Couverture de POLAF_161

Article de revue

Historicités en dispute. Généalogies et usages au prisme des études africaines

Pages 119 à 137

Notes

  • [1]
    Je remercie Vincent Bonnecase, Julien Brachet, Christine Deslaurier, Joël Glasman et Djemila Zeneidi pour leur relecture attentive et leurs précieux conseils sur les premières versions de cet article.
  • [2]
    Cette journée se déroule dans le cadre d’une école d’été organisée par l’université de Columbia, Sciences Po et l’Institut français de recherche en Afrique (Ifra). Pour le récit de la journée, voir A. Adetoro, A. Adebayo, K. Ashamu, F. Ijimakinwa, O. Ogunsemoyin et C. Omotayo, « One Love Family: Intersection with State and Non-State Agents in Spatial Appropriation », Ifra Nigeria Working Papers Series, n° 39, Ibadan, Ifra Nigeria, 2017.
  • [3]
    Quartier d’Ibadan construit dans les années 1960 pour héberger la nouvelle population étudiante et universitaire de la première université du pays et lieu de résidence de la communauté en 1987 avant son déménagement à la périphérie de la ville.
  • [4]
    « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire. » Extrait du discours prononcé par le président de la République française, Nicolas Sarkozy, le 26 juillet 2007 à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar. Voir J.-P. Chrétien (dir.), L’Afrique de Sarkozy. Un déni d’histoire, Paris, Karthala, 2008 ; A. B. Konaré (dir.), Petit précis de remise à niveau sur l’histoire africaine à l’usage du président Sarkozy, Paris, La Découverte, 2008.
  • [5]
    S’inspirant en cela de l’article de Johanna Siméant qui a montré combien le concept « d’économie morale » avait sur le continent conduit à une multiplication des usages, à des impasses et à une certaine forme de routine interprétative dans les sciences sociales. J. Siméant, « “Économie morale” et protestation : détours africains », Genèse, n° 81, 2010, p. 142-160.
  • [6]
    M. Sahlins, Islands of History, Chicago, University of Chicago Press, 1985, p. x.
  • [7]
    C. Stewart, « Historicity and Anthropology », Annual Review of Anthropology, vol. 45, 2016, p. 82.
  • [8]
    J. Comaroff et J. L. Comaroff, « The Madman and the Migrant: Work and Labor in the Historical Consciousness of a South African People », American Ethnologist, vol. 14, n° 2, 1987, p. 191-209 ; J.-L. Amselle, « Anthropology and Historicity », History and Theory, vol. 32, n° 4, 1993, p. 12-31.
  • [9]
    S. Feierman, Peasant Intellectuals: Anthropology and History of Tanzania, Madison, The University of Wisconsin Press, 1990, p. 29.
  • [10]
    J.-L. Amselle et E. M’Bokolo (dir.), Au cœur de l’ethnie. Ethnies, tribalisme et État en Afrique, Paris, La Découverte, 1985.
  • [11]
    F. Cooper, « The Rise, Fall and Rise of Colonial Studies, 1951-2001 », in F. Cooper, Colonialism in Question: Theory, Knowledge, History, Berkeley, University of California Press, 2005, p. 41-46.
  • [12]
    D. P. Henige, « The Problem of Feedback in Oral Tradition: Four Examples from the Fante Coastlands », The Journal of African History, vol. 14, n° 2, 1973, p. 223-235 ; C. Lentz, « Of Hunters, Goats and Earth-Shrines: Settlement Histories and the Politics of Oral Tradition in Northern Ghana », History in Africa, vol. 27, 2000, p. 193-214 ; D. Nurse et T. Spear, The Swahili: Reconstructing the History and Language of an African Society, 850-1500, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 1985 ; R. L. Pouwels, Horn and Crescent: Cultural Change and Traditional Islam on the East African Coast, 800-1900, Cambridge, Cambridge University Press, 1987, p. 63-74.
  • [13]
    J.-F. Bayart, « Le politique par le bas en Afrique noire. Questions de méthode », Politique africaine, n° 1, 1981, p. 53-82.
  • [14]
    Ibid., p. 60-62.
  • [15]
    Ibid., p. 73.
  • [16]
    J.-F. Bayart, L’État au Cameroun, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1979.
  • [17]
    Ibid., p. 75
  • [18]
    J.-F. Bayart, L’État en Afrique. La politique du ventre, Paris, Fayard, 1989. La question de l’historicité des sociétés africaines est âprement débattue, notamment par Achille Mbembe, « Pouvoir, violence et accumulation », Politique africaine, n° 39, 1990, p. 7-24 ; C. Coulon, « L’exotisme peut-il être banal ? L’expérience de Politique africaine », Politique africaine, n° 65, 1997, p. 77-95.
  • [19]
    J.-F. Bayart, L’État en Afrique…, op. cit., p. 41-55.
  • [20]
    Ibid., p. 58.
  • [21]
    J. F. Ade Ajayi, « Colonialism: An Episode in African History », in L. H. Gann et P. Duignan (dir.), Colonialism in Africa, 1870-1960. Volume I: The History and Politics of Colonialism, 1870-1914, Cambridge, Cambridge University Press, 1969, p. 497-509.
  • [22]
    B. Jewsiewicki et D. S. Newbury, African Historiographies: What History for which Africa?, Beverly Hills, Sage Publications, 1986.
  • [23]
    F. Hartog, Régimes d’historicité. Présentisme et expériences du temps, Paris, Le Seuil, 2003 ; F. Hartog et G. Lenclud, « Régimes d’historicité », in A. Dutru et N. Dodille (dir.), L’état des lieux en sciences sociales, Paris, L’Harmattan, 1993, p. 18-38.
  • [24]
    F. Hartog, Régimes d’historicité…, op. cit., p. 18.
  • [25]
    Ibid., p. 19-20.
  • [26]
    Cette distinction est aussi proposée par Danny Trom et Pascale Laborier dans l’introduction d’un ouvrage sur l’historicité de l’action publique paru la même année. P. Laborier et D. Trom (dir.), Historicités de l’action publique, Paris, PUF, 2003.
  • [27]
    Cité par C. Delacroix, « Généalogie d’une notion », in C. Delacroix, F. Dosse et P. Garcia (dir.), Historicités, Paris, La Découverte, 2009, p. 30.
  • [28]
    En particulier la loi du 23 février 2005, les émeutes d’octobre novembre 2005 en France et la création de l’association les Indigènes de la République.
  • [29]
    R. Bertrand, Mémoires d’empire. La controverse autour du fait colonial, Clamecy, Éditions du Croquant, 2006 ; C. Deslaurier et A. Roger, « Mémoires grises. Pratiques politiques du passé colonial entre Europe et Afrique », Politique africaine, n° 102, 2006, p. 7.
  • [30]
    J.-F. Bayart et R. Bertrand, « De quel “legs colonial” parle-t-on ? », Esprit, n° 12, 2006, p. 141, 149.
  • [31]
    R. Bertrand, « Politiques du moment colonial. Historicités indigènes et rapports vernaculaires au politique en “situation coloniale” », Questions de recherche, n° 26, 2008, p. 35.
  • [32]
    Ibid., p. 16-17.
  • [33]
    Ibid., p. 19.
  • [34]
    J. Revel, « Pratiques du contemporain et régimes d’historicité », Le genre humain, n° 35, 1999, p. 16-17.
  • [35]
    A. Mbembe, La naissance du maquis dans le Sud-Cameroun (1920-1960). Histoire des usages de la raison en colonie, Paris, Karthala, 1996, p. 35 ; A. Mbembe, « Faut-il provincialiser la France ? », Politique africaine, n° 119, 2010, p. 181.
  • [36]
    R. Branche, « “Au temps de la France”. Identités collectives et situation coloniale en Algérie », Vingtième siècle, n° 117, 2013, p. 199-213.
  • [37]
    Comme le suggère Ludivine Bantigny, l’expression régime d’historicité tend peut-être à figer des rapports au temps et « pourrait faire manquer les contestations, négliger les interstices, omettre la pluralité, les formes de coexistence, et donc de concurrence, qu’engage la notion même d’historicité ». L. Bantigny, « Historicités du 20e siècle. Quelques jalons sur une notion », Vingtième siècle, n° 117, 2013, p. 15.
  • [38]
    É. Morier-Genoud, « Renouveau religieux et politique au Mozambique : entre permanence, rupture et historicité », Politique africaine, n° 134, 2014, p. 155-177.
  • [39]
    J. Schmitz, « Migrants ouest-africains vers l’Europe : historicité et espace moraux », Politique africaine, n° 109, 2008, p. 5-15.
  • [40]
    Une récente université d’hiver de l’Association des chercheurs de Politique africaine (Acpa) a travaillé ces notions d’historicité et de temporalités dans ce sens générique. Programme tri-annuel (2016-2019) de formation à la recherche « Historicité et temporalités du politique en Afrique », Acpa, Chaire d’études africaines comparées (UM6P-Rabat). C’est ce sens que je privilégie dans L. Fourchard, Trier, exclure et policer. Vies urbaines en Afrique du Sud et au Nigeria, Paris, Presses de Sciences Po, 2018.
