Notes
- (1)Les chiffres de ces deux paragraphes ne figurent pas dans le tableau ; ils détaillent ceux y figurant selon qu’il y a eu ou non intention de hâter la mort.
- (1)Enquête financée par le ministère de la Santé (direction générale de la Santé) et l’Ined, et réalisée par l’Ined avec la participation de l’Observatoire national de la fin de vie, du Centre d’épidémiologie des causes de décès de l’Inserm et du Conseil national de l’Ordre des médecins.
Au-delà des quelques cas d’euthanasie faisant l’actualité, qui concernent souvent des personnes jeunes lourdement handicapées, les médecins et les équipes hospitalières accompagnent chaque jour la fin de vie de patients âgés. Les décisions susceptibles d’abréger la vie sont-elles fréquentes ? Par qui sont-elles prises ? Sophie Pennec, Alain Monnier, Silvia Pontone et Régis Aubry nous livrent les premiers résultats de l’enquête La fin de vie en France.
1Les circonstances de la mort ont changé au cours du dernier siècle en France. La plupart des décès surviennent maintenant à des âges élevés, voire très élevés. Ils ont principalement lieu à l’hôpital et en institution, et sont souvent précédés d’une maladie chronique. Les personnes proches de la mort privilégient parfois la qualité de la vie plutôt que sa prolongation à tout prix. Les soins palliatifs se sont développés et les médecins sont parfois conduits à prendre des décisions difficiles en fin de vie. Enfin, un débat s’est développé autour des droits des personnes malades en fin de vie, des décisions médicales à ce moment précis, et l’euthanasie. Signe de ces évolutions, la loi Leonetti de 2005 (encadré 1) donne le droit au patient de refuser tout traitement qui lui semblerait déraisonnable au regard des bénéfices qu’il peut en tirer. Le médecin peut être conduit à décider d’arrêter des traitements, y compris si cela peut avoir pour effet secondaire d’entraîner la mort du patient. Examinons quelles sont les décisions médicales en fin de vie cinq ans après l’adoption de la loi grâce à l’enquête La fin de vie en France (encadré 2).
Une décision médicale a pu hâter la mort dans plus d’un décès non soudain sur deux
2Les décisions en fin de vie sont généralement l’aboutissement d’un parcours de soins complexe ponctué par une succession d’actions de la part de l’équipe médicale. Toutefois, 17 % des décès ont été considérés par les médecins comme « soudains et inattendus », ce qui excluait toute possibilité d’intervention médicale (tableau).
Décisions médicales en fin de vie en France en 2010
Effectif | Pour 100 décès | |
Décision prise en sachant qu’elle pourrait hâter la mort du patient, dont | 2 252 | 47,7 |
- Abstention d’un traitement visant à prolonger la vie | 688 | 14,6 |
- Arrêt d’un traitement visant à prolonger la vie | 199 | 4,2 |
- Intensification de traitement de la douleur et des symptômes | 1 327 | 28,1 |
- Administration de médicaments pour mettre délibérément fin à la vie | 38 | 0,8 |
Décision prise sans considérer qu’elle pourrait hâter la mort du patient | 1 097 | 23,2 |
Décision de tout faire pour prolonger la vie | 576 | 12,2 |
Décès soudain | 798 | 16,9 |
Total | 4 723 | 100 |
Valeurs manquantes : 168. Source : Enquête La fin de vie en France, Ined, 2010. |
Décisions médicales en fin de vie en France en 2010
• elle reconnaît (1) le droit pour le malade de refuser un traitement qu’il estime « déraisonnable » au vu des bénéfices à en attendre et (2) le droit au médecin de suspendre ou de ne pas entreprendre des « traitements inutiles, disproportionnés, ou n’ayant d’autre objet que le maintien artificiel de la vie » ; • elle renforce le droit pour toute personne dont l’état le requiert, d’accéder à des soins palliatifs et admet, sous certaines conditions, que le soulagement des souffrances puisse nécessiter des médicaments qui peuvent avoir pour effet secondaire non recherché de réduire la durée de vie du patient ;
• elle renforce le principe « d’autonomie de la personne malade » : un patient en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, considéré comme capable d’exprimer sa volonté, peut refuser tout traitement et le médecin a l’obligation de respecter ce refus. Si le patient n’est pas en état d’exprimer sa volonté, le médecin peut limiter ou arrêter un traitement mais il doit prendre en compte les directives anticipées éventuelles, recueillir l’avis de la personne de confiance (si elle a été désignée) ou, à défaut, de la famille ou des proches, se concerter avec l’équipe de soins et obtenir l’avis motivé d’un autre médecin.
3Pour près d’un décès sur deux (48 %), le médecin déclare avoir pris une décision médicale en ayant conscience qu’elle était susceptible d’abréger la vie du patient. Le plus souvent, les traitements n’ont pas été administrés dans l’intention de provoquer une accélération de la survenue de la mort (45 %) (1) et sont donc conformes à l’esprit de la loi. Il s’agit de décisions de ne pas instaurer (15 %) ou d’arrêter (3 %) un traitement susceptible de prolonger la vie, ou d’intensifier le traitement de la douleur avec utilisation d’opioïdes et/ou de benzodiazépines (27 %).
