« L’un des meilleurs côtés du travail à l’université est que l’on vous encourage à pratiquer l’exploration intellectuelle. On vous laisse aussi tester vos idées sur des étudiants sans méfiance. » (Présentation d’un cours donné sur Internet par un maître de conférence d’une université américaine)
« Au cours des trois dernières années, le gouvernement a augmenté l’investissement dans la recherche et le développement, formulé de nouvelles stratégies de l’enseignement tertiaire, créé des centres d’excellence dans la recherche, et soutenu la commercialisation de la recherche en mettant en place le Fonds de capital risque ( Venture
Investment Fund ). » (Ministre néo-zélandais de la Recherche, de la Science et de la Technologie, Transforming New Zealand. Research and innovation – drivers of growth )
« Je veux être psychologue clinicien et faire de la recherche car je crois que les problèmes affectifs des individus peuvent être résolus en modifiant leur façon de percevoir ou de penser leur univers… J’espère pouvoir aider les gens à résoudre leurs problèmes et à vivre mieux. » (Déclaration autobiographique d’un étudiant en psychologie non résident au début de ses études de maîtrise)
3Il se trouve que ces trois textes sont arrivés sur notre bureau le même jour. Comment concilier des mentalités, des valeurs et des conceptions du monde aussi différentes en apparence ? Les universitaires pensent-ils participer à un plan gouvernemental magnifique, destiné à instaurer une « économie du savoir » ? Les objectifs de l’action gouvernementale déterminent-ils les stratégies des administrateurs de l’université ou les rêves des étudiants ? Les structures de l’enseignement tertiaire favorisent-elles ces mesures ? Jusqu’à quel point comprend-on les objectifs et les attentes professionnelles du personnel universitaire, et que savons-nous de la motivation en général qui pourrait être utilisé de manière constructive pour favoriser l’acquisition du savoir et la productivité de chaque universitaire ? On examine dans cet article les méthodes utilisées pour motiver l’apport des universitaires à l’enseignement supérieur dans les contextes économiques actuels, en conciliant les réalités psychologiques et politiques et en étudiant les possibilités qui pourraient, dans ce climat social, faciliter la réussite des jeunes érudits en puissance.
Antécédents
4Dans la tradition des universités les plus prestigieuses du monde, le corps professoral joue un rôle central à la fois dans la découverte des connaissances nouvelles et dans leur transmission aux générations suivantes. Les universitaires sont attirés vers l’enseignement supérieur par la passion de leur discipline et de la poursuite du savoir. Ceux qui parviennent au rang le plus élevé du corps professoral ont été reconnus par leurs pairs pour leur contribution à la recherche et à l’enseignement. Jamais un universitaire n’a été incité à travailler dur et à parvenir à l’excellence pour des raisons financières : la quête intellectuelle de savoirs est son principal moteur. A contrecœur il est vrai, la société confère à ces savants un respect, des privilèges et un soutien financier acceptables, comme en témoigne le fait que l’université est considérée comme un « lieu d’asile » (Sassower, 2000) depuis le IXe siècle. L’essence même de l’université tient au fait qu’elle est le bastion de la poursuite inconditionnelle d’intérêts ésotériques.
5Depuis quelques années, toutefois, l’université et le corps professoral ont été de plus en plus scrutés et confrontés à des exigences d’utilité, de transparence et de productivité formulées en des termes qui sont étrangers au monde traditionnel de la science. La rhétorique des affaires a imprégné les structures et les modes de fonctionnement de l’université (Olssen, 2002). On attend des universités qu’elles répondent aux attentes des pouvoirs publics en contribuant directement à la croissance économique à une époque où le financement public a diminué par rapport aux coûts de fonctionnement de l’université. Chez nous, en Nouvelle-Zélande, un vice-chancelier a récemment parlé avec mépris de « la recherche sans contrainte » comme d’un privilège exorbitant qui ne se situe pas au cœur de l’existence intellectuelle. Dans ce contexte, on demande de plus en plus aux dirigeants universitaires d’avoir des compétences en matière de gestion et des relations politiques (voir Yount, 1996). Alors qu’autrefois, le président d’une université était un chercheur jouissant d’une renommée internationale qui avait fait son chemin grâce à ses travaux et aux fonctions de direction qu’il avait exercées, ceux que l’on choisit aujourd’hui pour jouer ce rôle viennent de plus en plus souvent de l’extérieur – du monde de l’entreprise, de l’armée ou de l’administration.
6La recherche de fonds privés, les partenariats avec les entreprises et la commercialisation de la recherche sont des sources de revenus supplémentaires, mais s’assortissent de formes de responsabilité particulières qui leur sont propres et ne coïncident pas nécessairement avec les divers intérêts du corps enseignant. Les universitaires doivent respecter des calendriers dictés par des contrats conclus en fonction d’accords contractuels avec les entreprises dans un contexte nouveau marqué par les négociations au sujet de la propriété intellectuelle et du capital savoir. L’enseignement n’est pas non plus à l’abri, car la conception des cursus et des programmes professionnels obéit davantage aux impératifs du « marché » des étudiants qu’aux bonnes idées des universitaires les plus éminents, tandis que les étudiants répondent désormais à l’appellation exaspérante de « clients » – James ( 2001) fait valoir que l’étiquette de « patients » leur conviendrait bien mieux ! On peut donner comme exemple de la pression économique qui pèse sur les universités pour les inciter à augmenter leur productivité afin de conserver le soutien des pouvoirs publics le mouvement international intitulé Performance-Based Research Funding (PBRF) (financement de la recherche en fonction des résultats). Du fait que les pouvoirs publics considèrent le financement comme un « investissement » dans la production de savoir, les allocations de crédits sont de plus en plus concurrentielles et liées aux résultats de la recherche de chaque établissement (OCDE, 1997). Cette pression se transmet ensuite au niveau du corps professoral et de sa productivité, et devient même parfois menaçante.
