Notes
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[1]
Le terme « Morisques » désigne les anciens musulmans et leurs descendants contraints de se convertir au catholicisme pendant le premier tiers du XVIe siècle.
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[2]
Une première expulsion avait été promulguée de 9 avril 1609.
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[3]
Membres des familles dont les racines catholiques remontaient à plusieurs siècles.
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[4]
La qualification de « pression démographique forte » signifie que la population locale atteint son niveau maximal historique et que les ressources naturelles sont donc réparties entre de nombreux individus. Une pression démographique faible signifie que la population n’est pas très nombreuse, de sorte que chaque personne dispose d’une part plus importante de ces mêmes ressources.
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[5]
Dans cet article, le terme « repeuplement » décrit le processus par lequel de nouveaux habitants ont peuplé les localités préalablement dépeuplées par l’expulsion des Morisques.
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[6]
D’après les rares sources disponibles, les Morisques représentaient au moins 90 % de la population dans ces localités.
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[7]
Les problèmes de conservation concernent habituellement les conditions de stockage des registres paroissiaux et les effets d’éventuels conflits politiques et sociaux. Certaines couvertures sont très endommagées par le temps. En outre, le territoire étudié se situe près du front principal de la guerre civile espagnole, au cours de laquelle des archives paroissiales sous contrôle des républicains ont été détruites (facteur pris en compte pour le choix des localités et du périmètre de notre zone d’étude).
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[8]
La plupart du temps, il n’existe pas de documents concernant les résidents morisques avant l’expulsion, ce qui alimente depuis le XVIe siècle le débat sur les comportements reproductifs respectifs des Morisques et des vieux-chrétiens. Certains auteurs signalent un âge au mariage plus jeune et une descendance plus nombreuse chez les Morisques, mais il manque d’éléments empiriques le confirmant (Muñoz, 2011).
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[9]
On ne présente pas d’analyse comparative de la mortalité, car les résultats pourraient en être faussés. En tout état de cause, aucun écart de mortalité significatif n’a été constaté entre les villages repeuplés et les autres. Durant la période analysée, des épidémies ont sévi dans cette zone (principalement peste et variole) ; la plus importante a été l’épidémie de peste, au milieu du XVIIe siècle.
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[10]
Une partie de la population aragonaise était sous régime seigneurial. Dans ces localités, les seigneurs (ou ordres religieux) disposaient de pouvoirs étendus, notamment aux niveaux juridique et fiscal. Les personnes qui n'étaient pas sous régime seigneurial ont été identifiées dans cet article comme des « tenures franches ». Ils étaient sous juridiction royale avec une fiscalité plus faible et une plus grande sécurité sur les biens personnels.
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[11]
La plupart des analyses statistiques présentées dans cet article ne concernent que les habitants nés dans les villages ; en effet, il n’existe aucun registre connu indiquant les dates de naissance et de mort des nouveaux colons, majoritaires dans les premières décennies du XVIIe siècle. C’est pour cette raison que l’analyse de la fécondité débute dans la deuxième moitié du XVIIe siècle.
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[12]
Pour estimer le nombre d’enfants de moins de 7 ans, on a appliqué à chaque village le pourcentage d’enfants âgés d’au plus 7 ans qui figurait dans le recensement de Floridablanca (années 1780).
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[13]
La saisonnalité des naissances et des décès était à peu près la même dans les villages repeuplés et les autres.
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[14]
On peut définir les institutions extractives comme celles qui concentrent le pouvoir dans les mains d'une petite élite plus intéressée par son propre intérêt que par le bien commun. En conséquence, ces institutions imposent des taxes élevées et rendent la mobilité sociale difficile.
L’expulsion des Maures d’Aragon au XVIIe siècle par la couronne espagnole peut rétrospectivement être considérée comme une expérience naturelle permettant de tester les principes malthusiens relatifs à l’ajustement de la population au niveau de subsistance. Face à des villages soudainement dépeuplés et une très faible pression démographique, quels ont été les comportements démographiques des nouveaux occupants espagnols ? Se sont-ils plus fréquemment et plus précocement mariés ? Ont-ils eu plus d’enfants ? À partir de riches archives historiques permettant une analyse comparative fine entre villages maures soumis à l’expulsion et villages chrétiens préservés, l’auteur retrace cette expérience singulière et montre la pertinence des considérations de Malthus pour rendre compte de la dynamique démographique de ce contexte particulier.
1Le 17 avril 1610, le roi Philippe III ordonne l’expulsion d’Aragon et de Catalogne des Morisques [1] qui se trouvent encore en Espagne [2]. Le 29 mai, la proclamation est lue à Saragosse puis dans tous les autres villages du royaume. L’expulsion de la plupart des Morisques aragonais débute le 3 juillet et se poursuit à un rythme régulier aux mois de juillet et d’août. Désormais vides, ces villages offrent des perspectives économiques d’accroissement de la population. À partir de cette date, les autorités villageoises, généralement issues de familles nobles, commencent un repeuplement lent et laborieux de ces localités en faisant venir des Vieux-chrétiens [3] (Colás, 2010). Ces circonstances historiques exceptionnelles donnent l’occasion d’analyser les relations entre différentes variables démographiques, notamment celles qui contribuent à la pression démographique [4].
2Les freins malthusiens, grâce auxquels la population devrait s’accroître au même rythme que les ressources alimentaires, peuvent aider à comprendre la pression démographique. Les « freins positifs » diminuent involontairement une population ; ce sont les épidémies, les famines ou les guerres. Les « freins préventifs » impliquent un certain degré de régulation de la fécondité avec, par exemple, un report de l’âge au mariage ou le maintien d’un taux plus élevé de célibat. L’expulsion des Morisques a entraîné une situation de faible pression démographique qui pose plusieurs questions : les freins préventifs malthusiens se sont-ils assouplis dans les localités concernées ? Les populations des localités voisines n’ayant pas subi d’expulsion et présentant des caractéristiques socioéconomiques comparables ont-elles eu des comportements démographiques différents ?
3Historiquement, la pression démographique a joué un rôle central dans le comportement démographique, en particulier pour l’âge au mariage, qui influence indirectement la fécondité. Le modèle de nuptialité d’Europe occidentale de Hajnal (1965) correspond à la période allant du XVIIIe siècle à la première moitié du XXe siècle. Il décrit de quelle manière une pression démographique élevée était maîtrisée grâce à un âge moyen au premier mariage plus tardif qu’à d’autres périodes ou dans d’autres régions du monde, et un pourcentage supérieur de personnes restant célibataires. Ce modèle était fréquemment observé dans la péninsule Ibérique, un peu moins toutefois que dans d’autres pays européens (Cachinero, 1982). Avec l’augmentation de l’âge au mariage, les moyens financiers et le pourcentage de célibataires augmentaient également, tandis que la fécondité diminuait (Wrigley et Schofield, 1981).
