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Article de revue

1. Régions françaises fusionnées : les économies et la simplicité promises au rendez-vous ?

Pages 14 à 16

Notes

  • [1]
    Loi du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.
  • [2]
    Le Figaro, 9 mai 2014.
  • [3]
    Audition de Gérard-François Dumont au Sénat, dans : Delebarre, Michel, « Rapport fait au nom de la Commission spéciale sur le projet de loi relatif à la délimitation des régions », Sénat, n° 658, 26 juin 2014, p. 154-156.
  • [4]
    Audition de Gérard-François Dumont à l’Assemblée nationale le 4 juin 2014, dans : Boudié, Florent, « Avis fait au nom de la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire sur le projet de loi, adopté par le Sénat, après engagement de la procédure accélérée, relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral », Assemblée nationale, n° 2 106, 8 juillet 2014, p. 11-13 et 25-29.
  • [5]
    Levoyer, Loïc, « Les régions françaises après fusion : quelle autonomie financière », in Chauchefoin, Pascal (dir.), Nouvelles régions et métropoles. La grande transformation ?, Rennes, PUR, 2020.
  • [6]
    Cour des comptes, Rapport sur la situation financière et la gestion des collectivités territoriales et de leurs établissements publics, fascicule 2 - septembre 2019.
  • [7]
    Chaque Ceser remplit une mission de consultation auprès des instances politiques de sa région. Il ne prend aucune décision mais émet des avis.
  • [8]
    Audition de Gérard-François Dumont, dans : Delebarre, Michel, op. cit.
  • [9]
    Torre, André, Commentaire « La difficile équation des réformes territoriales : du Big is beautiful à l’impossible simplification du mille-feuille institutionnel », Economie et statistique, n° 497-498, 2017.
  • [10]
    Dumont, Gérard-François, « Les régions en France. Géants géographiques, mais nains politiques ? », Les analyses de Population & Avenir, n° 8, décembre 2019.
  • [11]
    Cour des comptes, Rapport public thématique, Les services déconcentrés de l’État. La Documentation française, décembre 2017, 269 p., www.ccomptes.fr
  • [12]
  • [13]
English version
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Pour le gouvernement français qui l’a décidé et fait voter[1], la création de vastes régions par la fusion de plusieurs d’entre elles reposait sur le raisonnement suivant : « des régions plus fortes aux compétences élargies, c’est plus d’économies, plus d’attractivité, plus de simplicité ». Depuis, ce raisonnement a-t-il été validé ? Des économies ont-elles été constatées ? L’attractivité des régions fusionnées s’est-elle améliorée ? La simplicité s’est-elle concrétisée ? Deux articles répondent à ces questions, le premier examinant les thèmes des économies et de la simplicité, le second celui de l’attractivité.

1En 2014, après que le gouvernement français ait annoncé qu’il souhaitait diminuer le nombre de régions en France, deux thèses ont été avancées sur les économies escomptées grâce à la fusion des régions.

Deux thèses opposées

2D’un côté, le gouvernement affirmait la certitude des économies à provenir des fusions. Par exemple, le secrétaire d’État à la réforme territoriale, André Vallini, déclara : « Le budget des collectivités locales représente au total 250 milliards d’euros. Les meilleurs spécialistes pensent qu’en tablant sur des économies d’échelle et des suppressions de doublons qui pourraient représenter de 5 % à 10 %, on arrive à un gain annuel de 12 à 25 milliards d’euros à moyen terme » [2].

3De l’autre, le géographe Gérard-François Dumont, dans ses auditions au Parlement, soutenait un point de vue opposé : « Les fusions seront-elles sources d’économies ? Dans un premier temps, elles s’accompagneront de coûts directs inévitables dus aux déménagements, à l’aménagement des locaux, à la mise en place d’outils informatiques communs… Surtout, elles auront des effets négatifs externes : le temps passé à discuter des modalités des fusions, du choix de la capitale, de l’emplacement des services sera autant de temps perdu pour définir des stratégies de développement, les politiques d’emploi ou renforcer les indispensables coopérations entre régions ! Les fusions entraîneront aussi des coûts directs permanents : le mieux-disant l’emportera toujours, avec des coûts plus élevés en matière sociale, pour l’entretien des lycées, la création d’antennes supplémentaires dans les territoires, etc. L’expérience montre que les coûts croissent avec la taille » [3]. « Cette réforme pourrait également s’avérer coûteuse une fois mise en œuvre : en vertu de la loi de Parkinson, les coûts de structure croissent avec la taille puisque des services de coordination et des administrations relais sont nécessaires » [4].