7Alors que l’on demande aux universités de réduire les coûts tout en améliorant la qualité de l’enseignement et de l’apprentissage, on demande au personnel universitaire d’en faire plus avec moins de ressources – et selon des modalités qui s’écartent sensiblement des pratiques habituelles de l’enseignement supérieur. Smith ( 2000) fait remarquer que si l’université d’aujourd’hui parvient à faire face aux exigences diverses malgré les ressources limitées dont elle dispose, c’est précisément du fait de la responsabilité collective d’un corps enseignant qui se charge volontairement de générer et de transmettre les connaissances nouvelles. Il est évident que les structures collégiales d’une université moderne sont différentes des structures hiérarchiques de certaines entreprises, mais elles le sont plus encore de l’interface commerciale entre l’objectif du profit et les incitations offertes aux salariés. Pour répondre à des exigences de production comme celles du PBRF, le corps professoral fait désormais l’objet de politiques directoriales conçues pour le motiver, le soutenir, le stimuler et le récompenser afin d’accroître la recherche et l’acquisition du savoir, de crainte que l’établissement ne perde une part du marché de la propriété intellectuelle et des effectifs étudiants. Il n’existe pas, ou guère, de recherche empirique sur la motivation des enseignants pour éclairer la politique des instances dirigeantes. Mais une bonne théorie peut être éminemment pratique. Dans la section suivante, nous nous inspirons de principes généraux tirés de la psychologie de la motivation et de la compétence afin de mettre en lumière les questions qui pourraient être étudiées par les administrateurs.
Qu’est-ce qui motive réellement les professeurs d’université ?
8Le corps professoral de l’université se compose d’experts dans leurs disciplines respectives qui ont choisi de faire carrière dans le système tertiaire. Les solutions de remplacement ne manquent pas : à l’heure actuelle, la plupart des spécialisations permettent de travailler en dehors de l’université, en sortant le plus souvent de l’enseignement supérieur bien avant le moment où on le quitte pour devenir maître de conférences (par exemple, dans la comptabilité, l’ingénierie, la psychologie clinique ou la biochimie). Le choix d’une carrière peut obéir à l’intérêt intrinsèque porté à un domaine précis, à la passion d’en savoir plus et de devenir expert dans le domaine choisi et/ou au désir d’enseigner et donc de transmettre l’amour du savoir à la génération suivante. Qu’est-ce qui incite les maîtres de conférences qui poursuivent leurs études au-delà du premier cycle – remettant à plus tard la possibilité de gagner convenablement leur vie et prolongeant de plusieurs années leur période d’endettement – afin de se lancer dans une carrière de professeur d’université ? Quels sont les mécanismes de motivation qui justifient ce retard prolongé de toute gratification ? Et si des mécanismes tels que le PBRF doivent obtenir les résultats souhaités, dans quelles conditions les enseignants seront-ils ensuite motivés de l’extérieur par des incitations monétaires ou d’autres renforts externes ?
9L’un des aspects à prendre en compte quand on analyse les résultats universitaires est la différence entre motivations intrinsèques et extrinsèques – entre faire quelque chose pour l’amour de la tâche à accomplir et le faire pour gagner une récompense sans rapport avec cette tâche. Une autre question importante concerne la motivation de la réalisation – parvenir à une forme quelconque de réussite ou éviter l’échec. On peut aussi, en troisième lieu, dire que toute motivation relève pour l’essentiel de l’hédonisme – mais pour se sentir bien, il faut autre chose que rechercher des récompenses (carottes) ou éviter la douleur (bâtons). Certaines personnes semblent être ce que l’on appelle sensibles à la gratification – c’est à dire que la récompense a plus d’effet sur eux que la punition – alors que d’autres ont besoin d’éviter l’inconfort.
Motivation intrinsèque ou extrinsèque
10L’un des débats les plus anciens qui anime la théorie de la motivation concerne la question de savoir si, en reconnaissant par une récompense extérieure des activités qui sont intrinsèquement gratifiantes, on entrave en fait la production ou on la réduit, surtout si les récompenses extérieures deviennent moins disponibles (Evans, 2001). On admet en général que si l’effet de rebond négatif n’est pas un phénomène universel, les contingences extérieures agissent de façon imprévisible sur les comportements déterminés par des motivations intrinsèques. Dans le milieu universitaire, la passion que l’on éprouve pour le domaine choisi ne suffit pas à motiver la production, car il est parfaitement possible de lire et d’étudier tout ce qui concerne une discipline que l’on aime sans pour autant y contribuer de connaissances nouvelles de son cru. Il nous faut donc examiner les modalités des récompenses internes (satisfaction) et externes (augmentations salariales), ainsi que leurs critères d’application. Dans une enquête portant sur le corps professoral, Leslie ( 2002) constate qu’il n’y a pas de corrélation entre le salaire et la satisfaction au travail. La même enquête démontre que « les enseignants sont très disposés à enseigner, passent le plus clair de leur temps à enseigner et préfèrent être récompensés pour leur compétence pédagogique, alors que les établissements les récompensent en fait pour d’autres raisons » (p. 68).
