Notes
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[*]
Anne Deysine est professeur à l’université Paris X Nanterre. Parmi ses ouvrages, citons Les États-Unis aujourd’hui : permanence et changements, La Documentation française, La justice aux États-Unis, QSJ, et la participation à un ouvrage collectif sur le lobbying, sous la direction de Jean-Pierre Nioche, HEC, éditions Vuibert, 2009, à paraître.
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[1]
La campagne a été très disciplinée et très professionnelle avec une présence dans chacun des 50 États, aucun n’étant a priori abandonné aux républicains. Qui aurait prédit en 2006 que la Virginie ou la Floride voterait démocrate ? Le recours aux outils informatiques (site, courriels, sms, facebook) pour collecter les fonds et mobiliser la base (grassroots) a si bien réussi qu’ils sont devenus incontournables dans les campagnes à venir.
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[2]
Au lieu de consommer, il faut investir sur l’avenir, ce que n’ont fait ni l’État fédéral ni les États fédérés au cours des dernières années. Si les investissements du secteur privé sont restés stables, (aux environs de 17 %), ceux de l’État fédéral et les collectivités locales (États fédérés et comtés) sont tombés de 7 % du PIB en 1950 à 4 % aujourd’hui. Or l’histoire montre que des investissements qui n’ont pas de rendement financier visible ont un rendement sociétal élevé : ce fut le cas de la loi GI Bill qui permit à de nombreux anciens combattants d’aller à l’université et d’y obtenir un diplôme ou encore du système autoroutier interétatique (Interstate System of Highways) qui rendit l’économie plus productive. Ajoutons bien sûr le développement d’Internet par le département de la Défense qui donna naissance à AOL, Google et les autres, avant de mener à la bulle Internet et à son éclatement.
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[3]
Voir : Thomas Mann & Norm Ornstein, The Broken Branch, Brookings 2006 ; et Sunil Ahuja, Congress behaving Badly : The Rise of partisanship and Incivility and the Death Of Public Trust, Praeger, 2008.
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[4]
Les attaques répétées contre l’irresponsabilité des banquiers et de Wall Street se sont soldées par l’édiction d’un plafond sur les revenus des grands patrons de banques formulée par le président lui-même, expliquant que c’était le seul moyen de concilier la tradition américaine capitaliste (le succès appelle l’argent) et l’exaspération teintée de cynisme des citoyens confrontés aux parachutes dorés et aux rémunérations extravagantes que se versent des patrons qui ont échoué. Dans la controverse également les commandes de jets privés et les travaux dispendieux pour rénover un bureau alors que l’entreprise vient d’être sauvée par l’argent du contribuable.
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[5]
Le terme ready to market, soit prêt à la commercialisation, retarde la possibilité d’amortissement, alors que le choix du mot « planté » permet de l’anticiper.
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[6]
Raytheon est l’une des plus grosses entreprises travaillant pour le Pentagone et a obtenu plus de 18 milliards de dollars de contrats en 2007. Les sénateurs avaient demandé à Lynn de s’expliquer par écrit sur les potentiels conflits d’intérêts et McCain avait émis des doutes mais le secrétaire de la défense républicain, Robert Gates insista sur la nécessité de cette nomination en raison des qualités du candidat.
1Le candidat Obama remporte les élections après avoir gagné la bataille des primaires contre Hillary Clinton et lorsqu’il prête serment le 20 janvier 2009, c’est avec les qualités qui l’ont fait passer de candidat improbable à président élu et une logistique qui fit la force de sa campagne – et qu’il cherche à transposer à la Maison-Blanche. Nous verrons les atouts dont dispose le président, les défis posés par la situation économique et le plan de relance et de réinvestissement, avant d’envisager les écueils et dangers auxquels la nouvelle administration est confrontée.
Le candidat improbable remporte les élections
2La quête du pouvoir commence par la déclaration de candidature du début 2007 et se poursuit par une victoire choc à l’élection primaire de l’Iowa qui l’opposait aux autres candidats démocrates, dont le photogénique et populiste John Edwards (depuis emporté par un adultère malvenu) et celle dont on disait à l’époque qu’elle était inévitable, Hillary Clinton. En raison du mode de répartition des délégués qui se fait à la représentation proportionnelle chez les démocrates (alors qu’elle se fait à la majorité relative chez les républicains) et de l’existence de super délégués depuis la réforme des années 1980, la lutte entre les deux principaux candidats dura jusqu’à début juin.
