Notes
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Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), Paris.
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[1]
Pour le bilan des évolutions jusqu’au recensement de 1990, voir Insee, 1994.
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[2]
Jusqu’au recensement de 1982, seules les familles avec enfants de moins de 25 ans étaient prises en compte dans les familles monoparentales. Cela permet d’exclure certaines situations : par exemple, une mère active de 55 ans qui vit avec sa fille active de 35 ans serait considérée comme une famille monoparentale avec la mère comme personne de référence s’il n’y avait pas de limite d’âge.
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[3]
Cette reconstitution n’a pu être réalisée que pour les personnes pour lesquelles suffisamment d’informations, notamment sur les épisodes de vie en couple, étaient disponibles (soit 88 % des enquêtés). Dans l’enquête EHF, les personnes interrogées doivent renseigner pour leur première et leur dernière union : la date de mise en couple, la date éventuelle de mariage, les dates éventuelles de séparation, de divorce ou de décès du conjoint. Lorsque les renseignements fournis sont complets, les durées sont comptabilisées à partir de la date de mise en couple et de celle de la séparation ou du décès. À défaut d’indication sur la date de mise en couple, c’est la date de mariage qui est retenue. De même, pour la fin de l’union, la date de divorce remplace éventuellement la date de séparation.
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[4]
Ces différentes situations, qui recoupent en partie les statuts matrimoniaux, peuvent être repérées dans l’enquête Étude de l’histoire familiale, puisque l’on dispose de la chronique du dernier épisode de vie en couple et des dates de naissance des enfants.
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[5]
De plus, du fait de la définition retenue, dès que tous les enfants ont atteint 25 ans, la famille n’est plus ici considérée comme famille monoparentale même si les enfants restent au domicile parental.
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[6]
Enfin, seuls les enfants de moins de 25 ans sont pris en compte alors que l’aîné de plus de 25 ans a peut-être vécu plus longtemps en famille monoparentale, notamment dans les cas les plus complexes où les enfants ne sont pas tous issus de la même union.
1En France, comme dans beaucoup de pays européens, le nombre de familles monoparentales s’est considérablement accru au cours des trente dernières années, à la faveur surtout du développement des ruptures d’union. Cette configuration familiale représente aujourd’hui un sixième des familles avec enfants. L’appellation de famille monoparentale communément utilisée recouvre cependant des situations très différentes. Les données fournies par l’enquête Étude de l’histoire familiale (EHF), associée au recensement de 1999, permettent à Élisabeth Algava d’explorer cette diversité. On apprend, par exemple, que dans un cas sur dix la famille en question vit au sein d’un ménage plus large, le plus souvent celui des ascendants du parent. Des différences apparaissent également dans le type de parcours qui a conduit à la condition actuelle (séparation, certes, mais aussi naissance hors mariage, veuvage) ou encore sur le plan socioprofessionnel ou sur celui du logement. Ce travail vient ainsi donner une large vue des familles monoparentales, étudiées jusqu’ici plutôt sous l’angle de leur précarité sociale.
2Les familles monoparentales, constituées d’un parent élevant ses enfants sans conjoint, représentent une part de plus en plus importante des familles avec enfants en France. Entre les recensements de 1990 et 1999, leur nombre est passé de 1 602 000 à 1 982 000 (Cristofari et Labarthe, 2001), soit une croissance aussi soutenue qu’entre 1982 et 1990 [1]. Si l’on restreint l’analyse, comme ce sera le cas dans cet article, aux familles qui comprennent au moins un enfant de moins de 25 ans, leur nombre est passé de 1 175 000 à 1 495 000 de 1990 à 1999 [2] (figure 1).
Évolution du nombre de familles monoparentales aux différents recensements
Évolution du nombre de familles monoparentales aux différents recensements
3Parallèlement, le nombre total de familles avec enfants de moins de 25 ans est resté presque stable. De ce fait, la proportion de familles monoparentales dans l’ensemble des familles comprenant un enfant de moins de 25 ans s’est beaucoup accrue, puisqu’elle atteignait 13,2 % en 1990 et 16,7 % en 1999, alors qu’elle ne s’était presque pas modifiée entre 1968 et 1982 (passant de 9,4 % à 10,2 %).
4Le panel européen des ménages permet d’évaluer l’importance des familles monoparentales dans les différents pays avec une même définition : en 1996, elles représentaient 14 % des ménages comprenant au moins un enfant de moins de 25 ans dans l’ensemble des douze pays de l’Union européenne couverts par cette enquête et cette proportion allait de 9 % en Espagne à 23 % au Royaume-Uni. Avec 14 %, la France se situait dans la moyenne européenne (Chambaz, 2000).
5Les familles monoparentales ont donc pris une place importante dans le paysage des configurations familiales en France : elles constituent désormais une famille avec enfants sur six. Pour autant, la délimitation et la signification de ce groupe ne vont pas de soi. En effet, l’apparente simplicité étymologique du terme « un seul parent » recouvre une très grande diversité de situations, celles de l’ensemble des parents qui élèvent seuls leurs enfants par opposition au modèle de référence du couple. Plus particulièrement, c’est la croissance du nombre des femmes divorcées qui a rendu possible le rapprochement de différentes situations sous une appellation commune (Lefaucheur, 1985) :
« L’affaiblissement de la stigmatisation sociale exercée à l’endroit du divorce et de l’illégitimité et l’accroissement important, au détriment des veuves, de la proportion et de la visibilité des mères seules divorcées – qui occupent symboliquement une place intermédiaire entre les veuves, avec lesquelles elles partagent la dignité d’avoir été mariées, et les mères célibataires, qu’elles rejoignent dans l’indignité de ne pas l’être – vont ainsi permettre de rapprocher les différentes catégories de mères seules dans une représentation commune. »
7De son côté, l’État a beaucoup contribué à construire cette catégorie comme objet d’intervention sociale (Martin-Papineau, 2000). De ce fait, la famille monoparentale est essentiellement perçue comme une famille plus vulnérable que le couple avec enfants, et donc plus susceptible de faire l’objet de politiques publiques ciblées. Le regroupement de diverses situations sous un vocable unique s’est justifié par la volonté d’éviter toute forme de stigmatisation implicite, contenue dans des appellations comme celle de « fille-mère ».
