Notes
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Professeure de Sciences économiques, BETA/UMR CNRS 7522, Université de Lorraine.
Correspondance : Cécile Bourreau-Dubois, BETA, Université de Lorraine, 13 place Carnot, CO n°26, 54035 NANCY Cedex, courriel : cecile.dubois@univ-lorraine.fr - [1]
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Une analyse plus large du divorce en termes de bien-être conduirait à prendre en considération le fait que le divorce peut être une source d’amélioration du bien-être pour l’un ou pour les deux conjoints en permettant, par exemple, de rompre avec les conflits conjugaux (Martin, 2007) ou de recouvrer sa propre identité (de Singly, 2011).
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Le non-divorce peut également engendrer des coûts pour l’un des conjoints au moins ainsi que pour les enfants (Martin, 2007), par exemple dans le cas de violences conjugales ou d’unions conflictuelles. Si, dans ces situations, le divorce peut être préférable au maintien de l’union parce qu’il est moins coûteux, les coûts du divorce subsistent tout de même et peuvent alors justifier une prise en charge publique impliquant pour l’État le versement d’une aide sociale permettant la rupture.
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[4]
Par exemple, les prestations compensatoires sont, dans la plupart des pays, juridiquement réservées aux seules personnes ayant été mariées. En revanche, le soutien à la monoparentalité est accordé quel que soit le statut conjugal de la personne.
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[5]
Les honoraires des avocats varient en fonction de la notoriété et de la localisation (Paris versus province) du cabinet d’avocats, de la complexité des dossiers, du caractère plus ou moins contentieux du divorce. En France, selon le Haut Conseil de la famille (2014), les tarifs les plus bas se situeraient autour de 600 € pour le couple et autour de 12 000 € en cas de divorce contentieux. Ces coûts peuvent être réduits si les époux bénéficient de l’aide juridictionnelle. Aux honoraires d’avocat peuvent s’ajouter les frais de notaire lorsqu’il y un acte de partage des biens du couple.
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[6]
Ce problème d’employabilité est particulièrement prononcé pour les femmes au foyer divorcées, dont les compétences ont peu de valeur sur le marché du travail (Parkman, 2001), les employeurs ayant des difficultés à évaluer leur capital humain pour des tâches autres que domestiques (Bergmann, 1981).
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[7]
D’après une enquête réalisée en 2012 par le ministère de la Justice, en cas de divorce, la résidence chez la mère est prononcée dans 69 % des décisions prises par le juge aux affaires familiales, la résidence en alternance dans 21 % des situations, la résidence chez le père dans 6 % des situations, 3 % des décisions sont catégorisées « autres » (Carrasco et Dufour, 2015).
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[8]
Le divorce se distingue par exemple du risque de dommage dans le cas d’un accident de voiture. Dans ce cas, même si l’individu décide ou non de prendre sa voiture, l’accident demeure un événement indépendant de sa volonté. La probabilité d’accident est exogène. Dans le cas du divorce, l’événement est aléatoire tant que les époux ne savent pas si l’autre va demander le divorce mais il devient certain dès lors que l’une des parties décide de provoquer son occurrence.
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[9]
On trouve dans la plupart des législations des équivalents fonctionnels à la prestation compensatoire.
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[10]
Pour une discussion sur la possibilité du développement d’une assurance privée contre le risque divorce, se reporter à Bourreau-Dubois et Doriat-Duban (2015).
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[11]
Même si ce type d’assurance n’existe pas actuellement, il faut noter que le juriste Carbonnier en évoque la possibilité dans son commentaire relatif à la loi de 1975 portant sur la création en France d’une prestation compensatoire. Discutant des difficultés éventuelles que les débiteurs de prestation compensatoire auraient à honorer leurs engagements, Carbonnier souligne que les ménages pourraient compter dans l’avenir sur l’assurance pour « faciliter le jeu des prestations… On peut la comprendre, articulée sur une assurance décès en faveur du conjoint, comme une assurance mariage à fins multiples » (Carbonnier, rééd. 2005, p. 1369-1370).
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[12]
À notre connaissance, il n’existe à ce jour qu’une seule tentative de création de ce type d’assurance. Ce projet, lancé en 2010 par une entreprise américaine, mais qui n’a pas été mis en œuvre, consiste à vendre des contrats d’assurance couvrant contre la perte de niveau de vie consécutive au divorce. Cette couverture se présente sous la forme du versement d’un capital en cas d’occurrence du risque ; le montant du capital perçu dépend du montant des primes versées (très élevées) ; un délai de carence de 4 ans est prévu pour pouvoir bénéficier d’une prise en charge (http://www.safeguardguaranty.com/What_We_Do.html)
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[13]
Cette question ne se pose pas dans les cas de divorces par consentement mutuel où les parties sont d’accord tant sur le principe que sur les conséquences du divorce. Il n’y a donc pas d’imprévisibilité : les parties ont négocié à l’ombre du droit le versement d’une prestation compensatoire et son montant.
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[14]
En France, le Code civil prévoit qu’une prestation compensatoire peut être fixée lorsque le divorce crée de fortes disparités dans les conditions de vie entre les ex-époux (article 270) et fournit au juge des critères pour en décider et en fixer le montant (article 271). Mais le juge ne dispose pas de barème officiel pour le fixer.
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[15]
De fait, en France, seul un divorce sur huit donne lieu à la fixation d’une prestation compensatoire (Roumiguières, 2004).
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[16]
À partir de l’exploitation de plusieurs centaines de décisions issues d’une cour d’appel française localisée en province, Doriat-Duban et Bourreau-Dubois (2013) montrent que les seuils d’éligibilité seraient de 11 années de mariage et de 900 € d’écarts de revenus entre les deux ex-époux.
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[17]
Le montant de prestation compensatoire fixé par le juge tient compte de l’écart des revenus entre époux comme du niveau de ressources de l’époux débiteur. La faiblesse des revenus de celui-ci joue à la baisse sur le montant de la prestation compensatoire.
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[18]
Par exemple, en France, les prestations compensatoires sous forme de rente viagère ont quasiment disparu au profit d’une dotation sous forme de capital ou d’une rente temporaire.
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[19]
En la matière, une assurance privée couvrant contre le risque divorce pourrait limiter l’ampleur de ce problème en introduisant dans le contrat de l’assuré une clause limitant la spécialisation domestique.
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[20]
Selon Dupeyroux (1998), « dans l’approche économique aussi, la notion de risque social n’est pas objectivée à partir des caractéristiques du risque, car aucun risque n’est social en soi (…), les risques sociaux sont des risques économiques par nature (ils ont des conséquences économiques sur les revenus et les dépenses des agents), et ne sont « sociaux » que dans la mesure où une garantie collective est aménagée ».
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[21]
En assurance, la sélection adverse fait référence au fait que ce sont les individus présentant des niveaux de risque élevés qui s’assurent, ce qui est défavorable à l’assureur.
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[22]
On peut calculer des quotients de divortialité selon la durée de mariage. Ainsi, en France, la probabilité de divorcer est la plus forte autour de 5 ans de mariage (2.9% en 2010) puis diminue progressivement (moins de 5 ‰ au-delà de 34 ans de mariage) (Mazuy et al., 2011).
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[23]
La présence d’enfants, l’âge au mariage ou le statut d’emploi de l’épouse peuvent jouer positivement sur l’occurrence du risque de divorce (Kalmijn et Poortman 2006).
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[24]
Le risque divorce ne se concentre pas forcément sur les catégories sociales les moins favorisées. Ainsi, d’un côté, les femmes cadres ou exerçant une profession intermédiaire ont plus de risque de rompre leur union que les femmes employées. De l’autre côté, et à l’inverse, les hommes cadres ou exerçant une profession intermédiaire ont moins de risque de se séparer que leurs homologues employés (Vanderschelden, 2006).
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[25]
Ex : allocations familiales, allocation de soutien familial, allocation de rentrée scolaire, demi-part de quotient familial supplémentaire pour les parents isolés.
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[26]
Dans certains de ces pays, comme le Canada, cette règle s’applique également aux couples non mariés.
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[27]
Le système d’imposition conjointe des couples conduit à renforcer les inégalités professionnelles entre hommes et femmes. Lorsque le couple est égalitaire, c’est-à-dire que chacun a le même niveau de revenu, le système du quotient conjugal n’apporte aucune réduction d’impôt par rapport à un système où l’impôt serait individualisé. En revanche, plus le couple est inégalitaire et plus la réduction d’impôt est importante. En ce sens, le système actuel d’imposition conjointe n’incite pas les conjoints à égaliser leurs niveaux de revenus.
