Notes
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[1]
Cet article s’appuie sur une analyse des initiatives d’État américaines effectuée dans une publication préalable de l’auteur. Voir Douglass, 2007a.
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[2]
De nombreux éléments de cette section s’appuient sur les données et les analyses contenues dans Science and Engineering Indicators2006 (National Science Foundation, 2006, www. nsf. gov/ statistics/ seind06/ c4/ c4h. htm#c4hl7).
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[3]
Toutefois, dans ces trois pays, la part des investissements consacrée à la recherche en ingénierie est bien plus élevée qu’aux États-Unis.
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[4]
Pour une analyse de la diminution de l’avantage des États-Unis en matière d’enseignement supérieur et de diplomation, voir Douglass, 2007b.
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[5]
Selon un récent rapport de l’Union européenne, la faible intensité de la recherche et développement européenne résulterait de caractéristiques structurelles, parmi lesquelles ses encouragements fiscaux et son climat plus propice à l’entreprenariat des petites entreprises, et non à un sous-investissement effectué en R-D par certaines grandes entreprises européennes (Moncada-Paternò-Castello et al., 2006).
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[6]
Pour une analyse plus poussée des différences d’activité en hautes technologies entre les différents États, voir Douglass, 2007a.
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[7]
L’American Institute of Physics prévoit la publication dans son bulletin FYI, consacré à l’actualité des politiques scientifiques, d’une série d’articles examinant la nouvelle législation et ses probables répercussions sur la recherche scientifique américaine (www. aip. org/ fyi/ ).
1La nouvelle théorie de la croissance est omniprésente dans le vocabulaire des chefs d’entreprises et des dirigeants d’université, et, plus important encore peut-être, dans celui des ministères et des leaders politiques de presque toutes les obédiences. Selon cette théorie largement acceptée, les économies postmodernes et, de façon croissante, les économies en développement, dépendent de plus en plus de l’« accumulation de connaissances ». La promotion de l’accumulation de connaissances sur le plan local par le biais de collaborations entre universités entrepreneuriales et entreprises dont l’activité repose sur la connaissance, et avec l’appui des autorités publiques, est source d’innovation technologique, permet la création de nouveaux produits, renforce les économies locales et améliore la productivité nationale ainsi que la compétitivité du pays sur le plan mondial.
2L’acceptation grandissante de cette théorie est liée en partie au succès d’un certain nombre de régions, que j’appellerai dans cet article zones économiques fondées sur la connaissance (ZEFC). Les États-Unis, en particulier, continuent d’être considérés comme les plus énergiques créateurs de ZEFC et représentent un modèle que les entreprises comme les gouvernements, désireux de reproduire ses miracles, ne cessent d’imiter. Mais, étant donnés les efforts importants consentis par les autorités nationales et régionales pour mettre en œuvre les principes de la nouvelle théorie de la croissance et créer des ZEFC dans leurs conditions politiques et culturelles propres, l’on peut se demander quels sont les avantages et les désavantages du modèle américain. Les États-Unis conservent-t-il un avantage considérable, lié en partie à leur statut de précurseurs dans la création de ZEFC dynamiques ? Alors que la concurrence s’intensifie pour la mise en place de pôles régionaux de hautes technologies, quelles sont les stratégies d’innovations suivies aux États-Unis ?
Situation de l’avantage américain en matière de technologie [2]
3La mise en place de conditions et de circonstances propices à l’émergence de zones économiques fondées sur la connaissance compétitives non seulement au niveau régional ou national, mais international, est un défi relativement bien compris. Les universités et, d’une façon générale, le niveau d’instruction de la population sont des éléments déterminants – plus encore peut-être que tout autre facteur de politique publique ou d’investissement. D’ailleurs, les premières grandes ZEFC américaines étaient consacrées à des secteurs non militaires : citons notamment la baie de San Francisco (y compris la Silicon Valley), Boston, la zone d’Austin au Texas et un certain nombre d’autres, qui ont profité de la présence de grandes universités de recherche de haute qualité. Mais l’émergence comme le maintien des ZEFC et du secteur des hautes technologies en général mettent en œuvre des processus bien plus complexes.
4Si les États-Unis demeurent compétitifs en tant que source d’innovation dans le domaine des hautes technologies, c’est du fait de leur positionnement sur un certain nombre de marchés. Résultant bien souvent d’investissements à long terme dans des institutions comme les universités de recherche ainsi que dans la recherche et développement (R-D), ce dernier bénéficie également de l’influence d’une culture politique favorable aux entrepreneurs et à la prise de risques. De fait, les États-Unis ont été les premiers à œuvrer à l’établissement d’une connexion entre science et politique économique. Le récapitulatif suivant souligne un certain nombre de facteurs de marché ayant exercé une influence sur l’accumulation de connaissances et l’innovation dans le domaine des hautes technologies aux États-Unis par le passé et propose une brève évaluation de leur importance eu égard à la mondialisation.
Intérêt politique et soutien aux hautes technologies – le refrain de l’économie postmoderne
5Les principes de base de la nouvelle théorie de la croissance, que nous avons présentés ci-dessus, exercent une influence croissante sur l’ensemble de la population et, surtout, sur les principaux dirigeants politiques américains. Alors que les industries de production de biens de consommation traditionnelles sont sur le déclin, les hautes technologies et les services sont considérés par beaucoup comme les principales sources de compétitivité économique à court et long terme.
6Cette vision du monde est partagée bien sûr par nombre d’autres économies développées, parmi lesquelles l’Union européenne. Toutefois, à tort ou à raison, les États-Unis sont depuis longtemps convaincus que l’avenir de leur économie dépendra essentiellement de l’innovation en matière de hautes technologies et de l’action économique, avec les conséquences que cela implique sur leurs investissements en R-D. Bien entendu, les preuves empiriques du rôle essentiel de l’innovation dans les hautes technologies abondent : par exemple, l’existence de zones de haute productivité comme la Silicon Valley et la baie de San Francisco pour les technologies de l’information, San Diego pour les communications et Boston pour les biotechnologies. Mais l’on assiste également à l’apparition d’un discours politique influencé par ces succès, désireux de reproduire leur formule apparemment universelle et mû par cet enthousiasme, cet optimisme et cette logique de concurrence politique qui bien souvent nourrissent la définition des politiques publiques.
7Le principal changement survenu aux États-Unis s’est reflété dans les tendances observées dans d’autres endroits du monde : il s’agit d’une dynamique au niveau des politiques et des investissements publics destinée à promouvoir l’innovation en matière de haute technologie, à encourager la collaboration entre les universités et les entreprises, et cela jusqu’au niveau des régions (ou des États) et des municipalités, les gouvernements d’État se montrant de plus en plus actifs; toutefois, la définition de politiques publiques aux États-Unis présente certaines singularités. D’une part, par le passé, c’est toujours le gouvernement fédéral (national) qui a financé la recherche et développement. Par exemple, les initiatives menées il y a une vingtaine d’années par les États et les collectivités locales en vue de mettre en place une collaboration entre universités et entreprises avaient généralement pour objectif d’attirer des fonds issus du gouvernement fédéral. Cette motivation demeure présente, les États ont de plus en plus tendance à investir leur argent dans la recherche fondamentale dans des domaines tels que celui des cellules souches – un domaine que l’administration Bush a refusé de financer avec des fonds fédéraux pour des raisons politiques.
8L’intérêt politique, l’enthousiasme et une logique de concurrence politique (par exemple le fait d’imiter les pratiques des États ou des régions concurrents ou de tenter de les précéder sur de nouvelles initiatives), sont des préalables nécessaires à la mise en place de ZEFC. On pourrait prétendre, avec quelques bémols toutefois, que l’intérêt que les sphères politiques américaines portent à la promotion des ZEFC et à l’innovation en matière de haute technologie est tout aussi fort que dans le reste du monde. Toutefois, la façon dont les sciences et la technologie sont considérées aux États-Unis n’est pas sans comporter de paradoxes. Ainsi, moins de la moitié de la population américaine accepte la théorie de l’évolution. La question de savoir s’il faut enseigner cette théorie dans les écoles publiques et de quelle façon demeure l’un des sujets les plus âprement débattus dans le domaine des sciences de l’éducation. Une étude récente n’a pas fait état de changements importants dans le niveau de connaissances scientifiques de la population.
9En revanche, l’Eurobaromètre le plus récent fait état d’une progression, avec de faibles changements dans presque tous les pays ayant fait l’objet d’une enquête, bien que le niveau des connaissances scientifiques varie amplement entre les différents pays d’Europe. Entre 1992 et 2005, l’Allemagne, la Belgique, l’Irlande, le Luxembourg et les Pays-Bas ont enregistré des augmentations à deux chiffres du pourcentage de réponses correctes aux questions concernant les connaissances scientifiques de base. Ces facteurs politiques et culturels entravent l’avancée de l’instruction scientifique au sein de la population et de la force de travail, ce qui a pour effet de limiter le nombre de scientifiques et d’ingénieurs formés dans le pays.