L’enquête Étude de l’histoire familiale (EHF)
Dans la plupart des cas, les informations issues du bulletin individuel de recensement de la personne, ainsi que celles des autres membres du ménage ont pu être retrouvées. Seules les réponses des personnes pour lesquelles l’appariement a pu être effectué, soit 96,5 % des personnes enquêtées, sont ici exploitées. En effet, la définition des familles monoparentales repose sur la composition des ménages et la présence des enfants ne pouvait être établie de façon certaine que lorsqu’un bulletin de recensement avait été rempli.
Le fichier est encore dans sa version provisoire et les pondérations sont uniquement calées sur la population par sexe et âge au recensement. L’importance de l’échantillon doit cependant permettre d’obtenir des résultats qui dépendent assez peu des corrections.
Enfin, certaines personnes, considérées d’après le bulletin de recensement comme parent d’une famille monoparentale, ont répondu à l’enquête EHF qu’elles vivaient actuellement en couple. L’analyse des caractéristiques de ces personnes (voir infra) a montré qu’elles correspondaient difficilement à la définition des familles monoparentales et elles ont donc été exclues du champ d’analyse. Ce champ est désigné dans le texte sous l’appellation « définition restrictive ».
8Cependant, cela a conduit à mettre en avant les caractéristiques communes et à occulter un certain nombre de différences importantes. Il s’agira ici d’interroger cette catégorie et son unité sous trois angles. Nous verrons tout d’abord que ses frontières peuvent apparaître relativement floues. Ensuite, la situation de parent isolé est une étape qui peut intervenir à des moments très différents dans les trajectoires individuelles; pour le montrer, nous nous placerons successivement du point de vue des parents puis de celui des enfants. Enfin, les familles ainsi regroupées ne constituent pas une catégorie homogène du point de vue des ressources qu’elles sont aptes à mobiliser et des « risques » auxquels elles sont confrontées. Dans cette étude, nous utilisons les données issues de l’enquête Étude de l’histoire familiale (EHF) réalisée conjointement par l’Insee et l’Ined en 1999 et le champ est limité aux familles qui comprennent au moins un enfant de moins de 25 ans (voir encadré supra).
I – Parents faussement isolés et familles dites monoparentales
9L’Insee comptabilise les familles monoparentales sur la base des informations recueillies au sein des ménages. L’absence d’un des parents est donc par construction liée à la définition de la résidence principale : une famille monoparentale comprend une personne qui vit sans conjoint avec un ou plusieurs de ses enfants dans un même logement. Le parent vivant dans ce type de famille est qualifié de parent isolé. Pour les statisticiens, ce critère est à la fois nécessaire et suffisant : si le conjoint du parent partage le logement, on parle alors d’un couple avec enfants (même si dans une famille recomposée, le beau-parent n’investit pas forcément un rôle de parent). Pourtant, aux marges de ces définitions, nombre de situations individuelles mettent en question la pertinence de ce regroupement.
10 % des parents de famille monoparentale disent vivre en couple
10En partant du critère de résidence utilisé au recensement, on constate qu’au sein des parents repérés comme isolés et ayant au moins un enfant de moins de 25 ans, donc considérés comme à la tête d’une famille monoparentale à partir des informations fournies par le recensement, environ 10 % disent vivre actuellement en couple dans leur bulletin de réponse à l’enquête EHF, soit près de 150 000 (tableau 1). Cela concerne plus particulièrement les hommes puisque 24 % disent vivre en couple contre 8 % des femmes. Cependant, comme les femmes sont bien plus nombreuses à être à la tête des familles monoparentales, deux fois plus de femmes que d’hommes sont en définitive dans cette situation. D’après les données du recensement, ces personnes ne semblent pourtant pas partager leur logement avec leur conjoint. Si elles déclarent une union en cours, cela peut être, comme y invitait l’enquête EHF, parce que la séparation est liée à des motifs professionnels mais aussi parce que les personnes ont souhaité déclarer une union à leurs yeux importante ou encore parce que les personnes résident en même temps dans un autre logement ou sont hospitalisées sans qu’une fiche ait été remplie lors du recensement.
Parents isolés résidant avec au moins un enfant de moins de 25 ans et déclaration sur la vie de couple
Parents isolés résidant avec au moins un enfant de moins de 25 ans et déclaration sur la vie de couple
11Certains indicateurs permettent de constater que lorsqu’un parent isolé déclare une union, celle-ci n’est en général pas particulièrement récente ou fragile (tableau 2) : 49 % font état d’un mariage (qui dure depuis plus de 17 ans pour la moitié d’entre eux) et 29 % d’une union libre (qui dure depuis plus de 6 ans pour la moitié d’entre eux). Les hommes décrivent mieux leurs unions, qui sont plus fréquemment officialisées par le mariage et sont un peu plus anciennes. Par ailleurs, la plupart des enfants présents dans le ménage peuvent être, du fait de leur date de naissance, présumés issus de l’union en cours.
Caractéristiques des unions déclarées par les parents isolés d’après le recensement mais déclarant vivre en couple à l’enquête Étude de l’histoire familiale
Caractéristiques des unions déclarées par les parents isolés d’après le recensement mais déclarant vivre en couple à l’enquête Étude de l’histoire familiale
12Ces premières constatations permettent de souligner que le critère de résidence, tel qu’il est repéré au recensement, n’est pas suffisant pour déterminer la situation conjugale d’une personne. Elles incitent à prendre en compte les réponses des intéressés à la question sur la vie de couple et à passer outre le critère de résidence, même s’il est impossible de déterminer si les responsabilités financières et parentales sont mises en œuvre de la même manière au sein de ces couples qu’au sein de ceux qui partagent le même logement. Ces situations sont par ailleurs susceptibles de se développer car elles peuvent être mieux adaptées aux familles recomposées, surtout lorsque chacun des parents a des enfants issus d’une union précédente. Quoi qu’il en soit, leur existence illustre la difficulté d’une définition qui cherche à appréhender qui s’occupe des enfants à partir du seul critère de la résidence commune des parents.
8 % des familles monoparentales vivent dans un ménage complexe
13Les ménages complexes constituent un second exemple de situations qui mettent en cause l’équivalence entre famille monoparentale et isolement : le parent peut vivre sans conjoint avec ses enfants, mais au sein d’un ménage où vivent d’autres adultes (parents, amis ou autres). 8 % des parents de famille monoparentale âgés de plus de 18 ans, soit environ 120 000, vivent ainsi avec d’autres personnes (tableau 3). Dans plus de la moitié des cas, le ménage comprend un ou deux de leurs ascendants (autour de 70 000 d’entre eux).
