Couverture de POPU_203

Article de revue

Analyses

Pages 583 à 592

Attané Isabelle, Courbage Youssef, La démographie en Méditerranée : situation et projection (Coll. Les Fascicules du plan Bleu, n° 11), diffusion Economica, 2001, 249 p.

1L’ambition de l’ouvrage est « de fournir les informations démographiques fiables qui sont indispensables à toute étude thématique ou pluridisciplinaire des rapports entre environnement, société et développement dans la région ». D’une manière plus précise, sans vouloir entrer dans les débats politiques et de société que posent les problèmes démographiques aux pays du Nord de la Méditerranée, les auteurs ambitionnent d’apporter un éclairage sur les risques de bouleversement des équilibres sociaux et culturels que pourraient induire, dans le Nord de la Méditerranée, les flux migratoires en provenance du Sud et de l’Est.

2Dans ce sens, les auteurs ont mis à jour la base de données démographiques en utilisant des sources nationales et celles de la Division de la population des Nations unies ; ils ont aussi réalisé de nouvelles projections de population pour les 25 prochaines années. Globalement, en 2025, la population des pays riverains de la Méditerranée sera supérieure à un demi-milliard d’habitants, ce qui représente cent millions d’habitants supplémentaires. « L’inquiétude » provient des différentiels de croissance entre les pays des deux rives de la Méditerranée. « L’optimisme » se nourrit du constat d’un ralentissement de la croissance démographique des pays du Sud consécutif à une baisse plus rapide qu’envisagée de la fécondité, qui pourrait les ramener dans les prochaines années à des taux de fécondité proches de ceux enregistrés dans les pays du Sud de l’Europe. Mais l’essentiel de la croissance démographique dans le bassin Méditerranéen serait, dans ce prochain quart de siècle, le fait des pays de la rive Sud.

3Les projections des Nations unies, comparativement à celles présentées dans l’ouvrage, pécheraient par une surestimation de la croissance au Sud et une sous-estimation de celle des pays de la rive Nord. Les auteurs fondent sans doute leur jugement sur les projections antérieures des Nations unies qui ont toujours abouti à une surestimation de la croissance démographique des pays du Sud. Les projections concluent à des changements des structures par âge des populations des deux rives qui « connaîtront un vieillissement rapide » peut-être plus rapide que prévu. L’une des conséquences les plus importantes se situerait au niveau du marché de l’emploi, qui commencerait à être déficitaire sur la rive Nord dès la prochaine décennie, avec quelques différences notables entre les pays : la situation de la France serait moins critique que celle de l’Italie par exemple. La réponse à ce déficit de main-d’œuvre dépend plus du facteur politique que de la démographie. L’immigration a été la solution adoptée dans les années cinquante du siècle passé ; mais les auteurs mettent l’accent sur les autres solutions possibles (accroissement de la productivité du travail, allongement de la durée du travail par le recul de l’âge à la retraite, travail féminin plus fréquent).

4L’autre caractéristique importante sera l’augmentation de la population urbaine sur le pourtour méditerranéen, plus particulièrement sur la rive Sud, accroissant la pression sur le système écologique de la région. Selon les auteurs, c’est là « que réside l’enjeu majeur pour le développement durable de la région méditerranéenne tout entière, en termes d’aménagements, d’infrastructures, de développement économique et humain ainsi que d’impacts sur l’environnement et les ressources naturelles ».

5La seconde partie de l’ouvrage est consacrée à l’analyse des situations particulières des différents pays et la troisième est constituée par les données chiffrées pays par pays. Si l’on peut mettre en évidence des tendances dominantes sur la rive Nord (faible fécondité, forte proportion de personnes âgées, marché du travail déficitaire à terme) et sur la rive Sud (fécondité au-dessus ou à la limite du seuil de remplacement, proportion de personnes âgées inférieure à 10 %, potentiel migratoire relativement important), il existe au Nord comme au Sud une diversité des situations nationales. Les auteurs notent que les particularités historiques et les différences dans les politiques postérieures aux indépendances ne sont pas sans conséquence sur les différentiels démographiques observés. Ils montrent bien que « la dynamique du nombre et des mouvements des individus, notamment à l’intérieur de chaque pays, y constitue un facteur primordial de changement, y compris au plan de l’environnement ». Ils insistent sur l’importance des phénomènes démographiques et la complexité des rapports qu’ils entretiennent avec l’aménagement du territoire et les problèmes d’environnement et de développement, dans le système constitué par cet ensemble méditerranéen.

