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Article de revue

Ateliers participatifs et fabrique des politiques publiques en régime d’aide : le Forum national sur le foncier de 2018 au Bénin

Pages 101 à 120

Notes

  • [1]
    Nous remercions Florent Aguessi, Marion Fresia et les relecteurs de la revue pour leurs commentaires sur une première version de ce texte.
  • [2]
    E. Grégoire, J.-F. Kobiané et M.-F. Lange (dir.), L’État réhabilité en Afrique. Réinventer les politiques publiques à l’ère néolibérale, Paris, Karthala, 2018.
  • [3]
    I. Bergamaschi, A. Diabaté et É. Paul, « L’Agenda de Paris pour l’efficacité de l’aide. Défis de l’“appropriation” et nouvelles modalités de l’aide au Mali », Afrique contemporaine, n° 223-224, 2007, p. 219-249.
  • [4]
    L. Whitfield et A. Fraser, « Introduction: Aid and Sovereignty », in L. Whitfield (dir.), The Politics of Aid: African Strategies for Dealing with Donors, Oxford, Oxford University Press, 2009, p. 1-26.
  • [5]
    P. Lavigne Delville, « Les réformes de politiques publiques en Afrique de l’Ouest, entre polity, politics et extraversion. Eau potable et foncier en milieu rural (Bénin, Burkina Faso) », Gouvernement et action publique, vol. 7, n° 2, 2018, p. 53-73.
  • [6]
    Pour paraphraser l’impératif délibératif mis en avant par L. Blondiaux et Y. Sintomer, « L’impératif délibératif », Politix, n° 57, 2002, p. 17-35.
  • [7]
    K. Cissoko et R. Touré, « Participation des acteurs sociaux et gouvernance d’État. Le cas du Cadre stratégique de lutte contre la pauvreté au Mali », Politique africaine, n° 99, 2005, p. 142-154.
  • [8]
    L. Blondiaux, Le nouvel esprit de la démocratie. Actualité de la démocratie participative, Paris, Seuil, 2008, p. 75.
  • [9]
    Ce qui était une indemnisation forfaitaire des frais liés à un déplacement professionnel est en effet devenu une prime à la participation, un dû et un complément de revenu recherché, au point que certains en parlent comme d’une pathologie, la « perdiemite ». Voir V. Ridde, « Réflexions sur les per diem dans les projets de développement en Afrique », Bulletin de l’Apad, n° 34-36, 2013, p. 81-114.
  • [10]
    L. Blondiaux, Le nouvel esprit de la démocratie…, op. cit.
  • [11]
    C. Blatrix, « Introduction. Scènes, coulisses et interstices du débat public », in M. Revel, C. Blatrix, L. Blondiaux, J.-M. Fourniau, B. Hériard Dubreuil et R. Lefebvre (dir.), Le débat public : une expérience française de démocratie participative, Paris, La Découverte, 2007, p. 149-154.
  • [12]
    S. Allain, « La conduite d’un débat public sur un projet d’infrastructure : une activité de médiation spécifique. Réflexions à partir du débat public “Francilienne” », in M. Revel et al., Le débat public…, op. cit., p. 112-122.
  • [13]
    L. Simard et J.-M. Fourniau, « Ce que débattre nous apprend. Éléments pour une évaluation des apprentissages liés au débat public », in M. Revel et al., Le débat public…, op. cit., p. 318-331.
  • [14]
    A. Mazeaud, M. Nonjon et R. Parizet, « Les circulations transnationales de l’ingénierie participative », Participations, n° 14, 2016, p. 5-35.
  • [15]
    I. Bellier, « Les peuples autochtones aux Nations unies : un nouvel acteur dans la fabrique des normes internationales », Critique internationale, n° 54, 2012, p. 61-80.
  • [16]
    B. Müller (dir.), The Gloss of Harmony: The Politics of Policy Making in Multilateral Organisations, Londres, Pluto Press, 2013.
  • [17]
    M. Fresia, « La fabrique des normes internationales sur la protection des réfugiés au sein du comité exécutif du HCR », Critique internationale, n° 54, 2012, p. 39-60.
  • [18]
    A. Brun, « Conference Diplomacy: The Making of the Paris Agreement », Politics and Governance, vol. 4, n° 3, 2016, p. 115-123.
  • [19]
    M. Sapignoli, « A Kaleidoscopic Institutional Form: Expertise and Transformation in the UN Permanent Forum on Indigenous Issues », in R. Niezen et M. Sapignoli (dir.), Palaces of Hope: The Anthropology of Global Organizations, Cambridge, Cambridge University Press, 2017, p. 78-105.
  • [20]
    K. Cissoko et R. Touré, « Participation des acteurs sociaux et gouvernance d’État… », art. cité.
  • [21]
    M. Saiget, Programmes internationaux et politisation de l’action collective des femmes dans l’entre-guerres. Une sociologie des interventions sur le genre et les femmes au Burundi (1993-2015), Thèse de doctorat en science politique, Paris, Sciences Po Paris, 2017.
  • [22]
    I. H. Souley, E. Mc Sween-Cadieux, M. Moha, A.-E. Calvès et V. Ridde, « Renforcer la politique de gratuité des soins au Niger : bilan d’un atelier délibératif national novateur » [en ligne], Revue francophone de recherche sur le transfert et l’utilisation des connaissances, vol. 2, n° 2, 2017.
  • [23]
    F. Eboko, Repenser l’action publique en Afrique. Du sida à l’analyse de la globalisation des politiques publiques, Paris, Karthala, 2015 ; D. Darbon et O. Provini, « “Penser l’action publique” en contextes africains. Les enjeux d’une décentration », Gouvernement et action publique, vol. 7, n° 2, 2018, p. 9-29.
  • [24]
    D. Cefaï, M. Carrel, J. Talpin, N. Eliasoph et P. Lichterman, « Ethnographies de la participation », Participations, n° 4, 2012, p. 7-48.
  • [25]
    Nous détaillerons en particulier les interventions introductives et deux des quatre groupes de travail auxquels nous avons assisté (beaucoup plus formels, les deux autres n’ont guère été productifs) et le débat final.
  • [26]
    P. Shipton et M. Goheen, « Introduction. Understanding African Land-Holding: Power, Wealth, and Meaning », Africa, vol. 62, n° 3, 1992, p. 307-325.
  • [27]
    P. Lavigne Delville, « La réforme foncière rurale au Bénin : émergence et mise en question d’une politique instituante dans un pays sous régime d’aide », Revue française de science politique, vol. 60, n° 3, 2010, p. 467-491 ; M. B. Avohouémé et R. Mongbo, « Politique publique locale foncière au Bénin : une catégorie sous l’emprise de l’aide internationale », Revue du Cames : sciences humaines. Nouvelle série, n° 5, 2015, p. 281-306 ; P. Lavigne Delville, History and Political Economy of Land Administration Reform in Benin, Research Project of Economic Development and Institutions (EDI), Oxford/Paris/Namur, Oxford Policy Management/Paris School of Economics/Université de Namur/ADE, 2019.
  • [28]
    Le ministère de l’Urbanisme a réussi à imposer la réforme au ministère des Finances, ce qui est un tour de force, mais celui-ci a obtenu la tutelle de l’Agence et l’a intégrée à son organigramme.
  • [29]
    M. Gandonou et C. Dossou-Yovo, Intégration de la décentralisation dans le Code foncier et domanial du Bénin, Cotonou, ANCB/VNG, 2013.
  • [30]
    Les Pays-Bas, venus tard dans le jeu, se sont d’emblée positionnés en soutien critique, jouant à la fois l’appui institutionnel à l’ANDF et l’expérimentation autonome de terrain alors que les bailleurs « historiques », AFD et GIZ, étaient dans une position beaucoup plus distante.
  • [31]
    Section villageoise de gestion foncière, organe créé par le Code et placé sous la responsabilité de la mairie.
  • [32]
    Le troisième, le Padac (Projet d’appui au développement agricole), financé par l’AFD, a été présent au forum, mais plus en retrait, sans investissement dans l’organisation.
  • [33]
    L’article 361 traite des conditions d’acquisitions d’une terre rurale en fonction de sa superficie. Entre 2 et 20 hectares, l’acquisition est conditionnée à l’approbation du conseil municipal. De 20 à 100 ha, le projet doit être approuvé par l’ANDF.
  • [34]
    Référence au pouvoir coutumier d’attribution de terrains que les élus ont parfois repris dans leur clientélisme politique.
  • [35]
    S. Rui, « La société civile organisée et l’impératif participatif. Ambivalences et concurrence », Histoire, économie et société, vol. 35, n° 1, 2016, p. 58-74.
  • [36]
    Sans que cela puisse être imputé à ce seul atelier – les négociations se jouent dans de multiples espaces –, on notera que le ProPFR a depuis obtenu que des ADC puissent être délivrées sur les parcelles enregistrées au PFR (communication personnelle de F. Aguessi), ce qui permet aux paysans de disposer d’un document légal sans aller jusqu’au titre foncier et récrée la fonction des certificats fonciers de la loi de 2007, abolis par le Code foncier et domanial.
  • [37]
    Sur l’importance des réseaux de politique publique, eux-mêmes transnationalisés, voir P. Lavigne Delville, « Les réformes de politiques publiques en Afrique de l’Ouest… », art. cité.

