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Article de revue

Rester sans enfant : un choix de vie à contre-courant

Pages 1 à 4

Notes

Les personnes sans enfant et déclarant ne pas en vouloir sont relativement rares en France. Qui sont-elles ? Quelles raisons donnent-elles à leur choix ? Le fait de vivre ou non en couple a-t-il une influence ? S’appuyant sur plusieurs enquêtes, dont l’enquête Fecond, Charlotte Debest et Magali Mazuy nous présentent les résultats de leur analyse sur ce choix de vie.

1 L’infécondité volontaire, ou le choix, pour des femmes et des hommes sans enfant, de ne pas devenir parent, est très minoritaire en France : si l’entrée en parentalité intervient souvent après plusieurs années de vie conjugale sans enfant, peu de femmes, d’hommes ou de couples décident de manière ferme de ne pas avoir d’enfant, et se tiennent à ce choix.

2 Les études sociologiques sur le sujet étaient jusqu’à présent peu nombreuses [1, 2]. Deux enquêtes les complètent aujourd’hui (encadré) : l’enquête Fécondité, contraception et dysfonctions sexuelles (Fecond), réalisée en 2010 auprès de 8 648 personnes ; et une enquête par entretiens qualitatifs menés en 2009-2010, en face-à-face, auprès de 51 personnes en couple ou non, hétérosexuelles ou homosexuelles [3]. Ces interviews explorent de manière approfondie les motivations et les parcours de femmes et d’hommes sans enfant, n’en voulant pas à la date de passation des entretiens et déclarant ne pas en vouloir à l’avenir. L’ensemble de ces données quantitatives et qualitatives nous apportent des informations inédites sur les caractéristiques sociodémographiques des personnes ayant déclaré ne pas vouloir d’enfant, et sur les raisons motivant leur choix.

5 % des femmes et des hommes ne veulent pas d’enfant

3 L’infécondité définitive – être sans enfant en fin de vie féconde – reste relativement faible en France, notamment pour les femmes : 13,5 % de celles nées entre 1961 et 1965 contre 21,0 % des mêmes générations d’hommes. L’infécondité définitive est en légère augmentation ces dernières années selon l’Insee [4], contrairement à l’infécondité volontaire déclarée qui reste un phénomène très minoritaire.

Encadré. Les sources de données

L’enquête Fécondité, contraception et dysfonctions sexuelles (Fecond) a été réalisée en 2010 par l’Inserm et l’Ined auprès d’échantillons aléatoires de 5 275 femmes et 3 373 hommes âgés de 15 à 49 ans. Elle explore les pratiques contraceptives depuis l’entrée dans la sexualité, les échecs de contraception, les grossesses prévues et non prévues, le recours à l’avortement et les dysfonctions sexuelles.
L’enquête qualitative sur le choix d’une vie sans enfant, menée entre février 2009 et mai 2010, se compose de 51 entretiens réalisés auprès de 33 femmes et de 18 hommes âgés de 30 ans à 63 ans. Les entretiens, d’une durée de deux heures, concernaient les parcours scolaire, professionnel, familial et conjugal de ces personnes ayant volontairement choisi de vivre sans enfant [3].
Note : L’enquête Fecond a été réalisée par une équipe composée de N. Bajos et C. Moreau (responsables scientifiques), A. Bohet (coordinatrice), A. Andro, L. Aussel, J. Bouyer, G. Charrance, C. Debest, D. Dinova, D. Hassoun, M. Le Guen, S. Legleye, E. Marsicano, M. Mazuy, E. Moreau, H. Panjo, N. Razafindratsima, A. Régnier-Loilier, V. Ringa, E. de La Rochebrochard, V. Rozée, M. Teboul, L. Toulemon, C. Ventola.
L’enquête Fecond peut être consultée à l’adresse : http://www.u822.idf.inserm.fr/page.asp?page=4097

4 D’après les données quantitatives de l’enquête Fecond, 6,3 % des hommes et 4,3 % des femmes déclarent ne pas avoir d’enfant et ne pas en vouloir. Il est sans doute moins stigmatisant pour les hommes d’assumer ce choix que pour les femmes, étant donné les rôles encore assignés à chacun des sexes.