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[28]
Dans certains pays comme le Canada l’État guide le choix du juge par la production de lignes directrices imposant les critères à partir desquels doit être calculé le montant de la prestation compensatoire.
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[29]
Aux États-Unis, certaines compagnies d’assurance proposent des contrats qui garantissent la continuité du paiement des pensions alimentaires ou prestations compensatoires en cas de décès ou de handicap du débiteur.
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[30]
Bianchi et al. (2014) rappellent qu’en Italie, en cas de divorce le parent qui a la garde de l’enfant (c’est-à-dire le plus souvent la mère) a le droit de rester dans le logement familial, quand bien même l’autre parent en supporterait encore la charge via le remboursement d’un emprunt logement.
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[31]
Selon Jenkins (2008), la réduction des écarts de niveau de vie post divorce entre les hommes et les femmes, observée au Royaume-Uni au début des années 2000, aurait notamment pour origine la montée du taux d’emploi féminin.
1Depuis le début des années 1970, la plupart des pays de l’OCDE ont observé une montée du taux de divorce. Entre 1970 et la fin des années 2000, le taux brut de divorce est passé de 1,0 ‰ à 1,9 ‰ dans l’Union européenne et de 0,8 ‰ à 2,0 ‰ en France [1]. Ce phénomène correspond à l’évolution des normes sociales et de la conception du mariage (moins religieuse et plus partenariale), qui tend à banaliser le divorce. Cette évolution démographique a été accompagnée d’une évolution du droit facilitant les ruptures d’union, y compris lorsque seul l’un des époux souhaite divorcer. En France, la loi du 11 juillet 1975 a ouvert plus largement la possibilité de divorcer aux couples mariés en autorisant le divorce pour d’autres motifs que la faute. Plus récemment, la loi du 26 mai 2004 a organisé quatre procédures de divorce : le divorce par consentement mutuel, le divorce accepté, le divorce pour altération définitive du lien conjugal, le divorce pour faute. Son objectif principal est de simplifier les procédures et de permettre un règlement plus rapide des conséquences financières du divorce. Au total, les couples qui se marient aujourd’hui font face à une probabilité de divorce plus élevée que les générations précédentes en raison d’une plus forte acceptation sociale du divorce et de procédures facilitées.
2Cette évolution a suscité beaucoup de travaux en sciences sociales. En reprenant la typologie proposée par Lambert (2009) pour classer les recherches en sociologie sur le divorce, on peut distinguer deux types de travaux : ceux qui se penchent sur l’analyse des causes du divorce et ceux qui s’intéressent aux conséquences du divorce pour les anciens conjoints et leurs enfants éventuels. L’économie opère la même distinction. En économie du droit, de nombreux travaux, théoriques comme empiriques, ont cherché à savoir si l’instauration du divorce sans faute avait conduit ou non à une augmentation de la fréquence des divorces. Parallèlement, on trouve une abondante littérature dans le champ de l’économie des politiques sociales qui s’intéresse à l’impact des séparations conjugales sur la variation de niveau de vie des ex-conjoints et de leurs enfants, et de manière moins importante, à l’impact des séparations sur l’offre de travail des anciens époux. Ces travaux montrent que les conjoints qui se séparent subissent généralement une perte de niveau de vie en raison de la réduction des économies d’échelle. Bien que l’ampleur de cette variation de niveaux de vie varie d’un pays à l’autre (Aasve et al., 2007 ; Andress et al., 2009), plusieurs faits peuvent être relevés. En particulier, il apparaît qu’après un divorce, la femme subit plus souvent que l’homme une diminution importante de son niveau de vie (Bonnet et al., 2015), en particulier si elle a la garde des enfants. De surcroît, le risque de pauvreté après un divorce est plus élevé pour les femmes que pour les hommes (Ananat et Michaels, 2008). Par ailleurs, cette même littérature montre que les transferts publics comme les transferts privés entre anciens époux (pension alimentaire ou prestation compensatoire) contribuent à réduire le risque de pauvreté et l’ampleur des écarts de niveau de vie entre les femmes et les hommes, après la séparation (Poortman, 2000 ; Bratberg et Tjøtta, 2008). Autrement dit, le divorce a un coût économique pour les conjoints, ce coût étant réparti plus ou moins également entre les anciens conjoints d’une part, et entre eux et la solidarité publique d’autre part.
3L’objet de notre article est d’examiner ces coûts en traitant le divorce comme un risque au sens économique du terme, c’est-à-dire comme la combinaison d’une probabilité d’occurrence et d’un montant de dommage [2]. Le divorce étant désormais socialement admis, il ne s’agit pas d’identifier les moyens de réduire la probabilité de divorce, par la détermination de mécanismes incitatifs relevant de la prévention ou par une réforme du droit du divorce par exemple. L’article examine donc uniquement les instruments de couverture disponibles permettant de protéger les individus contre les pertes financières consécutives au divorce [3].
4Les conséquences économiques de la séparation ne sont pas spécifiques aux seuls divorces mais concernent toutes les formes de désunion. Cependant, les instruments de couverture sont plus ou moins étendus selon le type d’union (mariage, pacs, union libre). En particulier, le mariage est la forme d’union qui est associée au plus large éventail de dispositifs de couverture, notamment en raison des obligations que le mariage crée entre les époux et des modalités de partage des avoirs du couple à travers le régime matrimonial. En conséquence, en faisant porter l’analyse sur les cas de séparation de couples mariés, l’article permet d’envisager l’éventail le plus large possible des instruments de couverture du risque de désunion. Pour autant, les analyses développées dans l’article restent pertinentes pour les autres types d’union dès lors que l’instrument de couverture est accessible [4].
5La contribution de cet article est double. En premier lieu, il permet d’apporter un éclairage complémentaire aux travaux en sociologie qui s’intéressent au temps de l’après-divorce. Comme le souligne Lambert (2009), la recherche en sociologie du divorce, en tout cas en France, est principalement considérée du point de vue de ses enjeux parentaux. Or, il nous semble que le temps de l’après-divorce nécessite aussi de s’intéresser à ses enjeux conjugaux. En second lieu, en définissant le divorce comme un risque économique, l’article permet de justifier, au moins en partie, le rôle qui peut être respectivement dévolu à la famille, à l’État et au marché dans la couverture des coûts du divorce.
6L’article se compose de trois parties. Tout d’abord, il présente une réflexion économique sur la nature du risque divorce, en particulier dans sa dimension financière. Il s’agit de montrer que les coûts économiques du divorce ne sont pas de nature exclusivement privée et qu’ils ont également une dimension sociale au sens où les conséquences du divorce ne sont pas uniquement supportées par les seuls ex-conjoints. La réponse à cette question détermine, d’un point de vue économique, les modalités de prise en charge des coûts du divorce. L’article discute donc ensuite, dans les deuxième et troisième parties, des fondements et des différentes modalités d’une couverture des coûts économiques du divorce.
I – Le divorce, un risque aux conséquences coûteuses à l’échelle privée et collective
7Le risque divorce présente une double dimension, privée et publique. D’une part, le divorce peut être considéré comme un risque privé en ce sens qu’il affecte la richesse des membres du couple concerné. D’autre part, le divorce est un risque qui possède une dimension sociale dans la mesure où ses conséquences impactent la société.
1 – Le divorce, un risque privé
8La concrétisation du risque divorce engendre deux types de coûts pour les ex-conjoints. En premier lieu, le divorce est à l’origine de coûts directs perçus à court terme. Au-delà des frais liés à la procédure elle-même [5], ces coûts correspondent principalement à la perte globale de niveau de vie des membres du couple, provoquée par la réduction des économies d’échelle consécutive à la séparation. Cette perte de niveau de vie globale n’est généralement pas répartie de manière égale entre les membres du couple. La première cause de cette asymétrie réside dans les revenus propres de chacun. Lorsque l’un des époux concentre tous les revenus, son niveau de vie augmente consécutivement au divorce tandis que celui de l’autre se dégrade fortement. La présence d’enfants et la résidence à titre principal chez l’un des anciens époux constituent une seconde cause d’asymétrie du partage de la baisse de niveau de vie. Cette asymétrie comme la baisse globale de niveau de vie peuvent être, de surcroît, à l’origine du basculement de l’une ou des deux parties dans la pauvreté.