11Une solution envisageable consisterait à allouer les récompenses
externes (celles qui relèvent de l’établissement) pour marquer l’appréciation,
non de ce que les enseignants font de toute façon, mais plutôt des activités
aptes à fournir aux universitaires une satisfaction intrinsèque qui transcende
la motivation essentielle liée à leur engagement dans la discipline de leur
choix. Il nous semble que les catégories suivantes de récompenses
correspondent à ce niveau intermédiaire de satisfaction personnelle, car elles
transcendent la gamme des récompenses matérielles qui sont normalement à
la portée des administrateurs de l’enseignement tertiaire (notamment la
titularisation, les augmentations salariales et l’avancement) :
Le désir de progresser dans son domaine d’intérêt : L’intérêt porté à un
domaine d’étude n’est pas suffisant pour inciter à la production, mais il
semble que le désir d’y contribuer constitue bel et bien une motivation. Ce
désir peut parfois s’exprimer par la volonté d’être cité par d’autres ou bien de
contester ou d’infirmer les arguments avancés par d’autres chercheurs.
12La reconnaissance des pairs ; Une deuxième motivation étroitement liée à la première est le besoin d’être reconnu par ses pairs. Il y a certains enseignants dont on lit les travaux, que l’on rencontre à l’occasion des conférences et dont on reconnaît qu’ils ont influé sur ses réflexions et ses découvertes propres. Cette reconnaissance des égaux a nettement plus de valeur pour les universitaires que la reconnaissance qui se manifeste à l’intérieur de l’université mais en dehors de sa propre discipline (Leslie, 2002).
13La fierté de voir son nom à l’affiche : Nous n’avons jamais rencontré un collègue, qu’il soit enseignant ou étudiant diplômé, qui n’aime pas voir son nom imprimé ! Tous les universitaires que nous connaissons prennent plaisir à montrer un nouveau livre ou un tiré à part dès sa parution, relisent leurs écrits quand ils sont publiés pour la première fois et cherchent leur nom à l’index de tout nouvel ouvrage. Mais pour que les comportements soient renforcés de la sorte, ils doivent d’abord être établis. il est donc essentiel de conférer aux étudiants de 3e cycle ou aux enseignants débutants des compétences particulières, et notamment de leur apprendre à gérer le refus de leurs œuvres par les éditeurs.
14Ces petites satisfactions d’amour propre sont donc simples à susciter car il est facile de les favoriser au moyen d’incitations institutionnelles moins tangibles, telles qu’un bon soutien technique, des congés d’étude, l’attribution d’espace supplémentaire au laboratoire ou d’installations informatiques, et d’une culture administrative qui trouve tout naturel de financer les échanges collégiaux, les colloques internationaux, la fréquentation des conférences, etc.
Faire des mobiles des objectifs plutôt que des pulsions
15D’après l’un des arguments courants de la théorie psychologique de la motivation, on peut considérer la motivation comme une nécessité interne qui pousse l’individu à agir. On estime notamment que la volonté de réussir est le résultat d’un conflit entre la recherche du succès et la crainte de l’échec. Les individus motivés par la réussite sont fiers de concourir et de gagner (McClelland, 1961). Selon une autre forme plus récente de la théorie de la motivation, les mobiles seraient des objectifs qui poussent l’individu vers l’action. Il est bien connu que les individus qui se fixent des objectifs relevant de l’acquisition des connaissances ont tendance à utiliser des stratégies autorégulatrices et à se centrer sur les aspects les plus importants d’une tâche, comme la recherche de qualité. Inversement, quand ils adoptent des objectifs de résultats, par exemple, quand ils cherchent à avoir plusieurs publications citées en référence, leur quête d’érudition est en général plus superficielle (Ames, 1992). Ces rapports varient quelque peu selon que l’individu recherche la réussite ou évite l’échec. Les individus centrés sur les résultats qui cherchent à réussir sont généralement compétitifs et adoptent des stratégies qui produisent des résultats. Ceux dont le but est d’éviter l’échec réduisent leurs efforts et sont moins persévérants dans l’exécution de leurs tâches ; en ne se donnant pas beaucoup de mal, ils se trouvent des excuses qui leur permettent de ne pas perdre la face malgré leurs résultats médiocres (Higgins, 1997). Pour former des savants productifs qui font un travail excellent, il faudrait donc avoir affaire à des personnes qui ne craignent pas l’échec, ou n’ont pas été induits à le craindre, et que l’on encourage à axer leurs efforts sur la contribution que peut apporter leur travail plutôt que sur le niveau général de leurs résultats.
