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Article de revue

Évaluer la qualité de l'enseignement supérieur de premier cycle : une analyse de la politique chinoise

Pages 97 à 117

Introduction

1Cela fait désormais dix ans que le terme « qualité » est sur toutes les lèvres dans le débat public consacré, en Chine, à l’enseignement supérieur. S’inspirant des réglementations antérieures dédiées aux pratiques d’évaluation informelles, le ministère chinois de l’Éducation (MdE) a lancé en 2002 le Projet d’évaluation de la qualité de l’enseignement supérieur de premier cycle, chargeant simultanément un nouvel organisme, le Centre d’évaluation de l’enseignement supérieur (HEEC), d’évaluer les résultats de cette campagne. Le projet prévoyait d’évaluer tour à tour l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur (EES) sur une période de cinq ans. Fin2007,518 universités et facultés avaient ainsi été évaluées (HEEC, 2008). Cette campagne d’évaluation de la qualité de l’enseignement supérieur de premier cycle s’intéresse davantage à la qualité de l’enseignement dispensé qu’à celle des travaux de recherche ou de la gestion; en outre, l’accent est mis sur les établissements dans leur ensemble, plutôt que sur les facultés, les matières ou même les performances individuelles.

2Alors que le premier cycle d’évaluation n’est pas totalement achevé, cette campagne d’évaluation de la qualité a déjà suscité de nombreuses critiques. Nombre d’universitaires et d’administrateurs du secteur de l’enseignement supérieur pointent du doigt le manque d’efficacité du mécanisme d’évaluation employé. Les représentants du Congrès national du peuple (organe suprême de la puissance étatique et unique chambre législative de la République populaire de Chine) ont eux aussi proposé, à diverses reprises, de réformer le système d’évaluation de la qualité. Dans ce contexte, le gouvernement chinois n’a, semble-t-il, pas d’autre choix que de trouver une solution réaliste et efficace en vue d’améliorer sans tarder cette campagne d’évaluation (MdE, 2006).

3Les auteurs de ce rapport font appel à certains principes traditionnels de l’évaluation de la qualité dans l’enseignement supérieur afin d’analyser les principales difficultés auxquelles se heurte la politique d’évaluation chinoise, et de formuler des suggestions axées sur son amélioration. En faisant le bilan du cycle d’évaluation, nous examinerons le contexte et les objectifs du lancement de cette campagne, les approches retenues pour sa mise en œuvre, et enfin les conséquences et difficultés liées à cette politique. Cela nous permettra ensuite de déterminer si la politique d’évaluation de la qualité a atteint ses objectifs, et d’analyser les principaux facteurs à l’origine de ses succès et de ses échecs. Enfin, nous proposerons un certain nombre de moyens d’améliorer cette politique.

4Le principal axe d’étude retenu ici est l’évaluation politique. Il s’agit de faire « l’effort de comprendre les effets du comportement humain, et notamment d’évaluer les effets de certains programmes sur les aspects du comportement désignés comme étant les objectifs de cette intervention » (Lester et Stewart, 2000, p. 126). Nous optons pour une forme particulière d’évaluation politique, à savoir l’évaluation des impacts, qui porte essentiellement sur les résultats finaux de certains programmes, et a pour objet de déterminer si les objectifs politiques ont été atteints en termes de performances (Lester et Stewart, 2000). Dans ce rapport, nous nous efforcerons de déterminer si la politique chinoise d’évaluation de la qualité a produit les résultats escomptés en étudiant ses objectifs, puis ses conséquences. Nous illustrerons les objectifs de cette politique en analysant les documents d’orientation associés; puis nous étudierons les conséquences de la campagne d’évaluation en nous appuyant sur deux études récentes des retombées de la campagne d’évaluation, l’une émanant de l’institution chargée de mettre en œuvre la politique (le HEEC), et l’autre menée par un groupe de recherche de l’Université normale de Pékin.

Contexte du lancement de la campagne d’évaluation portant sur l’enseignement supérieur de premier cycle

Principales caractéristiques du système d’enseignement supérieur chinois

5Le système d’enseignement supérieur chinois est dominé par les universités publiques qui dispensent un enseignement de premier cycle. Depuis quelques années, les universités privées se multiplient. Celles-ci n’ont toutefois pas connu l’essor escompté, à la fois en raison de réglementations nationales contraignantes et de l’image peu reluisante du système éducatif privé, liée à la qualité médiocre de l’enseignement dispensé et au montant élevé des droits d’inscription. La majeure partie des universités publiques s’efforce d’imiter les meilleures universités chinoises, telles que l’Université de Tsinghua et l’Université de Pékin, pour devenir des établissements polyvalents à forte intensité de recherche (Mohrman, 2003). En règle générale, l’accent est mis davantage sur les retombées de la recherche de haut niveau et sur le nombre de professeurs à la solide réputation, que sur la qualité de l’enseignement dispensé ou d’autres formes de service à la société. Par conséquent, considéré sous l’angle du prestige, le système d’enseignement supérieur chinois s’apparente à une pyramide. Cependant, tous les EES semblent avoir les mêmes objectifs, les mêmes missions et les mêmes modes d’organisation.

