Notes
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[1]
Les caractéristiques techniques de l’enquête, ainsi que la documentation associée (échantillonnage, questionnaire, dictionnaire des variables), sont disponibles sur le site dédié : http://teo.site.ined.fr.
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[2]
Voir le dossier-débat de la Revue française de sociologie coordonné par George Felouzis (2008).
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[3]
Dans la mesure où cette étude porte sur un sous-échantillon, non représentatif, d'individus arrivés entre 1968 et 1988 sur le territoire français, les poids conçus pour rapprocher l'échantillon de TeO de l'EAR 2008 n’ont pas été utilisés dans les traitements statistiques. Notre propos n'est pas d'inférer à partir de TeO des caractéristiques de la population de référence, mais de caractériser des configurations et des corrélations au sein d'une population reconstituée à partir de l'échantillon de TeO. Des traitements statistiques avec pondération ont été mis en œuvre, à des fins de test de robustesse des résultats, les, dans l'optimal matching, les statistiques descriptives de caractérisation des classes issues de la classification ascendante hiérarchique, et les modèles de transition. Cela n'occasionne aucun changement quant à la signification générale des corrélations mises en évidence.
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[4]
Agence nationale pour l’emploi, devenu Pôle emploi au moment de sa fusion avec l’Association pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (Assedic), en décembre 2008.
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[5]
Les années 1970 et 1980 sont celles d’une modification relative des modalités d’entrée légale sur le territoire : diminution de la part des cartes de séjour au titre du travail et augmentation de celles au titre du droit d’asile (jusqu’en 1980, voir Spire, 1999b), du regroupement familial, du rapprochement de conjoint français et des études (Labat 1993, p. 39-40).
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[6]
La probabilité de connaître au moins une année de chômage est de 15,2 % pour l’ensemble de la période. Elle n’est que de 11,1 % pour les personnes arrivées entre 1968 et 1974, et elle augmente au fil du temps, culminant à 18,6 % pour les personnes arrivées entre 1984 et 1988. La probabilité de connaître au moins une année de chômage au cours des cinq premières années de présence en France augmente aussi au fil du temps : elle est de 14,2 % pour les individus arrivés avant 1974, de 22,3 % pour ceux arrivés entre 1974 et 1981, de 20,4 % pour ceux arrivés entre 1981 et 1984 et de 29,7 % pour ceux arrivés entre 1984 et 1988.
-
[7]
Ce constat est également cohérent avec l’évolution du chômage des étrangers en France, qui augmente près de deux fois plus vite que celui des travailleurs de nationalité française à partir du milieu des années 1970 et lui demeure supérieur.
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[8]
Voir Abbott et Tsay (2000) pour une synthèse de l’importation de la méthode en sociologie. La métrique retenue afin de calculer les distances entre les 3 604 individus de l’échantillon consiste à fixer le coût des opérations d’insertion/suppression à un niveau standard de 1 et de calculer les coûts de substitution à partir de la matrice des taux de transition entre états, réellement observés dans l’échantillon. Ce faisant, l’algorithme de calcul des distances privilégie les opérations de substitution, ce qui permet de respecter au mieux la succession historique des états. Pour une discussion des modes de fixation des coûts et de leurs effets, voir notamment Robette (2012).
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[9]
Deux autres appariements optimaux ont été opérés : l’un sur la seule classe 2, qui engendre une classification en quatre sous-classes (2a, 2b, 2c, 2d) ; l’autre sur la seule classe 3, qui engendre une classification également en quatre sous-classes (3a, 3b, 3c, 3d) (voir tableaux A2 et A3 en annexes).
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[10]
Les interruptions puis reprises d’études demeurent minoritaires : les transitions de sortie d’études concernent à peu près 85 % des individus des classes 1 et 4 sortant de formation initiale.
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[11]
57 % des individus de la classe 1 ont redoublé au moins une classe, contre 20,4 % des individus de la classe 4.
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[12]
Tâche à de futures recherches de montrer dans quelle mesure cette réaction à la conjoncture économique est plus ou moins forte pour les étudiants immigrés que pour les natifs ou descendants d’immigrés.
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[13]
Ces deux caractéristiques se recoupent partiellement : 82 % des individus titulaires d’un contrat de travail avant de venir en France arrivent avec un permis de séjour en tant que travailleur, mais 63 % des personnes ayant un permis de séjour en tant que travailleur n’ont pas de contrat.
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[14]
Cette classe serait donc celle qui se rapproche le plus de la classe 6 (cf. infra), laquelle présente également plus de trajectoires dans les états « variable » et « autre », mais sans longues périodes de salariat. Cette classe 6 est difficile à décrire plus précisément, en raison d’effectifs faibles.
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[15]
Au-delà du cas algérien, c’est l’immigration de travail des années de croissance économique qui est symbolisée ici. Au cours de cette période, en effet, cette immigration de travail a été organisée et suscitée par l’État et les grandes entreprises, notamment sous la forme de conventions de main-d’œuvre avec des pays étrangers.
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[16]
Contrairement à une idée répandue, la politique de regroupement familial n’est pas une invention des années 1970. Le droit au regroupement familial est garanti par l’ordonnance de 1945, puis confirmé par un décret du 29 avril 1976, sous conditions de garanties de qualité du logement, avant d’être suspendu pour trois ans en septembre 1977.
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[17]
La catégorie « regroupement familial » pour le premier titre de séjour obtenu concerne à la fois des hommes et des femmes dans l’enquête TeO. Mais l’âge à l’arrivée des personnes issues du regroupement familial diffère fortement selon les sexes : 90 % des personnes qui arrivent majeures au titre du regroupement familial sont des femmes (qui représentent 66 % des titres de séjour pour ce motif), alors que 90 % des hommes admis sur le territoire au titre du regroupement familial sont arrivés à moins de 18 ans (ce n’est le cas que de 34 % des personnes qui arrivent à ce titre). Le regroupement familial masculin est donc essentiellement le fait d’immigrés enfants.
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[18]
Dans les traitements préliminaires de l’enquête, les trajectoires ont été analysées par MAO en distinguant a priori deux sous-populations, l’une masculine et l’autre féminine. Les deux typologies qui en résultent ne diffèrent pas fondamentalement de celle présentée dans cet article (seuls les effectifs changent, et les hommes n’ont pas de trajectoires au foyer).
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[19]
La décomposition de la classe 3 (salariés longue durée) distinguait un profil de trajectoires du foyer au salariat (classe 3c) très proche de celui des femmes rassemblées dans la classe 2a.
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[20]
Le motif de fin de vie commune est disponible dans l’enquête, selon trois modalités : séparation, divorce, décès.
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[21]
Les nouvelles possibilités d’appariement de données fournissent un ensemble de pistes à approfondir.
1Les années 1970 représentent une période de rupture tant sur le plan des conditions économiques que sur le plan de la politique migratoire française. Trouve-t-on trace de la crise économique et de la fermeture des frontières dans les trajectoires d’activité des personnes immigrées ? Les auteurs examinent cette question en les reconstruisant à partir des données de l’enquête Trajectoires et origines. Cette approche originale met en relief la diversité des parcours masculins et féminins et montre comment ils sont liés non seulement aux caractéristiques individuelles mais aussi au contexte sociohistorique.