5 Ces constats rejoignent les résultats issus de l’Euro-baromètre réalisé en 2006 où 95 % des Français déclaraient souhaiter avoir au moins un enfant [5] et de l’enquête Étude des relations familiales et intergénérationnelles(1) (Erfi) réalisée en 2005 [6].

Un fort désir d’enfant à tous les âges

6 Aux âges jeunes, le désir de fonder une famille est déjà très fort : on ne se projette que très rarement sans enfant (figure 1). La pression sociale pour avoir des enfants est forte à tous les âges, et d’autant plus à ceux de « pleine fécondité », c’est-à-dire entre 25 et 35 ans, âges auxquels l’infécondité volontaire est particulièrement faible.

Figure 1

Infécondité volontaire déclarée* selon l’âge (%)

Infécondité volontaire déclarée* selon l’âge (%)

Infécondité volontaire déclarée* selon l’âge (%)

(C. Debest, M. Mazuy et al., Population et sociétés, n° 508, Ined, février 2014)
Champ : personnes âgées de 18 à 49 ans.
* proportion de personnes sans enfant, n’en attendant pas, et ayant répondu « non » à la question : « Vous-même souhaitez-vous avoir des enfants, que ce soit maintenant ou plus tard ? »
Source : Inserm-Ined, enquête Fecond 2010.
Tableau 1

Infécondité volontaire déclarée, selon le niveau d’études et la situation de couple (%)

Femmes Hommes
Niveau d’études En couple Non en couple Ensemble En couple Non en couple Ensemble
Inférieur au Bac 2,3 7,0 3,3 4,6 19,2 7,0
Bac 4,2 15,0 5,7 5,0 16,8 5,7
Bac + 3 3,2 11,3 4,3 6,9 20,4 4,3
Supérieur à Bac + 3 3,7 19,1 5,7 4,5 9,0 5,7
Ensemble 3,1 10,6 4,4 5,0 17,6 6,8
Infécondité volontaire déclarée, selon le niveau d’études et la situation de couple (%)

Infécondité volontaire déclarée, selon le niveau d’études et la situation de couple (%)

Champ : personnes âgées de 30 à 49 ans.
Note : Pour les résultats prenant en compte la situation de couple et le diplôme, les analyses sont restreintes aux personnes âgées d’au moins 30 ans. Les différences selon le diplôme pour les femmes non en couple sont significatives au seuil de 5 %.
Source : Inserm-Ined, enquête Fecond 2010.

7 Cette injonction s’accompagne de représentations de la « bonne » parentalité [7] : avoir un partenaire et être en couple stable, planifier des naissances au « bon » âge et au « bon » moment, dans le cadre d’un projet conjugal, ensemble de normes sociales qui se traduisent par un désir de « faire famille » largement partagé par la population en France.

Être en couple diminue l’infécondité volontaire déclarée

8 Les niveaux déclarés d’infécondité volontaire sont très faibles parmi les personnes en couple au moment de l’enquête : 3 % pour les femmes et 5 % pour les hommes (contre 10 % et 17 % pour les personnes non en couple) (tableau 1). Ces chiffres sont stables depuis 1995 [2] et rappellent que l’arrivée d’un premier enfant fait toujours partie du parcours conjugal attendu (par les couples eux-mêmes et par leur entourage), l’absence d’enfant pouvant renvoyer à un dysfonctionnement (médical ou affectif) au sein du couple stable. Majoritaires au moment de la mise en couple, les couples sans enfant basculent peu à peu dans une position minoritaire lorsque dans leur entourage les naissances sont de plus en plus fréquentes. Une certaine pression, diffuse, s’exerce de manière progressive sur les couples ne s’engageant pas dans un projet parental, alors même qu’ils réuniraient les « bonnes » conditions pour avoir un enfant.

9 La part plus importante de personnes non en couple déclarant ne pas vouloir d’enfant traduit des configurations multiples. Elle peut s’expliquer par l’absence de conjoint (2), ou par le fait qu’elles ne se projettent pas en tant que parent, la stabilité conjugale – qui suppose a minima d’avoir un partenaire – étant considérée comme un préalable pour avoir un enfant dans de « bonnes » conditions. Alternativement, être sans partenaire et ne pas souhaiter d’enfant peut exprimer le souhait de ne pas répondre au schéma classique de la conjugalité et de la famille.

