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Article de revue

L’accueil en crèche en France : quels enfants y ont accès ?

Pages 1 à 4

Notes

  • (1)
    Enquête Cnaf-TMO Régions, 2008.
  • (2)
    Y compris les crèches familiales (regroupement d’assistantes maternelles se rendant régulièrement dans des crèches collectives) mais hors jardins d’enfants.
  • (3)
    La conférence nationale contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale 2013 prévoyait qu’une place en crèche sur dix soit réservée à des enfants dont les parents étaient bénéficiaires de minima sociaux ou en situation de monoparentalité.
  • (4)
    Étant donné que les mères seules ont autant recours à un mode de garde extérieur que les mères en couples.
  • (5)
    Les régions Île-de-France et Provence-Alpes-Côte d’Azur ont les taux de couverture les plus élevés (19 %) tandis qu’ils sont très faibles (7-9 %) dans les régions Haute-Normandie, Centre, Basse-Normandie et Pays de la Loire.

Les Français plébiscitent la crèche, mais seuls 16 % des enfants non encore scolarisés y étaient accueillis en 2011. Indépendamment de l’offre insuffisante, certains enfants, notamment ceux de famille modeste, ont-ils plus de chance d’y avoir accès que d’autres ? Analysant l’enquête Famille et Logements de 2011, Nathalie Le Bouteillec, Lamia Kandil et Anne Solaz examinent quels sont les enfants qui bénéficient de ce mode de garde.

1 Le Conseil de l’Europe avait fixé en 2002 comme objectif qu’à l’horizon de 2010 un tiers des enfants de moins de 3 ans puisse disposer d’un mode de garde formel. La France a dépassé cet objectif : un enfant de moins de 3 ans sur deux y bénéficie d’un accueil formel – auprès d’une assistante maternelle ou dans un établissement collectif de la petite enfance de type crèche. Si le recours à une assistante maternelle reste majoritaire, l’offre de places en crèche n’a cessé de croître au cours des vingt dernières années et 16 % des enfants non encore scolarisés étaient accueillis en crèche en 2011. Ce mode d’accueil est beaucoup plus répandu dans les pays du Nord de l’Europe, 56 % des enfants danois en bénéficiant par exemple en 2012. Le contexte français est donc plus généreux que la moyenne européenne en termes d’accueil formel mais contraint quant au nombre de places en accueil collectif alors même que la demande parentale est forte.

La crèche est fortement demandée

2 La crèche est la première mesure à laquelle pensent les employeurs quand on les interroge sur les moyens à mettre en œuvre pour permettre aux salariés de mieux concilier famille et travail [1]. C’est aussi le mode d’accueil le plus demandé par les parents d’enfants de moins de 3 ans. À la naissance de leur enfant, 32 % des parents déclarent préférer la crèche comme mode d’accueil (1). Selon eux, la crèche est bénéfique au développement social de l’enfant, à son éveil et son autonomie. En outre, l’apprentissage de la vie en collectivité prépare l’entrée à l’école maternelle [2]. Les parents apprécient aussi le professionnalisme du personnel et l’environnement adapté aux tout-petits. Ils sont toutefois moins satisfaits du respect du rythme de l’enfant et des contraintes horaires de la crèche. Si les parents qui recourent à un mode de garde formel sont globalement satisfaits de celui-ci, quatre sur dix en auraient souhaité (ou en souhaitent encore parfois) un autre. Auquel cas, c’est la crèche qui suscite le plus de regrets.

Figure 1

Mode d’accueil des enfants de moins de 4 ans en janvier-février 2011 selon leur âge

Mode d’accueil des enfants de moins de 4 ans en janvier-février 2011 selon leur âge

Mode d’accueil des enfants de moins de 4 ans en janvier-février 2011 selon leur âge

Lecture : Parmi les enfants nés en avril 2008 (ayant presque 3 ans à la date de l’enquête début 2011), 32 % sont gardés par une assistante maternelle, 30 % par les parents, 18 % sont accueillis en crèche. 15 % fréquentent l’école en matinée et 8 % toute la journée.
Source : Enquête Famille et Logements 2011, Insee.