3À l’époque, le leadership démocrate et une grande partie de l’opinion étaient convaincus que ce combat fratricide sonnerait le glas des chances démocrates, alors que le parti était bien placé dans les sondages et que les républicains étaient handicapés par l’impopularité du président Bush. L’inverse se produisit. Alors que John Kerry avait été investi très tôt en 2004 et n’avait guère eu le temps de se préparer à lutter contre la machine de guerre républicaine, Obama est devenu un meilleur candidat, perçu comme moins élitiste, et plus fort au fur et à mesure qu’il affrontait Hillary Clinton et devait résister aux attaques de son camp. En outre, dès le début le candidat Obama s’en est tenu à un seul message simple mais efficace, la nécessité du changement (Change) et son corollaire, ce changement est possible, il est entre les mains de tous les Américains. C’est le fameux slogan « Yes we Can », avec des réminiscences de FDR combattant la Grande Dépression, de JFK annonçant une nouvelle frontière, mais aussi de Lincoln, le président qui réussit à sauver l’Union et à mettre fin à l’esclavage, et de Reagan qui sut redonner confiance à l’Amérique affaiblie par le Vietnam et le Watergate – même si bien sûr le message de Reagan était à l’opposé de celui du président Obama.
4Des deux côtés, républicain comme démocrate, le candidat qui a finalement émergé n’était pas le candidat le plus probable ni celui souhaité par le parti, ce qui est particulièrement vrai du côté républicain où le sénateur indépendant (maverick) McCain n’avait pas la confiance des siens et encore moins celle de la droite religieuse du parti ; le choix de Sarah Palin comme colistière n’eut un impact positif que pendant une quinzaine de jours.
5Cette élection est aussi particulière par l’allongement de la campagne des primaires (18 mois) qui fut favorable à Obama, le rendant à la fois plus visible et plus crédible. En conséquence, la campagne pour l’élection générale, qui ne commença qu’après les deux conventions, début septembre, ne dura même pas deux mois car dans un tiers des États, les électeurs ont la possibilité de se prononcer de façon anticipée et certains d’entre eux commencèrent à voter trois semaines après la fin de la convention républicaine.
6Citons d’autres facteurs essentiels : le candidat Obama a su s’appuyer sur les jeunes, les nouveaux électeurs, misant en grande partie sur les technologies de l’information et de la communication : un site internet remis à jour quotidiennement, des messages sur les mobiles, des courriels envoyés régulièrement pour informer du déroulement de la campagne, des enjeux, des besoins de volontaires et bien sûr des appels de fonds. Obama a donc mené une campagne disciplinée [1], high-tech, recourant aux outils informatiques et aux méthodes de réseau social du type Facebook sur Internet pour collecter les fonds et mobiliser la base (grassroots). La campagne a aussi été qualifiée de « post-raciale » car jamais Obama ne s’est présenté comme un « Africain-américain » revendicatif, mais comme un candidat que se trouvait avoir un père kenyan et une mère ainsi que des grands parents blancs.
7Les deux derniers éléments du succès d’Obama tiennent à ses qualités propres, son charisme et sa bonne tenue, en particulier durant les débats ; le second est plus conjoncturel. Depuis le premier débat qui donna la victoire en 1960 à un John Kennedy bronzé et détendu contre un Nixon mal rasé et transpirant (mais maîtrisant mieux les questions selon ceux qui avaient écouté le débat à la radio), débats et images jouent un rôle essentiel. Ce fut vrai pour Reagan en 1980 (opposé au président sortant Carter), qui l’emporta grâce à sa question maintenant fameuse « votre situation est-elle meilleure qu’il y a quatre ans ? ». Le vice-président Gore, candidat en 2000 après huit années de présidence Clinton, dans une Amérique prospère, perdit quant à lui l’élection en partie à cause de son ton condescendant et de ses nombreux soupirs de commisération (à l’égard de George W. Bush) lors du premier débat télévisé. George Bush bafouillait mais il était sympathique et avait un message clair. Les perceptions et les impressions des téléspectateurs sont donc essentielles ainsi que le format du débat et celui des candidats qui contrôlent le « récit ». Les républicains ont gagné en 2004 car ils sont parvenus à dépeindre le candidat démocrate comme versatile (flip flop). Or il est essentiel que le candidat ait un message clair et qu’il s’y tienne. C’est ce que fit Obama en 2008, à l’image de Clinton en 1992 qui avait su capitaliser sur le manque d’attention portée par le camp républicain à la situation intérieure et économique et qui gagna grâce à son maintenant célèbre « It’s the economy, stupid ».