16La réussite peut être uniquement réservée à l’individu ou être recherchée pour le plus grand bien du groupe ; les finalités sociales ont une très forte influence sur la plupart des gens. Dans le contexte universitaire, nous avons vu bien des chercheurs qui travaillent d’arrache pied dans l’intérêt d’une petite équipe de recherche ou d’un laboratoire, mais il est rare de les entendre dire que leur travail a pour but le bien de l’université tout entière. Il arrive même que le personnel universitaire se félicite de ne pas œuvrer pour l’établissement dans son ensemble, surtout s’il manifeste un certain cynisme à l’égard des valeurs prônées par les instances dirigeantes de l’université. Les objectifs sociaux, tels que le désir d’être accepté et apprécié par ses pairs, la volonté de partage et le plaisir de jouir d’une certaine respectabilité, ont des effets complexes sur la réussite universitaire. C’est ainsi que les contextes institutionnels qui favorisent la concurrence et l’autonomie peuvent ne pas convenir aux individus qui, par suite de leur appartenance à l’un ou l’autre sexe ou de leurs antécédents culturels, adhèrent à des valeurs plus sociales et moins individuelles. Winter et Sarros ( 2002) démontrent que pour inciter les individus à rechercher plus ardemment la réussite dans l’enseignement et l’apprentissage, il ne faut pas tant mesurer la productivité, que faire remonter l’information de façon constructive et encourageante dans le contexte des valeurs universitaires. La recherche menée par Doring ( 2002) amène à penser que l’examen annuel des résultats, conduit sur le mode confidentiel avec l’intéressé, a plus de chances d’avoir un effet positif sur son comportement professionnel que les stratégies qui risquent de l’humilier en public et de lui faire perdre la face.
La théorie de la valeur personnelle
17Dans tout groupe qui apprécie la compétence professionnelle de haut niveau, la valeur personnelle est le plus souvent mesurée en fonction de certains critères de résultats (tels que les notes obtenues au cours des études de premier cycle), que l’individu soit orienté vers l’acquisition des connaissances ou vers les résultats. Les universités valorisent de façon plus spectaculaire cette prime sociale à la compétence au moyen de termes relativement vides de sens, comme la « recherche de l’excellence » qui revient comme un mantra dans le discours de maints présidents d’universités. On peut dire de la réussite qu’elle consiste à répondre à ses propres critères d’excellence, ce qui favorise un travail universitaire soutenu, ou qu’elle revient à réussir mieux que les autres, ce qui amène à utiliser des tactiques d’évitement de l’échec pour ne pas paraître incompétent.
18Les tactiques destinées à réduire le risque d’échec amènent l’individu à diminuer ses efforts et à adopter un comportement dit autodestructeur (Thompson, 1993). A cette catégorie appartiennent divers comportements que l’on observe dans les communautés universitaires et qui fournissent à certains savants des moyens faciles pour excuser l’échec possible, tels que la procrastination et la fixation d’objectifs impossibles à atteindre. Le pessimisme défensif est une stratégie connexe décrite par les psychologues : elle consiste à gérer son angoisse en réduisant de façon irréaliste ses chances de succès ou en dévaluant l’importance de son activité. Nous trouvons donc des universitaires qui minimisent la valeur des résultats ou refusent d’admettre qu’ils peuvent être productifs étant donné le haut niveau des autres exigences auxquelles ils ont à faire face et le peu de temps dont ils disposent.
Les systèmes de récompense
19Chaque université codifie à sa manière les raisons d’évaluer un enseignant, d’estimer qu’il a réussi et de lui allouer une récompense. Il existe une interaction entre ces conditions et les variables d’objectif inhérentes au système de motivation de chaque universitaire. Ainsi, le système de motivation est différent pour chaque personne tandis que les modalités d’attribution des récompenses à l’intérieur d’un établissement d’enseignement tertiaire donné sont fixes. Quant à savoir si le système peut être personnalisé afin de donner le maximum de poids aux variables qui sont propres à chaque individu, il s’agit d’une question fondamentale dès lors qu’on cherche à mettre en place une gestion efficace. A l’heure actuelle, nous avons l’impression que l’on ne fait rien, ou pas grand-chose, pour personnaliser les structures de récompense, mais qu’à différentes époques, et alors que des pressions gouvernementales et sociales différentes s’exercent sur l’université, diverses stratégies sont mises à l’épreuve, ce qui n’a d’autre effet que de défavoriser un groupe au profit d’un autre. Le tableau 1 donne des exemples des types de stratégies que nous avons entendu proposer dans diverses tribunes par ceux qui souhaitent augmenter la productivité de l’université.
20Ces idées reposaient sans aucun doute sur de bonnes intentions, mais aucune donnée empirique ne prouve que l’une d’entre elles ait réellement réussi à modifier le comportement des chercheurs ou à augmenter la productivité de la recherche. En outre, nous notons qu’il s’agit bien « d’idées » et que les administrateurs qui les proposent ont rarement les connaissances en sciences sociales qui leur feraient comprendre qu’une intervention peut avoir, outre ses effets voulus, des effets non prévus. Dans le tableau 1, nous indiquons quelques effets négatifs non prévus que pourraient induire ces stratégies en particulier – non pour décourager ces initiatives, mais pour faire prendre conscience des variables qu’il faut prendre en compte pour démontrer l’efficacité de l’intervention. La colonne intitulée « Modalités de suivi » est restée vide, mais exigerait la conceptualisation et le choix des méthodologies à mettre en œuvre pour aborder l’une quelconque de ces questions. Il est paradoxal de constater qu’une institution sociale consacrée à la recherche et à la validation de connaissances nouvelles – nos universités – continue d’agir en se fondant sur des convictions et des hypothèses au lieu de comprendre qu’il s’agit de questions empiriques qui doivent être validées par les résultats de l’expérience. Il serait bon que les instances dirigeantes procèdent à l’analyse théorique des résultats négatifs non voulus qui pourraient se produire et élaborent des stratégies destinées à suivre ces résultats, au lieu de partir naïvement du principe que le seul résultat obtenu sera le résultat positif attendu.