6Neave et Van Vught (1994) identifient deux types de modèles de gouvernance étatique permettant de mieux comprendre la relation entre l’État et les EES. Dans le modèle du contrôle étatique, l’État, doté d’un pouvoir écrasant, assure la réglementation du système; dans le modèle de la supervision étatique, en revanche, l’État joue le rôle d’un superviseur, et pilote le système à distance en ayant recours à des moyens de réglementation plus souples. En Chine, jusqu’aux années 80, la structure et le fonctionnement du système d’enseignement supérieur s’inscrivaient dans un modèle de contrôle étatique. Durant la période soviétique, le gouvernement décidait de la majeure partie des programmes et des procédures mis en place dans les universités : les EES ne disposaient alors d’aucune autonomie. Influencé par la montée en puissance de l’économie de marché au début des années 80, le Comité central du Parti communiste chinois (CCPCC) a compris qu’une centralisation à l’extrême et que des règles trop strictes risquaient de nuire aux initiatives et à l’enthousiasme des établissements scolaires locaux. Le CCPCC a donc commencé à transférer le pouvoir décisionnel du gouvernement central à chacun des EES, réforme voulue par le document de 1985 intitulé Décision relative à la réforme du système éducatif (CCPCC, 1985). Une série de mesures adoptées dans les années 90 a engagé une réforme structurelle de grande ampleur, touchant l’ensemble du système d’enseignement supérieur chinois. Les EES chinois se sont alors vu décerner davantage d’autonomie, le modèle de gouvernance évoluant désormais d’un contrôle étatique strict à un certain degré de supervision étatique (Mok, 2002). Cependant, si l’on considère le triangle de Clark (Clark, 1983), la coordination de l’enseignement supérieur relève encore, en premier lieu, de l’autorité étatique, qui devance en cela l’oligarchie académique et le marché.

Émergence des pratiques d’évaluation de la qualité dans l’enseignement supérieur chinois

7Comme dans beaucoup d’autres pays, on distingue, en Chine, cinq grands facteurs contextuels expliquant l’émergence d’un système d’évaluation de la qualité de l’enseignement supérieur : le « fossé de la qualité » lié à l’évolution contraire des systèmes d’enseignement supérieur et des coûts unitaires (Barnett, 1992); la communication et la coopération internationales; l’évolution de la relation entre l’État et les EES; l’exigence d’information et de transparence vis-à-vis de la société; enfin la pression exercée par les classements d’universités.

8Tout d’abord, la hausse des effectifs, la baisse des ressources éducatives unitaires et la réforme du système d’évaluation du corps enseignant ont contribué à l’émergence de ce que Barnett appelle le « fossé de la qualité » (Barnett, 1992). La politique d’augmentation des inscriptions universitaires initiée en Chine en 1998 s’est traduite par une hausse de 300 % du nombre total d’admissions en premier cycle entre 1998 et 2004. Ainsi, en dépit de l’augmentation considérable des fonds alloués à l’enseignement supérieur, ceux-ci ont augmenté moins vite que le taux de participation, avec pour conséquence une baisse constante du coût unitaire par élève de l’enseignement supérieur, mais aussi par une hausse constante du nombre d’élèves par professeur (MdE, 1998-2005). De plus, les nouveaux systèmes d’évaluation du corps enseignant récemment mis en place au sein des universités chinoises sont bâtis sur la devise internationale publish or perish (« publier pour exister »); en d’autres termes, le nombre de rapports publiés chaque année est le principal indicateur utilisé pour évaluer le travail des universitaires. Face à la nécessité accrue d’intensifier les travaux de recherche, les professeurs ont donc préféré cantonner leurs activités aux laboratoires ou superviser les étudiants-chercheurs plutôt que de dispenser des cours aux élèves de premier cycle (Zhang, 2002). Combinés, ces facteurs ont contribué à creuser ce « fossé de la qualité », de plus en plus difficile à refermer. Les pratiques d’évaluation de la qualité ont donc vu le jour en réponse à la nécessité de surmonter ces difficultés, ou du moins de réduire l’ampleur de ce fossé.

9Par ailleurs, dans le cadre de l’internationalisation de l’enseignement supérieur, les flux internationaux d’étudiants et d’universitaires atteignent à l’heure actuelle un niveau sans précédent dans l’histoire de la Chine; les programmes de coopération avec les établissements étrangers et autres formes de communication internationale ont également enregistré un essor rapide (MdE, 2004). Il est donc nécessaire d’accroître la transparence et la comparabilité relatives à la qualité des EES, afin de promouvoir la communication et la coopération internationales. Les systèmes d’évaluation de la qualité sont considérés comme un moyen d’accroître cette transparence et cette comparabilité (Huisman et Van der Wende, 2004).

10De plus, comme nous l’avons indiqué plus haut, la relation entre le gouvernement chinois et les établissements d’enseignement supérieur passe progressivement du modèle du contrôle étatique strict à une certaine forme de supervision étatique. Axé autrefois sur le contrôle de l’enseignement, le rôle du gouvernement chinois évolue désormais vers celui d’architecte du système scolaire et d’évaluateur de sa qualité. Les pratiques d’évaluation de la qualité, qui offrent la possibilité d’un suivi à distance, ont donc vu le jour parallèlement à l’autonomie nouvelle des EES (Neave et Van Vught, 1994).

11En outre, l’exigence accrue d’information et de transparence vis-à-vis de la société a elle aussi contribué à l’émergence des pratiques d’évaluation de la qualité en Chine. Depuis le milieu des années 1990, le pays a en effet non seulement mis en place une politique de partage des coûts consistant à faire payer des droits d’inscription aux élèves, et réformé le marché de l’emploi pour les jeunes diplômés (passé d’un système d’attribution des postes étroitement contrôlé par l’État à l’obligation nouvelle, pour les jeunes diplômés, de trouver un emploi par leurs propres moyens). Dans cette optique, étudiants et employeurs potentiels doivent être mieux informés de la qualité de l’enseignement dispensé par chaque EES. L’évaluation de la qualité apparaît ici comme un moyen de fournir ces informations. En outre, avec la hausse du nombre d’inscrits, le pourcentage que représente les dépenses d’enseignement supérieur par rapport aux dépenses éducatives totales est passé d’environ 18 % à environ 28% (Pan, 2006). Le déséquilibre observé entre les fonds mobilisés en faveur de l’enseignement primaire et secondaire d’une part, et l’enseignement supérieur d’autre part, a suscité de nombreuses critiques de la part des établissements primaires et secondaires (Liu, 2004). Dans ce contexte, l’évaluation de la qualité serait un instrument permettant d’obliger davantage les EES à rendre des comptes concernant leur usage des fonds publics, dont une partie est, pour l’heure, considérée comme « extorquée » à l’enseignement primaire et secondaire. De plus, ces dernières années, les médias chinois ont à plusieurs reprises donné une image négative des EES et de leurs élèves. Ces déclarations ont été critiquées, et assimilées à une « image distordue des étudiants universitaires » (Liu, 2006). Toutefois, ces comptes rendus peu élogieux n’ont pas manqué d’éroder la confiance générale en la qualité de l’enseignement supérieur. Un système d’évaluation peut donc être considéré comme une alternative à la confiance, en garantissant à la société que son système d’enseignement supérieur présente la qualité requise (Trow, 1996).

