Couverture de POPU_2101

Article de revue

Les conséquences démographiques des sièges de Paris, 1870-1871

Pages 9 à 36

Notes

  • [1]
    On peut ainsi comparer, d’une part, Lindeboom et al. (2010) au sujet de la baisse très notable de l’espérance de vie après 50 ans des enfants qui étaient en gestation ou avaient moins d’un an lors de la famine de la pomme de terre aux Pays-Bas et, d’autre part, Song (2009) au sujet de la Grande famine en Chine, qui ne semble pas observer d’incidence sur la mortalité aux âges ultérieurs.
  • [2]
    S’agissant de la famine qui a sévi en Finlande entre 1866 et 1868, Kannisto et al. (1997) ne constatent aucune différence dans la mortalité adulte des cohortes concernées, tandis que Doblhammer et al. (2013) observent une réduction modeste mais significative de l’espérance de vie après 60 ans chez les personnes en ayant le plus souffert.
  • [3]
    À des fins de comparaison, nous avons collecté les mêmes données à partir des registres matricules militaires de deux quartiers au profil social proche : le troisième arrondissement de Paris et le quatrième arrondissement de Lyon (voir le Matériel supplémentaire C en ligne)
  • [4]
    Le traité de paix signé à Francfort le 10 mai 1871 a mis fin à la guerre mais, en plus d’être contrainte à verser une indemnité de 5 milliards de francs, la France a dû céder une partie de son territoire oriental (Alsace-Lorraine). Ceux qui y résidaient ont eu la possibilité de conserver la nationalité française et d’émigrer ou de devenir citoyens allemands. Les nombreux Français qui ont opté pour la première solution se sont installés à Paris en 1871 et 1872 ; parmi eux figurent les enfants observés par la suite, lorsqu’ils atteignent 20 ans.
  • [5]
    Les communes qui ont disparu suite à leur absorption complète par Paris en 1860 sont Auteuil, Batignolles, Belleville, Bercy, Chaillot, Charonne, Grenelle, La Chapelle, La Villette, Ménilmontant, Montmartre, Passy, Plaisance, Varennes et Vaugirard.
  • [6]
    Dans le sens des aiguilles d’une montre, le « Grand Paris » comprend Aubervilliers, Pantin, Le Pré Saint-Gervais, Les Lilas, Bagnolet, Montreuil, Saint-Mandé, Charenton-le-Pont, Ivry-sur-Seine, Gentilly, Montrouge, Vanves, Issy-les-Moulineaux, Boulogne, Neuilly, Levallois-Perret, Clichy, Saint-Ouen, Saint-Denis et Montrouge. C’est un sous-ensemble du département de la Seine ; ce dernier est utilisé par exemple par Van de Walle et Preston (1974).
  • [7]
    Les évolutions de la taille dans le XIXe arrondissement de Paris ne sont pas corrélées avec ce que l’on observe dans le quatrième arrondissement de Lyon et ne réflétent donc pas des chocs d’ampleur nationale qui auraient ébranlé d’autres zones urbaines comparables (voir le graphique C.2 du Matériel supplémentaire et la discussion attenante).
  • [8]
    Nous avons vérifié que les années de naissance 1858 et 1859 présentaient effectivement des coefficients faibles et non significatifs.
  • [9]
    Les résultats obtenus avec une courbe de tendance polynomiale de degré 3 diffèrent très peu de ceux présentés ici avec une tendance linéaire.
  • [10]
    Voir aussi la figure 6 dans Cogneau et Kesztenbaum (2016).
  • [11]
    Nos hypothèses vont du cas extrême sur les limites non paramétriques pour les variables de traitement, à des cas qui le sont moins, comme un gradient de mortalité linéaire fondé sur la taille attendue (voir le Matériel supplémentaire A).
  • [12]
    Les données relatives au troisième arrondisssement parisien ne révèlent pas non plus d’écart significatif par rapport à la tendance pour les cohortes nées entre 1868 et 1870. Pourtant, les cohortes nées au premier et second semestres 1871 dans cet arrondissement présentent une perte de taille très proche de celle observée pour la cohorte née au second semestre 1871 dans le XIXe arrondissement (par comparaison, par exemple, avec 1873, année de naissance post-crise). Voir le Matériel supplémentaire C.
  • [13]
    Dans le Matériel supplémentaire en ligne (figure B.2), la même évolution est observée pour le département de la Seine, comparé avec les départements environnants.
  • [14]
    Les données concernant la taille pour le troisième arrondissement mettent en évidence une réduction identique pour la cohorte 1860 mais pas pour les quatre suivantes. Toutefois, parmi les individus nés en 1862 et 1863, le risque d’être déclaré inapte est supérieur de 8 à 12 points (voir le Matériel supplémentaire, graphique C.1). Bien qu’également assez pauvre, le IIIe arrondissement était moins périphérique que le XIXe arrondissement et disposait donc peut-être de meilleures infrastructures de santé.
  • [15]
    Ces estimations sont faites sous l’hypothèse que la mortalité est indépendante d’une sortie d’observation avant 46 ans. Même si les sorties plus précoces étaient majoritairement liées à des motifs médicaux, toutes ne concernaient pas des maladies mortelles comme la tuberculose ; d’autres raisons telles que la myopie pouvaient ne pas conduire à une mort prématurée. De plus, même si toutes les sorties sont traitées comme des décès, la différence entre les cohortes 1870-1871 et les autres subsiste.
  • [16]
    On pourrait aussi étudier les effets à long terme de la famine en évaluant les capacités cognitives des personnes en ayant le plus souffert. Malheureusement, les données individuelles sur le niveau d’instruction et la profession des conscrits ne fournissent que des informations limitées. En ce qui concerne l’instruction, nous distinguons six groupes de niveau allant des analphabètes aux diplômés de l’enseignemement supérieur ; mais 90 % de l’échantillon fait partie de la population qui sait lire, écrire et compter. Le niveau d’instruction s’élève progressivement et les deux dernières cohortes (nées en 1871 et 1872) présentent un taux d’alphabétisation supérieur. S’agissant de la profession, nous avons construit trois catégories simples (ouvriers non qualifiés, ouvriers qualifiés et cols blancs) pour mesurer les qualifications et le capital humain. Là encore, aucun effet imputable aux sièges n’a pu être identifié, bien que cela s’explique peut-être simplement par un champ d’observation excessivement restreint.

1À la fin du XIXe siècle, au crépuscule de l’ère des révolutions (Osterhammel, 2014), Paris a été le théâtre de deux guerres. D’abord, en septembre 1870, avec le siège par l’armée prussienne, puis à partir du mois de mars 1871, lors du siège par le gouvernement français de Versailles. Ces deux sièges sont menés contre une population jugée socialement et politiquement dangereuse. Comme l’écrit Tombs (1997) :

2

Leur cible commune était considérée par beaucoup, et surtout par ses habitants, comme unique : le centre et le symbole de la civilisation moderne dans quelques-unes de ses formes les plus admirables mais aussi les plus dangereuses. Fondamentalement politiques, les deux attaques ont visé autant à soumettre une forteresse qu’à en châtier les habitants.
(p. 541)

3Alors que la portée politique de ces événements a fait l’objet de nombreux travaux, leurs conséquences démographiques ont été moins étudiées, en partie du fait de leur ampleur relativement limitée : moins de 150 000 décès militaires français en 1870-1871, alors que la Grande Guerre, moins d’un siècle plus tard, en provoquera à peu près dix fois plus. Mais en 1870-1871, c’est la population parisienne et surtout la classe ouvrière qui paye le plus lourd tribut. En s’appuyant sur des données individuelles pour mesurer les conséquences à court et long termes des deux sièges, cet article se concentre sur la classe ouvrière parisienne, en particulier celle du XIXe arrondissement, dans le nord-est de la ville.

4Les sièges provoquent souvent de terribles famines, et Paris a particulièrement souffert de l’épisode prussien. Pour commencer, sont étudiés les effets de la famine sur la mortalité pendant et juste après le siège, puis ses répercussions à long terme sur les survivants en s’attachant non seulement à la mortalité mais aussi à la taille des adultes. La taille à l’âge adulte est fréquemment utilisée comme une variable intermédiaire qui, d’une part, reflète les conditions de vie (nutrition, maladies, travail) pendant l’enfance ou l’adolescence et, d’autre part, est corrélée avec les chances de survie ultérieures (Fogel, 1994). Quant à la relation entre nutrition, taille et mortalité adulte, il ne s’agit pas d’une relation mécanique du fait, premièrement, des variations dans le temps de l’alimentation durant les deux sièges et de l’âge au moment de la famine ; deuxièmement, des effets de sélection par la mortalité, les migrations ou la fécondité ; et, troisièmement, des modifications concomitantes de la situation sanitaire.