Stratégies destinées à accroître la productivité des universitaires
Stratégies destinées à accroître la productivité des universitaires
21Bien entendu, les pouvoirs publics apprécient les méthodes de financement de la recherche comportant plusieurs options, et adoptent inévitablement une stratégie de mise en concurrence des chercheurs bien établis qui doivent s’affronter pour obtenir leur part des fonds limités mis à disposition. Le PBRF est sans doute le complément naturel de cette stratégie puisque l’établissement d’enseignement tertiaire tout entier est tenu de faire la preuve de sa productivité afin de garder les fonds alloués à la recherche et ne pas être relégué au rang « d’établissement ne pratiquant que l’enseignement ». Au lieu de cela, les pouvoirs publics pourraient s’engager à financer toutes les propositions dignes d’intérêt. Si cette stratégie peut sembler onéreuse, elle l’est sans doute moins qu’un système qui aboutit à former des chercheurs orientés vers les résultats qui se mesurent les uns aux autres et qui débouche sur des résultats négatifs non voulus, comme la présence d’un grand nombre d’universitaires certes compétents, mais déçus et frustrés. Harman ( 2000) a aussi noté les conséquences négatives graves que pourrait avoir le Research Assessment Exercise (RAE) en Grande-Bretagne ; elles comprennent le changement de nature de certaines documentations scientifiques qui pourrait nuire à la diffusion des connaissances nouvelles et à la pratique du partage de ces connaissances au sein de la communauté scientifique, et s’avérer particulièrement néfaste dans les sciences humaines (Bernard, 2000 ; Harley, 2002). Le RAE est tout à la fois une évaluation de la qualité de la recherche et un outil de gestion pour l’allocation des crédits de recherche, comme le souligne Thomas ( 2001). Dans son analyse des données recueillies au cours d’entretiens vers le milieu des années 90, il souligne le risque de voir cet exercice marginaliser certains membres du personnel qui estiment que l’enseignement constitue leur apport principal. Si ces catégories de personnel se sentent dévalorisées, à un moment où nos universités doivent de plus en plus s’efforcer de satisfaire la diversité des besoins des étudiants, les conséquences pourraient être graves pour les étudiants et pour le système dans son ensemble.
22Comme Covington ( 2000) l’a écrit, les stratégies telles que le PBRF résultent « d’une interprétation erronée très répandue de la théorie de l’entraînement qui suppose que [les enseignants] accèdent aux exigences [institutionnelles] à condition que [les administrateurs] soient en mesure de leur accorder les récompenses qui conviennent ou de les menacer des châtiments adaptés, et que moins les récompenses offertes sont nombreuses, plus les enseignants s’acharneront à les obtenir ». (p. 185)
Ce qui menace la volonté de réussir et nuit à la productivité
23Outre les structures de motivation qui peuvent être entretenues, la productivité durable se heurte à des obstacles qui relèvent de l’affectivité et de la motivation et dont les administrateurs doivent être conscients. Comme nous l’avons vu, certaines personnes sont fortement motivées par l’obtention de récompenses alors qu’il est plus important pour d’autres d’éviter les sanctions. La volonté d’éviter l’échec peut être un puissant moteur du comportement qui incite les individus à cesser tout effort pour éviter les jugements négatifs, qu’ils émanent de soi-même ou des autres, qui pourraient sanctionner le manque de succès malgré l’effort. Cette construction psychologique explique pourquoi l’auteur qui reçoit une lettre de refus envoyée par une revue préférera souvent ne plus soumettre d’articles plutôt que de réviser et de renvoyer la communication refusée. Elle amène aussi à penser que divers systèmes de récompense – mis en place pour valoriser les résultats de certaines personnes – pourraient être ouvertement repoussés par d’autres, qui refuseraient même par la suite d’apporter une contribution de niveau inférieur mais non dénuée d’intérêt, aux résultats de la recherche, le risque étant pour le personnel universitaire de s’exposer à des comparaisons embarrassantes avec les collègues plus productifs. Une fois de plus, il s’agit de phénomènes relevant des sciences sociales qui préfigurent les résultats négatifs malencontreux des plans les mieux ourdis par les hauts dirigeants et des instances gouvernementales pour faire augmenter la productivité.
La réactance et le cynisme
24Le phénomène de réactance est un principe bien établi de la psychologie sociale. Les personnes qui ont l’impression d’être manipulées ou maîtrisées résistent autant qu’elles le peuvent à ces influences extérieures. Sachant à quel point l’autonomie et l’indépendance de la pensée et de l’action sont des notions appréciées dans le cadre universitaire, on peut supposer que la réactance sera particulièrement forte quand des contingences formelles destinées à accroître la productivité du corps professoral sont imposées.
25Parmi les autres obstacles qui semblent particulièrement inhérents au milieu universitaire figurent les sentiments tels que le cynisme, l’impuissance acquise, et l’amenuisement de l’enthousiasme qui induisait autrefois une productivité de si haut niveau. Il est bien connu que l’approbation sociale influe sur le comportement en proportion directe de la valeur attribuée par l’individu à l’agent social dont elle émane. C’est pourquoi, la perte de confiance dans l’équipe dirigeante de l’université peut avoir des conséquences graves, d’autant que tout porte à croire que la confiance est plus facile à détruire qu’à créer. Slovic ( 1999 ) note certains mécanismes fondamentaux de la psychologie :
- Les événements négatifs (qui détruisent la confiance) sont plus spécifiques et donc plus marquants que les évènements positifs (créateurs de confiance) mais moins distincts.