6Kamel Kateb

Bessin Marc (sous la dir. de), Autopsie du service militaire 1965-2001, Paris, Éditions Autrement (Coll. Mémoires n° 76), 2002, 210 p.

7L’ouvrage dresse, pris de divers angles, le portrait d’une institution aujourd’hui disparue, le service militaire, et ce dans sa période de déclin : 1965-2001.

8Le maître d’œuvre et principal contributeur de cette publication, Marc Bessin, expose les principes qui y ont présidé. Dès lors que l’expérience des appelés – « élément central dans la construction des identités masculines » – constitue un miroir des changements sociaux et que le service militaire implique également l’entourage des recrues, l’ouvrage se veut une « autopsie » de « l’institution service militaire », une analyse abordée par le biais de l’expérience ordinaire des soldats du contingent, privilégiant les documents et les récits biographiques, à laquelle s’ajoutent une étude sociologique, une approche anthropologique, une rétrospective historique, enfin des fictions littéraires, illustrations plus qu’ornements.

9C’est au moment de la guerre d’Algérie que la conscription entame son déclin. Le service passe à seize mois en 1963, et à douze en 1970. En 1966, le conseil de révision disparaît, remplacé par les « trois jours ». Après 1968 se mêlent contestation et adaptation passive. La massification scolaire et l’élévation du niveau culturel changent fondamentalement la situation au sein des casernes. Cette nouvelle situation alimente une rhétorique antimilitariste récurrente, à la fois externe et interne. La crise des années 1980 offre, pour ainsi dire, un sursis au service : l’armée est impliquée dans la lutte contre le chômage, et les formes civiles du service national se multiplient.

10L’approche anthropologique, due à Michel Auvray et à Michel Bozon, renseigne sur le processus de mythification du service militaire. L’institution consacre traditionnellement l’égalité républicaine, la maturité, la virilité, le brassage social, la grandeur du devoir commun. Les vertus dont elle est parée en font un objet de culte, un devoir sacré et un dogme politique. Donc, selon Daniel Pennac, un tabou qui a fortement marqué l’imaginaire collectif, voire un ensemble de rites initiatiques dont la caserne est le temple. Le conseil de révision faisait figure de rituel de passage : l’ancien n’a plus à exécuter des tâches méprisées, il acquiert une distance à l’égard du règlement sans jamais devenir antimilitariste. Il y a de même une pratique quasi magique du décompte des jours. Puis, le déclin s’amorçant, la fonction rituelle du service devient une coquille vide, en même temps que le passage à l’âge adulte entre en crise. Le timide retour du « cinéma de bidasses », illustrant ces mythes dans les années 1970, demeure un phénomène marginal.

11L’approche sociologique traite d’abord, par la plume de Marc Bessin, du couple mis à l’épreuve de la caserne. Illustrée par la correspondance amoureuse entre un appelé et son amie, cette vie de séparation oscille entre renforcement de la complicité et menace de rupture. Par ailleurs, l’attitude de groupe machiste et le plus souvent misogyne des recrues a pour fonction de se protéger de l’intrusion des femmes, qui mettent à nu la frustration de leur vie recluse et ennuyeuse. M. Bessin révèle les enjeux de ce retour éphémère qu’est la permission : le militaire n’en ressent que plus durement la séparation.

12C’est ensuite à la monotonie, à l’ennui du quotidien de la caserne – l’absurde y côtoie le pittoresque – que nous fait assister le journal d’appelé reproduit dans l’ouvrage. Le soldat doit être constamment disponible, et le temps du service interdit de se consacrer à autre chose qu’à ce qui est presque toujours perçu comme routine. L’étalement de l’âge de l’incorporation amplifie les fortes différenciations sociales, particulièrement visibles dans la structuration du contingent en fonction de la période à laquelle s’effectuent les départs.

