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Article de revue

Entretien avec Robin D. G. Kelley : penser la continuité des luttes pour l’égalité raciale

Pages 113 à 124

Notes

  • [1]
    L’initiative appelée « ban the box » vise à faire disparaître la case que doit cocher tout ancien condamné à la prison lorsqu’il postule à un emploi. Cette initiative invite les employeurs à considérer les qualifications du demandeur d’emploi plutôt que son éventuel passé judiciaire.
  • [2]
    L’initiative « My Brother’s Keeper » (Gardien de mon frère) lancée par Barack Obama en 2014 cherche à offrir aux jeunes, notamment africains-américains, de meilleures chances de réussite, par exemple à l’école. L’initiative a été critiquée pour ne pas concerner les filles et les jeunes femmes.
  • [3]
    Le 17 juin 2015, Dylann Roof, un jeune suprémaciste blanc, a abattu neuf personnes noires à l’intérieur de l’Emanuel African Methodist Episcopal Church de Charleston en Caroline du Sud.
  • [4]
    La « guerre à la drogue » fut déclarée par Richard Nixon en 1972 et mise en œuvre par Ronald Reagan dans les années 1980. Cette « guerre » visa essentiellement les minorités raciales et conduisit à une explosion de leurs taux d’incarcération. La « guerre à la terreur » fut déclarée par George W. Bush au lendemain des attaques du 11 septembre 2001.
  • [5]
    Keeanga-Yamahtta Taylor, From #BlackLivesMatter to Black Liberation: Racism & Civil Rights, Chicago, Haymarket Books, 2016.
  • [6]
    Voir Robin D. G. Kelley, « Why We Won’t Wait: Resisting the War Against the Black and Brown Underclass », counterpunch.org, 26 novembre 2014.
  • [7]
    Robin D. G. Kelley, Freedom Dreams: The Black Radical Imagination, Boston, Beacon Press, 2002, not. p. 78.
  • [8]
    Robin D. G. Kelley, « The U.S. v. Trayvon Martin: How the System Worked », hufftingtonpost.com, 15 juillet 2013.
  • [9]
    Un grand nombre d’immigrants européens en Amérique du nord jusqu’au XVIIIe siècle furent des travailleurs serviles (indentured servants) vendant leur force de travail à un maître leur payant voyage, gîte et couvert pour quelques années. L’importation d’esclaves, plus rentable, remplaça progressivement ce système.
  • [10]
    Emmett Till est un adolescent africain-américain de 14 ans qui, dans la ville de Money dans le Mississippi, fut enlevé, battu, torturé et mis à mort par un groupe de blancs pour avoir supposément regardé ou sifflé une femme blanche. Son corps mutilé fut retrouvé dans une rivière puis, à la demande de sa famille, publiquement exposé pour montrer les effets de la violence raciste. La mort de Trayvon Martin a été rapprochée de celle d’Emmett Till (voir Elijah Anderson, « Emmett and Trayvon », Washington Monthly, janvier/février 2013).
  • [11]
    Immigré libérien de 23 ans, Amadou Diallo fut abattu de 41 balles par quatre officiers de police à New York le 4 février 1999.
  • [12]
    Robin D. G. Kelley, Freedom Dreams, op. cit., p. 9.
  • [13]
    Voir Kwame Ture (Stokely Carmichael) et Charles V. Hamilton, Black Power : The Politics of Liberation in America, New York, Random House, 1967.
  • [14]
    Voir Robin D. G. Kelley, « Thinking Dialectically: What Grace Lee Boggs Taught Me », kzoo.edu, 13 octobre 2015.
  • [15]
    Voir Robert Allen, Black Awakening in Capitalist America, Garden City, N.Y., Doubleday & Co., 1969 ; The Damned, Lessons from the Damned: Class Struggle in the Black Community, Ojai, Calif., Times Change Press, 1973.
  • [16]
    « Let them eat pollution », The Economist, 8 février 1992. Disponible en ligne : http://isites.harvard.edu/fs/docs/icb.topic1188138.files/Week_11/Summers_1991.pdf. Page consultée le 15 février 2016.
  • [17]
    Le 7 février 2016, lors de la mi-temps du Super Bowl organisé à Santa Clara en Californie (à quelques kilomètres d’Oakland, le lieu de naissance du Black Panther Party for Self-Defense, exactement cinquante ans plus tôt), Beyoncé a interprété le titre « Formation » avec une troupe de danseuses habillées en Black Panthers et dont un passage fait référence au milliardaire : « I just might be a black Bill Gates in the making! »
  • [18]
    Le mari de Beyoncé, le rappeur Jay-Z, est l’auteur et, avec Alicia Keys, l’interprète du titre « Empire State of Mind » sorti en 2009 sur l’album The Blueprint 3. Énorme succès commercial, « Empire State of Mind » joue sur le nom de l’État de New York et du fameux gratte-ciel de Manhattan pour célébrer le rêve américain.
English version