4Depuis la fusion des régions mises en œuvre au 1er janvier 2016, laquelle de ces deux thèses a-t-elle été validée ? Incontestablement, la seconde car à ce jour les économies annoncées sont comme l’Arlésienne. Cela tient à différentes raisons dont celles précisées ci-dessous.

Les multiples causes de l’absence d’économies

5D’abord, dans chaque nouvelle région, les dépenses de personnel ont été alignées sur le régime le plus favorable des régions fusionnées, sachant, il est vrai, que la structure des dépenses du personnel est « sur la durée, un facteur puissant de rigidité » [5].

6Selon le rapport de la Cour des comptes sur les finances publiques locales [6], « en 2021, les dépenses annuelles supplémentaires en matière de régime indemnitaire du personnel des régions fusionnées représenteront entre 49,35 M€ et 53,35 M€ par rapport à la situation de 2016 » et « constituent une des principales composantes des coûts pérennes de la fusion des régions » (p. 106). La Cour des comptes calcule que la croissance constatée des dépenses indemnitaires entre 2017 et 2018 des sept régions fusionnées est plus importante (11,9 % pour s’établir à 37,25 M€) que celle des régions non fusionnées (6,1 % pour s’établir à 12,65 M€) (p. 147).

7Il ne s’agit pas ici de contester l’alignement sur le régime le plus favorable, mais de faire un constat largement prévisible au départ, même si les augmentations ont été fort différentes selon les régions fusionnées en raison des écarts de régime indemnitaire du personnel des anciennes régions (figure 1).

Fig. 1

Les régions avant et après les fusions avec les commentaires de la communication gouvernementale de 2014

Fig. 1

Les régions avant et après les fusions avec les commentaires de la communication gouvernementale de 2014

Fig. 2

Dépenses annuelles supplémentaires du régime indemnitaire du personnel des sept régions françaises issues de la fusion mise en œuvre au 1er janvier 2016 (en millions d’euros)

Fig. 2

Dépenses annuelles supplémentaires du régime indemnitaire du personnel des sept régions françaises issues de la fusion mise en œuvre au 1er janvier 2016 (en millions d’euros)

Source des chiffres : Rapports des chambres régionales des comptes, Cour des comptes, 2019.

8En deuxième lieu, les sept régions françaises issues des fusions étant évidemment plus peuplées, elles ont changé de strate démographique. Les indemnités des élus s’en sont trouvées automatiquement augmentées. Selon la Cour des comptes, entre 2015 et 2018, l’augmentation des plafonds indemnitaires induite par les changements de strates démographiques a conduit à une hausse globale des indemnités des conseillers régionaux de l’ordre de 8 % en moyenne sur l’ensemble des régions fusionnées, contre 0,6 % pour les régions non fusionnées. Il en a résulté un surcoût pérenne annuel de 3,8 M€ pour les sept régions concernées.

9En outre, les indemnités des membres des Conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux (Ceser [7]) ont augmenté en moyenne de 4,2 % dans les régions fusionnées entre 2015 et 2018, contre 1,1 % dans les autres, soit un surcoût annuel de 1,3 M€.

10En troisième lieu, les sept régions fusionnées ont dû aligner par le haut leurs différents niveaux d’intervention. Dans plusieurs cas, elles les ont alignés sur le plus haut niveau de prestation servi par les anciennes régions, ce qui relève d’un choix politique mais qui ne contribue pas aux économies promises. Ainsi, selon la Cour des comptes (2019, p. 103), en Normandie, la définition par la région de sa politique envers la jeunesse (aides relatives aux études, aux loisirs, à la vie quotidienne) a été l’occasion d’élargir le périmètre des anciennes mesures et d’appliquer à l’ensemble du territoire de la nouvelle région les aides offertes respectivement par chacune des deux anciennes régions Haute-Normandie et Basse-Normandie. Le dispositif, qui bénéficiait à 145 000 jeunes en 2015, profitait à 170 000 jeunes en 2017 et a vu son coût pour les finances régionales augmenter de 4,9 M€ entre 2016 et 2017.

11Un quatrième élément de dépenses accrues tient à une harmonisation coûteuse des systèmes d’information. Concernant les fonctions dites « ressources », comme l’informatique, les chambres régionales des comptes ont également constaté des coûts induits parfois importants, qu’il est certes plus difficile d’éviter.