2En France, les trajectoires d’activité des immigrés et de leurs descendants se caractérisent par certains traits distinctifs (Beauchemin et al., 2015a) : par rapport aux natifs, ils ont des parcours plus fréquemment précaires et marqués par un statut d’ouvrier ; d’un point de vue diachronique, spatial et social, les ressortissants de certains pays (européens notamment) occupent des postes fréquemment qualifiés et stables, les femmes connaissent souvent un passage plus ou moins long par le statut de femme au foyer qui influence leur trajectoire professionnelle et les individus arrivés avant le milieu des années 1970 ont plus de chances d’occuper un emploi stable que ceux ayant immigré plus récemment. Les trajectoires d’activité sont liées aux contextes historiques d’arrivée et à l’évolution des conditions générales d’emploi. Elles se différencient également selon les caractéristiques sociales des immigrés. C’est l’étude de ces dernières que cet article se propose de mener à partir de l’enquête Trajectoires et origines (TeO), pour examiner comment les trajectoires d’activité des immigrés se transforment et selon quels principes elles se différencient.
3Ce questionnement a déjà fait l’objet de plusieurs types de travaux. Des études historiques ont analysé les rapports entre politiques migratoires et composition des flux d’immigration, en montrant que ceux-ci contribuent à la production et à la reproduction de la classe ouvrière (Noiriel, 1988). Aux arrivées successives qui ont peuplé de façon différentielle les régions et les secteurs d’activité correspond la diversité professionnelle et sociale des immigrés (Wihtol de Wenden, 2016). D’autres études portant sur la période contemporaine se sont appuyées sur l’analyse quantitative d’enquêtes de la statistique publique : Mobilité géographique et insertion sociale, conduite par l’Ined en 1992 (Tribalat, 1995) ; Étude de l’histoire familiale, par l’Insee en 1999 ; Histoire de vie, par l’Insee en 2003 (Économie et statistique, 2006) ; les enquêtes Génération menées par le Céreq depuis 1998 ; TeO, par l’Insee et l’Ined en 2008 (Beauchemin et al., 2015a). Surtout, elles l’ont fait à la lumière d’une comparaison entre immigrés, natifs et descendants d’immigrés plus qu’à l’aune des différences au sein de la population immigrée. En ce qui concerne les trajectoires d’activité, ces études se fondent en général sur des méthodes économétriques et l’analyse d’états dichotomiques : activité ou inactivité, occupation ou non d’un emploi stable (Glaude et al., 1996), emploi ou chômage (Meurs et al., 2006), occupation ou non d’un emploi (Lacroix et al., 2017), promotion ou absence de promotion (Tavan, 2006). La forme des trajectoires, c’est-à-dire la succession dans le temps d’états divers, n’est que très rarement prise en considération (Tucci et al., 2013), sinon de manière qualitative (Lendaro, 2013).
4Le présent article prolonge ces travaux en construisant une typologie des trajectoires d’activité des immigrés arrivés en France entre 1968 et 1988. La structure des trajectoires sera prise en compte afin d’établir des types de rapports à l’emploi salarié et à l’inactivité pour les mettre en relation avec leurs caractéristiques sociales (trajectoires migratoires, origines sociales et géographiques). Cette démarche typologique permet de dépasser des critères dichotomiques de description des trajectoires, et donc d’appréhender un ensemble plus large de statuts d’activité. Expliquer la manière dont se construisent et se modifient les trajectoires des travailleurs migrants invite ainsi à adopter une démarche sociohistorique permettant de les rapporter, d’une part aux évolutions des procédures de contrôle des flux d’immigration et aux mutations du marché du travail, d’autre part aux transformations des caractéristiques sociales des migrants. Ainsi, à partir du début des années 1970, la composition des flux migratoires et les conditions d’entrée et de séjour des travailleurs immigrés sont profondément modifiées, sous l’effet de plusieurs évolutions combinées : restriction des règles d’entrée et de séjour des travailleurs et de leurs familles, mise en place de politiques d’incitation au retour et de limitation du regroupement familial, augmentation du chômage et des formes d’emploi précaire, féminisation et rajeunissement. Ces processus ont eu des conséquences sur les modalités d’insertion professionnelle et sociale des immigrés en France.
5Cet article comporte une dimension descriptive assumée : il s’agit de tirer parti de TeO – la dernière enquête disponible à ce jour sur des domaines variés de la vie sociale des immigrés (travail, conjugalité, parcours migratoire) – afin d’établir des types d’insertion professionnelle et sociale des personnes arrivées en France dans les années 1970 et 1980, période de fortes transformations économiques et sociales, et de modification profonde du régime migratoire.
6À partir d’une réflexion sur l’apport de TeO, cette étude décrit en premier lieu les caractéristiques les plus structurantes des statuts et trajectoires d’activité des immigrés pris en compte dans l’échantillon. Dans un second temps, elle analyse de manière plus fine les différents types de parcours, en réinscrivant chacun d’eux dans l’histoire de l’immigration en France, en les rapportant aux caractéristiques des migrants qui les composent et en modélisant les transitions auxquelles ils renvoient.
I. Quantifier des trajectoires d’activité avec TeO
1. Les difficultés d’une enquête rétrospective
7Les attendus politiques et scientifiques d’une enquête produisent des effets sur les conditions de son usage et les types d’arguments sociologiques qui peuvent en être tirés. Utiliser TeO pour embrasser la diversité des trajectoires d’activité de la population immigrée ne va pas tout à fait de soi à première vue [1]. Sans revenir ici sur la controverse suscitée lors de la conception de l’enquête et de la publication de ses premiers résultats [2], il faut rappeler que TeO a été commandée par les pouvoirs publics en 2003, à l’occasion du vingtième anniversaire de la Marche pour l’égalité et contre le racisme. Elle s’inscrit dans la tradition des grandes enquêtes sur l’immigration menées depuis la fin des années 1980 (Mobilité géographique et insertion sociale en 1992 ; Histoire de vie en 2003), à la jonction d’intérêts politiques et scientifiques relatifs à la mesure de la présence étrangère et immigrée en France, et à celle des discriminations (Spire, 1999a). TeO découle d’une volonté, affichée par ses concepteurs, de mesurer les discriminations qui visent les immigrés et leurs descendants, ainsi que la manière dont ces discriminations sont subjectivement vécues. Les questions relatives à l’emploi et à l’activité, en particulier celles consacrées à la reconstruction rétrospective de la trajectoire d’activité, constituent une des thématiques abordées dans l’enquête. D’un point de vue biographique, TeO permet de saisir le statut professionnel avant la migration, au moment de l’arrivée en France et – évidemment – en 2008, lors de la passation de l’enquête, ainsi que des informations annuelles sur le statut d’activité des individus (cf. infra).
