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Article de revue

La hausse des ruptures et des remises en couple chez les cinquante ans et plus

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Notes

  • [1]
    Pour les résultats sur les intentions de former une union, il est possible que s’y mêle aussi un effet génération, non distinguable ici de l’effet d’âge car nous ne disposons des intentions qu’à une seule date.

Les divorces et ruptures d’union sont devenus beaucoup plus fréquents depuis un demi-siècle, comme les remises en couple ensuite. Qu’en est-il pour les personnes de 50 ans et plus ? S’appuyant sur différentes sources, Anne Solaz nous explique que ces personnes ont également été touchées par le phénomène, et examine les différences de parcours conjugal entre générations et entre femmes et hommes en France.

1Les classes nombreuses issues du baby-boom qui ont atteint 50 ans au XXIe siècle ont connu des histoires conjugales différentes des générations qui les ont précédées. Elles se sont moins souvent mariées, du fait de l’augmentation de la cohabitation à partir des années 1970, et leurs unions ont été plus souvent rompues et renouvelées. Continuent-elles à se différencier au-delà de 50 ans ? Vont-elles connaître d’autres événements conjugaux aux âges avancés, formations de couple, ou ruptures ? La survenue de tels événements après 50 ans varie-t-elle selon l’histoire conjugale passée ?

Des histoires conjugales différentes au fil des générations

2Il y a 20 ans, les personnes qui atteignaient l’âge de 50 ans avaient connu pour la plupart une seule union : partenaires au sein d’un couple marié avec enfants, les époux franchissaient unis le cap du cinquantième anniversaire de l’un d’eux [1]. À 50 ans l’état matrimonial des individus est plus diversifié aujourd’hui qu’il y a vingt ans (figure 1). Alors qu’à cet âge 79 % des hommes et 75 % des femmes étaient mariés dans la cohorte née en 1945, ils ne sont plus que 57 % des hommes comme des femmes dans la cohorte née vingt ans après. On dénombre un peu plus de personnes divorcées mais surtout beaucoup plus de personnes jamais mariées (célibataires à l’état civil). C’est le cas de 30 % des hommes et 25 % des femmes pour la dernière génération observée, née en 1965.

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Figure 1

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4La majorité des personnes ayant le statut matrimonial de célibataire à 50 ans ont vécu une ou plusieurs unions cohabitantes. Ces unions non mariées sont toutefois plus difficiles à étudier que les unions légales. L’enquête européenne Générations et Genre (encadré) permet de reconstituer ces unions corésidentes, qu’il y ait eu mariage ou non, et qu’elles aient été fécondes ou non, et de comparer l’histoire conjugale de générations successives à plusieurs moments de leur cycle de vie. L’enquête française Epic (encadré) a permis d’actualiser les données pour les générations les plus récentes.

Encadré. Les sources de données

Les enquêtes européennes Générations et Genre (GGS) sont des enquêtes longitudinales aux modes d’échantillonnage et questionnaires similaires, qui portent sur des thèmes variés : structure familiale, histoire conjugale, fécondité, santé et bien-être, activité professionnelle, ressources financières, et valeurs. La version française est l’Enquête sur les relations familiales et intergénérationnelles (Erfi) menée auprès de 10 069 personnes de 18 à 79 ans, dont la première vague a eu lieu en 2005. L’intérêt des enquêtes GGS pour l’étude des parcours conjugaux est le bloc de questions rétrospectives sur l’histoire conjugale : l’enquêté est interrogé sur son éventuel conjoint, mais également sur ses précédentes unions corésidentes (d’au moins trois mois). Les dates de début et de fin de cohabitation, de mariage et de divorce des unions précédentes sont connues. L’étude présentée ici repose en particulier sur les questions rétrospectives de l’histoire conjugale à partir de la version harmonisée Harmonized Histories (HH) de la première vague de la série d’enquêtes Generations and Gender Survey (GGS) réalisées dans 12 pays [2].
L’enquête Étude des parcours individuels et conjugaux (Epic) de 2013-2014, réalisée par l’Ined et l’Insee, actualise les connaissances sur la vie conjugale et familiale en France. Elle s’intéresse à toutes les formes d’union (mariée, pacsée, union libre) ainsi qu’aux personnes qui ne sont pas en couple au moment de l’enquête ; 7 825 personnes de 26 à 65 ans et vivant dans un ménage ordinaire en France métropolitaine ont répondu à l’enquête.
Les Fichiers démographiques sur les logements et les individus (Fidéli) sont une base exhaustive de données statistiques sur les logements et les individus établie annuellement par l’Insee, qui permet de lier des informations de nature démographique et économique. Il s’agit d’un assemblage de données administratives qui regroupe des données d’origine fiscale (taxe d’habitation, fichier des propriétés bâties, fichiers d’imposition des personnes et de déclarations de revenus) et des données complémentaires sur le lieu d’habitation et les prestations sociales reçues du ménage, provenant de la base Filosofi.
Les séries longues de l’Insee sur les divorces et sur la structure de la population, ainsi que les données du ministère de la Justice, ont également été utilisées.