1Robin D. G. Kelley est Professeur d’histoire américaine et d’études noires à l’Université de Californie Los Angeles. Spécialiste d’histoire africaine-américaine, ses recherches intéressent notamment l’histoire des mouvements sociaux aux États-Unis, de la construction de la race, de la diaspora africaine, de l’impérialisme colonial, des intellectuels et musiciens noirs. Nombre de ses ouvrages sont devenus des références, comme Hammer and Hoe : Alabama Communists During the Great Depression (1990) ; Race Rebels: Culture, Politics, and the Black Working Class (1994) ; Yo’ Mama’s DisFunktional!: Fighting the Culture Wars in Urban America (1997) ; Freedom Dreams: The Black Radical Imagination (2002) ; Thelonious Monk: The Life and Times of an American Original (2009) ; Africa Speaks, America Answers: Modern Jazz in Revolutionary Times (2012).

2Nicolas Martin-Breteau : Après deux mandats en tant que président, que pensez-vous du bilan de Barack Obama sur les questions raciales ? Certains pensent que le Affordable Care Act (aussi appelé Obamacare) est le seul succès, bien que fragile, d’Obama dans sa politique envers les minorités raciales. Êtes-vous d’accord ?

3Robin D. G. Kelley : J’ai tendance à être prudent lorsqu’il s’agit de tenir le président pour responsable de l’échec des politiques publiques. Il existe des contraintes constitutionnelles encadrant son action (sauf, apparemment, pour déclarer la guerre n’importe où sur la planète). Ceci dit, le bilan d’Obama sur les questions raciales est, sans surprise, médiocre.

4S’il avait cherché à gouverner depuis une position anti-raciste, il en aurait été empêché dans pratiquement tous les cas. Il le savait et, bien que cela n’ait pas fonctionné, a choisi d’atténuer ou d’ignorer le racisme structurel de la société américaine afin de désarmer ses opposants. Pourtant, le racisme auquel son administration (et le pays dans son ensemble) a dû faire face pendant sa présidence fut sans doute le plus virulent depuis les années 1980.

5En tout cas, la question du système judiciaire constitua l’un des sujets sur lesquels Obama fit des incursions à la fois symboliques et significatives – en libérant certains petits délinquants, en rencontrant des prisonniers, en proposant des mesures pour « cacher la case » [1], etc. À mon avis, son initiative dirigée vers les adolescents noirs [2] joue sur le registre des arguments de la « culture de la pauvreté » selon lesquels la violence et l’inégalité raciale peuvent être expliquées par l’attitude des noirs. (Cette politique ignore d’ailleurs les besoins pressants des filles et des jeunes femmes africaines-américaines.)

6On va m’accuser d’être beaucoup trop dur envers le président. Mais quand vous regardez ce qui s’est passé au cours de son dernier mandat – la vague de personnes tuées par la police, le massacre à Charleston [3], l’augmentation des actes ouvertement racistes sur les campus universitaires – s’il y avait un moment pour agir de façon déterminée, c’était bien maintenant. Obama a donné quelques bons sermons mais a davantage fait part de sa révolte sur la question des armes à feu que sur celle des attaques terroristes et des meurtres par la police commis sur des noirs.

7En outre, il continue à superviser la déportation de masse de travailleurs sans-papiers en provenance du Mexique, d’Amérique centrale et d’Haïti (mais pas de ceux en provenance d’Europe de l’est ou d’Israël, dont le nombre est plus faible mais néanmoins significatif), et il continue à diriger des opérations militaires contre les « pauvres de couleur » du monde entier par l’intermédiaire de frappes de drones et autres opérations militaires. Toute analyse des positions d’Obama vis-à-vis des questions de race doit considérer ce fait.

8NMB: Comment considérez-vous l’état de l’Amérique noire aujourd’hui en termes de droits civiques et sociaux ? Quel est votre sentiment vis-à-vis du débat récurrent opposant progression et régression depuis le Mouvement des droits civiques des années 1950 et 1960 ?

9RK: En fait, je ne pense jamais en termes de progression ou de régression, mais en termes de luttes qui se poursuivent – en termes de luttes dont les résultats produisent à la fois de nouvelles opportunités et de nouveaux défis. Lorsqu’on a l’impression que les conditions changent (par exemple en matière d’inégalité des revenus, d’accès à l’emploi, à l’éducation, au logement, au vote, en matière de protection contre les discriminations, etc.), je pense que c’est presque toujours lié au niveau d’organisation politique au sein des populations défavorisées (aggrieved). C’est pourquoi je suis réticent à faire des comparaisons avec les années 1950 et 1960. On peut évidemment mesurer des progressions ou des régressions entre cette époque et la nôtre. Mais les conditions et l’horizon de possibilité étaient alors radicalement différents.