8Une autre caractéristique de l’enquête illustre les difficultés auxquelles on peut être confronté lorsqu’il s’agit d’étudier des phénomènes du passé à partir d’une enquête rétrospective. Le sous-échantillon des immigrés porte sur 8 259 individus âgés, en 2008, de 60 ans au plus, qui sont donc arrivés en France entre 1948 et 2007. L’immigration de travail des années 1950-1960 est ainsi, par construction de l’enquête, peu représentée par rapport à son poids historique : les personnes interrogées qui sont arrivées à cette période étaient alors de très jeunes enfants. De plus, TeO ne permet pas de saisir certains profils spécifiques de travailleurs : ceux vivant en collectivité, notamment dans les foyers de travailleurs immigrés, n’ont pas été enquêtés. Enfin, les nécessités de l’enquête statistique impliquent que seuls les immigrés présents sur le territoire français en 2008 ont été enquêtés. La remarque peut paraître triviale, mais il faut garder à l’esprit que, de ce fait, l’on ne peut rien savoir de ceux qui ont quitté le territoire après y avoir passé un certain temps. Or, la propension au départ varie fortement selon les nationalités et les périodes historiques. Rien ne permet ainsi de penser que cette variabilité ne produise aucun effet sur la structure démographique et professionnelle de la population immigrée présente en France au moment de l’enquête (Thave, 1999 ; De Coulon et Wolff, 2005 ; Brutel, 2015 ; Solignac, 2016), même si, à proprement parler, « une telle hypothèse n’est pas vérifiable avec les sources statistiques disponibles en France » (Beauchemin et al., 2015b). La population étudiée par TeO est donc le produit de la construction politique et statistique de l’échantillon, et de la sédimentation historique de ces processus différenciés d’entrée, d’installation et de sortie des populations immigrées en France.
9Afin d’analyser les trajectoires d’activité des immigrés présents en France métropolitaine en 2008, la population étudiée a été limitée aux 3 604 individus arrivés sur le territoire entre 1968 et 1988 et âgés de 20 à 60 ans au moment de l’enquête. Ce choix découle de plusieurs contraintes. Premièrement, les contraintes d’échantillonnage (cf. supra) impliquent que les immigrés entrés dans les années 1950 et 1960 étaient alors âgés d’une dizaine d’années au plus, ce qui les rend non représentatifs de la réalité des flux migratoires de cette période (Beauchemin et al., 2015a). Ainsi, dans l’ensemble de la population de l’échantillon, 50 % des individus sont entrés en France avant l’âge de 22 ans. Mais cette répartition n’est pas stable dans le temps : l’âge moyen d'entrée sur le territoire et la dispersion des âges augmentent légèrement avec l’année d’arrivée. D’où la nécessité de ne pas considérer des individus arrivés tôt (donc jeunes, par effet d’échantillonnage) et le choix de ne retenir que ceux entrés en France après 1968. Deuxièmement, le mode d’échantillonnage pose un problème de censure à droite de l’information biographique : au moment de l’enquête, en 2008, certains individus sont au terme de leur vie professionnelle ou s’en approchent, alors que d’autres, entrés plus récemment ou très jeunes sur le territoire, n’en sont qu’aux premières années d’observation dans TeO. D’où la nécessité de considérer un nombre d’années identique pour tous les individus, en l’occurrence les 21 premières années de présence en France. L’étude exclut ainsi les individus arrivés après 1988 [3].
2. Les dynamiques des statuts d’activité
10Lors de la passation de l’enquête, des informations rétrospectives sur les trajectoires d’activité ont été recueillies : à partir de sa date d’entrée sur le territoire français ou de sa date de fin d’études (si elle était postérieure à la date d’entrée), chaque individu enquêté a dû renseigner, dans un calendrier annuel, sa situation selon sept états précodés : « au foyer », « salarié », « chômeur », « indépendant », « en études », « variable » et « autre ». D’après le questionnaire, l’état de salarié recouvre, outre l’emploi salarié, les situations d’apprentissage ou de stage rémunéré. L’état d’indépendant comprend les personnes à leur compte ou aidant une autre personne dans son travail. Les chômeurs peuvent être ou non inscrits à l’ANPE [4]. L’état « en études » inclut les élèves, les étudiants et les individus en stage non rémunéré. L’état « autre » est flou, puisqu’il inclut le service national, la retraite, les situations de handicap et d’autres situations non précisées. Il ne sera pas tenu compte de ce dernier état dans l’analyse. Le septième état, « variable », codé après la passation de l’enquête, est attribué aux années au cours desquelles l’individu a connu plusieurs états différents, en particulier des périodes alternant emploi et chômage. Ces informations biographiques permettent de dresser un premier panorama des trajectoires d’activité des individus arrivés entre 1968 et 1988, et d’évaluer le rapport entre trajectoires, évolution des conditions d’entrée et de séjour et caractéristiques sociales des immigrés.
11Si l’on observe la succession de ces états dans le temps durant les 21 premières années de présence sur le territoire français, on ne peut, en premier lieu, qu’être marqué par la forte diversité des trajectoires : les dix trajectoires les plus fréquentes de l’échantillon ne représentent que 34 % des individus. Toutefois, trois états dominent nettement : « salarié » (en moyenne 10 ans sur 21), « en études » (6 ans) et « au foyer » (3 ans). Le travail salarié demeure donc une expérience structurante de la vie sociale des immigrés, puisque les trois quarts des trajectoires comportent au moins un an en salariat, et près de la moitié plus de dix ans. La trajectoire la plus fréquente (10 % de l’échantillon) consiste en 21 années de salariat continu.
12Ces constats doivent toutefois être distingués selon le sexe et la période d’arrivée. La population de TeO, représentative, selon le critère du sexe, de la population immigrée totale, se féminise au cours de la période. Une féminisation qui n’est pas sans conséquence sur la condition de travailleurs, qui sont de plus en plus des travailleuses. En effet, si la différence la plus nette entre hommes et femmes est relative à l’état « au foyer » (dans laquelle aucun homme n’est enregistré), il faut noter que le salariat est, pour les femmes comme les hommes, l’état majoritaire au-delà d’une dizaine d’années de présence en France (même si le début est différé de quelques années pour les femmes). Pour les femmes qui connaissent des épisodes plus ou moins longs au foyer, le rapport à l’emploi est divers et requiert une attention particulière : selon que la personne se trouve en début ou en fin de trajectoire, il ne répond sans doute pas aux mêmes logiques sociales, professionnelles et familiales.
13En outre, les modalités d’entrée dans l’emploi et de poursuite d’une trajectoire d’emploi salarié sont différées et modifiées au fil du temps. D’un point de vue historique, il faut rappeler que l’enquête TeO, du fait de ses contraintes d’échantillonnage sur la période et l’âge d’arrivée, ne permet d’observer que partiellement les trajectoires d’activité antérieures aux années 1970. Toutefois, on constate des distinctions en fonction de la période d’entrée sur le territoire, notamment autour de la suspension de l’immigration de travail, en juillet 1974 : la part des individus qui occupent un emploi salarié dès leur arrivée décroît après 1974 (35 % pour la période 1968-1974, contre plus ou moins 20 % pour les périodes suivantes). L’entrée dans le monde du travail n’est toutefois que différée : quelle que soit la période historique, les états « salarié » et « indépendant » concentrent, après environ 10 années passées sur le territoire, plus de la moitié des immigrés. Si le premier demeure prédominant, les années 1980-1990 voient une montée en puissance de l’emploi indépendant, dont les déterminants devront aussi être étudiés.