Une dynamique interactive entre l’université et le secteur privé – des établissements d’enseignement supérieur de très haute qualité et des partenariats en pleine expansion
10En créant le premier système d’enseignement supérieur de masse au monde, les États-Unis ont mis en place un vaste réseau d’universités publiques et privées, lesquelles ont connu un succès certain dans leur interaction avec les entreprises et les économies locales. En particulier, l’une des responsabilités inscrites dans les chartes des universités publiques créées entre le milieu et la fin du XIXe siècle était d’assumer des tâches de recherche et de formation en agriculture ainsi que dans les domaines émergeants de l’ingénierie industrielle pour répondre aux besoins locaux et régionaux. Dès leur fondation, la composition des conseils d’administration de ces institutions publiques reflétait cette composante importante de leur mission : généralement, la majorité des membres représentaient les intérêts des entreprises et de l’agriculture.
11Il en résulta une culture qui encourageait l’usage appliqué de la recherche scientifique et d’ingénierie. Dès le début du XXe siècle, cet aspect prit une importance majeure dans la plupart des universités de recherches américaines, qu’elles soient publiques ou privées, et ce en particulier dans les domaines liés à l’ingénierie. De plus, les fonds versés par le gouvernement fédéral, les initiatives à l’échelle des États et des autorités locales et les efforts des communautés religieuses et des mécènes autorisèrent la création d’un vaste panel d’établissements publics et privés qui contribuèrent à l’émergence d’universités de recherche de haute qualité. L’un des indicateurs de la concentration d’universités de recherche de haute qualité est l’excellent classement des établissements américains dans un certain nombre d’études, dont celle, très connue, menée par l’Université Jiao Tong de Shanghai.
12L’idée d’une éducation supérieure de masse destinée, au moins en partie, à répondre aux besoins immenses et toujours grandissants des autres économies locales et régionales contrastait fortement avec les politiques pratiquées dans la plupart des autres pays (en particulier européens), et permit aux États-Unis de prendre un avantage significatif sur ce marché. La tradition des partenariats entre public et privé ainsi que d’autres facteurs culturels et juridiques (tels que le droit de la propriété intellectuelle) continuent à exercer une influence décisive sur l’innovation en matière de haute technologie aux États-Unis. On assiste à la formation de nombreuses alliances et les financements sont abondants. Depuis1993, les dépenses de recherche et de développement sous-traitées à d’autres acteurs de R-D américains ont connu un accroissement proportionnel à celui de la recherche et développement effectuée au sein des entreprises avec des fonds propres. En 2003, les entreprises américaines ont fait état de 10.2 milliards USD de dépenses de R-D sous-traitées à d’autres acteurs de R-D américains, contre 183.3 milliards USD attribués à la recherche et développement effectuée au sein de l’entreprise avec des fonds propres. Le ratio entre R-D sous-traitée et R-D effectuée en interne était de 5.6% pour l’agrégat de toutes les industries en 2003, contre 3.7 % en 1993.
13La participation des laboratoires fédéraux à des accords de recherche et de développement coopératifs (CRADA) a augmenté au cours de l’exercice2003 mais restait inférieure au record atteint au milieu des années 90. Au cours de l’exercice 2003, les laboratoires fédéraux ont participé à 2 936 CRADA conclus avec des sociétés industrielles et d’autres organisations. Cela représente une augmentation de 4.3 % par rapport à l’année précédente, mais reste inférieur au maximum historique de 3 500 atteint lors de l’exercice 1996. Parallèlement, les compagnies américaines continuent de conclure des partenariats avec d’autres entreprises aux États-Unis et dans le reste du monde dans le but de développer et d’exploiter les nouvelles technologies. Selon la base de données CATI (Cooperative Agreements and Technology Indicators), les nouveaux partenariats technologiques industriels ont atteint un maximum historique mondial de 695 en 2003. Presque chaque année depuis 1980, la première place du classement revient aux partenariats rassemblant uniquement des entreprises américaines. Viennent ensuite ceux conclus entre entreprises américaines et européennes.
Distribution régionale des meilleures universités mondiales, classement Shanghai 2006
Distribution régionale des meilleures universités mondiales, classement Shanghai 2006
Taux d’investissement en R-D relativement élevés – investissement dans la recherche fondamentale
14Les niveaux absolus de dépenses en R-D sont d’importants indices des capacités d’innovation d’un pays et sont les signes avant-coureurs de sa croissance et de sa productivité futures. De fait, les investissements dans les entreprises de R-D permettent de raffermir la base technologique sur laquelle la prospérité économique a de plus en plus tendance à reposer. Il est possible de déterminer la force relative de l’économie actuelle et future d’un pays ainsi que les domaines scientifiques et technologiques dans lesquels il excelle en le comparant avec les autres grands pays effectuant de la recherche et développement.
15Depuis 1953, les dépenses américaines en R-D, en pourcentage du produit intérieur brut (PIB), ont connu un minimum de 1.4 % en 1953 et un maximum de 2.9 % en 1964. L’essentiel de l’augmentation du ratio R-D/PIB s’explique par la croissance des dépenses de R-D ne provenant pas du gouvernement fédéral. La part des dépenses de R-D ne provenant pas du gouvernement fédéral, lesquelles sont majoritairement financées par les entreprises, est passée de 0.6 % du PIB en 1953 à 1.9 % selon les estimations de 2004, en baisse par rapport aux 2.1 % de 2000. Cette augmentation des dépenses de R-D non financées par le gouvernement fédéral en pourcentage du PIB est représentative de la progression du rôle des sciences et de la technologie dans l’économie américaine.
La recherche et développement en pourcentage du produit intérieur brut, 1953-2004
La recherche et développement en pourcentage du produit intérieur brut, 1953-2004
16Toutefois, la majeure partie des dépenses de R-D aux États-Unis sont concentrées géographiquement dans une dizaine d’États, entre lesquels on observe des différences significatives en ce qui concerne les types de recherches qui y sont pratiquées. En 2003, ces dix États cumulaient presque les deux tiers des dépenses de R-D aux États-Unis. La Californie, à elle seule, absorbait plus d’un cinquième des 278 milliards USD de R-D à la disposition des 50 États et de la capitale fédérale. Par exemple, plus de la moitié des dépenses de R-D effectuées aux États-Unis par des constructeurs d’ordinateurs et de produits électroniques se font en Californie, au Massachusetts et au Texas. La R-D en fabrication de produits chimiques, en revanche, est particulièrement localisée dans deux autres États : elle représente 61 % des dépenses de R-D des entreprises au New Jersey, et 49 % en Pennsylvanie.
17Les États-Unis demeurent l’un des plus grands investisseurs en R-D et possèdent le taux le plus élevé d’investissement relatif en recherche fondamentale (effectuée pour la majeure partie dans les universités de recherche). Par exemple, en2000, le total des dépenses de R-D dans le monde était d’au moins 729 milliards USD, dont la moitié provenait des deux premiers acteurs en matière de R-D, les États-Unis et le Japon. À l’échelle mondiale, sept pays concentrent l’essentiel de la recherche et développement : en 2002,83% de la recherche et développement de l’OCDE ont été effectués en Allemagne, au Canada, aux États-Unis, en France, en Italie, au Japon et au Royaume-Uni. Cela étant, en 2002, les dépenses liées à des activités de R-D aux États-Unis ont été supérieures à celles effectuées dans l’ensemble des autres pays du G7 combinés (National Science Foundation, 2006, wwww. nsf. gov/ statistics/seind06/c4/c4h.htm#c4hl7).
Recherche et développement aux États-Unis par type d’activité, 2004
Recherche et développement aux États-Unis par type d’activité, 2004
Recherche fondamentale aux États-Unis par acteur, 2004
Recherche fondamentale aux États-Unis par acteur, 2004
18Les indicateurs d’intensité de la recherche et développement, tels que les ratios R-D/PIB, indiquent clairement les avantages dont profitent les pays à l’économie solide et développée en matière de hautes technologies. Toutefois, certains indices semblent indiquer que les pays concurrents commencent à amener leurs taux d’investissement en R-D à des niveaux comparables voire supérieurs à celui des États-Unis. En 2004, les États-Unis ont consacré 2.7 % de leur PIB à la recherche et développement, se plaçant ainsi au cinquième rang des pays de l’OCDE en termes de ratio R-D/PIB. Avec 4.9 % de son budget consacrés à la recherche et développement, Israël (qui n’est pas un pays de l’OCDE) occupe la première place mondiale, suivi de la Suède (4.3 %), de la Finlande (3.5 %), du Japon (3.1 %) et de l’Islande (3.1 %).
19Mais les États-Unis bénéficient de deux avantages par rapport aux autres pays en termes de croissance à long terme. Il s’agit tout d’abord d’une forte proportion des investissements en recherche et développement provenant du secteur privé. On estime que les dépenses de R-D provenant des entreprises ont atteint les 219.2 milliards USD en 2004. Si la part des investissements privés dans les efforts de R-D américains a atteint un record de 75 % en 2000, la baisse de la bourse et le ralentissement économique qui en a résulté en 2001 et 2002 ont sérieusement obéré les activités de nombre d’entreprises actives en R-D. Les projections prévoyaient qu’environ 70 % de la recherche et développement américaine serait effectuée par les entreprises en 2007.
