les stratégies actives de constitution de la famille sont plus répandues. Ces observations sont conformes avec l’hypothèse de transition de Lloyd et Ivanov (1988).

68Cependant, le regard porté sur le village ne doit pas en faire une société immobile et empreinte d’une tradition passive. Les campagnes sont en proie à de profondes transformations sociales et économiques. L’intensification de la migration saisonnière des jeunes hommes et dans une moindre mesure des jeunes femmes en est un exemple. Cette migration résulte en grande partie d’une dégradation récente de l’agriculture de subsistance, qui ne pourvoit plus aux besoins d’une population croissante dans un contexte d’augmentation des besoins matériels des populations rurales. La migration peut aussi être un processus d’ajustement à la réduction de la mortalité (Davis, 1963 ; Cleland, 2001). En quittant leur village, les jeunes échappent en partie au contrôle de leurs familles et acquièrent par leur travail une certaine indépendance financière, autant de changements qui leur donneront plus d’autonomie au moment du retour. À plus long terme, la migration est susceptible de faciliter l’adoption de nouveaux comportements de procréation en affaiblissant le contrôle traditionnel exercé par la famille et par la société sur le mariage et la fécondité. À l’instar des citadins, les villageois estiment que le contrôle des naissances est acceptable lorsque la santé de la mère est en jeu, même si cette question n’occupe pas une place de premier plan dans les préoccupations ; parfois, il était nécessaire de poser des questions précises pour obtenir leur opinion sur ce point. La plupart des villageois connaissent l’existence de moyens modernes et accessibles de planification des naissances ; ils expriment quelquefois aussi des préoccupations sur l’augmentation des coûts et la diminution de la valeur de l’enfant. Toutes les conditions requises semblent donc être en place pour que les stratégies et les comportements de reproduction évoluent rapidement dans le village, malgré une légitimité sociale et religieuse qui fait encore défaut.

69Cette étude s’est focalisée sur la prise de décision en matière de reproduction au sein du couple, mais elle ne prend pas en compte l’effet possible de la baisse de la mortalité dans un contexte de changement des comportements matrimoniaux. Toutefois, le mariage peut être considéré comme un engagement à procréer, à la fois pour les hommes et pour les femmes, et qui détermine la fécondité sur le long terme. D’autres études ont montré que le déclin de la fécondité au Sénégal avant 1997 a surtout été le fait des jeunes femmes et une analyse des déterminants proches de la fécondité a établi que le recul de l’âge au mariage a joué le rôle le plus important (Pison et al., 1995 ; voir aussi Mahy et Gupta, 2002). Lors de nos enquêtes qualitatives, les personnes étaient souvent très désireuses de discuter des stratégies et des expériences matrimoniales, au point d’en faire leur sujet de prédilection. Il n’y a aucune indication permettant de penser que les risques de mortalité des enfants entrent en ligne de compte dans les décisions relatives au premier mariage. Dans le cas où la mortalité serait prise en compte, ce sont les parents du jeune couple qui pourraient manœuvrer pour inciter leurs enfants à un mariage plus précoce ou plus tardif ; au regard de l’évolution très récente de la fécondité, les effets d’une telle stratégie seraient, dans le meilleur des cas, très modérés. La mortalité des enfants peut aussi influencer la fécondité par le truchement du divorce, du remariage et de la polygamie, mais ces thèmes n’ont pas été abordés lors de la collecte des données qualitatives. Si l’augmentation de l’âge au mariage des femmes et la réduction de l’écart d’âge entre conjoints mis en évidence par Hertrich (2002) est compatible avec une pénurie de conjoints potentiels sur le marché matrimonial, nos données ne mettent en évidence aucune prise de conscience d’un tel processus. Le nombre croissant de jeunes femmes célibataires est plutôt expliqué comme une conséquence de la crise économique et de l’augmentation du montant des dots ; au total, c’est donc l’impossibilité pour les jeunes hommes d’engager le processus matrimonial qui est incriminée.

70Les baisses de la fécondité et de la mortalité sont partie intégrante de processus sociaux globaux en cours, comme l’attestent à la fois l’échelle et l’omniprésence de ces changements (Wilson, 2001). Ces différentes mutations ont des répercussions majeures sur bien des aspects de la vie des Sénégalais. En général, plus l’urbanisation est importante, plus les changements sont importants et étendus, si l’on en juge par rapport à une époque relativement récente où l’agriculture de subsistance dominait en milieu rural. Les disparités entre le milieu urbain et le milieu rural, et entre le présent et le passé, sont ressorties nettement de nos données d’enquête. Mais il y a aussi des continuités qui sont étroitement liées à la reproduction, à la naissance et à la mort. L’une des plus marquantes réside dans l’énorme l’influence de la parenté et de la famille sur de nombreux aspects de la vie des Sénégalais, puisqu’elle se fait ressentir jusque dans les lieux de travail du secteur moderne. Cette primauté donnée à la parenté explique que, selon toute vraisemblance, la fécondité ne pourra pas atteindre au Sénégal des niveaux aussi bas qu’en Europe, même dans un environnement économiquement et socialement développé, et indépendamment des risques de mortalité et des coûts des enfants. Les coûts sociaux liés à l’absence d’enfants sont sensiblement plus élevés que ceux – y compris économiques – résultant d’un nombre trop élevé d’enfants. La taille idéale de la famille est une notion que certaines personnes peuvent exprimer, d’autres peuvent l’avoir à l’esprit sans en parler, mais les individus, en général, préfèreront toujours dépasser ce qu’ils estiment être le nombre optimal d’enfants, plutôt que d’en avoir moins. En cela, la prise en compte explicite de la mortalité dans les stratégies de fécondité ne semble pas jouer un rôle particulièrement important.