10Dans les années 1950 et 1960, nous connaissions une économie capitaliste en expansion, un État-Providence, des processus de décolonisation et une population carcérale réduite ; aujourd’hui, nous avons une économie néolibérale, un État policier et militaire en expansion (à cause de la « guerre à la drogue » et de la « guerre à la terreur » [4]), un État-Providence en déperdition, une maind’œuvre pauvre, flexible et mobile née des politiques d’ajustement structurel et de la guerre, une incarcération de masse, un très grand nombre de sans-abris (notamment africains-américains). En résumé, ce ne sont pas les différences quantitatives ou mesurables qui importent, mais les différences qualitatives : la transformation de l’économie globale vers une économie de concentration massive des richesses, faite de précarité, de guerre et de prison.

11Ainsi, l’idée de plus en plus répandue selon laquelle nous aurions atteint un état d’égalité raciale (colorblindness) constitue l’une des évolutions les plus dommageables et dangereuses de la dernière décennie – bien que cette idée soit très ancienne et n’ait cessé de réapparaître depuis le début du xxe siècle. Pour moi, la présence visible de personnes noires à des positions de pouvoir, que ce soit dans l’appareil d’État ou dans la société civile, n’est pas un signe de progrès. Le plus souvent, dans leur position de pouvoir, d’autorité et de richesse, ces personnes poursuivent ou soutiennent des politiques et des actions qui limitent les opportunités de tous les autres. À l’intérieur de la communauté noire américaine, nous constatons ainsi un fossé béant en termes de richesses et de revenu. Comme Keeanga-Yamahtta Taylor le signale dans From #BlackLivesMatter to Black Liberation[5], les Africains-Américains appartenant au 1 % les plus riches représentent environ 16 000 personnes sur les 14 millions de familles noires aux États-Unis. Leur valeur nette (net value) est de 1,2 milliards de dollars, en comparaison des 6 000 dollars de la famille noire moyenne.

12NMB: Dans un article récent, vous déclariez qu’une guerre est actuellement livrée contre les personnes de couleur aux États-Unis [6]. Vous avez également décrit les soulèvements dans les ghettos noirs et la répression policière et gouvernementale des années 1960 comme une guerre civile [7]. Comment expliquez-vous cet état de guerre apparemment sans fin ?

13RK: Ceci est mon interprétation, non pas simplement d’ailleurs de l’histoire des États-Unis, mais de l’histoire occidentale elle-même – une histoire qui s’est actualisée à travers la guerre, ni plus ni moins. Les développements clés qui firent de l’Europe une puissance globale et transforma le monde atlantique en son empire puis en de puissantes forces économiques et politiques furent les processus d’enclosure, d’esclavage et de dépossession. Tous furent des actes de guerre violents. Je considère cela comme la plus grande vague de crimes dans l’histoire mondiale – Marx la nomma « accumulation primitive du capital ». Ces guerres accouchèrent du monde moderne qui lui-même inventa le Noir, l’Oriental, l’Indien, le Sauvage comme moyens de créer l’Homme Européen. Mais nombre de personnes en Europe furent également victimes de ces guerres – le nouveau prolétariat, les juifs, les Irlandais, les Roms, les soi-disant « slaves », les sans-culottes, etc. À un certain moment dans l’histoire, certaines de ces personnes durent adhérer à une appartenance raciale pour laquelle ils ne reçurent que très peu de bénéfices matériels – au moins au début.

14Mais ce qui fait de ce processus une guerre toujours en cours (je ne dirais pas « sans fin ») est le refus de se soumettre. La guerre pour coloniser, déposséder, asservir et subjuguer est aussi une guerre pour décoloniser, reposséder, émanciper et démocratiser – une lutte des sujets racialisés et colonisés pour mettre fin à la guerre brutale du capitalisme racial, pour restaurer les communs, pour apporter au monde la paix et un nouvel ordre démocratique. Je ne traite donc pas ces conflits comme des événements isolés mais comme un continuum.

15NMB: L’idée d’un moment « post-racial » soi-disant ouvert avec l’élection d’Obama en 2008 est désormais critiquée. Certains vont même jusqu’à dire que les États-Unis vivraient une « Seconde Rédemption » en référence aux attaques systématiques des suprémacistes blancs contre les droits des Africains-Américains au lendemain de la guerre de Sécession. Pensez-vous que les États-Unis connaissent aujourd’hui ce type de réaction ?

16RK: Comme je l’a dit, je suis réticent à l’égard de tels parallèles. À la place, il est plus juste de dire que les forces de la réaction raciste, ou « rédemption », n’ont jamais disparu. Elles ont toujours été avec nous, avec des hauts et des bas, changeant de forme et de tactique. L’élection d’Obama entraîna un haut, manifeste dans le renforcement du Tea Party, les menaces de mort qu’il a reçu et le racisme flagrant qui sembla se répandre après son élection en 2008. Mais personne parmi mes connaissances n’a jamais pensé que l’arrivée d’Obama à la Maison-Blanche avait marqué un quelconque moment « post-racial ».

