Introduction
1Depuis son accession à l’indépendance en 1960, le Nigeria a connu de nombreux changements politiques qui ont agi sur tous les aspects de la vie du pays, y compris la planification et l’administration des universités. Par exemple, Arikewuyo ( 1996 ) rapporte qu’en 1960, après l’indépendance, les administrations fédérale et régionales ont créé quatre universités nouvelles qui sont venues s’ajouter au University College d’Ibadan, fondé par l’administration coloniale en 1948. Il ajoute qu’au cours de la période militaire (1966 et 1979), d’autres universités ont été créées, en amenant le total à treize. Au cours de la Deuxième République (1er octobre 1979 au 31 décembre 1983), lorsqu’un régime démocratique a été rétabli au Nigeria, treize universités supplémentaires ont été fondées par les administrations fédérale et infranationales. Quand le régime militaire est revenu au pouvoir en décembre 1983, leur nombre s’est encore accru. C’est pourquoi quand les militaires ont réintégré leurs casernes le 29 mai 1999, il y avait au Nigeria 35 universités appartenant à l’État, dont 24 établissements fédéraux et 11 universités régionales. Trois universités privées avaient aussi reçu l’autorisation de commencer à fonctionner.
2Il ne fait aucun doute que la Constitution d’un pays est un document juridique qui revêt un caractère sacré tout particulier et explicite les finalités ou le schéma de l’administration et la division du pouvoir entre les divers organes de l’État – législatif, exécutif et judiciaire. Une constitution est aussi un ensemble de règles fondamentales qui servent à gouverner un pays. Elle fonde et réglemente la structure, l’organisation et les fonctions de l’administration d’un État donné. La constitution est un dispositif essentiel, la référence à partir de laquelle les lois du pays peuvent être interprétées. Ce document incorpore donc la réglementation qui régit le comportement de la population (Oluya, Olu-Braimoh et Okege, 1999).
3Cet article a donc pour objet de procéder à l’examen critique de quelques dispositions de la dernière constitution dans la mesure où elles retentissent sur la planification et l’administration de l’éducation universitaire au Nigeria. Il s’agit de voir ce que l’éducation universitaire peut attendre d’un régime post-militaire.
Les objectifs de l’éducation au Nigeria
4Il est stipulé, entre autres, à la section 18, sous-section 1-3 de la Constitution de 1999 que :
- L’état orientera son action de façon à garantir que les possibilités d’accéder à l’éducation soient égales et suffisantes à tous les niveaux ;
- L’État assurera la promotion de la science et de la technologie ;
- L’État s’efforcera de mettre fin à l’illettrisme et, à cette fin, il fournira dans
la mesure du possible :
- l’enseignement primaire gratuit, obligatoire et universel,
- l’enseignement secondaire gratuit.
5Si on les examine attentivement, les objectifs ci-dessus ont des incidences pour l’éducation universitaire au Nigeria. Vient en premier le fait que les citoyens bénéficieraient à titre égal de l’éducation universitaire. Il faut donc que les universités soient situées à proximité de la population afin que les étudiants n’aient pas besoin d’entreprendre de longs déplacements pour y accéder. Okogie ( 2004) rapporte qu’en 2004, il y a au Nigeria 53 universités. Sur ce total, 25 relèvent de l’administration fédérale, 20 des administrations des états et 8 sont des établissements privés. Il fait cependant valoir que ce nombre semble être insuffisant car sur plus d’un million de candidats ayant passé l’examen d’entrée à l’université ( University Matriculation Examination ou UME) en 2004, les universités n’ont pu en admettre que 154 000 (soit 15 %). Il ajoute qu’avec des effectifs de 325 299 étudiants au cours de l’année universitaire 1999/2000, la possibilité de suivre une éducation universitaire suffisante n’existe pas encore au Nigeria. En effet, même si les universités semblent également réparties pour être facilement accessibles, le nombre de places disponibles pour assurer un accueil suffisant reste très bas.