5Les chocs nutritionnels de courte durée peuvent ne pas avoir d’effets à long terme sur la croissance physiologique lorsque les enfants parviennent à rattraper leur retard de taille par la suite (voir par exemple les résultats de Barham et al., 2013). De nombreuses études montrent que les âges très jeunes sont cruciaux, en lien avec l’hypothèse dite des origines fœtales (Barker, 1990 ; Almond et Currie, 2011 ; Almond et al., 2017). Néanmoins, le contexte et la nature du choc peuvent aussi jouer un rôle, ainsi que la répartition des ressources à l’intérieur du ménage. Les pertes de revenu agricole liées aux sécheresses de la fin du XXe siècle en Indonésie (Maccini et Yang, 2008) ou au phylloxera à la fin du XIXe siècle en France (Banerjee et al., 2010) semblent avoir entraîné de sévères retards de croissance pour les individus in utero au moment du choc lui-même. Cependant, Cogneau et Jedwab (2012) montrent que l’impact de la chute importante des prix du cacao payés aux producteurs en Côte d'Ivoire à la fin du XXe siècle s’est concentré sur les filles âgées de deux à cinq ans. Van den Berg et al. (2014), quant à eux, observent même des effets sur les immigrants en Suède à des âges plus tardifs (cinq, six et neuf ans).

6En outre, la mortalité infantile peut compliquer la lecture de l’impact de la malnutrition sur la taille et sur la survie à l’âge adulte du fait d’une sélection des plus petits ou des plus faibles (Bozzoli et al., 2009). C’est une situation que l’on trouve dans les famines qui produisent à la fois une forte mortalité infantile et une forte dénutrition, comme la famine de l’« hiver de la faim » en 1944 aux Pays-Bas (Scholte et al., 2015), celle qui suit le Grand Bond en avant chinois (Almond et al., 2010) et celle provoquée par le Siège de Leningrad (Sparen et al., 2004). Les sièges et les famines peuvent aussi entraîner une baisse de la fécondité et une émigration hors des zones sinistrées. Il est donc difficile d’isoler les facteurs nutritionnels des éventuels effets de sélection (pour la famine en Chine, voir Gørgens et al., 2012).

7Enfin, la corrélation négative entre la taille et la mortalité adulte observée dans nombre d’études épidémiologiques (par exemple Waaler, 1984) pourrait être une coïncidence reflétant une baisse précoce de la taille consécutive à des maladies antérieures (Leon et al., 1995). La petite taille est également corrélée avec une situation socioéconomique moins favorable et de mauvaises conditions de vie ou de travail (voir par exemple Jousilahti et al., 2000). De surcroît, plutôt que l’explication d’une meilleure alimentation privilégiée par Fogel (1994), l’incidence plus réduite des infections pourrait expliquer que les cohortes nées en Europe à la fin du XIXe siècle étaient plus grandes au sortir de l’enfance et présentaient un risque plus faible de maladies cardiovasculaires aux grands âges que les cohortes qui les avaient précédées (Crimmins et Finch, 2006). En dehors de ces conséquences sur la taille, il semble que l’effet différé des famines sur la mortalité adulte des survivants puisse varier en fonction du contexte [1] ; en outre, même un contexte identique peut aboutir à deux conclusions différentes selon la méthode utilisée et l’éventuelle prise en compte de l’hétérogénéité [2].

8L’analyse de ces questions procède en trois temps. Premièrement, les données de l’état civil et celles des recensements de population sont combinées pour estimer la mortalité et la fécondité pendant les sièges. Deuxièmement, des données individuelles brutes, extraites des dossiers de conscription militaire, servent à étudier l’évolution de la taille des cohortes nées entre 1850 et 1880. Troisièmement, les dossiers militaires permettent de suivre chaque conscrit de 20 à 45 ans et d’analyser les écarts de mortalité adulte en fonction de l’âge des individus pendant les sièges.

I. Deux sièges et une famine

9Dans un contexte de tension générale en Europe liée à la montée en puissance de la Prusse et des États allemands, la France a déclaré la guerre à la Prusse le 19 juillet 1870. Après de brefs préparatifs, les troupes prussiennes et leurs alliés allemands ont envahi la France au début du mois d’août et le conflit s’est rapidement transformé en une succession de défaites françaises. Un mois après le début de l’invasion, l’empereur français Napoléon III a capitulé à Sedan (Howard, 2001 ; Wawro, 2003). Cette défaite éclair a surpris de nombreux observateurs en France, en particulier à Paris, qui préparait ses défenses contre l’armée prussienne marchant vers la capitale. Dix jours à peine après la capitulation de l’Empereur, les armées prussiennes ont coupé toutes les lignes de chemin de fer qui desservaient la ville. Deux jours plus tard, Paris était encerclée. Très peu d’habitants ont eu le temps de fuir, la plupart étant issus des couches les plus aisées de la population. Les rapports de l’époque ont estimé que tout au plus 300 000 personnes avaient pu s’échapper, sur un total de 1,9 million de Parisiens (Sueur, 1872).

10Une longue agonie a alors commencé. Les Parisiens, qui avaient eu peu de temps pour se préparer, ont rapidement fait face à des pénuries alimentaires et dû affronter un hiver particulièrement rigoureux. Des sources contemporaines relatent en détail les conditions de vie exceptionnellement difficiles qui ont régné pendant toute cette période ; dès novembre, il est devenu difficile de trouver de la viande. Les bouchers se sont mis à vendre du chien, du chat, du corbeau et du moineau. Un marché aux rats a même été organisé devant l’Hôtel de Ville. Peut-être plus parlant encore, le coût des denrées alimentaires de base est monté en flèche, ce dont attestent aussi bien les commentaires de l’époque que les travaux des historiens : en trois mois à peine, entre fin septembre et fin décembre, le prix de la douzaine d’œufs était multiplié par 13, tandis que le prix de la ration de pommes de terre avait décuplé. Henryot (1871) a rapporté que les Parisiens faisaient la queue nuit et jour pour se procurer des denrées de moins en moins nourrissantes, qui n’avaient plus d’aliments que le nom. Il décrit également la mortalité élevée suite à la variole et à d’autres maladies, les hôpitaux non chauffés et la pénurie de lait pour les jeunes enfants.

11À la fin du mois de janvier, la ville a été contrainte de capituler et un armistice consacrant la défaite de la France a été conclu au début du mois de mars 1871. Mais la levée de ce siège n’a pas signé la fin des épreuves de Paris : en réaction à la défaite, le mouvement radical de la Commune a rapidement appelé à la révolution (Tombs, 1999), ce qui a déclenché une nouvelle offensive contre Paris, menée cette fois par les forces du gouvernement français basé à Versailles, qui ont poursuivi le siège avec encore plus de férocité en raison du profond antagonisme de classe qui sous-tendait ce nouveau conflit (Rougerie, 2004). Beaucoup plus bref, le nouveau siège a culminé avec la tristement célèbre Semaine sanglante, du 21 au 28 mai. Les pénuries alimentaires pendant ce soulèvement ont été semble-t-il moins graves que pendant le siège prussien : ni les récits de l’époque (Lissagaray, 2004) ni les historiens n’évoquent de famine ou de surmortalité liées au manque de nourriture, sans doute parce que la mobilité était moins strictement limitée.

12Aux prises avec deux guerres qui ont duré près de neuf mois, la ville a donc été entièrement verrouillée de la mi-septembre 1870 à la fin janvier 1871, avant d’être à nouveau assiégée de la mi-mars à la fin du mois de mai 1871. Plusieurs aspects nous intéressent ici. Premièrement, le peu de temps dont la population a disposé pour fuir avant le blocus prussien atténue l’effet de sélection par les migrations dans la population assiégée. Deuxièmement, comme ces sièges ont été limités dans l’espace et le temps, la population étudiée est également assez réduite, mais facilement identifiable. Enfin, la famine généralisée provoquée par le siège de quatre mois est rapidement devenue la première cause de mortalité, sinon directement du moins en raison de la morbidité qu’elle a entraînée. La guerre proprement dite a fait peu de victimes, même si les combats et les massacres perpétrés pendant la Commune et son écrasement ont contribué à augmenter la mortalité.