1 Cotonou, Hôtel Royal, 11 octobre 2018, 9 heures [1]. Le « Forum national sur le foncier dans les communes au Bénin » va démarrer. Il est co-organisé par l’Association nationale des communes du Bénin (ANCB) et le Projet foncier local (PFL), en partenariat avec le ProPFR – Projet « Politique foncière responsable », financé par la GIZ (Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit, Agence de coopération internationale allemande pour le développement) – et l’Agence nationale du domaine et du foncier (ANDF), créée en 2016 dans le cadre de la réforme foncière. Financé par l’Ambassade des Pays-Bas, le PFL est un des projets de développement qui a travaillé avec les communes afin d’expérimenter la gestion foncière locale telle qu’elle est prévue par le Code domanial et foncier voté en 2013. Pendant trois ans, l’équipe a cherché à mettre en œuvre le Code, a construit et testé des outils, a identifié des problèmes et des contradictions, dans une logique de contribution critique. Le Forum est l’événement de clôture du projet, mais a une ambition plus large de bilan du Code cinq ans après son adoption.

2 Les participants sont arrivés progressivement à partir de 8 heures. L’ambiance est bon enfant, les uns et les autres se retrouvent quelques jours après l’atelier précédent, ou après longtemps. La salle est organisée en U face à la tribune des officiels. De nombreux maires s’y installent, en costume ou en habit traditionnel, le bonnet de chef plié sur la tête. Une trentaine d’entre eux sont là, sur les 77 communes du pays. Un second rang de tables, de chaque côté, est pour les techniciens. Des tables au fond accueillent les salariés des projets qui co-organisent le forum, et les quelques représentants des organisations internationales, qui restent en retrait. Élément essentiel de la communication, la banderole derrière la tribune affiche les logos des co-organisateurs du Forum, ainsi que ceux des bailleurs de fonds (hollandais et allemand) des deux projets d’appui aux communes qui le cofinancent. Au fond, la table du secrétariat, qui imprimera les documents manquants, mais surtout versera les fameux per diem. Tout au long de l’atelier, une discrète noria verra tour à tour tous les participants toucher leur dû. Nous sommes là en observateurs. Tous deux en séjour de recherche au Bénin à ce moment-là, nous avons pu nous faire inviter. L’un de nous suit depuis 15 ans les rebondissements des réformes foncières au Bénin aux niveaux national et local. L’autre travaille sur une thèse sur les liens entre politique foncière et environnement. Nous allons participer à l’intégralité du forum, enregistrant, prenant des notes et nous partageant le suivi des groupes de travail. Les journalistes de la télévision finissent d’installer les caméras pour filmer l’ouverture officielle, le seul moment qui sera retransmis aux actualités télévisées. Tous les officiels étant enfin là, le forum peut commencer avec, comme à chaque fois, un gros retard sur l’horaire prévu.

3 En costume sombre, le spécialiste foncier du projet PFL est le maître de cérémonie pour l’ouverture. Avec un talent consommé, il définit les objectifs du forum et donne la parole aux officiels. Mettant en avant les vertus du Code domanial et foncier voté 5 ans auparavant, il souligne que, au sein du projet, ils ont « pendant 5 ans, observé que la machine que nous avons souhaité mettre en place n’a pas encore totalement pris. Nous avons institutionnalisé le foncier au niveau des communes, mais tout n’est pas rose. Aujourd’hui nous sommes là pour discuter et optimiser la mise en œuvre de ce Code ». Le président de l’ANCB intervient en premier, en tant qu’organisation hôte. Pour lui, la révision du Code en 2017 a marqué « des avancées notables sur la décentralisation » et « les communes doivent désormais jouer pleinement leur partition dans l’opérationnalisation de la mise en œuvre du Code ». À mi-parcours de la période de transition de 10 ans prévue avant sa pleine application, ce forum est pour lui le moment « de faire un état des lieux sans concession du chemin parcouru […] et des perspectives qui s’ouvrent aux communes pour les cinq prochaines années ».

4 Le directeur général adjoint (DGA) de l’ANDF prend la parole au nom du ministre des Finances. Il rappelle le « vaste chantier de réformes » qui a abouti au vote du Code de 2013, lequel a prévu « un cadre institutionnel simplifié » où, à chaque organe, « il est assigné des missions claires qui ne laissent place à aucun conflit d’attributions ». Insistant sur le soutien politique de cette réforme par le président de la République, il exprime un « bon espoir qu’au terme des présentes assises une amélioration significative se fera sentir dans la gouvernance foncière et domaniale au niveau local ».

5 Le ministre de l’Agriculture intervient en tant que président du Conseil consultatif foncier, un des organes créés par le Code. Il souligne à son tour l’enjeu de la réforme foncière, le fort soutien du gouvernement, mais insiste sur l’enjeu institutionnel :

6

« Nous devons avoir à cœur la solidité de notre édifice institutionnel, du positionnement de chaque acteur, de l’efficacité de nos outils […]. J’estime qu’il faudra trouver la bonne formule devant permettre de remettre chaque partie prenante dans le rôle et les attributions qui lui incombent. »

7 La cérémonie d’ouverture étant achevée, une pause-café de 15 minutes est ouverte pour permettre aux autorités de se retirer. Les travaux commenceront 45 minutes après.

Introduction

8 Depuis les années 1990, les États africains se voient réhabilités [2], tout du moins en principe, et sont censés « s’approprier » leurs politiques publiques [3]. Les bailleurs de fonds, qui sont rebaptisés « partenaires techniques et financiers » (PTF), affirment s’aligner sur les priorités politiques nationales tout en conditionnant leur aide et en contribuant à la définition de ces politiques à travers leur expertise technique, ce qui produit un enchevêtrement croissant entre les administrations nationales et les agences d’aide [4]. Dans le même temps, ils promeuvent les décentralisations administratives, la participation de la « société civile » et la « bonne gouvernance ». De nombreuses réformes sont promues pour adapter les politiques sectorielles au nouveau référentiel libéral, décentralisé et participatif [5]. L’action publique nationale devient, de façon désormais assumée, pluri-acteurs et internationalisée. Elle se fonde aussi sur un impératif participatif [6] soutenu et financé par les bailleurs de fonds. Censé garantir une meilleure pertinence et efficacité des politiques publiques, et au minimum les légitimer, cet impératif est internalisé de façon variable par les États [7], qui – comme les bailleurs de fonds – le promeuvent tout en cherchant à limiter « le risque politique de la participation [8] ». Il entraîne en tout cas une multiplication des ateliers, séminaires et autres forums. Toute action publique doit désormais passer par un ou des ateliers « associant tous les acteurs » afin de « partager » l’information, d’en « améliorer » les contenus, et de « valider » les orientations ou les résultats, au grand bénéfice des hôtels qui louent les salles et hébergent les participants, ces derniers bénéficiant systématiquement de per diem[9].