9À ces coûts directs s’ajoutent des coûts indirects, qui résultent de décisions prises pendant l’union et notamment des investissements réalisés pendant le mariage. Ces coûts sont liés, au moins dans une certaine mesure, à l’organisation des relations au sein du couple dans une perspective de long terme, mais dont l’horizon temporel est réduit par la décision de divorce. Le problème se pose en particulier lorsque l’un des conjoints a réalisé des investissements spécifiques dans le mariage et que le divorce le prive des fruits de son investissement à long terme (Cohen, 1987). La littérature économique fournit des concepts utiles pour analyser la nature de ces investissements et leurs conséquences. Pour les économistes de la famille, le mariage est une relation contractuelle de long terme, encadrée par la loi (Cigno, 1991). Le divorce marque alors la rupture, consensuelle ou non, de ce contrat. Dans cette perspective, le mariage est à l’origine d’un problème majeur si l’un des époux a fait des investissements spécifiques dans la sphère domestique (via la prise en charge de l’entretien et l’éducation des enfants ou de la gestion du ménage, le financement des études ou du démarrage de la carrière du conjoint). En effet, ces investissements présentent un rendement qui est effectif à moyen voire long terme : l’époux concerné (le plus souvent l’épouse) perçoit les gains du mariage en partie au moment de son investissement mais surtout une fois l’investissement achevé. À l’inverse l’autre époux perçoit immédiatement les gains du mariage mais n’en paye les coûts qu’à long terme, lorsque le rendement de l’autre conjoint diminue fortement (les enfants ont grandi, la carrière de celui qui s’est investi sur le marché du travail ne dépend plus de l’investissement de son conjoint, etc.) alors qu’il continue à en assurer l’entretien. Dès lors, le divorce prive la partie qui a réalisé l’investissement domestique du retour sur son investissement : l’autre conjoint a bénéficié de l’investissement de son partenaire sans en payer le coût à long terme. Par ailleurs, les investissements domestiques sont peu redéployables. En effet, sur le marché du travail, les compétences acquises par l’époux ayant consacré une partie ou la totalité de son temps à la vie domestique ne sont pas valorisées par les entreprises [6]. En conséquence, le divorce annule la valeur de l’investissement réalisé pendant la durée du mariage.
10Les coûts indirects liés aux investissements spécifiques ne s’apprécient pas seulement à court terme mais également à moyen ou long terme. D’une part, lorsque ces investissements ont conduit l’époux à s’éloigner du marché du travail, cela rend plus difficile son retour au moment du divorce en raison d’une faible employabilité (trajectoire professionnelle antérieure entrecoupée de périodes d’inactivité). Cette faible employabilité est renforcée si l’époux est également en situation de monoparentalité, qui fragilise davantage sa position sur le marché du travail, en réduisant plus encore son employabilité (disponibilité professionnelle plus faible en raison de la présence d’enfants). Par ailleurs, les conséquences des investissements spécifiques pèsent également lorsque le divorce survient plus tardivement. Une présence irrégulière ou moins intensive sur le marché du travail (en raison de la présence d’enfants) grève les revenus de remplacement perçus lors du passage à la retraite (Bonnet et Hourriez, 2012).
2 – Le divorce, un risque à caractère social
11Le divorce est également à l’origine d’externalités sociales, au sens où son impact dépasse les seuls conjoints, concerne également les enfants du couple s’ils en ont et éventuellement la société. Tout d’abord, le divorce peut être à l’origine de situations de monoparentalité, dont on sait qu’elles augmentent les risques de pauvreté des enfants. Comme le montre Legendre (2003), l’enfant qui cohabite avec un seul parent a un risque d’être pauvre deux fois plus élevé que celui qui vit avec ses deux parents. Or la pauvreté des enfants a un coût pour la collectivité. À court terme, elle contribue à augmenter les dépenses sociales par le versement de prestations familiales sous conditions de ressources (RSA, prestations familiales). À moyen terme et principalement, cette pauvreté infantile contribue à déprécier la qualité du capital humain des futurs citoyens. En effet, nombreuses sont les études, notamment anglo-saxonnes, qui montrent que les enfants pauvres ont plus de risques que les autres de connaître des situations défavorables au cours de leur cycle de vie : plus de difficultés scolaires (CERC, 2004), plus de difficultés d’insertion professionnelle, plus de risques de connaître la pauvreté à l’âge adulte (Rodgers, 1995), moins de revenus ou d’heures travaillées à l’âge adulte (Duncan et al., 2010).
12De surcroît, le divorce participe au développement des inégalités économiques de genre. En effet, comme l’attestent de nombreuses études statistiques menées aux États-Unis et en Europe, après une séparation, les femmes subissent en moyenne une forte baisse de leur niveau de vie tandis que l’impact est moins important pour leur ex-partenaire masculin. Ces inégalités de niveau de vie post-divorce résultent pour partie de choix qui ont été réalisés avant le divorce et qui contribuent à réduire la capacité de gains des femmes. C’est l’épouse, dans la grande majorité des cas, qui ajuste sa carrière professionnelle pour s’occuper des enfants du couple (Pailhé et Solaz, 2006). Par ailleurs, en cas d’interruption de travail prolongée, les femmes subissent une perte de salaire lorsqu’elles retournent en emploi, cet effet perdurant à long terme (Lequien, 2012). Autrement dit, indolore pour l’épouse pendant le mariage, du fait de la mise en commun des ressources, la spécialisation domestique devient coûteuse lorsque le couple divorce, à court comme à plus long terme. En outre, l’inégalité domestique se poursuit souvent au-delà du mariage dans la mesure où la garde alternée reste encore le fait d’une minorité de couples divorcés et que les enfants ont le plus souvent leur résidence principale chez leur mère [7]. Au total, un plus faible revenu et un nombre d’unités de consommation plus élevé pour l’ancienne épouse que pour l’époux contribuent à ce que la situation économique post-divorce des femmes soit en moyenne plus dégradée que celle des hommes. Cet impact financier asymétrique est néanmoins susceptible d’être atténué pour les femmes si elles se remettent en couple. Cela étant, sur le marché du mariage, les hommes divorcés et les femmes divorcées n’ont pas les mêmes atouts, les premiers se remariant beaucoup plus rapidement et plus fréquemment que les secondes (Cassan et al., 2001).
II – Une prise en charge privée de la couverture du risque divorce
13Du point de vue de l’analyse économique, le risque divorce devrait donner lieu, du moins en partie, à une couverture privée. En effet, le divorce étant un risque spécifique – au sens où sa réalisation dépend de la décision d’au moins un des membres du couple –, on peut considérer que les ex-époux doivent en supporter les conséquences. Par ailleurs, l’analyse économique permet d’identifier les modalités possibles de cette prise en charge.
1 – Les fondements théoriques d’une prise en charge privée du risque divorce
14Si l’on s’appuie sur les enseignements de l’analyse économique du risque, deux raisons peuvent être avancées pour justifier une prise en charge du risque divorce par les individus eux-mêmes, en faisant référence à une certaine responsabilité liée soit à la décision de provoquer l’occurrence du risque, soit à la possibilité d’agir pour éviter son occurrence.
15La concrétisation du risque résulte de la décision d’au moins l’un des membres du couple de mettre fin à l’union. À la différence d’autres types de risques, le divorce est un risque dont la probabilité d’occurrence est endogène puisque sa concrétisation dépend toujours de la décision d’au moins l’une des deux parties et non d’un agent extérieur au couple [8]. On peut néanmoins nuancer ces propos, en particulier lorsque la demande de divorce émane d’un seul des deux membres du couple. Le divorce apparaît pour celui qui subit la décision de l’autre comme un événement aléatoire totalement indépendant de sa volonté. Pour autant, la probabilité de divorce n’est pas nécessairement exogène puisque la décision de divorcer de l’autre membre du couple peut résulter du comportement peu précautionneux du conjoint qui n’a pas demandé le divorce. En conséquence, le risque se concrétise soit par la décision de l’un des époux (divorce unilatéral) et dans ce cas le risque est involontairement subi par le conjoint non décisionnaire, soit par une décision conjointe de mettre fin à l’union (divorce bilatéral) et dans ce cas, le risque est « volontairement » subi par les deux conjoints. Dès lors, les conjoints peuvent être tenus identiquement « responsables » de l’occurrence du risque, qu’ils décident conjointement de divorcer ou que la décision n’émane que de l’un d’entre eux.