17D’un autre côté, si nous voulons jouer avec ce parallèle ou cette analogie, souvenons-nous que l’idée d’une Rédemption se diffusa dans les années 1870, avec l’émergence du Ku Klux Klan, les massacres de Républicains noirs, le retrait des troupes fédérales du Sud, etc., c’est-à-dire en même temps que se structurait une coalition radicale dans les années 1880, réunissant les Républicains, le Greenback Labor Party, les Chevaliers du Travail et les Populistes. C’était une époque radicale acceptant des coalitions bi-raciales et un jeu démocratique dans le Sud permettant aux Africains-Américains, dans certains cas, de continuer à voter et à se faire élire jusqu’au début des années 1890.

18Transportons-nous jusqu’à la présidence Obama, également marquée par la résurgence d’une opposition de gauche et d’une révolte démocratique de grande ampleur. Si l’on considère 2011 : Occupy Wall Street, révolte dans le Wisconsin, résistances à la privatisation de l’eau et au démembrement de la démocratie locale à Détroit – sans compter la situation mondiale : révoltes étudiantes au Chili, anti-austérité en Grèce et en Espagne, Printemps arabe, manifestations dans votre pays. En d’autres termes, on peut dire que les mêmes conditions qui permirent l’élection d’un candidat noir néolibéral passant pour un Démocrate très à gauche, héritant de la pire crise économique depuis la Grande Dépression, amenèrent aussi Occupy Wall Street.

19NMB: Vous avez utilisé ce que vous appelez l’« idéologie du colonialisme d’installation » (ideology of settler colonialism) pour expliquer la permanence de l’injustice raciale au cœur du système judiciaire américain [8]. Pourriez-vous nous en dire davantage sur cette idéologie ? En quoi ce concept aide-t-il à comprendre la perpétuation de l’inégalité raciale aujourd’hui ?

20RK: Que signifie l’expression « colonialisme d’installation » ? Elle fait référence au processus par lequel des colons émigrent quelque part afin de s’y installer plutôt que simplement y exploiter le travail et les ressources indigènes avant de repartir.

21Parce qu’ils viennent pour s’installer, les colons entreprennent de réduire les populations indigènes par l’expropriation et le génocide ; parce que les sociétés de colons modernes étaient aussi des sociétés capitalistes gouvernées par les idées de souveraineté, de liberté et d’indépendance, le processus de dépossession a également requis la légitimation de la souveraineté coloniale à la fois sur la terre et sur les populations. Les colons pensaient que leurs droits civiques et la sécurité de leurs propres institutions démocratiques reposaient sur la subordination des peuples indigènes. C’est pourquoi les gouvernements républicains et les principes démocratiques peuvent aller de pair avec des politiques coloniales répressives fondées sur le racisme et l’exclusion. Et parce que les sociétés de colons en Amérique du nord furent aussi construites sur l’importation d’Africains réduits en esclavage, elles eurent à contrôler le travail forcé étranger ainsi que des classes populaires urbaines et rurales blanches de plus en plus indisciplinées.

22L’incorporation des travailleurs européens, autrefois forcés [9], à l’intérieur de cette idée mythique de race dominante (mythique parce que les travailleurs ne dominent rien) signifia que les distinctions de classe prirent l’apparence de distinctions de race – ce qui explique que George Zimmerman ait pu croire que Trayvon Martin n’était pas un intrus mais un ennemi ; même chose avec Darren Wilson [le policier qui tua Michael Brown à Ferguson en 2014], et on pourrait défendre exactement la même idée avec les policiers noirs qui finirent par tuer Freddie Gray [à Baltimore en 2015]. On n’a pas besoin d’une peau blanche pour participer à la perpétuation de cette structure de pouvoir et de subordination.

23Ainsi, pour le dire en des termes plus directs, les États-Unis furent fondés comme une république libérale, c’est-à-dire une démocratie de colons fondée sur les idéaux révolutionnaires de liberté universelle et de droits de l’homme précisément comme un moyen de consolider l’esclavage et de contrôler les blancs pauvres. Même si elle s’est transformée, c’est de cette société dont nous avons hérité.

24NMB: Depuis le début des années 2010, de nouvelles formes d’activisme politique ont émergé dans la communauté africaine-américaine comme en atteste le mouvement Black Lives Matter. Considérez-vous l’émergence de jeunes militants comme la promesse d’un nouveau Mouvement pour les droits civiques ?

25RK: D’abord, j’espère que nous n’avons pas affaire à un « nouveau » Mouvement pour les droits civiques, mais à un mouvement révolutionnaire qui cherche à renverser le statu quo, à transformer notre société, à mettre fin à toutes les formes d’oppression et d’exploitation.