20Le second avantage des États-Unis sur le marché est lié à un taux d’investissement dans la recherche fondamentale relativement élevé et à la répartition des fonds. Les États-Unis consacrent environ 18 % de leurs dépenses totales de R-D à la recherche fondamentale; un peu plus de la moitié est financée par le gouvernement fédéral et menée par le secteur universitaire. La majeure partie de cet effort de recherche fondamentale concerne les sciences de la vie. Toutefois, cet avantage tend à s’amenuiser maintenant que les autres pays ont réorganisé leur portefeuille de R-D, autrefois largement consacré au développement et à la recherche appliquée, pour y faire une plus large place à la recherche fondamentale. Par exemple, la Fédération de Russie consacre désormais 16 % de ses dépenses à la recherche fondamentale; la Corée y consacre 14 %, ce qui la place au sixième rang des pays de l’OCDE; au Japon, ce chiffre est de 12 % [3]. La recherche fondamentale représente maintenant plus de 20 % de la recherche et développement en France, en Irlande et en Italie, ce qui montre bien l’importance croissante de la promotion de la recherche scientifique et de l’innovation en matière de hautes technologies dans l’Union européenne.
21Dans le monde postmoderne, toutefois, ni les taux nationaux de dépenses de R-D, ni les financements publics et privés ne rendent réellement compte des changements affectant les activités de recherche à l’échelle internationale. Dans un contexte de multiplication des pôles de haute technologie et d’augmentation de l’expertise en matière de recherche scientifique, les multinationales américaines continuent à intensifier leurs investissements en recherche et développement à l’étranger. En 2002, les dépenses de R-D des sociétés affiliées d’entreprises étrangères aux États-Unis ont atteint les 27.5 milliards USD, en augmentation de 2.3 % par rapport à 2001 en termes réels. Sur la même période, les dépenses de R-D industrielles américaines totales ont baissé de 5.6 % en termes réels. Les investissements transnationaux d’entreprises américaines et européennes au travers de corporations multinationales continuent à être importants. En même temps, certaines économies en développement ou nouvellement industrialisées accueillent de plus en plus de R-D d’origine américaine : en particulier, la Chine, Israël et Singapour. En 1994, les grands pays ou régions industrialisés représentaient 90 % des dépenses de R-D vers l’étranger des multinationales américaines. Cette proportion était descendue à 80 % en 2001. Ce changement s’explique par une faible croissance des dépenses en direction de l’Europe, à comparer à une augmentation bien plus conséquente en direction de l’Asie (hors Japon) et d’Israël (National Science Foundation, 2006).
Capital risque – les États-Unis restent les plus dynamiques
22Le capital risque est une source de financement de premier ordre pour les entreprises actives dans les hautes technologies. Les États-Unis demeurent la première source de capital risque, ce qui leur procure un avantage que ne possède aucun des principaux pays développés. Dans de nombreux pays de l’OCDE, le développement du financement initial est freiné par une culture du placement en actions insuffisante, des problèmes d’information et la volatilité des marchés.
23Aux États-Unis, l’existence d’un continuum de fournisseurs de capitaux (par exemple investisseurs providentiels, fonds de capital risque publics et privés) contribue à la diversification des risques et permet de garantir des contrats de qualité en permanence. Ces réseaux – au même titre que le recours à des titres financiers liés à la performance, ainsi que la prestation d’un soutien technique et managérial et de facilités de sortie sur le marché secondaire – ont contribué à la survie et à la croissance des entreprises financées par capital risque. Dans de nombreux pays, le nombre de capitalrisqueurs dotés de connaissances suffisantes dans les domaines financier et technique est limité et n’est pas en mesure de répondre à la rapide augmentation de l’offre de capital risque dans l’OCDE. Certains pays, dont le Canada, Israël et la Suède, comblent ce manque d’expérience en attirant des investisseurs en capital risque étrangers (OCDE, 2004).
24Dans de nombreux pays, des barrières structurelles, réglementaires et fiscales freinent le développement d’un marché du capital risque et d’un contexte économique dynamiques. Une enquête sur le capital risque datant de 2007 a montré que, dans le monde entier, près de 20 % de tous les accords de capital risque sont conclus entre pays différents, ce qui représente une augmentation de 250 % par rapport à la période de cinq ans précédente. Les auteurs constatent que cette tendance a été accélérée par la pratique du « venture licensing » (« concession de licences de capital risque »), qui consiste à répliquer des modèles commerciaux éprouvés sur de nouveaux marchés (Ernst & Young, 2007). Bien que les États-Unis, l’Europe et Israël demeurent des acteurs clés du marché, on s’attend à ce que ces pratiques fassent encore augmenter l’importance des marchés émergents au cours des années à venir.
25Toutefois, tous ne sont pas vendus à l’idée que les frontières nationales sont en train de perdre toute signification pour ce qui concerne l’investissement dans le capital risque. Les entreprises américaines approchent les marchés étrangers avec beaucoup de prudence. Bien que de nombreux portefeuilles américains comportent des entreprises étrangères, ces dernières représentent généralement moins de 5 % des investissements totaux des sociétés. En fait, il semble que la démarche suivie par les sociétés de capital risque américaines ne soit pas d’investir directement sur les marchés émergents. Environ 88 % des répondants à une enquête récente ont indiqué que leur portefeuille comportait des entreprises effectuant une partie importante de leurs activités à l’étranger, principalement en Chine et en Inde. Cela représente presque le double des chiffres de l’année dernière. On peut donc en conclure que les sociétés de capital risque restent prudentes quant à l’agrandissement de leur portefeuille à l’échelle mondiale : si les investissements internationaux sont bien destinés à augmenter au cours des prochaines années, cette croissance sera lente (Deloitte, 2007).
26Toutefois, même si la Chine et l’Inde ne représentent qu’une faible partie des portefeuilles, l’addition de tous ces petits investissements venus du monde entier a conforté la présence incontournable de la Chine dans ce secteur. Ce rapport présente également un certain nombre de nouveaux modèles d’investissements internationaux susceptibles de venir partiellement à bout des réserves des entreprises américaines vis-à-vis de l’investissement à l’international : « fonds communs internationaux, partenariats stratégiques limités, fonds locaux établis avec une marque mondiale, équipes locales sous l’égide d’un fonds mondial, ou un mélange de ces modèles. » Ce genre de partenariat, qui est déjà en train de changer la façon dont se pratique l’investissement en capital risque international, pourrait donner naissance à un secteur où les investissements internationaux sont courants, mais où une présence locale est nécessaire.
Propriété intellectuelle – prime au premier entrant pour les États-Unis
27Entre autres parce qu’ils sont l’une des sources de propriété intellectuelle les plus prolifiques, les États-Unis se sont dotés d’un appareil juridique relativement élaboré et globalement favorables aux auteurs, ce qui a exercé une influence déterminante sur leur développement économique. Deux évolutions majeures permettent de mieux comprendre le foisonnement de la propriété intellectuelle et son influence sur le marché américain.
28Tout d’abord, en 1980, la modification, par le gouvernement fédéral, du droit des brevets et des licences. Le Bayh-Dole Act de 1980 a permis aux universités ainsi qu’à leurs enseignants et chercheurs de posséder des brevets et de déposer des licences développés grâce à des fonds fédéraux. En permettant aux universités et aux chercheurs d’accéder à la propriété commune de découvertes faites grâce à des dotations de recherche fédérale, cet acte passé par le Congrès contribua de façon significative à la création d’une université entrepreneuriale et à la dynamisation de l’activité d’un secteur économique clé, un modèle qui sera par la suite imité par d’autres gouvernements, à commencer par celui de Margaret Thatcher au Royaume-Uni. Il modifia la vision du monde qu’avaient l’université comme le secteur privé en encourageant les transferts de technologie et en donnant aux chercheurs, aux universités et aux partenaires commerciaux l’espoir, peut-être abusif dans certains cas, de futurs profits. Cette initiative nationale, ainsi que le financement fédéral de nouveaux centres université-entreprise consacrées à l’ingénierie, eurent un autre effet : les gouvernements d’État, et dans une moindre mesure les collectivités locales, cherchèrent d’autres moyens de se servir de leurs universités pour soutenir la croissance de leurs entreprises technologiques et pour attirer des fonds fédéraux en augmentation.
29L’évolution de la législation, et en particulier une définition relativement large de ce qu’était une découverte ou une idée brevetable, a également représenté un changement important en matière de droit de la propriété intellectuelle. De remarquables découvertes dans le domaine des sciences de la vie, provenant en partie d’investissement à long terme dans la recherche fondamentale, ont été suivies de demandes de brevets et de licences relativement uniques. En 1980, l’année de l’adoption du Bayh-Dole Act, la Cour suprême des États-Unis confirma une décision provenant d’un tribunal inférieur et donnant une définition extrêmement large de ce qu’était un « matériau brevetable », autorisant ainsi le brevetage d’organismes, de molécules et de techniques de recherche liées au domaine nouveau des biotechnologies (Mowery et al., 2004). La priorité de plus en plus claire accordée par les universités et par l’industrie aux brevets et aux licences a sans doute exercé un effet néfaste sur le partage des informations et des découvertes, qui avait auparavant un effet stimulant sur la recherche scientifique. Mais ce recentrage a également stimulé les investissements provenant des marchés de capitaux et entraîné le développement de partenariats de recherche à un niveau inégalé dans les pays au niveau de développement économique similaire. En ce qui concerne l’économie domestique, un nombre record de brevets (plus de 169 000) ont été émis aux États-Unis en 2003, bien que la croissance du nombre de brevets émis par année ait ralenti depuis 2000 (National Science Foundation, 2006, voir graphique 6-6, annexe tableau 6-12). Toutefois, depuis la fin des années 1980, les États-Unis ont connu une croissance ininterrompue du nombre des brevets émis sur leur territoire.