12La création d’un système officiel d’évaluation de la qualité répondrait par ailleurs à un autre impératif, à savoir faire face aux exigences nouvelles de concurrence induites par la publication des classements d’universités, largement diffusés par les médias. Les critères d’évaluation « non scientifiques » et les méthodes employés pour ces classements suscitent de vives critiques de la part des EES et des chercheurs (Wang, 2003). Il semblerait que les représentants du ministère chinois de l’Éducation aient compris qu’il était « nécessaire d’agir » en réponse aux plaintes répétées des EES. Le ministère publie donc chaque année, par le biais des médias de grande diffusion, les résultats de l’évaluation officielle de la qualité de l’enseignement supérieur de premier cycle.

Objectifs de la campagne d’évaluation portant sur l’enseignement supérieur de premier cycle

13En règle générale, les objectifs politiques varient selon qu’ils sont plus ou moins explicites/clairs ou, au contraire, implicites/ambigus (Gornitzka, 1999). Les objectifs de la campagne d’évaluation de la qualité de l’enseignement supérieur de premier cycle lancée en Chine peuvent donc, eux aussi, être analysés sous l’angle de cette opposition explicite/implicite.

14D’un côté, si l’on considère le contexte du lancement de cette politique, les principales fonctions assignées au dispositif d’évaluation mis en place en Chine peuvent être récapitulées de la façon suivante : amélioration en vue de réduire le fossé de la qualité; information afin de promouvoir la transparence et la comparabilité des EES; conformité en vue de garantir que les pratiques des EES tiennent compte des exigences du gouvernement; enfin obligation redditionnelle (transparence) concernant l’usage des fonds publics et les performances réalisées.

15D’un autre côté, comme le veut le Projet d’évaluation de la qualité de l’enseignement supérieur de premier cycle, la création du système d’évaluation est censée répondre aux besoins suivants :

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« Conformément à la législation de la République populaire de Chine relative à l’enseignement supérieur, la politique d’évaluation de la qualité est mise en œuvre en vue de promouvoir les réformes et l’amélioration du système scolaire, et d’optimiser la gestion des établissements. L’évaluation de la qualité et l’amélioration de l’enseignement dispensé doivent aller de pair, l’objectif numéro un étant d’améliorer le système. En outre, l’évaluation de la qualité est un instrument permettant d’intensifier la macrogestion et le pilotage émanant de l’État, tout en incitant tous les services administratifs du système à contribuer à l’amélioration de l’enseignement dispensé dans les établissements d’enseignement supérieur. Parallèlement, le système d’évaluation permet de s’assurer que les universités se conforment effectivement aux orientations décidées par l’État, améliorent les conditions d’enseignement, modernisent les infrastructures éducatives, renforcent la gestion de l’enseignement, réforment certaines méthodes pédagogiques traditionnelles et améliorent la qualité de l’enseignement. » (MdE, 2002, p. 10)

17Ainsi, l’amélioration et la conformité, en d’autres termes l’optimisation de la qualité de l’enseignement et l’intensification du rôle de gouvernance et de direction joué par l’État, sont les deux principaux objectifs explicites de la politique d’évaluation de la qualité, celle-ci visant également, implicitement, à satisfaire aux exigences d’information et de transparence.

Approches retenues pour la mise en œuvre de la campagne d’évaluation

18La mise en œuvre du Projet d’évaluation de la qualité de l’enseignement supérieur de premier cycle incombe au HEEC, l’un des services du ministère chinois de l’Éducation (MdE). Les évaluateurs sont des universitaires de diverses disciplines, dotés d’une solide réputation au sein du milieu académique et/ou une expérience de la gestion. Ils sont recommandés par les universités en respectant des quotas fixés par le MdE, et sont nommés, en dernier lieu, par le MdE. Le HEEC forme les évaluateurs et met sur pied des groupes d’experts avant chaque programme d’évaluation (MdE, 2002; HEEC, 2008).

19Les procédures d’évaluation sont standardisées et s’articulent autour d’autoévaluations, de visites de sites et de mesures correctrices ultérieures. Tout d’abord, chaque établissement participant est tenu de rédiger un rapport d’autoévaluation à l’aide d’un format standard mis à disposition par le HEEC, avant la visite sur site des évaluateurs externes. Les rapports d’autoévaluation des établissements concernés sont remis au comité d’experts, qui compte de 7 à 13 membres. Ce comité d’experts s’appuie sur le rapport d’autoévaluation pour définir un calendrier d’évaluation spécifique à chaque établissement, la visite couvrant une période d’une semaine environ. Parmi les méthodes d’évaluation employées figurent notamment une visite du campus, une inspection réalisée durant les cours, et une série d’entretiens; les critères d’évaluation, définis par le MdE, s’articulent autour de huit grands indicateurs, eux-mêmes subdivisés en 19 sous-indicateurs. Le contenu du rapport d’autoévaluation, ainsi que les informations collectées lors de la visite sur site, permettent au groupe d’experts de rédiger un rapport d’évaluation. Ce rapport consiste le plus souvent en une série de recommandations formulées à l’attention de l’établissement évalué, assortie d’une appréciation concernant la qualité globale de l’enseignement dispensé, et basée sur un barème précis : excellent, bon, compétent ou incompétent. Après la visite sur site et la remise du rapport d’évaluation, le groupe d’experts présente les résultats de l’évaluation au MdE. Les EES sont ensuite tenus de mettre en œuvre telle ou telle réforme, selon les recommandations formulées par les évaluateurs externes (MdE, 2002; HEEC, 2008).