Répartition des parents de plus de 18 ans par type de ménage (en %)
Répartition des parents de plus de 18 ans par type de ménage (en %)
14Cette situation est marginale, contrairement à ce qui se passe dans certains autres pays européens, comme l’Espagne ou l’Italie, où respectivement près de la moitié et du tiers des familles monoparentales sont hébergées par leurs ascendants (Chambaz, 2000). Elle est tout de même plus répandue au sein des familles monoparentales que parmi les couples avec enfants. Surtout, parmi les familles monoparentales dans lesquelles le parent a moins de 30 ans, un sur cinq vit au sein d’un ménage complexe (11 % vivent avec leurs deux parents et 8 % avec un seul de leurs parents). La proportion de ménages complexes et surtout la proportion de familles qui hébergent un ascendant augmentent ensuite avec l’âge du parent et de ses propres ascendants, de la même manière pour les familles monoparentales que pour les couples; en outre, les parents seuls sont en moyenne plus âgés que les parents en couple. Avant 30 ans, on peut cependant considérer que c’est plutôt le jeune parent qui est hébergé par ses propres ascendants puisque ceux-ci sont encore le plus souvent actifs ou jeunes retraités.
Des familles dites monoparentales
15À ces situations marginales mais illustrant bien la difficulté d’assimiler la famille au ménage, il faut ajouter une objection majeure : la séparation résidentielle des parents n’implique pas l’absence totale d’intervention du parent qui ne vit plus avec ses enfants. La législation favorise de plus en plus le maintien de relations avec le parent non gardien, que l’enfant soit issu d’un mariage ou d’une union libre. Pour nombre de ces familles, il existe un second parent dont l’existence est occultée lors des études centrées sur le ménage. Une enquête sur les situations familiales réalisée par l’Ined en 1994 permettait de dire qu’« aujourd’hui, le plus souvent, un enfant qui ne vit pas avec ses deux parents les a encore tous les deux, et il a donc deux familles qui coexistent à distance » (Villeneuve-Gokalp, 1999). En cas de rupture d’union, toutefois, la garde maternelle reste la règle et la double résidence semble avoir peu progressé entre 1986, date à laquelle cette enquête sur les situations familiales avait été une première fois réalisée, et 1994 : 85 % des moins de 18 ans vivent alors avec leur mère et pour 95 % d’entre eux, ils n’ont vécu qu’avec elle depuis la séparation. Seuls ceux qui vivent avec leur père ou dans une autre famille ont plus souvent expérimenté plusieurs situations résidentielles : un quart ont par exemple déjà vécu avec leur mère seule. Enfin, parmi les enfants dont les parents sont séparés, qui vivent avec leur mère et dont le père est vivant, 30 % ne voyaient jamais leur père, en 1986 comme en 1994. En revanche, « les relations sont [devenues] plus fréquentes que par le passé lorsqu’elles sont maintenues ».
16L’enquête Étude de l’histoire familiale ne permet pas de mesurer l’existence ou l’intensité des relations entre les parents non gardiens et leurs enfants. Cependant, l’analyse de l’évolution des différents statuts matrimoniaux et des trajectoires matrimoniales des parents permettent de mettre en évidence le poids croissant des enfants des familles monoparentales qui ont vécu avec leurs deux parents et dont le parent non gardien est vivant.
17Parmi l’ensemble des situations évoquées précédemment, il semble particulièrement contestable de qualifier de familles monoparentales celles où le parent déclare vivre en couple. Nous retenons donc une définition plus restrictive par la suite, dans laquelle ces familles sont exclues du champ, sauf dans les cas où une comparaison avec les recensements antérieurs nécessite de reprendre un champ comparable. En se fondant ainsi sur les déclarations des parents eux-mêmes quant à l’existence ou non d’une vie de couple, le nombre de parents qui élèvent sans conjoint au moins un enfant de moins de 25 ans est restreint à environ 1 350 000, soit 15 % des familles avec enfants de moins de 25 ans.
II – Les parents de famille monoparentale
Des femmes en majorité, plus âgées que celles qui vivent en couple et de plus en plus souvent divorcées
18Les parents isolés sont en moyenne plus âgés que les parents en couple (tableau 4) : l’âge médian des femmes seules est de 41 ans contre 39 ans pour les femmes en couple; 57 % des premières ont plus de 40 ans, contre 49 % des secondes. Pour les hommes, la différence est encore plus considérable : l’âge médian s’élève à 46 ans pour les hommes seuls, contre 42 ans pour les hommes en couple; 80 % des pères isolés ont plus de 40 ans, contre environ 60 % des hommes qui vivent en couple. Par rapport au recensement de 1990, la proportion de mères seules âgées de moins de 40 ans ou de plus de 50 ans a diminué au profit d’une augmentation de la proportion de celles qui sont âgées de 40 à 49 ans. De même, les pères isolés sont de plus en plus souvent âgés de 40 à 60 ans. Cela traduit la hausse de la fréquence des familles monoparentales issues de la rupture d’une union, qui concerne des parents d’âge intermédiaire.
Répartition par âge des parents d’enfants de moins de 25 ans selon le sexe et la situation familiale (en %)
Répartition par âge des parents d’enfants de moins de 25 ans selon le sexe et la situation familiale (en %)
19Dans les années 1960-1970, la majorité des parents de famille monoparentale étaient veufs. La part des veufs au sein des familles monoparentales a décru continûment, passant de 55 % en 1962 à 11 % en 1999 (figure 2). De leur côté, les divorcés ont pris une place croissante puisqu’ils représentent presque la moitié des parents isolés en 1999. Quant aux célibataires, si leur importance s’est accrue, passant de 9 % à 32 %, cela s’accompagne d’un changement profond du sens de ce statut. La banalisation de l’union libre, la hausse de la proportion d’enfants nés hors mariage, l’alignement du statut juridique des enfants naturels sur celui des enfants légitimes et enfin la hausse de la proportion de ces enfants qui sont reconnus par les deux parents sont autant de facteurs qui ont contribué à cette évolution. Aujourd’hui, au sein des parents isolés célibataires, la majorité ont vécu en union libre avec le parent non gardien. En conséquence, une part croissante des enfants ont un parent qui n’habite pas avec eux mais qui est vivant et a résidé avec eux avant la rupture. De ce fait, le statut matrimonial légal n’est qu’un indicateur de cette complexité des situations : le célibat, en particulier, peut recouvrir toutes sortes de situations. C’est alors l’analyse des trajectoires matrimoniales, esquissée plus loin, qui permet de mieux comprendre ce que recouvre la modification des statuts matrimoniaux.