  • [41]
    J.-F. Bayart, « Les chemins de traverse de l’hégémonie coloniale en Afrique de l’Ouest francophone. Anciens esclaves, anciens combattants, nouveaux musulmans », Politique africaine, n° 105, 2007, p. 201-240 ; J.-F. Bayart, « Hégémonie et coercition en Afrique. La “politique de la chicotte” », Politique africaine, n° 110, 2008, p. 123-152.
  • [42]
    B. Hibou, « La “décharge”, nouvel interventionnisme », Politique africaine, n° 73, 1999, p. 6-15 ; B. Hibou, « Retrait ou redéploiement de l’État ? », Critique internationale, n° 1, 1998, p. 151-168.
  • [43]
    M. Hilgers, « The Historicity of the Neoliberal State », Social Anthropology, vol. 20, n° 1, 2012, p. 80-94.
  • [44]
    T. Hagmann et D. Péclard, « Negotiating Statehood: Dynamics of Power and Domination in Africa », Development and Change, vol. 41, n° 4, 2010, p. 539-562.
  • [45]
    M. Catusse et F. Vairel (dir.), « Le Maroc de Mohammed VI : mobilisations et action publique », Politique africaine, n° 120, 2010 ; B. Hibou (dir.), « La Tunisie en révolution ? », Politique africaine, n° 121, 2011 ; A. Bensaäd (dir.), « La Libye révolutionnaire », Politique africaine, n° 125, 2012 ; T. Dahou et N. Sidi Moussa (dir.), « L’Algérie aux marges de l’État », Politique africaine, n° 137, 2015.
  • [46]
    D. Ambrosetti (dir.), « Sud Soudan. Conquérir l’indépendance, négocier l’État », Politique africaine, n° 122, 2011 ; L. de Brito (dir.), « Mozambique, quelle démocratie après la guerre ? », Politique africaine, n° 117, 2010 ; D. Péclard (dir.), « L’Angola dans la paix. Autoritarisme et reconversions », Politique africaine, n° 110, 2008.
  • [47]
    M. Hilgers et J. Mazzocchetti (dir.), « Le Burkina Faso : l’alternance impossible », Politique africaine, n° 101, 2006 ; L. Fourchard (dir.), « Le Nigeria sous Obasanjo. Violences et démocratie », Politique africaine, n° 106, 2007 ; S. Ben Néfissa et J.-Y. Moisseron (dir.), « L’Égypte sous pression ? Des mobilisations au verrouillage politique », Politique africaine, n° 108, 2007 ; R. Ciavolella et M. Fresia (dir.), « Mauritanie, la démocratie au coup par coup », Politique africaine, n° 114, 2009 ; F. Bernault et J. Tonda (dir.), « Fin de règne au Gabon », Politique africaine, n° 115, 2009 ; A. Allal et M. Vannetzel (dir.), « Restaurations autoritaires ? », Politique africaine, n° 146, 2017.
  • [48]
    Seule exception à cette historicité réduite à quelques décennies, l’Éthiopie dont la centralisation étatique remonte à la seconde moitié du xixe siècle. Voir C. Barnes et T. Osmond, « L’après-État-nation en Éthiopie. Changement de forme plus que d’habitudes ? », Politique africaine, n° 99, 2005, p. 8.
  • [49]
    F. Hartog, Régimes d’historicité…, op. cit., p. 18, p. 223.
  • [50]
    R. Reid, « Past and Presentism: The “Precolonial” and the Foreshortening of African History », The Journal of African History, vol. 52, n° 2, 2011, p. 135-155.
  • [51]
    C. Coulon, « L’exotisme peut-il être banal ?… », art. cité.
  • [52]
    C. Deslaurier, « Le “bushingantahe” peut-il réconcilier le Burundi ? », Politique africaine, n° 92, 2003, p. 76-96 ; R. Sarro, R. Blanes et F. Viegas, « La guerre dans la paix. Ethnicité et angolanité dans l’Église kimbanguiste de Luanda », Politique africaine, n° 110, 2008, p. 84-101.
  • [53]
    Voir sur le sujet et parmi une abondante bibliographie T. Spear, « Neo-Traditionalism and the Limits of Invention in British Colonial Africa », The Journal of African History, vol. 44, n° 1, 2003, p. 3-27 ; C. Lentz, Ethnicity and the Making of History in Northern Ghana, Édimbourg, Edinburgh University Press, 2006.
  • [54]
    Devenue 20 & 21. Revue d’histoire.
  • [55]
    L. Bantigny et Q. Deluermoz (dir.), « Historicités du 20e siècle. Coexistence et concurrence des temps », Vingtième siècle, n° 117, 2013.
  • [56]
    F. Dosse, « Reinhart Koselleck, entre sémantique historique et herméneutique critique », in C. Delacroix et al., Historicités, op. cit., p. 115.
  • [57]
    Q. Deluermoz, « Les formes incertaines du temps. Une histoire des historicités est-elle possible ? », Vingtième siècle, n° 117, 2013, p. 3.
  • [58]
    L. Bantigny, « Historicités du 20e siècle… », art. cité, p. 15-16.
  • [59]
    Pour Deluermoz, une histoire des historicités est possible à condition d’en restreindre l’usage à la manière dont l’histoire vient à la conscience des acteurs. Q. Deluermoz, « Les formes incertaines du temps… », art. cité.
  • [60]
    R. Branche, « Papa qu’as-tu fait en Algérie ». Enquête sur un silence familial, Paris, La Découverte, 2020.
  • [61]
    C. Stewart, « Historicity and Anthropology », art. cité, p. 89.
  • [62]
    Ibid., p. 83.
  • [63]
    M. Lambek, The Weight of the Past: Living with History in Mahajanga, Madagascar, New York, Palgrave Macmillan, 2002.
  • [64]
    M. Lambek, « On Being Present to History: Historicity and Brigand Spirits in Madagascar », HAU: Journal of Ethnographic Theory, vol. 6, n° 1, 2016, p. 317-341.
  • [65]
    C. Stewart, « Historicity and Anthropology », art. cité, p. 85 ; M. Lambek, « On Being Present to History… », art. cité, p. 318.
  • [66]
    C. Stewart, « Historicity and Anthropology », art. cité, p. 83.
  • [67]
    R. Bertrand, « Politiques du moment colonial… », art. cité, p. 27.
  • [68]
    Comuniqué de presse de Satguru Maharj Ji, « the living perfect Master, the Mahdi and Christ of this age and the Father of all Creations », 8 juin 2017.
  • [69]
    M. Diouf, « Fresques murales et écriture de l’histoire : le set/setal à Dakar », Politique africaine, n° 46, 1992, p. 41-54.
  • [70]
    Ibid., p. 41, 54.
  • [71]
    N. A. Benga « Entre Jérusalem et Babylone : jeunes et espace public à Dakar », Autrepart, n° 18, 2001, p. 169-178.
  • [72]
    Ibid., p. 174.
  • [73]
    T. Makori, « Abjects retraités, jeunesse piégée : récits du déclin et d’une temporalité multiple parmi les générations de la “Copperbelt” congolaise », Politique africaine, n° 131, 2013, p. 51-73.
  • [74]
    Ibid., p. 72.
  • [75]
    Ibid., p. 51.
  • [76]
    J. Ferguson, Expectations of Modernity: Myths and Meaning of Urban Life on the Zambian Copperbelt, Berkeley, University of California Press, 1999.
  • [77]
    I. Thioub, « Stigmates et mémoires de l’esclavage en Afrique de l’Ouest : le sang et la couleur de peau comme lignes de fracture », Fondation de la Maison des sciences de l’homme, Collège d’études mondiales, n° 23, 2012 ; R. Botte, « Le droit contre l’esclavage au Niger », Politique africaine, n° 90, 2003, p. 127-143.
  • [78]
    L. Pelckmans et C. Hardung, « La question de l’esclavage en Afrique : politisation et mobilisations », Politique africaine, n° 140, 2015, p. 5-22.
  • [79]
    I. Thioub, « Stigmates et mémoires de l’esclavage… », art. cité, p. 8.
  • [80]
    A. L. Stoler, « L’aphasie coloniale française : l’histoire mutilée », in N. Bancel, F. Bernault, P. Blanchard, A. Boubeker, A. Mbembe et F. Vergès (dir.), Ruptures postcoloniales. Les nouveaux visages de la société française, Paris, La Découverte, 2010, p. 62-78.
  • [81]
    R. Kössler, « La fin d’une amnésie ? L’Allemagne et son passé colonial depuis 2004 », Politique africaine, n° 102, 2006, p. 50-66.
  • [82]
    M. Mourre, Thiaroye 1944. Histoire et mémoire d’un massacre colonial, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2017 ; G. Mann, « Colonialism Now: Contemporary Anticolonialism and the “Facture Coloniale” », Politique africaine, n° 105, 2007, p. 181-200.
  • [83]
    D. M. Anderson, « Mau Mau in the High Court and the “Lost” British Empire Archives: Colonial Conspiracy or Bureaucratic Bungle? », The Journal of Imperial and Commonwealth History, vol. 39, n° 5, 2011, p. 699-716 ; C. Elkins, « Alchemy of Evidence: Mau Mau, the British Empire, and the High Court of Justice », The Journal of Imperial and Commonwealth History, vol. 39, n° 5, 2011, p. 731-748.
  • [84]
    P. Bijl, « Colonial Memory and Forgetting in the Netherlands and Indonesia », Journal of Genocide Research, vol. 14, n° 3-4, 2012, p. 441-461.
  • [85]
    C. Deslaurier et A. Roger, « Mémoires grises… », art. cité, p. 8.