4Une très faible fraction des décès (3,1 %, soit 148 cas sur 4 723) fait suite à un acte visant à mettre fin à la vie de la personne : décision de limitation ou d’arrêt des traitements (1,5 % des décès), intensification des traitements de la douleur (0,8 %), ou enfin administration de médicaments (0,8 %) (voir aussi l’encadré 3 sur l’euthanasie).
5Les autres décisions médicales de fin de vie ont été prises soit dans l’objectif de tout mettre en œuvre pour éviter la survenue de la mort (12 % de l’ensemble des décès), soit sans considérer que cela pouvait hâter la mort du patient (23 %).
Soulager la douleur ou limiter un traitement
6Pour la plupart des causes de décès, intensifier le traitement de la douleur est la décision la plus fréquente (figure). Son importance varie cependant du simple au double selon la cause : la moitié des patients atteints d’un cancer (52 %) en a bénéficié contre moins du quart de ceux souffrant d’une maladie cardiovasculaire (21 %) ou d’une maladie de l’appareil respiratoire (24 %). La décision en fin de vie de tout mettre en œuvre pour prolonger la vie du malade est en revanche plus fréquente en cas de maladie cardiovasculaire ou de l’appareil digestif (environ 25 %) qu’en cas de cancer ou de troubles mentaux (5 %). L’administration d’un médicament visant à mettre délibérément fin à la vie, une pratique rare, concerne principalement les patients souffrant de cancer.
Encadré 2 L’enquête La fin de vie en France
En définitive 14 080 questionnaires ont été envoyés à 11 828 médecins certificateurs, 5217 questionnaires ont été reçus en retour, soit un taux global de participation de 40 %. Ce taux est dans la moyenne de ceux obtenus par d’autres enquêtes nationales effectuées auprès de médecins. Ont été exclus de l’analyse 326 questionnaires n’appartenant pas à l’échantillon. Les résultats de l’étude reposent donc sur 4 891 décès. Certains médecins n’ont pas pu répondre au questionnaire parce qu’il ne leur était pas parvenu ou encore parce qu’ils ne suivaient pas eux-mêmes le patient. D’autres n’ont tout simplement pas répondu. Pour vérifier que ces non-réponses ne biaisaient pas trop les résultats, une enquête téléphonique a été effectuée auprès d’un échantillon de 620 médecins non répondants. Les raisons données par ces médecins pour expliquer qu’ils n’avaient pas répondu étaient peu liées au thème de l’enquête et venaient principalement d’un manque de temps. Ces médecins ont par ailleurs un profil proche de ceux ayant répondu, ce qui laisse penser que les biais ne sont pas importants.
7Intensifier le traitement de la douleur est beaucoup plus fréquent lorsque le décès à lieu à l’hôpital (38 % des décès) qu’à domicile (22 %), la proportion étant intermédiaire dans le cas des décès en maison de retraite (31 %). La raison en est probablement que les malades requérant une intensification des médications antidouleur sont plus fréquemment hospitalisés. Mais les écarts demeurent même quand il s’agit d’une même maladie. Dans les maisons de retraite, il est par ailleurs assez rare que tout soit fait pour prolonger la vie du patient (moins de 10 %) alors que c’est un peu plus fréquent en cas de décès à l’hôpital ou à domicile (près de 16 %).
Les décisions médicales en fin de vie selon la cause de décès
Les décisions médicales en fin de vie selon la cause de décès
Encadré 3 L’euthanasie : demandes et pratiques rares
Dans cette étude, selon les médecins enquêtés, 16 % des personnes décédées ont exprimé à un moment ou à un autre le souhait d’accélérer leur mort, mais les demandes explicites d’euthanasie restent extrêmement rares en France : elles concernent 1,8 % des décès, soit 44 personnes sur un échantillon d’environ 2 200 personnes ayant fait l’objet d’une décision médicale en fin de vie.
Les pratiques d’euthanasie sont encore plus rares. D’une part parce que les décisions, quelles qu’elles soient, avec intention de mettre fin à la vie des patients sont peu fréquentes (3,1 % des décès, soit 148 cas sur 4 723, dont 0,8 % soit 38 cas, par administration d’un médicament létal), et d’autre part, parce que seul un cinquième de ces décisions sont prises à la demande des patients (environ un tiers en cas d’administration de médicament). Les actes d’euthanasie (« mettre fin à la vie d’une personne malade à sa demande ») représentent 0,6 % du total des décès, dont 0,2 % sont pratiqués en administrant délibérément une substance pour mettre fin à la vie (11 cas). Dans ces derniers cas, moins de 4 sont définis par le médecin comme une euthanasie, les autres étant généralement considérés comme des sédations pour détresse terminale.
8L’âge du patient ne semble pas jouer et il y a peu de différences selon la spécialité du médecin. Certaines font toutefois exception en raison des spécificités des pathologies qu’ils prennent en charge ou des conditions dans lesquelles ils interviennent, selon notamment qu’il s’agit ou non d’une urgence. Les anesthésistes réanimateurs, les réanimateurs médicaux et les urgentistes déclarent plus souvent que les autres médecins avoir « tout fait pour éviter la survenue de la mort », et les cancérologues et les gériatres ont plus fréquemment recours à l’intensification du traitement de la douleur et/ou des symptômes.
