Notes
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Programme Cadre de recherche et développement européen.
1Ce volume est constitué des actes d’un colloque international consacré aux femmes dans le monde académique, organisé en mars 2015 au sein de l’Université Sorbonne Paris-Cité, et soutenu par l’Institut Émilie du Châtelet et l’Université Paris 13 qui accueillait le colloque. Par ailleurs, il a reçu un soutien financier dans le cadre du projet européen Trigger. Avoir été sélectionné dans le 7e PCRD [1] est la preuve du soutien européen à ces thématiques. C’est dans ce contexte, plus favorable qu’auparavant mais non sans fragilités, qu’a pu être organisée une manifestation internationale de trois jours au programme ambitieux.
2Ce volume réunit une bonne partie des contributions du colloque de 2015 (13 plus 3 brèves annexes, sur les 36 présentations). Certaines ont fait l’objet de publications séparées hors-actes. L’ouvrage, découpé en trois parties, porte sur les pionnières, sur les carrières académiques actuelles, sur les changements institutionnels et leurs leviers. On peut cependant lire autrement ces chapitres, découpés ainsi : enquêtes historiques, enquêtes sociologiques, témoignages. En effet, la nature des contributions diffère sensiblement selon qu’elles exposent des résultats de recherche sur archives, d’enquêtes originales, ou des récits plus ou moins personnels. Le volume est centré sur la France, mais six des treize chapitres portent sur un pays étranger : Allemagne, Belgique, Côte d’Ivoire, Haïti, Québec, Suisse. Les disciplines représentées sont elles-mêmes diverses : histoire, sociologie, psychologie, philosophie, sciences de l’éducation. Par cette ouverture géographique, disciplinaire, historique, et par le jeu d’échelles qui va de l’individuel au structurel, l’ouvrage comme le colloque affichent une grande ambition et se montrent relativement complets. Les trois exemples de pionnières concernent l’université française : les historiennes médiévistes de l’École pratique des hautes études, les universités toulousaines entre 1912 et 1968, et les facultés de médecine et de sciences à Paris de 1869 à 1939. Ces exemples montrent trois phénomènes. D’abord, être une étudiante étrangère facilitait l’obtention d’une place dans ces institutions. Ensuite, le fait qu’une pionnière ouvre un précédent n’empêcha pas que de longues années s’écoulent avant qu’une autre femme occupe une place comparable. Enfin, le parrainage d’un homme occupant une position élevée dans l’institution jouait un grand rôle, marque d’un système patriarcal.
3La deuxième partie est la plus sociologique, et celle qui explore le plus profondément les mécanismes à l’œuvre. À partir des données du projet européen Garcia, le chapitre de Le Feuvre, particulièrement riche, brosse le tableau des enjeux théoriques et méthodologiques du champ de recherche. Elle observe d’abord un glissement au fil du temps, l’argument de la justice sociale faisant une place grandissante à la promotion des femmes dans l’institution comme facteur d’efficience. L’auteure souligne la nécessité de contextualiser finement, pour tenir compte par exemple des différences de statut et de salaires des universitaires d’un pays à l’autre. L’impact de la maternité n’est pas non plus partout le même. La revue de littérature internationale couvre les facteurs d’inégalité individuels, sociaux, mais aussi institutionnels. Sur ce dernier point, elle mentionne l’importance d’identifier les gate keepers (qui filtrent l’information) et l’impact positif de leur sensibilisation.
4À partir d’entretiens qualitatifs avec des post-doctorants belges, Barbier et Fusulier caractérisent les tensions entre la parentalité et les exigences d’un milieu professionnel. Ils distinguent le renforcement (la parentalité vécue comme facteur d’amélioration du travail de recherche), l’apaisement (déplacement de la priorité vers la famille), et le conflit entre les contraintes des deux sphères, ce dernier ne concernant que les mères de l’échantillon.
5Jacquemart et Sarfati explorent les données d’une enquête réalisée via internet sur le rapport au travail des personnels universitaires. Malgré un sentiment général d’utilité sociale, les femmes déclarent plus de ressenti négatif que les hommes. Les personnels BIATSS (ingénieurs, administratifs, techniques…) ont aussi un ressenti bien plus négatif que celui des enseignantes.
6À partir de données d’enquête, Lhenry aborde la question de la « norme masculine de réussite » chez les enseignants-chercheurs. S’appuyant sur le concept de carrière au sens de Becker, il déconstruit la perception dominante selon laquelle l’institution serait égalitaire et méritocratique, les problèmes n’étant qu’individuels. Or, seules les femmes sont questionnées sur l’articulation entre leur vie privée et leur travail. Leur ambition est rapidement stigmatisée et la disponibilité pour l’institution se retourne contre les mères dont on attend majoritairement le soin aux enfants. L’étalon de la réussite est donc fortement « sexué ».
7La manière dont les « normes d’excellence » universitaires sont genrées est aussi l’objet du chapitre de Godfroy, à partir du projet européen Gendertime. Le chapitre d’Akossi-Mvongo et Roger-Tieffi sur l’université Houphouët-Boigny d’Abidjan confirme les analyses de Lhenry, malgré les doutes exprimés en ouverture sur la pertinence d’importer les analyses occidentales des inégalités. La pratique des sciences au lycée et les parcours universitaires des femmes ont été valorisés dès 1965 et surtout 1980. Mais les femmes restent concentrées sur les grades subalternes, et les rôles sociaux sont très genrés. Certes, les femmes travaillent à l’extérieur (le modèle de la femme au foyer est vu comme « exotique »), mais le travail domestique repose sur elles. Il est donc difficile pour les doctorantes d’être soutenues par leur famille dans une démarche qui les détourne des tâches domestiques, et une fois chercheures elles n’ont pas le temps dont les chercheurs disposent le soir.