13C’est enfin une sociologie de la chambrée, due à Gwenaël Larmet, avec ses règles de hiérarchisation et de sociabilité, société agonistique entraînant une morale relâchée. La chambrée est, comme le reste, soumise aux impératifs de l’ordre militaire. Il faut se plier à l’autorité par une double opération : régression au stade infantile et valorisation de soi. Le génie de l’institution consiste à résoudre cette double contrainte en suscitant la valorisation de soi de la capacité du sujet à obéir.

14Trois contributions d’Anne-Marie Devreux introduisent une approche selon le genre. D’abord, les propos d’une volontaire du service féminin pour qui, entre autres, la comparaison ne se fait pas entre filles et garçons mais entre volontaires et engagés d’une part, et appelés non volontaires, de l’autre. Ensuite, une étude de l’apprentissage, dès l’armée, des rôles sexués tenus dans la future vie civile. L’armée appuie la diffusion de ses normes sur la division sexuelle du travail et des rôles qui a cours dans le reste de la société ; elle participe ainsi à la reproduction de cette division sexuelle. A.-M. Devreux consacre une dernière étude aux volontaires du service long ; ils sont issus de familles plus nombreuses et souvent éclatées. Leur parcours antérieur est souvent une succession d’échecs. Il s’agit donc, en règle générale, de retarder le retour à la vie civile.

15La section suivante décrit, à travers deux nouvelles, un récit d’expérience et trois études, l’évolution sociopolitique de la contestation menée en dehors – la grève lycéenne contre la loi Debré – et au sein de l’armée : les comités de soldats. Ces conflits expriment une remise en question des institutions autoritaires. Par exemple, dans la seconde moitié des années 1970, tous les comités sans exception étaient initiés par des militants politiques et une partie en était composée exclusivement, la principale organisation politique étant la Ligue communiste révolutionnaire. Le souci n’était alors pas tant de réformer l’armée que de préparer la révolution et de développer la lutte des classes. Pour ce qui est de l’expérience, parfois douloureuse, du réfractaire, il est clair qu’il ne s’agit plus d’être contre mais « à côté ».

16En dépit de l’universalité de l’appel, l’inégalité sociale demeure sous les drapeaux. Par exemple, au début des années 1980, l’armée semble douter de l’intégration des recrues d’origine maghrébine et hésite à les incorporer : ils sont souvent perçus comme des « fils du FLN ». Appartenant à une catégorie stigmatisée, les fils d’immigrés apparaissent et apparaîtront comme des « jeunes à problèmes ». Le service pouvait toutefois être l’occasion du dépistage, du rattrapage et de la formation des illettrés : beaucoup d’appelés insistent sur le fait qu’ils ont découvert au service l’existence de l’illettrisme ou du handicap mental. Ces arguments pour défendre la conscription se sont renforcés avec la généralisation du chômage. En fait, selon M. Bessin, l’armée est toujours restée inadaptée pour appréhender les publics fragiles.

17C’est paradoxalement la richesse louable de cet ouvrage et son aspect absolument pluridisciplinaire qui en rendent parfois la lecture d’ensemble malaisée : comment rattacher tous ces fils ? Qu’est-ce qui ferait, en définitive, l’unité de cette expérience particulière que fut le service militaire ? Une véritable phénoménologie de ce que les auteurs n’hésitent pas à nommer une « institution » est entreprise ici, qui aurait gagné à trouver sa conclusion sous forme d’une synthèse, pour laquelle un regard philosophique aurait peut-être été bienvenu. Telle quelle cependant, cette recension apporte beaucoup aux lecteurs qui voudront, à titres divers, reconstituer leur propre image de cette autopsie du mythique cadavre du service militaire.

18Jean-Marc Rohrbasser

Hamdouch B. et al., Les Marocains résidant à l’étranger, une enquête socio-économique, Rabat, INSEA avec le soutien du FNUAP, 2000, 247 p.