Évolution du statut matrimonial légal des parents de famille monoparentale depuis 1962 (répartitions en %)
Évolution du statut matrimonial légal des parents de famille monoparentale depuis 1962 (répartitions en %)
20Les hommes restent très minoritaires au sein des familles monoparentales : 200 000 pères vivent seuls avec leurs enfants âgés de moins de 25 ans selon le dernier recensement, dont environ 25 % déclarent cependant vivre en couple. Une fois retranchés ces 25 %, on peut donc estimer à 150 000 le nombre de pères qui élèvent seuls leurs enfants. Ces deux résultats aboutissent respectivement à des proportions de 14 % et de 12 % de pères à la tête de l’ensemble des familles monoparentales (tableau 5).
État matrimonial des parents de famille monoparentale (en %)
État matrimonial des parents de famille monoparentale (en %)
21Cette proportion a diminué de façon continue depuis vingt ans. Cela s’explique aisément par l’évolution en termes de statuts matrimoniaux. Aux différents recensements, les hommes représentent entre 17 % et 19 % des familles monoparentales dont le parent est veuf, une proportion plus élevée que pour les autres états matrimoniaux. Si, en cas de décès, la charge des enfants revient naturellement au parent survivant, les hommes veufs vivant avec des enfants restent moins nombreux que les femmes du fait de plusieurs facteurs : la mortalité plus élevée des hommes, l’écart d’âge entre époux et peut-être aussi des différences dans les comportements de remise en couple. Mais surtout, la proportion de veufs au sein des familles monoparentales a considérablement diminué. Parmi les divorcés et les célibataires, deux catégories en forte augmentation, la part des hommes est plus faible et assez stable depuis les années 1970, autour de 13,5 % et 6 % respectivement, et se situe plutôt en décroissance par rapport aux années 1960. Les familles monoparentales ont tendance à rajeunir, à être issues de ruptures d’unions impliquant le choix d’un parent gardien et ces tendances induisent une proportion d’hommes plus restreinte.
Des parents aux histoires familiales très diversifiées
22Les parents isolés ont eu des trajectoires différentes. Une famille monoparentale est le plus souvent le résultat de la dissociation d’un couple; par ailleurs, la situation de parent isolé n’est pas un état définitif mais une période transitoire, un épisode qui peut avoir une place très différente dans la biographie de l’individu selon son âge ou son vécu familial. Comme on ne peut reconstituer les épisodes achevés ni savoir quand prendront fin ceux qui sont en cours, nous en sommes réduits à observer les familles monoparentales recensées en 1999, décrire leurs caractéristiques actuelles, et reconstituer leur trajectoire matrimoniale antérieure [3].
23Les parents de familles monoparentales recensés en 1999 se trouvent dans cette situation en moyenne depuis 5 ans et 9 mois pour les hommes, contre 6 ans et 3 mois pour les femmes. Cela ne correspond pas à des durées puisque les épisodes repérés ne sont pas achevés, mais cela permet d’apprécier dans quelle mesure ces familles sont stabilisées dans cette configuration ou sont dans une phase transitoire. L’ancienneté de la situation de parent isolé est assez proche pour les femmes et les hommes : plus du quart des épisodes durent depuis moins de deux ans, la moitié depuis moins de quatre ans. Dans un grand nombre de cas, la formation de la famille monoparentale est donc récente mais 22 % se sont constituées il y a plus de dix ans (tableau 6).
Répartition des parents de famille monoparentale selon l’ancienneté de la formation de la famille (en %)
Répartition des parents de famille monoparentale selon l’ancienneté de la formation de la famille (en %)
24L’ancienneté variable de la constitution des familles monoparentales ne prend son sens que replacée dans le contexte des trajectoires individuelles. La diversité des statuts matrimoniaux montre que ces trajectoires familiales sont complexes et que la formation d’une telle famille peut intervenir à des moments très différents : avant toute mise en couple ou même le départ de chez les parents pour certaines familles, après une union plus ou moins longue pour d’autres.
25Pour situer la place de l’épisode dans cette trajectoire, un indicateur important est le « mode de formation » de la famille monoparentale, c’est-à-dire l’événement qui a été à l’origine de la constitution de la famille. Ces événements [4] sont assez schématiquement de trois types :
- la rupture d’une union, que celle-ci soit une union libre ou un mariage;
- la naissance d’un enfant si la personne ne vit pas en couple et qu’elle vivait sans enfant auparavant;
- le décès du conjoint.
Mode de constitution des familles monoparentales observées en 1999 (en %)
Mode de constitution des familles monoparentales observées en 1999 (en %)
26On peut ensuite distinguer selon le type d’union : le décès du conjoint ou la rupture peuvent survenir au sein d’une union libre ou d’un mariage. Le cas très particulier où la dernière union est restée sans enfant est traité séparément, car cela signifie que les enfants sont nés antérieurement à cette union. Les mariages suivis d’un divorce ou d’une séparation constituent la situation la plus fréquente (une famille monoparentale sur deux).
27On constate ainsi que la grande majorité des parents isolés ont d’abord vécu en couple avec les enfants : c’est le cas pour 85 % des familles monoparentales, puisque ne font exception que 15 % de familles constituées par la naissance d’un enfant. Pour les familles issues de la rupture d’une union (73 %), l’ancien conjoint qui a auparavant vécu avec les enfants est vivant. Par ailleurs, le statut matrimonial légal recoupe des situations très diverses, essentiellement pour les célibataires : ainsi, 37 % des mères célibataires n’ont jamais vécu en couple, 47 % se sont séparées du père de leurs enfants, 3 % ont subi le décès de leur conjoint et enfin 13 % ont auparavant vécu en couple sans que les enfants puissent être attribués à ces unions.