12Quant à la simplicité promise, elle pouvait difficilement s’effectuer. Déjà, comme l’avait précisé Gérard-François Dumont en 2014, « Pour que les fusions réussissent, il faut des synergies entre les anciennes capitales régionales. Or, en train, il faut 2 heures 8 minutes de Toulouse à Montpellier, 2 heures 25 de Clermont-Ferrand à Lyon. Notre pays manque des infrastructures ferroviaires pour développer les synergies et les réseaux » [8].

La proximité handicapée par la distance

13L’argument de la simplicité se heurte effectivement à celui de la distance physique au chef-lieu de la région des localités les plus éloignées, environ 3 heures de trajet par la route, soit 6 heures aller-retour pour cinq régions sur sept. Par exemple d’Aurillac, chef-lieu du département du Cantal, à Lyon, capitale de la région fusionnée Auvergne-Rhône-Alpes, il faut compter au minimum 3 heures 45 par la route et 7 h 39 en train pour une distance de 314 km, ce qui signifie que le temps de transport pour un aller-retour est de 7 h 30 par la route et de plus de 15 heures par la voix ferroviaire (tableau 1).

Tab. 1

Distances de différentes villes de régions françaises fusionnées à leur capitale régionale

Nouvelle région issue d’une fusion de plusieurs anciennes régionsVilleCapitale régionaleDistance routièreDurée du trajet en trainDurée du trajet en voiture (non compris les embouteillages ou bouchons notamment à proximité de la capitale régionale)
Auvergne- Rhône-AlpesAurillacLyon314 km7 h 39 (en moyenne)3 h 45
Bourgogne- Franche-ComtéBelfortDijon184 km2 h 171 h 47
Grand EstChâlons-en-ChampagneStrasbourg314 km3 h 132 h 55
Hauts-de-FranceChâteau-ThierryLille252 km4 h 17Avec péage : 2 h 18
211 kmSans péage : 3 h 15
Nouvelle-AquitaineThouarsBordeaux269 km4 h 553 h 27
NormandieCherbourgRouen253 km3 h 202 h 41
OccitanieAlèsToulouse329 km5 h 493 h 27

Distances de différentes villes de régions françaises fusionnées à leur capitale régionale

Source : calculs de l’auteur, d’après Mappy et SNCF.

14Ainsi, qui dit région plus vaste dit aussi de plus longs déplacements pour les élus, pour les fonctionnaires des conseils régionaux comme pour tous ceux (responsables d’entreprises, responsables de formation, militants syndicaux, militants associatifs…) qui ont besoin de se rendre dans la capitale régionale : il en résulte une augmentation du nombre (plus de kilomètres effectués), des temps et des coûts de déplacement, sans compter la fatigue liée à ces plus longs déplacements.

15Avec André Torre [9], « On peut s’interroger sur un possible effet négatif des reconfigurations sur l’équité territoriale, avec un renforcement de la concentration des activités dans les zones les plus productives mais aussi une diminution de la qualité, voire un manque, des services de proximité dans une optique de réduction des coûts. Et s’inquiéter pour les habitants des territoires éloignés des grandes villes, dans un contexte de diminution des ressources publiques, de rationalisation des équipements et de suppression de services de proximité (lycées, hôpitaux, postes…) ou de lignes ferroviaires. Certaines nouvelles régions sont très grandes et leur étendue risque de provoquer un éloignement d’une partie des populations des centres de décision. De nombreux élus ou responsables locaux se trouvent éloignés de leur capitale régionale, avec une difficulté à se faire entendre et à porter la parole et les intérêts des populations ».

16L’absence de résultats, en termes d’économies et de simplicité, ne peut guère être imputée à la gouvernance des régions d’autant que les anciennes régions n’ont nullement sollicité leur fusion. Par exemple, le président de la Nouvelle-Aquitaine s’est retrouvé président d’une région résultant d’une triple fusion (Aquitaine, Limousin et Poitou-Charentes) sans jamais l’avoir souhaité. Dénommée la Nouvelle-Aquitaine, cette région est la plus vaste [10] de France avec 84 059 km2. Elle est aussi vaste que l’Autriche, plus vaste que la République tchèque, l’Irlande, la Lettonie ou la Lituanie, au moins deux fois plus vaste que les Pays-Bas, la Suisse ou la Belgique. Les surcoûts sont la conséquence directe de la décision de fusion imposée par l’État.