8En 2008, parti du contraste entre changement (Obama) et expérience (McCain), le débat s’est ensuite situé sur le plan de l’opposition des tempéraments – un Obama plus sage et calme que l’impulsif et imprévisible septuagénaire McCain – et le choix entre sécurité économique (Obama) et sécurité nationale (McCain), avant que la crise financière et boursière ne fasse passer toute autre question au second plan, poussant le candidat démocrate vers la victoire. Alors que McCain remontait de façon spectaculaire au mois d’août 2008, suite à l’invasion militaire de la Géorgie par la Russie, un mois avant l’élection, en pleine crise financière, Obama était déjà quasiment assuré de 260 grands électeurs sur les 270 requis pour l’emporter.
9Les résultats du 4 novembre donnèrent une victoire nette au nouveau président mais également aux démocrates. Obama remporta 365 « grands électeurs », soit beaucoup plus que la majorité requise de 270, et 53 % du vote populaire, une belle élection si l’on compare aux chiffres de Bush en 2000 ou même de Bill Clinton en 1992 et 1996. À la Chambre, les démocrates gagnent des sièges, mais c’est au Sénat que l’avancée est plus visible (59 sénateurs au lieu de 49 et deux indépendants), même si elle ne permet pas d’atteindre le seuil des 60 sénateurs nécessaire pour mettre fin à l’obstruction parlementaire (filibuster). En outre, les ténors démocrates ayant rejoint l’administration, d’Obama lui-même à Hillary Clinton en passant par le vice-président Joseph Biden, ils sont remplacés par des sénateurs « juniors » qui n’occuperont pas de postes importants dans les commissions essentielles.
Les défis du premier président américain « global »
10La biographie du nouveau président est connue : né d’un père kenyan et d’une mère américaine, élevé en partie en Indonésie où il étudie le Coran, puis à Hawaï, devenu État américain il y a 40 ans seulement, produit de la méritocratie noire et des programmes volontaristes d’affirmative action (il étudie d’abord à Columbia puis obtient son diplôme de droit à Harvard), il n’est pas un « Africain-américain » comme peut l’être sa femme. C’est lui-même qui s’est construit cette identité en œuvrant comme travailleur social dans les banlieues difficiles de Chicago. De même que Kennedy avait répété qu’il était candidat à la présidence et qu’il se trouvait être catholique, le candidat Obama n’a jamais insisté sur son appartenance raciale, ce qui lui a été reproché par certains leaders noirs des années 1960.
11Ce qui frappe immédiatement après l’élection est la façon dont le candidat se met rapidement au travail. Il est vrai qu’il n’a guère le choix en raison de la gravité de la crise économique. L’on assiste donc à une transition disciplinée et professionnelle bien différente des précédentes : en 2000 les démêlés juridico-politiques avaient duré plus d’un mois et raccourci d’autant la transition de George Bush, et en 1992 Bill Clinton avait d’abord savouré sa victoire avant de se mettre au travail. Obama, lui, procède au choix de son équipe rapprochée (les conseillers du Bureau exécutif du président à la Maison-Blanche) et des membres du cabinet, et il s’implique aussi très fortement dans les divers plans de relance et/ou de sauvetage de l’industrie automobile. Bien qu’il prît soin dans sa première conférence de presse trois jours après l’élection de préciser que jusqu’au 20 janvier il n’y aurait qu’un seul président, il est indéniablement présent et d’autant plus présent que le président Bush (lame duck) est rendu inaudible par les moins de 30 % d’opinions favorables qu’il recueille dans les sondages, d’autant plus également que nombreux sont les Américains qui n’ont pas voté pour Obama mais qui décident de le soutenir et lui souhaitent de réussir. Cette unanimité derrière le président, typiquement américaine, est particulièrement forte dans le cas d’Obama. Seuls des activistes de droite particulièrement virulents comme l’animateur de radio Rush Limbaugh ont pu souhaiter oralement et avec conviction son échec.