16Une autre justification à une prise en charge privée du risque divorce pourrait être que les époux ont la possibilité d’éviter l’occurrence du risque. En effet, en matière de divorce, les époux peuvent agir sur la probabilité de réalisation de l’événement, par des efforts portant sur la fidélité, l’attention à l’autre, l’investissement dans le foyer, etc. (qui relèvent de l’autoprotection au sens de Ehrlich et Becker, 1972). On peut alors considérer que si le divorce a lieu, c’est que les époux n’ont pas consacré les efforts suffisants au maintien de leur union et que cette responsabilité est partagée, sans nécessairement être identique. Au-delà de la seule décision de divorcer, la procédure judiciaire choisie (divorce par consentement mutuel, pour rupture de vie commune, pour faute) pourrait alors être un moyen de répartir les responsabilités et, par là, de répartir les coûts du divorce entre les ex-époux.
2 – Les modalités possibles de la prise en charge du divorce comme risque privé
17Les instruments de prise en charge privés des coûts du divorce sont nombreux mais non exempts de limites.
Diversité des instruments de couverture contre le risque privé
18Dans la plupart des législations des pays industrialisés, il existe, pour les couples mariés, une forme légale de couverture en cas de divorce : la prestation compensatoire [9]. Bénéficiant à l’époux qui subit une forte dégradation de ses conditions de vie, la prestation compensatoire prend la forme d’un transfert privé de l’époux le plus fortuné vers celui qui l’est moins ; elle constitue pour ce dernier une forme de couverture ex post (une fois le dommage réalisé) du risque divorce.
19Du point de vue de l’analyse économique, un tel transfert se justifie au nom d’un critère d’efficacité : la prestation compensatoire est un moyen d’inciter les époux à la spécialisation optimale dans la répartition des tâches, en garantissant à celui qui se consacre à sa famille une compensation pour cet investissement en cas de rupture. Dans le modèle fondateur de l’analyse économique de la prestation compensatoire, Landes (1978) montre en effet que son rôle est de compenser l’épouse pour les coûts d’opportunité qu’elle subit en se mariant (renoncement à sa propre carrière notamment) et que, ce faisant, elle permet aux époux d’atteindre le niveau de production optimal du couple en les incitant à se spécialiser chacun dans la tâche où ils sont les plus productifs. Pour justifier la prestation compensatoire, Cohen (1987) insiste, pour sa part, sur le caractère spécifique et donc peu redéployable des investissements domestiques, causant un préjudice à celui qui les a réalisés en cas de divorce. Ce type d’approche en termes d’investissements spécifiques, inspiré de l’analyse économique des contrats, permet de préciser la nature du préjudice à indemniser. En reprenant la typologie proposée par Shavell (1980) pour caractériser les différents types de dommage en cas de rupture de contrat, on peut considérer, comme le fait Bolin (1994), que la prestation compensatoire est susceptible de couvrir trois types de préjudice. Il peut s’agir d’abord du préjudice subi pour avoir permis la réussite professionnelle de son conjoint sans en percevoir les gains du fait de la séparation. Dans ce cas, la prestation compensatoire garantit qu’en cas de séparation, l’épouse récoltera les fruits de son investissement dans la carrière de son conjoint. Pour calculer le dommage à indemniser, il faut alors placer ce dernier dans la même situation que si le mariage n’avait pas existé et déterminer la valeur du surplus de capital humain obtenu grâce au mariage. Le préjudice peut correspondre également au renoncement de l’un des époux à sa carrière professionnelle au profit d’un investissement plus important dans sa famille. Dans ce cas, pour déterminer la valeur du dommage à indemniser, il faut placer l’époux « lésé » dans la situation où il aurait été s’il n’avait pas été marié et calculer la valeur actualisée du manque à gagner de ne pas avoir eu une carrière professionnelle à plein temps et continue. Enfin, le préjudice peut inclure l’ensemble des pertes liées au divorce, matérielles et affectives. En l’occurrence, la valeur du dommage revient à calculer la perte de bien-être consécutive au divorce. Dans ce cas, le calcul du préjudice nécessite de placer l’ancien époux dans la situation où il serait s’il était resté marié. Il faut noter ici que, d’un point de vue économique, rien ne justifie que le traitement des conséquences de la séparation soit différencié selon le type d’unions ; mais en France, juridiquement, la prestation n’existe que pour les couples mariés.
20Parallèlement à la prestation compensatoire existent aussi des instruments de couverture ex ante (avant la concrétisation du risque), qui sont ou qui pourraient être utilisés par les parties pour se protéger contre les coûts économiques du divorce.
21Une forme élémentaire de couverture ex ante consiste pour chacun des époux à former une épargne de précaution ou à limiter ses investissements spécifiques dans la vie domestique et à mener une activité professionnelle pendant la durée du mariage, au risque, si l’on suit l’approche économique de la prestation compensatoire, de ne pas maximiser la production du couple.
22Les époux peuvent également chercher à s’auto-assurer contre le risque divorce par la signature d’un contrat de mariage leur permettant d’anticiper ex ante les conséquences économiques du divorce. Le contrat de mariage est analysé par les économistes dans les mêmes termes que la prestation compensatoire. S’appuyant sur les enseignements de l’économie des contrats et en se focalisant sur une vision du mariage comme permettant des investissements spécifiques en vue d’une production domestique optimale, le contrat est présenté comme un outil qui permet lui aussi, en sécurisant les investissements spécifiques, de maximiser les gains au mariage (Cigno, 1991). Plus précisément, en prévoyant un partage des actifs du mariage favorable à celui ou celle qui aura réalisé l’investissement spécifique, le contrat crée les « bonnes » incitations. Il s’agit alors d’identifier la règle de partage optimale des actifs du couple au moment du divorce, c’est-à-dire celle qui produira les meilleures incitations à investir dans le mariage et maximisera ce faisant les gains issus du mariage (Rainer, 2007). Les économistes soulignent l’intérêt que peuvent présenter les contrats prénuptiaux par rapport à la prestation compensatoire ou aux règles prévues par les régimes patrimoniaux légaux, en insistant sur l’efficacité de laisser une autonomie contractuelle aux époux (Smith, 2003).
23Enfin, on pourrait envisager une troisième forme de couverture ex ante du risque divorce. Les époux pourraient transférer à un tiers la gestion de ce risque, sous réserve que les conditions soient remplies pour qu’une assurance privée émerge [10]. Les ménages pourraient souscrire au début du mariage un contrat d’assurance qui garantirait une indemnité à l’époux qui serait le plus pénalisé financièrement par la séparation. Le montant de la prime serait alors proportionnel à la valeur de la perte potentielle pour cet époux, ce montant pouvant être réévalué en fonction des choix familiaux et professionnels faits par le ménage tout au long de la durée du mariage [11]. Pourrait également être envisagée la possibilité que chaque époux souscrive en son nom propre un contrat d’assurance lui garantissant un certain revenu de remplacement en cas de divorce [12] ou a minima la prise en charge de certaines de ses dépenses liées à la séparation (les frais de procédure notamment).
Les limites des instruments de couverture privée du risque divorce
24La stratégie individuelle de précaution constitue un instrument de couverture qui n’est ni universel, ni certain. En ce qui concerne l’épargne de précaution, c’est une couverture réservée aux individus ayant une capacité à épargner, ce qui exclut les individus du bas de la distribution des revenus. Par ailleurs, rien ne garantit à long terme la valeur du capital épargné, sauf à diversifier suffisamment son épargne. De même, la qualité de la couverture que constitue le fait de rester sur le marché du travail dépend du niveau de qualification de l’individu et de sa situation vis-à-vis de l’emploi. Si les individus ont un faible niveau de rémunération ou si le taux de chômage est élevé, les individus seront de fait mal ou peu protégés.
25Concernant la couverture assurée par une logique de mutualisation collective fondée sur un mécanisme d’assurance privée, sa générosité dépend du montant des primes versées pendant l’union par les époux.