- Quand ils sont bien définis et retiennent notre attention, les évènements négatifs pèsent bien plus lourd que les évènements positifs.
- Les sources de mauvaises nouvelles (qui détruisent la confiance) sont perçues comme plus crédibles que les sources de bonnes nouvelles.
- Une fois qu’elle s’est installée, la méfiance tend à se renforcer et à se perpétuer, car elle induit le genre de comportement qui freine les contacts personnels et les expériences qui sont nécessaires pour la surmonter.
26Le tableau 2 en donne un exemple. Ce jeu-concours établi par un syndicat d’enseignants, est paru dans le journal des étudiants de l’université en prévision du choix d’un nouveau vice-chancelier. L’interprétation cynique de divers comportements qui transparaît dans le questionnaire illustre l’effet général de la perte de confiance qui fait suite à plusieurs licenciements. Doring ( 2002) fait valoir que les enseignant qui se considèrent plutôt comme les victimes du changement que ses acteurs ne sont guère enclins à inciter leurs étudiants à participer aux débats, à relever les défis et à réfléchir, ce qui se traduit par des résultats négatifs concernant la qualité de l’apprentissage des étudiants.
La répartition du temps
27Contrairement au paradigme comportemental commun qui fait de la production du travail la mesure de choix (taux de réponse), la productivité de la recherche signifie bien davantage que le temps qui y est consacré. Le temps passé doit se traduire par des résultats de valeur, dans l'acception générale du terme. Selon l'analyse du comportement, les contingences de renforcement spécifiques imposées aux enseignants doivent définir de façon prévisible les durées relatives consacrées à l'enseignement et à la recherche. Selon l'une des principales explications des contingences de renforcement évoquées par la science du comportement sous sa forme contemporaine, les réactions obtenues en réponse influent d'ailleurs sur la façon dont l'individu répartit son temps. A l'université, les principales exigences temporelles sont, au départ, l'enseignement dispensé en cours, et l'instruction directe donnée aux étudiants, qui s'assortissent de la préparation des cours, des lectures, de l'élaboration des matériels didactiques, de la notation et de l'information communiquée en retour aux étudiants (Fairweather, 1996). Ces activités comportent en général des limites et des exigences temporelles précises et ne sont donc pas faciles à réaménager, notamment pour des enseignants peu expérimentés. La deuxième exigence temporelle correspond aux diverses formes d'administration, de travail en commission, de supervision, d'entretiens d'ordre général – toutes les activités que l'on inclut habituellement dans l'idée de « service ». La troisième activité, et la plus facile à aménager, consiste à élaborer la recherche, à lire et à étudier les problèmes qui se posent, à mener des études ou à superviser les études conduites par les autres, à gérer un laboratoire, à rédiger des descriptifs de subvention, à trier et à analyser les données et à écrire des articles, des chapitres et des livres en vue de leur publication.
Table 2. Exemple d’article satirique paru dans une revue d’étudiants
Instructions : Vérifiez sans risque d’erreur au moyen de ce jeu-concours vos aptitudes à occuper le poste de vice-chancelier
Question 1. Les étudiants sont :
- Une lourde charge et cette université se porterait mieux sans eux.
- Leurs droits d’inscription paient mon salaire, donc je pense que nous avons certaines obligations à leur égard.
- La raison d’être de cette université, pour préparer nos meilleurs éléments et nos jeunes les plus doués à leur carrière future.
- Une lourde charge et présomptueux avec ça !
- Un groupe de salariés de l’université.
- L’épine dorsale de toute université et notre atout le plus précieux.
- Est la démonstration visible du fabuleux héritage que je laisse à l’université.
- Sert à loger mon bureau et peut-être des clases pour les étudiants.
- Est moins importante qu’un excellent personnel et que toutes les ressources nécessaires à l’enseignement.
- « Si je veux connaître votre opinion, je vous en donnerai une. »
- « Je veux être un meneur d’hommes et pratiquer le changement constructif. »
- « Mon travail consiste à apporter mon soutien complet au personnel universitaire pour que cette université soit la meilleure possible pour les étudiants. »
-
Une entreprise.
Une université légèrement orientée vers la recherche commerciale. - Un centre d’études supérieures et de recherche et un haut lieu de la liberté de l’enseignement.