12Puis le 20 janvier, ainsi que le prévoit la Constitution depuis l’adoption du XXe amendement (ratifié en 1933), après l’importante prestation de serment sous la houlette du président de la Cour suprême, le président prononce un discours d’inauguration sérieux, sobre et de crise. Le discours n’est pas triomphaliste. Le président reconnaît la crise grave et longue, il souligne la responsabilité portée par tous : les entreprises, le gouvernement mais aussi par les Américains qui se sont laissés emporter par la convoitise (greed) et l’irresponsabilité. Il appelle tous les Américains à travailler avec lui. Le mot sacrifice est mentionné de même que le mot humilité, s’appliquant essentiellement à la nouvelle administration, à son attitude vis-à-vis du reste du monde mais aussi sans doute aux Américains eux-mêmes, qui devront agir non par la force militaire mais par celle de l’exemple. Pour le président, il n’y a pas de choix à faire ni d’opposition entre libertés et sécurité. La sécurité n’est pas la guerre contre le terrorisme, c’est aussi et davantage la diplomatie – le smart power ; et c’est aussi et surtout le développement économique. C’est en luttant contre la pauvreté que l’on pourra lutter contre le terrorisme, thème réminiscent du discours de Truman cherchant à convaincre le Congrès d’aider la Grèce et la Turquie que la pauvreté amènerait immanquablement au communisme et au totalitarisme. Le président Obama tend la main tant au monde musulman si celui-ci construit au lieu de détruire, et aux républicains s’ils sont prêts à travailler avec lui pour sortir le pays de la crise.
Le défi du plan économique
13Le défi du plan économique est double : il s’agit certes de créer des emplois mais aussi d’inventer un nouveau modèle économique pour le moyen et long terme. On a pu considérer que FDR n’était pas allé assez loin, de même que le Japon dans les années 1990 avait trop tardé à réagir. L’équipe en place devra éviter les deux écueils, ce qui impliquera à court terme de creuser les déficits budgétaires et aussi d’éviter les sirènes protectionnistes, fortes durant la campagne et présentes dans le plan de relance sous forme des dispositions « d’achat américain » (Buy American) dénoncées non seulement par les républicains mais aussi par de nombreuses entreprises dont le chiffre d’affaires à l’export a porté la croissance ces dernières années.
14Le nouveau modèle économique à inventer ne sera plus porté par la consommation (qui mena à un pernicieux endettement des ménages), ni par Wall Street, ni par la Silicone Valley (du moins pas à court terme et à elle seule). Le président devra dans un premier temps faire le contraire de ce que fit le président Reagan, confronté lui aussi à une perte de confiance de l’Amérique en elle-même, et qui déclara que « le gouvernement n’est pas la solution, c’est le problème ». En 2009, l’administration (et le Congrès, et l’opinion publique) devront sans doute accepter que l’épicentre de l’économie américaine se déplace (à nouveau) vers la capitale fédérale et vers les programmes à long terme que sont les investissements [2] en matière d’enseignement (primaire, secondaire, supérieur) et de santé. Mais la crise peut aussi être un atout dont il s’agit de tirer parti pour accomplir des réformes qui n’ont pas été possibles jusqu’ici. C’est ce que dit le secrétaire général de la présidence, Rahm Emanuel, lorsqu’il proclame « You never want a serious crisis to go to waste », version plus politique de l’analyse économique développée par Mancur Olson dans son ouvrage écrit au début des années 1980 The Rise and Decline of Nations (1982). Pour Olson, la prospérité économique finit par donner naissance à de puissants groupes d’intérêt qui obtiennent de plus en plus d’avantages et finissent, en privilégiant un secteur particulier, par nuire à l’économie dans son ensemble. En obtenant traitements privilégiés, lois et réglementations favorables, ces groupes prospèrent au détriment du reste de la société. Car ils obtiennent non seulement une plus grosse part du gâteau économique, mais ils empêchent aussi celui-ci de croître. Pour l’auteur, sa thèse s’est vérifiée aussi bien en Grande-Bretagne dans les années post Deuxième Guerre mondiale, qu’aux États-Unis récemment ; et a contrario, Allemagne et Japon ont pu reconstruire leurs économies dévastées par la guerre car les groupes d’intérêts avaient eux aussi été détruits.