6La Constitution stipule aussi que tous les citoyens doivent pouvoir bénéficier de l’éducation universitaire sur un pied d’égalité. Cela signifie qu’il ne doit y avoir, en matière d’admission des candidats à l’université, aucune discrimination fondée sur le sexe, la tribu, la religion ou l’État d’origine, ce qui nous amène à la question de la politique d’admission aux universités. Avant l’arrivée au pouvoir de l’actuel gouvernement démocratique, l’admission des étudiants aux universités reposait sur les critères suivants ;
- Le mérite – 40 %
- L’aire de recrutement – 30 %
- Les États défavorisés au plan éducatif – 20 %
- La discrétion – 10 %(Obilade, 1992)
8Nombre de Nigérians critiquent cette politique qu’ils estiment injuste. Selon Obilade, elle ne tient pas compte du fait que les étudiants issus des aires de recrutement et des états défavorisés peuvent ne pas avoir posé leur candidature à l’université prévue. Cependant, toutes les universités sont censées faire tout leur possible pour recruter les étudiants venus de ces régions. Cette politisation des admissions a pour effet de forcer l’intégration et d’amenuiser l’autonomie du système universitaire. De même, l’un des objectifs fondamentaux de la politique des quotas consiste à réaliser le développement équilibré des différents secteurs économiques et des zones géographiques du pays. Le système des quotas repose aussi sur l’idée qu’il est possible de forger l’unité nationale, la prise de conscience de l’appartenance au pays et le patriotisme, et que les citoyens de toutes les régions du pays revendiqueront sans cesse leurs droits humains fondamentaux tels qu’ils sont établis dans la Constitution du pays, dès lors que tous les habitants de tous les états seront instruits (Bamisaiye, 1992).
9Pour plus de clarté, on entend par « aire de recrutement » une zone géographique dans laquelle une université donnée est censée recruter ses candidats. Les états défavorisés sont ceux que les autorités estiment être en retard sur le plan éducatif et qui doivent donc être aidés. Au Nigeria, les états suivants font partie de cette catégorie : Sokoto, Taraba, Bauchi, Nasarawa, Gombe, Borno, Yobe.
10Le nouveau gouvernement démocratique a toutefois légèrement amendé ce critère d’admission. Lors de la réunion du Conseil exécutif fédéral le 22 septembre 2000, le gouvernement a approuvé les nouvelles lignes directrices suivantes concernant l’admission aux universités : mérite 45 %, aire de recrutement 35 % et États défavorisés au plan éducatif 20 %. Les 10 % discrétionnaires qui existaient auparavant ont été supprimés, ce qui montre que le gouvernement nigérian ne peut absolument pas écarter la politisation de l’admission dans le pays. Le principe fédéral est enraciné dans la Constitution et le système des quotas reste très marqué dans tous les aspects de la vie, y compris l’admission à l’université. Mais le moins que l’on puisse dire est que ce système est contraire aux principes de justice et d’équité, car il refuse l’admission de nombreux candidats qualifiés. C’est à ce propos que Ajayi ( 1989) propose que chaque université, par l’intermédiaire de son conseil des admissions, soit libre d’admettre ses propres étudiants selon le seul critère du mérite et sans discrimination aucune. D’après cet auteur, il est indispensable de mettre sur pied une politique nationale d’égalité des chances dans l’enseignement supérieur. Il estime en effet que l’on favoriserait ainsi l’unité nationale, alors que la politique actuelle des quotas a contribué à aggraver le problème de l’unité nationale et de l’intégration en concentrant les étudiants dans les universités proches de leurs propres localités.
11Deuxièmement, l’éducation nigériane a pour but de promouvoir la science et la technologie. Cet objectif est conforme aux dispositions de la Politique nationale sur l’éducation (Révisée) ( 1998) qui précise que :
- Une plus forte proportion des dépenses consacrées à l’éducation universitaire sera allouée à la science et à la technologie ;
- Soixante pour cent au moins des places seront affectées aux cours de sciences et de matières scientifiques dans les universités conventionnelles (d’enseignement général) et 80 % au moins dans les universités de technologie (Section 55, a – b).