II. Mortalité pendant les sièges

13Paris était un lieu mortifère même en temps normal, affichant une mortalité substantiellement supérieure à celle du reste du pays. Comme pour toutes les populations anciennes, la mortalité se concentrait chez les enfants. Plusieurs récits de l’époque fournissent le nombre total de décès durant les sièges, parfois ventilés par semaine, par sexe ou par âge (Alméras, 1925 ; Sueur, 1872 ; Sheppard, 1877 ; Du Camp, 1881). D’après Sueur (1872), environ 32 000 décès ont été enregistrés de septembre à décembre 1870, ce qui conduit à un total de 72 000 décès pour l’année 1870. Le décompte pour 1871 est plus incertain, surtout pour la période de la Commune. Bien que Sueur ait dénombré environ 42 000 décès entre le début de l’année et le 14 mars, aucun chiffre n’a été produit pour la Commune (mi-mars à fin mai) et on ne sait donc toujours pas avec certitude si la mortalité est restée élevée ou revenue aux niveaux habituels. Certains éléments de cette étude plaident en faveur de la seconde possibilité, ce qui signifierait environ 12 000 décès entre la mi-mars et la fin du mois de mai, à l’exclusion de la Semaine sanglante. Les chiffres des décès pour celle-ci restent en débat : les contemporains, en particulier du côté des insurgés, fournissent des estimations élevées, comprises entre 17 000 (Lissagaray, 2004) et 30 000 morts (Pelletan, 1880), tandis que les historiens s’entendent sur un bilan bien moindre, à l’instar de Tombs (1994), qui mentionne 10 000 décès. Comme il le souligne par la suite (Tombs, 2012), ce sont en définitive l’importance de ces événements et les légendes qui les ont accompagnés qui expliquent pourquoi des chiffres aussi élevés ont été très largement acceptés, malgré l’absence de preuves chiffrées. Après une analyse circonstanciée et précise, Tombs conclut à une mortalité beaucoup plus faible, quoique terrible, et estime que la Semaine sanglante aurait fait entre 5 700 et 7 400 morts. Le bilan exact ne sera peut-être jamais connu. Enfin, les annuaires statistiques publiés indiquent le chiffre approximatif de 30 000 décès pour la période comprise entre le 1er juin 1871 et la fin de l’année. Pour l’année 1871, une estimation basse est donc de 90 000 morts, Semaine sanglante comprise.

14Au total, le bilan humain de cette période est considérable. Alors que la mortalité avoisinait en moyenne 45 000 décès annuels avant les sièges, on estime que 72 000 personnes supplémentaires ont perdu la vie au cours de l’ensemble de cet épisode, ce qui représente une hausse annuelle moyenne de 80 %. Sueur a recensé plus de 37 000 décès pour les deux premiers mois de 1871, soit cinq fois la mortalité habituelle. Ce seul bimestre se voit donc imputer à peu près la moitié de la surmortalité totale.

15Pour affiner ces chiffres agrégés, nous avons collecté des données directement à partir des registres d’état civil du XIXe arrondissement. Elles couvrent la période de septembre 1869 à août 1873. Ont été collectés tous les actes de décès établis pour l’année précédant la crise (septembre 1869 à août 1870), durant la crise elle-même (septembre 1870 à mai 1871, hors Semaine sanglante) et les mois suivants (juin 1871 à août 1871). Pendant la Commune, les décès ont continué d’être enregistrés par l’administration sur les mêmes registres et selon les mêmes méthodes qu’auparavant, mais ces enregistrements pourraient ne pas être aussi fiables que les actes établis avant en raison de la désorganisation des services publics. Après la répression du soulèvement communard, ces documents ont été considérés comme illégitimes et les informations qu’ils contenaient, biffées (« bâtonnées »). Comme elles étaient encore lisibles, elles ont toutefois pu être numérisées. Nous avons également collecté les décès d’une page sur deux des registres pour les deux années suivantes et créé ainsi un échantillon représentatif des décès survenus entre septembre 1871 et août 1873. Selon le recensement de la population effectué en 1866, le XIXarrondissement comptait 88 930 habitants, soit 5 % de la population parisienne. On peut constater sur la figure 1 que les variations de la mortalité enregistrée dans cet arrondissement sont identiques à celles de Paris dans son ensemble. Qui plus est, l’effet de la crise s’est rapidement estompé, avec une mortalité supérieure à la normale entre octobre 1870 et mai 1871 mais revenue à son niveau habituel dès le mois de juin 1871. Le nombre de décès enregistrés dans le XIXe arrondissement pour l’année 1870 (1 937) est supérieur de 61 % à celui de 1869 (1 203) et il est égal à 89 % des décès de 1871 (2 273), ce qui correspond à la surmortalité moyenne de 75 % évoquée précédemment.

Figure 1

Décès par mois, juillet 1869-août 1873, XIXe arrondissement et Paris

figure im1

Décès par mois, juillet 1869-août 1873, XIXe arrondissement et Paris

16Durant la Commune, la mortalité – notamment néonatale et infantile – a chuté pour tous les groupes d’âges par rapport aux niveaux mesurés pendant le siège prussien, pour revenir aux niveaux d’avant la crise. La mortalité relative la plus élevée est observée chez les hommes âgés de 20 à 39 ans. Après la crise, la mortalité a diminué de plus de 25 %, même si une partie de la population décédée plus tôt serait décédée pendant cette période dans des circonstances normales.

17Pour mieux évaluer la surmortalité, en particulier aux âges jeunes, nous utilisons les actes de décès individuels cités supra pour estimer les taux de mortalité des cohortes de naissance les plus exposées à la crise. Nous avons également estimé un niveau de référence pour la mortalité des garçons de moins cinq ans avant la crise (encadré). Nos estimations de la mortalité antérieure à la crise sont déjà élevées, avec une mortalité infantile qui atteint 25 %, ce qui est comparable aux estimations de Van de Walle et Preston (1974) de la mortalité des filles dans le département de la Seine pour les cohortes nées entre 1866 et 1870 (voir le tableau annexe A.1).

Encadré. Estimation des taux de mortalité

Les taux de mortalité avant l’âge de 20 ans par cohorte sont calculés à partir des données de mortalité collectées dans le XIXe arrondissement.
Nous établissons tout d’abord un niveau de référence se rapportant à l’avant-crise. Pour la mortalité avant cinq ans, nous nous appuyons sur les actes de décès des cohortes nées entre 1865 et 1869 : le quotient de décès à chaque âge (1q0, 1q1, 1q2, etc.) est calculé à partir des décès enregistrés entre septembre 1869 et août 1870 pour la cohorte correspondante née entre septembre et décembre (quatre mois). Nous avons collecté les naissances mensuelles uniquement pour les années de 1868 à 1873. Pour les années qui précèdent, le nombre d’enfants nés pendant ces quatre mois est estimé à partir de la part de ces mois dans le total des naissances en 1868 et 1869. Les données de mortalité distinguent hommes et femmes, mais ce n’est pas le cas des naissances ; les naissances masculines sont donc estimées comme 51,2 % du total des naissances. Nous supposons aussi que la majorité des enfants nés à Paris et décédés dans le XIXarrondissement avant l’âge de 48 mois étaient nés dans cet arrondissement. Van de Walle and Preston (1974) estiment que 11 % des enfants nés à Paris et âgés de moins de 5 ans étaient placés en nourrice à la campagne. Toutefois, cette pratique, plus répandue dans la classe moyenne, était sans doute rare dans le XIXe arrondissement ; nous choisissons de ne pas en tenir compte.
La mortalité infantile (1q0), est calculée à partir des décès survenus avant l’âge d’un an et entre septembre 1869 et août 1870 pour la cohorte née à Paris entre septembre et décembre 1869. Sont exclus les décès intervenus entre septembre et décembre 1870, période qui correspond au début du premier siège. Ce faisant, quelques décès survenus entre 8 et 12 mois sont omis. Pour compenser, nous complétons notre estimation avec les décès avant l’âge d’un an enregistrés au cours des mêmes mois en 1869 (septembre à décembre) dans la cohorte née entre septembre et décembre 1868 (figure annexe A.1).
Pour 1q1, nous utilisons donc la cohorte née entre septembre et décembre 1868 (intervalle de 4 mois) afin de calculer les décès enregistrés pour les enfants morts entre 1 an et 2 ans, de septembre 1869 à août 1870. L’hypothèse est que l’estimation de référence pour 1q0 peut être appliquée pour calculer le nombre d’enfants ayant survécu jusqu’à l’âge d’un an. Là encore, c’est la cohorte précédente (née septembre-décembre 1867) qui permet de compléter cette estimation. La même procédure est suivie pour 1q2 et 1q3. L’annuaire statistique de 1869 et le recensement de population de 1866 permettent de calculer le taux de mortalité entre 5 et 20 ans. Il avoisinait 1,35 % pour la population parisienne en 1869. Pour 1q4 à 1q19, nous adoptons donc une valeur fixe de 1,35 %. Cette hypothèse conduit à une probabilité de décès de 6,6 % entre 5 et 10 ans, un chiffre légèrement supérieur aux 4,9 % obtenus par Van de Walle et Preston pour les filles des cohortes 1866-1870 nées dans le département de la Seine (tableau annexe A.1).
Deuxièmement, nous calculons la mortalité pendant la crise elle-même. Pour les cohortes nées entre 1866 et 1871, nous extrayons le nombre de décès d’enfants nés à Paris en fonction de la fenêtre d’âges qui peut être entièrement observé dans cette base de données entre septembre 1869 et août 1873 : les enfants décédés entre 4 et 6 ans pour la cohorte 1866 ; entre 3 et 5 ans pour 1867 ; etc. Nous extrayons également le nombre de décès pour des cohortes de huit mois (nées entre janvier et août) afin d’obtenir un groupe d’âges supplémentaire pour chaque cohorte. Par exemple, nous observons les décès des enfants de 6 à 7 ans nés entre janvier et août 1866 à Paris, et ainsi de suite ; ceci permet notamment d’estimer la mortalité infantile de la cohorte née en 1872, en utilisant les décès avant un an entre janvier et août 1873. Nous estimons ensuite le nombre de survivants au début de chaque fenêtre d’âges en appliquant, pour chaque cohorte, les quotients de mortalité de référence au nombre total de naissances dans le XIXe arrondissement. Cela revient à formuler l’une de ces deux hypothèses : soit la plupart des enfants nés à Paris et décédés entre 0 et 7 ans dans le XIXe arrondissement étaient également nés dans l’arrondissement ; soit il n’y avait qu’un faible écart de mortalité entre les enfants partis vivre hors de l’arrondissement et ceux venus y vivre, avec un solde migratoire nul aux âges jeunes entre le XIXe arrondissement et le reste de Paris.