14La « fin » de l’immigration de travail ne signifie donc nullement la fin des immigrés au travail. La transformation des politiques migratoires dans les années 1970, si elle contribue à un rajeunissement et à une féminisation des flux – qui expliquent sans doute l’effet retard de l’insertion sur le marché du travail – est aussi associée à une modification des conditions de résidence légale sur le territoire : dans l’échantillon de l’enquête, la baisse du nombre d’individus ayant un travail salarié à leur arrivée doit ainsi être mis en rapport avec l’évolution des statistiques d’attribution des cartes de séjour (figure 1), qui montrent un déclin net du travail comme motif d’accès légal au territoire et au marché du travail en France [5].
15Enfin, même si l’évolution n’est pas massive, il faut noter l’augmentation, au fil du temps, de la part d’individus au chômage, notamment en début de trajectoire [6]. Le chômage reste très minoritaire parmi la population étudiée, mais il semble jouer un rôle perturbateur des trajectoires d’activité salariée (cf. infra). Ce constat est corroboré par le fait que la part d’individus connaissant au moins une année de chômage (sur les vingt et une premières années de présence en France) augmente à mesure que l’entrée sur le territoire est plus récente [7].
16Cette première description des trajectoires d’activité des immigrés arrivés en France entre 1968 et 1988, et âgés de moins de 60 ans en 2008, permet ainsi de relativiser la rupture de 1974 (Laurens, 2008), tout en mettant en évidence des recompositions fortes sur la période, malgré le caractère structurant du travail comme principe organisateur des trajectoires d’activité : montée de l’activité indépendante, féminisation de la population engendrant des trajectoires de femmes au foyer et/ou en emploi salarié, insertion plus difficile dans le salariat stable après 1974, dimension structurante (liée au rajeunissement des flux) du passage entre études et emploi salarié pour les immigrés, question du chômage et de la pénétration de formes d’emploi précaire parmi les immigrés.
Type de titre de séjour par année d’arrivée
Type de titre de séjour par année d’arrivée
17On le voit, la compréhension des trajectoires d’activité croise facteurs historiques et caractéristiques individuelles. En quoi ces types de trajectoires renvoient-ils à des profils sociodémographiques et migratoires distincts ? Comment expliquer les transitions les plus fréquentes entre études, emploi salarié ou indépendant, chômage et inactivité au foyer ? En quoi ces types de trajectoires et ces transitions renseignent-ils sur la transformation des flux migratoires et des conditions d’accueil et de séjour des immigrés en France ?
II. Les déterminants sociaux des trajectoires d’activité
18Afin de synthétiser la complexité et la variabilité de ces trajectoires d’activité, c’est la méthode de l’appariement optimal (MAO) qui a été retenue, puis, comme c’est l’usage dans ce type d’analyse, une classification ascendante hiérarchique [8], qui permet de distinguer, en première analyse, six grands types de trajectoires d’activité des immigrés arrivés en France entre 1968 et 1988 [9] (figure 2). Il s’agit désormais de mettre en relation ces trajectoires avec les propriétés sociodémographiques des individus et avec certaines caractéristiques de leurs trajectoires professionnelle et migratoire (voir tableaux en annexe). Sont ensuite estimées les probabilités de passage d’un état à l’autre pour certaines classes au sein desquelles ces transitions sont les plus fréquentes (cf. encadré).
Chronogrammes* des six classes issues de la MAO
Chronogrammes* des six classes issues de la MAO
Encadré. Modéliser les transitions
1. Études → Chômage versus Études → Emploi (salarié ou indépendant). Champ : classes 1 et 4 [10].
2. Emploi → Chômage versus Emploi → Emploi. Champ : classes 1, 3a, 3b, 4, 5.
3. Foyer → Emploi versus Foyer → Foyer. Champ : classes 1, 2a, 2b, 2c, 2d, 3a, 3c, 4.
4. Emploi → Foyer versus Emploi → Emploi. Champ : classes 1, 2a, 2b, 2c, 2d, 3a, 3c, 4.
Les modèles 3 et 4 ne concernent que des femmes – qui sont les seules à connaître ces types de transitions. Les variables explicatives de chacun des modèles diffèrent en fonction des éléments descriptifs issus de la MAO. La période historique et le moment dans la trajectoire individuelle importent. Certaines variables explicatives sont donc indexées au temps : âge au moment de la transition, période de la transition, situation conjugale et présence d’enfants au moment de la transition.
1. Étudiants et jeunes actifs
19Les classes 1 et 4 (1 575 individus, soit plus de 40 % de l’échantillon) rassemblent des immigrés ayant connu plusieurs années d’études avant une transition vers des périodes de salariat de courte durée. Les individus de ces deux classes sont plus diplômés (dans les deux cas, au moins 32 % ont un diplôme supérieur au baccalauréat, contre 22 % pour l’ensemble de l’échantillon) et occupent des premiers emplois relativement plus qualifiés : cadre ou profession intellectuelle supérieure pour 11 % de la classe 1 et 13 % de la classe 4, contre 7 % dans l’ensemble de l’échantillon (ils sont aussi sur-représentés parmi les techniciens et agents de maîtrise). Sans surprise, ils sont arrivés plus jeunes en France, surtout les individus de la classe 1, qui ont immigré en moyenne à l’âge de 6 ans – et avant l’âge de 10 ans pour 80 % d’entre eux. Ils ont beaucoup moins fréquemment des parents agriculteurs, sans pour autant avoir des origines sociales plus élevées que la moyenne, puisqu’ils sont majoritairement enfants d’ouvriers. S’ils sont plus souvent arrivés dans les années 1970, ils diffèrent de façon plus notable encore du point de vue de leur titre de séjour : une plus grande part a immigré au titre du regroupement familial (classe 1) ou pour motif d’études (classe 4). Enfin, en 2008, ils sont plus des deux tiers à avoir la nationalité française, alors que cela ne concerne que 54 % de l’ensemble de l’échantillon.
20Ces deux classes mêlent sans doute des trajectoires et des motifs de migration hétérogènes : migration d’individus de classes sociales moyennes ou supérieures pour l’accomplissement d’études longues (médecine, doctorat, grandes écoles), ou parcours scolaires – éventuellement marqués par des redoublements [11] – d’immigrés de classes populaires arrivés très jeunes. Le seul rapprochement sur le critère de la trajectoire, à travers les deux états des études puis du salariat, masque ainsi une hétérogénéité déjà bien documentée par d’autres travaux : les classes 1 et 4 correspondent respectivement aux deuxième et troisième types d’immigrés distingués par Moguérou et al. (2015), à savoir ceux « venus enfants ou adolescents » et ceux venus « pour études ». On retrouve notamment les mêmes différences importantes pour le premier titre de séjour obtenu, le pays d’origine ou les dates d’arrivée.