28La trajectoire antérieure des parents permet de cerner des profils très différents. En effet, si les parents seuls sont en moyenne plus âgés que les parents en couple, l’opposition est très nette au sein des familles monoparentales entre celles qui se sont formées à la suite d’une naissance et celles qui se sont formées à la suite d’un divorce ou d’une séparation. Les femmes qui ont eu un enfant alors qu’elles ne vivaient pas en couple pèsent d’un poids important parmi les plus jeunes parents isolés. Celles qui sont à la tête d’une famille monoparentale suite à la rupture d’une union libre sont également plus nombreuses parmi les classes d’âges les plus jeunes. À l’opposé, les hommes et les veuves sont bien plus représentés après 50 ans (figure 3).
Répartition des parents de famille monoparentale selon le sexe et le mode de formation de la famille en fonction de l’âge du parent (en %)
Répartition des parents de famille monoparentale selon le sexe et le mode de formation de la famille en fonction de l’âge du parent (en %)
29On retrouve des différences selon le mode de constitution de la famille aussi bien quant au nombre d’enfants nés, à la proportion de familles vivant dans un ménage complexe (tableau 8) et à l’ancienneté de formation de la famille (tableau 9) : les parents isolés suite à une naissance en dehors d’une vie de couple ont des enfants moins nombreux et plus jeunes, sont depuis des durées très variables dans cette situation et sont plus fréquemment hébergés dans un ménage complexe. Au contraire, les veufs ont des enfants plus nombreux, plus âgés et il est très fréquent que certains aient déjà quitté le domicile parental. Les parents veufs sont aussi depuis moins longtemps dans cette situation familiale et ont longtemps vécu en couple. Entre ces deux extrêmes, les parents de familles constituées par rupture d’une union libre sont plus proches de ceux des familles constituées à la suite d’une naissance : ils sont plus jeunes et ont moins d’enfants que les veufs. En revanche, ils vivent rarement au sein d’un ménage complexe et sont parents isolés depuis moins longtemps que les parents n’ayant pas vécu en couple. Les personnes qui ont été mariées (séparées ou divorcées) sont un peu plus âgées et ont plus d’enfants que celles qui vivaient en union libre. Enfin, la durée écoulée depuis la séparation d’un couple marié est très courte lorsque le divorce n’a pas encore été prononcé : un tiers des séparations sans divorce ont eu lieu moins de deux ans auparavant. Lorsque le divorce a été prononcé, la durée écoulée depuis la séparation est rarement inférieure à deux ans et le plus fréquemment comprise entre trois et quatre ans.
Caractéristiques des familles monoparentales selon le mode de formation de la famille
Caractéristiques des familles monoparentales selon le mode de formation de la famille
Répartition des familles monoparentales selon leur ancienneté et le mode de constitution de la famille (en %)
Répartition des familles monoparentales selon leur ancienneté et le mode de constitution de la famille (en %)
30Toutes ces caractéristiques sont donc étroitement imbriquées. Le nombre d’enfants est en partie lié à la génération à laquelle appartient le parent et au nombre d’années durant lesquelles il a vécu en couple. En outre, l’âge de la personne et celui de ses enfants influent fortement sur la probabilité de sortie de la situation de parent isolé. D’une part, ces éléments modifient les chances de remise en couple : elles sont augmentées, surtout pour les femmes, si la personne est jeune et sont plus importantes pour les divorcés que pour les veufs; par ailleurs, avoir un nombre important d’enfants augmente la probabilité de se remettre en couple pour les hommes alors que c’est le contraire pour les femmes (Cassan et al., 2001). D’autre part, des enfants plus âgés quittent plus vite le domicile parental [5], ce qui contribue par exemple à réduire la probabilité pour un veuf de rester longtemps dans une situation de parent isolé, alors que dans le cas d’une famille monoparentale constituée à la suite d’une naissance, le départ des enfants survient nécessairement bien plus tardivement et le mode de sortie le plus immédiat de la situation de parent seul est la remise en couple.
31L’état matrimonial, associé à des informations sur les unions précédentes pour les célibataires, semble donc être un bon indicateur de l’étape à laquelle correspond la situation de parent isolé dans la trajectoire individuelle et recouvre des différences importantes de structure démographique des familles.
III – Les enfants de famille monoparentale
32Selon le dernier recensement, 15 % des enfants de moins de 25 ans restés au domicile parental vivent avec un seul de leurs parents, contre 11 % en 1990. Cette proportion augmente avec l’âge des enfants : 9 % des enfants de moins de 3 ans vivent avec un seul parent mais 16 % des 12-17 ans et 19 % des jeunes de 18 ans ou plus (tableau 10).
Évolution du nombre et de la proportion d’enfants vivant dans des familles monoparentales
Évolution du nombre et de la proportion d’enfants vivant dans des familles monoparentales
33D’après le recensement de 1999, seulement 14 % des enfants des familles monoparentales vivent avec leur père. Cette proportion croît avec l’âge : de 9 % des moins de 3 ans à 18 % des 18-24 ans. De plus, sauf pour les plus jeunes, les garçons sont un peu plus fréquemment confiés à la seule garde de leur père que les filles : ainsi, 13 % des filles de 12 à 17 ans qui vivent dans une famille monoparentale vivent avec leur père contre 16 % des garçons du même âge.
34Les familles monoparentales comportent en moyenne moins d’enfants que les familles avec deux parents et la majorité ne comptent qu’un seul enfant : c’est le cas de 53 % des familles où le parent est une femme et 61 % de celles où c’est un homme (tableau 11). Pour une part, cela reflète une différence de fécondité consécutive à l’existence d’une rupture : les parents isolés ont eu en moyenne moins d’enfants que les femmes en couple alors qu’ils sont en moyenne plus âgés. Mais cela s’explique aussi en grande partie par le fait que les parents vivent plus fréquemment avec une partie seulement des enfants qu’ils ont eus. Ainsi, 48 % des hommes qui élèvent seuls leurs enfants ne vivent pas avec l’ensemble des enfants qu’ils ont eus, contre 26 % des femmes seules et 22 % des femmes qui vivent en couple. En effet, les parents comme les enfants qui vivent au sein d’une famille monoparentale sont plus âgés en moyenne que ceux qui vivent au sein d’un couple, et les enfants ont donc plus souvent quitté le domicile parental. En outre, il semble assez fréquent qu’une partie seulement des enfants soient confiés à la garde paternelle, même lorsqu’ils sont jeunes.