26Le Mouvement pour les droits civiques peut se prévaloir de victoires tangibles : le Civil Rights Act de 1964, le Voting Rights Act de 1965 et le Fair Housing Act de 1968. Mais l’objectif de ce mouvement fut toujours de rendre le capitalisme libéral plus inclusif, les forces de police et militaires plus libérales, et la société plus compétitive au sens du libre marché. Ces victoires et les déclarations sur l’accomplissement de l’égalité raciale entraînèrent l’émergence d’un récit dangereux : le Mouvement pour les droits civiques serait l’histoire d’un gouvernement libéral engagé – moralement vivifié par la guerre contre le fascisme à l’étranger et la lutte pour l’inclusion des noirs à la maison – qui aurait pris des mesures courageuses pour éliminer la ségrégation légale et promouvoir l’égalité des chances.

27Ce récit national aseptisé ignore les principaux problèmes qui, sur la longue durée, déclenchèrent le Mouvement : la subordination violente des noirs par l’État et ses alliés para-militaires ; une taxation sans représentation ; le refus du droit de vote par la terreur et les stratagèmes administratifs ; une économie raciale dominée par un gouvernement qui supprima les salaires noirs, déposséda les noirs de la terre et de la propriété, les exclut de services publics égaux, et qui subventionna les différents privilèges sociaux des blancs par le biais de l’impôt. C’est la violence qui tint ensemble ce système précaire, et cette violence fut davantage un catalyseur pour l’activisme noir que pour un désir abstrait d’intégration. Par exemple, le meurtre du jeune Emmett Till en 1955 galvanisa la génération des droits civiques [10]. Mais même avant le lynchage brutal de Till, les violences policières représentaient un problème majeur pour les communautés noires à travers le pays.

28Cette violence n’a pas disparu. Au contraire, après les victoires du Mouvement dans les années 1960, les violences policières s’accentuèrent. De façon constante, entre 1964 et 1972, les incidents mettant en cause des violences policières provoquèrent des soulèvements dans quelque 300 villes. En fin de compte, ces soulèvements urbains impliquèrent près d’un demi-million d’Africains-Américain, se soldèrent par des millions de dollars de dommages matériels, firent 250 morts, 10 000 blessés graves tandis qu’un nombre incalculable de personnes perdirent leur logement. Ces morts et ces blessés furent très majoritairement noirs. La police et la Garde nationale transformèrent les quartiers noirs en zones de guerre, arrêtant au moins 60 000 personnes tout en ayant recourt à des chars d’assaut, des mitrailleuses lourdes et des gaz lacrymogènes pour pacifier ces communautés.

29J’ai déjà écrit sur ces questions, il y a 15 ans. Les mêmes choses furent plus ou moins répétées après qu’Amadou Diallo [11] a été tué – un événement suscitant une nouvelle forme d’activisme dans la communauté noire, de nouvelles mobilisations, des protestations et des perturbations massives. Je me souviens comment, dans années 1980, cette sorte d’incidents a suscité des déclarations sur un « nouveau » mouvement et un nouvel espoir. La seule chose qui semble vraiment nouvelle est le caractère multiracial des protestations. Comprenez-moi bien, je ne dis pas que le réseau et le mouvement Black Lives Matter tournent simplement leur roue en « répétant l’histoire », mais bien plutôt que ces mouvements doivent être regardés comme un moment dans une lutte de longue durée. Les arguments, les histoires et même les remèdes n’ont pas changé.

30NMB: Dans Freedom Dreams, vous avez montré comment les « mouvements sociaux génèrent des connaissances nouvelles, des théories nouvelles, des questions nouvelles » [12]. Par exemple, le concept de « racisme institutionnel » proposé en 1967 par le militant Kwame Ture (Stokely Carmichael) et l’universitaire Charles V. Hamilton a révolutionné notre compréhension du racisme [13]. Voyez-vous apparaître ce type de relations fructueuses entre activisme politique et recherche scientifique aujourd’hui ?

31RK: La réponse la plus courte est oui. Freedom Dreams examinait en effet le rapport entre les mouvements sociaux d’un côté et les idées, les analyses et les critiques de l’autre. Mais je ne veux pas suggérer que les mouvements produisent simplement la bonne ou la meilleure analyse – souvent leur conclusions sont erronées, menant à de mauvaises stratégies et à une compréhension limitée de la situation, de ce qui est en jeu, etc. Ceci n’est pas neuf : Gramsci l’avait dit avant ma naissance ! Le point central est que le terrain et le travail de la lutte pour faire face aux crises ou faire advenir le changement créent des conditions d’analyse et d’interprétation nouvelles. J’ai essayé d’illustrer ceci très récemment dans mon essai sur l’activiste Grace Lee Boggs [14].