26Quant à la prestation compensatoire, elle pose la question de sa prévisibilité, du moins dans les cas de divorces contentieux [13]. En effet, parce que le texte de loi laisse une marge d’interprétation au juge dans l’octroi et la fixation du montant [14], la prestation compensatoire ne constitue pas un mode de couverture automatique en cas de divorce [15]. D’après les résultats de Doriat-Duban et Bourreau-Dubois (2013), les juges français sembleraient fixer des seuils en matière d’éligibilité à la prestation compensatoire (en termes d’ampleur de disparités de revenus entre les conjoints et de durée de mariage) [16]. Autrement dit, parce que l’activation de la solidarité entre ex-époux est soumise à la discrétion du juge, la partie qui subit la plus forte réduction de son niveau de vie n’est pas certaine d’être indemnisée, et si octroi il y a, le montant perçu peut ne pas être à la hauteur du dommage [17]. La prestation compensatoire est donc un instrument de couverture non systématique (voire aléatoire) et partiel.
27À l’inverse de la prestation compensatoire, le contrat de mariage garantit aux parties la prévisibilité concernant la façon dont seront répartis les coûts du divorce. Cela étant, il soulève une autre question. Il n’est pas certain en effet que le contrat de mariage protège la partie pour laquelle le divorce est le plus coûteux, car comme le soulignent Oosterbeek et al. (2003), les investissements spécifiques réduisent les options de sortie du conjoint spécialisé et par ce biais son pouvoir de négociation. C’est pour cette raison d’ailleurs que Cigno (1991) et Smith (2003) préconisent la signature du contrat de mariage en début de mariage lorsque les coûts de transaction liés à la négociation ne sont pas encore trop importants. L’incertitude sur le caractère protecteur du contrat de mariage est manifeste lorsqu’on étudie les différents régimes matrimoniaux qui sont à la disposition des époux lorsqu’ils se marient. En effet, tous les contrats n’ont pas les mêmes effets en cas de divorce. Certains permettent de protéger la partie la plus faible en réduisant les coûts du divorce pour elle. C’est le cas des régimes communautaires qui assurent, en cas de dissolution du mariage, une répartition égalitaire des biens communs du couple. D’autres au contraire protègent de fait la partie la mieux dotée du couple et peuvent conduire à accroître les coûts du divorce pour le plus fragile (McLellan, 1996). Ainsi en est-il du contrat de séparation de biens qui protège le mieux doté en lui permettant de conserver l’ensemble de ses actifs acquis avant et pendant le mariage et en limitant le partage entre époux aux seuls biens indivis. Il semble d’ailleurs que la tendance soit à une réduction de la solidarité au sein des couples en cas de rupture de vie commune, comme l’atteste, par exemple en France, l’augmentation des contrats de mariage séparatistes parmi les couples mariés (Frémeaux et Leturcq, 2013).
28Au-delà du type de contrat choisi, la négociation même d’un contrat de mariage peut devenir impossible pour différentes raisons. En premier lieu, les parties peuvent souffrir d’un biais d’optimisme (Smith, 2003), en particulier lorsqu’il s’agit d’un premier mariage. Une étude américaine (Baker et Emery, 1993) montre, par exemple, à partir d’une enquête réalisée auprès de futurs jeunes mariés, que si ces derniers ont une bonne estimation du risque global de divorce, ils sous-estiment fortement leur propre risque de divorcer. Et les auteurs d’expliquer cet excès d’optimisme en termes de biais de représentativité (Kahneman et Tversky, 1982), les enquêtés estimant ne pas être représentatifs de l’ensemble de la population. Même en l’absence de biais de représentativité, il existe d’autres sources à l’excès d’optimisme, comme le souligne Smith (2003). En effet, les parties peuvent également sous-estimer le risque divorce. Conformément aux travaux de Kahneman et Tversky (1979), les individus ont tendance à sous-estimer les probabilités élevées associées à des résultats négatifs, ce qui réduirait leur incitation à se prémunir contre le risque divorce. En second lieu, le fait d’envisager la négociation d’un contrat de mariage pourrait être perçu comme un message négatif sur la solidité du mariage, rendant de ce fait peu probable une telle négociation. Ces mêmes limites pourraient être à l’origine d’une sous-assurance contre le risque divorce.
29Au-delà de leurs différences, le contrat de mariage comme la prestation compensatoire présentent des limites communes en termes de couverture du risque divorce pour la partie la plus pénalisée par la dissolution du mariage. En premier lieu, ces deux dispositifs permettent de réduire les coûts du divorce uniquement s’il y a un revenu à redistribuer ou un patrimoine à partager. Autrement dit, ce type de couverture ne fonctionne pas systématiquement. En second lieu, la prestation compensatoire comme le contrat de mariage peuvent jouer à la hausse sur les coûts du divorce sans pour autant être en mesure de les prendre en charge. En garantissant une compensation en cas de rupture d’union, ces dispositifs incitent aux investissements spécifiques (Bianchi et al., 2014). Si cette spécialisation est forte, cela peut impliquer pour l’époux spécialisé dans la sphère domestique une importante réduction de ses capacités de gains à court et long terme, ce qui accroît mécaniquement l’ampleur de ses pertes en cas de séparation. Or les prestations compensatoires et les contrats de mariage sont conçus pour faire face aux coûts à court terme du divorce plutôt que pour compenser les préjudices à plus long terme de la séparation [18]. Le fait que l’existence même d’une compensation soit susceptible de favoriser l’ampleur des dommages est un mécanisme, bien connu en économie de l’assurance, qu’on appelle un problème d’aléa moral [19].
30Au terme de ce panorama, trois grandes logiques de couverture peuvent donc être distinguées : l’une repose sur une solidarité interindividuelle entre époux (prestation compensatoire et contrat de mariage), la seconde sur une mutualisation des risques (assurance privée) et la troisième sur une couverture individuelle (maintien dans l’emploi, épargne de précaution). La première correspond à des dispositifs encadrés par la loi. Existant de longue date dans la plupart des pays, ces dispositifs sont cependant réservés aux seuls couples mariés. La seconde, qui repose sur des instruments de marché, semble émerger dans quelques pays pour couvrir uniquement certains types de coûts liés au divorce (essentiellement les coûts de procédure, plus rarement le versement des pensions alimentaires). La troisième logique repose elle aussi sur la logique de marché, celle du marché du travail et des marchés financiers. Selon des résultats obtenus sur des données américaines, certaines de ces différentes formes de couverture seraient partiellement substituables. Ainsi, il semblerait que dans un contexte de divorce sans faute, les femmes qui vivent dans des États où la législation prévoit un partage égalitaire des avoirs du couple en cas de divorce ont tendance à moins travailler que les femmes vivant dans des États où la loi est moins favorable aux femmes en cas de divorce (Chiappori et al., 2002 ; Voena, 2012).
III – Le rôle de l’État dans la gestion du risque divorce
31Du point de vue de l’analyse économique, l’intervention publique dans la gestion du risque divorce peut être légitime, que ce soit dans sa dimension sociale comme dans sa dimension privée. Cette intervention publique peut être directe ou indirecte.
1 – Les fondements théoriques de l’intervention publique
32Le risque divorce n’est pas considéré comme un risque social au sens où les conséquences matérielles du divorce ne donnent pas lieu à une couverture par un système de protection sociale [20], notamment public. Pourtant, un rapprochement entre risque divorce et risque social pourrait être justifié selon la grille de lecture proposée par Pollak (2011). Pour elle, un risque peut prétendre à une prise en charge collective s’il répond à quatre critères : les conséquences matérielles, le caractère probabilisable, la sélection adverse [21] et l’absence de faute juridique. Le premier critère est respecté dans la mesure où le divorce affecte la situation économique des ex-époux, notamment par un accroissement exceptionnel de leurs dépenses. Le deuxième critère relatif au caractère probabilisable du risque est également rempli dans la mesure où il est aisé de calculer une probabilité de divorce compte tenu de la fréquence des divorces observée dans la population (notamment en fonction de la durée du mariage) [22]. De plus, les individus ne sont pas égaux devant le risque divorce [23], même s’ils sont tous susceptibles d’y être exposés dès lors qu’ils sont mariés ; il existe donc un risque de sélection adverse. Enfin, le divorce est désormais largement dissocié de toute référence à une quelconque faute ou responsabilité, sauf dans le cas du divorce pour faute. Pour autant, le risque divorce n’est pas considéré comme devant donner lieu à une prise en charge mutualisée publique, la société ne souhaitant pas qu’une responsabilité collective soit reconnue dans ce cas. La principale raison est sans doute le fait que, fondamentalement, la société considère que la responsabilité du risque divorce incombe aux individus (Pollak, 2011) et ne relève pas d’une dynamique générale d’instabilité de la structure familiale que subiraient les individus et contre laquelle ils ne pourraient rien. Dit autrement, il ne relève pas du champ de la protection sociale de compenser une augmentation des dépenses consécutive au choix d’un mode de vie plus coûteux. Ensuite, on peut considérer que les coûts supportés consécutivement au divorce sont compensés par le supplément de bien-être procuré par la séparation, pour en tout cas au moins un des membres du couple (De Singly, 2011). Enfin, les inégalités sociales face au risque divorce n’étant pas à l’origine de mécanismes anti-redistributifs clairs [24], elles ne justifient sans doute pas que la société cherche à les réduire. En d’autres termes, s’il y a bien un risque de sélection adverse, il n’est pas clair qu’il s’exerce au détriment des catégories les plus défavorisées. Pour ces différentes raisons, il n’est pas fondé de faire du divorce un cinquième risque, comme cela a pu être envisagé, par exemple, pour la dépendance.