4L’article se penche sur ce contexte historique pour comprendre le rôle joué par la pression démographique dans l’accroissement de la population. À l’aide de microdonnées démographiques, on cherche donc à comprendre pourquoi les localités repeuplées et celles non repeuplées ont eu des taux d’accroissement démographique différents après l’expulsion des Morisques [5]. L’hypothèse initiale est que le comportement reproductif des habitants n’a pas été le même en raison des modifications de la pression démographique, et que la fécondité a augmenté dans les localités où cette pression était faible. L’hypothèse est ici faite que cette différence résulte d’un desserrement des freins préventifs malthusiens : les habitants de localités où la pression démographique était faible disposent de plus de terres, ce qui a conduit à ce qu’un plus grand nombre d’enfants choisissent de rester dans leur lieu de naissance, de s’y marier plus jeunes, d’y avoir plus d’enfants et d’accumuler à l’âge adulte un patrimoine plus important que ce que l’on observe dans les zones à plus forte pression démographique.
5Axée sur les mécanismes de freins préventifs malthusiens et la manière dont ils se sont modifiés, cette analyse s’appuie sur les nombreuses publications consacrées au fonctionnement et aux évolutions de ces freins dans diverses sociétés préindustrielles, notamment en Angleterre et en France (Cummins, 2003 ; Weisdorf et Sharp, 2009 ; Cinnirella et al., 2017). Alors que ces sociétés misaient davantage sur les obstacles préventifs pour maîtriser l’accroissement de la population, cette étude de cas décrit le scénario inverse : une société traditionnellement soumise à une pression démographique élevée se retrouve de manière soudaine et inopinée dans une situation de faible pression démographique.
6La méthode de reconstitution des familles et l’utilisation de microdonnées ont permis de relier des individus et des familles dans huit communes de l’Aragon. Cinq des villages considérés étaient habités par des Morisques et ont été repeuplés après leur expulsion, tandis que les trois autres étaient peuplés de longue date par les vieux-chrétiens. C’est aussi l’occasion d’exploiter une source peu utilisée pour estimer les niveaux de pauvreté associés à l’assouplissement des freins préventifs malthusiens, à savoir les recueils des volontés funéraires exprimées dans les classes populaires rurales. Afin d’établir si la faible pression démographique allait de pair avec des niveaux moyens de richesse élevés, des statistiques descriptives permettront de comparer sur ce point les localités repeuplées aux autres.
7La section I récapitule les études similaires qui se sont intéressées aux effets de divers chocs sur les freins préventifs. La section II examine les données et les méthodes. La section III expose le contexte économique propre aux localités étudiées. La section IV étudie l’évolution des populations et leur accroissement aux XVIIe et XVIIIe siècles. La section V analyse en premier lieu les effets de la faible pression démographique sur la fécondité et la nuptialité, puis, dans le cadre de la théorie malthusienne, sont examinées d’autres variables liées au patrimoine, qui ont freiné l’accroissement de la population dans les localités repeuplées. Enfin, sont présentées les conclusions sur les facteurs expliquant les modèles de croissance démographique observés dans les localités repeuplées et celles qui ne l’ont pas été.
I. L’adaptabilité des freins préventifs malthusiens
8Les populations font preuve d’une remarquable capacité d’adaptation, tant face aux évolutions sociales et économiques qu’aux variations de la pression démographique. Jedwab et al. (2019) ont analysé l’évolution de populations dans diverses villes européennes après la peste noire du XIVe siècle et constaté qu’elles avaient retrouvé leur niveau initial dans les deux siècles suivants, au terme d’un processus de rétablissement permis par la disponibilité de terres et de réseaux commerciaux historiques adaptés. Faute de microdonnées suffisantes, il est difficile d’établir si les migrations d’origine rurale ou des modifications du comportement démographique ont contribué au repeuplement des villes.
9L’expansion coloniale européenne nous en fournit un autre exemple. Elle s’est accompagnée de modifications du comportement démographique dans des contextes de faible pression de la démographie. Les analyses de Charbonneau (1975, 1984, 1999) concernant le Canada français au XVIe siècle ont identifié des différences entre les individus qui émigraient au Canada et ceux qui restaient en France. Les femmes de colons avaient trois ans de moins au premier mariage que les femmes demeurées en France, et la fécondité naturelle des nouvelles Canadiennes était plus importante que celles des métropolitaines (en moyenne 6,9 et 6,4 enfants, respectivement). L’espérance de vie et les taux de remariage étaient également plus élevés parmi les colons. Ces résultats vont dans le même sens que les études de Malthus et d’Adam Smith sur les colonies britanniques d’Amérique du Nord démontrant que, globalement, des pressions démographiques différentes induisaient des comportements démographiques différents.
10Peu de travaux ont été consacrés aux effets du repeuplement sur le comportement démographique après l’expulsion des Morisques d’Espagne, et aucun ne s’appuie sur des microdonnées. Les données agrégées disponibles confirment toutefois des différences de taux d’accroissement démographique au cours du XVIIe siècle. Ainsi, des taux d’accroissement variables selon le type de localité ont été constatés pendant le repeuplement dans la région de Valence, d’où les Morisques avaient également été expulsés. Se fondant sur ces résultats, Ardit (1993) a proposé des modèles de comportement reproductif distincts pour les localités repeuplées et les autres localités dans cette région où les villages morisques avaient été repeuplés essentiellement par des jeunes couples. Ces couples étaient relativement peu nombreux dans les villages non repeuplés, qui ont donc enregistré un vieillissement de leur population et une baisse de la fécondité. D’autres études sur Valence conduites par Bernat et Badenes (1994) ont confirmé cet accroissement relatif plus important des villages repeuplés, et expliqué les écarts de manière similaire. Ginés (1998), par exemple, a établi que les communes repeuplées avaient vu leur population croître de 0,42 % par an entre 1609 et 1652, tandis que celle de la région de Valence dans son ensemble enregistrait un recul de 0,24 %. D’après Ginés, ces différences s’expliquent comme suit : « [Les lieux repeuplés] reçoivent une population jeune d’âge fécond et les secondes [les lieux non repeuplés] sont des territoires émetteurs mais conservant leur population âgée, ce qui entraîne un vieillissement et un ralentissement de la croissance » (p. 177). Sur la base des différences de composition par âge entre les villages non repeuplés et repeuplés, cet argument serait recevable pour les premières décennies qui ont suivi l’expulsion, mais il l’est moins pour les décennies suivantes, lorsque l’accroissement démographique dépendait non seulement des taux d’émigration et d’immigration de ces villages, mais aussi des taux de mortalité, de nuptialité et de natalité. Notre analyse prend en compte l’ensemble de ces variables.