28Les universitaires ont coutume de dire sur le mode de la plaisanterie pendant les périodes de vacances que l'établissement est vraiment un endroit formidable quand les étudiants n'y sont pas. Bien entendu, il est rare qu'ils le pensent vraiment, car l'enseignement et le travail avec les étudiants doivent représenter une grande part de la vie universitaire et de ses plaisirs – c'est plutôt l'administration dont ils se passeraient facilement (Staniforth et Harland, 1999). Suivant une opinion commune, il semble cependant que les aspects réellement importants et appréciés du statut d'universitaire soient pour chacun les activités de quête de connaissances nouvelles, de recherche et d'écriture. Quand le personnel universitaire parle de la « charge de travail », il ne s'agit le plus souvent que de la charge d'enseignement, car c'est à un travail fructueux de recherche que l'on consacrerait son temps si l'on pouvait réduire le temps passé à enseigner. La situation idéale pour nombre d'enseignants universitaires est l'année sabbatique ou le semestre où ils sont dispensés d'enseignement – les moments où ils peuvent se livrer au véritable travail de l'université. La difficulté pour la plupart des enseignants consiste donc à répartir leur temps quand il existe une certaine obligation d'enseigner. Pour l'administration de l'enseignement tertiaire, il s'agit de s'assurer que la productivité du personnel parvient à établir un équilibre entre la formation d'esprits vifs et éclairés (l'enseignement) et la production de connaissances nouvelles (recherche, acquisition de savoirs, création). Le personnel universitaire fait souvent observer qu'il n'est pas productif en matière de recherche, parce que les charges d'enseignement et de service sont trop lourdes. Il existe cependant des enseignants qui réussissent à consacrer du temps à la recherche et à l'écriture malgré des charges de travail similaires. Qu'est-ce qui rend nos « vedettes » capables de répartir les heures de la journée de telle façon que la recherche puisse s'accomplir et se diffuser ?
29Certains facteurs semblent permettre aux individus de consacrer du temps aux activités de recherche, et la tâche des instances dirigeantes pourrait être d'aider les universitaires à analyser la nécessaire distribution de leur temps. Ils peuvent notamment assigner moins de temps à l'enseignement en prenant conscience de ce qu'ils ne sont pas tenus d'être parfaits, ou en se dotant de stratégies efficaces de préparation et de notation. Ils doivent aussi être capables de se consacrer régulièrement à des activités qui ne comportent pas de dates butoir immédiates. Dans le domaine de la recherche, seules les pressions émanant d'un rédacteur en chef ou d'un directeur de revue qui réclame un travail promis ou la date limite de soumission d'une demande de subvention les incitent réellement à mener une tâche à son terme. Ces impératifs sont très différents des obligations de la notation, des cours à donner et des réunions avec les étudiants qui, si elles ne sont pas remplies à temps, entraînent des conséquences immédiates. Enfin, pour la rédaction et la recherche dans certaines disciplines, et sans doute pour certaines personnalités, il est particulièrement important de prévoir un état de « flux ». Il s'agit d'un état, décrit par le psychologue social M. Csiksentmihalyi ( 1990), dans lequel les individus sont entièrement absorbés par une tâche, et y consacrent toute leur attention au point de perdre la notion du temps et de l'espace. C'est dans cet état que les gens apprennent le mieux et avec le plus de plaisir, sans être menacés de sanctions. Les instances dirigeantes de l'université feraient bien de se demander si l'enseignement par semestre, les programmes modulaires, l'enseignement « par tranches », les cours d'été et autres moyens de rentabiliser l'enseignement et les équipements n'ont pas pour effet involontaire de compromettre l'absorption totale des chercheurs.
L’inquiétude et le stress
30En plus des variables dont nous savons qu'elles accroissent la motivation, il arrive dans certains cas précis que cette augmentation ne se traduise pas par une amélioration des résultats. On peut en donner comme exemple le cas où la motivation de résultat est si forte qu'elle génère une inquiétude et des tensions qui nuisent à la performance. On estime en général que la performance optimale résulte d'un niveau moyen de motivation, tout excès dans un sens ou l'autre étant préjudiciable.
31Les menaces, les stratégies punitives fondées sur la honte et l'humiliation, les exercices de mise à pied dans lesquels la continuation de l'emploi est décidée en fonction de la productivité récente de la recherche, ont tous pour effet d'inquiéter le personnel universitaire. Dans une étude passionnante consacrée aux suppressions de programmes dans les universités, Eckel ( 2002) relève que nombre de ces suppressions relèvent davantage d'un caprice que d'une stratégie. Si les compressions budgétaires sont sans doute indispensables, le domaine dans lequel elles interviennent dépend souvent plus de ce que les administrateurs peuvent se permettre que de la nécessité. Dans ces cas, les licenciements sont douloureux et induisent des bouleversements et des rancœurs pour un retour financier minime.
32L'inquiétude nuit aux résultats, en particulier dans les tâches complexes telles que la production de savoir. Elle amène aussi certains universitaires qui tendent à éviter les sanctions à imputer à d'autres leur manque de productivité. Nous avons entendu nombre de commentaires défensifs de ce type au cours de nos années d'expérience : les enseignants peuvent prétendre être surchargés de cours, ce qui les empêche de faire de la recherche et de publier (« Cette université est mal gérée »). D'autres peuvent dénaturer la qualité et la valeur exactes de leur production (« Je publie dans des revues non référencées pour atteindre un public plus divers »). Certains portent des jugements défavorables sur la productivité d'autres chercheurs en dévalorisant leur travail qui ne ferait pas le poids comparé à la « véritable » érudition.