1Ibadan. 15 juin 2017 [1]. Je passe la journée avec six étudiants nigérians dans le village d’une communauté spirituelle appelée « One Love Family Movement [2] ». Une fois déchaussés et après avoir déposé téléphones portables et appareils photos à l’entrée, nous sommes invités à découvrir les différents bâtiments, jardins et parcs, à discuter avec les fidèles avant de rencontrer en fin de journée le prophète de la communauté, le Sat Guru Maharaj Ji (qui signifie l’enseignant de la révélation de la vérité). À l’entrée de l’immense structure métallique qui sert de temple principal se trouve un tableau à deux colonnes intitulé Original Locations and Names of Cities of Nigeria before the European Invasion. Dans la colonne de gauche se trouvent des cités du monde yoruba, à droite, se trouve, en face de chaque cité, une ville ou un pays du monde. Un fidèle explique : « L’origine du monde est en pays yoruba, chaque ville du monde a pour origine une cité dans le monde yoruba. Ile-Ife est Israël, Ibadan est Nazareth, Lagos Jérusalem, Kano La Mecque, Owerri Rome, Jos la Chine, Bodija [3] la Californie. » Comme nous avons l’air dubitatifs sur les correspondances entre les lieux et la chronologie proposée, il nous est répondu que la colonisation a diffusé à l’échelle mondiale la civilisation du monde yoruba. En fin de journée, à la demande « pourquoi Paris est absente de cette carte du monde », le Sat Guru Maharaj Ji répond, non sans une pointe de malice, « c’est un travail en cours… comme tout travail historique ».