9 Quand ils ne les ignorent pas, les chercheurs en sciences sociales travaillant sur les pays sous régime d’aide regardent avec méfiance ces ateliers. Les diverses formes de débat public et de participation ont été largement étudiées dans les pays industrialisés, montrant la tension entre logique délibérative et logique consultative [10], la capacité des participants à parfois subvertir les dispositifs contrôlés [11], le rôle de médiations [12] et les effets d’apprentissage de ces forums [13]. Les scènes internationales ont été l’objet de nombreuses recherches, qui ont étudié les circulations transnationales de l’ingénierie participative [14], les routines et les interactions entre acteurs, montré la façon dont des acteurs nouveaux s’y sont imposés [15], décrit avec précision les manières de gouverner le monde en le dépolitisant et en faisant naître des discours généraux acceptables par tous [16], et ont ainsi montré comment de nouvelles modalités d’expertise et d’élaboration négociée d’une action publique transnationale [17] se sont construites à travers une « diplomatie des conférences [18] » au sein de ces forums et assemblées, dans des « formes institutionnelles kaléidoscopiques [19] » où l’informel et les discussions préparatoires jouent un rôle important.

10 L’absence – ou presque – des ateliers et des forums nationaux dans les travaux de recherche sur l’Afrique est d’autant plus frappante. Il est clair que leurs formats sont souvent très normés. La sélection stratégique des participants, la remise tardive des documents supports, les débats souvent très langue de bois, l’absence ou la médiocrité des synthèses convergent fréquemment pour en neutraliser le potentiel de débat et en faire des exercices ritualisés de légitimation des points de vue des commanditaires [20] qui se terminent par un concert d’applaudissements légitimant des décisions prises par avance. Pas de quoi motiver les chercheurs. Pourtant, les ateliers, les séminaires et les forums prennent des formes variées, rassemblent des configurations diverses d’acteurs et ne répondent pas seulement à des logiques de ritualisation de la participation. Ils sont aussi des moments dans des processus complexes de fabrique de l’action publique. Ainsi, Marie Saiget montre que les multiples ateliers et formations sur le genre au Burundi ont permis la construction et l’entretien de réseaux d’acteurs et d’alliances entre des militantes burundaises et des acteurs internationaux [21]. Souley et al. montrent la manière dont un forum consacré à la restitution de travaux de recherche sur la gratuité des soins a permis une prise de conscience par les responsables de la politique des problèmes de mise en œuvre [22].

11 Cet article interroge le rôle que jouent les ateliers pluri-acteurs dans la fabrique multi-acteurs de l’action publique en Afrique [23] mise en avant par les bailleurs de fonds. Le Forum national sur le foncier au Bénin d’octobre 2018 s’inscrit en effet dans l’histoire mouvementée des réformes foncières dans le pays, ouverte au moment de la transition démocratique de 1990, et marquée au milieu des années 2000 par des luttes féroces entre deux conceptions de la réforme, portée par deux réseaux d’acteurs nationaux et internationaux différents, privilégiant pour l’un la sécurisation des droits coutumiers, à travers un dispositif communal de gestion de ces droits, et pour l’autre la diffusion de la propriété privée à travers la modernisation et la déconcentration de l’administration foncière. Le vote du Code foncier et domanial, en 2013, puis la mise en place d’une Agence nationale du domaine et du foncier (ANDF), à partir de 2016, ont consacré la victoire de ce second réseau. Cinq ans après, les enjeux ont évolué et les différents protagonistes se sont en partie repositionnés. Mais le nouveau dispositif légal et institutionnel n’est pas encore stabilisé, les rapports entre acteurs non plus, et les luttes pour la définition de certaines de ses modalités de mise en œuvre se poursuivent. La fin du projet foncier local a donné l’opportunité de rassembler les maires, les équipes des différents projets et des représentants de l’ANDF pour partager des informations, mais aussi soulever un certain nombre de controverses et de problèmes, et tenter de les résoudre. De fait, au travers des discours rhétoriques et des remerciements très institutionnalisés, les interventions de la séance d’ouverture ont planté le décor. En effet, cinq ans après le vote du Code, la tension n’est pas totalement retombée entre une conception centralisatrice de la réforme, où les acteurs locaux doivent mettre en œuvre un cadre défini d’en haut et portent la responsabilité des dysfonctionnements, et une conception territoriale, qui voit dans les communes des acteurs autonomes « ayant leur partition à jouer » et dont la collaboration est indispensable à la réussite de la politique nationale dans une logique pluri-acteurs. Derrière les formulations lisses (« partager », « échanger »), ces deux jours ont pour objectif de faire une analyse de la situation dans une enceinte où les élus locaux sont majoritaires et où, soutenus par les projets de développement, ils entendent bien faire valoir leurs revendications et faire pression sur l’ANDF, et ainsi obtenir des ajustements dans la mise en œuvre de la réforme.

12 Nous montrons dans cet article comment l’observation et l’analyse des prises de parole et des interactions entre acteurs au cours d’un atelier permettent, à condition de les replacer dans l’histoire de la politique publique concernée, de comprendre à la fois la façon dont les différents protagonistes se saisissent de l’événement et ce qu’il produit. Nous commençons par situer le moment du Forum dans l’histoire des politiques foncières au Bénin. Mobilisant des morceaux d’ethnographie [24] (présentations, groupes de travail, prises de parole), nous montrons ensuite comment il a permis à la fois de partager des informations et des analyses, et de rendre visibles les clivages en soulignant les rapports de force entre les participants [25]. Nous revenons en conclusion sur le rôle que jouent ces ateliers dans les nouvelles stratégies des bailleurs de fonds et dans les processus complexes de négociation de politiques publiques, et sur l’intérêt de les prendre au sérieux pour comprendre la fabrique de l’action publique en Afrique.

Un forum pluri-acteurs dans un contexte de tensions sur la mise en œuvre de la réforme foncière

13 Chaque secteur de politique publique renvoie à des enjeux spécifiques quant à la manière de penser les problèmes et les solutions, mais aussi en termes de rapports de pouvoir entre acteurs et de projets de société. Le champ des politiques foncières rurales est intéressant car il mêle de façon particulièrement imbriquée des enjeux de pouvoir, de richesse et de sens [26] dans un contexte où cohabite une pluralité de normes. C’est un haut lieu de spéculation, de corruption et d’accumulation pour les élites. Au niveau national comme international, il fait depuis les années 1990 l’objet de controverses très fortes, portant aussi bien sur le modèle de développement économique (agriculture familiale versus agrobusiness) que sur le rapport aux droits fonciers locaux et aux autorités coutumières (reconnaissance légale de droits et, éventuellement, de régulations coutumières versus diffusion de la propriété privée administrée par l’État), et donc in fine sur la conception de la citoyenneté. Ces controverses traversent les débats internationaux comme les processus de réforme foncière engagés dans les différents pays.

Rassembler et faire dialoguer des acteurs en tensions cinq ans après le vote d’un Code controversé

14 Le Forum intervient à un moment particulier de l’histoire complexe de la réforme foncière béninoise [27], marquée par de vigoureuses luttes inter-institutionnelles. Le Code foncier de 2013 est issu d’un processus de réforme impulsé au milieu des années 2000 par le gouvernement avec l’appui d’une agence d’aide américaine. Pilotée par le ministère de l’Urbanisme, cette réforme a pour objectif de promouvoir l’accès au titre foncier, titre de propriété individuelle garanti par l’État. Pour cela, elle réorganise profondément le cadre institutionnel de l’administration foncière. Elle concentre ainsi les différentes fonctions de l’administration foncière au sein d’une nouvelle agence, l’ANDF, ce qui dépossède les institutions qui les prenaient en charge et étaient accusées d’être responsables des dysfonctionnements, en particulier la direction des domaines du ministère des Finances, qui gérait auparavant les titres fonciers [28], et les communes qui, en marge de la loi, délivraient différents documents administratifs portant sur des terrains non titrés et légalisaient les conventions de vente sur ces terrains. La réforme met en cause les communes dans leurs prérogatives, dans leurs ressources – les divers revenus fiscaux liés au foncier pouvant représenter jusqu’à 18 % des recettes propres des communes [29] –, mais aussi les intérêts des élus qui sont – avec de nombreux autres acteurs – partie prenante de la spéculation foncière.