20Entre 2003 et 2006,304 EES ont ainsi été évalués. Le nombre d’établissements excellents, bons, compétents et incompétents était de 193,90, 21et 0, respectivement (HEEC, 2008). Cela signifie que 93 % des EES évalués étaient excellents ou bons, aucun n’étant considéré comme incompétent. Bien qu’en Chine, les décisions financières de l’État ne soient pas portées à la connaissance du public, le ministre de l’Éducation, Zhou Ji, a déclaré que les décisions de financement devaient dépendre directement des résultats de l’évaluation. On sait que ces résultats ont non seulement un impact sur le montant des fonds publics alloués aux universités, mais ont également, pour les universités, des implications relatives aux quotas d’inscriptions (volet planifié de façon centralisée par le gouvernement) et à l’autorisation des programmes de maîtrise ou de doctorat, cruciaux pour la réputation et le développement des universités (Zhou, 2004).

Principales conséquences de la mise en œuvre de la campagne d’évaluation

21La présente section repose sur deux études consacrées aux impacts de la politique d’évaluation de la qualité de l’enseignement supérieur de premier cycle (Li, 2006; Zhang et Zhu, 2007). Ces deux études s’intéressent principalement aux conséquences institutionnelles de cette évaluation et aux principaux problèmes posés.

22Ces études s’intéressent en priorité aux impacts de la politique sur la gestion de l’enseignement et la planification du développement des universités, aux intrants mobilisés (ressources financières, professeurs et infrastructures) et aux performances enregistrées dans l’enseignement supérieur de premier cycle (amélioration du niveau des étudiants et de la qualité des universités). Si l’on en croit les données collectées dans le cadre de ces études, la politique d’évaluation de la qualité a nettement amélioré la gestion de l’enseignement et la planification du développement des universités; en revanche, les retombées de l’enseignement (acquis des élèves, notamment) n’ont quasiment pas évolué depuis le lancement de la politique d’évaluation (Li, 2006; Zhang et Zhu, 2007). Par ailleurs, grâce à la publication des résultats de l’évaluation, les étudiants sont en mesure de faire des choix plus éclairés concernant l’établissement dans lequel ils souhaitent s’inscrire, plutôt que de succomber uniquement à l’attrait de la réputation historique des EES (car celle-ci ne reflète souvent plus la réalité). De même, les employeurs peuvent utiliser les résultats de l’évaluation pour étayer leur décision d’embaucher tel ou tel diplômé plutôt qu’un autre. Le pouvoir central et les autorités locales disposent ainsi d’informations plus fiables au moment de décider d’augmenter ou de réduire le montant des fonds publics versés aux universités (Whitman, 2004).

23Cependant, la politique d’évaluation a également eu des conséquences imprévues (Li, 2006; Zhang et Zhu, 2007). Tout d’abord, l’évaluation de la qualité n’est pas rentable. Deuxièmement, les autorités ont négligé le droit des universités à prendre part à l’élaboration de la politique d’évaluation. L’évaluation externe obligatoire, difficilement compatible avec les activités de routine des établissements, est désormais un fardeau bureaucratique pour les universitaires. En outre, l’indexation du financement sur les performances a donné naissance à une « culture de la conformité ». L’utilisation de documents falsifiés, notamment, s’est généralisée dans les universités évaluées, ce qui nuit non seulement à la respectabilité de l’évaluation, mais donne également un mauvais exemple aux étudiants. Enfin, et c’est là un point crucial, le recours à des indicateurs de performance uniformes a entraîné une homogénéisation des EES (Li, 2006; Zhang et Zhu, 2007).

Bilan de la politique d’évaluation de la qualité

Objectif(s) et conséquence(s) de la politique d’évaluation

24Nous allons à présent nous efforcer de déterminer si la politique d’évaluation de la qualité a atteint ses objectifs, tant explicites qu’implicites. Un simple passage en revue des quatre objectifs qui lui ont été assignés (amélioration, information, transparence et conformité) suffit à montrer que l’objectif amélioration de la qualité n’a été atteint que dans une certaine mesure, et principalement dans le domaine de la gestion de l’enseignement et de la planification du développement des universités. Concernant l’objectif information, la politique d’évaluation de la qualité semble porter ses fruits du point de vue des organismes de financement et des étudiants/employeurs potentiels. Cependant, la falsification détectée dans le processus d’évaluation a porté atteinte à sa crédibilité en tant que source d’informations fiable concernant la qualité de l’enseignement supérieur de premier cycle. Concernant la transparence, 93 % des EES chinois ont été jugés excellents/bons, ce qui paraît peu crédible. L’évaluation suggère que le niveau d’enseignement est tout à fait satisfaisant en Chine, et que la marge d’amélioration est limitée. Or les comparaisons et les médias internationaux font apparaître une situation bien différente. Dans ce cas, le système chinois d’évaluation de la qualité servirait en réalité d’instrument permettant de masquer la baisse de la qualité intrinsèque de l’enseignement de premier cycle et de légitimer cette baisse. Puisque la transparence suppose de dire la vérité, la falsification endémique réduit les notions de transparence et de responsabilité à un pur objet de rhétorique. Enfin, concernant la conformité, il est en réalité difficile de déterminer dans quelle mesure cet objectif a été atteint dans la pratique.