19Cet ouvrage publie les résultats d’une enquête relative à la population marocaine résidente à l’étranger. L’enquête a porté aussi bien sur la description plus précise du processus migratoire, de son évolution et des caractéristiques socio-économiques des migrants que sur le degré de leur intégration dans les pays d’accueil, des relations qu’ils entretiennent avec le Maroc, du niveau des transferts de revenu qu’ils effectuent et de leur projet d’installation dans le pays d’accueil ou de retour. L’enquête est originale à plus d’un titre. Elle a la particularité d’avoir été effectuée sur les ferry-boats reliant Tanger au Maroc à Algesiras en Espagne et a concerné 1239 émigrants (chefs de ménage) retournant au Maroc pendant leur période de congé durant l’été 1998. Les statisticiens de l’INSEA ont conclu à une bonne représentativité de l’échantillon ainsi obtenu avec une marge d’erreur d’observation inférieure à 10 %. Cependant, il est évident que les migrants en situation irrégulière (en Espagne ou en Italie) ne sont pas compris dans les flots de ces vacanciers ; ils peuvent éventuellement présenter des caractéristiques socio-économiques sensiblement différentes de celles des enquêtés.

20Les résultats de l’enquête confirment un certain nombre de conclusions sur les processus migratoires à partir du Maghreb.

21Pour le pays de départ, la migration concerne actuellement toutes les provinces marocaines et ne se limite plus aux vieux foyers migratoires du Sud et du Nord-Est du Maroc.

22Pour les pays d’arrivée, une diversification a lieu, principalement à l’intérieur de l’espace européen ; 54 % des émigrés marocains résident en France, 19 % en Italie et 11 % en Espagne, 7 % en Belgique, 5 % en Hollande, etc. Une proportion non négligeable (plus de 25 %) des émigrés installés en Italie, Belgique, Hollande et Angleterre y ont immigré après une première migration dans un autre pays (la France la plupart du temps).

23L’enquête fournit des informations précieuses sur la migration, ses causes et les caractéristiques des migrants. Ainsi, plus de 2 migrants sur 3 évoquent des causes économiques à l’origine de leur migration mais moins de 1 sur 3, parmi ces migrants économiques, était à la recherche d’un emploi (au chômage). Les autres étaient à la recherche d’un travail plus lucratif ou de meilleures conditions de vie. Le candidat à l’émigration était en général un jeune et de surcroît célibataire ; 3 migrants sur 5 ont émigré alors qu’ils avaient entre 20 et 29 ans. Les migrants analphabètes des premières décennies qui ont suivi l’indépendance du Maroc laissent place aujourd’hui à des migrants qui ont terminé leurs études secondaires (44 %) ou supérieures (16 %). Ils sont 28 % à avoir acquis une formation professionnelle ou technique. Plus de 1 Marocain sur 3 résidant à l’étranger travaille dans les industries de transformation et 13 % dans le BTP ; ils sont moins de 10 % à travailler dans l’agriculture.

24L’enquête ne se limite pas aux seuls aspects quantitatifs, un certain nombre de questions portant sur les projets d’avenir des migrants aussi bien dans le pays d’accueil que dans le pays d’origine. Pour ce qui est des pays d’accueil, les interrogations portent sur le sentiment d’intégration des migrants, sur les discriminations possibles avec des discussions à partir de questions ouvertes sur les notions de citoyenneté, de nationalité mais aussi de possible participation à la vie politique à l’échelle locale ou nationale. Au Maroc, les interrogations ont porté sur les relations avec les organismes marocains (banques, consulat, douanes, collectivités locales), le projet éventuel d’un retour définitif, et l’attitude vis-à-vis des partis politiques d’opposition. Il apparaît que dans tous les cas de figure la durée de la migration et le niveau d’instruction sont des facteurs de différenciation fondamentale.