32Ce qui se passe reste à observer. Cependant, je pense vraiment qu’il existe une tendance contre-productrice dans les médias sociaux et la « blogosphère » à ne pas penser et combattre collectivement, mais plutôt à faire des déclarations chacun depuis son perchoir, et quand quelqu’un formule une objection ou une critique de le qualifier de hater. C’est un nouveau phénomène que je n’arrive toujours pas à comprendre.

33En tout cas, le livre de Kwame Ture et Charles Hamilton, Black Power, avec toutes ses limitations notamment sur les questions sexuelles et de genre, ne fut pas produit par deux types intelligents dans une pièce. Ture développa la plupart de ses idées comme activiste au sein de SNCC (Student Nonviolent Coordinating Committee). En outre, ce livre ou même l’idée de racisme institutionnel ne peut être lu sans référence à tous les autres documents et déclarations provenant du mouvement à l’époque – depuis Black Awakening in Capitalist America de Robert Allen jusqu’à la critique féministe presque oubliée dans Lessons from the Damned: Class Struggle in the Black Community, et bien d’autres [15].

34NMB: Enfin, j’aimerais savoir comment vous voyez les effets du néolibéralisme sur les questions raciales aujourd’hui.

35RK: Je rencontre aujourd’hui un nombre grandissant de critiques de gauche proclamant la mort du néolibéralisme. Certain.e.s affirment que nous allons vers un régime plus régulé ou, dans le cas des pays du Sud, vers un philanthro-capitalisme (qui y implanterait agriculture, logements, production commerciale par l’intermédiaire de fondations). Les plus optimistes prédisent même la mort imminent de l’empire américain. Je suis moins enthousiaste parce que le néolibéralisme est bien vivace pour les Africains-Américains et d’innombrables personnes de couleur. Le régime néolibéral est un régime racial, et les homicides commis par des policiers n’en sont pas la seule preuve. La vague spectaculaire de violence cautionnée par l’État (state-sanctioned violence) a éclipsé les autres formes de violence néolibérale résultant de la privatisation de l’État et de l’attaque contre les communs. La pollution de l’eau domestique à Flint dans le Michigan en est un exemple typique.

36Voici la version courte de l’histoire : en 2014, un gestionnaire de crise (emergency manager), désigné par le Gouverneur du Michigan, Rick Snyder, pour superviser la gestion de Flint et réduire massivement ses dépenses afin d’alléger la dette de la ville et de l’État, a décidé de ne plus s’approvisionner en eau depuis la Detroit River mais depuis la Flint River, hautement toxique. Il s’est avéré en effet que la concentration de plomb dans cette eau y était 866 fois plus élevée que la limite légale autorisée par l’Agence de protection de l’environnement. Afin de faire des économies, les responsables en charge du nouveau système ont également arrêté le traitement chimique des canalisations en plomb de la ville. Les résultats furent mortels : les habitants sont tombés gravement malades, certains de légionellose, tandis que les enfants présentaient des symptômes d’empoisonnement au plomb. Ce n’est que lorsque les habitants ont commencé à mourir, les enfants à montrer des signes de déficience physique et mentale, et les communautés à protester vigoureusement que l’État a réagi – principalement en acheminant à Flint de l’eau en bouteille. (Alors que les habitants continuaient à recevoir des factures d’eau extrêmement élevées !)

37Cette histoire n’est pas un accident. C’est ce à quoi ressemble le néolibéralisme dans les communautés majoritairement noires et pauvres. D’une part, plus de la moitié de la population de Flint est noire, et représente la plus grande proportion des habitants vivant sous le seuil de pauvreté. Flint est la seconde ville la plus pauvre du pays, juste derrière Youngstown dans l’Ohio. D’autre part, le système de gestion de crise (emergency management system) mis en place dans le Michigan est un assaut direct contre la démocratie et un exemple des mesures d’austérité néolibérale que nous avons tendance à n’associer qu’avec la Grèce et Porto Rico. Le gestionnaire de crise est désigné par le gouverneur et habilité à congédier les élus, à abroger les contrats de travail, à vendre des biens publics et à imposer de nouveaux impôts – tout ceci sans le moindre vote de qui que ce soit. Sans surprise, les communautés de couleur sont particulièrement sujettes à cette sorte de dictature étatico-entreprenariale (corporate-state dictatorship). Dans le Michigan, par exemple, environ 49 % des Africains-Américains ne possèdent pas de gouvernement local élu et vivent sous l’autorité de gestionnaires de crise. À Detroit et Highland Park, la crise financière fut utilisée pour sabrer les retraites des salariés du public et pour privatiser et augmenter les coûts de la distribution d’eau. Des organisations comme Michigan Welfare Rights Organization et Blue Planet Project, parmi d’autres, sont allées devant les Nations Unies pour défendre l’idée que l’eau est un droit humain, et que couper l’eau à celles et ceux qui ne peuvent payer leur facture est une violation de ce droit.