Une offre inégalement répartie sur le territoire

3 De nombreux parents sont déboutés de leur demande ou n’ont pu faire ce choix car l’offre locale est limitée. Les places en crèche (2) sont en effet beaucoup plus fréquentes dans les grandes métropoles et en particulier à Paris, où leur nombre atteint 38 pour 100 enfants de moins de 3 ans, tandis que la moyenne nationale n’est que de 16. Mais les plus grandes inégalités se trouvent entre les zones urbaines et rurales. Outre son coût plus difficile à supporter pour les petites communes, l’accueil des jeunes enfants n’est pas forcément une priorité des élus locaux, si bien que de nombreux parents ne disposent pas de crèche à proximité de leur foyer ou de leur lieu de travail en zone rurale. Lorsqu’il en existe, les collectivités locales et les municipalités mettent en avant des critères familiaux et sociaux pour décider de l’octroi des places. Certains parents dénoncent le manque de transparence et les inégalités de traitement dans ces attributions. Quels sont les enfants et les parents qui ont finalement accès à la crèche ? Est-ce que certaines familles ont un accès privilégié ? Est-ce que cela correspond aux critères avancés ?

Un enfant sur deux est gardé par ses parents

4 À partir de l’enquête Famille et logements de 2011 (encadré), nous analysons les profils sociodémographiques des parents et des enfants dont le mode de garde principal en 2011 était un accueil dans une structure collective. Si cette enquête permet de décrire le recours actuel à la crèche, elle ne permet pas de mesurer la demande pour ce type d’accueil et le possible renoncement. Le recours observé traduit donc à la fois les préférences des parents, l’offre locale et les critères d’attribution de places dans ces structures collectives.

5 Une partie non négligeable des enfants de moins de quatre ans sont déjà scolarisés en 2011 (environ 28 %). Ils sont rentrés à l’école maternelle l’année de leurs trois ans, comme c’est le cas pour la majorité des enfants en France. Certains ont été scolarisés dès leurs deux ans mais, en 2011, cela concerne une minorité d’enfants. En effet, alors que la scolarisation précoce a été largement encouragée dans les années 1990, elle a été réduite ensuite par souci d’économie. Ainsi, alors que 35 % des enfants âgés de deux ans allaient à l’école en 2000, ils n’étaient plus que 11 % en 2012. De plus, peu d’écoles permettent cette scolarité précoce. La scolarisation des enfants de deux ans a été cependant à nouveau envisagée récemment dans les zones défavorisées.

Encadré. L’enquête Famille et logements de 2011

L’enquête Famille et logements a été réalisée en France par l’Insee du 20 janvier au 26 février 2011 auprès de 360 000 adultes répartis dans 1 400 communes. Il s’agit d’une enquête couplée au recensement, qui met en parallèle des informations sur trois générations (grands-parents, enfants, petits-enfants) et qui porte sur la fécondité ainsi que de nouveaux thèmes comme les familles recomposées et homoparentales ou la multirésidence.
Cette enquête renseigne aussi sur le mode d’accueil principal des enfants de moins de 4 ans résidents dans le ménage enquêté et vient ainsi compléter d’autres enquêtes [3]. Pour chaque enfant, la question suivante est posée « Comment est-il gardé habituellement dans la journée en semaine (en dehors de l’école s’il y va) ? ». La modalité « Crèche (collective, familiale…) » est proposée. Cette appellation regroupe donc un ensemble de structures collectives de différents types, que nous appelons communément « crèches » ici. Les autres modalités de réponse sont : « sa mère ou son père », « assistante maternelle », « grands-parents ou famille », et « autres ». L’échantillon est constitué de 44 007 enfants de moins de 4 ans appartenant à 37 926 ménages. Notre étude porte plus spécifiquement sur les enfants non encore scolarisés (soit 31 686 enfants issus de 29 284 ménages).

6 La proportion d’enfants bénéficiant d’un mode de garde formel augmente régulièrement avec l’âge (figure 1), la fréquence de chacun de ce type de garde étant stable jusqu’à l’entrée en école maternelle (visible dès les 2 ans et demi de l’enfant). À ces jeunes âges, les enfants ont plus de chances de ne fréquenter l’école que le matin, tandis qu’à partir du troisième anniversaire, l’école matin et après-midi se généralise. À trois ans, la quasi-totalité des enfants vont à l’école, toute la journée ou seulement le matin.

7 Parmi les enfants âgés de moins de 4 ans non scolarisés, la moitié est habituellement gardée, en semaine, par ses parents, probablement la mère dans la très grande majorité des cas, 29 % sont gardés par une assistante maternelle et 16 % sont accueillis en structure collective (crèche collective, familiale…). Seule une petite proportion d’enfants (4,5 %) est gardée principalement par les grands-parents ou d’autres membres de la famille.

Les enfants nés à l’automne ont moins accès à la crèche

8 S’agissant des enfants dont les parents ont opté pour un mode de garde extérieur (dans leur très grande majorité, des enfants dont la mère est en activité ou en recherche d’emploi), quelle est la probabilité qu’ils soient accueillis dans une structure collective de type crèche plutôt que par une assistante maternelle ou les grands-parents ?