15 Par ailleurs, en voulant uniformiser le droit foncier et en réaffirmant le caractère central du titre foncier, la réforme s’est opposé à un processus antérieur de réforme foncière, centré sur le rural, piloté par le ministère de l’Agriculture avec l’appui de coopérations européennes. Celui-ci promouvait une alternative au titre foncier sous la forme de certificats fonciers gérés par les communes et délivrés après une opération de cartographie des droits coutumiers, le plan foncier rural (PFR). Les années 2004-2013 avaient vu se dérouler des luttes féroces entre ces deux réseaux – regroupant chacun un ministère, un ou des bailleurs de fonds, des experts nationaux et internationaux, mais porteurs de conceptions différentes de la réforme foncière – autour d’enjeux croisant vision politique et leadership institutionnel. Le vote du Code foncier et domanial, qui intègre des parties de la loi foncière rurale mais place les PFR sous la tutelle de l’agence, a marqué la victoire du réseau du titre foncier. Les équipes des projets, qui sont pour partie les successeurs des projets antérieurs menés sous l’égide du ministère de l’Agriculture, ont dû intégrer le nouveau cadre légal et institutionnel dans leur démarche, mais demeurent critiques vis-à-vis de ses options [30]. Pour elles, expérimenter la mise en œuvre du Code est aussi une façon de mettre en lumière ses contradictions et de pousser l’Agence à les traiter à travers une approche plus souple, moins technocratique qu’à ses débuts. Par conviction et pour des raisons de cohérence institutionnelle, elles soutiennent globalement les communes dans leurs revendications. Les relations sont tendues avec une jeune ANDF forte d’un soutien politique au plus haut niveau et qui cherche à s’affirmer.

Les objectifs institutionnels du Forum

16 Dépassant le simple bilan du projet foncier local, ses initiateurs ont voulu faire du Forum un moment élargi de bilan et de débat sur l’avancement de la mise en œuvre de la réforme foncière à partir de l’expérience des différents projets qui y ont contribué. Son organisation même et le contenu des débats qui y ont eu lieu traduisent les objectifs que ses organisateurs lui ont donnés, à ce moment précis de la mise en œuvre de la politique foncière et de l’histoire des projets. On peut identifier trois grands rôles : partager des connaissances sur la réforme et son état d’avancement, tant à destination des maires, qui ont été diversement mobilisés jusqu’ici, que de l’ANDF ; faire reconnaître des problèmes et tenter d’avancer dans leur résolution ; tenter de fluidifier les relations inter-institutionnelles entre communes, projets et ANDF.

17 Constituée de communications de cadrage, la première session, en plénière, vise à partager un état d’avancement et une lecture des problèmes restant. Longues et fastidieuses, les interventions des équipes des projets informent sur leurs démarches et leurs résultats et ne suscitent que des demandes de compléments ou des contrepoints. L’intervention de l’ANDF entraîne par contre de nombreux débats et fait déraper le programme. Comme son DGA à l’ouverture, le responsable « formation » de l’ANDF pointe les carences des pratiques communales. Il est contredit par le chef du service des affaires domaniales et environnementales (C/Sade) de K., une des communes appuyées par le PFL et engagée de longue date dans les PFR. Dans sa commune, les services domaniaux ont été réorganisés, des contrats de droits d’usage sont en place, ils font des audiences publiques pour l’affirmation des conventions de vente. Bref, ils ont joué le jeu. Par contre, leur défi est de disposer de ressources : « Il faut que l’État et les PTF [partenaires techniques et financiers] financent les instances villageoises et communales. » Un maire ajoute :

18

« Il ne sert à rien de mettre en place des SVGF [31] s’il n’y a pas les moyens de les faire fonctionner. Chaque année, on nous impose de nouvelles dépenses, de nouvelles responsabilités. Si on crée des SVGF sans moyens, c’est de l’énergie gaspillée. »

19 De fait, le Code foncier impose de nouvelles fonctions aux communes sans leur fournir les moyens correspondant, et bien pire, comme on l’a vu, il réduit leurs recettes à base foncière. Les SVGF, organes de base, font institutionnellement partie intégrante du dispositif communal, et les communes doivent les financer, mais aucune norme n’est définie quant aux moyens nécessaires et, surtout, l’État ne s’engage pas financièrement dans ce qui est pour partie un dispositif public d’administration foncière. Cet enjeu du financement traversera tout le forum.

20 Les différents groupes thématiques visent à faire dialoguer des acteurs ayant des positions institutionnelles variées afin de favoriser une connaissance partagée et de susciter un débat collectif. Celui sur « formalisation des droits fonciers et inclusion sociale » devait porter sur trois angles aveugles de la réforme qui ont été travaillés par les projets : la formalisation des droits d’usage, les Attestations de détention coutumière, les conventions de vente. Les participants y avaient des degrés d’information très variés : « Nous, on n’a pas bénéficié de projets, donc on n’a pas d’expérience. C’est à vous de nous dire » dit d’emblée un des maires. Les questions de procédures ont fait l’objet de débats approfondis entre le représentant de l’ANDF et le C/Sade (chef du service des affaires domaniales et environnementales) de K., qui a fait preuve d’une grande maîtrise du sujet, et a saisi cette opportunité pour expliquer les situations de terrain au représentant de l’ANDF et souligner une nouvelle fois que le Code propose une conception réductrice de la sécurité foncière : il met l’accent sur la propriété, alors que, d’un point de vue productif, c’est la sécurisation des droits d’usage qui compte.

21 Les débats du groupe ont essentiellement porté sur les attestations de détention coutumière (ADC). Les communes ont revendiqué le pouvoir de délivrer ces attestations, créées par le Code de 2013, ce qui leur a été accordé lors de sa révision en 2017. Une nouvelle procédure, définie dans le cadre des projets, vient juste d’être stabilisée, sous l’égide de l’ANCB, et les formulaires sont en cours de distribution dans les communes, mais la plupart des maires n’en ont pas encore été informés. De plus, ce document est ambigu, son rôle n’est pas tout à fait stabilisé et les discussions mettent à jour des problèmes pratiques qui n’ont pas été pris en compte lors de l’élaboration de l’outil. Ainsi, ces ADC concernent en théorie les terres coutumières mais, dans les faits, elles remplacent le certificat administratif utilisé par les acheteurs pour engager une demande de titre sur des terrains qui ne sont donc plus coutumiers… Dès lors, l’ADC doit-elle être faite avant ou après la vente ? « Si j’ai une ADC sur 10 ha mais que j’en ai déjà vendu une partie, comment un C/Sade peut-il le savoir si je reviens pour vendre ma parcelle ? Faut-il une nouvelle enquête de non-litige ? » Un maire est catégorique :

22

« Une telle enquête est obligatoire. […] Moi-même, je suis surpris de voir que mon service me fait parfois signer deux fois des conventions de vente sur la même parcelle. Il y a une mafia foncière qui agit. Il y a des agents indélicats qui font des choses à votre insu ! »

23 Par ailleurs, seul un plan de la parcelle est demandé. Or l’absence de localisation cartographique des parcelles concernées était un des problèmes des documents auparavant émis par les mairies. Faut-il créer un système d’information foncière spécifique au niveau des communes ? Mais cela ferait doublon avec celui en préparation au niveau de l’ANDF… Les participants se plongent plusieurs fois dans le Code pour tenter de résoudre des ambiguïtés juridiques. La discussion oscille entre un renforcement des procédures au risque de les alourdir et une simplification, au risque de voir surgir des trous, avec une tendance à un haut niveau de formalisme et de procéduralité.

24 La seconde série de groupes de travail a été consacrée aux relations institutionnelles. L’un a porté sur « les relations entre les communes et le niveau central ». Le ton a été ouvert et constructif. Le président de la Commission « foncier » de l’ANCB, maire d’une commune du centre du pays et également député, a mis en avant une collaboration qui se fait dans une bonne entente : « Les relations sont bonnes, l’ANCB est représentée au CA de l’ANDF et au Comité consultatif foncier. L’ANDF a participé à tous nos travaux, à la définition des formulaires [des ADC]. » Toujours dans une perspective constructive, les uns et les autres ont tenté d’obtenir la collaboration de l’autre. « Nous voulons saluer la volonté de l’ANDF d’accompagner les ADC et d’aider pour qu’il n’y ait pas de vice de procédures », dit un C/Sade. « Là où il y a des difficultés, c’est sur la délivrance de titre à partir des PFR. On attend que l’ANDF mette en place une procédure pour aller au TF [titre foncier] à partir des PFR. » Le DGA de l’ANDF insiste également sur la qualité des relations avec les communes, mais souligne « des cas de frictions. Dans certains cas, les chefs de quartier et de village réclament de l’argent pour le bornage contradictoire. Il y a aussi le cas particulier du maire de D., qui refuse l’affichage des avis. Cela bloque toutes les demandes ». Insistant sur l’importance du futur cadastre, il demande une collaboration des maires afin que l’agence puisse récupérer les plans de lotissements existants.