30Les États-Unis conservent un positionnement fort du point de vue des brevets internationaux possédés et commercialisés dans d’autres pays. En 2003, les recettes des États-Unis ont été de 48.3 milliards USD au total. La propriété intellectuelle a dégagé un excédent commercial de 28.2 milliards USD, en augmentation de 5 % par rapport aux 25 milliards USD de l’année précédente. Environ 75 % des transactions impliquaient un échange de propriété intellectuelle entre des compagnies américaines et leurs sociétés affiliées étrangères. Les échanges de propriété intellectuelle entre sociétés affiliées ont connu une croissance comparable à celle des échanges entres sociétés non affiliées. Ces tendances suggèrent à la fois une internationalisation croissante du commerce américain et une plus grande dépendance envers la propriété intellectuelle développée à l’étranger.
Brevets délivrés pour les États-Unis par pays d’origine, 1990-2003 (brevets en milliers)
Brevets délivrés pour les États-Unis par pays d’origine, 1990-2003 (brevets en milliers)
31L’augmentation du nombre de brevets américains détenus par des étrangers est également un signe de l’évolution des marchés. En2003, environ 55 % des brevets délivrés l’ont été à des résidents américains, contre 45 % environ à des inventeurs étrangers. Il y a une dizaine d’années, la majorité des demandes étrangères de brevets pour les États-Unis provenaient d’entreprises sises en Allemagne, au Canada, en France, au Japon, au Royaume-Uni et dans quelques autres pays développés. Mais les choses ont changé. Depuis 1997, la Corée du Sud et Taiwan ont supplanté le Canada et la France au palmarès des cinq premières sources étrangères de dépôts de brevets pour les États-Unis. En 2003,9 % des demandes de brevets pour les États-Unis provenaient de Taiwan et près de 7 % de la Corée du Sud. La part du Canada et du Royaume-Uni était de 5 % et celle de la France de 4 %. Si les brevets délivrés à des résidents sud-coréens et taïwanais sont une indication des technologies en attente d’examen, nombre de ces applications seront de nouvelles inventions informatiques et électroniques. L’augmentation du nombre des demandes de brevets déposées par des inventeurs chinois, finlandais, indien et israéliens est également impressionnante.
Brevets de biotechnologies déposés aux États-Unis par des inventeurs étrangers, 1990-2003 (nombre de brevets)
Brevets de biotechnologies déposés aux États-Unis par des inventeurs étrangers, 1990-2003 (nombre de brevets)
32Environ 36 % des brevets de biotechnologies déposés pour les États-Unis proviennent d’entreprises étrangères. Ces brevets se répartissent de façon plus régulière dans un nombre de pays plus important que ce n’est le cas lorsque l’on considère l’ensemble des domaines technologiques. On constate également une présence plus marquée des pays d’Europe et une moindre représentation des inventeurs asiatiques en ce qui concerne les dépôts de brevets de biotechnologies pour les États-Unis. L’Allemagne et le Japon sont les premiers déposants étrangers aux États-Unis, que ce soit pour les brevets de biotechnologies ou pour l’ensemble des brevets. Toutefois, ces derniers temps, la part de l’Allemagne dans les dépôts de brevets de biotechnologies aux États-Unis a augmenté tandis que celle du Japon a diminué. En 2003, l’Allemagne était toujours le premier déposant étranger, avec 6.5 % des dépôts de brevets de biotechnologies aux États-Unis, contre environ 4 % à la fin des années 90. La part du Japon était de 6.4 %, soit environ la moitié de ce qu’elle était au début des années 90. Ces tendances montrent que si les États-Unis demeurent la principale source de brevets, et offrent un contexte économique accueillant, l’Asie et une Europe actuellement en transition présentent également des signes d’innovation technologique.
Politique fiscale – les États-Unis sont les plus avancés et ont la meilleure vision à long terme
33L’un des avantages décisifs dont disposent les États-Unis pour l’orientation des investissements et la promotion du risque est lié à la politique fiscale au niveau du gouvernement fédéral, des États et, de plus en plus, des collectivités locales. Cela fait longtemps que les États-Unis usent de leur appareil fiscal non seulement pour générer des revenus mais également pour modeler le comportement économique – ce qui est un processus assez nouveau pour la plupart des autres économies aux structures fiscales relativement simples, y compris l’Union européenne. Par exemple, le droit des faillites américain est sans doute le plus favorable parmi les grands pays développés, ce qui reflète une culture politique encourageant l’entreprenariat, consciente du taux élevé de faillites inhérent à toutes les entreprises et répartissant les risques de façon à ce que la faillite d’une entreprise ne soit pas irrémédiable. Cela fait longtemps que ce régime fiscal complexe inclut des « crédits fiscaux », destinés à encourager les entreprises à investir dans la technologie et, de plus en plus, dans la recherche et développement. Toutefois, le code fiscal américain est si complexe et si facile à amender qu’il est également sujet au lobbying politique, souvent mené par des regroupements d’intérêts privés, parmi lesquels figure le secteur en pleine croissance des hautes technologies. Par le passé, les régimes fiscaux des États et des collectivités locales présentaient d’importantes différences les uns avec les autres et étaient plutôt simplistes : certains États prélevaient un impôt sur le chiffre d’affaires, d’autres s’appuyaient sur un modèle d’impôt sur le revenu comparable à celui du gouvernement fédéral, d’autres encore avaient recours aux deux.
34Mais au cours des trois décennies écoulées, les États et les collectivités locales ont beaucoup plus cherché à modeler le régime fiscal de façon à attirer les entreprises dont l’implantation était souhaitée, parmi lesquelles les entreprises de hautes technologies, et à générer des investissements dans la recherche, qu’elle soit menée dans les universités ou en entreprise. Par exemple, de 1990 à 2001, si les demandes de crédits fiscaux destinés à la recherche et à l’expérimentation déposées par les entreprises ont connu, en termes réels, une croissance deux fois plus rapide que celle de la recherche et développement financée par les entreprises, les demandes de crédits ont connu une croissance variable tout au long de cette décennie. Selon les estimations, les demandes de crédit pour la recherche et l’expérimentation ont atteint 6.4 milliards USD en 2001. De 1990 à 1996, les entreprises ont réclamé entre 1.5 milliard USD et 2.5 milliards USD de crédits pour la recherche et l’expérimentation chaque année; depuis lors, les crédits annuels pour la recherche et l’expérimentation ont dépassé les 4 milliards USD. Toutefois, en 2001, les demandes de crédit d’impôt pour la recherche et l’expérimentation ne représentaient encore que moins de 4% des dépenses de la recherche et de l’expérimentation provenant des entreprises.
Vivier de talents et mobilité – attractivité et ouverture à la main-d’œuvre qualifiée et aux étudiants étrangers
35Les États-Unis ont tiré d’immenses bénéfices de leur engagement précoce en faveur d’une éducation supérieure de masse. Au cours du siècle précédent, aux États-Unis, plus d’étudiants sont entrés à l’université et en sont ressortis diplômés, souvent d’un programme d’études supérieures, que n’importe où ailleurs. Une certaine ouverture vis-à-vis des universitaires et des chercheurs a également permis d’attirer de nouveaux talents. Dans les années 30, les États-Unis furent un refuge pour de grands scientifiques fuyant l’Allemagne nazie et la Seconde Guerre mondiale. L’émergence d’un large réseau d’universités de grande qualité et parfois prestigieuses, prêtes à engager des professeurs et des chercheurs étrangers, offrait un contraste frappant avec la majorité des autres pays, où les professeurs d’université étaient, voire sont encore, des fonctionnaires, et où les gouvernements posaient des limites à l’embauche de personnels étrangers.
36Après la Seconde Guerre mondiale, et en particulier à partir du début des années 60, la présence d’étudiants étrangers dans les universités américaines s’accrut de façon exponentielle, grâce au soutien apporté par leurs pays d’origine et, de plus en plus, à l’aide aux études accordée pour les programmes d’études supérieures, en ingénierie par exemple où, de nos jours, les étrangers représentent souvent plus de 50 % de la totalité des étudiants d’une promotion.
37Au cours des précédentes décennies, les étudiants qui arrivaient aux États-Unis pour y suivre des programmes de premier cycle d’études supérieures restaient généralement dans le pays et y entraient sur le marché du travail. Leur présence a exercé une influence déterminante sur les hautes technologies et sur la croissance de ce secteur de l’économie américaine. Par exemple, selon une étude, près d’un tiers des start-ups de la Silicon Valley qui ont réussi ont été fondées par des étrangers, formés pour la plupart dans des universités américaines. Comme le montre le tableau suivant, les étrangers originaires d’Asie sont maintenant la première source de talents arrivant aux États-Unis dans le cadre de leurs études, en général pour y suivre des programmes d’études supérieures de sciences et d’ingénierie. Grâce aux initiatives de son gouvernement, la Chine devint au début des années 90 le premier fournisseurd’étudiants étrangers aux États-Unis. La croissance du nombre d’étrangers admis dans des programmes d’études supérieures américains à cette période venait également combler une lacune significative dans la formation d’étudiants américains en sciences, technologies, ingénierie et mathématiques, et répondait à la demande des secteurs économiques liés aux hautes technologies d’obtenir les compétences dont ils avaient besoin par le biais des universités du pays, ainsi qu’en prônant un assouplissement des conditions d’obtention d’un visa pour les immigrants hautement qualifiés.