9 Les enfants nés en début d’année (de janvier à avril) ont toujours plus de chance d’être accueillis en crèche que ceux nés à l’automne (en octobre, novembre et décembre), ceci à âge égal (figure 2). L’arrivée des enfants dans ces structures n’est pas uniforme, elle dépend du départ des enfants plus âgés qui rentrent à l’école maternelle et libèrent ainsi l’essentiel des places en septembre. Ces places libérées semblent plus bénéficier aux nouveau-nés du premier et deuxième trimestre. En outre, rares sont les municipalités qui réunissent les commissions d’attribution de places en crèche régulièrement au cours de l’année ; elles le font habituellement deux à trois fois par an dont souvent une commission au printemps qui statue sur les enfants déjà nés, pouvant faire leur entrée à l’automne. Il est aussi possible que la succession des congés (maternité, parental court et professionnel) permettent aux parents d’enfant de début d’année d’attendre l’automne afin de profiter de ce type de garde.

Figure 2

Probabilité d’accès à la crèche selon l’âge et le mois de naissance

Probabilité d’accès à la crèche selon l’âge et le mois de naissance

Probabilité d’accès à la crèche selon l’âge et le mois de naissance

Champ : Enfants de moins de 4 ans non scolarisés dont les parents ont recours à un mode d’accueil extérieur.
Lecture : Parmi les enfants dont les parents ont recours à un mode d’accueil extérieur, les enfants nés en février 2010 ont, toutes choses égales par ailleurs, 34 % de chance d’être accueillis en crèche, contre 27 % pour les enfants nés en décembre 2009.
Résultats issus de l’estimation d’un modèle bivarié prenant en compte âge, mois de naissance, sexe, rang de l’enfant, gémellité/naissance unique, enfant adopté/biologique, famille monoparentale/couple, nationalité, âge, diplôme, situation d’emploi et catégorie socioprofessionnelle des parents, région et la taille de la commune de résidence.
Source : Enquête Famille et Logements 2011, Insee.

10 Filles et garçons ont autant de chance d’être accueillis en crèche. On ne constate pas non plus de différences entre enfants biologiques et enfants adoptés. En revanche, le rang dans la fratrie importe (figure 3). Le troisième enfant est plus fréquemment accueilli dans les structures collectives que le premier ou le deuxième, signe d’une volonté d’aider les mères de familles nombreuses à conserver leur activité professionnelle. De même, les jumeaux et les triplés sont plus fréquemment en crèches que les enfants issus de naissance simple.

Les familles monoparentales ne sont pas favorisées

11 Selon la Caisse nationale des allocations familiales, 13 % des structures d’accueil de jeunes enfants retiennent la situation de monoparentalité comme critère favorisant l’attribution d’une place mais beaucoup plus quand l’isolement de la mère est associé à un autre critère (activité ou recherche d’emploi de la mère par exemple) [4]. Cependant, les enfants issus de familles monoparentales ont autant de chances que les autres enfants utilisant un mode de garde extérieur de fréquenter une structure d’accueil collective. Ils représentent, en 2011, 9 % des effectifs d’enfants inscrits en crèche, une part comparable à celle des enfants issus de familles monoparentales parmi les moins de quatre ans (9,7 %). Bien que ce chiffre soit finalement assez proche de l’objectif politique d’attribuer une place en crèche sur dix à un enfant de parents en difficulté (3), les enfants élevés dans une famille monoparentale ne semblent donc pas bénéficier d’un accès privilégié aux crèches (4). Dès lors, il faudrait fixer un objectif plus élevé si on voulait favoriser ces enfants.

Un coup de pouce pour aider les mères dans la précarité

12 L’âge et le niveau d’instruction des parents jouent peu sur la probabilité que l’enfant soit accueilli ou non en crèche, à l’exception des mères sans diplôme et des jeunes mères. Les mères sans diplôme ont significativement moins recours à la crèche comme mode d’accueil. Elles sollicitent plus souvent les grands-parents ou d’autres membres de la famille que les mères diplômées quand elles ne gardent pas elles-mêmes leurs enfants. En revanche, les jeunes mères (c’est-à-dire les femmes âgées de 20 à 25 ans au moment de la naissance de l’enfant) ont plus recours aux structures d’accueil collectif que les mères plus âgées.

13 La situation d’emploi est plus déterminante. L’activité est bien entendu souvent une condition nécessaire pour prétendre à une place, mais on constate aussi que les mères au chômage sont surreprésentées, laissant penser que ces situations de précarité professionnelle leur donne un avantage lors de l’attribution de places. Ce coup de pouce en faveur des travailleuses précaires ne se retrouve pas pour les pères dans les mêmes situations.