12Il semble cependant que les schémas d’inscriptions et d’obtentions des diplômes de quelques-unes de nos universités aillent à l’encontre des lignes directives du gouvernement. Par exemple, à l’Université Olabisi Onabanjo (autrefois Université d’État d’Ogun, Ago-Iwoye), qui fait partie de la troisième génération des universités, sur l’effectif total de 11 065 étudiants de l’année universitaire 1999/2000,3 193 ( 29 %) suivaient des cours scientifiques alors que 7 869 étudiants ( 71 %) suivaient des cours de lettres ou sciences sociales et humaines) (Academic Affairs Office, Ago-Iwoye, 2000 ). De même à l’Université d’Ibadan, qui est la plus ancienne et la plus importante du pays, la répartition des diplômés penche encore vers les programmes non scientifiques. Lors de l’Assemblée de l’Université, tenue le 17 novembre 2000, sur un total de 3 866 titulaires d’un premier diplôme, 2 366 ( 61 %) suivaient des programmes relevant des lettres ou des sciences sociales et humaines, alors qu’ils étaient 1 500 ( 39 %) à faire des études scientifiques. De plus, au cours de cette même assemblée, l’Université a délivré des diplômes supérieurs à 2 975 étudiants. Sur ce nombre, 2 183 ( 73.3 %) suivaient des programmes de sciences humaines contre 792 ( 27 %) qui suivaient des cours scientifiques ( Convocation document, 2000).
13Cette situation est très inquiétante car elle montre que depuis 1977, quand les dispositions de la Politique nationale de l’éducation ont pour la première fois recommandé un rapport de 60 : 40 en faveur des sciences, les écarts ont été nombreux en matière d’éducation scientifique entre la théorie et la réalité, les promesses et les prestations, l’investissement et la productivité (Balogun, 1982). Cet état de choses tient notamment au fait que les infrastructures de base indispensables à l’enseignement des matières scientifiques manquent encore dans nos écoles secondaires, de même que les enseignants en nombre suffisant et le personnel de soutien technique (Ajeyalemi, 1986). Même les résultats obtenus en science par les élèves des écoles secondaires sont préoccupants. En 1996, sur 132 768 candidats à l’examen donnant droit au certificat de fin d’études en physique, seuls 16 929 ( 12.7 % ) ont été notés alors qu’ils étaient 75 446 ( 56.8 % ) à échouer complètement. La même année, ils étaient 144 990 à passer l’examen de chimie et seulement 68 514 ( 47.2 % ) à le réussir. Les résultats en mathématiques sont encore plus désastreux, avec 10 % de réussite (Popoola, 1997). Le ministère fédéral de l’Éducation ( 2003) fait remarquer qu’en 2000, au cours de l’Examen de novembre/décembre ouvrant droit au certificat de fin d’études ( West African School Certificate), 10.4 % ont obtenu des notes valables en biologie, 7.0 % en chimie, 41.6 % en physique, tandis que 46.1 % étaient bien notés en mathématiques. On retrouve ces mauvais résultats en 2001 avec seulement 20.4 % de réussite en biologie, 24.7 % en chimie, 48.4 % en physique et 41.6 % en mathématiques.
14Aussi longtemps que ces problèmes persistent dans l’enseignement scientifique au niveau secondaire, les études universitaires continueront de privilégier les lettres et les sciences humaines. Il ressort de l’analyse qui précède que si la Constitution ordonne expressément au gouvernement d’encourager l’enseignement des matières scientifiques et technologiques dans nos établissements éducatifs (y compris les universités), les problèmes mis en lumière ici doivent être résolus, faute de quoi l’objectif risque d’être difficile à atteindre.