2Ce tableau est une mise en pratique des mythes d’origine du peuplement de la terre depuis le monde yoruba et sa cité mère (Ile-Ife), mais il ne s’y réduit pas : les mentions d’autres cités dans le Nord et l’Est du Nigeria montrent une attention qui ne colle pas entièrement à ces mythes. Le tableau est plutôt une vision nigériano-centrée de l’histoire mondiale qui entre en concurrence avec les chronologies proposées par les historiens. Il révèle une historicité, celle d’un usage singulier du passé analysé et interprété par les acteurs eux-mêmes. Si ce type d’historicité existe dans le champ des études africaines, il est jusqu’à présent plutôt marginal alors qu’il pourrait ouvrir des pistes de recherche encore négligées sur le continent.

3Cet article revient sur la notion d’historicité dans ses multiples acceptions en tentant d’en faire la généalogie et d’en retracer les usages au prisme des études africaines, et notamment de la revue Politique africaine. Celle-ci a dès sa naissance en 1981 popularisé un usage à rebours d’une longue tradition académique et philosophique de négation de l’histoire des sociétés africaines qui ne pouvait s’envisager qu’au regard de l’histoire de l’Europe. Quarante ans plus tard, cette historicité, comprise comme ce qui serait le caractère historique de longue durée des sociétés africaines, est devenue commune dans de nombreux milieux universitaires. Elle est nécessaire tant nombre d’hommes politiques européens continuent, par tactique ou par ignorance, à prétendre que l’Afrique n’a pas d’histoire [4]. La popularisation de la notion a néanmoins conduit en quarante ans à la multiplication de ses usages. Il n’est pas inutile de clarifier les différentes acceptions d’une notion dont la polysémie et la routinisation risquent de faire perdre sa valeur explicative ou interprétative [5]. Préciser son usage permet de fait de mieux distinguer l’historicité de l’histoire et de la mémoire avec lesquelles elle est parfois confondue. Après avoir retracé des origines généalogiques radicalement différentes et le caractère polysémique de ses usages, une approche centrée sur l’analyse des usages sociaux du passé permet d’ouvrir un champ de recherche attentif à l’histoire comme cause telle qu’elle est mobilisée par les acteurs ordinaires, à l’image du Sat Guru Maharaj Ji.