15Aux États-Unis, les coupables sont nombreux : les professionnels de l’immobilier ayant obtenu des subventions qui les ont enrichis et ont créé la bulle immobilière, les médecins, laboratoires pharmaceutiques et plus largement les professionnels de la santé qui ont persuadé l’État de rembourser des traitements très chers et lucratifs mais dont l’efficacité restait à prouver ; et bien sûr Wall Street qui, au cours des dernières années, a bénéficié de l’absence de réglementation pour une partie de ses produits et de ses pratiques, au point de peser 27 % des profits des entreprises avant l’effondrement de la Bourse en 2008 (chiffre à comparer à 15 % dans les années 1970-1980). Il faut donc s’attaquer aux « intérêts spéciaux », thème de prédilection du candidat Obama, comme d’ailleurs du candidat McCain, mais est-ce possible et est-ce le problème ?
Question de confiance
16Le candidat puis le président le répètent, le seul moyen de sauver les institutions politiques comme l’économie est de restaurer la confiance. La confiance dans un fonctionnement démocratique implique un Congrès non seulement actif et jouant son rôle de « frein et contrepoids » (ce qu’il ne fit pas de 2000 à 2006), mais également capable de dépasser la polarisation, les divisions partisanes et l’incivilité [3] qui ont marqué les quatre derniers mandats (ceux de Clinton et de Bush). La confiance dans le plan de sauvetage et dans les acteurs économiques et financiers nécessite une réelle transparence dans l’affectation des ressources (contrôle que n’avait ni prévu ni voulu le plan Paulson d’octobre 2008, TARP – Troubled Assets Relief Program) et davantage de responsabilité dans l’utilisation des fonds publics. Le président Obama est bien décidé à agir sur ces deux fronts mais peut-il réussir ?
17Le Congrès est dirigé par une majorité démocrate ; il n’y a donc pas de « cohabitation » au sens américain (divided government), mais aux États-Unis le Congrès n’est traditionnellement pas lié à l’exécutif (et par des règles à caractère parlementaire impliquant un alignement obligé sur les positions du président). Et la majorité démocrate menée par Nancy Pelosi à la Chambre et par Harry Reid au Sénat a certes adopté le plan de relance et de réinvestissement, mais en y ajoutant « leurs » priorités, au risque d’augmenter la facture globale et d’indisposer les républicains déjà peu enclins à écouter les propositions bipartisanes du président. Car si une partie des républicains est prête à faire preuve d’un semblant de coopération, et malgré l’avantage historique dont bénéficient les démocrates, le plus haut depuis plus de 20 ans (un sondage Gallup de fin janvier 2009 basé sur 30 000 entretiens répartis sur l’année 2008, fait état de 36 % des Américains s’identifiant comme démocrates et seulement 28 % comme républicains), certains républicains sont bien décidés à miser sur l’échec d’Obama et préparent déjà les élections de mi-mandat de 2010. Ils critiquent systématiquement le plan de relance voté par aucun républicain à la Chambre et seulement par trois sénateurs et continuent de politiser les questions liées au terrorisme. C’est dans ce contexte que Marc A. Thiessen, ancien rédacteur des discours de George W. Bush, écrivait dans un éditorial extrêmement partisan publié par le Washington Post : « si Obama affaiblit les mécanismes de défense mis en place par Bush et si les terroristes frappent à nouveau, les Américains tiendront Obama pour responsable et le parti démocrate sera rayé de la carte électorale pour une génération ».
18Faire en sorte que les Américains aient confiance dans le plan de relance était encore plus délicat car les solutions prônées par les deux camps étaient ici aussi partisanes : baisses d’impôt pour les républicains et relance par la dépense publique pour les démocrates. Alors le président a communiqué, fait de la pédagogie et manié la menace : la crise se transformera en catastrophe si le Congrès n’agit pas, a-t-il répété. Il finit par annoncer qu’au pays du capitalisme, les salaires [4] des banquiers seraient en un premier temps limités à 500 000 dollars, les salaires élevés devant par la suite être justifiés par de bons résultats. Le président est-il trop omniprésent ? Risque-t-il la saturation ? C’est sans doute la seule solution à court terme. Plus délicate encore fut la répartition des sommes car le diable est dans les détails. Les membres du Congrès étaient d’autant plus soumis aux pressions des lobbyistes que les sommes et les enjeux étaient considérables. Producteurs d’agrumes en Floride et viticulteurs en Californie voulaient changer un petit mot [5] dans le texte afin d’obtenir un amortissement plus rapide ; laboratoires pharmaceutiques et entreprises des nouvelles technologies souhaitaient que le plan leur permette de rapatrier les profits dégagés à l’étranger à un taux d’imposition favorable ; les syndicats voulaient des emplois verts et bien rémunérés avec avantages sociaux élevés et les sidérurgistes cherchaient à inclure une clause d’achat obligatoire américain (Buy American) qui sera finalement supprimée.