Réflexions sur la politique d’évaluation de la qualité

25Les objectifs de l’évaluation et les méthodes employées définissent, dans une large mesure, les conséquences et l’efficacité des mesures mises en œuvre pour évaluer et améliorer la qualité de l’enseignement (Brennan et Shah, 2000). Dans cette section, nous examinerons tout d’abord le bien-fondé des objectifs explicitement assignés à la politique d’évaluation, à savoir l’amélioration et la conformité. Nous étudierons ensuite la mise en œuvre de la politique d’évaluation de la qualité, en nous intéressant particulièrement aux principales insuffisances observées en la matière, pour tenter de déterminer en quoi celles-ci peuvent entraver la réalisation des objectifs. Nous nous pencherons enfin sur l’organisme d’évaluation, les évaluateurs, les procédures d’évaluation, la mesure de la qualité, et les liens entre résultats d’évaluation et financement, en nous référant au « modèle général » d’évaluation de la qualité proposé par Van Vught et Westerheijden (1994), ainsi qu’à l’analyse des approches européennes d’évaluation proposée par Schwarz et Westerheijden (2004).

Objectifs de la politique d’évaluation de la qualité

26À l’instar des politiques adoptées en la matière par de nombreux autres pays, le dispositif chinois d’évaluation de la qualité est censé promouvoir l’amélioration. La hausse rapide du nombre d’inscrits dans l’enseignement supérieur s’est traduite par une diversité accrue parmi les étudiants et les professeurs, dont le niveau académique n’égale pas celui de leurs homologues des établissements d’élite. Or en principe, il est quasiment impossible de comparer les performances d’un système d’enseignement supérieur d’élite à celles de l’enseignement supérieur de masse. Notamment, si les pouvoirs publics n’augmentent pas suffisamment les moyens humains et les ressources financières, une baisse de la qualité sera inévitable. Ainsi, le « fossé de la qualité », né de l’évolution contraire du nombre d’inscrits et des ressources unitaires (Barnett, 1992), est extrêmement difficile à réduire et ne pourra, en tout état de cause, résulter uniquement des dispositifs d’évaluation ou d’assurance de la qualité.

27Cela ne signifie pas, toutefois, que le système d’évaluation tel qu’il a été mis en place en Chine n’a aucun effet en termes d’amélioration de la qualité. En Chine, la politique d’évaluation de la qualité a sensibilisé le public à l’importance de l’enseignement. Dans une certaine mesure, cette politique constitue donc un instrument puissant pour rééquilibrer les priorités : accordées jusqu’à présent de façon écrasante à la recherche universitaire du fait de la réforme du mécanisme d’évaluation des professeurs, les priorités pourraient en effet revenir à l’enseignement. La politique d’évaluation chinoise présente un autre avantage, à savoir l’optimisation des méthodes pédagogiques et la réforme de la gestion de l’enseignement. Dans une certaine mesure, le dispositif d’évaluation de la qualité peut contribuer à maximiser le rendement de ressources limitées. Il pourrait donc constituer un premier pas vers l’amélioration de la qualité. Cependant, les exigences accrues de qualité représentent par ailleurs une lourde charge de travail supplémentaire pour le personnel universitaire. Comme tous les autres travaux menés au sein des EES, les activités d’enseignement supposent de la part de ce personnel des efforts de créativité. De toute évidence, ce surcroît de travail, couplé au sentiment d’être surveillés de près, risque de démotiver les professeurs qui participent déjà à des initiatives visant à promouvoir l’innovation et la qualité. On ignore encore, pour l’heure, si cet élan initial se traduira, à long terme, par une amélioration continue de la qualité.

28À la différence de la situation observée dans les autres pays, la conformité est un objectif figurant explicitement dans les documents d’orientation qui accompagnent la politique chinoise d’évaluation de la qualité. Compte tenu de l’évolution de la relation entre l’État et les EES, l’évaluation de la qualité est utilisée comme un instrument de suivi à distance des EES. Cependant, le problème est que ce dispositif finira par éroder l’autonomie des établissements, et entraver leur développement à long terme. Un tel objectif ne peut que s’accompagner de conséquences imprévues telles que l’émergence d’une culture de la conformité ou encore des falsifications.

Mise en œuvre de la politique d’évaluation de la qualité

29Selon le « modèle général » proposé par Van Vught et Westerheijden (1994), c’est au gouvernement d’initier les processus d’évaluation, en créant un organisme national chargé de coordonner le système d’évaluation de la qualité. Comme l’expliquent les auteurs, cet organisme doit avoir un statut juridique tout en étant indépendant du gouvernement et des EES, du moins du point de vue opérationnel (Schwarz et Westerheijden, 2004). En Chine, le MdE définit les procédures et les méthodes d’évaluation de la qualité, tandis que le HEEC, l’un des services du MdE, assure la mise en œuvre des évaluations obligatoires. Faute d’une participation active des EES, leurs exigences ont été négligées. Il est donc inévitable que le processus d’évaluation devienne un véritable fardeau bureaucratique pour les EES, au lieu de leur offrir la possibilité d’apprendre et de progresser. Parallèlement, puisqu’ils ne peuvent tout simplement ignorer le système d’assurance qualité, les EES se contentent d’y faire face de façon purement formelle, ce qui se traduit par l’organisation de « répétitions » frénétiques dans les jours qui précèdent une visite sur site, la journée entière étant alors passée à « baliser » le parcours de la visite, à planifier et à chorégraphier chaque instant et chaque question/réponse, afin de donner aux évaluateurs une impression optimale (Trow, 1996). Le travail de routine des universités s’en trouve donc fortement perturbé, et le temps précieux du corps enseignant est utilisé pour préparer la visite sur site, au lieu d’être consacré à des activités créatives permettant d’améliorer effectivement la qualité de l’enseignement dispensé dans les EES.