33Si le risque divorce ne peut pas relever d’une prise en charge directe par les pouvoirs publics, en revanche on peut identifier deux raisons susceptibles de justifier l’intervention publique dans la gestion du risque divorce.
34La première raison repose sur les externalités sociales négatives générées par le divorce, au détriment d’une part des enfants, et d’autre part des femmes. La pauvreté des enfants justifie une prise en considération par les pouvoirs publics pour des raisons d’équité comme d’efficacité. En premier lieu, comme le rappelle le Cerc (2004), « en matière de justice sociale il est du devoir de la société de compenser ou de corriger les inégalités subies, à tout le moins, par les personnes qui ne portent aucune responsabilité dans la situation qu’elles connaissent. Ceci s’applique aux enfants plus qu’à toute autre personne ». En second lieu, comme nous l’avons déjà souligné, la pauvreté infantile contribue à dégrader la valeur du capital humain d’une partie de la population. Il est donc de l’intérêt des pouvoirs publics de chercher à préserver les intérêts de l’enfant vivant dans une famille monoparentale lorsque celle-ci est synonyme de pauvreté. Concernant les femmes, et comme précédemment évoqué, le divorce a tendance à les fragiliser économiquement plus que les hommes. Là aussi on peut considérer que, au nom d’un critère de justice sociale en termes d’égalité entre les hommes et les femmes, il revient à l’État d’intervenir pour limiter les inégalités de genre consécutives au divorce.
35La seconde raison à l’intervention publique peut résider dans la volonté de réguler la gestion privée des conséquences financières du divorce lorsque celle-ci conduit à des situations inéquitables pour l’une des parties ou inefficaces, les individus n’étant pas couverts contre un risque qui pourtant pourrait être assuré. En effet, si l’on se limite à une approche centrée sur le couple, ses membres ne sont pas toujours conscients du risque. Tant que le mariage « fonctionne » bien, le divorce constitue un événement aléatoire pour les deux époux qui ne savent pas si et quand ils se sépareront. Les époux peuvent ainsi souffrir d’une certaine myopie, voire de biais cognitifs (biais d’optimisme, cf. supra) les conduisant à minimiser leur risque effectif de divorce. Ils peuvent également en évaluer les conséquences financières et humaines de manière très imprécise, l’importance des pertes étant aussi fonction des choix professionnels des membres du couple et de leur capacité « à rebondir », y compris sur le marché du mariage. Autrement dit, les parties n’ont pas toutes les cartes en main pour évaluer les coûts du divorce et s’en prémunir, ni pour anticiper les coûts sociaux qui en résultent. Par ailleurs, lors du divorce, les rapports de force entre les ex-époux peuvent être déséquilibrés, conduisant à un partage inéquitable des avoirs entre ces derniers. Par conséquent, la régulation du risque divorce peut aussi s’envisager à un niveau plus collectif.
2 – Les dispositifs publics de gestion du risque divorce
36L’État peut mobiliser ses politiques sociales ou fiscales mais aussi son pouvoir législatif à la fois pour limiter les coûts sociaux du divorce et pour en améliorer la gestion privée.
Les dispositifs pour limiter les coûts sociaux du divorce
37Si la collectivité n’envisage pas la mise en place d’une assurance sociale contre le risque divorce (cf. supra), en revanche, elle considère comme relevant des nouveaux risques sociaux l’une des conséquences des ruptures d’unions à savoir les situations de monoparentalité (Pollak, 2011 ; Eydoux et Letablier, 2009). Ainsi, celles-ci sont prises en charge par des politiques de soutien à la parentalité, soit sous la forme de prestations ciblées (RSA majoré), soit sous la forme de transferts socio-fiscaux destinées à soutenir financièrement les ménages (monoparentaux ou non) avec enfants [25]. Par ailleurs, on peut considérer que la mise en place par le législateur de barèmes pour fixer le montant de la pension alimentaire des enfants de parents séparés constitue une autre façon pour les pouvoirs publics d’intervenir directement dans la régulation des conséquences économiques du divorce pour en limiter les effets négatifs sur les enfants. C’est le cas, en particulier quand, comme aux États-Unis, le montant issu du barème s’impose, sauf cas dérogatoires, aux magistrats qui sont chargés de trancher les différends entre les parents. Dans d’autres pays comme en France, le caractère indicatif des barèmes permet à tout le moins de guider les décisions des juges. La mise en place d’une règle de calcul pour déterminer les montants de pensions alimentaires pour enfants lors d’un divorce constitue ainsi une façon pour l’État de garantir le bien-être matériel des enfants dont les parents se sont séparés en spécifiant l’obligation alimentaire de ces derniers. Parce que la règle de calcul est fondée sur des estimations objectives du coût de l’enfant, cela permet de garantir à l’enfant un niveau de vie adéquat, c’est-à-dire en adéquation avec les capacités contributives de ses parents (Bourreau-Dubois et Jeandidier, 2013) et d’anticiper une meilleure exécution des décisions de justice.
38Les inégalités de genre qui s’expriment lors du divorce ne sont pas considérées non plus comme un risque social. Néanmoins, elles sont prises en considération, de manière plus ou moins étendue, par le droit de la protection sociale. Ainsi, certains pays pratiquent le partage des droits à la retraite (pension splitting) en cas de divorce. Le principe consiste à faire masse des droits à retraite acquis par l’homme et la femme pendant la durée de l’union et à les partager également entre eux au moment du divorce. En Allemagne, en Suisse et au Canada, les droits à retraite des deux conjoints acquis pendant la durée du mariage sont partagés à égalité [26]. Au Royaume-Uni, les droits à la retraite entrent dans l’ensemble du patrimoine du ménage, qui sera ensuite réparti entre les deux ex-conjoints. Ce dispositif permet de remédier à la faiblesse des droits propres des femmes qui auraient réduit leur activité pendant le mariage pour réaliser des investissements spécifiques dans la vie domestique. De son côté, la France a depuis longtemps instauré des droits familiaux de retraite qui visent notamment à compenser l’impact, sur le niveau de retraite des mères, de carrières écourtées en raison des interruptions liées aux enfants (Bonnet et Hourriez, 2012). Enfin, les inégalités de genre consécutives au divorce sont prises en charge, en dernier recours, par les dispositifs relevant de l’aide sociale. Le RSA et le minimum vieillesse constituent pour des femmes seules en situation de pauvreté un dernier filet de sécurité.