Origine géographique des étudiants étrangers inscrits dans des universités américaines, 1960-2000
Origine géographique des étudiants étrangers inscrits dans des universités américaines, 1960-2000
Nationalité des étudiants étrangers originaires d’Asie dans les universités américaines, 1960-2000
Nationalité des étudiants étrangers originaires d’Asie dans les universités américaines, 1960-2000
38Ce schéma de fonctionnement qui consistait à attirer le talent et à le conserver est en perte de vitesse. Les États-Unis, de même que d’autres économies développées au système d’éducation avancée, s’aperçoivent que de plus en plus d’étrangers ayant une formation scientifique ou d’ingénierie, ainsi que de professionnels ayant longuement contribué à l’innovation en matière de sciences et de technologie, commencent à retourner vers leurs économies d’origines, à la faveur de politiques nationales destinées à attirer les talents scientifiques. Si l’attraction du talent étranger est une importante composante de l’avantage des États-Unis en matière de hautes technologies, il est tout aussi, voire plus, important d’améliorer le niveau d’instruction de la population. Le déclin relatif sensible des niveaux de performance des Américains en matière d’éducation supérieure en comparaison avec les autres économies développées pèsera sur le positionnement des États-Unis sur le marché, ainsi que sur la santé socio-économique du pays.
39Bien que les États-Unis conservent une avance en nombre de titulaires de diplômes de l’enseignement supérieur, la situation des plus jeunes est différente de celle de leurs aînés. Aux États-Unis, le taux d’inscription à l’enseignement supérieur est de 33 % en moyenne pour les 18-24 ans, en baisse par rapport aux 38 % de 2000. Le nombre d’étudiants inscrits à temps partiel est supérieur à ce qu’il était par le passé, de même que celui des inscrits dans une université à scolarité sur deux ans. Les étudiants les plus fortunés se retrouvent dans des établissements proposant des cursus en quatre ans; ceux qui sont issus de familles à revenus modestes ou même moyens sont maintenant davantage susceptibles de suivre des cursus en deux ans, ont moins de chances d’obtenir un diplôme de bachelor (correspondant approximativement à la licence française) et mettent beaucoup plus de temps à obtenir un diplôme que par le passé [4].
40Par comparaison, dans de nombreux autres pays de l’OCDE, le taux d’inscription à l’enseignement supérieur de cette classe d’âge avoisine les 50 %, la plupart suivant des programmes conduisant à l’obtention d’un diplôme de bachelor. Selon des données de 2004, les États-Unis sont passés de la quatrième à la quatorzième place en ce qui concerne le taux de participation à l’enseignement supérieur. Sans un effort vigoureux des États, du gouvernement fédéral et des établissements d’enseignement supérieur, il est probable que la situation empirera encore au cours de la prochaine décennie. Les États-Unis resteront toutefois un leader en matière de technologie et continueront d’attirer des étudiants de troisième cycle et des scientifiques doués dans leur incomparable réseau d’universités de recherche. L’influence négative exercée par le Patriot Act s’est déjà résorbée, et les demandes étrangères d’entrées en troisième cycle aux États-Unis ont recommencé à augmenter, même si cette augmentation sera plus lente qu’au cours des décennies précédentes sélectionnées (Council of Graduate Schools, 2007).
41Toutefois, du fait d’efforts politiques concertés et d’investissements dans l’enseignement, en particulier dans les programmes universitaires de sciences et de technologie, et de la croissance des secteurs de sciences et de technologie qui en résulte, la quantité et la qualité des concurrents cherchant également à attirer les professeurs, les étudiants de troisième cycle et d’une façon générale les talents continueront d’augmenter. L’avantage compétitif des États-Unis, autrefois écrasant, est voué à diminuer. Ainsi, les universités de l’Union européenne autres qu’Oxford et Cambridge ont considérablement amélioré leur capacité à attirer les étudiants de troisième cycle et nombre d’entre elles ont grandement facilité le processus de recrutement d’étrangers en tant que professeur. Sous l’influence au moins partielle du modèle américain, le processus de Bologne et d’autres initiatives politiques visent à créer d’excellentes conditions de mobilité du talent et de l’emploi. De plus, la domination de l’anglais dans le monde universitaire et celui des affaires fournissait (et fournit encore) un avantage aux États-Unis, au Royaume-Uni et aux autres pays anglophones. Toutefois, l’utilisation de cette langue dans des pays non anglophones, ainsi que l’augmentation du nombre de programmes de troisième cycle (en particulier professionnel) proposés en anglais dans le monde entier font diminuer l’avantage compétitif des universités américaines.
42Un certain nombre d’études récentes conduites par la communauté scientifique et des économistes s’inquiètent de la capacité des États-Unis à entretenir son avantage sur le marché en attirant les talents étrangers et en sachant les conserver. Un rapport commandé par le Congrès à un éminent comité de scientifiques et de leaders des sciences et de technologie présidé par l’ancien président-directeur général de Lockheed Martin Marietta, Norman Augustine, affirmait récemment qu’« Il est urgent de fournir un effort coordonné et de grande envergure au niveau fédéral afin de stimuler la compétitivité et la prééminence des États-Unis dans ce domaine » (Committee on Prospering in the Global Economy of the 21stCentury, 2007). Toutefois, ces analyses n’ont eu que peu d’effets politiques pour l’instant.
43Comme l’a fait remarquer l’économiste du travail Robert Freeman, la diminution de l’avantage compétitif relatif des États-Unis dans le domaine des hautes technologies « aura pour conséquence une longue période d’ajustement pour les travailleurs américains, dont la délocalisation des emplois dans les technologies de l’information vers l’Inde, la croissance de la fabrication d’objets en haute technologie en Chine et le développement d’installations de R-D dans les pays en développement sont des signes avant-coureurs ». Les États-Unis devront faire un effort d’adaptation, constate-t-il, faisant écho à bien d’autres observateurs, en développant « de nouvelles politiques en matière de marché du travail et de R-D qui s’appuient sur des points forts déjà existants » et qui tiennent compte des progrès scientifiques et technologiques réalisés par les autres pays (Freeman, 2005).
44Il sera crucial pour la compétitivité économique future des États-Unis de comprendre la portée de ces évolutions des marchés. Au moment où nous écrivons ce texte, le pays demeure embourbé dans une longue et coûteuse occupation en Afghanistan et en Irak et doit faire face à un déséquilibre croissant de la balance commerciale, ainsi qu’à une économie affaiblie. Ces réalités, auxquelles s’ajoute le contrôle des Républicains néoconservateurs sur la Maison Blanche dans une volonté d’entamer le rôle du gouvernement, donnent lieu depuis longtemps à un investissement marginal dans des domaines de politique intérieure laissés en souffrance et pour lesquels les besoins sont pourtant considérables. Comme nous le verrons plus loin, s’il existe un projet de grande ampleur visant à augmenter les dépenses fédérales en R-D dans le domaine des sciences physiques, il n’est pas sûr qu’il survive sous sa forme actuelle, dans un contexte de repli économique et de débat politique intense autour des élections présidentielles de novembre 2008.
Étude comparative de l’avantage compétitif des États-Unis
45Les États-Unis sont un environnement productif de sciences et de technologie et devraient le rester à court terme. Cet état de fait n’est pas dû qu’à l’excellence de ses universités de recherche mais également à la croissance de nouveaux secteurs économiques tels que la biotechnologie. Il est également lié à la disponibilité du capital risque dans ce pays, à ses taux relativement élevés d’investissement en R-D, à ses mesures d’encouragement fiscal ainsi qu’à des précédents juridiques, toutes choses encore inégalées dans les autres systèmes économiques.
46Exception faite de l’effondrement des sociétés point-com, la recherche universitaire et la croissance économique du secteur américain des hautes technologies conservent une assise solide. Par exemple, la population active du secteur de la science et de l’ingénierie a connu une progression rapide aux États-Unis à la fois sur les 50 et sur les 10 dernières années. Entre 1950 et 2000, la population active de ce secteur est passée de moins de 200 000 à plus de 4 millions de personnes, pour un taux de croissance annuel moyen de 6.4 %. Entre les recensements de 1990 et de 2000, cette hausse s’est poursuivie au rythme annuel de 3.6 % en moyenne, soit trois fois plus que les autres secteurs. Entre 1980 et 2000, le nombre total de diplômés en science et ingénierie a cru de 1.5 % par an en moyenne, soit un taux supérieur à celui de la croissance de la population active, mais inférieur à celui de l’emploi global du secteur (4.2 %). Le nombre de diplômes de bachelor délivrés en science et ingénierie a progressé en moyenne au rythme de 1.4 % par an; le nombre de doctorats a quant à lui progressé de 1.9 %.