Les difficultés sont réelles et diverses et les dangers omniprésents
19La lune de miel a donc été de courte durée. Très vite les commentateurs ont décrit un président confronté au principe de réalité, et à la difficulté de faire adopter le plan de relance et de réinvestissement. La première difficulté à ne pas sous-estimer est la pression de l’aile gauche du parti démocrate qui souhaite à la fois rattraper les années perdues et se venger de la mainmise républicaine (1994-2006) en ajoutant dans le plan de redressement de l’économie des mesures qui n’ont rien à voir avec la création d’emplois ou la mise sur pied d’une économie du futur. L’attitude des républicains, arc-boutés sur leurs positions de baisses d’impôts et peu décidés à accorder leurs voix au président, pose aussi problème. À la Chambre, le vote du plan de redressement de l’économie a été obtenu uniquement avec les voix démocrates. L’accord trouvé au Sénat fut au prix d’âpres pressions du président pour convaincre trois sénateurs républicains (dont deux femmes) de voter avec les démocrates de façon à atteindre le seuil fatidique de 60 voix permettant de mettre fin au blocage. Si les promesses de « bipartisanisme » sont si difficiles à mettre en pratique, c’est que les centristes des années 1960, pragmatiques et ouverts, ont disparu, laissant la place à des candidats situés aux extrêmes de chaque parti.
20Ce phénomène est dû au raccourcissement du temps passé par les membres du Congrès à Washington et aux effets pervers du découpage électoral partisan, qui verrouille les circonscriptions pour l’un ou l’autre des deux grands partis, faisant de l’élection générale une formalité et donnant la victoire aux plus extrémistes lors des primaires. Lors de l’étape de la commission de conciliation, le risque de dérapages était grand, le seul moyen d’obtenir un accord étant souvent d’ajouter les divers petits cadeaux (earmark) destinés à faire pencher tel représentant ou sénateur, pratique que le président Obama s’était pourtant engagé à éliminer. Le plan final est de 787 milliards de dollars, dont un tiers d’allégements fiscaux mais aussi près de 200 milliards d’aide financière à court terme versée aux plus démunis.
21Un autre danger tient au mode de gouvernement nouveau mis en place par le président (émissaires spéciaux, envoyés spéciaux qui répondent directement au président, groupes de travail sur la classe moyenne et sur la santé) qui sont autant de moyens de concentrer d’énormes pouvoirs au sein de la Maison-Blanche, de court-circuiter les membres du cabinet et donc d’amplifier le glissement déjà réel du centre de gravité du pouvoir vers le bureau exécutif de la présidence (EOP). Le risque est réel qu’un président qui s’était engagé à davantage de démocratie soit perçu comme impérial ; car quelle que soit la réalité, les symboles, la perception et l’apparence sont d’une importance égale.
Symboles et réalités
22Certes le candidat Obama a fait campagne sur le thème du changement et sur la promesse de mettre fin à la guerre en Irak, mais il a aussi toujours insisté sur l’indispensable transparence de l’action nécessaire pour rétablir la confiance des électeurs et sur l’importance de l’État de droit, sur la nécessité de restaurer l’éthique en politique. C’est pourquoi ses premiers gestes ont été des décrets présidentiels à haute valeur symbolique : fermeture du camp de Guantanamo à Cuba, interdiction de la torture, nouvelles règles en matière de lobbying extrêmement strictes. Obama s’était aussi engagé, signant avec fanfare le décret présidentiel interdisant cette pratique, à fermer la porte entre le gouvernement et l’industrie du lobby (revolving door) en affirmant que cela constituait une rupture nette avec les méthodes antérieures. Mais il y a déjà quelques exceptions notables (pour le secrétaire-adjoint à la Défense, William Lynn, ex-lobbyiste de Raytheon [6], et Marc Patterson, ex-lobbyiste pour Goldman Sachs, nommé chef de cabinet du secrétaire au Trésor, exemptés des règles nouvellement promulguées) qui risquent de créer une impression de « deux poids deux mesures ». La question des mœurs politiques est au cœur de la réforme et conditionnera l’échec ou le succès du président. En effet, si l’on ajoute aux exemples précédents ceux des deux personnes pressenties pour le poste de ministre du Commerce, le gouverneur Bill Richardson et le sénateur républicain Judd Gregg, qui durent retirer leur candidature, la transition Obama qui avait si bien commencé sembla rattrapée par la dure réalité du politique et du « Washington as usual ».