25Les auteurs apportent un certain nombre de conclusions qui mettent l’accent sur les changements dans les profils migratoires ; ils estiment que la migration opère de plus en plus une « sélection en faveur des travailleurs qualifiés et des cadres de l’industrie et des services ». Mais, d’un autre côté, la migration se traduit par une amélioration des qualifications professionnelles, tout en ayant peu d’effet sur le niveau d’instruction, et transforme des paysans en ouvriers de l’industrie et des travailleurs indépendants en salariés.

26Ils estiment aussi que la volonté d’intégration dans les pays d’accueil (relativement forte chez les enquêtés), exprimée à travers leur désir de participation à la vie politique et de naturalisation, n’exclut pas la perspective d’un retour définitif au Maroc (retraite, conditions d’investissement favorables). Le niveau élevé et la fréquence des transferts ainsi que le nombre de voyages effectués au Maroc semblent aller dans le sens de la thèse précédente, mais cet optimisme devrait probablement être tempéré si l’on tient compte de la proportion des enfants qui souhaitent l’installation définitive dans les pays d’accueil (près de 2 sur 3).

27Cet ouvrage, par la richesse des informations qu’il donne et la diversité des thématiques abordées, ne manque pas d’intérêt pour l’ensemble de ceux qui s’intéressent aux phénomènes migratoires.

28Kamel Kateb

OMS, Le point sur l’épidémie de Sida : décembre 2001 (programme conjoint des Nations unies sur le VIH/Sida), ONUSIDA/01.75F–WHO/CDS/NCS/2001.2, 2001, 29 p.

29Plus de vingt ans après le début de l’épidémie, le Sida est devenu la maladie la plus dévastatrice au monde avec plus de 60 millions de personnes infectées depuis le début de l’épidémie (autant que la population de la France !). Un des aspects dramatiques de l’épidémie est qu’elle touche majoritairement les jeunes : un tiers environ des personnes vivant avec le VIH/Sida aujourd’hui ont entre 15 et 24 ans. Enfin, du fait de sa longue latence clinique, la grande majorité des personnes vivant avec le VIH/Sida ignorent qu’elles sont infectées.

30Tous les ans, à l’occasion de la journée mondiale du Sida, le 1er décembre, l’Onusida publie un rapport sur la situation de l’épidémie dans le monde. En décembre 2001, les chiffres officiels faisaient état de 40 millions de personnes vivant avec le VIH/Sida dans le monde dont 37,2 millions d’adultes (47,3 % de femmes) et 2,7 millions d’enfants de moins de 15 ans. Cinq millions de nouvelles infections étaient survenues en 2001, dont 4,3 millions chez des adultes et 800 000 chez des enfants. Enfin, le Sida avait été la cause de 3 millions de décès en 2001, dont 2,4 millions chez les adultes et 580 000 chez les enfants.

31Ces chiffres ne traduisent cependant pas l’hétérogénéité de l’épidémie et l’Onusida distingue 6 grandes régions pour l’épidémie :