47Les entreprises américaines investissent en moyenne trois fois plus en R-D que leurs homologues européennes, et elles ont à peu près dix fois plus recours au financement par emprunt. C’est l’une des raisons pour lesquelles les sociétés de sciences et de technologie d’Europe et d’ailleurs ouvrent des bureaux aux États-Unis – afin d’avoir accès, non à leur expertise scientifique, mais à leurs marchés des capitaux. Le coût élevé des introductions en Bourse incite ainsi de nombreuses entreprises étrangères à fusionner avec des sociétés américaines existantes, souvent récentes.
48La question qui se pose est de savoir combien de temps ces avantages vont perdurer. Le contexte mondial évolue rapidement et certains pays sont en train d’augmenter notablement leurs capacités de R-D, d’une part par le biais de politiques gouvernementales et d’autre part au moyen d’un accroissement des investissements dans le secteur privé. L’Espace européen de la recherche et le tout jeune VIIe Programme-cadre de recherche et de développement ambitionnent à la fois de stimuler fortement les investissements de R-D et de contribuer à donner forme aux politiques fiscales et à la disponibilité du capital [5].
49Le tableau 2 est une évaluation approximative réalisée par nous des principaux facteurs venant stimuler et soutenir le secteur des hautes technologies à l’échelle du pays et de la région. La plupart d’entre eux ont déjà été évoqués ici sous une forme ou une autre; nous avons en outre ajouté à notre liste d’autres facteurs tels que la qualité globale de la main-d’œuvre de sciences et de technologie, la mobilité de cette dernière au sein d’une même zone ou d’un pays, le concept d’environnement commercial relativement ouvert (parexemple, collaborations entre entreprises ou entre universités et entreprises ou partage des connaissances et de la main-d’œuvre, communément perçu comme un ingrédient du succès de la Silicon Valley) et la qualité de vie offerte à cette maind’œuvre, y compris l’hébergement, les écoles et les transports en commun. De plus en plus, dans les villes et les régions où les secteurs de hautes technologies sont florissants, le marché immobilier est en hausse, ce qui met en péril l’attractivité de la région pour les employés. Aux États-Unis, on note en outre une baisse globale de la qualité des écoles en milieu urbain; le réseau de transport public est médiocre et le clivage géographique entre riches et pauvres ne cesse de s’accentuer. Tous ces facteurs contribuent à dégrader encore plus la qualité de vie.
Facteurs nationaux et régionaux pour les zones économiques fondées sur la connaissance
Facteurs nationaux et régionaux pour les zones économiques fondées sur la connaissance
50Le tableau 2 propose une évaluation, sur une échelle de un à dix (dix étant la meilleure note), du niveau général de ces différents facteurs d’attractivité des ZEFC aux États-Unis, dans la région de la baie de San Francisco (y compris la Silicon Valley et les corridors de biotechnologie de San Francisco et autour de Berkeley) et dans l’Union européenne (particulièrement au sein des cinq premières puissances de l’Union européenne). En outre, nous avons indiqué par un plus ou un moins l’évolution particulière qu’a connu selon nous chaque facteur.
51D’une façon générale, les Américains ne s’intéressent pas aux idées de politiques publiques de hautes technologies mises en œuvre de l’autre côté de l’Atlantique, du Pacifique ou même au-delà de leurs frontières. Si les législateurs et les responsables s’inquiètent de la compétitivité des États-Unis sur le marché mondial, le pays conserve une approche largement isolationniste, et ce bien que les hautes technologies soient un secteur de plus en plus mondialisé. Les pouvoirs publics et une bonne partie du secteur privé cherchent avant tout à défendre, voire à élargir, leur assise sur les marchés étrangers, à étendre les droits de propriété intellectuelle et les encouragements fiscaux, à renforcer les marchés de capital risque et à réduire les restrictions sur les visas d’immigration et de tourisme.
52La culture politique américaine peut donner le sentiment que ce pays reste le pôle de sciences et de technologie le plus innovant et le plus prolifique au monde et que, par exemple, le traitement du cancer ou les percées promises par la recherche cellulaire viendront des États-Unis. Jusqu’à présent, elle semble ne pas avoir conscience de l’existence d’importants pôles de connaissances en Europe ni de nouveaux centres de sciences et de technologie en Chine, en Inde et en d’autres parties du globe.
53Un fait assez méconnu, du moins des Américains, et qui concerne les avancées de la recherche et la productivité européenne en haute technologie, est que le solde commercial des États-Unis n’est plus excédentaire pour les produits de technologie de pointe (c’est-à-dire sans prendre en compte les articles de masse que sont notamment les produits électroniques). Dans ce contexte de déséquilibre global de la balance commerciale, un point très positif a été le volume relativement important des exportations de biens et de services de hautes technologies. Conserver et même renforcer leur position sur le marché mondial a été l’une des premières ambitions des efforts concertés des politiques publiques ayant démarré au début des années80 avec l’adoption du Bayh-Dole Act et d’autres initiatives fédérales, lesquelles ont officiellement marqué la consécration de la politique scientifique en tant qu’élément majeur de la politique économique du pays.
Balance commerciale américaine des produits de technologie de pointe, 2000-04 (en milliards)
Balance commerciale américaine des produits de technologie de pointe, 2000-04 (en milliards)
54Durant une vingtaine d’années, les États-Unis ont bénéficié d’un excédent confortable de leurs exportations de produits de haute technologie. Toutefois, à la lecture des graphiques 8 et 9, on constate qu’entre 2001 et 2002, le solde commercial de ces mêmes biens et services, d’excédentaire de 6milliardsUSD, est devenu déficitaire de 15milliardsUSD. En2004, le déficit était de plus de 25 milliards USD. Toutes les catégories de produits de hautes technologies, telles que l’aérospatiale et l’électronique, restaient pourtant excédentaires à l’exception d’une seule : l’information et les communications. Il est toutefois important de noter que cette évolution reflète le processus de globalisation en cours et le caractère multinational de nombreuses entreprises de hautes technologies. Ainsi, à l’instar de multiples grands conglomérats internationaux, les sociétés de hautes technologies détenues par des Américains disséminent la création et la fabrication de leurs produits dans le monde entier. La pertinence toujours moindre des frontières nationales pour l’activité commerciale (finances y compris) complique l’interprétation de l’évolution des excédents et des déficits de la balance commerciale.
55Un indicateur supplémentaire de l’évolution de cet avantage compétitif américain dans les hautes technologies est l’augmentation du nombre de brevets déposés dans le monde (cf. graphique 10). Ce que le plus grand nombre pense constituer une véritable hégémonie américaine traduit mal les données les plus récentes. Le graphique ci-dessous montre certes qu’au sein des pays de l’OCDE, les États-Unis conservent une place prépondérante (Fontana et al., 2005); mais en réalité, l’Union européenne comptabilise un plus grand nombre de brevets, dont une part importante est le fait de personnes privées et de sociétés de hautes technologies issues de l’une des cinq premières puissances économiques de l’Union européenne. Le graphique indique qu’à l’instar de nombreuses autres régions du monde, le poids de l’Europe sur le marché des hautes technologies s’accroît rapidement et de façon significative. Nous l’avons dit, même dans le domaine des investissements de R-D, le marché est en train de se déplacer.
56En part du produit national brut (PNB), les crédits fédéraux octroyés au titre de la recherche fondamentale en sciences physiques et ingénierie aux États-Unis n’ont cessé de diminuer depuis 30 ans, pour tomber à moins de 0.05 % du PNB en 2003. Les pays en développement asiatiques, qui consacrent une part de plus en plus importante de leur PNB aux sciences et à la technologie, sont sur le point de voir leur investissement rentabilisé : la part de leurs exportations globales de produits de hautes technologies est en effet passée de 7 % en 1980 à 25 % en 2001. Selon les chiffres fournis par la National Science Foundation, ce pourcentage est passé, aux États-Unis, de 31 % à 18 %.
Balance commerciale américaine par catégorie de secteur de hautes technologies, 2004 (en milliards USD)
Balance commerciale américaine par catégorie de secteur de hautes technologies, 2004 (en milliards USD)
Brevets internationaux aux États-Unis et dans l’Union européenne, 2003
Brevets internationaux aux États-Unis et dans l’Union européenne, 2003
Théorie des clusters – la dispersion des pôles de hautes technologies aux États-Unis
57Considérés dans leur ensemble, les États-Unis restent une source majeure d’innovation et d’emploi dans les hautes technologies; toutefois, si l’on prend chaque État isolément, on constate d’importantes disparités dans la répartition géographique des ZEFC arrivées à maturité, notamment pour ce qui concerne la création de nouvelles sociétés de hautes technologies et de centres de capital risque. Une récente étude montre que les entreprises de plus de 1 000 employés sont plus nombreuses à engager des partenariats avec des universités et d’autres instituts publics de recherche (sans but lucratif).
58Par ailleurs, la plupart de ces entreprises– si ce n’est toutes – ont déjà des activités de R-D, certaines sous-traitant leurs activités de recherche, et sont donc parvenues à instaurer les capacités leur permettant d’absorber et d’exploiter la recherche générée par le secteur public (Fontana et al., 2005). Sans surprise, une autre étude a démontré qu’une grande partie des entreprises issues des établissements d’enseignement supérieur se concentraient dans les États les plus puissants économiquement et présentant les niveaux les plus élevés de capital risque (Chukumba, 2005).