18Le tableau 1 indique les quotients de mortalité (nqx) pour les cohortes 1866-1872 (le tableau annexe A.2 fournit un diagramme de Lexis complet). La mortalité infantile estimée (1q0) en 1872 est très proche du niveau de référence d’avant la crise, ce qui signifie que les enfants nés en 1872 bénéficiaient de conditions de vie comparables à celles de l’après-crise. Il semble que la mortalité entre trois et cinq ans des enfants nés en 1866 et 1867 ait été légèrement supérieure, mais la première cohorte à avoir vraiment subi les effets de la famine est celle née en 1868 : la mortalité entre un et cinq ans s’élève pour cette cohorte à 24 %, contre 16 % estimés pour l’avant-crise. Pour la cohorte 1869, la grande majorité n’est exposée à la crise qu’après un an, ce qui explique la forte mortalité d’un à deux ans (1q1 = 22 %) et entre deux et trois ans (8 %). Au total, la mortalité entre un et cinq ans pour les enfants nés en 1869 atteint tout de même 31 %, soit le double du niveau de référence.

Tableau 1. Quotients de mortalité des cohortes nées entre 1866 et 1872 (%)

tableau im2

Tableau 1. Quotients de mortalité des cohortes nées entre 1866 et 1872 (%)

19La cohorte née en 1870 est celle qui subit la mortalité infantile la plus élevée. Néanmoins, et de façon peut-être surprenante, la mortalité aux âges ultérieurs retourne au niveau de référence, de sorte que la mortalité avant cinq ans est finalement un peu moins élevée que celle de la cohorte 1869. La famine semble donc avoir été suffisamment brève pour que ses effets ne soient pas si meurtriers pour ceux qui lui ont survécu. Dans le tableau 1 on distingue les semestres de naissance pour les années 1870 et 1871 afin d’affiner l’analyse de la mortalité. Les enfants nés entre juillet et décembre 1870 sont de loin ceux qui subissent la mortalité infantile la plus forte : elle atteint 42 %, et 41 % seulement survivent jusqu’à 20 ans. Quant aux enfants nés au premier semestre de 1871, leurs premiers mois de vie ont généralement coïncidé avec le second siège, pendant lequel la mortalité infantile se révèle moins marquée (32 %). Enfin, en 1871, les enfants nés au second semestre étaient deux fois moins nombreux qu’en 1870, en raison de la baisse très marquée de la fécondité et sans doute aussi d’une augmentation des fausses couches. La mortalité pour ces enfants demeure élevée et presque équivalente à celle de la cohorte née au premier semestre. Pourtant, les trois cohortes nées après juillet 1870 ont une mortalité type après l’âge d’un an, traduction du retour à la normale des conditions de vie en 1872.

20Deux faits marquants ressortent de l’analyse. Premièrement, la surmortalité concerne essentiellement les très jeunes enfants. Certes, le nombre de décès augmente à peu près de façon identique à tous les âges, mais la réduction des chances de survie est nécessairement plus forte pour les âges auxquels la mortalité était la plus élevée avant la crise. Deuxièmement, les sièges n’ont pas eu d’effet durable sur la mortalité, car la famine comme les rigueurs de l’hiver ont pris fin en même temps, tandis que les conditions de vie sont rapidement revenues à la normale après juin 1871. Globalement, l’effet de la crise sur la mortalité a été considérable mais plus bref que celui d’autres événements historiques comme la famine finlandaise de 1867, le Siège de Leningrad pendant la Seconde Guerre mondiale ou le Grand Bond en avant chinois.

III. Taille des hommes des cohortes exposées à la famine

21Nous étudions les conséquences des sièges sur la taille des jeunes hommes à l’âge de 20 ans, en nous appuyant sur les données individuelles tirées de la conscription militaire. En effet, tous les hommes étaient appelés à cet âge par les autorités militaires dans l’arrondissement où résidaient leurs parents. L’armée vérifiait alors leur aptitude au service et les mesurait. Un tirage au sort servait ensuite à déterminer les conscrits immédiatement mobilisés parmi les hommes jugés aptes. Ils formaient le gros des troupes françaises, tandis que les autres constituaient une armée de réserve mobilisable en cas de guerre. Les examens médicaux avaient lieu en février t + 1 pour la cohorte née l’année t – 20, et les conscrits étaient mobilisés en août. Du fait du conflit, la cohorte de 1850 a été appelée plus tôt, en septembre 1870, tandis que la cohorte de 1851 l’a été plus tard, en 1872.

1. Collecte des données et choix méthodologiques

22Il n’était pas envisageable de recueillir des données pour l’ensemble de la population parisienne, ce qui correspondrait à un flux annuel de 10 000 appelés [3]. Nous avons donc choisi de collecter des données individuelles sur toutes les cohortes (quel que soit leur lieu de naissance) enrôlées dans le XIXarrondissement et nées entre 1850 (âgées de 20 ans pendant les sièges) et 1880 (nées 10 ans après les sièges). Parmi ces recrues, 63 % étaient nées à Paris ou dans les communes limitrophes. Après 1871, la ville voit par ailleurs arriver un afflux de réfugiés venus d’Alsace-Lorraine [4]. De surcroît, en 1860, les limites de la ville de Paris ont été étendues pour y inclure les communes environnantes, et le XIXe arrondissement lui-même est issu de la fusion de la commune de La Villette et de la partie nord de celle de Belleville. Dans l’analyse, les appelés nés avant 1860 dans les communes absorbées sont considérés comme nés à Paris [5]. Pour évaluer les effets de la crise sur la taille des individus, l’échantillon est limité aux natifs d’un « Grand Paris » qui comprend toutes les communes limitrophes, y compris celles qui n’ont été absorbées qu’en partie en 1860, voire conservées intactes [6]. Dans tous les cas, ces municipalités ont également subi le siège prussien et connu les mêmes terribles conditions de vie que Paris. Cette zone est donc plus vaste que Paris stricto sensu, mais plus réduite que le département de la Seine.

23In fine, notre échantillon se limite aux appelés de 20 ans dont les parents habitaient le XIXe arrondissement. On peut raisonnablement supposer que la quasi-totalité des recrues parisiennes nées dans ce quartier ouvrier ont subi les sièges et que celles qui ont quitté Paris juste avant l’encerclement de la ville étaient majoritairement issues des classes sociales supérieures. L’émigration d’après-guerre soulève un problème plus complexe. Pour des raisons pratiques, il n’était évidemment pas possible d’identifier tous les individus de moins de 20 ans nés entre 1850 et 1870 qui vivaient à Paris pendant les sièges et en sont partis ensuite (et seraient donc enregistrés dans les listes militaires ailleurs en France). Pour les cohortes nées après 1860 et enrôlées dans le XIXe arrondissement, 31 % étaient nées dans cet arrondissement et 21 % étaient nées dans des arrondissements ou communes voisins, traduction de migrations locales très importantes. En combinant les quotients de mortalité du tableau 1 avec nos données sur les naissances, nous estimons qu’entre 30 % et 40 % des personnes nées dans le XIXe arrondissement et encore en vie à 20 ans sont recensées par l’autorité militaire dans ce quartier. Ces chiffres reflètent une forte émigration entre 0 et 20 ans, le plus souvent vers d’autres quartiers de Paris ou des faubourgs voisins. Toutefois, on n’observe pas de variation des taux d’émigration en fonction des années de naissance, ce qui amène à penser que la sélection liée aux migrations doit être limitée.