Une décision collective dans neuf cas sur dix
9Plus des deux tiers des personnes pour lesquelles une décision de limitation ou d’arrêt des traitements a été prise n’étaient pas jugés par le médecin « en capacité de participer à la décision ». Quand les personnes étaient considérées comme capables de participer, ces décisions ont dans près de 80 % des cas fait l’objet d’une discussion avec le patient. Plus la décision médicale est susceptible d’entraîner la mort (intentionnellement ou non), plus elle fait suite à une discussion avec le patient. Tel a été le cas dans environ 50 % des décisions de limitation de traitement, et dans 85 % de celles d’intensification du traitement de la douleur. Un peu moins de 7 % des décisions de limitation ou d’arrêt des traitements sont prises à la demande explicite des patients, contre 19 % des décisions d’intensifier les traitements antalgiques.
Encadré 4 Comparaison avec d’autres pays européens
La France se situe dans les pays ayant un faible pourcentage de décès assistés (administration de médicaments par un médecin visant à mettre délibérément fin à la vie), bien en dessous de pays ayant légalisé l’euthanasie comme la Belgique et les Pays-Bas [3, 4]. Aucun suicide médicalement assisté n’a été rapporté dans cette enquête, et les euthanasies (à la demande du patient) sont rares.
10Les décisions prises font généralement l’objet d’une discussion avec l’équipe médicale (63 % des cas) et/ou avec un autre médecin (44 %). La famille est associée plus d’une fois sur deux et une personne de confiance l’est dans 15 % des cas. Les 38 % d’individus qui ont, comme le prévoit la loi, désigné une personne de confiance, ont quasiment tous (96 %) choisi un membre de leur famille. Seuls 8 % des médecins déclarent n’avoir discuté avec aucune personne de l’entourage médical ou familial. Ce pourcentage est le même que la personne ait été en capacité de participer à la discussion ou non. Enfin, plus la décision est susceptible d’entraîner la mort, plus le médecin déclare en avoir discuté avec un autre médecin, l’équipe soignante ou la famille.
11Selon les médecins, environ 10 % des arrêts de traitement, des intensifications du traitement de la douleur et des administrations de substances létales n’ont pas été discutés avec le patient, bien que celui-ci en ait été jugé apte, ce qui n’est pas conforme à la loi Leonetti. De surcroît, dans 10 % des cas d’intensification du traitement de la douleur, et même dans 2 des 38 administrations d’une substance létale, le médecin déclare avoir pris la décision seul.
12La loi donne la possibilité à chacun de rédiger à l’avance des directives anticipées et ainsi d’exprimer ses souhaits pour sa fin de vie en cas d’incapacité de participer à la décision. Seuls 2,5 % des patients concernés l’avaient fait. Pourtant, lorsque ces directives existent, les médecins déclarent qu’elles ont été un élément important pour 72 % des décisions médicales en fin de vie. Cela pose très clairement la question de la connaissance de la loi et l’appropriation des directives anticipées par les patients mais aussi par les professionnels de santé.
Références
- [1] Sophie Pennec, Alain Monnier, Silvia Pontone, Régis Aubry 2012, « End-of-life medical decisions in France : a death certificate follow-up survey 5 years after the 2005 Act of parliament on Patients’ rights and End of life », BMC Palliative Care, 11 (25), 22 p. www.biomedcentral.com/1472684X/11/25/abstract
- [2] Observatoire national de la fin de vie, 2012, Rapport 2011, Fin de vie : un premier état des lieux, 268 p.www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/124000093/0000.pdf
- [3] Luc Deliens, Gerrit Van der Wal, 2003, « The euthanasia law in Belgium and the Netherlands », The Lancet, 362 (9391), p. 1239-40.
- [4] Edouard Ferrand, Eric Rondeau, François Lemaire, et al., 2011, « Requests for euthanasia and palliative care in France », The Lancet, 377 (9764), p. 467-8.
- [5] Johan Bilsen, Joachim Cohen, Luc Deliens, 2007, « La fin de vie en Europe : le point sur les pratiques médicales », Population & Sociétés, n° 430, 4 p. www.ined.fr/fr/ressources_documentation/publications/pop_soc/bdd/publication/1223/
- [6] Agnes Van der Heide, Luc Deliens, Karin Faisst, et al., 2003, « End-of-life decision-making in six European countries : descriptive study », The Lancet, 362 (9381), p. 345-350.
Notes
- (1)Les chiffres de ces deux paragraphes ne figurent pas dans le tableau ; ils détaillent ceux y figurant selon qu’il y a eu ou non intention de hâter la mort.
- (1)Enquête financée par le ministère de la Santé (direction générale de la Santé) et l’Ined, et réalisée par l’Ined avec la participation de l’Observatoire national de la fin de vie, du Centre d’épidémiologie des causes de décès de l’Inserm et du Conseil national de l’Ordre des médecins.