59Une étude récente menée par Martin Kinney et Donald Patton illustre la concentration géographique des entreprises passant du statut de jeunes entreprises à celui de sociétés ouvertes cotées à la Bourse de New York (première introduction en Bourse ou IPO) ainsi que la concentration de nouvelles activités de hautes technologies dans des secteurs tels que les semi-conducteurs et la biotechnologie. Les premières introductions en Bourse sont un indicateur de la maturité de l’industrie. Les données couvrent la période allant de 1996 à 2000 (Kenney, 2005).
60Comme on peut le voir à la lecture des tableaux 3 et 4, la création de nouvelles entreprises de biotechnologie se concentre fortement autour de certaines régions : les États du Massachusetts (région autour de Boston), de New York et toute la côte Est jusqu’au Maryland ainsi que la région de la baie de San Francisco et San Diego en Californie. Ces zones regroupent à peu près la moitié des 65 entreprises de hautes technologies ayant fait l’objet d’une IPO. Plus récemment, de nouvelles IPO ont été réalisées en provenance de la Caroline du Nord, de Géorgie (Atlanta), du Michigan (Ann Arbor), du Texas (Austin et Houston) et de Washington (Seattle).
Théorie des clusters – l’exemple américain
Théorie des clusters – l’exemple américain
Théorie des clusters – l’exemple américain
Théorie des clusters – l’exemple américain
61Au cours des quatre années considérées, la concentration géographique des IPO d’entreprises de semi-conducteurs était encore plus accentuée, la grande majorité d’entre elles étant le fait de sociétés implantées dans la baie de San Francisco et à San Diego, suivis de Boston et de la côte Est de New York au Maryland. Le cas du secteur des télécommunications est similaire. Dans ces trois secteurs de haute technologie – biotechnologie, semi-conducteurs et télécommunications – on note actuellement une résurgence généralisée de l’activité commerciale. Dans chacune de ces zones géographiques, on a pu établir un lien entre la présence d’universités de recherche de grande qualité et l’existence d’un environnement urbain où s’est peu à peu fait jour un environnement propice à la recherche, accompagné d’un solide réseau de main-d’œuvre talentueux. Il apparaît par ailleurs que cette main-d’œuvre, qui comprend un grand nombre de commerciaux, de chercheurs et d’ingénieurs de hautes technologies – souvent d’origine étrangère – fait preuve de mobilité entre les différentes ZEFC. Plus encore, on voit clairement se dessiner une situation où la grande majorité des investissements de capital risque se concentre dans ces quelques zones, se spécialisant dans la réalisation de paris au sein d’un environnement commercial et de recherche en hautes technologies qui paraît promettre la meilleure rentabilité potentielle. Mais même ainsi, une récente étude estime que quelque 70% des investissements de capital risque dans des sociétés de hautes technologies américaines se soldent par un échec.
62Dans le même temps, des statistiques du Bureau of Labor américain sur le nombre de salariés d’entreprises de hautes technologies des secteurs publics et privés font état d’une bien plus grande dispersion géographique (cf. tableau 3). Ici, les chiffres de l’emploi incluent toutes les personnes travaillant dans des entreprises et des industries classifiées « hautes technologies » par le gouvernement américain, c’est-à-dire qu’ils comptabilisent également les services financiers et les industries de type fabrication automobile et aérospatiale – lesquels constituent une part importante de l’activité économique du pays.
63Le graphique 11 indique la part dans l’emploi total des entreprises de hautes technologies par État – malheureusement, elle ne distingue pas les principales zones d’activité au sein d’un même État. Les chiffres de l’emploi montrent que si des États tels que la Californie, le Maryland (qui regroupe une forte concentration de laboratoires de recherche privés et fédéraux), le Massachusetts, le Michigan et le Texas réunissent un grand nombre d’entreprises de hautes technologies, de nombreux autres États comptent eux aussi un nombre relativement élevé d’actifs dans ce secteur. Le graphique indique également la part de la recherche et développement universitaire dans le PIB de l’État considéré. Là encore, ces données permettent de nuancer l’importance de la recherche et développement issue des établissements d’enseignement supérieur dans l’économie d’un État. Certains États où le rôle des hautes technologies est particulièrement important, comme la Californie, qui recueille le plus grand nombre d’actifs dans ce secteur de tout le pays et s’assure le plus grand nombre d’investissements subventionnés par des fonds privés et fédéraux, présentent une structure économique extrêmement hétérogène; en d’autres termes, si les hautes technologies sont certes importantes et si le rôle des universités de recherche est un facteur majeur de la santé économique d’un État, aucun de ces deux éléments n’est prépondérant dans la plupart des États ni ne semble appelé à le devenir dans un avenir proche [6].
Répartition de l’emploi en hautes technologies, 2000 Comparatif entre les 50 États : part de l’emploi public et de la recherche et développement universitaire consacrée aux hautes technologies dans le PIB de chaque État, pour 1 000 USD
Répartition de l’emploi en hautes technologies, 2000 Comparatif entre les 50 États : part de l’emploi public et de la recherche et développement universitaire consacrée aux hautes technologies dans le PIB de chaque État, pour 1 000 USD
64L’une des conséquences possibles de cette dispersion de l’emploi de hautes technologies aux États-Unis pourrait être qu’à mesure que ce secteur poursuit sa maturation, les ZEFC traditionnels continuent certes à créer de l’innovation et des entreprises, mais que l’emploi se retrouve finalement dans d’autres zones géographiques – ce qui contribuerait efficacement à l’émergence de la concurrence. Par ailleurs, à mesure qu’elles se développent, les entreprises innovantes de hautes technologies cherchent à implanter ailleurs– soit aux États-Unis soit, de plus en plus, dans d’autres pays – tout ou partie de leurs activités. Un exemple évident de cette énorme dispersion est l’industrie du logiciel. Même si les mesures prises par les pouvoirs publics pour mettre en place une ZEFC et lui apporter leur soutien peuvent permettre de récolter localement des bénéfices importants sur le plan socio-économique, les effets de ces investissements ne sont pas forcément circonscrits, les emplois étant dispersés vers d’autres régions. Ces bénéfices se font sentir à la fois aux niveaux national et international.
65Au total, en 2000, quelque 8.8 % de la population active américaine étaient employés dans le secteur des hautes technologies. à titre de comparaison, la moyenne de l’Europe des Quinze pour cette même année était de 7.6%, l’Allemagne affichant le taux le plus important, avec 11.2 % – selon les données recueillies par CORDIS. La difficulté est que ces chiffres, les plus récents dont nous disposons, sont déjà anciens. Il est probable que les États-Unis, l’Union européenne et d’autres régions encore connaissent une hausse notable du nombre de nouvelles ZEFC, zones se fondant sur l’équation de la collaboration entre le secteur privé et l’université et, de plus en plus, sur des initiatives publiques.
Financement d’initiatives aux États-Unis
66Sous l’effet notamment d’un sentiment d’urgence et des lois naturelles régissant la politique des groupes d’intérêts, les politiques pratiquées en matière de hautes technologies et l’adhésion à la nouvelle théorie de la croissance ont excité la combativité des parties prenantes et entraîné l’ouverture d’un nouveau chapitre en matière de politiques publiques. Aux États-Unis, ceci a eu pour conséquences que les États et les collectivités régionales se sont récemment mis à fournir un effort particulièrement soutenu en réalisant des investissements ciblés et en faisant leur entrée dans des domaines de politiques publiques qui étaient autrefois pratiquement la chasse gardée du gouvernement fédéral, source traditionnelle de R-D financée sur fonds publics. Certains investissements constituent une tentative de bénéficier du flux de financement fédéral ou de créer de nouveaux canaux de financement, comme par exemple de créer du capital risque sur fonds publics dans les États présentant un déficit d’investisseurs privés, ou, dans le cas de la recherche sur les cellules souches, de combler le vide laissé par le décret de l’administration Bush, lequel a radicalement restreint le financement fédéral des domaines de recherche jugés inappropriés par les néo-conservateurs (voir Douglass, 2007a). Même avec les récentes avancées dans la recherche d’alternatives aux cellules souches embryonnaires, les restrictions sans précédent imposées par le président Bush ont, pour l’essentiel, donné lieu à une toute nouvelle forme de financement de la science fondamentale, surtout dans les États libéraux déjà engagés dans les nouvelles technologies, comme la Californie et New York.
67Depuis une dizaine d’années environ, l’absence d’un leadership au niveau fédéral pour le financement des sciences et de la technologie – les niveaux de financement sont restés relativement stables à l’exception du National Institute of Health – a eu pour effet que les responsables politiques des États ont mené une politique active dans des domaines considérés comme essentiels à la santé socio-économique de leur État. Ce constat vaut non seulement pour les sciences et la technologie, mais également pour la santé, l’immigration et pour les thèmes liés au réchauffement climatique et à l’énergie.