11Même si, d’après les travaux précités, les taux d’accroissement démographique différaient sans doute entre les localités repeuplées et celles qui ne l’étaient pas, au moins pendant les premières décennies suivant l’expulsion, toutes les questions ne sont pas résolues concernant les explications de ces divergences de long terme. Le présent article utilise des microdonnées couvrant plus de deux siècles afin d’y apporter des réponses. Cette analyse s’inscrit dans le cadre des théories malthusiennes sur l’Europe préindustrielle, qui ont été examinées dans divers contextes. Dans leur ouvrage sur l’histoire de la population britannique, Wrigley et Schofield affirment que, dans cette société, le mariage tendait à être différé, voire évité (Wrigley et Schofield, 1981). Dans leur analyse conduite au niveau des paroisses et portant sur la période comprise entre 1540 et l’avènement de la révolution industrielle, Kelly et Ó Gráda (2012) ont identifié des éléments démontrant l’influence de freins préventifs malthusiens sur la nuptialité et la natalité (Schofield, 1985). Cinnirella et al. (2017) ont montré qu’entre 1540 et 1850 les familles ajustaient leur fécondité en fonction des conditions économiques et du nombre d’enfants restant à leur charge, mais de son côté, Nicolini (2007) a constaté qu’en Angleterre les freins préventifs n’étaient plus à l’œuvre avant même 1740, bien que tous les auteurs ne s’accordent pas sur un arrêt aussi prématuré. Les freins préventifs malthusiens ont donc joué un rôle important dans l’Angleterre préindustrielle. Comme l’Espagne rurale présentait un tableau comparable, typiquement préindustriel (Reher et Sanz-Gimeno, 2000), cet article cherche à identifier le rôle joué par les freins préventifs quand la pression démographique a diminué à la suite de l’expulsion des Morisques.
II. Espace étudié et données
12Le territoire étudié englobe huit villages aragonais ruraux, dans le nord-est de l’Espagne. Cinq d’entre eux étaient peuplés presque exclusivement (à plus de 95 %) de Morisques jusqu’en 1610 : Alfamén, Botorrita, Mezalocha, Mozota et Muel. Les trois autres étaient peuplés de vieux-chrétiens : Jaulín, Longares et Tosos. Tous ces villages voisins sont proches du centre de l’Aragon (figure 1). Par exemple, le village morisque de Botorrita n’est qu’à sept kilomètres environ du village vieux-chrétien de Jaulín. La plupart des Morisques aragonais vivaient aux abords de l’Èbre et de ses affluents. Notre espace d’étude se situe autour d’un affluent de l’Èbre appelé la Huerva, qui ressemble à de nombreux égards à d’autres territoires morisques environnants. Au total, les cinq villages repeuplés qui nous intéressent représentaient 6,2 % des localités presque entièrement peuplées de Morisques et 6,8 % de la population morisque. Ils étaient donc légèrement plus peuplés qu’un village moyen [6]. L’analyse se concentre également sur ces localités en raison de leur position géographique centrale relativement à la localisation des Morisques en Aragon, mais sur le plan de l’organisation, elles ne se distinguent pas des autres. Enfin, toutes ces localités disposent d’archives paroissiales abondantes, si l’on excepte quelques problèmes de conservation ponctuels [7]. En tout état de cause, les archives disponibles dans cette vallée justifient de l’avoir préférée à d’autres lieux.
13Avant la transition démographique, la majorité de la population se caractérisait par une fécondité naturelle (les couples mariés avaient des enfants sans aucune régulation de leur fécondité ou presque [Henry, 1961]). Ce terme renvoie ici exclusivement à une fécondité élevée et une absence de régulation de la fécondité dans le cadre du mariage. Les naissances s’étalaient entre le début du mariage des femmes et la ménopause ; les naissances étaient nombreuses et le taux élevé de la mortalité des enfants équilibrait la taille des familles. Néanmoins, ces naissances nombreuses et l’amélioration de la survie des enfants ont entraîné un accroissement de la population qui n’a cessé d’accentuer la pression démographique.
Figure 1. Le territoire étudié
Figure 1. Le territoire étudié
14Les informations individuelles sur les habitants du territoire étudié proviennent des archives paroissiales, où sont conservés les actes de baptême, de confirmation, de mariage et de décès. Les actes sont reliés entre eux et analysés en appliquant la méthode standard de reconstitution des familles (Fleury et Henry, 1956). Les actes sont appariés manuellement, en vue de réduire au maximum les erreurs. Tous les actes de naissance ont été classés par famille à partir des noms et prénoms des parents. Deux familles résidant dans la même localité et à la même époque qui avaient exactement la même combinaison de noms et de prénoms des parents ont été exclues de l’analyse.
15L’appariement des données issues des registres de mariage, de décès et de confirmation, ont permis d’identifier tous les membres des familles et toutes les dates. Les données individuelles relatives à la naissance d’une personne ont été mises en relation avec les autres événements la concernant et figurant dans les registres paroissiaux. On a pu obtenir de cette manière les dates de naissance, de mariage et de décès de chaque individu né dans une des localités étudiées et y ayant vécu toute sa vie, ainsi que des informations détaillées sur ses parents et ses enfants. Pour les villages morisques, les informations disponibles se rapportent aux naissances, mariages et décès à partir de 1610, voire plus tôt, sauf pour Botorrita et Alfamén, dont les archives remontent respectivement à 1640 et 1716 [8]. Dans les villages de vieux-chrétiens, les archives commencent dans la deuxième moitié du XVIe siècle. L’ensemble de ces informations sont rassemblées dans la base de données sur Alfamén et la partie méridionale de la Huerva (Alfamén and Middle Huerva Database).