21L’importance numérique de ces deux classes souligne le fait que le rajeunissement des flux migratoires sur la période s’est traduit par l’entrée en nombre de jeunes immigrés dans le système éducatif français, contribuant ainsi à la diversification des statuts sociaux attachés à la condition d’immigré, qui n’est donc plus immédiatement et plus seulement un travailleur. Les étudiants entretiennent toutefois, pour nombre d’entre eux, un rapport avec le monde du travail : la transition des études soit vers un emploi de salarié ou d’indépendant, soit vers le chômage ou un statut variable, constitue le second trait caractéristique de ces classes 1 et 4. La modélisation de cette transition (cf. encadré et tableau 1, modèle 1) permet de montrer que, à partir des années 1980, ces étudiants n’ont pas été épargnés par la crise de l’emploi (Merckling, 1998), comme les natifs (Peugny, 2007) ou les descendants d’immigrés (Brinbaum et al., 2015a). En effet, le modèle indique que la probabilité de passer des études au chômage est plus faible, toutes choses égales par ailleurs, avant la fin des années 1970. Le fait de finir ses études avant les années 1980 réduit fortement la probabilité de connaître le chômage (plutôt que l’emploi) au sortir des études, par rapport à ceux qui terminent ces dernières pendant les décennies suivantes. Autrement dit, le recours à une modélisation logistique, toutes choses égales par ailleurs, et la prise en compte de l’année de sortie des études soulignent que ces difficultés d’insertion tiennent pour partie à un effet de composition de cette population immigrée étudiante (significativité, par exemple, de la variable d’origine géographique), mais aussi à un effet propre à l’année de sortie, donc au contexte économique [12].
2. Figures du travailleur immigré
Prédominance de l’immigration de travail
22Les classes 3 et 5 se caractérisent avant tout par de longues périodes de salariat (18,3 ans en moyenne contre 10 pour l’ensemble de l’échantillon) ou d’emploi indépendant (12 années en moyenne contre moins d’une pour l’ensemble de l’échantillon), et une nette surreprésentation masculine (64 % d’hommes dans les deux classes confondues, contre 48 % pour l’ensemble de l’échantillon). Les individus de ces classes ont pour point commun d’avoir effectué une migration fortement axée autour du travail : ils sont plus fréquemment que les autres arrivés en France munis d’un contrat de travail (13 % contre 5 %) ou d’un permis de travail (41 % contre 20 % [13]). Ils ont aussi davantage travaillé avant la migration (56 % contre 28 %), ce qui renvoie au fait qu’ils arrivent plus âgés en France.
23Les individus de ces deux classes sont ainsi essentiellement caractérisés par leur force de travail, renvoyant à l’archétype du travailleur immigré, abondamment analysé par la sociologie (Morice et Potot, 2010) et dont la réalité sociohistorique est attestée ici dans son caractère massif par le fait que ces deux classes concentrent à elles seules 1 358 individus, soit un peu plus d’un tiers de l’échantillon (38 %).
Une apparente homogénéité recouvrant des profils différenciés
24Le constat de cette prédominance ne doit toutefois pas masquer certaines différenciations au sein de la population des travailleurs immigrés. En effet, les trajectoires de la classe 3 sont de deux types : une majorité d’individus connaissent une trajectoire continue de salariat, mais certains connaissent d’autres états (au foyer, en études, au chômage). Pour approfondir cette distinction et délimiter plus finement différents types au sein de cette immigration de travail, un nouvel appariement optimal des trajectoires d’activité des seuls individus de la classe 3 a été mis en œuvre, ce qui permet de distinguer quatre sous-profils (classes 3a, 3b, 3c et 3d – cf. figure 3).
Chronogrammes des quatre classes issues de la décomposition de la classe 3 des immigrés salariés
Chronogrammes des quatre classes issues de la décomposition de la classe 3 des immigrés salariés
25Les individus de la classe 3a présentent majoritairement des trajectoires salariales continues (60 % d’entre eux ne connaissent aucun autre état que le salariat et y passent en moyenne 20 ans) commencées dès l’arrivée en France. Les classes 3b et 3c, de tailles beaucoup plus réduites que la classe 3a (à elles deux, elles ne comptent que pour un quart de l’effectif de la classe 3a), affichent également de longues périodes salariées (respectivement 12 et 15 ans, en moyenne), mais contiennent des profils de trajectoires différents. La classe 3b rassemble des parcours plus heurtés : plus de transitions et des temps moyens plus longs dans d’autres états que l’emploi salarié, avec notamment une durée au chômage moyenne de 2 ans [14]. Quant à la classe 3c, elle est presque exclusivement constituée de femmes, qui commencent par être inactives au foyer pendant quelques années (6 ans en moyenne) avant de passer au salariat, ce qui rejoint des trajectoires de femmes au foyer analysées infra. Enfin, la classe 3d, qui rassemble les trajectoires de chômage de longue durée, a des effectifs trop réduits (n = 27) pour donner lieu à une interprétation, ce qui montre que les trajectoires durables au chômage sont peu fréquentes au sein de la population immigrée de TeO.
26Ces types de trajectoires de travailleurs salariés renvoient à des différences dans les caractéristiques individuelles, les trajectoires migratoires et le rapport à l’emploi. La distinction entre salariat continu et salariat « heurté », notamment, est corrélée à la période d’entrée, ainsi qu’aux origines sociales et migratoires. En effet, les individus de la classe 3a ont plus fréquemment des parents agriculteurs et ont plus souvent travaillé avant d’émigrer à un âge relativement plus avancé, et avant 1974. Ils sont également plus nombreux à être arrivés en France munis d’un permis et d’un contrat de travail, et ont occupé un premier emploi d’ouvrier. Près d’un quart d’entre eux viennent des pays du sud de l’Europe (Portugal, Espagne, Italie) et 50 % sont, en 2008, en couple avec une conjointe rencontrée à l’étranger. On retrouve donc ici les caractéristiques de l’immigration de travail, décrite notamment par Sayad (1999) dans le cas des Algériens [15]. Ceux de la classe 3b, s’ils sont très majoritairement des hommes ouvriers, comme dans la classe 3a, arrivent plus fréquemment après 1974 et disposent moins fréquemment d’une carte de travailleur, au profit de cartes de réfugiés ou de conjoints de français [16].