30Dans le « modèle général », les évaluateurs externes sont choisis de façon à apporter une expertise spécifique (expérience universitaire, de la gestion, etc.), en fonction de l’objet et de l’objectif centraux de la visite (Van Vught et Westerheijden, 1994). Les évaluateurs externes sont, pour la plupart, issus de la sphère universitaire, mais la pratique courante veut que le comité d’experts comprenne également un représentant minoritaire des autres parties prenantes (Schwarz et Westerheijden, 2004). En Chine, les membres du comité d’experts sont des universitaires de diverses disciplines dotés d’une solide réputation académique et/ou d’une expérience de la gestion. En revanche, concernant la qualité pédagogique des programmes de premier cycle, les équipes d’évaluateurs ne comprennent aucun spécialiste de la pédagogie, de l’enseignement supérieur ni de l’évaluation de la qualité. On est donc en droit de s’interroger sur la fiabilité des évaluations, avec tout ce que cela implique pour l’amélioration de la qualité et la transparence vis-à-vis de la société. En outre, les évaluateurs sont tous issus du monde universitaire : nul représentant des employeurs, des anciens élèves ou des étudiants n’est invité à participer. On sait que chaque groupe d’intérêt a sa propre idée de ce qui définit la qualité, mais aussi des instruments de mesure à employer; au final, les modalités d’évaluation retenues résultent d’un compromis entre ces différents groupes d’intérêt (De Weert, 1990; Barnett, 1992; Vroeijenstijn, 1995; Tam, 2001). Puisque les autres parties prenantes n’ont pas droit de cité dans le processus d’évaluation de la qualité de l’enseignement tel qu’il a été mis en place en Chine, ce processus risque de devenir un jeu entre le gouvernement et les EES (le gouvernement ayant, évidemment, le dernier mot). Le refus de tenir compte de l’avis des étudiants, des employeurs et des autres acteurs sur l’évaluation et l’amélioration de la qualité de l’enseignement nuit à l’efficacité de la politique, censée améliorer la qualité, et remet en cause la transparence du processus vis-à-vis de ces parties prenantes.

31Suivant le « modèle général », les procédures d’évaluation doivent associer autoévaluations et examens externes par les pairs, les rapports d’autoévaluation servant alors de base aux examens externes. Un rapport d’évaluation, publié à l’issue de ceux-ci, présente les conclusions des visites sur site, et formule des recommandations à l’attention des établissements évalués (Van Vught et Westerheijden, 1994). En Chine, les procédures d’évaluation qualitative se composent de trois phases (autoévaluation, visites sur site et mesures correctrices ultérieures), combinant ainsi, conformément au « modèle général », autoévaluation et évaluation externe.

32La mesure de la qualité doit reposer à la fois sur des indicateurs de performance et sur un examen par les pairs. Les indicateurs de performance ont certes un rôle à jouer dans l’évaluation de la qualité, mais ne constituent en aucun cas une fin en soi, de même qu’ils ne sauraient se substituer à un examen par les pairs – et inversement (Vroeijenstijn, 1995). En Chine, l’évaluation de la qualité est une combinaison d’indicateurs de performance et d’examens par les pairs. Cependant, au sein du processus d’évaluation, les examens par les pairs présentent un intérêt limité, en ce qu’ils dépendent, dans une large mesure, des indicateurs contrôlés par le MdE. Les experts externes n’entretiennent, jusqu’à présent, aucun dialogue actif avec le personnel des universités évaluées, ce qui pourrait pourtant inciter ces dernières à révéler certaines de leurs faiblesses et leur permettre, par la suite, de bénéficier de conseils avisés. Ainsi, bien que les résultats de l’évaluation qualitative soient désormais plus comparables, l’objectif d’amélioration a toutefois été négligé. De plus, les critères d’évaluation employés sont les mêmes pour tous les EES évalués, ce qui contribue, dans une large mesure, à uniformiser les établissements.

33Le lien direct entre les résultats de l’évaluation et l’allocation de fonds a pour effet de renforcer la « culture de la conformité » (Van Vught et Westerheijden, 1994). Lorsque les remontées d’informations ont une influence déterminante sur le montant des ressources versées par le gouvernement, il n’est pas étonnant que les EES choisissent de mettre en évidence leurs points forts plutôt que leurs faiblesses, leurs succès plutôt que leurs échecs – voire essaient de masquer leurs faiblesses et leurs carences ce qui, au final, les empêche de progresser. Mais il y a pire : pour satisfaire aux critères de l’évaluation qualitative, les établissements évalués falsifient certains documents, tels que les copies d’examen des élèves, les thèses de second et troisième cycle ou encore les réglementations relatives à l’enseignement. La « création » de faux nécessite beaucoup de temps et d’efforts de la part du personnel enseignant (il est même arrivé que les élèves soient mis à contribution). Ces pratiques de falsification non seulement nuisent à la transparence et à la validité du système, mais sont également contraires aux normes et à l’éthique professionnelles et universitaires, ce qui risque d’éroder davantage la confiance que la société place dans son système d’enseignement supérieur (Du et al., 2006).

34Même si aucune falsification n’avait été observée au cours du processus d’évaluation qualitative, l’existence d’un lien direct entre les résultats de l’évaluation et le montant des fonds publics alloués incite naturellement les EES à se conformer aux exigences de l’évaluation. Par conséquent, les indicateurs utilisés dans le processus d’évaluation orientent le développement des universités, annihilant par là même les efforts de créativité qui sont l’essence de la qualité de l’enseignement supérieur. En outre, nul ne saurait ignorer que ce lien direct peut avoir une autre conséquence : renforcer la position des meilleures universités, au détriment de leurs homologues moins avancées (Vroeijenstijn, 1995).

Quelques suggestions pour optimiser la campagne d’évaluation

35Au vu de l’analyse proposée ci-dessus, nous allons à présent formuler quelques suggestions susceptibles d’aider les responsables politiques. Ces suggestions concernant la politique d’évaluation de la qualité renvoient essentiellement aux modèles différentiel et rationnel d’élaboration et de réforme des politiques. Toute réforme politique nécessite une base solide, et doit tenir compte de la résistance et de l’inertie inévitables des établissements et des cadres existants (Musselin, 2005). Selon le modèle différentiel, il est essentiel de souligner la continuité des évolutions politiques, plutôt que d’adopter une politique entièrement nouvelle en ignorant ses prédécessrices (Thomas, 2001). En outre, politique et qualité sont étroitement liées. Le problème est que les responsables de l’élaboration et de la mise en œuvre des dispositifs d’évaluation de la qualité doivent faire face à une exigence accrue de transparence, la nécessité d’agir prenant parfois le pas sur la réflexion et sur la durabilité des systèmes d’assurance qualité existants (Westerheijden et al., 2007). De toute évidence, comme nous l’avons expliqué plus haut, le lancement de la politique d’évaluation chinoise était censé répondre, en partie, à cette exigence de transparence. Cependant, les suggestions formulées dans ce rapport reposent sur le « modèle rationnel » d’élaboration des politiques, plutôt que sur des considérations politiques, l’objectif étant de réaliser un « gain social maximal », en l’occurrence l’amélioration de la qualité des EES chinois.