15Il ne faut cependant pas méconnaître cette disposition constitutionnelle en supposant que les sciences humaines doivent être découragées. Des domaines tels que la littérature, l’histoire, les beaux-arts, la morale, etc., restent pertinents compte tenu de la structure sociopolitique du pays. Lawal ( 1986) fait valoir que si l’économie a besoin de la science et de la technologie pour rester à la hauteur du reste du monde, elles ne peuvent porter leurs fruits qui si elles s’insèrent dans un contexte culturel. Il faut donc que le gouvernement fasse en sorte que les lettres comme les sciences disposent dans les universités de ce qui leur est nécessaire en matière de personnel enseignant et d’équipements éducatifs.
16Il n’est pas question dans l’énoncé des objectifs éducatifs du pays d’éducation universitaire gratuite. Même dans les enseignements primaire et secondaire, la gratuité n’existe pas. En insérant la phrase « dans la mesure du possible », la Constitution laisse la décision du moment où l’éducation gratuite entrera en vigueur aux mains du gouvernement qui sera au pouvoir à un moment donné. Un gouvernement peut décider d’instaurer la gratuité des enseignements primaire et secondaire alors qu’un autre dira qu’elle n’est pas réalisable. C’est sans doute pourquoi le gouvernement actuel limite son Programme d’éducation de base universelle ( Universal Basic Education ou UBE) aux écoles primaires et secondaires de premier cycle.
L’éducation universitaire sur la liste législative applicable
17Aux termes de la Constitution de 1999, l’éducation universitaire figure sur la liste législative applicable. La Section 28 de la deuxième partie (Liste législative applicable) déclare, entre autres :
« Le pouvoir conféré à l’Assemblée nationale aux termes de l’alinéa 27 de ce point comprend le pouvoir de créer un établissement dans le but de dispenser l’enseignement universitaire, post-primaire, technologique ou professionnel. »
De même, il est stipulé, entre autres, à la Section 30 :
« Dans l’alinéa qui précède, rien ne doit être interprété comme pouvant limiter le pouvoir d’une Assemblée de légiférer (….)
pour l’État, concernant l’enseignement technique, professionnel, post-primaire, primaire ou d’autres formes d’éducation, y compris la création d’établissements servant à dispenser cette éducation. »
19Il ressort de ces dispositions que les administrations, tant fédérale que celles des états, sont libres de fonder et de faire fonctionner des universités. En application de ces dispositions, quelques administrations régionales ont d’ailleurs, depuis le retour du Nigeria au régime démocratique en mai 1999, créé leurs propres universités. Ces universités comprennent Ebonyi State University, Abakaliki ; Kogi State University, Ayingba ; Adekunle Ajasin University, Akungba-Akoko ; et Kano University of Technology (JAMB, 2001). Cela nous ramène sans doute à l’époque de la Deuxième République (1979-1983) quand treize universités ont été créées en quatre ans par les administrations fédérales et régionales (Ajayi, 1990). Au cours de cette période, un Gouverneur d’État, s’adressant à une réunion du Comité des vice-chanceliers, a déclaré :
« Nous sommes aujourd’hui à une époque de prolifération des universités.
Que cela vous plaise ou non, de nouvelles universités seront forcément créées pour bien des raisons, dont des considérations politiques » (Ogunsola, 1983).
21Alors qu’un nouveau gouvernement démocratique est en place, sommes-nous revenus à une époque de prolifération des universités ? C’est une question à laquelle doivent répondre les Nigérians et le gouvernement.