16En raison de la sous-déclaration de la mortalité infantile, les données pour le XVIe siècle et la plus grande partie du XVIIe siècle présentent les mêmes inconvénients que la quasi-totalité des archives catholiques [9]. Le problème de la sous-déclaration se pose également pour certaines années dans les archives de Jaulín et de Muel : dans le premier village, il manque de nombreuses données relatives aux naissances, mariages et décès entre 1662 et 1679 ; dans le second, la sous-déclaration concerne les périodes 1661-1679 et 1693-1695. Par conséquent, les analyses ont exclu les individus potentiellement concernés. Par exemple, les familles de Jaulín dont les enfants étaient nés dans les années 1660 ont été exclues de l’analyse de la fécondité légitime, car il n’était pas certain d’avoir des informations complètes sur toutes les naissances, puisque certains enfants risquaient d’être nés pendant la période de sous-déclaration. La sous-déclaration a conduit à réduire la taille de l’échantillon, ce qui peut poser un problème pour les analyses, mais par ailleurs il n’y a pas de raisons de penser que les comportements démographiques dans les localités où certaines périodes sont concernées par la sous-déclaration diffèrent des comportements observés dans les villages voisins, ou durant les périodes précédentes ou suivantes (pas de biais de sélection). En dépit de ces problèmes, la qualité des archives analysées est très satisfaisante puisqu’elles ont été contrôlées et supervisées par des représentants de l’archevêché. On a attribué à toutes les personnes nées ou mariées dans le périmètre étudié au moins un numéro d’identification familiale, mais la majorité des adultes en ont reçu deux : un pour la famille de naissance et un autre pour la famille formée par le mariage (les personnes mariées plusieurs fois ont reçu plusieurs numéros d’identification). Seuls les immigrés célibataires ne se sont vu attribuer aucune famille. La période 1610-1800 englobait 4 134 familles, dont 3 144 avaient au moins un enfant. Les autres cas concernent des personnes qui s’étaient mariées dans la zone d’étude mais en étaient parties ou étaient décédées avant d’avoir eu un enfant. Sur les 3 144 familles avec enfants, 972 ont été considérées comme complètes, car les informations étaient disponibles sur le mariage et les enfants, et les deux conjoints avaient vécu au moins jusqu’à 45 ans.
III. Contexte économique des localités étudiées
17Les villages aragonais peuplés de Morisques et toutes les autres localités situées dans le territoire étudié étaient traditionnellement soumis aux seigneurs locaux et habitués à payer plus d’impôts que les tenures franches [10] (Colás, 1993). Ils tiraient leurs revenus principalement de l’élevage ovin ou d’autres activités agricoles comme la culture de céréales, de fruits et de légumes sur les rives de la Huerva. La qualité des terres était comparable ; en revanche, les terres sans accès à l’eau comme Alfamén, Jaulín et certaines parties de Muel étaient majoritairement consacrées au pâturage. Parce que ces terres étaient peu attractives, leur repeuplement a été lent. Les céramiques de Muel étaient célèbres avant l’expulsion, et les colons se sont appropriés l’ancien four de verrier des Morisques d’Alfamén. Certains habitants travaillaient aussi dans le commerce et le transport de marchandises. Les données du recensement d’Aranda (1768) et le recensement de Floridablanca (1785-1787) font apparaître une distribution économique et sociale typique des petites localités rurales et identiques dans les villages repeuplés et les autres. L’hypothèse est que, durant les premières années après le repeuplement, les colons ont eu accès à la propriété, mais ont dû s’acquitter d’impôts élevés, précédemment répartis entre des contribuables plus nombreux. Bien que l’origine de certains colons demeure inconnue, une partie d’entre eux arrivaient de localités distantes de moins de 100 kilomètres, le plus souvent de moins 50 kilomètres [11]. La documentation (principalement les testaments quand ils sont disponibles) n’indique pas s’ils possédaient des biens dans les localités d’origine. Cette description va dans le sens des résultats établis dans d’autres cas aragonais et valenciens (Ciscar, 1993 ; Ainaga et Ainaga, 1996). La plupart des colons étaient mariés, sans que nous connaissions la taille de leurs familles. Tous étaient des chrétiens de tradition et rien n’indique que leur comportement démographique dans les localités d’origine ait différé de celui observé dans n’importe quel autre village chrétien voisin.
IV. Évolution de la population
18Il a fallu attendre bien après le début du XIXe siècle pour que la population espagnole fasse l’objet d’un recensement moderne et régulier. Même s’il existait des listes de quartiers et des recensements établis à des fins fiscales ou militaires, ils tendaient à sous-estimer les effectifs de résidents (Salas, 2008) et ne sont donc pas utiles ici. Le calcul de la population résidente est effectué à partir des informations fournies par l’Alfamén and Middle Huerva Database, en considérant comme résidents des villages chaque personne entre sa première et sa dernière mention dans les registres paroissiaux (y compris les dates de naissance de ses enfants) et en utilisant le 1er juillet de chaque année comme référence. Avec cette méthode, un homme né en janvier 1656 et décédé en janvier 1698 est compté comme habitant de 1656 à 1697, car il n’était plus en vie au 1er juillet 1698. Si la première date enregistrée pour une femme née hors de la zone étudiée est celle de son mariage en avril 1690 et qu’elle est décédée en novembre 1708, elle est comptée dans les habitants de 1690 à 1708, y compris si elle est éventuellement arrivée dans le village avant, en tant que domestique. Cette méthodologie tend à sous-estimer la population résidente, car les individus habitaient sans doute dans leur village avant que le premier événement les concernant ne soit consigné, et il y avait peu de risque qu’ils en partent immédiatement après l’enregistrement du dernier événement. Mais un problème de sous-estimation se pose surtout pour les personnes nées dans le village puis ayant migré sans s’être mariées : elles risquent de n’être comptabilisées comme résidentes qu’à leur date de naissance et de confirmation, même en ayant résidé dans le village jusqu’à leur émigration.
19Pour déterminer si ces estimations sont réalistes, on a comparé ces résultats avec les listes de résidents tirées du Status Animarum, dont l’établissement a commencé en 1747 dans la région étudiée. Ce livre paroissial comprend tous les résidents des villages âgés d’environ 7 ans et plus [12]. Il recense 3 925 individus pour l’année 1750 contre 3 564 individus selon nos données, reflétant ainsi une sous-estimation de 9,32 % de la population enregistrée. Pour 1760, 1770 et 1780, les sous-estimations étaient de respectivement 2,47 %, 1,82 % et 6,50 %. Ces estimations sont donc proches des chiffres réels. S’agissant de certaines localités repeuplées pour lesquelles aucune donnée n’était disponible avant le début des registres paroissiaux, on fait l’hypothèse d’un accroissement de population continu, de zéro habitant en 1610 jusqu’à la première valeur disponible. Par exemple, si la première donnée disponible pour un village repeuplé se rapporte à l’année 1650 et que cette localité comptait 80 habitants, nous calculons une augmentation de deux habitants par an dans ce village entre 1610 et 1650 (période de 40 ans).