  • l’Europe orientale et l’Asie centrale où, malgré un nombre encore limité de personnes vivant avec le VIH/Sida (1 million), la croissance de l’épidémie était la plus rapide au monde, avec plus de 250 000 nouvelles infections en 2001, en particulier dans la Fédération de Russie. Du fait des très forts taux d’utilisation de drogues injectables et du niveau élevé d’infections sexuellement transmissibles, le potentiel d’explosion de l’épidémie y est majeur ;
  • l’Asie et le Pacifique où l’on estime à 7,1 millions le nombre de personnes vivant avec le VIH/Sida. Malgré des taux de prévalence nationaux encore assez bas dans les pays les plus peuplés du monde comme l’Inde et la Chine, l’existence d’infections localisées constitue une menace grave d’épidémie majeure et généralisée. Néanmoins, l’exemple de la Thaïlande où l’épidémie avait explosé au début des années 1990 montre que grâce à des programmes multisectoriels de lutte contre le Sida, dans lesquels interviennent tous les ministères, les organisations non gouvernementales, ainsi que divers donateurs et entreprises privés, l’épidémie peut être tenue en échec ;
  • l’Afrique sub-saharienne est la région du monde la plus touchée avec 28,1 millions de personnes vivant avec le VIH/Sida aujourd’hui. On a assisté ces dernières années à une explosion dramatique de l’épidémie en Afrique australe avec des taux de prévalence dépassant 20 % chez les femmes enceintes, alors qu’ils étaient de moins de 1 % en 1990. Dans 5 pays d’Afrique de l’Ouest, le Burkina-Faso, le Cameroun, la Côte d’Ivoire et le Nigeria, les taux de prévalence chez les adultes sont supérieurs à 5 %. Néanmoins, l’exemple de l’Ouganda montre qu’il est possible de mettre un frein à l’épidémie : en zone urbaine, les prévalences du VIH chez les femmes enceintes y étaient de 29,5 % en 1992, et sont en baisse régulière depuis lors, pour atteindre 11,2 % en 2000 ;
  • au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, les prévalences nationales restent basses, avec cependant un total de 440 000 personnes vivant avec le VIH/ Sida. C’est à Djibouti, en Somalie et au Soudan que la progression de l’épidémie est la plus marquée ;
  • dans les pays développés, 75 000 personnes ont été infectées en 2001, ce qui porte à 1,5 million le nombre total de personnes vivant avec le VIH/Sida. Les progrès récents en termes de traitement et de prise en charge des malades atteints de Sida ont abouti à un recul marqué de la mortalité par Sida. Néanmoins, un certain relâchement des comportements de prévention fait craindre une recrudescence de l’épidémie ;
  • en Amérique latine et aux Caraïbes, le nombre de personnes vivant avec le VIH/Sida est estimé à 1,8 million. Aux Caraïbes, des prévalences de l’ordre de 2 % sont observées chez les adultes. En revanche, dans la plupart des pays d’Amérique du Sud et d’Amérique latine, les taux de prévalence bas masquent de petites épidémies très préoccupantes dans certains groupes particuliers de la population.
Les conséquences démographiques de l’épidémie sont dramatiques, avec un grave recul de l’espérance de vie dans certains pays : de 63 ans en 1987 à 37 ans en 2002 au Botswana ; de 60 ans en 1992 à 47 ans en 2003 en Afrique du Sud ; de 59 ans en 1983 à 43 ans en 1998 au Zimbabwe. L’impact économique et social du Sida est également majeur dans des pays déjà très affectés par la pauvreté. Les revenus des ménages sont sévèrement réduits par les frais occasionnés par la maladie, les funérailles, ou la perte d’un soutien économique. De leur côté, les entreprises sont confrontées à des coûts accrus liés aux besoins de formation, à l’absentéisme et aux congés de maladie. La production agricole est réduite du fait de la perte massive des travailleurs agricoles (7 millions de décès liés au Sida depuis 1985 d’après la FAO), et le risque de pénurie alimentaire est réel. Les enfants sont retirés de l’école pour prendre soin des malades ou pour rejoindre le marché du travail et compenser la perte des revenus. Enfin, l’épidémie déstabilise les structures existantes : les systèmes de santé, submergés par les malades du Sida, souffrent d’une pénurie cruelle de personnel, lui-même décimé par la maladie. Il en est de même du système éducatif qui compte un nombre considérable de décès par Sida parmi les enseignants et les étudiants.

32Que faire face à cette épidémie dramatique ? Des efforts plus importants et plus efficaces en matière de prévention, de traitement et de prise en charge doivent être déployés. Lors de la session extraordinaire de l’assemblée générale des Nations unies sur le VIH/Sida en juin 2001, un cadre de responsabilité nationale et internationale dans la lutte contre l’épidémie a été mis en place, avec un engagement de chaque gouvernement atteindre des objectifs de base concernant la prévention, la prise en charge, le soutien et le traitement, ainsi que l’atténuation de l’impact du Sida. Un fonds mondial pour le Sida, la tuberculose et le paludisme a été créé.

33Les antirétroviraux ont radicalement transformé la maladie et donc la vie des personnes infectées par le VIH dans les pays développés. Pour que ces traitements soient accessibles dans un proche avenir dans les pays qui en ont le plus besoin, il est nécessaire que parallèlement à la baisse de leur prix, il y ait un soutien international massif permettant le renforcement des systèmes de santé existants.