Les universités privées
22Sous l’administration démocratique de la Deuxième République ( 1979 - 1983), des efforts ont été tentés pour implanter au Nigeria des universités privées. Ajayi ( 1990) rapporte que des propositions ont été soumises par des individus et des entreprises en vue de la création dans le pays d’universités privées. Déclarées illégales au départ par le gouvernement d’alors, les universités privées ont reçu l’appui juridique d’un jugement de la Cour suprême du 30 mars 1983, en faveur de l’Imo Technical University, fondée par le Dr. Basil Ukaegbu. Mais lors du retour au pouvoir de l’administration militaire en décembre 1983, toutes les universités privées ont été proscrites. Cependant, le même régime militaire a ensuite donné son aval aux universités privées par la promulgation du Décret N° 9 ( National Minimum Standard and Establishment of Institutions Amendment ) sur l’éducation de 1993. C’est ainsi que le 10 mai 1999, trois universités privées ont reçu du gouvernement militaire l’autorisation de fonctionner. Il s’agissait de Babcock University, d’Igbinedion University et de Madonna University. Entre temps, d’autres universités privées ont reçu l’aval de l’administration fédérale. En fait, les universités privées se sont développées au fil des années dans d’autres régions d’Afrique, notamment au Kenya et en Afrique du Sud. Addison ( 1995) fait observer qu’au Kenya, le nombre des universités privées est passé d’une seule en 1980 à onze en 1993. Il ajoute que les étudiants cherchent à être admis dans les universités privées à cause des grèves et fermetures régulières qui caractérisent souvent les universités publiques. C’est à ce propos qu’Obanya ( 1999) a convenu que les directives pour la création d’universités privées au Nigeria devaient être assouplies, afin que les personnes qui ont des idées au sujet de l’éducation universitaire soient encouragées à les mettre à l’épreuve. Il estime que c’est de l’une de ces universités que pourrait venir le modèle merveilleux de l’enseignement supérieur de demain qui servirait de modèle aux critiques et aux législateurs.
23Mais même si la création d’universités privées est souhaitable, il est essentiel de faire preuve d’une grande prudence. La prolifération de ces établissements doit être strictement maîtrisée et suivie. La Commission nationale des universités ( National Universities Commission ou NUC) doit être renforcée pour veiller au respect des normes. Depuis que la Cour suprême a légalisé les universités privées en 1983, il est fort probable, maintenant que le pays a réintégré la voie démocratique, que l’on verra augmenter le nombre des universités privées.
24C’est pourquoi il convient de prêter attention aux questions qui se posent à propos de ces universités privées, et qui ont été évoquées antérieurement par le Syndicat du personnel enseignant des universités ( Academic Staff Union of Universities ASUU). Ces questions concernent :
- la capacité de la NUC d’imposer des normes académiques minimales dans les universités ;
- l’aptitude des universités à assurer des conditions de service garanties ;
- la capacité et la volonté des propriétaires privés de fournir un financement suffisant aux universités privées ;
- leur volonté de s’engager à garantir la liberté intellectuelle et l’autonomie des universités ;
- la pérennité de ces universités privées qui serait plus sûrement assurée si leur création dépendait d’entreprises plutôt que de personnes privées (Arikewuyo, 2000).
25Telles sont quelques-unes des questions que l’administration fédérale doit examiner avant d’approuver la création dans le pays de toute université privée.
Vers une gouvernance démocratique des universités au Nigeria
26Il ne fait aucun doute que la longue période de régime militaire au Nigeria a eu des effets néfastes sur l’esprit des citoyens. Le système universitaire nigérian a en fait été militarisé. Par exemple, les syndicats du personnel et des étudiants ont été successivement interdits et autorisés à divers moments du règne des militaires. Le Syndicat du personnel enseignant des universités ( Academic Staff Union of Universities ou ASUU) et l’Association nationale des étudiants nigérians ( National Association of Nigerian Students ou NANS) sont ceux qui ont été le plus durement frappés. De nombreux universitaires ont été licenciés, mis à la retraite, voire emprisonnés, par l’ancienne junte militaire. De nombreux dirigeants de mouvements étudiants ont, eux aussi, été arrêtés, emprisonnés ou chassés de l’université sans faire l’objet de procédures disciplinaires convenues. Le cas de l’Université de Ilorin est caractéristique à cet égard ; en effet, quarante-neuf maîtres de conférences ont été licenciés pour avoir participé à une grève nationale. Si une chose pareille peut arriver sous un gouvernement démocratique, le règne de la justice dans le système universitaire est encore loin.