20Pour les localités repeuplées, il n’existe pas de listes des résidents avant l’expulsion des Morisques, mais le nombre d’habitants peut être estimé à partir de plusieurs sources. Le tableau 1 présente des estimations du nombre de Morisques qui résidaient dans les villages étudiés avant l’expulsion. Elles se fondent sur le recensement conduit par le Marquis d’Aytona avant l’expulsion pour évaluer la population morisque en Aragon. À partir de ces estimations, le tableau indique en quelle année les villages repeuplés ont retrouvé leur niveau de population d’avant l’expulsion et quand ils ont atteint 25 %, 50 % et 75 % du nombre d’habitants recensés avant 1610. À l’évidence, le repeuplement de la zone étudiée a été lent : à Alfamén et Mozota, les niveaux de population reviennent au niveau de pré-expulsion au cours du dernier quart du XIXe siècle et à Muel il faut attendre le début du XXe siècle. Alfamén rencontre des difficultés particulières, puisqu’il faut plus de 125 ans pour atteindre 25 % du niveau de population mesuré avant l’expulsion. À Botorrita, en revanche, la population atteint ce niveau en à peine un peu plus d’un siècle et Mezalocha, en 170 ans environ. Les localités qui offraient le moins de terres ont été les plus lentes à se repeupler, comme Alfamén et Muel, qui louaient une grande partie de leurs terres aux bergers.
Tableau 1. Nombre de ménages et d’habitants morisques avant l’expulsion de 1610 et date de reconstitution progressive de la population des 5 villages
Tableau 1. Nombre de ménages et d’habitants morisques avant l’expulsion de 1610 et date de reconstitution progressive de la population des 5 villages
21L’expulsion des Morisques a réduit la population aragonaise de 15 % à 20 %, et le rythme de repeuplement de chaque village a varié en fonction des conditions imposées par les seigneurs locaux (Ainaga, 1989 ; Ainaga et Ainaga, 1996 ; Lloret, 2002 ; Colás, 2010). Dans la plupart des cas, les nouveaux arrivants bénéficiaient de conditions plus favorables que celles précédemment faites aux Morisques concernant les logements et les terres, même si le patrimoine naturel de chaque village jouait un rôle décisif et n’était pas toujours distribué de manière égale (Lacarra, 1979). Ainsi, les familles liées aux administrateurs du marquis et aux notables ont formé une oligarchie dans certains villages, en obtenant les propriétés les plus prisées et les plus vastes (La Parra, 1990). Colás (2010) affirme que la perspective de migrer n’était pas attrayante, car les nouveaux propriétaires devaient s’acquitter d’impôts élevés et de dîmes sur l’essentiel de leur production agricole et avaient l’interdiction de repartir. Ce contexte pourrait avoir été à l’origine d’une sélection des colons, en n’attirant que les plus pauvres. La demande de terres était en effet bien inférieure à l’offre. À Muel, par exemple, quelque 306 familles ont été expulsées du village mais seulement 16 autres étaient venues le repeupler en 1611 (Burillo, 1997). Le roi avait beau avoir donné aux nobles espagnols le droit de contraindre les colons à rester, la réalité était différente (La Parra, 1990) : à peine un an après le repeuplement, aucune information n’était disponible au sujet de 6 des 16 colons. Cinquante ans plus tard, 11 des 16 patronymes avaient disparu du village, signe que les colons partaient quand ils trouvaient mieux ailleurs.
22La figure 2 illustre l’accroissement de la population dans les localités repeuplées et non repeuplées entre 1611 et 1800. Le taux d’accroissement annuel moyen dans les zones repeuplées était de 11,3 % pour la période 1611-1649, 1,0 % pour 1650-1699, 1,1 % pour 1700-1749 et 0,6 % pour 1750-1799, tandis que les taux correspondants dans les localités non repeuplées étaient de respectivement 0,9 %, 0,7 %, 0,7 % et 0,4 %. Les localités repeuplées ont donc enregistré une croissance légèrement plus rapide de leur population tout au long de la période, avec un accroissement intense lors des premières années (1611-1625). Certains auteurs évoquent une stabilisation de la population en Aragon pendant tout le XVIIe siècle (entre autres Salas, 1989), qu’on ne constate cependant pas dans l’espace couvert par cette étude.
Figure 2. Population totale et taux d’accroissement annuel moyen de 1611 à 1799, par type de village
Figure 2. Population totale et taux d’accroissement annuel moyen de 1611 à 1799, par type de village
V. Les freins préventifs malthusiens : perspectives démographiques et économiques
23Cette section examine les microdonnées afin de comparer le comportement démographique et la situation économique dans les zones repeuplées et les autres. L’analyse se concentre sur les personnes nées dans les villages et dont la date de naissance est disponible [13]. Les colons (immigrés) sont introduits aux fins de comparaison uniquement dans la dernière partie de cette section consacrée aux variables économiques. Dans un premier temps les immigrés sont exclus de l’analyse en raison de la rareté des informations antérieures à leur arrivée. En outre, les natifs étaient peu nombreux dans les premières décennies du repeuplement, lorsque les villages étaient de taille plus modeste, ce qui limite la pertinence d’une comparaison. L’étude est donc axée sur la période qui débute en 1650, non pas en raison de tendances différentes pendant la période précédente, mais parce que la rareté des données pour certaines variables pouvait sérieusement altérer les résultats. Des données complémentaires sur les immigrés (registres fournissant l’âge au mariage depuis quelques décennies, par exemple) ont permis de vérifier l’absence d’écarts importants entre natifs et immigrés. En conséquence, ces critères de sélection ne paraissent pas fausser l’échantillon. Toutes les restrictions que comporte cette analyse sont adaptées à la période et aux données, conformément aux critères normalisés utilisés en démographie historique, et ont été choisies dans l’objectif de comparer des populations similaires. Par exemple, l’analyse de la fécondité légitime ne prend en compte que les familles complètes et les individus mariés ayant vécu jusqu’à 45 ans au moins. Connaître les âges au mariage durant cette période exigerait de connaître les dates de naissance et de mariage. Cela signifie qu’il n’est possible de connaître que l'âge au mariage des autochtones qui représentaient entre 50 % et 95 % de la population adulte de ces localités entre 1650 et 1800 (figure 7). Toutefois, on ne dispose d'aucun élément indiquant que ce critère fausse les résultats. En raison des limites des données, la taille de l’échantillon disponible peut varier d’une analyse à l’autre. La taille de l’échantillon est susceptible, dans certains cas, d’influer sur les résultats, mais pas sur les tendances longues.
1. Rôles du célibat et de l’âge au mariage
24À ce stade de l’analyse, l’objectif est de déterminer si l’affaiblissement de la pression démographique dans les localités repeuplées a pu desserrer les freins préventifs malthusiens. La figure 3 confirme qu’une accentuation de la pression démographique favorisait un report de l’âge au mariage, comme ailleurs en Europe occidentale. L’âge moyen au premier mariage des femmes et des hommes des villages repeuplés était inférieur de trois ans à l’âge moyen dans les villages traditionnellement chrétiens tout au long du XVIIe siècle. Les populations des deux types de villages ont eu tendance à converger à long terme, avec un report progressif de l’âge au mariage dans les villages repeuplés et son abaissement dans les villages non repeuplés. Non loin de là, à Saragosse, l’âge moyen au mariage des femmes aux XVIIe et XVIIIe siècles était compris entre 22,5 et 23,5 ans selon les estimations de Valero (1984), et à environ 25,5 ans pour les hommes. Ces données sont comparables à celles obtenues pour les villages non repeuplés. En résumé, les villages repeuplés constituaient une exception.