25 Ces groupes de travail jouent ainsi directement un rôle en termes d’échanges entre participants hétérogènes et de prise en compte des points de vue des autres. Très formelles et aseptisées, intégrant des recommandations très générales, les restitutions des travaux de groupe ne sont, comme souvent, qu’un pâle reflet des discussions. Mais elles permettent de légitimer les engagements réciproques pris par les participants et les messages de conclusion du Forum destinés aux tutelles institutionnelles.

« Chacun joue sa partition » : une mise en scène des rapports de force et des conflits de hiérarchie entre les élus locaux et l’agence étatique

26 Au-delà de ces fonctions de circulation d’information et de mise en dialogue entre les différents protagonistes de la réforme foncière, le Forum sert aussi de tribune aux uns et aux autres afin d’affirmer leur position et de tenter de faire passer leurs messages politiques. Les différents discours introductifs ont insisté sur les ajustements institutionnels nécessaires pour que chacun « joue sa partition » et contribue à la réforme. Mais ces partitions ne sont pas totalement définies. Dès l’ouverture, on l’a vu, chacun se positionne. Le DGA de l’Agence met en perspective le Code foncier en faisant remarquer qu’il est issu d’un long processus, attire l’attention sur le fait que l’Agence applique une politique nationale fortement soutenue politiquement et insiste sur les carences des communes. Au nom des élus locaux, le président de l’ANCB souligne de son côté les limites de la première version du Code, qui les marginalisait, et le fait que la version de 2017 les reconnaît comme acteurs à part entière. Jouant de sa position de surplomb au niveau du conseil consultatif, le ministre de l’Agriculture met en avant la dimension pluri-acteurs et la nécessité de trouver des formes de coordination, tout en approuvant oralement (ce n’est pas le cas dans le texte écrit de son intervention…) le combat des maires :

27

« Monsieur le président de l’ANCB, vous avez osé, quand l’arsenal juridique a été mis en place, et que dans la pratique on a senti quelques couacs, vous avez soutenu, avec de gros bras derrière, les ajustements nécessaires, et le parlement et le gouvernement vous ont suivi. »

28 Il glisse aussi quelques allusions aux spécificités rurales que le Code a largement refusé de prendre en compte, aux enjeux productifs et de paix sociale de la politique foncière, reprenant implicitement à son compte les critiques sur la conception juridique d’un code centré en pratique sur la délivrance de titres fonciers en faveur des acheteurs de terre. Les débats et les prises de position au cours du Forum permettent aux différents acteurs de jouer leur rôle, de mettre en scène leurs positions et leurs revendications. Les prises de parole sont plutôt policées et constructives, à l’exception d’une vive altercation qui opposera un maire mis en cause à plusieurs reprises et la direction de l’ANDF.

Pour les communes, réaffirmer la place de la décentralisation par rapport à l’ANDF et réclamer des moyens

29 Pour les communes du Bénin, le foncier représente un enjeu politique et économique de premier ordre, et, on l’a vu, ces dernières sont particulièrement mises en cause par la réforme. Historiquement, ce sont elles qui délivraient les certificats administratifs et « affirmaient » (authentifiaient) les conventions de vente, ce qui représentait des recettes non négligeables. Elles tiraient également profit de la maîtrise des plans d’urbanisme et des opérations de lotissements. Or, le Code foncier et domanial prévoit que des bureaux déconcentrés de l’ANDF soient mis en place dans les communes et prennent en charge l’ensemble des actes fonciers. Les permis d’habiter sont supprimés et les communes ont – dès le vote ou après la phase de transition (2018 puis 2023) selon les interprétations – interdiction stricte d’affirmer des conventions de vente.

30 Ces mesures ont dépossédé les communes d’une bonne partie de leurs prérogatives foncières et d’une part importante de leurs ressources. Elles ont aussi fragilisé la capacité des maires à s’immiscer dans le jeu foncier et à accumuler (le maire de D. reconnaît lui-même qu’il est un grand acheteur de terres).

31 Les communes cherchent aussi à faire financer par l’État les instances de gestion foncière mises en place par le Code à l’échelle communale : le comité communal de gestion foncière et, plus encore, ses « sections villageoises ». Les décrets d’application du Code ont défini ces instances et leur mandat, mais ont laissé leur financement à la charge des communes. Celles-ci ont, à des degrés divers – et de façon plus systématique pour celles qui bénéficient de l’appui de projets –, créé les instances, mais refusent de leur octroyer des ressources budgétaires pour leur fonctionnement, au risque d’en faire des coquilles vides alors même que ces SVGF font les enquêtes de terrain, instruisent les demandes d’ADC, enregistrent les ventes et sont donc cruciales pour la légitimité des actes fonciers. De façon convergentes, plusieurs maires ont rappelé que les différentes lois leur imposent des responsabilités nouvelles sans les ressources correspondantes. Ce problème a été posé dès la première session. Un groupe y a été consacré. Pourtant, les élus ne réclament pas de dotation spécifique de la part de l’État. Ils proposent plutôt de mobiliser les recettes liées à la délivrance des actes fonciers et un « accompagnement de l’État central pour la mobilisation des ressources, particulièrement l’impôt sur le foncier bâti qui constitue un manque à gagner » (selon les conclusions du groupe de travail).

Pour l’Agence nationale du domaine et du foncier : réaffirmer son autorité, communiquer, éviter des initiatives intempestives

32 Pour l’ANDF, l’enjeu est inverse. Elle a besoin de faire reconnaître son rôle et sa légitimité. D’où son insistance sur le fait qu’elle porte la politique nationale et qu’elle bénéficie d’un soutien affirmé du président de la République. Elle incarne – ou est censée incarner – la compétence juridique et technique, la rigueur dans les procédures. Jeune institution encore en phase de déploiement, elle doit trouver sa place dans un environnement institutionnel complexe, où les communes, d’un côté, les projets, de l’autre, contestent sa démarche et les implications de la réforme. Deux ans auparavant, un bras de fer l’avait opposée aux projets de développement réalisant des PFR au niveau des communes : afin d’éviter la multiplication de démarches non coordonnées, elle avait fait prendre un arrêté interministériel suspendant tous les travaux à base cartographique le temps que le cadastre soit mis en place. Cette décision a provoqué une levée de boucliers de la part des projets, qui voyaient leur programmation et leurs objectifs contractuels bloqués. Ces derniers avaient mobilisé les communes et leurs bailleurs de fonds pour monter au créneau et l’arrêté avait été annulé, moyennant la définition de normes techniques communes permettant d’intégrer facilement les PFR à réaliser dans le futur système d’information foncière (SIF).

33 À travers l’atelier, l’ANDF cherche à surmonter les blocages auxquels elle fait face et qui pénalisent son travail, comme le blocage des avis de bornage, qu’elle met en avant dès les premières interventions et qui a également été mentionné en groupe de travail : l’ANDF doit délivrer les titres fonciers en moins de 120 jours et le refus de certains maires d’afficher les avis de bornage bloque son travail. Elle a besoin de la collaboration des communes mais elle n’est pas forcément en position de force. Tout en pointant les « insuffisances » des communes, elle fait profil bas et met en avant les cas de bonnes collaborations et l’opportunité que représente le Forum : « J’ai beaucoup salué l’initiative de ce forum où les maires peuvent entendre ce que font les autres. » L’ANDF a un second enjeu spécifique à ce moment précis : elle est en train de mettre en place un SIF à l’échelle nationale, base du futur cadastre. Elle numérise toute la documentation foncière, celle des titres fonciers, obtenue auprès de l’ancienne direction des domaines, mais aussi celle des lotissements. Ceux-ci étant réalisés sous l’égide des communes, elle a besoin de leur collaboration pour les récupérer. Le DGA de l’ANDF l’a mentionné lors de la plénière de mise en route de l’atelier : « le cadastre national, il s’agit d’un outil que les populations attendent ». Il est revenu dessus pendant les groupes de travail. Et lors de la plénière de clôture du dernier jour, il renchérit :

34

« Je voudrais que l’on puisse partager les bonnes pratiques avec les autres communes. Le Code foncier se met en œuvre à vitesse variable. Il y a certaines communes qui avancent différemment. Je voudrais m’assurer après les deux jours passés ici que l’ensemble des participants a compris que les communes ne développent pas leurs propres systèmes d’information. Le chantier [du cadastre] qui est engagé au niveau national aujourd’hui, ce n’est pas uniquement au niveau central, c’est aussi pour les communes. »