68Il est toutefois prévu de mettre en place un nouveau fonds fédéral de grande envergure qui viserait en premier lieu à promouvoir la recherche fondamentale et à soutenir les efforts du pays en matière de hautes technologies. Début2007, les deux chambres du Congrès ont adopté une législation intégrant nombre des recommandations formulées dans le rapport des influentes National Academies et intitulé Rising Above the Gathering Storm (Committee on Prospering in the Global Economy of the 21st Century, 2007). Mais avant qu’elle puisse finalement être signée ou se voir opposer le véto du président, il était nécessaire d’harmoniser deux projets de loi différents. Après des mois de négociations, la Chambre et le Sénat ont enfin récemment approuvé le plus important projet de loi de promotion de la recherche américaine adopté depuis des années. La loi America COMPETES (Creating Opportunities to Meaningfully Promote Excellence in Technology, Education, and Science) autorise le déblocage de 43 milliards USD de crédits fédéraux sur trois ans, qui viendront subventionner les agences fédérales de recherche et l’enseignement des mathématiques et des sciences. De fait, cette loi devrait doubler les autorisations de budget des activités des laboratoires de la National Science Foundation, de l’Office of Science du ministère de l’Énergie et du National Institute of Standards and Technology (NIST).
69En août 2007, le président Bush a signé la loi COMPETES en dépit des fortes réserves formulées par son administration sur certains de ses aspects. Cette loi instaure plusieurs nouveaux programmes fédéraux destinés à encourager l’innovation et le commerce. Le nouveau programme Technology Innovation du NIST viendra remplacer l’actuel programme Advanced Technology en octroyant des subventions compétitives aux petites et moyennes entreprises commercialisant une nouvelle technologie clé. Une entreprise « simple » pourra recevoir jusqu’à 3 millions USD sur trois ans, contre 9 millions USD sur cinq ans pour une coentreprise. La loi porte en outre création d’un nouveau programme déployé au sein du ministère de l’Énergie et qui sera consacré au développement de technologies devant aider le pays à surmonter sur la durée les défis de l’énergie auxquels il est confronté. Dans le même temps, cette loi abandonne plusieurs mesures qui lui avaient valu les foudres de l’administration, dont une qui exigeait que toutes les agences scientifiques fédérales réservent 8% de leur budget en R-D à des activités de recherche novatrices et pan-disciplinaires [7].
Interactions entre politique et politiques publiques
70Examinons le processus fédéral de budgétisation qui pourrait bien affecter de façon significative le devenir de COMPETES : avec la guerre en Irak, les priorités opposées des Démocrates et des Républicains face au déficit fédéral, et des dossiers tels que les politiques d’aide sociale et de santé, le budget définitif alloué à COMPETES pourrait être notablement modifié. Une initiative plus ancienne de l’administration Bush aux ambitions comparables avait largement avorté, en raison notamment de l’incompatibilité des priorités de l’administration en place avec celles de sa majorité nouvellement élue à la Chambre et au Sénat, et du fait que les États-Unis ne font que peu de tentatives pour résoudre leurs problèmes en suspens de politique interne.
71En outre, la nouvelle administration qui se mettra en place en 2009 reviendra peut-être sur les engagements du gouvernement fédéral. à l’heure où nous écrivons ces lignes, aucun présidentiable n’a encore fait d’annonce importante sur les sciences et la technologie américaines, ni sur le rôle de la science dans le développement économique de long terme. Il est effectivement possible que de nouvelles sources fédérales de financement émergent– leur augmentation semble inévitable dans la mesure où l’industrie des hautes technologies et la communauté scientifique chercheront à peser sur le programme de chaque parti et où le lobby des entreprises de hautes technologies continuera à étendre son influence.
72Nous l’avons dit, même si la mise en œuvre de COMPETES est une réussite, les États et les collectivités locales resteront probablement les premières sources de nouvelles initiatives de hautes technologies, qui reposeront sur des estimations rationnelles des meilleures pratiques, sur de nouvelles idées ainsi que, de plus en plus, sur le sens de la compétition et sur l’adhésion à la nouvelle théorie de la croissance. Conséquence de l’accroissement du nombre d’initiatives prises par les États, les rôles respectifs des États et du gouvernement fédéral, et par voie de conséquence l’attention de la communauté des sciences et de la technologie continueront à beaucoup évoluer, ce qui constitue là encore un phénomène assez récent. Par ailleurs, le rôle des législateurs et du secteur des hautes technologies dans la gestion des initiatives fiscales et des nouvelles initiatives sur fonds publics ainsi que le rôle joué par la communauté universitaire sont de plus en plus complexes. Cette question n’a été qu’incomplètement abordée dans le présent rapport. La définition des politiques publiques en matière de hautes technologies (pourquoi et comment ces politiques sont créées et comment les fonds sont affectés) aux États-Unis dans l’Union européenne et ailleurs nécessiterait une analyse plus complète. Les miracles perçus d’une société des hautes technologies et la culture politique que cette société a générée constituent une force motrice donnant naissance à de nouvelles politiques et à de nouvelles sources de financement – peut-être justifiées certaines fois, mais pas toujours.
73Au bout du compte, les politiques publiques américaines n’ont encore que peu intégré la nouvelle théorie de la croissance. Parmi les décideurs et même au sein de la communauté universitaire, rares sont ceux qui ont conscience de la stagnation et même, dans certains États, de la baisse réelle de l’accès à l’enseignement supérieur et des taux de diplomation (voir Douglass, 2007c). Si l’on ajoute à cela la mutation en cours du marché mondial des talents de sciences et de technologie et les efforts de la concurrence pour accroître la réussite universitaire de sa population, l’avantage dont jouissent les États-Unis, dans les hautes technologies, et de façon générale leurs avantages compétitifs historiques devraient voir leur érosion se poursuivre; c’est un aboutissement logique dans un monde où la compétitivité s’est considérablement accrue. Mais cet état de fait est également dû à l’incapacité des États-Unis à exercer des activités auxquelles d’autres pays et d’autres régions se livrent avec ferveur, ou même à leur désintérêt pour ces dernières. Dans le même temps, le rôle des sciences et de la technologie dans la société continue à s’amplifier; il y a davantage de place pour de nouveaux concurrents.
Bibliographie
Références
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- Committee on Prospering in the Global Economy of the 21st Century (2007), Rising Above the Gathering Storm : Energizing and Employing America for a Brighter Economic Future, National Academies Press.
- Council of Graduate Schools (2007), « Findings from the 2006 CGS International Graduate Admissions Survey », rapport de recherche, Council of Graduate Schools, Washington, DC.
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- Douglass, J.A. (2007a), « L’esprit d’entreprise des États et des universities axées sur la recherche aux États-Unis : politiques et nouvelles initiatives des États », Politiques et gestion de l’enseignement supérieur, vol. 19, no 1, OCDE, Paris, no 1, pp. 101-144.
- Douglass, J.A. (2007b), The Conditions for Admission : Access, Equity, and the Social Contract of Public Universities, Stanford University Press.
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- Kenney, M. et D. Patton (2005), « Entrepreneurial Geographies : Support Networks in Three High-Tech Industries », Economic Geography, vol. 81, no 2, pp. 201-228.
- Moncada-Paternò-Castello, P., et al. (2006), Does Europe Perform Too Little Corporate R-D ? Comparing EU and non-EU Corporate R-D Performance, European Commission Joint Research Centre, Institute for Prospective Technological Studies, Séville.
- Mowery, D.C., et al. (2004), Ivory Tower and University-Industry Technological Transfer Before and After the Bayh-Dole Act, Stanford University Press, Stanford, Californie.
- National Science Foundation (2006), Science and Engineering Indicators 2006, National Science Foundation, Washington, DC.
- OCDE (2004), « Venture Capital : Trends and Policy Recommendations », OCDE, Paris.
Mise en ligne 21/07/2009
Notes
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[1]
Cet article s’appuie sur une analyse des initiatives d’État américaines effectuée dans une publication préalable de l’auteur. Voir Douglass, 2007a.
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[2]
De nombreux éléments de cette section s’appuient sur les données et les analyses contenues dans Science and Engineering Indicators2006 (National Science Foundation, 2006, www. nsf. gov/ statistics/ seind06/ c4/ c4h. htm#c4hl7).
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[3]
Toutefois, dans ces trois pays, la part des investissements consacrée à la recherche en ingénierie est bien plus élevée qu’aux États-Unis.
-
[4]
Pour une analyse de la diminution de l’avantage des États-Unis en matière d’enseignement supérieur et de diplomation, voir Douglass, 2007b.
-
[5]
Selon un récent rapport de l’Union européenne, la faible intensité de la recherche et développement européenne résulterait de caractéristiques structurelles, parmi lesquelles ses encouragements fiscaux et son climat plus propice à l’entreprenariat des petites entreprises, et non à un sous-investissement effectué en R-D par certaines grandes entreprises européennes (Moncada-Paternò-Castello et al., 2006).
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[6]
Pour une analyse plus poussée des différences d’activité en hautes technologies entre les différents États, voir Douglass, 2007a.
-
[7]
L’American Institute of Physics prévoit la publication dans son bulletin FYI, consacré à l’actualité des politiques scientifiques, d’une série d’articles examinant la nouvelle législation et ses probables répercussions sur la recherche scientifique américaine (www. aip. org/ fyi/ ).