Figure 3. Évolution de l’âge moyen au premier mariage, par sexe, génération et type de village
Figure 3. Évolution de l’âge moyen au premier mariage, par sexe, génération et type de village
25En contexte de fécondité naturelle, la théorie malthusienne postule qu’un âge plus jeune au premier mariage chez les femmes entraîne une fécondité accrue. La figure 4 montre la fécondité légitime des premiers mariages entre conjoints nés dans les villages et ayant vécu au moins jusqu’à 45 ans. Cette fécondité était généralement plus élevée dans les localités repeuplées, et pour partie cause de la forte croissance démographique. Conséquence de la convergence de l’âge au mariage, on observe un rapprochement progressif des niveaux de fécondité légitime (avec une variabilité liée à la taille réduite de l’échantillon), pour aboutir à une convergence complète à la fin du XVIIIe siècle. Les deux types de localités présentent des comportements démographiques similaires en termes d’âge à la naissance du dernier enfant (figure annexe A.1). et d’espacement des naissances (tableau annexe A.1). Les stratégies de régulation de la fécondité par arrêt de la procréation et espacement des naissances (Van Bavel, 2004, par exemple) n’expliquent donc pas de manière décisive ces écarts de fécondité. S’agissant de Valence, Casey (1979) n’a pas observé de fécondité accrue chez les couples mariés des villages repeuplés, mais il disposait d’un échantillon de taille réduite (12 mariages).
Figure 4. Évolution de la fécondité légitime, par génération et type de village
Figure 4. Évolution de la fécondité légitime, par génération et type de village
26Un autre frein préventif identifié par les théories malthusiennes est le taux élevé de célibat dans les sociétés soumises à une forte pression démographique ; cette hypothèse est confirmée par les résultats obtenus sur le territoire étudié (figure 5). Les villages repeuplés affichent un faible taux de célibat à 45 ans (toujours moins de 5 %) par rapport aux villages non repeuplés, mais avec une légère tendance à la convergence dans la dernière partie du XVIIIe siècle. Pour l’Aragon en 1787, Livi-Bacci (1968) a calculé que 9,9 % des hommes et 4,9 % des femmes restaient célibataires jusqu’à 40-50 ans, des chiffres proches de ceux mesurés dans les villages non repeuplés. Même si l’émigration a pu jouer, il n’y a aucune raison de penser (ni aucune preuve) que le pourcentage de départs de célibataires était plus élevé dans les villages repeuplés.
Figure 5. Évolution du taux de célibat définitif par génération et type de village
Figure 5. Évolution du taux de célibat définitif par génération et type de village
27L’expulsion des Morisques a vraisemblablement desserré les freins préventifs malthusiens. Les villages repeuplés ont vu leur population augmenter plus vite que celle des villages non repeuplés. Cependant, pourquoi les villages repeuplés n’ont-ils pas connu une accélération prolongée de leur croissance démographique du fait de l’assouplissement très sensible des freins malthusiens ? Il est probable que d’autres facteurs ont influencé l’accroissement de la population dans ces zones. Selon la théorie malthusienne, les freins préventifs se desserrent quand les conditions économiques s’améliorent dans les localités soumises à une faible pression démographique ; par conséquent, il est intéressant d’analyser la situation économique des différentes localités et ses incidences sur la croissance de la population.
2. Rôle des contraintes économiques
28L’analyse concerne d’abord les données sur les personnes nées et restées dans la même localité, c’est-à-dire les « sédentaires ». Le postulat de départ était que les natifs étaient moins incités à quitter des villages repeuplés offrant des perspectives économiques plus nombreuses et plus intéressantes. La figure 6 montre le pourcentage d’individus dont il est établi qu’ils ont vécu dans leur village natal au-delà de l’âge de 20 ans et y sont décédés. D’après ces résultats, les habitants des villages non repeuplés étaient au départ jusqu’à deux fois plus susceptibles de rester dans leur village natal que les habitants des villages repeuplés ; cette tendance est observée jusqu’à la seconde partie du XVIIIe siècle, puis les localités atteignent des niveaux similaires. Les villages repeuplés ne réussissaient donc pas à retenir la majorité de leurs habitants jeunes.
Figure 6. Part de femmes et d’hommes décédés dans leur village natal, par génération et type de village
Figure 6. Part de femmes et d’hommes décédés dans leur village natal, par génération et type de village
29L’origine de ces différences était peut-être liée à un marché matrimonial plus restreint ou à une plus grande propension à la mobilité dans les villages repeuplés, mais il est possible que des facteurs économiques y aient aussi contribué. Un précédent travail a permis d’établir qu’au XVIIIe siècle au moins, les plus pauvres étaient ceux qui avaient le moins intérêt à rester dans leur village natal (Marco-Gracia, 2017). Pour vérifier l’hypothèse d’un lien entre une situation économique moins favorable et une plus forte mobilité, on peut analyser les niveaux de pauvreté à l’aide d’une source indirecte, les dernières volontés ou plus exactement le « testament funéraire ».
30Ces dernières volontés ne portaient que sur les dépenses funéraires à prévoir. Dans cette région, peu de testaments funéraires étaient exprimés devant notaire, la plupart étant dictés au prêtre de la paroisse, au moment de l’extrême-onction pour les personnes qui ne décédaient pas subitement. Dans ce testament, le futur défunt n’indiquait pas comment procéder au partage de son patrimoine mais précisait le montant et la nature des frais à engager pour ses obsèques, ce que le prêtre était tenu de consigner sur le certificat de décès, visé par ses supérieurs. Tout le monde ne rédigeait pas un testament de ce type, même si le prêtre le demandait à tous les mourants sains d’esprit. En effet, une partie des revenus du prêtre provenait des dons décidés dans ces circonstances. Plus de 90 % des adultes faisaient part de leurs volontés, et si le prêtre constatait que le mourant n’avait pas déclaré toutes ses ressources alors que les frais d’obsèques n’étaient pas entièrement couverts, il s’efforçait de faire augmenter le montant déclaré. Parmi les personnes qui laissaient un testament, on ne retient que celles de plus de 20 ans résidant dans le territoire étudié, autrement dit celles qui, d’après le registre des décès, n’étaient pas mortes subitement et ne souffraient d’aucune maladie mentale. L’analyse compare ensuite le nombre de personnes trop pauvres pour financer leurs obsèques dans les différents villages. Sont également comparés la part de personnes qui avaient rédigé un testament funéraire et le pourcentage de celles qui ne pouvaient pas s’offrir d’obsèques, afin de déterminer si ce dernier pourcentage différait selon le type de village. Ce genre d’informations sur l’extrême pauvreté améliore les connaissances sur la situation socioéconomique dans les deux types de villages, permettant ainsi de ne pas seulement prendre en compte le taux d’émigration pour déterminer si les villages repeuplés offraient davantage de perspectives économiques intéressantes.