27Qui plus est, de nombreux vice-chanceliers ont été démis de leurs fonctions pour ne pas s’être pliés aux directives du gouvernement militaire. Il s’ensuit que les universités nigérianes sont devenues de simples outils aux mains des militaires, à tel point que les divers organes de l’université, comme le Conseil et le Sénat, n’étaient pas autorisés à s’acquitter de leurs fonctions statutaires. Un général de division a même été nommé comme unique administrateur d’une université de la première génération. Par voie de conséquence, de nombreux vice-chanceliers se sont transformés en soldats revêtus de toges et donnant des ordres péremptoires aux doyens et aux chefs de départements, sans consultation préalable. Les facultés et départements n’étaient même pas autorisés à d’acquitter de leurs fonctions, et certains enseignants ont été réprimandés pour avoir enseigné ce qu’ils n’étaient pas payés pour enseigner. Ajayi ( 1989 ) cite le Professeur Oluwasanmi, ancien vice-chancelier d’une université nigériane, qui déclarait que c’est à partir de 1975 que l’on est réellement intervenu dans les affaires de l’université. (C’était l’époque du règne des militaires).
28Olorode ( 2001) décrit ainsi la situation des universités nigérianes sous le règne des militaires :
« … Les universités étaient soumises à une gouvernance arbitraire … Loin d’être les lieux où la justice et la vérité doivent être soigneusement entretenues, les universités vivaient de médiocrité et de mensonges.
L’avancement se faisait au favoritisme et à la flagornerie et la procédure d’admission était systématiquement bafouée par les épouses, les enfants et les séides des Vice-chanceliers qui jouissaient de leurs propres quotas d’entrées, sans tenir compte de la procédure établie. La gouvernance des universités devint imprévisible tandis que leur financement sombrait dans le désordre » (p. 32).
30C’est pourquoi, au moment où la démocratie véritable renaît au Nigeria, la conception par les administrateurs de la gouvernance universitaire doit prendre une orientation nouvelle. Arikewuyo ( 1997) avait déjà fait valoir que tous les éléments de l’université, à savoir le personnel enseignant et non enseignant, les étudiants et le public dans son ensemble, devaient participer à l’administration du système. Cette démocratisation suppose que tous ces éléments s’engagent résolument dans la prise de décision. Les administrateurs universitaires doivent être prêts à partager leur autorité avec leurs subordonnés. D’après Ejiogu ( 1987), cette participation va bien plus loin que l’engagement de la main et, ce qui est plus important, met en jeu l’esprit, le cœur et la tête.
31La liberté et l’autonomie universitaires doivent à présent être pleinement reconnues. Fort heureusement, la Politique nationale sur l’éducation (révisée) ( 1998) va dans ce sens. La Section 49 de la politique convient de ce qui suit :
- chaque établissement sera responsable de son organisation et de son administration internes ;
- la liberté intellectuelle des établissements s’exerce traditionnellement dans
les domaines suivants :
- ils choisissent leurs étudiants, à moins que la loi n’en dispose autrement;
- ils nomment leur propre personnel ;
- ils enseignent et choisissent les domaines de la recherche ;
- ils déterminent le contenu de leurs programmes.
32Mais il existe ici une restriction qui veut que le gouvernement continue à respecter cette liberté à condition que les domaines retenus soient conformes aux objectifs nationaux.
33Les gouvernements militaires antérieurs se sont souvent abrités derrière cette disposition pour empiéter sur la liberté intellectuelle et l’autonomie de l’université. La question qui se pose est la suivante : « En quoi consiste la non conformité avec les objectifs nationaux ? ». Tout gouvernement peut en décider de manière arbitraire. Même sous cette administration démocratique, un projet de loi intitulé « Projet de loi sur l’autonomie universitaire », qui cherche à amenuiser le rôle statutaire des divers organes de l’université, est actuellement soumis à l’Assemblée nationale. Divers organismes tels que l’ASUU s’y sont opposés, mais le gouvernement est décidé à l’imposer.