27Ceci recoupe la rupture du début des années 1970, qui détermine des conditions différentes de séjour légal et induit une modification des formes de trajectoire : les individus de la classe 3a, dont plus du tiers arrivent avant 1974, disposent d’une première carte de séjour de travailleur pour plus de 45 % d’entre eux (ce n’est le cas que de 35 % des individus de la classe 3b). La principale distinction avec la classe 3b réside dans le fait que les trajectoires de cette dernière sont sur-représentées après la suspension temporaire de l’immigration du travail en 1974 et une dégradation générale des conditions économiques à la même période : les individus en salariat «heurté » de la classe 3b connaissent ainsi, en moyenne, 1,8 année en chômage (contre 0,4 dans l’ensemble de l’échantillon et 0,2 dans la classe 1). C’est aussi un trait caractéristique de la classe 3d, qui, rappelons-le, rassemble les trajectoires – certes rares – de chômage de longue durée : les individus appartenant à cette classe sont nettement sur-représentés parmi les immigrés arrivant dans les années 1980. Le deuxième modèle estimé conforte cette idée en montrant un effet de période statistiquement significatif à partir de la fin des années 1990 : toutes choses égales par ailleurs, les transitions de l’emploi vers le chômage sont ainsi 1,5 fois plus probables dans les années 1999-2008 par rapport à la période 1982-1992 et plus tôt (cf. tableau 1, modèle 2).
3. L’entrepreneuriat
28Les travailleurs immigrés ne se distinguent pas uniquement selon le type de trajectoire salariale. Une différence marquante sépare les individus des classes 3 et 5, ces derniers connaissant des périodes plus ou moins longues dans l’état « indépendant ». Ce profil reste toutefois minoritaire : la classe 3 contient 1 207 individus, alors que les indépendants de la classe 5 ne sont que 151. Le statut d’indépendant correspond souvent à un moment d’une trajectoire professionnelle : seuls 8 individus de la classe 5 sont indépendants pendant les 21 années de leur trajectoire, la moyenne étant de 12 années.
29Leurs origines sociales sont plus élevées que celles des individus des autres classes, ce qui conforte l’idée que devenir puis rester indépendant pendant plusieurs années requiert des « appuis sociaux » (Zalio, 2009) : 44 % ont un père artisan, commerçant, chef d’entreprise ou cadre, contre 23 % pour l’ensemble de l’échantillon ; 29 % ont un père diplômé du baccalauréat au moins, contre 15 % pour l’ensemble de l’échantillon (des constats similaires s’appliquent aux diplômes et catégories socioprofessionnelles des mères). De plus, lorsqu’ils occupaient un emploi avant d’émigrer (soit environ la moitié d’entre eux), ils travaillaient plus fréquemment dans des catégories autres que paysans, ouvriers ou employés (22 %, contre 11 % pour la classe 3).
30Ces distinctions reflètent probablement des effets liés à la date d’arrivée en France, au pays d’origine et à l’origine sociale : ces indépendants ont eu plutôt tendance à arriver après 1974 et plus encore dans les années 1980, ce qui tient à la fois aux modifications des conditions d’obtention de la carte de commerçant étranger (supprimée à partir de 1984, après une période où elle était délivrée plus facilement) et au contexte de crise du marché du travail qui caractérise cette période ; 27 % d’entre eux sont originaires d’Asie (contre 19 % pour l’ensemble de l’échantillon) ou de Turquie et d’autres pays européens ; enfin, leurs trajectoires sont plus changeantes que celles de la classe 3 – et même que l’ensemble de l’échantillon, comme l’indique le fait qu’ils connaissent un nombre plus élevé de transitions d’un état à un autre. Sans doute le passage à l’emploi indépendant ajoute-t-il mécaniquement au moins une transition à la trajectoire. Mais on peut se demander dans quelle mesure cette plus forte variabilité des états témoigne d’une instabilité plus marquée des trajectoires, renvoyant par exemple à des passages contraints par le statut d’indépendant, faute de trouver un emploi salarié.
31Le passage à l’indépendance durable a, le plus souvent, lieu après un épisode d’études ou de salariat. Les effectifs modestes de cet état dans l’étude TeO rendent difficile un sous-découpage de cette classe et la caractérisation des distinctions obtenues. Plusieurs hypothèses concurrentes restent ainsi ouvertes : certains salariés deviennent indépendants parce qu’ils ont un capital de départ lié à un héritage ou à de l’épargne, parce qu’ils quittent le salariat (par exemple, à la suite d’un licenciement) ou parce qu’ils ont acquis assez d’expérience dans un domaine pour se mettre à leur compte. Mais ces hypothèses ne peuvent être mises à l’épreuve, faute d’informations suffisamment détaillées, dans TeO, sur les trajectoires d’emploi des actifs non salariés.
Tableau 1. Modélisation de différentes transitions de statut d’activité
Tableau 1. Modélisation de différentes transitions de statut d’activité
4. Les femmes entre foyer et emploi
32L’enquête TeO corrobore la « tendance à la féminisation de la population immigrée » (Beauchemin et al., 2015b, p. 68). Ainsi l’immigration du travail régresse au profit du regroupement familial, plus souvent – mais non exclusivement – féminin [17].
33L’analyse de trajectoires a permis de distinguer une classe exclusivement féminine, qui renvoie de manière prédominante à l’état de « femme au foyer » (classe 2), même si les femmes sont présentes également dans les autres classes, en particulier celles correspondant à des trajectoires d’études (classes 1 et 4) ou de salariat (classe 3, et plus spécifiquement la sous-classe 3c) [18]. Les femmes de la classe 2 sont plus fréquemment arrivées en France après 1974 (moins de 20 % d’entre elles arrivent avant 1974 contre 28 % pour l’ensemble de l’échantillon), avec un titre de séjour pour motif de regroupement familial ou de conjoint de ressortissant français. Si l’on procède comme pour la classe des salariés, il est alors possible de distinguer quatre sous-types de trajectoires de femmes immigrées (figure 4).
Une forte diversité de trajectoires de femmes au foyer
34C’est en premier lieu le rapport à l’emploi salarié qui distingue ces sous-classes : le profil le plus courant (n = 271) est celui des femmes de la classe 2b qui demeurent au foyer tout au long de leurs vingt et une premières années de présence sur le territoire français (20 années au foyer en moyenne), alors que toutes les autres connaissent des périodes plus longues de salariat. Au contraire, celles des classes 2a et 3c [19](n = 205) entrent progressivement sur le marché du travail et demeurent en moyenne respectivement 6 et 15 ans en salariat, tandis que celles des classes 2c et 2d (n = 118) suivent le chemin inverse.
35Comme le note Chloé Tavan (2006), ces différences de trajectoires font écho aux caractéristiques des femmes concernées et à leurs parcours migratoires. Ainsi, les femmes entrant sur le marché du travail (classes 2a et 3c) arrivent plus jeunes, ont moins souvent rencontré et épousé leur conjoint avant de migrer, arrivent moins fréquemment au titre du regroupement familial (35 %, contre 56 % pour les femmes de la classe 2b) et ont un peu plus souvent travaillé dans leur pays d’origine (30 %, contre 24 % dans la classe 2b, mais cette comparaison est en partie tronquée par des non-réponses dues à des arrivées plus jeunes). En revanche, celles qui demeurent au foyer (classe 2b) sont fréquemment d’origine algérienne, marocaine, tunisienne ou turque : il s’agit d’une immigration familiale fortement marquée par l’immigration de travail des hommes.