Des généalogies radicalement différentes

4Au début des années 1980 émerge une anthropologie de l’historicité à la suite des travaux de Marshall Sahlins sur l’archipel d’Hawaï. Sahlins démontre que la « culture » dans ces îles du Pacifique exerce un pouvoir contraignant sur les actions et les perceptions des populations, ce dont rend compte son aphorisme devenu célèbre : « différentes cultures, différentes historicités [6] ». L’historicité devient à sa suite et pour nombre d’anthropologues un ordonnancement culturel de l’histoire (cultural ordering of history), opérant dès lors une distinction entre une historicité fondée sur une factualité vérifiable (celle des historiens) et une historicité entendue comme une « perception culturelle du passé [7] ». Les approches de Sahlins trouvent cependant peu d’écho en Afrique dans un premier temps. Quelques anthropologues tentent de révéler des historicités propres à des groupes sociaux mais ils l’inscrivent dans une histoire plus large ou explorent comment l’histoire vient à la conscience des acteurs [8]. L’approche de Sahlins repose sur la supposition que chaque société a des frontières bien identifiées et une historicité propre (ce à quoi renvoie le titre de son ouvrage Islands of History[9]). Elle renvoie dos à dos une historicité produite par les acteurs à une historicité produite par les historiens. Or les historiens de l’Afrique dans les décennies qui suivent les indépendances ont à cœur de faire connaître une autre histoire, qu’elle soit antérieure à ou pervertie par la domination coloniale. L’impératif a notamment été de révéler la dimension construite pendant la colonisation des assignations, notamment ethniques [10], d’explorer les résistances au colonialisme et ses effets psychologiques et économiques dramatiques [11] et de révéler une histoire longue, notamment à travers le recueil de traditions orales. L’historicité dans le sens d’une acception de constructions historiques du passé par les acteurs sociaux est globalement remise en cause par les historiens dans les années 1970 et 1980. L’analyse d’ancestralités prestigieuses de lignages de commerçants, de lettrés musulmans ou de chefs est comprise comme une invention d’origine immémoriale, arabe ou persique, peu attestée par les sources, et comme une instrumentalisation de l’histoire par des acteurs puissants qui tentent ainsi de se légitimer dans l’espace social [12]. Le Sat Guru Maharaj Ji inscrit lui aussi sa trajectoire dans une généalogie de divinités (yoruba) ou de prophètes (Moïse, Abraham, Jésus, Mohammed), pour autant ni son historicité ni celle de sa communauté ne sauraient se limiter à ces origines prophétiques supposées.

5Aux antipodes de cette approche émerge en France une autre acception de l’historicité. Le terme s’impose dans Politique africaine contre la lecture « dépendantiste » et développementaliste et contre un courant marxiste de l’anthropologie économique alors commune à la fin des années 1970. On le doit en premier lieu à Jean-François Bayart, cofondateur de la revue, lequel, dès le premier numéro en mars 1981, pose dans un article programmatique ce qu’il entend par historicité [13]. Inspiré par Michel de Certeau, pour qui il est urgent de déceler comment une société entière ne se réduit pas à sa surveillance, il se refuse à considérer les sociétés paysannes africaines comme « de simples sociétés réservoirs appendices du capitalisme » pour valoriser au contraire leur historicité propre et leurs actions autonomes [14]. Attentive à la fois aux formes de domination politique et aux modes populaires d’action politique, cette historicité est à rechercher du côté des sociétés « précoloniales [15] ». Il reprend l’hypothèse, posée dans L’État au Cameroun paru deux ans plus tôt [16], qui suggère que les lignes modernes d’inégalité et de domination sont le prolongement direct des structures sociales précoloniales, en bref que les dominés d’hier constituent la masse des dominés d’aujourd’hui. « Il s’agit donc de tenter de conceptualiser la continuité historique des différentes sociétés anciennes à l’État postcolonial, d’en dégager le ou les scénarios [17]. »

6Jean-François Bayart consolide son approche dans l’introduction de L’État en Afrique paru en 1989 et qui est l’objet de nombreuses discussions dans la revue [18]. Contester les paradigmes « développementalistes » et « dépendantistes », c’est contester une représentation qui se fonde sur la dénégation de l’historicité propre du continent, celle d’une trajectoire forcée de se fondre dans une histoire du monde occidental. Rendre compte de l’historicité du continent, c’est rompre avec une périodisation de l’histoire des sociétés africaines qui se confond avec celle de la mise en dépendance de l’Afrique. Bayart se situe à la croisée de plusieurs influences intellectuelles, les travaux fondateurs de Balandier qui montrent l’aptitude des sociétés à tirer parti des suites de l’occupation étrangère, fondement de la thèse de « l’historicité dans l’extraversion » de l’Afrique appelée à un bel avenir [19], « la longue et inépuisable durée » de Fernand Braudel [20], mais aussi les très nombreuses recherches historiques et anthropologiques sur le travail, les modes de production et la formation de l’État. Il fait sienne l’estocade portée par l’historien nigérian Ade Ajayi qui qualifie la colonisation de parenthèse dans la longue histoire du continent [21]. En somme, l’historicité s’inscrit dans la longue durée des sociétés africaines, plus précisément celle antérieure à la colonisation qui continue de modeler peu ou prou les sociétés contemporaines. Cette approche n’est pas anodine, surtout pour une revue de jeunes chercheurs en sciences sociales dans les années 1980 pour lesquels il est d’autant plus impératif d’affirmer la nécessité de rendre compte de cette longue histoire que cette démarche était alors bien rare dans la science politique française alors que l’attention aux mondes « précoloniaux » devenait le cœur des interrogations des historiens et des anthropologues de l’Afrique entre les années 1960 et 1980 [22].