39À côté de ces dispositifs permettant une compensation ex post des inégalités de genre qui sont révélées de manière concrète par le divorce, l’État peut aussi mobiliser des outils visant à limiter l’occurrence des inégalités de genre pendant le mariage, ce qui par ricochet contribue à réduire le risque de pauvreté post divorce. En l’occurrence, il ne s’agit plus pour l’État de réparer les situations difficiles ou de compenser des inégalités de genre, mais de chercher à infléchir le comportement des individus. On l’a vu, l’investissement spécifique dans la sphère domestique est à l’origine de coûts importants pour les femmes en cas de rupture de leur union. Ces investissements conduisent à ce que leurs revenus d’activité soient moins importants et, si elles ont la garde des enfants, contribuent à leur faire courir un risque de pauvreté élevé. Au total, il s’agit donc d’inciter les mères à se maintenir en emploi après la naissance de leurs enfants. On observe que la tendance est à une intervention plus importante des pouvoirs publics dans ce domaine. On en veut pour preuve la récente réforme en France du congé parental, votée dans le cadre de la loi pour l’égalité entre les hommes et les femmes qui, en incitant les pères à prendre un congé parental, devrait limiter les inégalités de genre au moment du divorce. En amont des choix d’activité des mères, l’État peut également veiller à améliorer le niveau de qualification des femmes (Guvenen et Rendall, 2013). Enfin, les pouvoirs publics peuvent utiliser le levier de la fiscalité en mettant en place une fiscalité favorable à la double activité dans les ménages, par exemple l’individualisation de l’impôt sur le revenu [27] (Esping-Andersen, 2008 ; Landais et al., 2011). Au total, on voit que les interventions publiques qui peuvent être mobilisées en matière de régulation du risque divorce appartiennent à la fois à la conception traditionnelle des politiques sociales (lutte contre la pauvreté des familles monoparentales) et à la conception moderne des politiques sociales (politiques visant à favoriser l’emploi des femmes) défendue par Esping Andersen (2008), pour qui l’État providence doit être davantage investisseur qu’infirmier.
Les outils pour améliorer la gestion privée du divorce
40L’État peut également améliorer la gestion privée des conséquences du divorce en mobilisant son pouvoir de dire la loi. En effet, lorsque l’un des époux a réalisé des investissements spécifiques dans l’activité domestique, cela conduit à des problèmes d’efficacité et d’équité : d’une part le divorce annule la valeur de l’investissement spécifique pour celui qui l’a réalisé, d’autre part ces investissements conduisent à ce que la diminution de niveau de vie ne soit pas répartie également entre les deux ex époux. Or, on peut raisonnablement penser que, dans un régime de divorce unilatéral, les chances sont faibles que l’époux qui n’a pas réalisé l’investissement spécifique compense spontanément l’autre époux. En confiant aux juges la fixation d’une prestation compensatoire, l’État exerce un contrôle sur l’issue des négociations entre époux en matière de répartition du coût du divorce. Il s’agit alors pour le juge de vérifier que l’intérêt des deux parties est respecté et que le divorce ne génère pas une répartition inique des coûts du divorce. L’État peut, comme en France [28], laisser à la discrétion de son agent, le juge, le choix du critère de justice sociale à appliquer. Dans ce cas, il revient au juge de décider à partir de quel seuil cette inégalité est injuste. Le niveau du seuil dépend alors de la conception que le juge se fait de la solidarité entre anciens époux.
41Le choix du régime matrimonial légal est aussi une manière indirecte pour l’État de jouer sur la régulation privée du divorce. En faisant, comme la France et le Luxembourg, le choix d’un régime légal par défaut de communauté des acquêts, le droit contribue de fait à protéger la partie faible du couple en lui garantissant l’obtention de la moitié du patrimoine acquis pendant le mariage. À l’inverse, les pays comme l’Autriche et le Royaume-Uni qui font le choix d’un régime légal de type séparatiste (Granet et Dandoy, 2016) sont en principe moins protecteurs à l’égard de l’époux qui aurait réalisé un investissement spécifique et accumulé ce faisant un faible patrimoine. Certes, en raison de la possibilité de signer un contrat de mariage différent du régime prévu par défaut, les époux ont de fait la possibilité de protéger la partie faible du couple en prévoyant une répartition équitable des biens en cas de séparation. Cependant, en raison des biais de statu quo, le choix du régime par défaut n’est pas neutre. Parce que l’on peut penser raisonnablement que les époux se placent le plus souvent sous le régime prévu par défaut et y restent jusqu’au divorce éventuel, l’État aurait intérêt à retenir comme régime par défaut le régime par communauté pour protéger la partie faible du divorce.
42Enfin, toujours au titre de son pouvoir légal, on pourrait envisager que l’État impose aux ménages de souscrire une assurance pour résoudre une défaillance de marché liée à un phénomène de sous-assurance. En effet, en raison de biais d’optimisme ou d’une préférence pour le présent, un risque de sous-assurance existe, les jeunes mariés pouvant avoir une tendance à sous-estimer leur risque de divorcer. Ce caractère obligatoire de l’assurance pourrait se justifier aussi pour d’autres raisons, comme – par exemple – garantir la solvabilité du débiteur en cas de pertes de revenus liés à un aléa de l’existence [29].
Conclusion
43Provoqué par l’un au moins des époux, le divorce est un risque (au sens économique du terme) de nature privée parce qu’il affecte la richesse des ex-conjoints. On peut alors considérer qu’il leur revient d’en supporter les coûts. Différents instruments de prise en charge sont à leur disposition. Certains, traditionnels, relèvent de la solidarité privée entre les deux ex-conjoints ou d’une stratégie individuelle de précaution consistant à ne pas quitter le marché du travail et à épargner en vue d’un éventuel divorce. D’autres, de fait très peu fréquents, relèvent d’une prise en charge mutualisée par l’intermédiaire d’une assurance privée. Cela dit, pour des raisons d’efficacité et surtout d’équité, il est économiquement fondé que l’État intervienne dans cette régulation privée du risque divorce. Ainsi, le droit contribue à garantir que la répartition des coûts soit relativement efficace et équitable en encadrant le versement d’une prestation compensatoire en cas de divorce ou en fixant un régime légal de type communautaire. Par ailleurs, si le divorce est un risque privé, il est aussi à l’origine d’externalités socialement coûteuses (risques accrus de pauvreté liés notamment à la monoparentalité et production d’inégalités de genre). La gestion de ces deux types d’externalité relève de la mission de l’État providence et se traduit par une intervention publique directe (politique de lutte contre la pauvreté des familles monoparentales ; dispositifs de solidarité dans les systèmes de retraite et politiques visant à stimuler le taux d’emploi des femmes). Au total, trois acteurs participent à la couverture du risque divorce : la famille, l’État et le marché. Les formes d’intervention de ces trois acteurs sont différentes et leur poids respectif dans la couverture du risque divorce varie selon la situation financière des ex-conjoints et leur capacité à rebondir après une rupture.
44Cette analyse pourrait être prolongée en étudiant le degré de couverture des ex-conjoints selon le type d’union antérieur des conjoints, certains instruments de couverture n’étant pas à disposition des couples non mariés (contrat de mariage, prestation compensatoire). Dans le même esprit, il serait intéressant d’étudier la façon dont s’articulent, dans chaque pays, les interventions respectives de la famille, de l’État et du marché. En Italie, par exemple, la solidarité familiale est fortement sollicitée en cas de divorce [30], alors qu’au Royaume-Uni, la gestion du risque divorce semble plutôt assumée à l’échelle individuelle, par une montée du taux d’emploi féminin [31] dans un contexte où le régime matrimonial par défaut est celui de la séparation des biens. Dans une perspective de comparaison internationale, il s’agirait d’élaborer une typologie des différents régimes de couverture du risque divorce et de la mettre en regard avec les différences observées entre pays en matière de conséquences économiques des séparations.
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Mots-clés éditeurs : risque, État, famille, divorce, coûts privés, coûts sociaux
Mise en ligne 27/12/2016
https://doi.org/10.3917/popu.1603.0489Notes
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Professeure de Sciences économiques, BETA/UMR CNRS 7522, Université de Lorraine.
Correspondance : Cécile Bourreau-Dubois, BETA, Université de Lorraine, 13 place Carnot, CO n°26, 54035 NANCY Cedex, courriel : cecile.dubois@univ-lorraine.fr - [1]
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[2]
Une analyse plus large du divorce en termes de bien-être conduirait à prendre en considération le fait que le divorce peut être une source d’amélioration du bien-être pour l’un ou pour les deux conjoints en permettant, par exemple, de rompre avec les conflits conjugaux (Martin, 2007) ou de recouvrer sa propre identité (de Singly, 2011).
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[3]
Le non-divorce peut également engendrer des coûts pour l’un des conjoints au moins ainsi que pour les enfants (Martin, 2007), par exemple dans le cas de violences conjugales ou d’unions conflictuelles. Si, dans ces situations, le divorce peut être préférable au maintien de l’union parce qu’il est moins coûteux, les coûts du divorce subsistent tout de même et peuvent alors justifier une prise en charge publique impliquant pour l’État le versement d’une aide sociale permettant la rupture.