14 Les mères salariées du secteur public ou indépendantes confient plus souvent leur enfant aux crèches que celles du secteur privé, résultat partiellement dû à la prépondérance des crèches dans le secteur hospitalier. Les enfants d’employées et de mères occupant une profession intermédiaire sont aussi plus fréquemment en crèche que les enfants de cadres, qui peuvent recourir à un mode de garde éventuellement plus onéreux et plus adapté à des journées de travail plus longues (figure 3).

Figure 3

L’accueil en crèche selon les caractéristiques de l’enfant et la profession de la mère

L’accueil en crèche selon les caractéristiques de l’enfant et la profession de la mère

L’accueil en crèche selon les caractéristiques de l’enfant et la profession de la mère

Champ : Enfants de moins de 4 ans non scolarisés dont les parents ont recours à un mode d’accueil extérieur.
Lecture : Parmi les enfants dont les parents ont recours à un mode d’accueil extérieur, ceux dont les mères sont au chômage pour une durée de moins d’un an ont, toutes choses égales par ailleurs, 42 % de chance d’être accueillis en crèche, contre 29 % pour les enfants dont les mères sont salariées du secteur public. Le modèle utilisé est le même que pour la figure 2.
*Différence significative par rapport à la catégorie de référence (premier enfant, unique, salariée du privé, cadre).
Source : Enquête Famille et Logements 2011, Insee.

15 Au-delà de la mixité sociale, les structures d’accueil collectif de jeunes enfants semblent favoriser la mixité d’origines migratoires bien que ce critère ne soit pas affiché. Les enfants de mères de nationalité étrangère, non gardés par la famille, sont plus fréquemment en crèche que ceux nés de parents français. C’est aussi le cas pour les enfants de mères filles d’immigrés. Cela pourrait aussi tenir à une plus forte volonté de ces dernières de recourir à ce type de structure. L’origine migratoire du père semble moins jouer, montrant que les caractéristiques de la mère semblent plus déterminantes que celles du père pour l’octroi d’une place en crèche.

16 Les différences régionales (déjà mises en avant par Acs [3]) sont assez prononcées, avec des probabilités d’accès allant de 17 %-20 % en Haute-Normandie, Centre, Basse-Normandie et Pays de la Loire, de presque 30 % en Île-de-France, à près de 50 % en Provence-Alpes-Côte d’Azur et Corse. Ces disparités correspondent aux différences de taux de couverture observés (nombre de places en accueil collectif en % d’enfants de moins de 3 ans) (5).

17 Analyser le profil des enfants accueillis en crèche ne permet pas de distinguer ce qui relève de l’offre locale et des préférences des parents pour un mode de garde particulier. Indépendamment des disparités régionales, très importantes, qui contraignent l’accès, ce sont les caractéristiques de la mère qui jouent, plus que celles du père, notamment en termes de diplôme et d’emploi. Il existe aussi un facteur « chance » comme le montre le meilleur accès des enfants nés en début d’année.

Bibliographie

Références

  • [1] Lefèvre Cécile, Pailhé Ariane, Solaz Anne, 2007, « Comment les employeurs aident-ils leurs salariés à concilier travail et famille ? », Population et Sociétés, n° 440.
  • [2] Clément Justinia, Nicolas Muriel, 2009, « Opinions et satisfaction des parents vis-à-vis des modes de garde », Cnaf, L’essentiel, n° 82.
  • [3] Acs Marie, 2013, « Les spécificités régionales des modes de garde déclarés des enfants de moins de 3 ans », Drees, Études et Résultats, n° 839.
  • [4] Candiago Philippe, Moreira Marina, Ruffiot Amédine, Robin Kim, Maneveau Romain, 2012, « Les publics des établissements d’accueil du jeune enfant (EAJE), Attribution des places et gestion au quotidien », Cnaf, Dossier d’études, n° 152.

Notes

  • (1)
    Enquête Cnaf-TMO Régions, 2008.
  • (2)
    Y compris les crèches familiales (regroupement d’assistantes maternelles se rendant régulièrement dans des crèches collectives) mais hors jardins d’enfants.
  • (3)
    La conférence nationale contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale 2013 prévoyait qu’une place en crèche sur dix soit réservée à des enfants dont les parents étaient bénéficiaires de minima sociaux ou en situation de monoparentalité.
  • (4)
    Étant donné que les mères seules ont autant recours à un mode de garde extérieur que les mères en couples.
  • (5)
    Les régions Île-de-France et Provence-Alpes-Côte d’Azur ont les taux de couverture les plus élevés (19 %) tandis qu’ils sont très faibles (7-9 %) dans les régions Haute-Normandie, Centre, Basse-Normandie et Pays de la Loire.
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