36Chaque politique est mise en œuvre dans un environnement spécifique. Les réformes proposées ici tiennent compte des particularités du système d’enseignement supérieur chinois, ainsi que de certaines spécificités culturelles chinoises. On sait bien que la vie culturelle chinoise se caractérise à la fois par la place centrale des relations humaines et par la volonté de maintenir les apparences. Compte tenu de la force remarquable des relations humaines, il faut privilégier les occasions de prendre des décisions collectives, et non individuelles, au moment de lancer les mesures d’évaluation, afin de minimiser les risques de corruption. La volonté de « maintenir les apparences » va dans le sens de l’objectif conformité assigné à l’évaluation de la qualité. Cette conformité accrue signifie que l’objet de l’évaluation peut avoir une influence déterminante sur les EES, en leur dictant leurs priorités et leurs stratégies d’investissement. Cela signifie, compte tenu du contexte culturel chinois, que l’évaluation de la qualité peut avoir une influence directe et considérable sur le développement des EES.

Mettre davantage l’accent sur l’objectif « amélioration de la qualité »

37L’efficacité des politiques dépend des intentions qui les motivent : elles sont ainsi plus susceptibles de porter leurs fruits si leurs objectifs sont ciblés et clairement définis, que si ceux-ci sont implicites/ambigus (Gornitzka, 1999). Il est préférable de retirer la conformité de la liste des objectifs explicites assignés à la politique d’évaluation chinoise. Cela permettrait au processus de mettre davantage l’accent sur l’objectif amélioration de la qualité.

Renforcer le rôle de l’agence nationale d’évaluation de la qualité

38Comme nous l’avons expliqué plus haut, l’efficacité du système d’évaluation de la qualité n’en sera que meilleure si l’organisme national d’évaluation (le HEEC) dispose d’une autonomie accrue. Il faut donc réaffirmer le rôle de l’agence nationale chinoise. Puisque la coordination de l’enseignement supérieur relève encore majoritairement du pouvoir gouvernemental, le cadre organisationnel dans lequel s’effectuent les évaluations nationales doit rester relativement proche du MdE. Nous suggérons, d’après le modèle différentiel de la réforme politique, que le MdE se charge de définir le cadre et les critères spécifiques de l’évaluation (c’est d’ailleurs le cas à l’heure actuelle), tout en laissant à un organisme national indépendant du gouvernement et des EES le soin de mettre en œuvre le processus.

Accroître la participation des établissements d’enseignement supérieur

39Il est essentiel que les EES prennent part au processus d’évaluation de la qualité. Pour remédier à la montée en puissance de la bureaucratisation et des pratiques de falsification observée en Chine, les systèmes d’assurance qualité doivent être dotés, dès le départ, d’un mécanisme d’adaptation. En d’autres termes, les dispositifs d’évaluation doivent comprendre un « moteur interne » qui les pousse vers l’avant. Il peut être utile, à cet effet, de consulter les EES et de tenir compte de leur avis et de leurs besoins au moment d’élaborer les mesures d’évaluation. À long terme, grâce à cette participation active, les EES seront peut-être plus enclins à révéler leurs faiblesses et à les soumettre aux évaluateurs externes lors des visites. Ces évaluateurs joueraient alors le rôle de « critiques bienveillants » ou de « consultants externes » chargés, par leurs conseils avisés, de faciliter les progrès, et non plus celui d’inspecteurs.

Réorganiser le comité d’experts

40Modifier la composition du comité d’experts permettrait d’optimiser l’évaluation de la qualité en Chine. Tout d’abord, si les équipes d’évaluateurs externes comprenaient des experts de la pédagogie dotés d’une expérience professionnelle dans le domaine de l’évaluation de la qualité, ainsi que des représentants des autres groupes de parties prenantes (étudiants et employeurs, notamment), la fiabilité de l’évaluation n’en serait qu’améliorée, et les suggestions en la matière seraient plus utiles pour les EES. De plus, compte tenu de la force remarquable des relations humaines dans la société chinoise et de la corruption endémique, il faut s’efforcer, à tous les niveaux, d’éviter toute participation d’experts liés à l’établissement évalué, et de multiplier les occasions de formuler des appréciations collectives, et non individuelles. Nous suggérons en outre d’inclure un expert étranger dans chaque comité d’évaluation, afin de minimiser les risques de corruption et de tirer parti de l’expérience de pays dotés de systèmes d’évaluation de la qualité plus sophistiqués.

Diversifier les critères d’évaluation

41Il est essentiel que les dispositifs d’évaluation de la qualité utilisent des critères d’évaluation diversifiés plutôt que des critères standardisés, responsables de l’homogénéisation des EES chinois. Dans le contexte du système d’enseignement supérieur chinois, décrit comme « un millier de fleurs écloses, qui n’en sont pas moins toutes de la même espèce » (Mohrman, 2003), nous suggérons que le premier cycle d’évaluation de la qualité serve à assigner un statut aux établissements, en d’autres termes à leur permettre d’identifier de nouveau leurs orientations en se consacrant en priorité à la recherche ou à l’enseignement, ou encore en combinant ces deux volets. Parallèlement, il faudrait diversifier les indicateurs d’évaluation employés pour des EES ayant chacun une spécialité propre, telle que la médecine, l’art et l’éducation physique (cette réforme a même déjà été engagée pour certains établissements spécialisés). Par la suite, lors du second cycle d’évaluation, il serait possible de concevoir des critères d’évaluation distincts pour des établissements dotés de missions et d’orientations différentes. En outre, le principe des indicateurs différenciés dans le cas d’établissements ne présentant pas les mêmes spécialités pourrait également être appliqué aux différentes disciplines proposées dans les universités polyvalentes.