38Bien sûr, quand vous creusez sous la surface, vous découvrez que la crise économique fut largement causée par des pratiques de crédit prédatrices, les entreprises de prêt immobilier soutenues par le gouvernement fédéral ciblant des personnes de couleur à revenus moyens ou faibles. Et quand les taux variables de ces emprunts ont explosé et que le marché immobilier s’est effondré, ceci a eu un effet domino sur l’économie.

39Et ce n’est qu’une partie de l’histoire. Quand Larry Summers était l’économiste en chef de la Banque mondiale, il a signé un memorandum qui se concluait ainsi : « Je pense que la logique économique derrière le déchargement d’un stock de déchets toxiques dans les pays à bas-salaires est impeccable et nous devrions l’accepter (we should face up to that) » [16]. Cette logique a depuis longtemps été étendue à ces régions d’Amérique traitées comme des colonies de l’intérieur : espaces ruraux dévastés par la pauvreté ou bien ghettos urbains. L’empoisonnement des habitants de Flint – sans parler des conditions de vie créées par le chômage de masse, le désinvestissement et l’incarcération de masse sous lesquelles la plupart des Africains-Américains vivent à travers notre pays – constitue, à certains égard, un génocide.

40Comme je l’ai déjà souligné, la vie noire à une époque néolibérale ressemble à un pendule, ou pire à un état schizophrénique dans lequel les plus grands triomphes et les plus grandes défaites semblent avoir lieu simultanément – elles paraissent en effet inséparables. Pourquoi ? Parce que certains de nos triomphes ne sont pas du tout des triomphes, mais de vraies défaites pour les salariés africains-américains et les pauvres en général qui passent pour des victoires symboliques. Ainsi, bien que l’élection d’Obama soit saluée comme le couronnement ultime du Mouvement pour les droits civiques et l’entrée dans une ère nouvelle d’égalité des chances (colorblindeness), les Américains noirs font face à une période terrifiante de mort, de violence, d’emprisonnement, de dépossession et à la fin d’un rêve américain dont nous avons jamais profité. Certains diront que les politiques que nous avons connues sous Obama étaient inévitables – après tout, le président est à la tête de l’empire, et Obama en particulier fut placé sous une pression énorme de la part de la droite qui a bloqué quasiment toutes les initiatives progressistes qu’il a proposées.

41Mais j’irais plus loin : ce qui assura l’élection d’Obama et sa poursuite de quatre décennies de politique néolibérale ne fut pas le Civil Rights ou le Black Power Movement mais l’effondrement de ces mouvements. Ce à quoi nous avons assisté fut la retraite du programme radical de SNCC, du Mississippi Freedom Democratic Party, du Civil Rights Congress, aussi bien que du Black Panther Party, de la National Welfare Rights Organization, de la Poor People’s Campaign, de la League of Revolutionary Black Workers, du Black Workers Congress, des Young Lords, du Combahee River Collective, de la National Black Feminist Organization, et de beaucoup d’autres. Ces mouvements appelaient non seulement à une expansion de l’État-Providence, exigeaient le plein-emploi, des salaires décents, une réforme agraire, parfois des réparations [pour les injustices raciales passées], la fin des violences policières, la garantie des droits génésiques des femmes, la fin de la guerre et la défaite de l’impérialisme américain à l’étranger. Nombre de ces mouvements ont été détruits par le même État sécuritaire (national security state) pour la défense et l’extension duquel le président Obama a dépensé une grande part de son capital politique.

42L’hypocrisie de la politique du symbole a tellement masqué les opérations du néolibéralisme américain ici aux États-Unis que la méga-star Beyoncé peut en toute impunité proposer un hommage national et spectaculaire au Black Panther Party, à Malcolm X, au mouvement Black Lives Matter, et aux victimes de Katrina à la mi-temps du Super Bowl en se vantant en même temps d’être une « Bill Gates noire » [17]. Les gens ont adoré ou détesté, mais peu ont interrogé ce fait. Il a fallu quelques minutes spectaculaires pour reléguer les Panthers au domaine de la nostalgie, à la fois désuets, inoffensifs et stylés, alors même que d’anciens Panthers croupissent encore aujourd’hui en prison. La reconnaissance des victimes de la violence policière a donné lieu à une forme de triomphalisme.

43Dans le même temps, moins d’une semaine après, Beyoncé annonçait la tenue prochaine d’une tournée en Israël, en violation avec le boycott culturel dénonçant l’occupation illégale de la bande Gaza par Israël, ses guerres contre Gaza, sa mise place et son maintien d’un régime d’apartheid dans la région. C’est un exemple frappant de politique néolibérale. Ou comme la moitié de Beyoncé, Jay-Z, le dirait : un « Empire State of Mind » [18]. Nous avons beaucoup de travail devant nous.