7En dehors du cercle des études africaines, deux acceptions différentes émergent, à la faveur notamment de l’introduction en France par François Hartog et Gérard Lenclud en 1993 de la notion de « régime d’historicité », qui sur le coup passe inaperçu, puis de sa popularisation lors de la publication du livre de François Hartog en 2003 [23]. L’analyse d’Hartog porte sur les modes d’articulation du présent, du passé et du futur, influencé d’une part par Sahlins, et d’autre part par l’historien allemand Reinhart Koselleck qui recherchait comment, dans chaque présent, les dimensions temporelles du passé et du futur sont mises en relation [24]. Hartog en précise les contours en 2003 :

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« Régimes d’historicité pouvait s’entendre de deux façons. Dans une acception restreinte, comment une société traite son passé et en traite. Dans une acception large, où régime d’historicité servirait à désigner la modalité de conscience de soi d’une communauté humaine. […] La notion devait pouvoir fournir un instrument […] pour mettre en lumière des modes de rapport au temps : des formes de l’expérience du temps, ici et là-bas, aujourd’hui et hier [25]. »

9C’est plutôt cette dernière approche qui intéresse Hartog en 2003 [26]. Elle lui permet de s’interroger sur les expériences du temps dans une société donnée et d’avancer l’hypothèse que l’Europe occidentale a basculé, au tournant des années 1980, dans un présentisme, c’est-à-dire dans un rapport obsessionnel au présent. Ces approches plurielles de l’historicité témoignent bien que la notion à la fin des années 1990 est alors plastique, non encore stabilisée et protéiforme, et que ses usages ne sont, d’après Jacques Revel, encore ni clairement repérés, ni vraiment analysés à partir de leur contexte d’élaboration [27].

10À compter des années 2000, l’intérêt pour la longue durée du continent a cédé la place au « moment colonial ». Le regain d’intérêt pour les études coloniales dans le champ des études africaines, des area studies et de l’histoire globale et connectée se conjugue avec une série d’événements politiques en France [28] qui remettent la question coloniale au centre des controverses publiques [29]. Pour Jean-François Bayart et Romain Bertrand, l’historicité est alors synonyme de cette imbrication du passé et du présent, tout en constatant que ni le moment colonial ni l’État colonial n’ont arasé l’historicité irréductible des sociétés soumises à l’entreprise coloniale [30]. En 2008, Romain Bertrand semble cependant s’éloigner de cet usage en faisant davantage travailler les régimes d’historicité de François Hartog à partir de ce qu’il appelle « les politiques du moment colonial [31] ». Il propose de recourir aux historicités indigènes ou vernaculaires (un mot moins chargé que le terme indigène qui renvoie à la vision européenne des mondes locaux) plutôt qu’au paradigme bancal des formes d’appropriation ou d’agency des populations colonisées, qui reconduisent sous une forme ou une autre leur déficit d’histoire ou une vision européocentriste des sociétés extra-européennes. Cette historicité permet dès lors de partir du caractère contingent, partiel et provisoire de la domination coloniale européenne à l’aune de trajectoires politiques asiatiques ou africaines de « longue durée », et de briser ainsi le cadre de la tripartition intuitive des histoires extra-européennes entre « période précoloniale », « période coloniale » et « période postcoloniale [32] ». L’historicité n’est plus seulement le caractère historique des sociétés soumises à la domination coloniale. L’effort de périodisation se situe plutôt au point d’articulation entre, d’une part, la qualification savante rétrospective du temps et, de l’autre, les perceptions ou constructions vernaculaires profanes des chronologies pertinentes [33]. Il invite ainsi à penser la coprésence de régimes d’historicités distincts mais séquents. « Colonisés » et « colonisateurs » ont de fait pu habiter la même situation sans pour autant vivre dans les mêmes « ordres du temps », c’est-à-dire sous le régime des mêmes principes « d’articulation entre passé, présent et futur ». Romain Bertrand se rapproche ainsi d’une dimension de l’historicité qui est celle du « rapport qu’un acteur social ou une pratique sociale entretient avec le temps, […] en somme d’une “expérience du temps historique” [34] ».

11Les régimes d’historicité sont utilisés dans le champ des études africaines pour qualifier la confrontation entre le nouvel ordre du temps des colonisateurs et celui des populations colonisées. Achille Mbembe en fait un usage précoce dans son livre sur la naissance du maquis au Sud Cameroun publié en 1996 en appréhendant ce régime comme « une nouvelle prosaïque », c’est-à-dire « un processus d’unification relative qui ne gomma point les régimes qui lui préexistaient », un argument qu’il reprend en 2010 dans la revue [35]. Pour Raphaëlle Branche, la colonisation en Algérie produit « des régimes distincts sans être strictement opposés car des espaces-temps autonomes continuent à exister alors même que l’État colonial tente d’imposer son ordre des choses et du temps [36] ». En somme, historiennes et historiens insistent autant sur le bouleversement du temps introduit par les régimes coloniaux que sur l’ensemble des usages sociaux vernaculaires du temps qui se poursuivent pendant la colonisation.

Une notion extensive et polysémique

12À l’instar d’autres espaces académiques, Politique africaine n’échappe pas à ces usages différenciés. Le concept de régimes d’historicité demeure marginal dans la revue à la différence de la notion d’historicité qui, utilisée seule, semble être beaucoup plus plastique [37]. Dans la plupart des cas, l’historicité renvoie à des permanences historiques longues qui permettent d’articuler ruptures et continuités. Pour questionner le renouveau religieux et politique au Mozambique depuis deux décennies, Éric Morier-Genoud insiste ainsi sur les formes de continuités par-delà des ruptures, qu’elles soient apparentes dans les pratiques religieuses comme dans l’explosion des nouvelles dénominations [38]. Pour Morier-Genoud, ce renouveau n’est que la pointe d’un « iceberg temporel », expression qu’il reprend à David Maxwell pour indiquer que les mouvements et les institutions pentecôtistes, charismatiques et réformistes musulmanes ne sont pas aussi nouveaux qu’ils en ont en l’air (ils s’inscrivent dans la tradition des mouvements wahhabites et baptistes) et qu’il s’agit plutôt d’un déplacement que d’une rupture dans l’histoire religieuse du Mozambique. En l’occurrence, ici, l’historicité désigne des permanences historiques au-delà des ruptures apparentes. C’est aussi cet usage que fait Jean Schmitz lorsqu’il étudie de manière longitudinale la transformation des pratiques des remises dans les chaînes migratoires qui relient l’Afrique de l’Ouest, l’Europe et le reste du monde depuis le milieu du xixe siècle [39]. C’est le caractère historique d’un phénomène, d’un groupe, d’une institution, d’une pratique, conjugué à l’articulation de ses temporalités, qui semble dessiner le sens commun de l’historicité pour de nombreux auteurs [40].