Promouvoir un cadre central d’évaluation : le mécanisme interne d’assurance qualité

42Renforcer les liens entre évaluation externe et évaluation interne contribuerait largement à améliorer la politique d’évaluation de la qualité, en instaurant un système d’apport mutuel entre ces deux processus. L’un des moyens d’y parvenir serait d’axer la visite sur site des évaluateurs externes sur le mécanisme interne d’assurance qualité. L’élaboration et la mise en œuvre de contrôles qualité internes stricts et fiables feraient alors l’objet d’un suivi externe. Certains auteurs sont persuadés que dès lors qu’un système d’évaluation de la qualité est arrivé à maturité, les contrôles et les évaluations internes sont plus crédibles et contribuent davantage à améliorer la qualité que ceux effectués par des évaluateurs externes (Harvey et Newton, 2007). Pour l’heure, la Chine est encore dans la phase initiale d’évaluation de la qualité. L’accent doit être mis sur l’organisation de contrôles internes systématiques au sein des EES et de leurs unités. Puisque « l’objet central de l’évaluation de la qualité peut avoir une influence décisive sur les priorités et les stratégies d’investissement des EES », l’évaluation externe, dès lors qu’elle porte en priorité sur le contrôle des dispositifs internes d’assurance qualité, contribuera sans nul doute à doter les EES des mécanismes adéquats.

Modifier la nature du lien entre résultats de l’évaluation et allocation des ressources

43Comme nous l’avons expliqué plus haut, le fait que l’allocation des ressources dépende directement des résultats de l’évaluation a un effet négatif sur le développement des EES chinois. Vroeijenstijn (1995) considère ainsi l’indexation du financement sur les performances comme un simple palliatif à l’évaluation de la qualité. Cependant, ce lien entre qualité et financement est inévitable, la question centrale portant en réalité sur la nature de ce lien. Au vu de l’expérience de certains autres pays, nous suggérons que les résultats influencent le montant des fonds alloués, sans que cette relation soit représentée exactement par une formule mathématique (Schwarz et Westerheijden, 2004). On sait désormais que l’existence de ce lien encourage l’émergence d’une « culture de la conformité ». En termes de faisabilité, nous ne pouvons qu’essayer de réduire cette « conformité », sans toutefois parvenir à l’éradiquer.

Conclusion

44L’analyse que nous avons proposée dans ce rapport montre que la politique chinoise d’évaluation de la qualité de l’enseignement de premier cycle n’a pas totalement atteint ses objectifs, notamment en ce qui concerne l’amélioration de la qualité et la transparence. L’étude des principaux facteurs à l’origine de ce manque d’efficacité met en évidence un certain nombre de facteurs inévitables et de facteurs impondérables. D’un côté, le système d’évaluation de la qualité a ses propres limites et ne parvient pas à réaliser pleinement l’objectif d’amélioration. De l’autre côté, les carences observées du point de vue de l’élaboration de la politique (objectifs explicites et approches retenues pour sa mise en œuvre, notamment) contribuent elles aussi à entraver les objectifs du système que sont l’amélioration et la transparence. Le graphique 1 présente, de façon schématique, l’analyse des principaux facteurs à l’origine du manque d’efficacité de la politique d’évaluation de la qualité.

Graphique 1.

Principaux facteurs expliquant le manque d’efficacité de la politique d’évaluation de la qualité de l’enseignement supérieur de premier cycle

Graphique 1.
Graphique 1. Principaux facteurs expliquant le manque d’efficacité de la politique d’évaluation de la qualité de l’enseignement supérieur de premier cycle Limites inhérentes au système d’évaluation de la qualité Charge bureaucratique Objectif de conformité pour les EES Organisme chargé de l’évaluation Amélioration réelle (HEEC) : rattaché au gouvernement de la qualité : limitée Méthode d’évaluation : poids Culture de la conformité des indicateurs de performance et falsification Composition des comités d’experts Amélioration réelle de la transparence : limitée Lien entre les résultats de l’évaluation et le montant des ressources allouées Homogénéisation des EES Critères d’évaluation : standardisés

Principaux facteurs expliquant le manque d’efficacité de la politique d’évaluation de la qualité de l’enseignement supérieur de premier cycle

45Ainsi, les résultats décevants de l’évaluation de la qualité par rapport aux objectifs qui lui avaient initialement été assignés ne sauraient être attribués uniquement aux modalités d’élaboration et de mise en œuvre de la campagne d’évaluation, bien que certaines améliorations puissent être apportées en la matière, comme nous l’avons expliqué. Nous ne pouvons attendre du système d’évaluation qu’il résolve tous les problèmes de l’enseignement supérieur. De toute évidence, il faut accroître les investissements dans le secteur; simultanément, l’enseignement supérieur évoluant vers un système de masse, la notion même de qualité doit être diversifiée pour couvrir les différents types d’établissements existants. Ainsi, on ne peut décemment appliquer à l’enseignement de masse les mêmes critères de qualité que ceux employés avec l’enseignement d’élite. En outre, en dépit de leurs spécificités contextuelles évidentes, la politique chinoise d’évaluation de la qualité et ses homologues occidentales se heurtent aux mêmes problèmes. Par conséquent, l’étude de l’expérience des autres pays s’avérerait sans nul doute bénéfique pour l’avenir de la politique chinoise d’évaluation de la qualité de l’enseignement supérieur.

Remerciements

46Nous adressons nos plus vifs remerciements au Dr Paul Temple, Institut de l’éducation, Université de Londres, pour l’excellence des suggestions formulées concernant le présent rapport.

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Date de mise en ligne : 22/01/2009

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