Des projets partiellement autonomes des institutions nationales, en situation de négociation, et des bailleurs de fonds présents de façon plus indirecte

35 Financés par des bailleurs de fonds différents, les trois projets qui travaillaient au Bénin avec les communes sur l’expérimentation de la gestion foncière locale et les plans fonciers ruraux [32] avaient vu leur stratégie d’alliance avec les communes mise en cause par le vote du Code foncier. La programmation des phases en cours avait été malmenée par la mise en route de l’Agence et par sa volonté de s’imposer en tant qu’acteur central du jeu. Par rapport à une ANDF voulant affirmer sa position centrale, mais jeune et encore sous-équipée, les équipes des projets ont l’avantage d’un ancrage de terrain, parfois d’une nette antériorité sur le secteur, et d’avoir été confrontées aux difficultés de mise en œuvre. Critiques ou très critiques vis-à-vis du Code, elles ont dû intégrer le nouveau cadre institutionnel à leur stratégie d’action et s’y inscrire, parfois avec un pas de côté, comme pour la formalisation écrite des contrats agraires. Pour réaliser leurs propres activités, elles ont dû mettre au point des démarches et des méthodes anticipant les besoins de l’agence en instruments de mise en œuvre.

36 Les équipes des projets utilisent cet atelier afin – une nouvelle fois – de contester la réduction de la politique foncière à la mise en application du Code foncier et domanial, et de mettre en avant leur contribution à cette politique foncière et leur légitimité dans sa mise en œuvre. À un moment où les projets sont contestés comme modalité de l’action publique et où l’ANDF entend s’affirmer comme acteur central du déploiement de la politique foncière, ils soulignent leurs apports en termes de soutien aux communes, d’expérimentation et de stabilisation d’instruments, du fait de leur ancrage sur le terrain. L’expert foncier du ProPFR (Projet « Politique foncière responsable ») synthétise l’esprit des débats du groupe de travail sur les projets :

37

« Les PTF sont les catalyseurs de la clarification des procédures, il y a beaucoup de déclinaisons, d’aspects du Code domanial et foncier qui restaient hors de la mise en œuvre. Il a fallu ces projets pour porter comment on fait ceci, comment on fait cela, et transformer cela en procédures. Également, il a fallu les PTF pour qu’un certain nombre de préoccupations puissent être portées au niveau central. Des institutions comme l’ANDF ou le MAEP ont fait des concessions uniquement grâce aux PTF. »

38 Les équipes projets mettent ainsi en avant leur rôle de médiation entre acteurs, à l’échelle locale et entre les niveaux national et local, afin de favoriser une mise en œuvre effective et équitable dans le cadre d’un dialogue critique et constructif avec les acteurs institutionnels.

« Vous êtes nos commis » : une violente affirmation de la légitimité élective

39 Les échanges pendant le Forum ont été plutôt policés. Mais une brutale passe d’arme, lors de la plénière de clôture, a mis à jour de façon crue ces luttes de pouvoir. Absent lors de la première journée de l’atelier, le maire de la commune de D. répond indirectement au DGA de l’ANDF, qui l’a explicitement désigné comme un maire qui ne joue pas le jeu :

40

« Je suis arrivé ce matin. Je voudrais intervenir car nous sommes à un atelier bilan. Si c’est moi qui me trompe, vous allez me le dire. C’est par rapport aux questions d’affichage [des avis de bornage]. Ce que j’ai remarqué, c’est que l’ANDF fonctionne sur nos territoires de façon cloisonnée. La loi est là, mais la matière foncière est sur notre territoire. Et même si on lui a donné des prérogatives, il faut absolument que l’ANDF travaille en intelligence avec nos services domaniaux et avec nous-même. […] Le jeune [il évoque l’opérateur du bureau foncier de D.] ne m’a pas écouté, on m’apporte des dossiers portant sur 50 ha, 100 ha, et parfois, vous voyez que c’est morcelé. Or j’ai les informations foncières concernant l’arrondissement en question, tout un village est en train de voler en éclats. Le premier dossier, j’ai contesté, il vaut mieux ne rien signer que de signer ce genre de document. L’article 361 [33] là, il est violé. Je ne peux pas être complice d’un affichage qui va donner lieu à l’immatriculation de terre rurale sur 100 ha ! Si ça dépasse 20 ha, je ne suis pas autorisé. Je lui ai tout dit, il n’a pas entendu. Je lui ai fourni tous les éléments de preuve. Donc en fait, quand on parle de résistance [des maires au respect du Code], c’est à ce niveau-là. Est-ce que c’est parce qu’on parle de période transitoire qu’on va nous soumettre des documents qui ne respectent pas les conditions ? Ces envois de documents ne sont pas légaux. »

41 Cette séquence est révélatrice des tensions à l’œuvre entre les communes et l’ANDF. Là où l’ANDF attend de la mairie une gestion bureaucratique des étapes de la procédure qui lui incombent, le maire de D. revendique son pouvoir sur le territoire et sa légitimité à juger de la pertinence d’une demande de titre foncier traitée bureaucratiquement, loin du terrain, par l’agence. Alors que la création de l’ANDF a été justifiée pour mettre fin aux pratiques illégales des communes, il dénonce le fait qu’elle est elle-même en faute à cet égard. Mais surtout, c’est un problème de rapport entre administration centrale et instances décentralisées, entre fonctionnaires et élus : « Je suis maire et je ne peux pas accepter qu’un fonctionnaire fasse la loi. Ils ne sont pas au-dessus de nous. Ils ne peuvent pas faire les formalisations de terres comme ça. On doit travailler en intelligence. » Le DGA de l’ANDF refuse le débat politique et répond à la salle en invoquant les procédures :

42

« Moi, je ne veux pas répondre au maire car je ne comprends pas bien sa préoccupation. Sa préoccupation, c’est quoi ? C’est qu’on lui amène des dossiers de confirmation de droits sur des surfaces de 2 ha, 5 ha, 20 ha, 60 ha, et on lui demande de les afficher. Est-ce qu’il peut afficher ? Ma question s’adresse aux maires, comment vous faites chez vous ? C’est ça que je veux savoir ! […] Si vous ne vous êtes pas entendu avec le bureau foncier sur un dossier, est-ce une raison suffisante pour bloquer pour tous les autres ? Dans les cas où il y a des difficultés, il faut se concerter pour trouver des solutions. »

43 Le maire de D. reprend la parole et élève le ton, réinsistant sur la primauté de la légitimité du politique. Il commence par souligner l’investissement des communes dans la mise en œuvre du Code : « Déjà, le fait que nous soyons ici, c’est sous l’égide de l’ANCB. Pour faire le bilan, il faut que l’on reconnaisse ce qui a été fait et ce qui n’a pas été pas fait. » Puis, il rappelle que, en tant que député, il a voté la révision du Code en 2017 : « Nous autres, on est mieux placés pour vous parler, parce que ce Code, c’est nous qui l’avons voté. J’étais membre de la commission des lois à ce moment. » Puis il s’adresse aux maires présents :

44

« Nous avons la chance d’être maires et nous constatons ce qu’ils fabriquent sur notre territoire : aucun maire ne va dire qu’ils collaborent bien avec nous. Nous reconnaissons que ce qu’ils font là, il aurait fallu que ça se fasse depuis longtemps, pour minimiser le risque d’insécurité […]. Mais ils ne peuvent pas fonctionner de façon cloisonnée par rapport à nous. C’est nous qui sommes chefs de terre [34]. […] Tout ce qu’on leur demande, c’est de faire profil bas. L’ANDF n’est pas au-dessus de nous, c’est nos commis, voilà, et nous devons travailler ensemble. »

45 Sans doute informé de la mise en cause directe dont il a été l’objet la veille, le maire de D. intervient violemment et de façon particulièrement théâtralisée. Ancien député et ancien ministre, il s’appuie sur sa stature politique pour s’autoriser des propos étonnamment directs, à la limite de l’insulte, mais qui marquent de façon claire le refus des maires de n’être que des étapes bureaucratiques, aux ordres des agents des bureaux déconcentrés. Preuve de la dimension théâtralisée de cette passe d’armes, les deux se retrouvent à la pause et échangent de façon très pacifiée, le maire revenant sur son passé de ministre pour justifier sa position sur le rapport techniciens/politiques, expliquant qu’il y avait de nombreuses conventions de ventes frauduleuses dans le village en question et reprochant de nouveau à l’ANDF de vouloir travailler toute seule, tous deux convenant finalement de l’intérêt mutuel à se parler afin de trouver des solutions…