31La figure 7 compare les habitants selon le sexe, l’origine (natifs ou immigrés) et l’année de décès. Afin d’analyser uniquement les habitants de la zone étudiée (à l’exclusion des mendiants ou des personnes de passage), on a tenu compte uniquement des immigrés parents d’au moins deux enfants (nés à des dates différentes) pour être certains qu’il s’agisse de personnes installées dans la région et assez présentes pour participer à l’économie locale. Les résultats montrent que les résidents des villages repeuplés (natifs et immigrés) avaient plus de risques de mourir pauvres. Pendant tout le XVIIe siècle, les villages non repeuplés ont offert un cadre économique plus favorable aux natifs comme aux immigrés des deux sexes.
Figure 7. Part de natifs et d’immigrés trop pauvres pour établir un testament funéraire, par sexe, année de décès et type de village
Figure 7. Part de natifs et d’immigrés trop pauvres pour établir un testament funéraire, par sexe, année de décès et type de village
32La richesse des villages peut aussi être approchée par les dépenses funéraires. En plus des frais de base, de nombreuses options (prêtres ou messes supplémentaires, par exemple) augmentaient le prestige du défunt et alourdissaient la facture finale. En moyenne, sur la plus grande partie de la période, les habitants des villages non repeuplés ont dépensé légèrement plus que ceux des villages repeuplés pour leurs obsèques (tableau annexe A.2), ce qui indiquerait qu’ils jouissaient d’une situation économique plus favorable. Le taux de sédentarité plus faible observé dans les villages repeuplés pourrait s’expliquer par un contexte économique moins favorable, malgré l’assouplissement des freins préventifs malthusiens.
3. Attractivité des villages
33L’analyse du nombre d’immigrés dans les villages aide également à évaluer l’attractivité des localités du point de vue des possibilités économiques, matrimoniales et sociales qu’elles offraient. On peut ainsi établir, d’une part, si un plus grand nombre de colons choisissaient les villages faiblement peuplés plutôt que les villages non repeuplés et, d’autre part, si la tendance a évolué au cours des deux siècles étudiés. La figure 8 présente la part des personnes décédées dans un village dans lequel elles ne sont pas nées, fournissant ainsi une approximation de l’immigration. On constate des différences notables durant les premières décennies, avec un fort pourcentage d’immigrés dans les villages repeuplés lié à la pénurie de natifs à cette époque et aux incitations pour s’y installer. À partir du milieu du XVIIe siècle, les pourcentages étaient toujours légèrement plus importants dans ces localités repeuplées. Néanmoins, comme celles-ci comptaient moins d’habitants, les immigrés arrivés dans les villages non repeuplés étaient proportionnellement plus nombreux qu’ailleurs. Dans le même temps, la contribution de ces immigrés au taux de fécondité variait selon les villages et les périodes. Dans les localités repeuplées, la part d’enfants nés de pères immigrés sur l’ensemble des enfants était de 50,4 % en 1650-1699, 34,3 % en 1700-1749 et 25,7 % en 1750-1799, contre respectivement 29,2 %, 28,5 % et 29,0 % dans les villages non repeuplés. Les résultats obtenus pour les mères étaient du même ordre. Ces résultats confirment que, jusqu'au milieu du XVIIIe siècle, la croissance des villages repeuplés a été fortement influencée par les gens qui sont arrivés dans la région. À partir du milieu du siècle, les deux types de villages présentent des valeurs similaires. Les villages repeuplés semblent avoir été plus attractifs dans les premières décennies après l'expulsion des Morisques, perdant leur potentiel d'attraction lorsque la taille de leur population augmentait.
Figure 8. Part d’hommes et de femmes décédés ailleurs que dans leur lieu de naissance (%), par année de décès et type de village
Figure 8. Part d’hommes et de femmes décédés ailleurs que dans leur lieu de naissance (%), par année de décès et type de village
Conclusion
34L’expulsion des Morisques aragonais a créé une situation exceptionnelle de faible pression démographique dans les localités désertées. L’objet de cette étude était d’identifier les raisons pour lesquelles le taux de croissance de la population demeurait constamment plus élevé dans les localités repeuplées que dans les autres. Il s’agissait de déterminer si les théories malthusiennes sur la fécondité et les freins préventifs s’étaient effectivement appliquées dans ce contexte tout à fait particulier.
35D’une part, la pression démographique peu élevée résultant du faible repeuplement a pu favoriser un abaissement de l’âge au mariage et donc entraîner une augmentation de la fécondité légitime. En effet, rien n’indique que les villageois aient pratiqué l’espacement ou la limitation des naissances dans le cadre de stratégies de régulation. En outre, le taux de célibat était faible. Ces circonstances étaient vraisemblablement la conséquence d’un desserrement des freins préventifs malthusiens. Ces variables ont donc favorisé l’accroissement démographique dans les villages repeuplés.
36D’autre part, la faible pression démographique n’était pas associée à de bonnes conditions économiques. Les nouveaux natifs des villages repeuplés étaient moins incités à y rester compte tenu des possibilités limitées offertes sur place, peut-être en raison d’un système d’institutions « extractives » [14] (Acemoglu et Robinson, 2012). Souhaitant déterminer si ce comportement procédait de motivations économiques, les informations fournies par les testaments étaient utiles pour savoir si chaque habitant avait les moyens de financer ses obsèques. On a pu constater que, durant tout le XVIIe siècle, le pourcentage de résidents pouvant s’offrir des obsèques était plus important dans les villages non repeuplés que dans les autres. Il ressort aussi de cette analyse que les dépenses moyennes engagées pour les cérémonies funéraires étaient supérieures dans les villages non repeuplés. Les villages repeuplés étaient donc peut-être plus pauvres et offraient trop peu de perspectives pour que la population jeune s’y maintienne.