23Le besoin de changement est réel tant au plan politique qu’au plan économique et son ampleur est telle que les Américains ont bien compris la nécessité d’un « acte de foi » fondé davantage sur l’espoir et le charisme que sur la réalité. Mais l’enthousiasme suffira-t-il quand on connaît les liens étroits entre pouvoir politique et pouvoir économique rendus encore plus difficiles à trancher (ou même à assouplir) aux États-Unis en raison du mode de financement privé des élections, des besoins considérables d’argent pour les campagnes électorales et de la protection du premier amendement rendant impossible toute réglementation pérenne du lobbying ou des dépenses électorales ?
Notes
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Anne Deysine est professeur à l’université Paris X Nanterre. Parmi ses ouvrages, citons Les États-Unis aujourd’hui : permanence et changements, La Documentation française, La justice aux États-Unis, QSJ, et la participation à un ouvrage collectif sur le lobbying, sous la direction de Jean-Pierre Nioche, HEC, éditions Vuibert, 2009, à paraître.
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[1]
La campagne a été très disciplinée et très professionnelle avec une présence dans chacun des 50 États, aucun n’étant a priori abandonné aux républicains. Qui aurait prédit en 2006 que la Virginie ou la Floride voterait démocrate ? Le recours aux outils informatiques (site, courriels, sms, facebook) pour collecter les fonds et mobiliser la base (grassroots) a si bien réussi qu’ils sont devenus incontournables dans les campagnes à venir.
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Au lieu de consommer, il faut investir sur l’avenir, ce que n’ont fait ni l’État fédéral ni les États fédérés au cours des dernières années. Si les investissements du secteur privé sont restés stables, (aux environs de 17 %), ceux de l’État fédéral et les collectivités locales (États fédérés et comtés) sont tombés de 7 % du PIB en 1950 à 4 % aujourd’hui. Or l’histoire montre que des investissements qui n’ont pas de rendement financier visible ont un rendement sociétal élevé : ce fut le cas de la loi GI Bill qui permit à de nombreux anciens combattants d’aller à l’université et d’y obtenir un diplôme ou encore du système autoroutier interétatique (Interstate System of Highways) qui rendit l’économie plus productive. Ajoutons bien sûr le développement d’Internet par le département de la Défense qui donna naissance à AOL, Google et les autres, avant de mener à la bulle Internet et à son éclatement.
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[3]
Voir : Thomas Mann & Norm Ornstein, The Broken Branch, Brookings 2006 ; et Sunil Ahuja, Congress behaving Badly : The Rise of partisanship and Incivility and the Death Of Public Trust, Praeger, 2008.
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[4]
Les attaques répétées contre l’irresponsabilité des banquiers et de Wall Street se sont soldées par l’édiction d’un plafond sur les revenus des grands patrons de banques formulée par le président lui-même, expliquant que c’était le seul moyen de concilier la tradition américaine capitaliste (le succès appelle l’argent) et l’exaspération teintée de cynisme des citoyens confrontés aux parachutes dorés et aux rémunérations extravagantes que se versent des patrons qui ont échoué. Dans la controverse également les commandes de jets privés et les travaux dispendieux pour rénover un bureau alors que l’entreprise vient d’être sauvée par l’argent du contribuable.
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[5]
Le terme ready to market, soit prêt à la commercialisation, retarde la possibilité d’amortissement, alors que le choix du mot « planté » permet de l’anticiper.
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[6]
Raytheon est l’une des plus grosses entreprises travaillant pour le Pentagone et a obtenu plus de 18 milliards de dollars de contrats en 2007. Les sénateurs avaient demandé à Lynn de s’expliquer par écrit sur les potentiels conflits d’intérêts et McCain avait émis des doutes mais le secrétaire de la défense républicain, Robert Gates insista sur la nécessité de cette nomination en raison des qualités du candidat.