24En résumé, on a analysé la taille d’hommes âgés de 20 ans enrôlés dans le XIXe arrondissement et nés à Paris ou à proximité (Grand Paris). Le coefficient de corrélation de Pearson entre la taille moyenne des natifs de ce seul arrondissement et celle des natifs du Grand Paris est de 0,86.

2. Évolution de la taille des natifs du XIXe arrondissement

25La figure 2 illustre l’évolution au cours du temps de la taille moyenne des conscrits, à nouveau en divisant les années 1870 et 1871 en deux semestres chacune. La taille moyenne varie considérablement, entre un minimum de 163,6 centimètres pour la cohorte 1862 et un maximum de 166,9 centimètres pour la cohorte 1874 [7].

Figure 2

Taille moyenne des conscrits du XIXe arrondissement originaires du Grand Paris et proportion des appelés aptes

figure im3

Taille moyenne des conscrits du XIXe arrondissement originaires du Grand Paris et proportion des appelés aptes

26Dans les cohortes 1850 à 1880, les conscrits les plus petits sont ceux nés entre 1860 et 1864, qui avaient donc entre 6 et 10 ans en 1870. En revanche, les cohortes nées entre 1868 et le premier semestre 1871, les plus impactées par la mortalité infanto-juvénile consécutive à la famine (tableau 1), sont en moyenne plus grandes que les cohortes précédentes et juste un peu plus petites que celles nées après la crise, entre 1872 et 1880. Une exception toutefois pour les quelques enfants nés au second semestre 1871, dont la taille est significativement plus petite. Comme les conditions de vie se sont améliorées par la suite, le changement observé pour les autres cohortes est conforme à ce que l’on attendrait en l’absence de tout choc épidémiologique ou nutritionnel. De fait, la taille moyenne des cohortes nées entre 1865 et le premier semestre 1871 ne s’écartent pas de façon importante de la tendance linéaire. Les cohortes 1860-1864, en revanche, se situent significativement au-dessous de la tendance.

27L’aptitude au service militaire était évaluée à l’issue d’un examen médical au cours duquel étaient pratiquées différentes mesures, dont celle de la taille. Les individus inaptes voyaient leur incorporation différée, étaient affectés à des services auxiliaires n’exigeant pas une bonne condition physique ou étaient totalement exemptés de service. L’aptitude des recrues potentielles présente des variations dans le temps similaires à celles de la taille : moins de 70 % sont déclarées aptes dans les cohortes 1860-1863, tandis que la proportion d’individus aptes est toujours supérieure à 75 % chez ceux nés après 1865, et même à 80 % pour les cohortes nées après 1872. Comme on peut le voir sur la figure 2, le pourcentage de recrues déclarées aptes chaque année est assez bien corrélé avec la taille (coefficient de corrélation de 0,66).

28Pour l’aptitude et plusieurs caractéristiques de la distribution des tailles, nous testons ensuite la significativité statistique des écarts par rapport aux tendances temporelles de chaque cohorte née à Paris entre 1860 et 1871. Il est en effet possible de supposer sans difficulté que les cohortes les plus âgées au moment des sièges en ont peu souffert [8] ; par conséquent, ce sont les cohortes âgées de 0 à 10 ans qui sont ciblées, ainsi que celles qui étaient encore à naître (in utero), pendant les événements. Les régressions sont estimées par les moindres carrés ordinaires et pondérées par la racine carrée du nombre d’individus dans chaque cohorte. Plus précisément, nous calculons l’équation suivante :

29\(\begin{equation} \bar{Y}_{t}=\sum_{\tau=1860}^{1871} \alpha_{\tau} \times 1[t=\tau\}+v(t)+\varepsilon_{t} \end{equation}\) [1]

30Pour la cohorte née l’année t, \(\begin{equation} \bar{Y}_{t} \end{equation}\) est l’un de ces éléments : la proportion d’individus aptes, la taille moyenne globale, la taille moyenne des 25 % les plus petits (premier quartile) ou celle des 25 % les plus grands (quatrième quartile) ; v(t) est une fonction de t. Le tableau 2 contient les estimations obtenues avec une tendance temporelle linéaire, c’est-à-dire \(\begin{equation} v(t)=\gamma_{0}+\gamma_{1} t \end{equation}\)[9]. Seules les cohortes non ciblées (1850 à 1859 et 1872 à 1880) contribuent à l’estimation de la tendance temporelle, qui fournit un contrefactuel du pourcentage d’aptitude ou de taille moyenne si les sièges n’avaient pas eu lieu. Les estimations des coefficients mesurent donc les écarts par rapport à cette valeur fictive et permettent d’identifier les cohortes potentiellement affectées (entre 1860 et 1871).

Tableau 2. Écarts par rapport à la tendance de la proportion d'individus aptes et de la taille moyenne des cohortes nées entre 1860 et 1871

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Tableau 2. Écarts par rapport à la tendance de la proportion d'individus aptes et de la taille moyenne des cohortes nées entre 1860 et 1871

31Les résultats des régressions montrent que les cohortes nées entre 1860 et 1864 se situent nettement sous la tendance tant pour l’aptitude (colonne 1) que pour la taille (colonnes 2 et 4), avec une augmentation de 8 à 12 points d’inaptes (sauf pour la cohorte 1864) et un déficit de taille moyenne supérieur à 1 centimètre. La taille des cohortes 1862 et 1863 semble particulièrement affectée.

32En ce qui concerne la proportion d’individus aptes au service, les années de naissance 1866 à 1871 s’écartent peu de la tendance. De même, aucune anomalie notable de la taille adulte n’est constatée chez les conscrits qui avaient moins de cinq ans au moment des sièges. Pour les individus nés au second semestre de 1871 ou encore en gestation pendant les sièges, les estimations indiquent un déficit de taille d’environ 14 millimètres, principalement situé au centre de la distribution ; en effet, les premier et quatrième quartiles présentent des déficits plus modestes, respectivement de 6 et 10 millimètres. Pourtant, aucune baisse du pourcentage d’aptes n’est identifiée.

33La cinquième colonne du tableau 2 reporte les résultats des tests de Kolmogorov-Smirnov, qui vérifient l’égalité entre la distribution des tailles de 1872 et celle de chaque année de naissance. La sixième colonne présente les résultats de la même comparaison mais en utilisant les cohortes 1872-1875 comme groupe de contrôle. Là encore, la distribution des tailles pour les années allant de 1865 au premier semestre 1871 est identique à celle obtenue pour les années de naissance postérieures à la crise, et seule la distribution des tailles de la cohorte née au second semestre 1871 est significativement supérieure à celles de 1872 à 1875. Combinée à l’évolution de la mortalité, l’évolution de la taille semble indiquer que les sièges ont influencé le développement de deux cohortes différentes : les plus jeunes, c’est-à-dire les enfants de moins de deux ans à l’époque de la crise, y compris ceux encore in utero ; et les enfants de 6 à 10 ans. Ces observations amènent deux questions. L’absence apparente de déficit de taille chez les cohortes les plus jeunes pourrait-elle être due à une sélection par la mortalité et/ou la fécondité ? Faut-il attribuer le déficit de taille des cohortes plus âgées aux effets de la famine provoquée par les sièges ?

3. Sélection liée à la surmortalité et à la baisse de la fécondité

34Si la famine tue un nombre disproportionné d’enfants dont le potentiel de développement physique est le plus faible, les survivants sembleront plus grands qu’ils ne l’auraient été en l’absence de surmortalité. Par conséquent, une mortalité sélective peut masquer les effets de la famine sur la taille des survivants (voir par exemple Alter, 2004 ; Bozzoli et al., 2009).