34Sophie Le Cœur

Piketty Thomas, Les hauts revenus en France au XXe siècle : inégalités et redistributions, 1901-1998, Paris, Éditions Grasset, 2001, 807 p.

35L’ouvrage de Thomas Piketty retrace l’histoire des inégalités de revenus en France au cours du XXe siècle. Comment ont évolué les inégalités de salaires et de patrimoines et pourquoi ? Les deux principales originalités de l’approche tiennent à l’utilisation d’une source jusque-là quasiment inexploitée – les fichiers fiscaux des déclarations de revenus – et d’un outil d’analyse particulier – « la lorgnette » des hauts revenus.

36L’ouvrage est constitué de trois parties. La première présente l’évolution générale des inégalités de revenus du capital et du travail au cours du siècle. La deuxième partie est consacrée à l’étude de l’impôt progressif, sa mise en place et son impact sur les hauts revenus. La dernière partie reprend l’ensemble des conclusions et essaie de situer la France dans le contexte international.

37L’auteur ne manque pas, dans un premier temps, d’exposer avantages et inconvénients d’une telle source, permettant d’avoir des séries longues de données temporelles mais aussi fortement dépendante de la définition du foyer fiscal (figure abstraite entre le ménage et l’individu). Quant à l’approche par les hauts revenus, elle permet de déconstruire des clichés comme la « classe moyenne » et les « 200 familles ». T. Piketty choisit de hiérarchiser les revenus et de porter son attention sur le décile supérieur où l’hétérogénéité des situations est déjà très forte. C’est ainsi que pour faire partie des 10 % des foyers les plus riches, il faut disposer en 1998 de « seulement » 262 000 F par an (21 833 F par mois) mais que pour faire partie du centile supérieur, il faut disposer de 589 000 F et pour faire partie du millième supérieur, de 1,4 million.

38Cet angle d’approche permet à l’auteur de mettre en évidence plusieurs constats. Le décile supérieur, qui détenait 45 % des richesses nationales avant la première guerre mondiale, n’en détient plus que 33 % à la fin des années 1980. Si les inégalités se sont réduites au cours du XXe siècle, ce sont les revenus du capital (et non ceux du travail) qui en sont la cause. Dans la première moitié du siècle, le capital est fortement atteint par l’inflation, la crise de 1929 et les destructions de la guerre. Ensuite, la mise en place du système d’imposition progressif et les taux supérieurs d’imposition sur les successions marqueront véritablement « la fin des rentiers », en évitant que ne se reconstituent les situations qui prévalaient avant la première guerre mondiale.

39Parallèlement, l’auteur montre que, si le pouvoir d’achat a été multiplié par 5, les inégalités de salaires sont restées quasiment inchangées au cours du siècle en dépit de fortes fluctuations : phases de compression (guerres, 1968, 1982-1983) et phases d’élargissement (périodes d’après-guerre et années 1980-1990). La hiérarchie des rémunérations est restée la même. Par exemple, les 10 % les mieux lotis ont toujours disposé d’un salaire moyen de l’ordre de 2,5 à 2,6 fois le salaire moyen de l’ensemble de la population au début et à la fin du siècle, et les 1 % les mieux lotis de 6 à 7 fois ce même salaire moyen. Il explique cette constance par la relative stabilité des écarts de qualification et de formation et l’absence de mouvement politique remettant véritablement en cause cette inégalité de salaires.

40Enfin, l’auteur se risque à comparer la France aux autres pays et montre que les expériences sont globalement similaires, excepté au Royaume-Uni. Les États-Unis sont devenus plus inégalitaires que l’Europe au cours du siècle. En particulier à la fin du siècle, on constate outre-atlantique à la fois une concentration des grandes fortunes et une montée conjoncturelle des inégalités de salaires. Cette tendance devrait-elle aussi toucher la France dans l’avenir ? Les prédictions sont incertaines, même si ce scénario reste possible, et l’histoire montre que de trop fortes inégalités et concentrations du capital peuvent conduire à une forte instabilité et avoir des conséquences négatives en termes d’efficacité économique.