34Il se peut que le moyen le plus sûr de sortir de cette impasse consiste pour le gouvernement à permettre aux universités d’être régies par leurs statuts et leurs règles. Les universités doivent être perçues comme des établissements spécialisés qui ne peuvent être indûment bousculés. Elles doivent fonctionner conformément aux normes démocratiques reconnues.
35L’examen de la démocratie et de l’éducation universitaire au Nigeria ne serait pas complet si l’on n’évoquait pas la question du financement du système. Il s’agit d’un domaine litigieux au sujet duquel l’ASUU et le gouvernement s’affrontent depuis l’avènement du régime démocratique. Les dossiers montrent que les crédits alloués à l’éducation ont diminué, passant de 12 % du budget total en 1995 à 7 % en 2001.
36Même au cours de l’année 2003,13 milliards de NGN seulement, soit 1.81% des 765 milliards du budget total de l’administration fédérale, ont été alloués à l’éducation (Obasanjo, 2003 ). Doit-on en conclure que le gouvernement démocratique ne s’intéresse pas à l’éducation ? Seul l’avenir le dira.
Conclusion
37Il ne fait aucun doute qu’au rétablissement de la démocratie au Nigeria doit correspondre un changement de l’administration des universités, pour les faire passer du modèle militaire à une gouvernance constitutionnelle. Toutes les habitudes militaires doivent disparaître de l’administration universitaire. Les universités doivent être régies conformément à la Constitution du pays. Les administrateurs doivent réapprendre l’art de la gestion universitaire dans un contexte démocratique. La liberté intellectuelle doit désormais être respectée au Nigeria, contrairement à ce qui se passait du temps des militaires. Cette liberté suppose que la communauté intellectuelle soit en mesure de s’acquitter de ses tâches et d’assumer ses responsabilités sans interférence injustifiée. La notion de liberté intellectuelle porte en elle un sens inhérent d’engagement et de devoir qui se manifeste dans la pratique par la qualité des résultats. Dans cette acception, la liberté intellectuelle est, pour la société, bien plus une nécessité qu’un luxe (Chidam’ modzi, 1996). Modzi poursuit en soulignant que grâce à la liberté du développement intellectuel, l’on peut accéder à la perception critique apprécier les réalités existantes et, par conséquent, être capable de choisir et d’agir conformément aux principes de la justice objective. Sans doute la déclaration de CODESRIA sur la liberté intellectuelle devrait-elle être assimilée par le gouvernement nigérian. Selon cette organisation :
« Toute personne a droit à l’éducation et à une activité intellectuelle …
L’État doit s’abstenir d’exercer la censure sur les travaux de la communauté intellectuelle (et) s’assurer qu’aucun organe officiel ou autre sous sa tutelle ne produise ou ne mette en circulation de fausses informations ou rumeurs tendant à menacer, discréditer ou contrecarrer d’une quelconque manière les efforts de la communauté intellectuelle. »
39Il s’ensuit que la liberté d’enseigner et de publier des universitaires en leur qualité d’intellectuels doit être respectée pour que les universités puissent s’acquitter de leurs fonctions.
40Enfin, ceux à qui appartiennent les universités (qu’il s’agisse de l’État ou de personnes privées) doivent respecter les droits humains fondamentaux tels qu’ils sont inclus dans la Constitution. Les droits humains fondamentaux, tels que le droit à la vie, la liberté de pensée, de conscience et de religion, l’absence de discrimination, le droit à la justice et la liberté d’expression doivent être respectés.
41Espérons que si ces dispositions constitutionnelles sont suivies et que les universités fonctionnent conformément aux normes internationales, les tensions baisseront, favorisant du même coup l’enseignement, la recherche et les services pour lesquels les universités ont été créées.
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