Notes

  • [1]
    L’initiative appelée « ban the box » vise à faire disparaître la case que doit cocher tout ancien condamné à la prison lorsqu’il postule à un emploi. Cette initiative invite les employeurs à considérer les qualifications du demandeur d’emploi plutôt que son éventuel passé judiciaire.
  • [2]
    L’initiative « My Brother’s Keeper » (Gardien de mon frère) lancée par Barack Obama en 2014 cherche à offrir aux jeunes, notamment africains-américains, de meilleures chances de réussite, par exemple à l’école. L’initiative a été critiquée pour ne pas concerner les filles et les jeunes femmes.
  • [3]
    Le 17 juin 2015, Dylann Roof, un jeune suprémaciste blanc, a abattu neuf personnes noires à l’intérieur de l’Emanuel African Methodist Episcopal Church de Charleston en Caroline du Sud.
  • [4]
    La « guerre à la drogue » fut déclarée par Richard Nixon en 1972 et mise en œuvre par Ronald Reagan dans les années 1980. Cette « guerre » visa essentiellement les minorités raciales et conduisit à une explosion de leurs taux d’incarcération. La « guerre à la terreur » fut déclarée par George W. Bush au lendemain des attaques du 11 septembre 2001.
  • [5]
    Keeanga-Yamahtta Taylor, From #BlackLivesMatter to Black Liberation: Racism & Civil Rights, Chicago, Haymarket Books, 2016.
  • [6]
    Voir Robin D. G. Kelley, « Why We Won’t Wait: Resisting the War Against the Black and Brown Underclass », counterpunch.org, 26 novembre 2014.
  • [7]
    Robin D. G. Kelley, Freedom Dreams: The Black Radical Imagination, Boston, Beacon Press, 2002, not. p. 78.
  • [8]
    Robin D. G. Kelley, « The U.S. v. Trayvon Martin: How the System Worked », hufftingtonpost.com, 15 juillet 2013.
  • [9]
    Un grand nombre d’immigrants européens en Amérique du nord jusqu’au XVIIIe siècle furent des travailleurs serviles (indentured servants) vendant leur force de travail à un maître leur payant voyage, gîte et couvert pour quelques années. L’importation d’esclaves, plus rentable, remplaça progressivement ce système.
  • [10]
    Emmett Till est un adolescent africain-américain de 14 ans qui, dans la ville de Money dans le Mississippi, fut enlevé, battu, torturé et mis à mort par un groupe de blancs pour avoir supposément regardé ou sifflé une femme blanche. Son corps mutilé fut retrouvé dans une rivière puis, à la demande de sa famille, publiquement exposé pour montrer les effets de la violence raciste. La mort de Trayvon Martin a été rapprochée de celle d’Emmett Till (voir Elijah Anderson, « Emmett and Trayvon », Washington Monthly, janvier/février 2013).
  • [11]
    Immigré libérien de 23 ans, Amadou Diallo fut abattu de 41 balles par quatre officiers de police à New York le 4 février 1999.
  • [12]
    Robin D. G. Kelley, Freedom Dreams, op. cit., p. 9.
  • [13]
    Voir Kwame Ture (Stokely Carmichael) et Charles V. Hamilton, Black Power : The Politics of Liberation in America, New York, Random House, 1967.
  • [14]
    Voir Robin D. G. Kelley, « Thinking Dialectically: What Grace Lee Boggs Taught Me », kzoo.edu, 13 octobre 2015.
  • [15]
    Voir Robert Allen, Black Awakening in Capitalist America, Garden City, N.Y., Doubleday & Co., 1969 ; The Damned, Lessons from the Damned: Class Struggle in the Black Community, Ojai, Calif., Times Change Press, 1973.
  • [16]
    « Let them eat pollution », The Economist, 8 février 1992. Disponible en ligne : http://isites.harvard.edu/fs/docs/icb.topic1188138.files/Week_11/Summers_1991.pdf. Page consultée le 15 février 2016.
  • [17]
    Le 7 février 2016, lors de la mi-temps du Super Bowl organisé à Santa Clara en Californie (à quelques kilomètres d’Oakland, le lieu de naissance du Black Panther Party for Self-Defense, exactement cinquante ans plus tôt), Beyoncé a interprété le titre « Formation » avec une troupe de danseuses habillées en Black Panthers et dont un passage fait référence au milliardaire : « I just might be a black Bill Gates in the making! »
  • [18]
    Le mari de Beyoncé, le rappeur Jay-Z, est l’auteur et, avec Alicia Keys, l’interprète du titre « Empire State of Mind » sorti en 2009 sur l’album The Blueprint 3. Énorme succès commercial, « Empire State of Mind » joue sur le nom de l’État de New York et du fameux gratte-ciel de Manhattan pour célébrer le rêve américain.
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