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[4]
Par exemple, les prestations compensatoires sont, dans la plupart des pays, juridiquement réservées aux seules personnes ayant été mariées. En revanche, le soutien à la monoparentalité est accordé quel que soit le statut conjugal de la personne.
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[5]
Les honoraires des avocats varient en fonction de la notoriété et de la localisation (Paris versus province) du cabinet d’avocats, de la complexité des dossiers, du caractère plus ou moins contentieux du divorce. En France, selon le Haut Conseil de la famille (2014), les tarifs les plus bas se situeraient autour de 600 € pour le couple et autour de 12 000 € en cas de divorce contentieux. Ces coûts peuvent être réduits si les époux bénéficient de l’aide juridictionnelle. Aux honoraires d’avocat peuvent s’ajouter les frais de notaire lorsqu’il y un acte de partage des biens du couple.
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[6]
Ce problème d’employabilité est particulièrement prononcé pour les femmes au foyer divorcées, dont les compétences ont peu de valeur sur le marché du travail (Parkman, 2001), les employeurs ayant des difficultés à évaluer leur capital humain pour des tâches autres que domestiques (Bergmann, 1981).
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[7]
D’après une enquête réalisée en 2012 par le ministère de la Justice, en cas de divorce, la résidence chez la mère est prononcée dans 69 % des décisions prises par le juge aux affaires familiales, la résidence en alternance dans 21 % des situations, la résidence chez le père dans 6 % des situations, 3 % des décisions sont catégorisées « autres » (Carrasco et Dufour, 2015).
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[8]
Le divorce se distingue par exemple du risque de dommage dans le cas d’un accident de voiture. Dans ce cas, même si l’individu décide ou non de prendre sa voiture, l’accident demeure un événement indépendant de sa volonté. La probabilité d’accident est exogène. Dans le cas du divorce, l’événement est aléatoire tant que les époux ne savent pas si l’autre va demander le divorce mais il devient certain dès lors que l’une des parties décide de provoquer son occurrence.
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[9]
On trouve dans la plupart des législations des équivalents fonctionnels à la prestation compensatoire.
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[10]
Pour une discussion sur la possibilité du développement d’une assurance privée contre le risque divorce, se reporter à Bourreau-Dubois et Doriat-Duban (2015).
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[11]
Même si ce type d’assurance n’existe pas actuellement, il faut noter que le juriste Carbonnier en évoque la possibilité dans son commentaire relatif à la loi de 1975 portant sur la création en France d’une prestation compensatoire. Discutant des difficultés éventuelles que les débiteurs de prestation compensatoire auraient à honorer leurs engagements, Carbonnier souligne que les ménages pourraient compter dans l’avenir sur l’assurance pour « faciliter le jeu des prestations… On peut la comprendre, articulée sur une assurance décès en faveur du conjoint, comme une assurance mariage à fins multiples » (Carbonnier, rééd. 2005, p. 1369-1370).
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[12]
À notre connaissance, il n’existe à ce jour qu’une seule tentative de création de ce type d’assurance. Ce projet, lancé en 2010 par une entreprise américaine, mais qui n’a pas été mis en œuvre, consiste à vendre des contrats d’assurance couvrant contre la perte de niveau de vie consécutive au divorce. Cette couverture se présente sous la forme du versement d’un capital en cas d’occurrence du risque ; le montant du capital perçu dépend du montant des primes versées (très élevées) ; un délai de carence de 4 ans est prévu pour pouvoir bénéficier d’une prise en charge (http://www.safeguardguaranty.com/What_We_Do.html)
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[13]
Cette question ne se pose pas dans les cas de divorces par consentement mutuel où les parties sont d’accord tant sur le principe que sur les conséquences du divorce. Il n’y a donc pas d’imprévisibilité : les parties ont négocié à l’ombre du droit le versement d’une prestation compensatoire et son montant.
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[14]
En France, le Code civil prévoit qu’une prestation compensatoire peut être fixée lorsque le divorce crée de fortes disparités dans les conditions de vie entre les ex-époux (article 270) et fournit au juge des critères pour en décider et en fixer le montant (article 271). Mais le juge ne dispose pas de barème officiel pour le fixer.
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[15]
De fait, en France, seul un divorce sur huit donne lieu à la fixation d’une prestation compensatoire (Roumiguières, 2004).
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[16]
À partir de l’exploitation de plusieurs centaines de décisions issues d’une cour d’appel française localisée en province, Doriat-Duban et Bourreau-Dubois (2013) montrent que les seuils d’éligibilité seraient de 11 années de mariage et de 900 € d’écarts de revenus entre les deux ex-époux.
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[17]
Le montant de prestation compensatoire fixé par le juge tient compte de l’écart des revenus entre époux comme du niveau de ressources de l’époux débiteur. La faiblesse des revenus de celui-ci joue à la baisse sur le montant de la prestation compensatoire.
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[18]
Par exemple, en France, les prestations compensatoires sous forme de rente viagère ont quasiment disparu au profit d’une dotation sous forme de capital ou d’une rente temporaire.
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[19]
En la matière, une assurance privée couvrant contre le risque divorce pourrait limiter l’ampleur de ce problème en introduisant dans le contrat de l’assuré une clause limitant la spécialisation domestique.
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[20]
Selon Dupeyroux (1998), « dans l’approche économique aussi, la notion de risque social n’est pas objectivée à partir des caractéristiques du risque, car aucun risque n’est social en soi (…), les risques sociaux sont des risques économiques par nature (ils ont des conséquences économiques sur les revenus et les dépenses des agents), et ne sont « sociaux » que dans la mesure où une garantie collective est aménagée ».
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[21]
En assurance, la sélection adverse fait référence au fait que ce sont les individus présentant des niveaux de risque élevés qui s’assurent, ce qui est défavorable à l’assureur.
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[22]
On peut calculer des quotients de divortialité selon la durée de mariage. Ainsi, en France, la probabilité de divorcer est la plus forte autour de 5 ans de mariage (2.9% en 2010) puis diminue progressivement (moins de 5 ‰ au-delà de 34 ans de mariage) (Mazuy et al., 2011).
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[23]
La présence d’enfants, l’âge au mariage ou le statut d’emploi de l’épouse peuvent jouer positivement sur l’occurrence du risque de divorce (Kalmijn et Poortman 2006).
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[24]
Le risque divorce ne se concentre pas forcément sur les catégories sociales les moins favorisées. Ainsi, d’un côté, les femmes cadres ou exerçant une profession intermédiaire ont plus de risque de rompre leur union que les femmes employées. De l’autre côté, et à l’inverse, les hommes cadres ou exerçant une profession intermédiaire ont moins de risque de se séparer que leurs homologues employés (Vanderschelden, 2006).
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[25]
Ex : allocations familiales, allocation de soutien familial, allocation de rentrée scolaire, demi-part de quotient familial supplémentaire pour les parents isolés.
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[26]
Dans certains de ces pays, comme le Canada, cette règle s’applique également aux couples non mariés.
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[27]
Le système d’imposition conjointe des couples conduit à renforcer les inégalités professionnelles entre hommes et femmes. Lorsque le couple est égalitaire, c’est-à-dire que chacun a le même niveau de revenu, le système du quotient conjugal n’apporte aucune réduction d’impôt par rapport à un système où l’impôt serait individualisé. En revanche, plus le couple est inégalitaire et plus la réduction d’impôt est importante. En ce sens, le système actuel d’imposition conjointe n’incite pas les conjoints à égaliser leurs niveaux de revenus.
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[28]
Dans certains pays comme le Canada l’État guide le choix du juge par la production de lignes directrices imposant les critères à partir desquels doit être calculé le montant de la prestation compensatoire.
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[29]
Aux États-Unis, certaines compagnies d’assurance proposent des contrats qui garantissent la continuité du paiement des pensions alimentaires ou prestations compensatoires en cas de décès ou de handicap du débiteur.
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[30]
Bianchi et al. (2014) rappellent qu’en Italie, en cas de divorce le parent qui a la garde de l’enfant (c’est-à-dire le plus souvent la mère) a le droit de rester dans le logement familial, quand bien même l’autre parent en supporterait encore la charge via le remboursement d’un emprunt logement.
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[31]
Selon Jenkins (2008), la réduction des écarts de niveau de vie post divorce entre les hommes et les femmes, observée au Royaume-Uni au début des années 2000, aurait notamment pour origine la montée du taux d’emploi féminin.