Remerciements

Cette étude a reçu le soutien financier de la Fondation Rockefeller, de la Fondation Mellon et de l’Agence canadienne de développement international. Nos remerciements vont à Cheikh Ibrahima Niang au Sénégal et à son excellente équipe de terrain dont il a en grande partie assuré la formation : Dominique Gomis, Ndella Diakhaté, Moustapha Diagne, Alioune Diagne, Daba Nguer, Fatou Cissé, Fatima Traoré et Hamidou Boiro. Nous remercions également Susan Watkins, Caroline Bledsoe, Nathalie Mondain et tous ceux qui nous ont fait bénéficier de leurs commentaires et suggestions.

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Notes

  • [*]
    Département d’anthropologie, University College, Londres.
  • [**]
    Département de démographie, université de Montréal. Traduit par Florence Waïtzenegger-Lalou.
  • [1]
    Pour les revues de littérature, voir les travaux de LeGrand et Sandberg (2004, à paraître) et de Cohen et Montgomery (1998). Plusieurs autres mécanismes peuvent être à l’origine d’un lien de nature comportementale entre mortalité et fécondité. La baisse de la mortalité conduit à une croissance plus rapide de la population et finalement à des densités de population plus élevées, lesquelles peuvent réduire la valeur économique des enfants pour leurs familles ou mener à la mise en place de politiques visant à limiter les naissances. Bledsoe et al. (1998) ont cependant démontré qu’en Gambie, les stratégies reproductives des femmes sont basées sur une compréhension différente des liens entre les enfants mort-nés, les décès d’enfants et la survie des enfants avec pour conséquence que les femmes qui ont perdu beaucoup d’enfants ou eu de nombreux enfants mort-nés retardent la venue de l’enfant suivant. L’épidémie de VIH/Sida, qui met en relation mort d’un enfant, perspectives de survie des enfants à venir et survie et santé à long terme des parents, semble modifier les stratégies reproductives dans certaines régions d’Afrique (Ainsworth et al., 1998 ; Grieser et al., 2001), bien qu’elle ait, jusqu’à présent, très peu d’effets sur la fécondité au Sénégal.
  • [2]
    La baisse de la mortalité des enfants conduit progressivement à un rajeunissement de la structure par âge, toutes choses étant égales par ailleurs. En Afrique, les épouses sont souvent beaucoup plus jeunes que leurs maris ; cet écart d’âge entre les conjoints peut provoquer un excédent numérique de candidates au mariage par rapport aux hommes. Un tel déséquilibre sur le marché matrimonial pourrait conduire à une augmentation de l’âge au mariage des femmes et à une réduction de l’écart d’âge entre les conjoints (pour des résultats empiriques, voir Hertrich, 2002 ; Blanc et Gage, 2000), ainsi qu’à un recul de l’âge à la première naissance. D’autres études ont montré que l’existence d’une pénurie de conjoints potentiels sur le marché matrimonial avait contribué à la baisse de la fécondité dans certaines régions d’Asie (Fernando, 1975 ; Caldwell et al., 1983 ; Mari-Bhat et Halli, 1999).
  • [3]
    Schultz note aussi que, dans un contexte de baisse de la mortalité des enfants, le coût moyen d’un enfant survivant (en termes d’argent, de temps et de santé de la mère, etc.) devrait diminuer et que le nombre d’enfants survivants souhaités par les parents devrait augmenter. L’effet global sur la fécondité de ces mécanismes qui sont liés à la fois à la survie et à la mortalité des enfants est ambigu.
  • [4]
    L’enquête sénégalaise sur les indicateurs de santé (ESIS) comporte de nombreuses questions semblables à celles posées lors des enquêtes démographiques et de santé (EDS).
  • [5]
    Si les perceptions des risques de mortalité sont exprimées à la suite d’une question précise, et non de façon spontanée lors de discussions informelles, alors il convient de s’interroger sur la valeur de ces réponses. En effet, il peut s’agir d’une volonté de politesse, d’idées ou d’opinions nouvelles qui n’avaient pas été envisagées jusqu’alors, ou bien de questions jugées sans importance ou trop embarrassantes pour pouvoir être abordées spontanément.
  • [6]
    Voir le site http ://www.ucl.ac.uk/Anthropology/bioanth/staff_member_randall. htm à propos du guide d’entretien, des méthodes d’enquête et d’échantillonnage dans chacun des sites étudiés.
  • [7]
    Dans les couples, les conjoints ont été enquêtés séparément et les citations issues de ces entretiens ont été analysées comme celles des entretiens approfondis. Il est indiqué lorsque les citations sont extraites de discussions de groupe.
  • [8]
    QSR NUD*IST (Qualitative Solutions and Research : Non-numerical Unstructured Data Indexing Searching and Theorising) est un logiciel permettant de traiter les données qualitatives et de les analyser.
  • [9]
    Cela n’empêche pas une recherche très active de soins de santé et de soins médicaux, qui sont présentés dans le Coran non comme un défi – mais plutôt comme une adhésion – à la volonté de Dieu (Omran, 1992).
  • [10]
    Les chercheurs européens et américains ont été peu associés au travail de terrain à Dakar. Tous les enquêteurs étaient Sénégalais et le projet était présenté comme celui de l’université de Dakar. Les auteurs se sont rendus à la fois dans le village et dans la petite ville, mais cela n’a pas pu influencer les entretiens qui ont eu lieu à Dakar.
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