13C’est d’ailleurs sous cette acception que la notion voyage le mieux en dehors de la revue et des études africaines. L’historicité de l’État, qui désigne sa longue formation historique et implique l’imbrication de la courte, moyenne et longue durée [41], est sans doute le sujet qui est le plus largement débattu dans les sciences sociales en et hors d’Afrique, comme le montre la vigueur des débats autour de la « privatisation de l’État » que Béatrice Hibou invite à analyser au-delà du moment des politiques d’ajustements structurels [42]. De même, Mathieu Hilgers estime que les politiques néolibérales ne constituent qu’un élément parmi d’autres de l’historicité de l’État en Afrique, contestant ainsi à Loïc Wacquant l’occidentalo-centrisme de ses approches du néolibéralisme [43]. L’historicité de l’État est, avec sa dimension symbolique et matérielle, sa légitimité et l’encastrement des organisations bureaucratiques dans le monde social, considérée par Didier Péclard et Tobias Hagmann comme l’un des quatre points fondamentaux pour repenser l’étaticité (statehood) dans le monde [44]. La forte proximité scientifique entre ces auteurs et la revue autorise à penser que Politique africaine a été à la fois un laboratoire et un espace de popularisation de l’historicité de l’État en Afrique et ailleurs dans le monde.

14Reste à savoir de quelle profondeur historique parle-t-on ? Il peut être ironique de remarquer que c’est au moment où cette historicité, qui trouve ses racines dans les temps anciens ou dans le legs colonial, devient l’un des fondements d’une théorisation de l’État en Afrique, et généralement hors de l’Occident, que sa temporalité se réduit dans la revue. En se limitant aux numéros « pays » publiés dans les années 2000-2020, on ne peut que constater que l’histoire coloniale comme l’histoire plus ancienne a disparu des trajectoires des États pour faire émerger des pluralités temporelles propres à chaque espace national. Que ce soit pour interroger les « moments révolutionnaires » ou les mobilisations sociales consécutives aux « Printemps arabes » (Tunisie, Libye, Algérie, Maroc) [45], pour comprendre combien la guerre est indissociable de la formation de l’État (Angola, Mozambique, Sud Soudan, Soudan) [46] ou pour explorer les expériences démocratiques chaotiques ou les restaurations autoritaires de ces dernières décennies (Sénégal, Burkina Faso, Égypte, Cameroun, Nigeria, Mauritanie, Gabon, Rwanda) [47], le recours à l’histoire est, sauf exception, toujours postérieure aux indépendances [48]. Cet exemple ne saurait renvoyer à l’ensemble des recherches publiées dans la revue ni dans le champ plus large des études africaines. Mais que peut-il signifier ? Est-ce que les expériences coloniales et précoloniales, complètement absentes, sont trop lointaines pour être vraiment utiles pour appréhender les mobilisations comme les pratiques routinières et les imaginaires étatiques des dernières décennies ? Ou faut-il y voir une forme de présentisme devenue dominante en histoire comme dans les sciences sociales en général ?

15Pour François Hartog qui en a popularisé l’usage en France, le présentisme est la montée en puissance d’un présent omniprésent qui s’impose comme une évidence, il privilégie la mémoire et considère le passé en ayant en vue le présent. Il se traduit notamment par des demandes sociales et politiques d’histoire très contemporaine [49]. À l’échelle du continent, ce présentisme se manifeste différemment chez certains historiens, par un biais historiographique, celui du raccourcissement de l’histoire de l’Afrique à son xxe siècle lié à la fascination durable d’un grand nombre de chercheurs et de chercheuses pour les périodes coloniale et postcoloniale [50]. Richard Reid, historien de l’Afrique de l’Est, remet en question, après d’autres, la thèse de l’invention de l’ethnicité à l’époque coloniale et l’approche court-termiste des conflits contemporains. Il en appelle à recouvrer une histoire de longue durée qui replace les guerres, les ethnicités comme les modes de vie urbains dans une histoire plus longue et plus africaine, c’est-à-dire résolument antérieure au xxe siècle. Cette question de la longue durée historique autour de ces deux objets que furent l’État et l’ethnicité dans les années 1980 et 1990 [51] semble, à quelques exceptions près [52], s’être évaporée au cours des vingt dernières années dans la revue alors qu’elle reste au cœur des débats dans le champ des études africaines [53]. Ce relatif abandon de la longue durée à propos de ces objets dans la revue ne signifie pas pour autant que l’histoire soit négligée au sein des sciences sociales, comme en témoigne la place de la sociohistoire, de la sociologie historique et de l’anthropologie historique dans les études africaines. Il s’agit d’une question plus large qui ne relève pas du propos de cet article.

16De ce trop rapide tour d’horizon, il semble que la notion d’historicité soit devenue très largement commune dans le champ des études africaines. Ce faisant, elle n’a pas échappé à un étirement de sens et à une multiplication de ses usages. Selon les auteurs, les disciplines ou les courants, l’historicité peut désigner : le caractère historique d’un phénomène, d’un groupe, d’une institution ; des permanences historiques derrière des ruptures apparentes ; l’articulation des courtes, moyennes et longues durées ; un héritage du passé dans le présent ; des expériences vernaculaires ou savantes du temps ; un usage du passé par les acteurs ; une longue durée historique (délestée de l’obsession présentiste). S’il reste à faire un inventaire plus complet de l’usage de la notion selon les disciplines ou les objets, il peut être significatif de constater qu’autant l’historicité est devenue commune dans les sciences sociales, autant elle reste peu mobilisée par les historiennes et historiens du continent. Comme si l’historicité se rapprochait suffisamment de l’histoire pour que les sciences sociales utilisent la notion sans revendiquer faire de l’histoire. Et comme si, pour les spécialistes du passé, l’historicité ne se distinguait pas assez de l’histoire pour ne pas avoir besoin d’y recourir.