Diplôme et infécondité volontaire : un effet complexe

10 Pour les femmes et les hommes en couple, la fréquence de l’infécondité volontaire déclarée varie peu selon le diplôme. Après 35 ans, le souhait de ne pas être parent est très minoritaire pour les femmes comme pour les hommes en couple, indépendamment de leur milieu social : presque tous souhaitent devenir parent (ou le sont déjà).

11 Par contre, parmi les femmes n’étant pas en couple, ce sont les plus diplômées qui déclarent le plus souvent vouloir rester sans enfant (tableau 1). Au-delà d’une moindre propension à la conjugalité, elles sont plus que les autres inscrites dans des parcours de vie sortant des schémas traditionnels de socialisation assignés aux femmes dès le plus jeune âge. Les femmes diplômées, sans enfant, sont plus enclines à construire une vie professionnelle sans avoir à gérer la complexité de l’articulation avec une vie familiale. On observe un effet inverse du diplôme pour les hommes non en couple : l’infécondité volontaire déclarée est forte pour tous les niveaux de diplôme, mais toutefois moins pour les très diplômés.

Figure 2

Raisons de ne pas vouloir d’enfant selon l’âge (%)

Raisons de ne pas vouloir d’enfant selon l’âge (%)

Raisons de ne pas vouloir d’enfant selon l’âge (%)

Champ : personnes âgées de 18 à 49 ans sans enfant et ayant déclaré ne pas vouloir d’enfant.
Note : Les répondants pouvaient choisir plusieurs raisons.
Source : Inserm-Ined, enquête Fecond 2010.
Figure 3

Raisons de ne pas vouloir d’enfant, selon le sexe et le niveau de diplôme (%)

Raisons de ne pas vouloir d’enfant, selon le sexe et le niveau de diplôme (%)

Raisons de ne pas vouloir d’enfant, selon le sexe et le niveau de diplôme (%)

Champ : personnes âgées de 30 à 49 ans, sans enfant et ayant déclaré ne pas vouloir d’enfant.
Source : Inserm-Ined, enquête Fecond 2010.

12 Les souhaits d’infécondité volontaire sont plus fréquents chez les personnes qui, de par leur position sociale, sont les plus éloignées de l’idéal du « bon parent » véhiculée par la société actuelle : une femme modérément diplômée avec de moindres responsabilités professionnelles perçue comme plus disponible pour sa famille, et un homme plus diplômé perçu comme un « bon » pourvoyeur de ressources.

13 Ces résultats sur les souhaits rejoignent les observations concernant l’infécondité définitive. En effet, cette dernière est plus élevée pour les femmes diplômées, alors que pour les hommes, elle est plus fréquente en bas de la hiérarchie sociale [4].

« Être bien » sans enfant

14 Les personnes qui ont répondu à l’enquête Fecond pouvaient choisir, sans les prioriser, plusieurs raisons motivant leur souhait de rester sans enfant, allant de raisons « libertaires » relativement subjectives, comme le souci de rester libre, à des raisons pouvant paraître plus objectives telles que l’âge, la situation conjugale, les conditions matérielles ; des raisons de santé étaient également proposées (figure 2).

15 Les raisons « libertaires » regroupent le fait d’être bien sans enfant, de vouloir rester libre, d’avoir d’autres priorités. Ces raisons sont très souvent mises en avant dans le projet de rester sans enfant. Huit fois sur dix, femmes (79 %) et hommes (83 %) déclarent « être bien sans enfant ». C’est donc la notion d’épanouissement personnel qui transparaît ici.

16 Ces raisons sont fortement mobilisées par les répondants, quel que soit le niveau de diplôme (figure 3), et d’autant plus pour les plus diplômés. Les personnes à fort capital social se projettent plus souvent dans une configuration libertaire, car elles ont plus les moyens de la réaliser. Ces résultats font écho aux analyses de l’enquête qualitative. Les personnes volontairement sans enfant mettent en relief la tension entre deux valeurs de la société contemporaine : la liberté individuelle et la famille. D’un côté, la liberté individuelle, qui va de pair avec la figure idéalisée de l’individu entrepreneur de sa propre vie, renvoie à des notions telles que l’épanouissement personnel, l’autonomie, la mobilité professionnelle et conjugale. D’un autre côté, les valeurs associées à la famille sont à rapprocher de celles de stabilité professionnelle et conjugale, de la disponibilité pour autrui, de l’engagement filial.