35Dans le même temps, la famine a pu influencer les choix de fécondité, en réponse aux terribles conditions qui régnaient. De fait, la fécondité a chuté pendant la période des deux sièges, avec 37 000 naissances enregistrées pour l’année 1871 dans la ville de Paris toute entière contre 55 000 pour une année typique d’avant la crise. L’examen de données plus détaillées extraites directement des registres de naissance du XIXe arrondissement indique une baisse nette de la fécondité entre mars 1871 et février 1872. Dans cet arrondissement, on enregistrait habituellement 270 naissances par mois ; le chiffre commence à diminuer en mars 1871, avec 240 naissances, puis plonge à 86 et 85 naissances pour septembre et octobre 1871, respectivement (soit une chute de 70 %) ; ce double creux correspond aux enfants conçus pendant les pires mois du premier siège, c’est-à-dire de décembre 1870 à février 1871 (Cogneau et Kesztenbaum, 2016, figure 2). Étonnamment, la fécondité revient à la normale mais ne rebondit pas en compensation les mois suivants, ni même en 1872 ou 1873. Certaines familles peuvent avoir mieux réussi que d’autres à différer l’arrivée d’un enfant, d’où un effet de sélection par la fécondité, dont le sens est toutefois incertain. D’un côté, les enfants ayant le potentiel de développement le plus faible pourraient être sous-représentés dans les naissances du second semestre 1871, dans le cas où les familles les plus pauvres se sont abstenues d’avoir des enfants (voir Hart, 1993, dans le cas de l'« hiver de la faim » aux Pays-Bas) ou ont subi plus de fausses couches. Le cas échéant, les enfants nés dans ce contexte seront plus grands qu’ils ne l’auraient été une année normale, comme le sont les survivants en cas de surmortalité sélective. D’un autre côté, les couples relativement riches ont vraisemblablement plus de possibilités de maîtriser leur fécondité, de sorte que la chute de la taille adulte des enfants nés au second semestre 1871 pourrait partiellement s’expliquer par une surreprésentation des individus issus de milieux défavorisés, de petite taille.

36Une sélection par la mortalité, devrait décaler la distribution de taille vers la gauche en diminuant le poids statistique des individus les plus petits. En conséquence, Meng et Qian (2009) proposent d’examiner les quantiles de la distribution des tailles pour identifier une éventuelle sélection. Dans le cas d’une sélection négative fondée sur la taille potentielle (hypothèse selon laquelle les individus dont la taille potentielle est moins élevée ont un risque de décès plus fort), les quantiles inférieurs de la distribution des tailles adultes seraient décalés vers le haut, de même que les quantiles supérieurs, quoique dans une moindre mesure. Donc, si le choc nutritionnel est réparti également le long de la distribution de taille potentielle, il devrait se manifester davantage dans les quantiles supérieurs, puisque le déficit de taille des survivants ne serait pas atténué par la mortalité sélective. Or ce n’est pas ce qui s’est produit dans notre cas (voir les colonnes 3 et 4 du tableau 2) : quelle que soit la cohorte considérée, les écarts à la tendance ne sont pas significativement différents pour les premier et quatrième quartiles [10]. De même, les tests de Kolmogorov-Smirnov (colonne 5 du tableau 2) montrent que la distribution des tailles dans les cohortes nées entre 1868 et le premier semestre 1871 – qui affichent la mortalité infantile la plus élevée – n’est pas plus déformée que celle de la cohorte 1872. La cohorte née au second semestre 1871 est celle touchée à la fois par la sélection par la mortalité et par la sélection par la fécondité, et la chute de la taille est plus prononcée au milieu de la distribution que dans sa partie inférieure ou supérieure.

37Nous avons effectué une analyse complémentaire pour déterminer quelles hypothèses de mortalité sélective pouvaient produire les variations de taille observées [11]. Comme l’absence d’effet sur les quantiles, ces vérifications confirment que la sélection par la mortalité n’est pas susceptible d’avoir eu un impact important sur la taille des enfants nés avant 1870. Il semble plutôt que la plupart d’entre eux ont réussi à rattraper leur retard de croissance après la fin des sièges. Néanmoins, les effets de sélection sont susceptibles d’avoir brouillé l’impact de la famine sur la taille des survivants des cohortes nées en 1870 et au premier trimestre 1871, surtout si cet impact est d’ampleur suffisamment limitée. On ne peut pas non plus exclure que la faible taille moyenne de la cohorte née au second semestre 1871 soit attribuable au moins en partie à une sélection par la fécondité [12].

4. Le déficit de stature des cohortes 1860-1864

38La chute de la taille observée pour les cohortes nées entre 1860 et 1864 et donc âgées de 6 à 10 ans pendant les événements mérite un examen plus approfondi. Ces cohortes étaient-elles assez jeunes pour être marquées par la famine mais trop vieilles pour rattraper leur retard de croissance ? Leur déficit de taille important peut-il être attribué à d’autres événements, nationaux ou locaux ? Ou pourrait-il simplement s’expliquer par des erreurs de mesure ?

39Pour identifier d’éventuelles erreurs de ce type, nous avons étudié la taille des individus nés en Alsace-Lorraine mais enrôlés dans le XIXe arrondissement (Matériel supplémentaire B). Il est certain que la vaste majorité de ces conscrits sont arrivés à Paris après l’annexion de leur région par l’Allemagne. Par conséquent, ils n’ont pas été exposés aux mêmes chocs que leurs homologues nés à Paris. Dans les cohortes nées entre 1860 et 1864, le groupe particulier de ces soldats alsaciens-lorrains, mesurés en même temps et au même endroit que les autres, ne présente aucune anomalie de taille, ce qui suggère que les erreurs de mesure ne constituent pas une explication centrale.

40D’autres explications peuvent être avancées en se plaçant dans une perspective plus large : par exemple, en 1859 et 1861, les récoltes ont été mauvaises, même si les rendements agricoles sont revenus à des niveaux élevés les années suivantes (Lévy-Leboyer, 1968). Dans le même ordre d’idées, les années 1865 et 1866 ont été marquées par des épidémies de choléra à l’origine d’une augmentation généralisée de la mortalité, moins importante toutefois que lors des épisodes précédents, en 1832, 1849 et 1854 (Bourdelais et al., 1978). Certains des enfants nés en 1865 et 1866 auraient pu être protégés par l’allaitement, contrairement aux enfants plus âgés nés entre 1860 et 1864, qui auraient donc moins grandi. Mais les statistiques par âge disponibles pour la ville de Berlin montrent que le choléra a entraîné chez les enfants de moins de 12 mois une surmortalité supérieure de 55 % à celle observée chez les enfants de 1 à 5 ans (Vacher, 1868). Si l’allaitement n’a pu protéger qu’une minorité, alors la stature élevée des cohortes 1865-1866 pourrait bien être le résultat d’une sélection par la mortalité aux âges jeunes. A contrario, les cohortes 1860-1864 étaient assez vieilles pour survivre mais assez jeunes pour que le choléra impacte leur croissance physique.

41À partir de 1866, les conditions de vie à Paris se sont améliorées rapidement, ce qui a pu aider les Parisiens de naissance à rattraper leur retard de croissance physique sur les migrants arrivés plus tard [13]. D’après Lévy-Leboyer (1968), l’industrie française a connu un essor rapide entre 1865 et 1869 : son rythme de croissance moyen a doublé par rapport à 1860-1865 pour s’établir à 3 %. Il n’y a pas eu de nouvelle épidémie de choléra et de nouveaux aqueducs ont alimenté Paris en eau salubre.

42En dernier ressort, pour les cohortes 1860-1864, nous privilégions le scénario suivant : toutes les cohortes nées avant 1865 ont été exposées à des conditions sanitaires défavorables dès leur plus jeune âge, notamment au choléra. La qualité de vie a été améliorée ensuite, mais ces cohortes ont nettement moins grandi que celles nées après. Les enfants nés entre 1860 et 1864 étaient assez jeunes et fragiles pour souffrir de la famine entre 6 et 10 ans, en particulier s’ils vivaient dans des zones défavorisées comme le XIXe arrondissement. Par contre, contrairement aux cohortes plus jeunes, ils étaient trop âgés pour bénéficier de l’amélioration des conditions de vie après 1866 ou pour rattraper leur retard de croissance après 1872. Ce scénario est cohérent avec le déficit de taille atténué observé pour les migrants de ces cohortes nés hors de Paris mais habitant dans le XIXe arrondissement à 20 ans et dont environ la moitié étaient sans doute déjà arrivés à Paris au moment des sièges (voir le Matériel supplémentaire B). Ce scénario est également cohérent avec l’absence de tout déficit de taille pour les migrants de ces générations originaires d’Alsace-Lorraine (et donc très certainement arrivés à Paris après 1871) [14]. La section suivante cherchera à déterminer si la séquelle que constitue cette taille relativement petite s’est traduite par une mortalité plus élevée à l’âge adulte, à la fois pour ces cohortes et pour celles plus jeunes, voire encore in utero pendant les sièges.