37Les institutions extractives ont pu aussi jouer un rôle important dans le processus de repeuplement, avec une fiscalité locale élevée qui a pu dissuader l’installation des colons dans les villages désertés. Les habitants pauvres acceptaient sans doute d’emménager dans ces villages pour améliorer leur sort initial, même s’ils demeuraient moins bien lotis que leurs voisins vieux-chrétiens. En revanche, la conjoncture économique a pu favoriser le départ des jeunes de ces villages repeuplés, non sans incidence sur la croissance démographique, qui a été ramenée presque au même niveau que dans les localités non repeuplées. Le relatif manque de perspectives économiques a pu modérer l’accroissement démographique. Quoi qu’il en soit, toutes les variables incluses dans l’étude – tant celles qui favorisaient l’accroissement de la population que les autres – ont eu tendance à converger pendant les deux siècles suivants.
38Dans l’ensemble, ces résultats confirment l’hypothèse malthusienne de la relation négative entre faible pression démographique et freins préventifs. L’hypothèse initiale a été partiellement confirmée. Les résultats montrent que les jeunes des villages repeuplés se sont mariés à un âge plus jeune et ont eu une fécondité plus élevée. Cependant, les opportunités économiques offertes par ces villages, où la pression démographique était faible, n'étaient pas suffisantes pour attirer et stabiliser durablement les nouveaux arrivants. Ces localités n'ont pas retenu la jeune population née dans la région, et les habitants n'ont pas non plus accumulé plus de richesses que les habitants des localités non repeuplées. Le scénario après l'expulsion des Morisques n'a pas été aussi bénéfique pour les individus qui ont repeuplé les villages que ce que l'on pouvait attendre du cadre théorique. Ces conclusions doivent être corroborées par des études portant sur d’autres régions et prenant en compte des variables socioéconomiques complémentaires (en utilisant par exemple les professions comme indicateur). Il serait ainsi possible de comparer la structure socioéconomique de différents types de localités et le comportement démographique individuel en fonction du niveau socioéconomique familial. Par exemple, les villages repeuplés présentaient-ils un profil socioéconomique différent de celui des villages environnants ? La structure socioéconomique d’un village a-t-elle pu conditionner l’accroissement de sa population ? Un âge précoce au mariage (et donc une fécondité légitime élevée) s’expliquerait-il par une proportion plus importante d’individus de catégories socioéconomiques supérieures ? Réfléchir à ces questions aidera à comprendre l’évolution à long terme de localités soumises à des pressions démographiques différentes.
Annexes
Figure A.1. Âge moyen des femmes à la naissance de leur dernier enfant par génération de femme et type de village
Figure A.1. Âge moyen des femmes à la naissance de leur dernier enfant par génération de femme et type de village
Tableau A.1. Intervalles moyens entre naissances (en mois), par génération et type de village
Tableau A.1. Intervalles moyens entre naissances (en mois), par génération et type de village
Tableau A.2. Coûts moyens des frais funéraires, par sexe, génération et type de village
Tableau A.2. Coûts moyens des frais funéraires, par sexe, génération et type de village
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Mots-clés éditeurs : pression démographique, Malthus, freins préventifs, Morisques, Espagne, repeuplement
Date de mise en ligne : 25/03/2021.
https://doi.org/10.3917/popu.2004.0591Notes
-
[1]
Le terme « Morisques » désigne les anciens musulmans et leurs descendants contraints de se convertir au catholicisme pendant le premier tiers du XVIe siècle.
-
[2]
Une première expulsion avait été promulguée de 9 avril 1609.
-
[3]
Membres des familles dont les racines catholiques remontaient à plusieurs siècles.
-
[4]
La qualification de « pression démographique forte » signifie que la population locale atteint son niveau maximal historique et que les ressources naturelles sont donc réparties entre de nombreux individus. Une pression démographique faible signifie que la population n’est pas très nombreuse, de sorte que chaque personne dispose d’une part plus importante de ces mêmes ressources.
-
[5]
Dans cet article, le terme « repeuplement » décrit le processus par lequel de nouveaux habitants ont peuplé les localités préalablement dépeuplées par l’expulsion des Morisques.
-
[6]
D’après les rares sources disponibles, les Morisques représentaient au moins 90 % de la population dans ces localités.
-
[7]
Les problèmes de conservation concernent habituellement les conditions de stockage des registres paroissiaux et les effets d’éventuels conflits politiques et sociaux. Certaines couvertures sont très endommagées par le temps. En outre, le territoire étudié se situe près du front principal de la guerre civile espagnole, au cours de laquelle des archives paroissiales sous contrôle des républicains ont été détruites (facteur pris en compte pour le choix des localités et du périmètre de notre zone d’étude).
-
[8]
La plupart du temps, il n’existe pas de documents concernant les résidents morisques avant l’expulsion, ce qui alimente depuis le XVIe siècle le débat sur les comportements reproductifs respectifs des Morisques et des vieux-chrétiens. Certains auteurs signalent un âge au mariage plus jeune et une descendance plus nombreuse chez les Morisques, mais il manque d’éléments empiriques le confirmant (Muñoz, 2011).
-
[9]
On ne présente pas d’analyse comparative de la mortalité, car les résultats pourraient en être faussés. En tout état de cause, aucun écart de mortalité significatif n’a été constaté entre les villages repeuplés et les autres. Durant la période analysée, des épidémies ont sévi dans cette zone (principalement peste et variole) ; la plus importante a été l’épidémie de peste, au milieu du XVIIe siècle.
-
[10]
Une partie de la population aragonaise était sous régime seigneurial. Dans ces localités, les seigneurs (ou ordres religieux) disposaient de pouvoirs étendus, notamment aux niveaux juridique et fiscal. Les personnes qui n'étaient pas sous régime seigneurial ont été identifiées dans cet article comme des « tenures franches ». Ils étaient sous juridiction royale avec une fiscalité plus faible et une plus grande sécurité sur les biens personnels.
-
[11]
La plupart des analyses statistiques présentées dans cet article ne concernent que les habitants nés dans les villages ; en effet, il n’existe aucun registre connu indiquant les dates de naissance et de mort des nouveaux colons, majoritaires dans les premières décennies du XVIIe siècle. C’est pour cette raison que l’analyse de la fécondité débute dans la deuxième moitié du XVIIe siècle.
-
[12]
Pour estimer le nombre d’enfants de moins de 7 ans, on a appliqué à chaque village le pourcentage d’enfants âgés d’au plus 7 ans qui figurait dans le recensement de Floridablanca (années 1780).
-
[13]
La saisonnalité des naissances et des décès était à peu près la même dans les villages repeuplés et les autres.
-
[14]
On peut définir les institutions extractives comme celles qui concentrent le pouvoir dans les mains d'une petite élite plus intéressée par son propre intérêt que par le bien commun. En conséquence, ces institutions imposent des taxes élevées et rendent la mobilité sociale difficile.