Les coûts de coordination aggravés pour l’État

17En outre, il faudrait compter dans le coût de la fusion des régions celui concernant les services de l’État. En effet, selon la Cour des comptes (2019, page 97), « les difficultés auxquelles ont été confrontées les régions fusionnées sont analogues à celles rencontrées par l’État dans la réorganisation de ses services déconcentrés consécutive à la mise en place des nouvelles régions ». D’ailleurs, dans son rapport sur les services déconcentrés de l’État, la Cour des comptes notait que, d’une manière générale, « les implantations multisites entraînent des difficultés d’ordre managérial qui ne sont pas négligeables et que les surcoûts générés par l’éclatement entre sites ne sont ni mesurés, ni suivis » [11].

18En effet, dans un souci d’équilibre des territoires et de compensation partielle aux anciens chefs-lieux privés de leur fonction de capitale régionale (Limoges, Metz…), environ le tiers des sièges des directions régionales a été implanté hors des capitales des nouvelles régions.

Des avantages illusoires car… improvisés

19En termes d’identité, une seule fusion faisait sens, celle de la Normandie. Toutefois, en termes d’économies et de simplicité, la fusion des régions n’a rien apporté. En réalité, cette réforme est le résultat d’une grande improvisation. Ce n’est pas nous qui utilisons ce terme, mais l’ancien secrétaire d’État André Vallini qui a mis en œuvre cette réforme en 2014-2015. En effet, trois ans après la création des « super-régions », dans l’émission Envoyé spécial [12] de la télévision France 2, André Vallini, redevenu sénateur de l’Isère, fait cette confidence [13] à peine croyable : le chiffre des 10 milliards d’euros qu’il avait cité aurait été improvisé…

Un exemple d’un coût supplémentaire dû à la fusion des régions : le coût des séances plénières du conseil régional de la nouvelle région Occitanie

Avant 2016, la région Languedoc-Roussillon comptait 67 conseillers régionaux. Depuis la fusion avec la région Midi-Pyrénées, la nouvelle région, dénommée Occitanie, compte 158 conseillers régionaux. Les réunir en session plénière [1] dans l’hémicycle de l’ancien hôtel de région de Montpellier n’est pas possible car cet hémicycle est trop petit pour accueillir un tel nombre d’élus. Il a fallu trouver un autre lieu de réunion, mais cela engendre des frais supplémentaires.
En effet, les sessions plénières ont lieu au Parc des expositions en périphérie de Montpellier, dans une salle qu’il faut aménager pour chaque session plénière, ce qui suppose une logistique pour installer le nécessaire, puis le démonter. Par exemple, l’assemblée plénière du mois de juin 2017 a ainsi coûté 137 170 euros, sans compter les frais de restauration.

Date de mise en ligne : 18/05/2021

https://doi.org/10.3917/popav.753.0014

Notes

  • [1]
    Loi du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.
  • [2]
    Le Figaro, 9 mai 2014.
  • [3]
    Audition de Gérard-François Dumont au Sénat, dans : Delebarre, Michel, « Rapport fait au nom de la Commission spéciale sur le projet de loi relatif à la délimitation des régions », Sénat, n° 658, 26 juin 2014, p. 154-156.
  • [4]
    Audition de Gérard-François Dumont à l’Assemblée nationale le 4 juin 2014, dans : Boudié, Florent, « Avis fait au nom de la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire sur le projet de loi, adopté par le Sénat, après engagement de la procédure accélérée, relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral », Assemblée nationale, n° 2 106, 8 juillet 2014, p. 11-13 et 25-29.
  • [5]
    Levoyer, Loïc, « Les régions françaises après fusion : quelle autonomie financière », in Chauchefoin, Pascal (dir.), Nouvelles régions et métropoles. La grande transformation ?, Rennes, PUR, 2020.
  • [6]
    Cour des comptes, Rapport sur la situation financière et la gestion des collectivités territoriales et de leurs établissements publics, fascicule 2 - septembre 2019.
  • [7]
    Chaque Ceser remplit une mission de consultation auprès des instances politiques de sa région. Il ne prend aucune décision mais émet des avis.
  • [8]
    Audition de Gérard-François Dumont, dans : Delebarre, Michel, op. cit.
  • [9]
    Torre, André, Commentaire « La difficile équation des réformes territoriales : du Big is beautiful à l’impossible simplification du mille-feuille institutionnel », Economie et statistique, n° 497-498, 2017.
  • [10]
    Dumont, Gérard-François, « Les régions en France. Géants géographiques, mais nains politiques ? », Les analyses de Population & Avenir, n° 8, décembre 2019.
  • [11]
    Cour des comptes, Rapport public thématique, Les services déconcentrés de l’État. La Documentation française, décembre 2017, 269 p., www.ccomptes.fr
  • [12]
  • [13]

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