Un tiers des quinquagénaires ont vécu au moins deux unions

5À 50 ans, la part des personnes ayant déjà rompu au moins une union corésidente, cohabitante ou mariée, augmente de génération en génération. Les hommes nés entre 1926 et 1935 sont 4 % dans ce cas, ceux nés juste après-guerre, un quart, et ceux nés entre 1956 et 1964, plus d’un tiers (figure 2). Une évolution comparable s’observe pour les femmes.

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Figure 2

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7Les individus sont également plus nombreux à avoir vécu en couple à plusieurs reprises. Parmi ceux nés dans les années 1930, seuls 4 % des hommes et 5 % des femmes étaient dans cette situation à 50 ans. Du fait des remises en couple, les proportions augmentent un peu ensuite avec l’âge, mais cela ne concernait encore qu’environ 8 % des hommes et des femmes à l’âge de 70 ans dans cette génération. Une grande majorité ne connaissait donc au cours de sa vie qu’une seule union corésidente, le plus souvent mariée. Le paysage est très différent pour les générations nées trente ans après, dans les années 1960 : un quart des hommes et des femmes de 50 ans ont déjà connu au moins deux unions.

8Notons que si les proportions de personnes ayant déjà connu plusieurs unions à l’âge de 50 ans sont assez similaires pour les hommes et pour les femmes, les écarts entre sexes sont plus prononcés à 60 ans en raison d’une moindre probabilité de reformer une union au-delà de 50 ans pour les femmes.

Former un couple tardivement : les intentions …

9L’augmentation massive des séparations, associée à une moindre désapprobation sociale vis-à-vis des personnes séparées et divorcées, change les perspectives pour les plus de cinquante ans qui peuvent plus facilement qu’auparavant reformer un couple après une rupture conjugale.

10Toutefois, les intentions de former ou reformer une union pour les personnes vivant seules diminuent très vite avec l’âge au-delà de 50 ans [1] (figure 3). Ainsi, 29 % des cinquantenaires interrogés en 2005 pensent probablement ou certainement reformer une union dans les 3 ans, contre 8 % des sexagénaires et seulement 3 % des septuagénaires. Ces intentions sont nettement plus fortes pour les hommes : 37 % des hommes entre 50 et 59 ans déclarent probablement ou certainement avoir l’intention de former une nouvelle union contre 24 % des femmes aux mêmes âges. Entre 70 et 79 ans, ils sont encore 10 % contre seulement 1 % des femmes.

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Figure 3

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12Les intentions de former une union sont aussi liées à l’histoire conjugale passée. Les personnes n’ayant jamais vécu d’union corésidente, hommes comme femmes, sont très peu désireuses d’en connaître une dans les trois prochaines années, soit parce qu’elles y ont renoncé, soit parce qu’elles ne l’ont jamais souhaité. À âge donné, les personnes seules suite au décès de leur conjoint sont également moins enclines à former une nouvelle union que les personnes dont la dernière union a pris fin suite à une rupture conjugale. C’est particulièrement vrai pour les femmes qui ne sont que 9 % à désirer reformer une union après le décès de leur partenaire (2 % certainement et 7 % probablement) dans les années à venir. Les hommes sont deux fois plus nombreux (18 %).