8Les derniers chapitres s’approchent plus de témoignages. Descarries constate que malgré la vitalité des études de genre au Québec depuis 1965, leur légitimité reste constamment remise en question. À l’université d’État d’Haïti, Magloire décrit le faible nombre de mémoires de licence portant sur ces thématiques, sur lesquelles existent peu d’enseignements, seulement depuis 2009 et pas chaque année. Hilgemann et Niegel utilisent les données de rapports sur le genre établis tous les 3 ans en Allemagne depuis 2010. Les procédures de recrutement y sont peu transparentes, et tendent à reproduire une homosocialité masculine. Elles concluent à la nécessité d’ouvrir la « boîte noire » des recrutements. C’est sur les facteurs de changement concrets qu’insiste justement Fassa, en complétant des analyses du projet Garcia également évoqué par Le Feuvre. Les actions mises en place en Suisse privilégient la détection et l’accompagnement de femmes à haut potentiel (ciblage, mentorat) et la facilitation de l’articulation famille-travail (crèches, souplesses horaires), qui ne remettent en cause ni le « régime de genre » (Connell) androcentré, ni l’accent général sur les normes d’excellence.
9Dans la conclusion de l’ouvrage, Catherine Marry en tire un bilan mitigé et critique. Elle regrette notamment que la « maudite conciliation » entre vie professionnelle et maternité soit formulée en ces termes et qu’elle tienne autant de place dans les travaux, car, rappelle-t-elle, les femmes ont des carrières moins rapides et « moins abouties » que les hommes, qu’elles aient ou non des enfants. En outre, elle estime que la fixation sur l’idée de conciliation contribue à laisser les conjoints hors du champ de recherche « dans cet ouvrage comme dans la plupart des autres publications évoquées ». C’est donc moins une conclusion de l’ouvrage qu’un bilan des recherches de ces quinze dernières années auquel elle se livre sans concession.
10À ces remarques on peut joindre quelques regrets. La diversité des types d’établissements n’est pas réellement abordée dans les travaux évoqués ni dans la bibliographie sur laquelle ils s’appuient. Il existe des hiérarchies implicites et des contextes de travail différents entre disciplines et entre universités, entre ces dernières et les grandes écoles et écoles professionnelles. Il en existe aussi entre les instituts d’études politiques et les instituts universitaires de technologie, deux types de structures qui sont (sauf Sciences po Paris) rattachées à des universités. De même les brevets de techniciens supérieurs et les classes préparatoires relèvent des lycées, donc de l’enseignement du second degré et de son recrutement, bien qu’il s’agisse de formations post-bac, ce qui complexifie l’écheveau des hiérarchies et des canaux de recrutement.
11Un tel ouvrage reste bienvenu, car le sujet est peu traité dans les sciences sociales, du moins francophones. Il est à la croisée d’une sociologie du genre, des science studies, et du champ des inégalités professionnelles et de genre. À titre de comparaison, on constate dans les actes de la journée d’études de l’Anef et Efigies de 2007 « Les femmes à l’université : rapports de pouvoir et discriminations », qu’elle abordait déjà la question des actions structurelles et fournissait des états des lieux chiffrés. Contrairement au présent recueil, la journée de 2007 n’aborda pas les pays étrangers ni les pionnières, mais elle questionna les relations avec l’institution des doctorantes, catégorie spécifiques de chercheures précaires, et deux interventions portaient sur le harcèlement sexuel. Tous ces travaux se poursuivent, recherches individuelles comme projets européens. Plusieurs organisatrices du colloque de 2015 et auteurs de chapitres ont d’ailleurs pris part à Paris, du 12 au 14 septembre 2016, à la 9e conférence européenne pour l’égalité de genre dans l’enseignement supérieur, preuve qu’une dynamique se poursuit.
12L’ouvrage en lui-même souffre de deux écueils, liés à l’exercice parfois délicat des actes publiés. Le premier est l’absence de la majorité des contributions du colloque, ce qui est souvent le cas lorsque la participation n’est pas conditionnée par l’acceptation préalable du futur chapitre. Le second est la brièveté des chapitres, correspondant aux contenus prononcés en temps limité, ce qui facilite un parcours rapide de plusieurs thématiques mais prive lecteurs et lectrices de précieux détails. Ces deux aspects sont fréquents pour les colloques et reflètent indirectement la difficulté à trouver des financements pour des manifestations scientifiques. C’est ainsi que le chapitre de Barbier et Fusulier s’avère une version synthétique d’un article soumis avant les actes, paru depuis dans Sociologie et sociétés. Quant à l’intervention de Chenu et Martin sur les trajectoires des enseignantes-chercheures en sociologie et démographie, elle est absente des actes mais a été publiée dans la revue Travail, genre et sociétés. Cette dernière est d’ailleurs réintroduite dans l’ouvrage par le biais de la conclusion de Catherine Marry. Le dossier touffu paru au printemps 2017 dans le European Educational Research Journal, précisément sous la codirection de Bernard Fusulier, n’a pas encore d’équivalent en français (14 articles sur les interférences travail-vie privée dans les carrières scientifiques, dont un seul portant partiellement sur la France). Le décalage avec la production internationale n’est pas comblé.
Notes
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Programme Cadre de recherche et développement européen.