17 Les hommes et femmes les plus jeunes mettent très souvent en avant le fait d’avoir d’autres priorités (figure 2). Pour les femmes, la tension persiste dans l’articulation entre les sphères personnelle, professionnelle et familiale, les obligeant souvent à prioriser une sphère sur une autre. Pour les hommes, la stabilité professionnelle prend toujours une place importante avant d’avoir des enfants. Enfin, hommes et femmes attendent le « bon » moment pour avoir un premier enfant, notamment après avoir profité d’une période « libre » d’enfants.

18 Le fait de se considérer comme trop âgé est un argument très souvent mis en avant après 40 ans, notamment pour les femmes qui sont, plus que les hommes, confrontées à la pression « biologique ». L’enquête qualitative montre que l’entourage des personnes volontairement sans enfant mobilise fréquemment la difficulté à procréer après un certain âge pour instiller chez les femmes la peur des regrets et ainsi l’envie d’enfanter. À partir des données quantitatives, on repère la tendance selon laquelle l’infécondité volontaire est plus souvent déclarée en fin de vie féconde, surtout pour les hommes, comme s’il devenait légitime, passé un certain âge, de ne pas faire d’enfant. On peut y voir un lien avec les représentations négatives de la « parentalité tardive » [8], et principalement de la maternité tardive.

19 Les raisons financières ou les problèmes de santé sont très peu mis en avant, y compris par les plus jeunes, qui sont potentiellement dans des positions encore précaires vis-à-vis des revenus et de l’autonomie financière. Ces raisons sont également rarement présentes dans les témoignages des personnes interrogées lors de l’enquête qualitative.

20 La moitié des femmes et des hommes volontairement sans enfant (tous âges confondus) sont en couple (60 % au-delà de 30 ans). Pour deux tiers des femmes et des hommes non en couple, la situation conjugale est présentée comme l’une des raisons de ne pas vouloir d’enfant.

21 Parmi les personnes en couple, le conjoint est déjà parent dans un tiers des cas, et c’est la raison évoquée par trois quarts des hommes et femmes en couple avec un conjoint déjà parent. Être beau-parent permet, en quelque sorte, une parentalité moins engageante, avec un investissement minimal et modulable dans l’éducation des beaux-enfants. Pour les femmes et pour les hommes, on peut supposer que le fait de ne pas vouloir d’enfant et de se mettre en couple avec un partenaire déjà parent neutralise les tensions conjugales potentielles autour de l’entrée (ou non) en parentalité et ainsi permet d’aborder plus sereinement une vie conjugale sans projet parental.

22 La situation conjugale des femmes, contrairement aux hommes, fait peu varier les raisons qu’elles mobilisent pour expliquer leur souhait de rester sans enfant. L’enquête qualitative montre bien que les femmes, par leur socialisation, ont pensé plus tôt que les hommes la question de la parentalité, et souvent dès l’école primaire. Le mode de socialisation des garçons les projette rarement dans la paternité avant d’être en couple stable.

Conclusion

23 L’infécondité volontaire n’est pas un phénomène en augmentation et reste très minoritaire en France. À tous les âges, le désir de fonder une famille est fort. Si être en couple stable reste une condition prépondérante pour se projeter dans la parentalité, la moitié des personnes volontairement sans enfant sont en couple.

24 Les personnes qui ont fait le choix d’une vie sans enfant ont peu évoqué les raisons matérielles et de santé. Quant au fait d’être trop âgée, notamment cité par les femmes âgées de 40 ans et plus, cela peut révéler la relative stigmatisation des parentalités tardives, permettant dès lors de légitimer une absence volontaire d’enfant. Enfin, la liberté et l’épanouissement personnel sont des raisons fréquemment avancées – notamment par les personnes à fort capital culturel – reflétant le souhait d’affirmer un choix de vie positif par les personnes volontairement sans enfant.

Références


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Date de mise en ligne : 01/10/2019

https://doi.org/10.3917/popsoc.508.0001

Notes

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

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