Chronogrammes des quatre classes issues de la décomposition de la classe 2
Chronogrammes des quatre classes issues de la décomposition de la classe 2
Hypothèses sur les transitions entre foyer et emploi
36Comment expliquer que certaines femmes occupent un emploi, qui plus est après plusieurs années au foyer, alors que ce n’est jamais le cas pour d’autres ? On peut supposer que cela tient à des effets de cycle de vie (départ des enfants du foyer familial) ou à une rupture biographique (décès du conjoint, perte d’emploi, séparation conjugale). C’est du moins l’une des explications données par Annalisa Lendaro (2013) dans sa description de parcours typiques de femme immigrées. Si la première hypothèse n’est pas testable dans TeO faute des variables adéquates, la seconde en revanche peut être au moins en partie mise à l’épreuve. En effet, les individus de TeO ont, le cas échéant, été interrogés sur l’année de fin de vie commune avec le premier conjoint [20]. Cette restriction à la première relation conjugale de l’enquêté occulte potentiellement d’autres ruptures et conduit sans doute à sous-estimer le phénomène. Néanmoins, le fait de connaître une rupture conjugale multiplie par plus de quatre la chance de connaître la transition foyer-emploi. C’est donc un facteur déterminant pour expliquer l’entrée sur le marché du travail de ces femmes après plusieurs années d’inactivité. Le fait d’avoir déjà travaillé dans le pays d’origine influe également positivement sur ce retour à l’emploi.
37De manière symétrique, on fait l’hypothèse que les passages de l’emploi au foyer sont en partie liés à une mise en couple ou à la naissance d’un nouvel enfant. On peut, pour chaque femme, reconstituer le nombre d’enfants pour chaque année de sa trajectoire à partir de leurs dates de naissance, l’hypothèse sous-jacente étant que la naissance d’un enfant a un effet négatif à terme sur la transition foyer-emploi et un effet positif sur la transition emploi-foyer. Toutefois, il ne s’agit que d’une estimation, puisque le nombre d’enfants ne peut qu’être inféré du tableau des habitants du logement et ne prend donc en compte que ceux vivant toujours au foyer parental. Cette restriction, qui laisse dans l’ombre les enfants émancipés ou habitant le pays d’origine, conduit ainsi à sous-estimer l’effet de la charge parentale sur l’entrée en emploi. Cela explique vraisemblablement qu’aucun des deux modèles ne permette de conclure sur l’effet du nombre ou de l’âge des enfants au moment de la transition : plusieurs codages différents ont été essayés en ce sens et aucun n’est significatif (d’où l’absence de ces coefficients dans le tableau de résultats).
38En revanche, l’expérience de la première mise en couple est fortement corrélée à la probabilité de connaître une transition emploi-foyer, en augmentant de plus de deux fois son rapport de chances (tableau 1, modèle 4). Le retrait de la vie active après l’entrée dans la conjugalité pèse donc fortement sur la trajectoire professionnelle des femmes immigrées. Le fait d’avoir déjà travaillé avant ou après l’arrivée en France joue positivement sur la probabilité d’entrer à nouveau sur le marché du travail en France et négativement sur la probabilité de le quitter pour aller au foyer.
39Enfin, le niveau de diplôme atteint ne produit pas d’effets significatifs dans les modèles de régression, hormis un effet positif de l’absence de diplôme sur la transition emploi-foyer : comme pour l’ensemble des femmes, les non-diplômées ont plus de chances de connaître cette transition (plutôt que de rester en emploi salarié) par rapport aux femmes munies d’un CEP ou d’un BEP (toutes choses égales par ailleurs dans le modèle).
Conclusion
40L’analyse des trajectoires d’activité est une manière de saisir les transformations des conditions d’emploi et des conditions d’entrée et de séjour des immigrés sur le territoire français. Des approches historiques ont déjà montré tout l’intérêt de comprendre de façon conjointe l’évolution des trajectoires et les transformations des mondes de production (Bruno, 2010). Plus modestement, et sans pouvoir lier de façon dynamique les caractéristiques des trajectoires et celles des espaces d’emploi, la présente étude a montré que certaines transitions (emploi-chômage ou entrée différée dans le salariat) sont plus fréquentes après la crise des années 1970 et la fermeture des frontières françaises à l’immigration de travail en 1974 : les trajectoires d’activité sont modelées par le système de contraintes juridiques et administratives mises en place par l’appareil d’État pour contrôler les flux d’entrants (conditions d’obtention des différents titres de séjour), mais aussi l’état des opportunités sur le marché du travail (plus ou moins grande stabilité de l’emploi, progression du chômage) et les caractéristiques des migrants (âge, sexe, niveau de qualification, contextes d’émigration). Pour les femmes notamment, les trajectoires d’activité sont fortement hétérogènes, ce qui est dû en partie à la conjonction entre des entrées tardives sur le marché du travail, des ruptures conjugales et l’effet de la restriction des opportunités d’emploi. Concernant les jeunes en études, on montre aussi que le fait de connaître une transition vers l’emploi salarié stable est dû non seulement aux caractéristiques du milieu social d’origine, mais aussi au moment où ces transitions ont lieu.
41Sur le plan méthodologique, les informations biographiques peuvent être considérées selon deux prismes d’analyse temporelle : un prisme structural attentif à la globalité d’une trajectoire et aux ressemblances entre trajectoires (MAO), et un prisme événementiel focalisé sur les déterminants des probabilités de passage d’un état à un autre (régressions logistiques). L’enquête TeO fournit ainsi une information riche permettant de conduire une analyse sociohistorique de l’immigration en France et d’avancer dans l’explicitation des déterminants sociaux pour tel ou tel type de trajectoire d’activité. À mesure que l’étude s’attachait à comprendre les trajectoires d’activité identifiées, elle s’est toutefois trouvée confrontée à certaines limites dues aux difficultés de saisir des trajectoires professionnelles du passé dans une grande enquête statistique du présent. Premièrement, l’échelle annuelle de l’information saisie dans les calendriers rétrospectifs de TeO, si elle répond à des contraintes dues à la difficulté de recueillir de façon fiable des informations complexes liées à des événements passés, ne permet pas de distinguer de façon fine les ruptures biographiques et rejette en un état « variable » les périodes les plus instables. Deuxièmement, une autre limite de cette étude est liée à l’impossibilité, avec TeO, de distinguer dans le temps les situations de salariat selon la nature et la qualification de l’emploi (secteur, type de contrat de travail, niveau de qualification). Troisièmement, la collecte rétrospective d’informations biographiques laisse dans l’ombre certaines caractéristiques pourtant nécessaires pour comprendre les transitions de façon fine : profession, nombre d’enfants, statut matrimonial, type de titre de séjour et de travail, moment précis de la naturalisation éventuelle. L’analyse historique de la dynamique des trajectoires individuelles et des espaces de production (secteurs, taille des entreprises, composition de la main-d’œuvre) doit donc être poursuivie, sans doute en croisant et en diversifiant les sources et les lieux d’observation [21].