46 La multiplication des ateliers et des séminaires en Afrique est pour partie le produit des évolutions des politiques des bailleurs de fonds qui, tout en conservant une capacité d’influence, incitent à une appropriation des politiques par les acteurs nationaux et à des processus multi-acteurs, censés favoriser des politiques et des projets plus pertinents et plus efficaces. Ces ateliers sont devenus des passages obligés, alimentant une participation parfois opportuniste et une course au per diem, et remplissant les agendas des cadres de l’administration, mais aussi des élus, des agents des projets, des consultants et des salariés des ONG. Au-delà de leurs rituels et des formes d’instrumentalisation dont ils peuvent être l’objet, la participation à ces ateliers constitue une ressource dont les différents protagonistes peuvent se servir [35]. Le forum étudié dans cet article – qui rassemble essentiellement des élus et des techniciens, et seulement un représentant d’organisation paysanne – montre que le fait de les considérer uniquement sous cet angle amènerait à négliger la diversité des logiques qui président à leur organisation et la nature des enjeux qui s’y nouent.

47 Prendre au sérieux ces ateliers suppose d’en analyser l’organisation (construction du programme, choix des intervenants et des groupes de travail) et le déroulement, de suivre les présentations et les débats, sous le double angle de la dynamique des argumentaires et des enjeux qu’elle traduit. Identifier ces enjeux et les interpréter demande une compréhension plus large de cette histoire, des acteurs et des réseaux, des controverses passées. Nous avons ainsi montré comment le Forum national sur le foncier s’inscrit dans un moment particulier de l’histoire tumultueuse des politiques foncières au Bénin : cinq ans après l’adoption du Code foncier et domanial, le nouveau dispositif institutionnel est en place mais de nombreux outils ne sont pas encore disponibles, et les rapports entre acteurs ne sont pas stabilisés. Les projets travaillant avec les communes ont expérimenté des outils et des démarches, identifié des blocages. À un moment où le rejet des orientations du Code n’était plus d’actualité, où l’Agence s’affirmait comme un acteur institutionnel central, mais où toutes les modalités de mise en œuvre n’étaient pas encore là, il restait des marges de manœuvre pour contribuer et tenter d’impulser des ajustements, tant méthodologiques qu’institutionnels. Lancé et justifié en tant qu’exercice rituel de bilan de fin de projet nécessaire à la « visibilité » de l’action et de son bailleur, le Forum national sur le foncier au Bénin a dès le départ été conçu par l’équipe du projet foncier local comme une opportunité de mettre en débat élargi l’avancée de la mise en œuvre du Code, à partir des expériences et des problèmes rencontrés sur le terrain, tant au niveau de l’ensemble des maires du pays que de l’ANDF. À mi-parcours de la période transitoire prévue avant la pleine mise en application du Code, l’atelier a été pensé et organisé comme un moyen de diffuser et de faire partager un état des lieux et l’information sur les outils mis au point, mais aussi de faire reconnaître les problèmes de mise en œuvre et de fluidifier les rapports entre les acteurs. La double alliance avec les communes et avec le ProPFR dans l’organisation et le portage politique de l’atelier permettait d’en faire un événement « national ». Pour les initiateurs du Forum, coopter l’ANDF parmi les organisateurs, alors même que les équipes projets étaient plutôt critiques vis-à-vis d’elle, était une façon de mettre en avant une approche ouverte de dialogue pluri-acteurs, reconnaissant la place centrale de l’Agence dans le cadre politique et institutionnel, espérant ainsi rendre plus audible les messages qu’ils voulaient faire passer et ainsi influencer sa pratique.

48 De façon ouverte ou plus subliminale selon les moments, oscillant entre échanges apaisés, mises en cause et, parfois, attaques violentes, les prises de parole et les débats ont donné à voir ces enjeux, et à travers eux, les dissensions entre vision centralisée et territoriale de la gestion foncière, entre formalisation de la propriété et sécurisation des droits d’usage, et les discussions sur des instruments non encore stabilisés. Le Forum a constitué une ressource pour chacun des trois grands groupes d’acteurs qui, en partie concurrents mais interdépendants, cherchaient chacun à faire valoir leurs intérêts, à solliciter la prise en compte de leur légitimité et de leurs problèmes précis. Il n’a pas entraîné de décision forte et ses recommandations, comme souvent, ont égrené des grands principes généraux, sans engagement concret des uns et des autres. Mais ses débats ont marqué une étape dans un processus continu et pour partie indéterminé, où la politique en acte se construit de façon bricolée au fur et à mesure de la stabilisation des instruments, et de l’établissement de routines dans les relations institutionnelles et les procédures [36].

49 Les rencontres pluri-acteurs jouent là une fonction importante à plusieurs égards. Au sein de sociétés fortement orales et où l’action publique se fait par le biais de projets, et donc avec de très fortes inégalités territoriales, les ateliers sont un des moyens pour diffuser les informations et les expériences au-delà des sites d’intervention et sont un substitut – certes coûteux – à la circulation écrite de l’information. Ils jouent aussi des rôles importants pour établir des diagnostics et faire remonter des problèmes, et pour la construction et l’entretien des réseaux interpersonnels, comme on l’a dit en introduction. Mais surtout, à travers les informations et les cadrages qu’ils diffusent, la validation d’instruments ou de façons de faire, les relations qu’ils permettent d’établir ou de renforcer, les consensus partiels sur les problèmes et les enjeux qu’ils formalisent, les ateliers explicitent un état des rapports de force entre acteurs et, parfois, induisent des infléchissements dans ceux-ci. Ils marquent dans ce cas des étapes dans la mise en œuvre tâtonnante et contradictoire d’une action publique pluri-acteurs, où aucun d’eux n’a la capacité d’imposer sa propre stratégie aux autres et où les ajustements bricolés pour négocier la contribution des autres sont indispensables.

50 Ces ateliers traduisent aussi l’évolution des stratégies des bailleurs de fonds. À travers l’impulsion et le soutien financier à ces projets « fonciers », tous négociés avec les autorités béninoises – mais plutôt avec le ministère de l’Agriculture – et mis en œuvre sous leur tutelle, les bailleurs de fonds du secteur se sont en effet donné les moyens d’un dialogue critique, en partie indirect, avec la politique foncière nationale. Ou plus exactement, ils ont donné aux équipes des projets qu’ils soutiennent et avec qui ils constituent des réseaux de politique publique [37] les moyens de jouer ce rôle. En acceptant de financer ces nombreux ateliers, ils offrent aux acteurs nationaux des réseaux de politique publique qu’ils soutiennent des opportunités pour ouvrir et animer ces espaces d’échanges et de confrontation pluri-acteurs, et ainsi de tenter d’influer sur les diagnostics, les outils et les rapports entre acteurs au sein des politiques publiques. On notera à cet égard que, en cohérence avec les orientations de la Déclaration de Paris, les bailleurs de fonds sont moins directement visibles lors de ces ateliers que dans la décennie précédente : dans le cas étudié, le forum regroupe essentiellement des Béninois. À l’exception du chef de projet ProPFR, les représentants des bailleurs et les expatriés sont en retrait. Présente à la tribune lors de l’ouverture, la représentante de la coopération hollandaise n’a pas pris la parole, ce qui aurait été inimaginable quelques années plus tôt.