IV. Mortalité des hommes entre 20 et 45 ans

43Après la défaite de la France, la Troisième République a importé le modèle militaire prussien, en instaurant en particulier une période de réserve à l’issue du service militaire actif. En conséquence, à partir de 1872, un conscrit était examiné à l’âge de 20 ans, était potentiellement envoyé en service actif durant trois ans puis, dans la grande majorité des cas, rejoignait la réserve jusqu’à 46 ans. Comme l’armée voulait être en mesure de localiser tous ses réservistes, ceux-ci étaient tenus de déclarer tout changement de lieu de résidence. De surcroît, les maires devaient signaler les décès à l’autorité militaire. En conséquence, il est possible d’observer les conscrits jusqu’à leur départ de l’armée (46 ans), leur réforme pour raisons médicales ou leur décès. Cette source rend possible l’étude de la mortalité adulte selon l’âge au moment des sièges. Par contre, contrairement à de nombreux travaux, elle ne permet pas d’examiner la mortalité après 45 ans ni celle des femmes, encore que ces dernières aient peut-être été moins affectées par la famine (Zarulli et al., 2018).

44Nous calculons les taux de mortalité en divisant le nombre de personnes décédées par le nombre d’années-personnes vécues. Nos données permettent de neutraliser l’effet du temps d’exposition, puisque nous savons quand les individus entrent et sortent du champ d’observation, respectivement à la fin du service militaire actif (23 ans pour le conscrit moyen) et à la sortie de l’armée de réserve soit pour des raisons de santé, soit en décédant, ou bien en atteignant l’âge de 46 ans [15].

45La figure 3 présente les taux de mortalité des conscrits nés à Paris, entre la fin de leur service actif et la fin de leur période de réserve. La mortalité des cohortes nées en 1870 et 1871 est sensiblement plus élevée, avec des taux supérieurs à 17,0 ‰ pour chaque semestre de naissance, alors que la moyenne est de 14,8 ‰ pour les hommes nés dans les années 1860, ou 13,4 ‰ pour la cohorte née en 1872, après la crise.

Figure 3

Taux de mortalité masculine (20-45 ans) par cohorte de naissance

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Taux de mortalité masculine (20-45 ans) par cohorte de naissance

46La figure 3 montre que la cohorte du second semestre 1871 se démarque encore des autres, cette fois avec un risque de mortalité de 19,6 ‰. Le tableau 3 présente les résultats d’un modèle de Cox à risques proportionnels et fournit les résultats d’un test d’égalité entre le risque de mortalité pour chaque cohorte et celui de la cohorte de l’après-crise (1872). L’égalité ne peut être rejetée à 95 % que pour les cohortes nées en 1870 et 1871. Ces deux cohortes présentent en effet des risques de mortalité supérieurs de 30 % au niveau d’avant la crise et même de 40 % pour la cohorte spécifique des enfants nés au second semestre 1871. Les taux de mortalité de ces cohortes sont aussi significativement plus élevés que le taux moyen des cohortes nées plus tôt, y compris en excluant 1860 et 1861, deux cohortes dont la mortalité est plus faible.

Tableau 3. Modèle de Cox à risques proportionnels appliqué à la mortalité masculine, 20-45 ans

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Tableau 3. Modèle de Cox à risques proportionnels appliqué à la mortalité masculine, 20-45 ans

47Globalement, les individus très jeunes au moment de la crise ou nés juste après présentent un risque accru de mortalité à l’âge adulte, en particulier si leur gestation avait commencé pendant les sièges. Ce risque accru est incompatible avec tout effet substantiel de sélection des enfants les plus forts ou les plus riches par la mortalité liée aux sièges. Le risque accru de mortalité dans la cohorte du second semestre 1871 reste par contre compatible avec une sélection par la fécondité, dans le cas où les plus riches auraient été davantage en mesure de différer de nouvelles naissances jusqu’après la crise. Ce type de sélection expliquerait également pourquoi la cohorte du second semestre 1871 est significativement plus petite en taille. Néanmoins, les conscrits nés à ce moment-là ne semblent pas être moins instruits ou exercer plus souvent des métiers non qualifiés [16]. Quant aux autres cohortes, nous avons conclu précédemment à l’absence d’effets de sélection marqués.

48Enfin, les cohortes nées entre 1860 et 1864 n’accusent aucune surmortalité à l’âge adulte, malgré leur plus petite taille. Ces résultats mettent en perspective à la fois les effets de la famine sur la taille et la sélection possible des survivants. Premièrement, les enfants les plus jeunes qui ont survécu à la famine n’ont pas échappé à ses effets sur la mortalité adulte, même si cela ne transparaît pas dans leur taille. Deuxièmement, ceux qui étaient plus petits une fois adultes n’avaient pas pour autant des chances de survie réduites. De ce point de vue, la taille n’est donc pas nécessairement un indicateur fiable de l’état de santé, du moins en ce qui concerne la mortalité ultérieure. Il semble qu’une atteinte latente à la santé puisse se révéler une fois la croissance terminée, comme dans le cas des enfants qui, soumis à un stress in utero, naissent pourtant avec un poids normal (Almond et Currie, 2011).

Conclusion

49Cet article étudie les conséquences des deux sièges subis par Paris entre septembre 1870 et mai 1871 sur la mortalité infantile, la taille des adultes et la mortalité adulte, en se concentrant sur un des arrondissements les plus défavorisés de la ville. Le premier siège, imposé par l’armée prussienne, a été l’origine d’une famine terrible mais brève durant un hiver particulièrement rigoureux. Au printemps suivant, un soulèvement révolutionnaire (la Commune de Paris) s’est achevé dans un bain de sang.

50À partir de données originales tirées des actes de décès, on peut établir que le nombre de décès a plus que doublé dans la quasi-totalité des groupes d’âges. Néanmoins, du fait de la structure par âge de la mortalité, l’essentiel de la surmortalité touche les enfants de moins de cinq ans. Parmi les enfants nés en 1869 et 1870, nous estimons qu’à peine 40 % ont vécu jusqu’à 20 ans, sachant que le chiffre était supérieur à 50 % avant et après les sièges.

51Les informations tirées des archives de la conscription militaire permettent d’analyser la taille à 20 ans des cohortes frappées par la famine, ainsi que leur risque de décéder entre 20 et 45 ans. Parmi ces individus, les plus touchés sont les quelques enfants dont la conception et une partie de la gestation ont coïncidé avec les sièges : ce groupe est significativement plus petit à 20 ans et présente une surmortalité de 40 % à l’âge adulte. Différents tests sur la distribution des tailles et une simulation des effets de la sélection liés à la surmortalité et la baisse de la fécondité conduisent à considérer que la sélection pourrait expliquer en partie la taille relativement élevée des survivants des cohortes les plus jeunes. En revanche, la sélection ne saurait expliquer les différences dans la mortalité adulte.

52À partir du milieu des années 1860, les conditions de vie à Paris se sont rapidement améliorées, en particulier grâce aux progrès de l’assainissement. Ces améliorations se sont poursuivies et même accélérées après la crise, permettant ainsi aux Parisiens de naissance de creuser un écart croissant en termes de taille avec les migrants d’autres régions. Pour les enfants qui avaient entre deux et cinq ans pendant les sièges, la famine a été assez courte pour que les survivants rattrapent leur retard de taille et bénéficient de meilleures conditions de vie, ce qui les a protégés d’éventuelles conséquences à long terme sur leur santé. Pour les enfants de 6 à 10 ans, on ne peut exclure qu’ils soient restés petits parce qu’ils étaient déjà trop âgés pour rattraper leur retard, même si leur espérance de vie n’a pas été affectée.

53Différents enseignements méthodologiques peuvent être tirés de cette étude de cas, en particulier en lien avec la littérature consacrée au développement dans la petite enfance, celle relative aux questions de nutrition en temps de famine et, plus largement, en anthropométrie et en histoire économique. Les variations de taille résultant des conditions de vie durant l’enfance demeurent une réalité, y compris en Europe (Cavelaars et al., 2000) et il existe une relation claire entre les progrès à long terme en matière de nutrition et de santé, d’une part, et le développement économique et social, d’autre part, à condition que les données sur la taille soient suffisamment représentatives et relativement épargnées par les problèmes de sélection. A contrario, les variations à court terme de la taille peuvent être plus difficiles à identifier, même dans le cas d’une famine grave circonscrite dans le temps et l’espace. Les erreurs de mesure et le bruit dans les données restent problématiques, mais d’autres obstacles doivent également être surmontés. Premièrement, la traduction d’un choc nutritionnel en variation à court terme de la taille est un processus complexe, qui ne dépend pas uniquement de la durée du choc lui-même mais aussi de la qualité de vie globale avant et après le choc. Ces circonstances interagissent à leur tour avec les effets de sélection et les fenêtres d’âges critiques pour la croissance physiologique. Il en va de même pour les effets à long terme de ces chocs sur la mortalité, comme en témoignent les conclusions contradictoires des différents auteurs qui ont publié sur ce sujet. Deuxièmement, la taille n’est pas nécessairement un indicateur fiable des chances de survie à l’âge adulte, du moins pour ce qui concerne les personnes de moins de 50 ans ayant survécu à la famine. Même si les enfants les plus jeunes de notre étude qui ont survécu à la famine ont atteint une taille plutôt élevée, ils ont pu être victimes d’autres types de faiblesse interne ayant entraîné une surmortalité ultérieure, contrairement aux enfants plus âgés, plus petits que les autres une fois adultes mais bénéficiant des mêmes chances de survie.