Nombre d’enfants nés et adoptés comparé à celui des enfants présents au sein du ménage (répartitions en %)
Nombre d’enfants nés et adoptés comparé à celui des enfants présents au sein du ménage (répartitions en %)
35L’ancienneté de la vie en famille monoparentale est un peu plus faible pour les enfants (5 ans et 8 mois en moyenne) que pour leurs parents, pour deux raisons essentielles : en premier lieu, dans le cas où le parent n’a jamais vécu en couple, certains enfants peuvent être nés après la constitution de la famille monoparentale; en second lieu, les familles constituées par décès ou rupture comprennent plus d’enfants et se sont formées plus récemment en moyenne [6].
36Si l’on ne tient pas compte des 12 % d’enfants pour lesquels on ne dispose pas d’informations suffisantes, la plupart des enfants ont d’abord vécu avec leurs deux parents (tableau 12) : seuls 12 % sont nés en dehors de toute union déclarée par le parent. Plus l’enfant est jeune, plus la probabilité que ses parents n’aient jamais vécu en couple est importante, et cela concerne notamment 38 % des enfants âgés de moins de 3 ans. La proportion d’enfants qui vivent au sein d’une famille constituée par rupture d’une union libre diminue lorsque l’âge des enfants augmente, tandis que divorce et décès deviennent des causes de plus en plus fréquentes lorsque les enfants sont plus âgés.
Répartition des enfants de moins de 25 ans selon le mode de constitution de la famille monoparentale (en %)
Répartition des enfants de moins de 25 ans selon le mode de constitution de la famille monoparentale (en %)
37Lorsque la famille monoparentale s’est constituée par séparation d’un couple ou décès du conjoint, 9 enfants sur 10 ont pu être attribués, du fait de leur date de naissance, à une des unions déclarées par le parent. Cela permet de calculer leur âge au moment de la séparation ou du décès et le nombre d’années écoulées depuis qu’ils vivent dans une famille monoparentale : en moyenne, un enfant qui vit avec son père a vécu pendant 10 ans avec ses deux parents et depuis 5 ans avec son seul père (tableau 13). Pour un enfant qui vit avec sa mère, la durée de vie en famille monoparentale est la même mais il était souvent plus jeune au moment de la séparation et n’a vécu que 7 ans et demi en moyenne avec ses deux parents. Ce sont les enfants dont un des parents est décédé ou dont les parents sont séparés sans avoir divorcé qui ont vécu le plus longtemps avec les deux. Au contraire, les enfants issus d’une union libre ou dont les parents avaient refait leur vie après la séparation ont vécu moins longtemps avec leurs deux parents : 6 ans environ en moyenne s’ils vivent avec leur père, 4 ans et demi s’ils vivent avec leur mère. Les enfants dont les parents sont divorcés ont en moyenne une expérience de vie dans une famille monoparentale plus longue au moment de l’enquête, soit environ 6 ans et demi. Cette durée est encore bien plus longue pour les enfants dont les parents n’ont jamais vécu en couple puisque, par définition, ils ont vécu au sein d’une famille monoparentale toute leur vie, et ils sont âgés en moyenne de 9 ans en 1999.
Âge moyen des enfants à la séparation, durée de vie au sein de la famille monoparentale actuelle et âge moyen en 1999 selon le mode de constitution de la famille (en années)
Âge moyen des enfants à la séparation, durée de vie au sein de la famille monoparentale actuelle et âge moyen en 1999 selon le mode de constitution de la famille (en années)
38De plus en plus d’enfants vivent dans une famille monoparentale. Par ailleurs, la proportion observée à un moment donné reflète sans aucun doute le fait qu’une proportion croissante des enfants ont vécu au moins transitoirement au sein d’une famille monoparentale au cours de leur enfance. La question des conditions de vie de ces familles se pose en conséquence avec d’autant plus d’acuité.
IV – Des positions sociales diversifiées
39C’est sous l’angle de la vulnérabilité que sont le plus souvent appréhendées les familles monoparentales. En effet, elles constituent à la fois le type de familles le plus exposé à la pauvreté et une figure importante de la pauvreté féminine (Séchet et al., 2001). En outre, leur position relative s’est particulièrement dégradée durant la décennie 1984-1994 (Herpin et Olier, 1996 et 1997). Sans remettre en cause cette particularité, plusieurs indices indiquent toutefois que la pauvreté ne les affecte pas toutes également.
40Si l’enquête Étude de l’histoire familiale ne fournit aucune information sur les revenus, elle est associée au recensement qui comporte des questions sur l’activité professionnelle, les conditions de logement et l’origine sociale. Ces questions permettent d’évaluer les difficultés auxquelles sont confrontées les familles et notamment si les familles monoparentales connaissent toutes les mêmes difficultés, de façon plus marquée que les personnes qui vivent en couple.
Des parents moins diplômés
41Une analyse des différences entre les familles monoparentales et les couples conduit à des conclusions assez tranchées en ce qui concerne le niveau de diplôme (tableau 14). Les parents isolés sont en moyenne moins diplômés : la proportion de ceux qui n’ont aucun diplôme ou un diplôme inférieur au bac est plus importante au sein des parents isolés qu’au sein des parents qui vivent en couple. Les écarts entre hommes en couple et hommes seuls semblent moins importants qu’entre femmes en couple et femmes seules. Cependant, la prise en compte de l’âge conduit à nuancer cette première conclusion. L’écart de niveau de diplôme est ainsi particulièrement important pour les femmes jeunes : seulement 26 % des femmes seules âgées de moins de 35 ans ont un diplôme égal ou supérieur au bac contre 41 % de celles qui vivent en couple. L’écart est encore plus net pour celles qui ont moins de 30 ans, alors que ces femmes appartiennent à des générations qui ont connu une forte hausse globale du niveau de qualification.