41Anne Solaz

Preston Samuel H., Heuveline Patrick et Guillot Michel, Demography, Measuring and Modeling Population Processes, Oxford, Blackwell, 2001, 291 p.

42Introduction à la démographie, l’ouvrage de S. H. Preston, P. Heuveline et M. Guillot présente avec clarté et précision, en douze chapitres, les concepts et les méthodes permettant d’analyser la vie des populations.

43Dans les deux premiers chapitres de l’ouvrage, les auteurs présentent les notions clefs de la démographie. Dès le premier chapitre est ainsi introduite la distinction entre les deux modes de calcul de taux. Un taux de mortalité (rate) n’est pas de même nature qu’un taux d’activité (ratio) : le premier mesure un risque au cours d’une période de temps tandis que le second n’est qu’une proportion à un instant donné. Le taux, comme indicateur de risque, se définit comme le rapport entre un nombre d’événements et le nombre de personnes-années exposées au risque de subir ce type d’événement. Les auteurs explicitent également, dès le premier chapitre, le calcul du taux de croissance instantané (dln [N (t)]/dt si l’effectif de la population en t est noté N (t)) et les différentes façons d’apprécier la croissance d’une population. Le deuxième chapitre approfondit la distinction entre taux et probabilité ; le diagramme de Lexis est introduit à cette occasion.

44La présentation des phénomènes démographiques et de leurs modes d’analyse commence par un chapitre consacré à la table de mortalité et, plus généralement, à l’analyse de processus tels qu’il existe une seule façon de quitter un état donné (Single Decrement Processes). Un autre chapitre analyse les situations dans lesquelles il y a une compétition entre risques, ouvrant plusieurs possibilités de changement d’état (Multiple Decrement Processes). Le cinquième chapitre présente les analyses transversale et longitudinale de la fécondité ainsi que les différentes mesures de la reproduction.

45Deux chapitres (6 et 7) abordent la dynamique des populations en se centrant l’un sur la méthodologie des projections et l’autre sur le modèle de la population stable. Le huitième chapitre est consacré aux relations démographiques au sein de populations non stables et le neuvième à la modélisation des phénomènes démographiques selon l’âge (représentation mathématique, en fonction de l’âge, de la mortalité, de la nuptialité, de la fécondité et de la mobilité).

46Les deux chapitres suivants de cette introduction à la démographie traitent du matériau statistique utilisé par les démographes : le chapitre 10 aborde les méthodes d’évaluation de la qualité des données et le chapitre 11 les méthodes d’estimation indirecte.

47Enfin, un dernier chapitre, rédigé par Alberto Palloni de l’université de Wisconsin, généralise le modèle de la table de survie, appliqué dans les chapitres 3 et 4 aux situations où l’on peut sortir de la population de référence en subissant un événement particulier (le décès par exemple) ou plusieurs événements (le mariage ou le décès pour la population célibataire), aux situations marquées notamment par une possibilité de retour dans la population de référence (Increment-Decrement Life Tables).

48De conception classique, l’ouvrage de Samuel H. Preston, Patrick Heuveline et Michel Guillot s’adresse à ceux qui souhaitent comprendre la logique profonde des processus démographiques. Comme les auteurs eux-mêmes le mentionnent dans leur préface, les apports de plusieurs générations de démographes sont pris en compte. Bien qu’il s’agisse d’une introduction à la démographie, cet ouvrage peut sembler parfois difficile à un lecteur qui n’aurait aucune connaissance de cette discipline, mais le souci de pédagogie des auteurs les conduit à multiplier les exemples mettant en situation aussi bien les définitions, que les indicateurs ou les modes de calculs. Samuel H. Preston, Patrick Heuveline et Michel Guillot ont finalement bien su concilier les exigences de l’accessibilité à un public suffisamment large et celles de la rigueur.

49Une riche bibliographie complète l’ouvrage et permet d’identifier les textes marquants de la démographie.

50Jacques Véron

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