… et leurs réalisations

13Les comportements observés confirment les intentions différenciées selon l’âge et le sexe. Former une union devient un événement de plus en plus rare au fil des âges (figure 4). Ainsi, les hommes seuls de 70 ans ont plus de deux fois moins de chances de reformer une union que les hommes de 50 ans, et cet écart est encore plus important pour les femmes qui ont presque cinq fois moins de chances de reformer une union à 70 ans qu’à 50 ans. Les hommes reforment plus fréquemment un couple à tous les âges que les femmes. Ces écarts sexués se creusent avec l’avancée en âge : ils ont un quart de chances de plus à 50 ans, trois fois plus de chances à 73 ans, quatre fois plus à 86 ans. Il est difficile de dire si les différences d’intentions intègrent les plus faibles chances ou une volonté moindre de vivre en couple pour les femmes, qui ont peut-être « moins à gagner » que les hommes, du fait de la répartition inégale des tâches domestiques entre sexes au sein du couple, particulièrement marquée dans ces générations. À ces âges, elles pourraient préférer une relation conjugale qui préserve leur autonomie [3], par exemple sans partage du même toit, comme le montre Lewin [4] dans plusieurs pays européens. De plus le nombre de « partenaires potentiels » est de plus en plus déséquilibré selon le sexe avec l’avancé en âge. S’il existe à peu près autant d’hommes que de femmes de 50 ans vivant sans partenaire, on compte trois femmes sans partenaire pour un homme à 75 ans et cinq femmes pour un homme à 90 ans. Cette asymétrie du « marché des unions » est accentuée par des écarts d’âges entre nouveaux partenaires à l’avantage des hommes, qui s’unissent avec des conjointes en moyenne plus jeunes qu’eux. Pour toutes ces raisons, les hommes ont effectivement nettement plus de chances que les femmes de former ou reformer une union à tous les âges.

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Figure 4

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15Enfin, à âge donné, les personnes n’ayant jamais connu d’union à 50 ans sont celles qui ont le plus de chances de rester seules durant leur vieillesse, en raison d’un moindre attrait pour la vie conjugale ou de caractéristiques inobservées qui les rendent moins attractives comme un problème de santé par exemple. En revanche, les personnes séparées (après un mariage ou une cohabitation) sont en meilleure posture sur le marché des secondes unions que les personnes veuves [5].

Les divorces de seniors en hausse

16Les divorces sont moins fréquents avec l’avancée en âge. Toutefois, le nombre de divorces impliquant un homme ou une femme de plus de 50 ans a récemment beaucoup augmenté. En 1996, les divorces impliquant un homme de plus de 50 ans représentaient 17 % de l’ensemble des divorces, en 2016 ils en représentent 38 %. Pour les femmes, ces divorces représentaient 11 % du total des divorces en 1996 et 29 % vingt ans plus tard. L’augmentation relative est encore plus marquée si l’on considère les divorces impliquant un homme ou une femme de plus de 60 ans : leur part a triplé dans l’ensemble des divorces (tableau 1).

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Tableau

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Tableau

18Cette hausse des divorces de seniors (appelés par certains « divorces gris » – grey/gray divorces ou silver splitters [6] –, en raison de la couleur des cheveux à ces âges), s’explique pour beaucoup par la taille des générations concernées, plus nombreuses, mais pas uniquement. La propension à divorcer continue à augmenter à ces âges alors qu’elle s’est stabilisée aux âges antérieurs, voire a décru pour les plus jeunes générations depuis les années 2000 (figure 5). Outre le pic des années 2005 et 2006, qui correspond à l’introduction d’une loi de simplification des procédures pour divorcer, effective début 2005, le divorce entre 50 et 60 ans poursuit donc sa progression pour les hommes comme pour les femmes. Dans un contexte général de baisse de la propension à divorcer depuis les années 2000 en France [7], cette tendance à la hausse des divorces de seniors détonne. Elle a d’abord été mise en évidence aux États-Unis, mais est maintenant également bien observable en France. Il est difficile à ce stade de dire s’il s’agit d’un effet propre à l’arrivée de la génération des babyboomers à ces âges avancés, ou si la hausse se poursuivra avec les générations suivantes lorsqu’elles atteindront à leur tour 50 ans.

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Figure 5

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Références


Mots-clés éditeurs : personnes âgées de cinquante ans et plus, Union, mariage, enquête Epic, divorce, rupture d’union, baby-boomers, France, enquête Erfi, remise en couple

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Date de mise en ligne : 10/02/2021

https://doi.org/10.3917/popsoc.586.0001

Notes

  • [1]
    Pour les résultats sur les intentions de former une union, il est possible que s’y mêle aussi un effet génération, non distinguable ici de l’effet d’âge car nous ne disposons des intentions qu’à une seule date.

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