L’insuffisance des compétences
33Enfin, l'une des grandes raisons de la faible productivité de la recherche tient simplement au fait que certains chercheurs manquent des compétences essentielles à la mise en œuvre de la recherche et à la publication de ses résultats. Dans la plupart des organisations ayant des activités diverses, le personnel peut se voir confier des tâches différentes en fonction des niveaux avérés de compétence ou de formation. Mais s'agissant de la productivité de la recherche que l'université a tant besoin de préserver et d'accroître, on part du principe que tous les individus désignés pour intégrer les diverses disciplines détiennent des compétences initiales de même niveau. Les déficits de compétence peuvent être particulièrement sensibles dans l'enseignement tertiaire au Royaume-Uni, en Australie ou en Nouvelle-Zélande où la préparation d'un doctorat (en dehors des sciences naturelles) continue d'être fortement axée sur la production d'un seul grand travail de recherche, tandis que les expériences instructives couvrant la gamme des activités qui composent la vie future d'un universitaire sont rares (Deem et Brehony, 2000). Pour remédier à cet isolement par rapport à la culture de la recherche, les instituts universitaires de recherche devraient enseigner des stratégies d'apprentissage permettant aux étudiants de tirer le maximum de profit des avantages que peut offrir le milieu universitaire. En même temps, le personnel enseignant devrait bénéficier d'une formation préparant à superviser la recherche et à promouvoir l'image des étudiants de troisième cycle dans leur rôle de « collègues débutants » – pour citer un concept spécialement mis au point par l'excellent programme de psychologie clinique de l'University of West Virginia.
34Après la fin des études supérieures et la nomination, nous comptons sur les réseaux informels de soutien et de transmission entre collègues pour assurer la continuation du processus éducatif. C'est ainsi que les normes qui ne reconnaissent que la publication en tant qu'auteur unique ou premier risquent d'avoir des effets involontaires qui ne sont pas difficiles à prévoir. Se peut-il que certains systèmes de financement finissent par éliminer les incitations aux activités de soutien essentielles qui donnent aux universitaires débutants confiance dans leur propre efficacité ? Comment les universités pourraient-elles alors assurer les activités d'enrichissement des connaissances conçues à l'intention de son personnel de recherche moins expérimenté, voire de ses futures « vedettes » ? Heureusement, certaines universités mettent un point d'honneur à valoriser les publications d'enseignants dans lesquelles les étudiants sont cités comme co-auteurs. C'est ce qui s'est passé à l'Université d'État de New York à Binghamton, bien qu'il soit paradoxal de constater que ce même établissement a eu du mal à donner une chaire à quelqu'un qui signait toutes ses publications en qualité d'auteur en second. Le chercheur en question ne semblait pas particulièrement intéressé par la mise en œuvre de son propre programme de recherche, mais grâce à ses capacités de soutien et de tutorat des étudiants diplômés, de conception de la recherche et de statistiques, il avait établi une relation de travail fructueuse avec un collègue plus créatif mais moins méthodique. Est-il réellement possible de dire, dans ces conditions, qui contribue le plus, en dernière analyse, à l'avancement du savoir ?
Incidences : équité apparente des motivations
35Comme nous l'avons vu, le principal obstacle à la productivité universitaire serait, d'après la théorie des objectifs, la rareté des récompenses qui incite le corps professoral à éviter l'échec plutôt que de rechercher la réussite. L'alternative consisterait à promouvoir diverses incitations qui reconnaissent les progrès et l'évolution des universitaires, indépendamment des possibilités, de la formation et de la position antérieures. Sachant que les membres du corps professoral ne sont pas tous également productifs et ne font pas tous des étincelles au cours de leur carrière universitaire, il est important, si l'on suit ce raisonnement, de mettre en place une équité des motivations. Parmi les méthodes étudiées dans un contexte d'apprentissage figurent la fixation d'objectifs personnels et l'évaluation des enseignants en fonction de leur réalisation. Les administrateurs de l'université devront faire preuve d'une grande retenue et résister à la tentation de fixer des repères de productivité universels (ou « taille unique »), comme s'il n'existait qu'une seule norme de productivité universitaire.
36Il est peu probable que nous parvenions à inverser la tendance des pouvoirs publics qui, dans leur désir de capter la vague du savoir, tentent de chevaucher des vaguelettes, et notamment celle d'une gestion simpliste, qui sont déjà retombées au moment même où les hommes politiques espèrent s'en servir pour parvenir à bon port. Les dirigeants de l'université auraient un rôle de premier plan à jouer en protégeant le corps professoral des sottises et des excès de ces discours au lieu de les adopter. S'il est vrai que le corps professoral manifeste un cynisme intense à l'égard du langage de la gestion, ne devrait-il pas être possible pour les dirigeants universitaires d'éviter de véhiculer la terminologie et les stratégies implicites des programmes gouvernementaux ? Nous n'arrivons pas à comprendre pourquoi, dans leurs efforts pour tenir compte des réalités politiques à l'intérieur desquelles les universités financées par les fonds publics doivent fonctionner, les administrateurs universitaires (qui devraient être plus avisés) sont prêts à adopter des normes de pratique, des modalités de décision « de haut en bas », des critères d'examen et des distributions de récompenses qui sont rejetés en bloc par tout universitaire, ou vont directement à l'encontre d'une productivité volontaire et soutenue. Le personnel universitaire a quelques points communs avec l'âne, notamment l'entêtement, la capacité de travail et parfois la difficulté à aller de l'avant, mais le parallèle ne vaut plus quant il s'agit de récompenses et de sanctions réelles. Il importe de consacrer bien plus d'attention aux motivations indispensables aux érudits modernes : bâtons et carottes ne peuvent être des outils de gestion efficaces. Ils risquent au contraire d'aller à l'encontre des buts recherchés et d'empêcher nos universités d'attirer et de retenir les dirigeants qui sont l'essence même de l'institution.
Bibliographie
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