Niveau de diplôme des parents selon leur âge et leur situation familiale (en %)
Niveau de diplôme des parents selon leur âge et leur situation familiale (en %)
42Au contraire, parmi celles qui ont plus de 35 ans, l’écart entre femmes seules ou en couple est très faible. Deux facteurs se conjuguent pour expliquer le moindre niveau de diplôme des plus jeunes. En premier lieu, il est lié à une plus grande fréquence des parcours où la naissance des enfants est intervenue tôt par rapport aux études et à l’activité professionnelle. Les mères seules de moins de 25 ans sont plus nombreuses à n’avoir jamais travaillé que leurs homologues en couple (30 % des femmes sans conjoint, 18 % des femmes en couple). Les mères seules âgées de 25 à 35 ans ont plus fréquemment que les mères en couple terminé leurs études ou commencé à travailler après la naissance de leur premier enfant (15 % des premières contre 9 % des secondes). Leur trajectoire scolaire ou professionnelle a donc été plus souvent interrompue par la naissance de leurs enfants. En second lieu, on sait que l’origine sociale est très fortement corrélée avec le diplôme; or, l’origine sociale des mères isolées est globalement moins favorisée que celle des mères en couple. Toutefois, le différentiel n’est véritablement important que pour les plus jeunes : 66 % des femmes seules de moins de 35 ans déclarent que leur père était employé ou ouvrier, contre 57 % des femmes en couple. Après 35 ans, la seule différence sensible réside dans une plus faible proportion de femmes dont le père était agriculteur parmi celles qui élèvent seules leurs enfants.
Des niveaux d’activité supérieurs mais un taux de chômage très élevé
43Les femmes sans conjoint ont des taux d’activité nettement plus élevés que ceux des femmes en couple : 85 % si on additionne les personnes qui ont un emploi et celles qui en recherchent un contre 74 % pour les femmes en couple (tableau 15). En outre, elles travaillent moins souvent à temps partiel que les femmes en couple (27 % contre 38 %). La raison principalement invoquée pour expliquer cette forte présence sur le marché du travail est la nécessité pour les mères isolées d’assumer la fonction de pourvoyeur de ressources du ménage en l’absence de conjoint à qui ce rôle pourrait être dévolu. Cependant, elles sont confrontées à un chômage élevé (21 % des actives élevant seules leurs enfants en 1999). Quant aux pères isolés, ils sont moins souvent actifs que ceux qui vivent en couple et travaillent un peu plus souvent à temps partiel lorsqu’ils occupent un emploi, ce qui s’explique essentiellement par un âge moyen plus élevé.
Statut d’activité et conditions d’emploi des parents selon l’âge et la situation familiale (en %)
Statut d’activité et conditions d’emploi des parents selon l’âge et la situation familiale (en %)
44Avant 35 ans, la position des femmes seules sur le marché du travail est très défavorable. Elles exercent moins souvent une activité professionnelle et sont beaucoup plus souvent confrontées au chômage ou à un statut d’emploi précaire que les femmes en couple : un tiers d’entre elles sont au chômage et seulement 68 % de celles qui ont un emploi bénéficient d’un contrat à durée indéterminée ou travaillent dans la fonction publique. Cela résulte sans doute en grande partie de leur niveau de diplôme moins élevé.
45La nécessité de travailler pour subvenir aux besoins du ménage se vérifie assez bien pour les mères seules de 35 ans ou plus : elles exercent plus souvent une activité professionnelle que les femmes en couple (69 % contre 65 %) et travaillent plus fréquemment à temps plein (74 % contre 62 %). Cependant, elles sont aussi plus souvent au chômage que les femmes en couple. Si leur position sur le marché du travail est relativement plus favorable que celle des mères isolées les plus jeunes, elle reste en deçà de celle des pères isolés alors qu’elles sont en général le seul pourvoyeur de ressources du ménage.
46Ces résultats montrent que les familles monoparentales sont dans des situations très diverses en termes de niveaux de qualification et de comportements d’activité. Les différenciations mises en évidence à partir du critère de l’âge apparaissent aussi lorsque l’on opère une distinction selon le mode de constitution de la famille, l’état matrimonial légal ou l’âge des enfants. Pourtant, il semble qu’en matière de logement, la situation de parent isolé soit la cause d’un certain nombre de difficultés qui sont cette fois-ci communes à l’ensemble de ces familles : dans ce domaine, l’opposition est très nette entre les familles monoparentales et les couples. En particulier, seulement 30 % des mères seules sont propriétaires de leur logement, contre 65 % des couples (tableau 16). Les hommes seuls sont dans une situation plus proche des couples que des femmes isolées. Plus souvent locataires, les femmes seules avec leurs enfants sont aussi plus fréquemment logées en HLM. Cela traduit des difficultés de logement et sans doute aussi des politiques d’attribution en faveur des parents isolés. La moindre proportion de propriétaires parmi les femmes seules se vérifie quels que soient l’âge et le nombre d’enfants. Assumer seul(e) des enfants a un impact très net sur la probabilité de devenir propriétaire (ou le rester), mais la trajectoire antérieure du parent est aussi un facteur explicatif important. Ainsi, les veuves sont plus souvent propriétaires (55 % d’entre elles), de même que les femmes qui n’ont pas déménagé au moment de la rupture ou après (50 %). Les hommes ont plus souvent fait l’expérience de la rupture à un âge plus élevé et sont plus souvent veufs. Ils ont donc conservé plus fréquemment un logement dont ils étaient déjà propriétaires : la moitié d’entre eux n’ont pas déménagé depuis qu’ils sont seuls avec leurs enfants, alors que ce n’est le cas que de 28 % des femmes seules. Cependant, même dans les situations les plus favorables, les familles monoparentales sont plus souvent locataires que les couples ayant des enfants. Le statut d’activité n’a une influence déterminante ni sur le statut d’occupation ni sur la probabilité d’occuper un logement HLM : seulement 35 % des femmes actives occupées sont propriétaires et 58 % de celles qui sont locataires occupent un logement appartenant à un organisme HLM. Il semble donc s’agir d’une difficulté structurelle alors que la possession d’une voiture est, par exemple, plus fortement liée à l’activité professionnelle : 81 % des femmes seules qui ont un emploi disposent d’une voiture, contre 52 % de celles qui n’occupent pas d’emploi. Enfin, L. Olier et N. Herpin ont souligné, à partir de l’enquête Budget de famille de 1994-1995, que le logement représentait un poste de dépense plus important dans le budget des familles monoparentales. Ces difficultés particulières semblent être une caractéristique partagée des familles monoparentales.
Statut d’occupation du logement et taux d’équipement automobile selon le type de famille (en %)
Statut d’occupation du logement et taux d’équipement automobile selon le type de famille (en %)
47* * *
48Si les familles monoparentales sont de plus en plus nombreuses, elles n’en constituent pas pour autant un groupe statistique aux contours très nets ni a fortiori une catégorie sociale clairement identifiée. L’absence d’un second parent est assimilée à l’absence de conjoint partageant le logement et cela suppose de nombreuses approximations : un conjoint n’est pas forcément parent, un conjoint ou un parent ne partagent pas forcément le même logement. Enfin, dans le cas des parents qui vivent avec d’autres adultes et notamment ceux qui sont hébergés par leurs ascendants, le partage du même logement n’indique pas la place des adultes par rapport aux enfants présents dans le ménage.