51

Notes

  • [1]
    Nous remercions Florent Aguessi, Marion Fresia et les relecteurs de la revue pour leurs commentaires sur une première version de ce texte.
  • [2]
    E. Grégoire, J.-F. Kobiané et M.-F. Lange (dir.), L’État réhabilité en Afrique. Réinventer les politiques publiques à l’ère néolibérale, Paris, Karthala, 2018.
  • [3]
    I. Bergamaschi, A. Diabaté et É. Paul, « L’Agenda de Paris pour l’efficacité de l’aide. Défis de l’“appropriation” et nouvelles modalités de l’aide au Mali », Afrique contemporaine, n° 223-224, 2007, p. 219-249.
  • [4]
    L. Whitfield et A. Fraser, « Introduction: Aid and Sovereignty », in L. Whitfield (dir.), The Politics of Aid: African Strategies for Dealing with Donors, Oxford, Oxford University Press, 2009, p. 1-26.
  • [5]
    P. Lavigne Delville, « Les réformes de politiques publiques en Afrique de l’Ouest, entre polity, politics et extraversion. Eau potable et foncier en milieu rural (Bénin, Burkina Faso) », Gouvernement et action publique, vol. 7, n° 2, 2018, p. 53-73.
  • [6]
    Pour paraphraser l’impératif délibératif mis en avant par L. Blondiaux et Y. Sintomer, « L’impératif délibératif », Politix, n° 57, 2002, p. 17-35.
  • [7]
    K. Cissoko et R. Touré, « Participation des acteurs sociaux et gouvernance d’État. Le cas du Cadre stratégique de lutte contre la pauvreté au Mali », Politique africaine, n° 99, 2005, p. 142-154.
  • [8]
    L. Blondiaux, Le nouvel esprit de la démocratie. Actualité de la démocratie participative, Paris, Seuil, 2008, p. 75.
  • [9]
    Ce qui était une indemnisation forfaitaire des frais liés à un déplacement professionnel est en effet devenu une prime à la participation, un dû et un complément de revenu recherché, au point que certains en parlent comme d’une pathologie, la « perdiemite ». Voir V. Ridde, « Réflexions sur les per diem dans les projets de développement en Afrique », Bulletin de l’Apad, n° 34-36, 2013, p. 81-114.
  • [10]
    L. Blondiaux, Le nouvel esprit de la démocratie…, op. cit.
  • [11]
    C. Blatrix, « Introduction. Scènes, coulisses et interstices du débat public », in M. Revel, C. Blatrix, L. Blondiaux, J.-M. Fourniau, B. Hériard Dubreuil et R. Lefebvre (dir.), Le débat public : une expérience française de démocratie participative, Paris, La Découverte, 2007, p. 149-154.
  • [12]
    S. Allain, « La conduite d’un débat public sur un projet d’infrastructure : une activité de médiation spécifique. Réflexions à partir du débat public “Francilienne” », in M. Revel et al., Le débat public…, op. cit., p. 112-122.
  • [13]
    L. Simard et J.-M. Fourniau, « Ce que débattre nous apprend. Éléments pour une évaluation des apprentissages liés au débat public », in M. Revel et al., Le débat public…, op. cit., p. 318-331.
  • [14]
    A. Mazeaud, M. Nonjon et R. Parizet, « Les circulations transnationales de l’ingénierie participative », Participations, n° 14, 2016, p. 5-35.
  • [15]
    I. Bellier, « Les peuples autochtones aux Nations unies : un nouvel acteur dans la fabrique des normes internationales », Critique internationale, n° 54, 2012, p. 61-80.
  • [16]
    B. Müller (dir.), The Gloss of Harmony: The Politics of Policy Making in Multilateral Organisations, Londres, Pluto Press, 2013.
  • [17]
    M. Fresia, « La fabrique des normes internationales sur la protection des réfugiés au sein du comité exécutif du HCR », Critique internationale, n° 54, 2012, p. 39-60.
  • [18]
    A. Brun, « Conference Diplomacy: The Making of the Paris Agreement », Politics and Governance, vol. 4, n° 3, 2016, p. 115-123.
  • [19]
    M. Sapignoli, « A Kaleidoscopic Institutional Form: Expertise and Transformation in the UN Permanent Forum on Indigenous Issues », in R. Niezen et M. Sapignoli (dir.), Palaces of Hope: The Anthropology of Global Organizations, Cambridge, Cambridge University Press, 2017, p. 78-105.
  • [20]
    K. Cissoko et R. Touré, « Participation des acteurs sociaux et gouvernance d’État… », art. cité.
  • [21]
    M. Saiget, Programmes internationaux et politisation de l’action collective des femmes dans l’entre-guerres. Une sociologie des interventions sur le genre et les femmes au Burundi (1993-2015), Thèse de doctorat en science politique, Paris, Sciences Po Paris, 2017.
  • [22]
    I. H. Souley, E. Mc Sween-Cadieux, M. Moha, A.-E. Calvès et V. Ridde, « Renforcer la politique de gratuité des soins au Niger : bilan d’un atelier délibératif national novateur » [en ligne], Revue francophone de recherche sur le transfert et l’utilisation des connaissances, vol. 2, n° 2, 2017.
  • [23]
    F. Eboko, Repenser l’action publique en Afrique. Du sida à l’analyse de la globalisation des politiques publiques, Paris, Karthala, 2015 ; D. Darbon et O. Provini, « “Penser l’action publique” en contextes africains. Les enjeux d’une décentration », Gouvernement et action publique, vol. 7, n° 2, 2018, p. 9-29.
  • [24]
    D. Cefaï, M. Carrel, J. Talpin, N. Eliasoph et P. Lichterman, « Ethnographies de la participation », Participations, n° 4, 2012, p. 7-48.
  • [25]
    Nous détaillerons en particulier les interventions introductives et deux des quatre groupes de travail auxquels nous avons assisté (beaucoup plus formels, les deux autres n’ont guère été productifs) et le débat final.
  • [26]
    P. Shipton et M. Goheen, « Introduction. Understanding African Land-Holding: Power, Wealth, and Meaning », Africa, vol. 62, n° 3, 1992, p. 307-325.
  • [27]
    P. Lavigne Delville, « La réforme foncière rurale au Bénin : émergence et mise en question d’une politique instituante dans un pays sous régime d’aide », Revue française de science politique, vol. 60, n° 3, 2010, p. 467-491 ; M. B. Avohouémé et R. Mongbo, « Politique publique locale foncière au Bénin : une catégorie sous l’emprise de l’aide internationale », Revue du Cames : sciences humaines. Nouvelle série, n° 5, 2015, p. 281-306 ; P. Lavigne Delville, History and Political Economy of Land Administration Reform in Benin, Research Project of Economic Development and Institutions (EDI), Oxford/Paris/Namur, Oxford Policy Management/Paris School of Economics/Université de Namur/ADE, 2019.
  • [28]
    Le ministère de l’Urbanisme a réussi à imposer la réforme au ministère des Finances, ce qui est un tour de force, mais celui-ci a obtenu la tutelle de l’Agence et l’a intégrée à son organigramme.
  • [29]
    M. Gandonou et C. Dossou-Yovo, Intégration de la décentralisation dans le Code foncier et domanial du Bénin, Cotonou, ANCB/VNG, 2013.
  • [30]
    Les Pays-Bas, venus tard dans le jeu, se sont d’emblée positionnés en soutien critique, jouant à la fois l’appui institutionnel à l’ANDF et l’expérimentation autonome de terrain alors que les bailleurs « historiques », AFD et GIZ, étaient dans une position beaucoup plus distante.
  • [31]
    Section villageoise de gestion foncière, organe créé par le Code et placé sous la responsabilité de la mairie.
  • [32]
    Le troisième, le Padac (Projet d’appui au développement agricole), financé par l’AFD, a été présent au forum, mais plus en retrait, sans investissement dans l’organisation.
  • [33]
    L’article 361 traite des conditions d’acquisitions d’une terre rurale en fonction de sa superficie. Entre 2 et 20 hectares, l’acquisition est conditionnée à l’approbation du conseil municipal. De 20 à 100 ha, le projet doit être approuvé par l’ANDF.
  • [34]
    Référence au pouvoir coutumier d’attribution de terrains que les élus ont parfois repris dans leur clientélisme politique.
  • [35]
    S. Rui, « La société civile organisée et l’impératif participatif. Ambivalences et concurrence », Histoire, économie et société, vol. 35, n° 1, 2016, p. 58-74.
  • [36]
    Sans que cela puisse être imputé à ce seul atelier – les négociations se jouent dans de multiples espaces –, on notera que le ProPFR a depuis obtenu que des ADC puissent être délivrées sur les parcelles enregistrées au PFR (communication personnelle de F. Aguessi), ce qui permet aux paysans de disposer d’un document légal sans aller jusqu’au titre foncier et récrée la fonction des certificats fonciers de la loi de 2007, abolis par le Code foncier et domanial.
  • [37]
    Sur l’importance des réseaux de politique publique, eux-mêmes transnationalisés, voir P. Lavigne Delville, « Les réformes de politiques publiques en Afrique de l’Ouest… », art. cité.
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