Remerciements : Ce travail a bénéficié du soutien financier de l’Ined et du fonds pour la recherche de l’École d’économie de Paris (PSE), ainsi que le financement de l’Agence nationale pour la recherche (ANR), EUR grant ANR-17-EURE-0001. Nous adressons nos remerciements à Dora Costa et Gilles Postel-Vinay pour leurs commentaires et suggestions, ainsi qu’aux participants de la conférence annuelle 2015 de la Population Association of America ; du séminaire organisé par l’unité Histoire et populations de l’Ined ; du séminaire organisé par l’Interdisciplinary Centre on Population Dynamics de l’University of Southern Danemark; du XXVIIe Congrès international de la population de l’UIESP (Busan, 2013) ; et du 17e Congrès mondial d’histoire économique (Kyoto, 2015).

Annexes

Figure A.1.

Estimations de la mortalité de référence (1q0 et 1q2)

figure im7

Estimations de la mortalité de référence (1q0 et 1q2)

Tableau A.1. Comparaison des quotients de mortalité antérieurs à la crise (%) pour les enfants nés dans le XIXe arrondissement

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Tableau A.1. Comparaison des quotients de mortalité antérieurs à la crise (%) pour les enfants nés dans le XIXe arrondissement

Tableau A.2. Diagramme de Lexis des taux de survie dans le XIXe arrondissement, par cohorte de naissance

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Tableau A.2. Diagramme de Lexis des taux de survie dans le XIXe arrondissement, par cohorte de naissance

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Mots-clés éditeurs : Commune de Paris, malnutrition, Siège de Paris, famine, taille, santé, France, surmortalité

Mise en ligne 02/07/2021

https://doi.org/10.3917/popu.2101.0009

Notes

  • [1]
    On peut ainsi comparer, d’une part, Lindeboom et al. (2010) au sujet de la baisse très notable de l’espérance de vie après 50 ans des enfants qui étaient en gestation ou avaient moins d’un an lors de la famine de la pomme de terre aux Pays-Bas et, d’autre part, Song (2009) au sujet de la Grande famine en Chine, qui ne semble pas observer d’incidence sur la mortalité aux âges ultérieurs.
  • [2]
    S’agissant de la famine qui a sévi en Finlande entre 1866 et 1868, Kannisto et al. (1997) ne constatent aucune différence dans la mortalité adulte des cohortes concernées, tandis que Doblhammer et al. (2013) observent une réduction modeste mais significative de l’espérance de vie après 60 ans chez les personnes en ayant le plus souffert.
  • [3]
    À des fins de comparaison, nous avons collecté les mêmes données à partir des registres matricules militaires de deux quartiers au profil social proche : le troisième arrondissement de Paris et le quatrième arrondissement de Lyon (voir le Matériel supplémentaire C en ligne)
  • [4]
    Le traité de paix signé à Francfort le 10 mai 1871 a mis fin à la guerre mais, en plus d’être contrainte à verser une indemnité de 5 milliards de francs, la France a dû céder une partie de son territoire oriental (Alsace-Lorraine). Ceux qui y résidaient ont eu la possibilité de conserver la nationalité française et d’émigrer ou de devenir citoyens allemands. Les nombreux Français qui ont opté pour la première solution se sont installés à Paris en 1871 et 1872 ; parmi eux figurent les enfants observés par la suite, lorsqu’ils atteignent 20 ans.
  • [5]
    Les communes qui ont disparu suite à leur absorption complète par Paris en 1860 sont Auteuil, Batignolles, Belleville, Bercy, Chaillot, Charonne, Grenelle, La Chapelle, La Villette, Ménilmontant, Montmartre, Passy, Plaisance, Varennes et Vaugirard.
  • [6]
    Dans le sens des aiguilles d’une montre, le « Grand Paris » comprend Aubervilliers, Pantin, Le Pré Saint-Gervais, Les Lilas, Bagnolet, Montreuil, Saint-Mandé, Charenton-le-Pont, Ivry-sur-Seine, Gentilly, Montrouge, Vanves, Issy-les-Moulineaux, Boulogne, Neuilly, Levallois-Perret, Clichy, Saint-Ouen, Saint-Denis et Montrouge. C’est un sous-ensemble du département de la Seine ; ce dernier est utilisé par exemple par Van de Walle et Preston (1974).
  • [7]
    Les évolutions de la taille dans le XIXe arrondissement de Paris ne sont pas corrélées avec ce que l’on observe dans le quatrième arrondissement de Lyon et ne réflétent donc pas des chocs d’ampleur nationale qui auraient ébranlé d’autres zones urbaines comparables (voir le graphique C.2 du Matériel supplémentaire et la discussion attenante).
  • [8]
    Nous avons vérifié que les années de naissance 1858 et 1859 présentaient effectivement des coefficients faibles et non significatifs.
  • [9]
    Les résultats obtenus avec une courbe de tendance polynomiale de degré 3 diffèrent très peu de ceux présentés ici avec une tendance linéaire.
  • [10]
    Voir aussi la figure 6 dans Cogneau et Kesztenbaum (2016).
  • [11]
    Nos hypothèses vont du cas extrême sur les limites non paramétriques pour les variables de traitement, à des cas qui le sont moins, comme un gradient de mortalité linéaire fondé sur la taille attendue (voir le Matériel supplémentaire A).
  • [12]
    Les données relatives au troisième arrondisssement parisien ne révèlent pas non plus d’écart significatif par rapport à la tendance pour les cohortes nées entre 1868 et 1870. Pourtant, les cohortes nées au premier et second semestres 1871 dans cet arrondissement présentent une perte de taille très proche de celle observée pour la cohorte née au second semestre 1871 dans le XIXe arrondissement (par comparaison, par exemple, avec 1873, année de naissance post-crise). Voir le Matériel supplémentaire C.
  • [13]
    Dans le Matériel supplémentaire en ligne (figure B.2), la même évolution est observée pour le département de la Seine, comparé avec les départements environnants.
  • [14]
    Les données concernant la taille pour le troisième arrondissement mettent en évidence une réduction identique pour la cohorte 1860 mais pas pour les quatre suivantes. Toutefois, parmi les individus nés en 1862 et 1863, le risque d’être déclaré inapte est supérieur de 8 à 12 points (voir le Matériel supplémentaire, graphique C.1). Bien qu’également assez pauvre, le IIIe arrondissement était moins périphérique que le XIXe arrondissement et disposait donc peut-être de meilleures infrastructures de santé.
  • [15]
    Ces estimations sont faites sous l’hypothèse que la mortalité est indépendante d’une sortie d’observation avant 46 ans. Même si les sorties plus précoces étaient majoritairement liées à des motifs médicaux, toutes ne concernaient pas des maladies mortelles comme la tuberculose ; d’autres raisons telles que la myopie pouvaient ne pas conduire à une mort prématurée. De plus, même si toutes les sorties sont traitées comme des décès, la différence entre les cohortes 1870-1871 et les autres subsiste.
  • [16]
    On pourrait aussi étudier les effets à long terme de la famine en évaluant les capacités cognitives des personnes en ayant le plus souffert. Malheureusement, les données individuelles sur le niveau d’instruction et la profession des conscrits ne fournissent que des informations limitées. En ce qui concerne l’instruction, nous distinguons six groupes de niveau allant des analphabètes aux diplômés de l’enseignemement supérieur ; mais 90 % de l’échantillon fait partie de la population qui sait lire, écrire et compter. Le niveau d’instruction s’élève progressivement et les deux dernières cohortes (nées en 1871 et 1872) présentent un taux d’alphabétisation supérieur. S’agissant de la profession, nous avons construit trois catégories simples (ouvriers non qualifiés, ouvriers qualifiés et cols blancs) pour mesurer les qualifications et le capital humain. Là encore, aucun effet imputable aux sièges n’a pu être identifié, bien que cela s’explique peut-être simplement par un champ d’observation excessivement restreint.
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