49De surcroît, le premier aperçu des caractéristiques des familles monoparentales présenté ici tend essentiellement à montrer qu’elles sont loin de constituer un groupe homogène. Tout d’abord, les parents ont connu des histoires différentes : si une part croissante de ces familles sont issues de la rupture d’une union, les écarts restent grands entre les parents qui ont été mariés puis ont divorcé et ceux qui ont vécu en union libre. Plus éloignés encore sont, d’un côté, les parents qui n’ont jamais vécu en couple, souvent jeunes et, de l’autre, ceux qui sont veufs, plus âgés et ont fréquemment de grands enfants. Ces différences ont un rôle très important dans la manière dont se construit la vulnérabilité des familles monoparentales, plus forte que celle des familles composées d’un couple : leurs positions sur le marché du travail dépendent très fortement de leur âge et des autres caractéristiques qui lui sont étroitement associées. Hormis ce qui concerne les conditions de logement, parmi les parents de famille monoparentale, tout semble opposer les mères les plus jeunes aux pères ou aux mères plus âgées. Les premières sont moins diplômées que les mères en couple appartenant aux mêmes générations, sont moins souvent actives et confrontées à un chômage élevé. Au contraire, les mères isolées âgées de plus de 35 ans sont, comparées aux mères en couple du même âge, dans une situation relativement plus favorable. Une analyse plus approfondie des ressources montrerait sans doute l’importance des politiques d’attribution des différentes aides sociales, mais aussi des réseaux familiaux, des relations avec l’ancien conjoint ou des équipements collectifs disponibles dans l’appréciation des conditions de vie de ces familles. L’analyse géographique de la pauvreté des familles monoparentales met ainsi en évidence « le rôle des contingences spatiales comme facteur de diversité des formes de pauvreté » : dans certaines zones d’emploi, « le cumul des vulnérabilités aboutit à des niveaux élevés de pauvreté », dans d’autres, la pauvreté est moindre ou, du moins, « les caractéristiques des familles monoparentales sont assez proches des moyennes » (Séchet et al., 2001).
50Si parler des familles monoparentales en général permet d’appréhender une des évolutions récentes majeures des structures familiales, cela contribue néanmoins à minorer les différences très importantes qui peuvent exister entre ces familles. Réintroduire des différenciations, telles que l’âge ou le statut matrimonial, permet de mettre en évidence des situations très contrastées.
RÉFÉRENCES
- Cassan F., Mazuy M., Clanché F., 2001, « Refaire sa vie de couple est plus fréquent pour les hommes », Insee Première, n° 797.
- Chambaz C., 2000, « Les familles monoparentales en Europe, des réalités multiples », Études et résultats, n° 66.
- Cristofari M.-F., Labarthe G., 2001, « Des ménages de plus en plus petits », Insee Première, n° 789.
- Herpin N., Olier L., 1996, « Pauvreté des familles, pauvreté des enfants », Insee Première, n° 499.
- Herpin N., Olier L., 1997, « Les familles monoparentales, aidées mais fragilisées », dans France Portrait Social 1997-1998, Paris, Insee, p. 85-99.
- Insee, 1994, Les familles monoparentales (Coll. Contours et caractères), 144 p.
- Lefaucheur N., 1985, « Familles monoparentales, les mots pour le dire », dans F. Baileau, N. Lefaucheur, V. Peyre (dir.), Lectures sociologiques du travail social, Criv, Les Éditions ouvrières (Coll. Politiques sociales), p. 204-217.
- Martin-Papineau N., 2000, « Du social au politique », Informations sociales, n° 81, p. 42-53.
- Mazuy M., Toulemon L., 2001, Étude de l’histoire familiale, premiers résultats de l’enquête en ménages (Coll. Dossiers et recherches, n° 93), Ined, 83 p.
- Séchet R., David O., Quintin O., 2001, « Familles monoparentales et pauvreté », Les travaux de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale, 2001-2002, La Documentation française, p. 71-82.
- Villeneuve-Gokalp C., 1999, « La double famille des enfants de parents séparés », Population, 54(1), p. 9-35.
Notes
-
[*]
Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), Paris.
-
[1]
Pour le bilan des évolutions jusqu’au recensement de 1990, voir Insee, 1994.
-
[2]
Jusqu’au recensement de 1982, seules les familles avec enfants de moins de 25 ans étaient prises en compte dans les familles monoparentales. Cela permet d’exclure certaines situations : par exemple, une mère active de 55 ans qui vit avec sa fille active de 35 ans serait considérée comme une famille monoparentale avec la mère comme personne de référence s’il n’y avait pas de limite d’âge.
-
[3]
Cette reconstitution n’a pu être réalisée que pour les personnes pour lesquelles suffisamment d’informations, notamment sur les épisodes de vie en couple, étaient disponibles (soit 88 % des enquêtés). Dans l’enquête EHF, les personnes interrogées doivent renseigner pour leur première et leur dernière union : la date de mise en couple, la date éventuelle de mariage, les dates éventuelles de séparation, de divorce ou de décès du conjoint. Lorsque les renseignements fournis sont complets, les durées sont comptabilisées à partir de la date de mise en couple et de celle de la séparation ou du décès. À défaut d’indication sur la date de mise en couple, c’est la date de mariage qui est retenue. De même, pour la fin de l’union, la date de divorce remplace éventuellement la date de séparation.
-
[4]
Ces différentes situations, qui recoupent en partie les statuts matrimoniaux, peuvent être repérées dans l’enquête Étude de l’histoire familiale, puisque l’on dispose de la chronique du dernier épisode de vie en couple et des dates de naissance des enfants.
-
[5]
De plus, du fait de la définition retenue, dès que tous les enfants ont atteint 25 ans, la famille n’est plus ici considérée comme famille monoparentale même si les enfants restent au domicile parental.
-
[6]
Enfin, seuls les enfants de moins de 25 ans sont pris en compte alors que l’aîné de plus de 25 ans a peut-être vécu plus longtemps en famille monoparentale, notamment dans les cas les plus complexes où les enfants ne sont pas tous issus de la même union.