Tableau A.1. Description statistique des classes de trajectoires issues de la MAO
Tableau A.1. Description statistique des classes de trajectoires issues de la MAO
Tableau A.2. Description statistique des classes issues de la décomposition de la classe 3
Tableau A.2. Description statistique des classes issues de la décomposition de la classe 3
Tableau A.3. Description statistique des classes issues de la décomposition de la classe 2
Tableau A.3. Description statistique des classes issues de la décomposition de la classe 2
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Notes
-
[1]
Les caractéristiques techniques de l’enquête, ainsi que la documentation associée (échantillonnage, questionnaire, dictionnaire des variables), sont disponibles sur le site dédié : http://teo.site.ined.fr.
-
[2]
Voir le dossier-débat de la Revue française de sociologie coordonné par George Felouzis (2008).
-
[3]
Dans la mesure où cette étude porte sur un sous-échantillon, non représentatif, d'individus arrivés entre 1968 et 1988 sur le territoire français, les poids conçus pour rapprocher l'échantillon de TeO de l'EAR 2008 n’ont pas été utilisés dans les traitements statistiques. Notre propos n'est pas d'inférer à partir de TeO des caractéristiques de la population de référence, mais de caractériser des configurations et des corrélations au sein d'une population reconstituée à partir de l'échantillon de TeO. Des traitements statistiques avec pondération ont été mis en œuvre, à des fins de test de robustesse des résultats, les, dans l'optimal matching, les statistiques descriptives de caractérisation des classes issues de la classification ascendante hiérarchique, et les modèles de transition. Cela n'occasionne aucun changement quant à la signification générale des corrélations mises en évidence.
-
[4]
Agence nationale pour l’emploi, devenu Pôle emploi au moment de sa fusion avec l’Association pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (Assedic), en décembre 2008.
-
[5]
Les années 1970 et 1980 sont celles d’une modification relative des modalités d’entrée légale sur le territoire : diminution de la part des cartes de séjour au titre du travail et augmentation de celles au titre du droit d’asile (jusqu’en 1980, voir Spire, 1999b), du regroupement familial, du rapprochement de conjoint français et des études (Labat 1993, p. 39-40).
-
[6]
La probabilité de connaître au moins une année de chômage est de 15,2 % pour l’ensemble de la période. Elle n’est que de 11,1 % pour les personnes arrivées entre 1968 et 1974, et elle augmente au fil du temps, culminant à 18,6 % pour les personnes arrivées entre 1984 et 1988. La probabilité de connaître au moins une année de chômage au cours des cinq premières années de présence en France augmente aussi au fil du temps : elle est de 14,2 % pour les individus arrivés avant 1974, de 22,3 % pour ceux arrivés entre 1974 et 1981, de 20,4 % pour ceux arrivés entre 1981 et 1984 et de 29,7 % pour ceux arrivés entre 1984 et 1988.
-
[7]
Ce constat est également cohérent avec l’évolution du chômage des étrangers en France, qui augmente près de deux fois plus vite que celui des travailleurs de nationalité française à partir du milieu des années 1970 et lui demeure supérieur.
-
[8]
Voir Abbott et Tsay (2000) pour une synthèse de l’importation de la méthode en sociologie. La métrique retenue afin de calculer les distances entre les 3 604 individus de l’échantillon consiste à fixer le coût des opérations d’insertion/suppression à un niveau standard de 1 et de calculer les coûts de substitution à partir de la matrice des taux de transition entre états, réellement observés dans l’échantillon. Ce faisant, l’algorithme de calcul des distances privilégie les opérations de substitution, ce qui permet de respecter au mieux la succession historique des états. Pour une discussion des modes de fixation des coûts et de leurs effets, voir notamment Robette (2012).
-
[9]
Deux autres appariements optimaux ont été opérés : l’un sur la seule classe 2, qui engendre une classification en quatre sous-classes (2a, 2b, 2c, 2d) ; l’autre sur la seule classe 3, qui engendre une classification également en quatre sous-classes (3a, 3b, 3c, 3d) (voir tableaux A2 et A3 en annexes).
-
[10]
Les interruptions puis reprises d’études demeurent minoritaires : les transitions de sortie d’études concernent à peu près 85 % des individus des classes 1 et 4 sortant de formation initiale.
-
[11]
57 % des individus de la classe 1 ont redoublé au moins une classe, contre 20,4 % des individus de la classe 4.
-
[12]
Tâche à de futures recherches de montrer dans quelle mesure cette réaction à la conjoncture économique est plus ou moins forte pour les étudiants immigrés que pour les natifs ou descendants d’immigrés.
-
[13]
Ces deux caractéristiques se recoupent partiellement : 82 % des individus titulaires d’un contrat de travail avant de venir en France arrivent avec un permis de séjour en tant que travailleur, mais 63 % des personnes ayant un permis de séjour en tant que travailleur n’ont pas de contrat.
-
[14]
Cette classe serait donc celle qui se rapproche le plus de la classe 6 (cf. infra), laquelle présente également plus de trajectoires dans les états « variable » et « autre », mais sans longues périodes de salariat. Cette classe 6 est difficile à décrire plus précisément, en raison d’effectifs faibles.
-
[15]
Au-delà du cas algérien, c’est l’immigration de travail des années de croissance économique qui est symbolisée ici. Au cours de cette période, en effet, cette immigration de travail a été organisée et suscitée par l’État et les grandes entreprises, notamment sous la forme de conventions de main-d’œuvre avec des pays étrangers.
-
[16]
Contrairement à une idée répandue, la politique de regroupement familial n’est pas une invention des années 1970. Le droit au regroupement familial est garanti par l’ordonnance de 1945, puis confirmé par un décret du 29 avril 1976, sous conditions de garanties de qualité du logement, avant d’être suspendu pour trois ans en septembre 1977.
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[17]
La catégorie « regroupement familial » pour le premier titre de séjour obtenu concerne à la fois des hommes et des femmes dans l’enquête TeO. Mais l’âge à l’arrivée des personnes issues du regroupement familial diffère fortement selon les sexes : 90 % des personnes qui arrivent majeures au titre du regroupement familial sont des femmes (qui représentent 66 % des titres de séjour pour ce motif), alors que 90 % des hommes admis sur le territoire au titre du regroupement familial sont arrivés à moins de 18 ans (ce n’est le cas que de 34 % des personnes qui arrivent à ce titre). Le regroupement familial masculin est donc essentiellement le fait d’immigrés enfants.
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[18]
Dans les traitements préliminaires de l’enquête, les trajectoires ont été analysées par MAO en distinguant a priori deux sous-populations, l’une masculine et l’autre féminine. Les deux typologies qui en résultent ne diffèrent pas fondamentalement de celle présentée dans cet article (seuls les effectifs changent, et les hommes n’ont pas de trajectoires au foyer).
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[19]
La décomposition de la classe 3 (salariés longue durée) distinguait un profil de trajectoires du foyer au salariat (classe 3c) très proche de celui des femmes rassemblées dans la classe 2a.
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[20]
Le motif de fin de vie commune est disponible dans l’enquête, selon trois modalités : séparation, divorce, décès.
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[21]
Les nouvelles possibilités d’appariement de données fournissent un ensemble de pistes à approfondir.