17Il ne s’agit pas ici de vouloir restreindre les usages d’une notion qui s’est imposée dans le sens commun des études africaines. Mais comme la polysémie de la notion a sans doute fait perdre une partie de sa valeur explicative ou interprétative, sans doute n’est-il pas complètement inutile non plus de rappeler la nécessité de distinguer davantage ses usages. Outre l’exercice académique, la question est politique : au-delà du travail produit par les professionnels du passé, comment tenir compte d’une histoire souvent traumatique écrite et mobilisée par une multitude de collectifs militants, de citoyens et de citoyennes ordinaires, d’hommes et de femmes politiques et d’entrepreneurs de causes ? La question de savoir quel héritage du passé se retrouve dans le présent – des sociétés africaines, européennes et d’ailleurs – est l’objet de multiples controverses, de récits opposés, de conflits politiques, que cet héritage s’enracine dans le passé esclavagiste ou colonial de l’Afrique et de l’Europe ou dans celui des conflits postcoloniaux dont les mémoires clivées et longuement tues sont toujours plus difficiles à ignorer aujourd’hui.

Travailler les historicités concurrentes

18Dans une livraison récente de la revue Vingtième siècle[54], un groupe d’historiennes et d’historiens appellent à un usage resserré de l’historicité en s’inspirant des travaux de l’historien allemand Reinhart Koselleck [55]. Celui-ci a défini l’historicité comme le point d’intersection de ce qu’il appelle « l’espace d’expérience » et « l’horizon d’attente ». « L’espace d’expérience » renvoie à un tissage du passé et du présent en fonction de multiples trajectoires alors que « l’horizon d’attente » désigne un futur rendu présent sans se laisser simplement dériver de l’expérience présente [56]. Ce travail conceptuel sur l’historicité permet ainsi d’aller au-delà du simple caractère historique d’un objet [57]. On reprend ici quelques conclusions du travail théorique de Koselleck synthétisées par Ludivine Bantigny :

19

« L’historicité désigne la capacité qu’ont les acteurs d’une société ou d’une communauté donnée à inscrire leur présent dans une histoire, à le penser comme situé dans un temps non pas neutre mais signifiant, par la conception qu’ils s’en font, les interprétations qu’ils s’en donnent et les récits qu’ils en forgent. Au fond, le présent “garde l’initiative” ; le passé est fonction de la sélection historique que les sociétés pratiquent selon leurs exigences présentes ; et ce “passé n’est définitivement fixé que quand il n’a plus d’avenir”. Contre toute rigidité donc, l’historicité suppose une conscience mouvante et changeante du passé et du futur, façonnée à l’aune du présent [58]. »

20Dans une vision non exclusivement historienne, privilégiée ici, l’historicité peut être définie à la suite de Koselleck – dans une acception que je qualifierais de précise plutôt que de restreinte – comme un mode de rapport au temps des acteurs sociaux. Elle invite à enquêter sur la coexistence et la concurrence des rapports au temps des acteurs d’aujourd’hui et de ceux d’hier. Elle propose de ne pas se limiter à l’étude de la conscience historique des acteurs [59] mais d’envisager les manières de comprendre le passé, en incluant les formes d’oubli et les histoires de silence [60]. Elle impose d’investir avec autant d’attention scientifique les catégories du passé, du présent (l’espace d’expérience) et du futur (l’horizon d’attente), ce qui la distingue de l’histoire. À la différence de la mémoire enfin, l’historicité porte son attention sur les relations au passé qui procèdent, comme le signale Stewart, de l’hypothèse explicative plutôt que du souvenir, de l’affirmation ou de la découverte d’une vision du passé plutôt que de sa réapparition ou de sa résurgence [61].

21Cette dimension de l’historicité a été, en partie, travaillée par les anthropologues à la suite des travaux de Sahlins. Ce courant de la recherche rend compte d’historicités souvent en concurrence avec la discipline historique, notamment en raison de l’usage de sources considérées comme peu tangibles pour les historiens professionnels comme les possessions spirituelles ou les rêves [62]. L’un de ses principaux héritiers est Michael Lambek qui explore comment les royautés Sakalava à Madagascar conceptualisent, vivent, apprécient, parlent et rendent compte de leur histoire, notamment au moment des cérémonies de succession des clans royaux [63]. Ces cérémonies font l’objet de possessions spirituelles qui sont pour Lambek un lieu privilégié d’observation d’une historicité vernaculaire : les morts et les vivants se côtoient, un ancien roi peut surgir dans le présent, plusieurs figures royales appartenant à des périodes différentes peuvent apparaître simultanément [64]. Les esprits sont moins les agents d’une vérité historique que des médiums qui apportent des interprétations possibles à des circonstances contemporaines de la cérémonie (la croissance du phénomène du banditisme à Madagascar dans les années 2010 cristallise les mécontentements populaires) et rappellent aux princes régnants comme au gouvernement en général leurs obligations morales. Ce passé s’invite donc en redéfinissant le présent et les configurations politiques. Lambek considère cette historicité distincte de ce qu’il appelle l’historicisme euro-américain, terme équivalent dans son esprit à l’histoire académique, en raison de différences radicales dans les manières de saisir les temporalités et les faits historiques.

22Lambek, Stewart et Sahlins postulent une opposition entre d’un côté ce qui est appelé « un ordonnancement culturel de l’histoire » ou « une ethnographie de l’histoire » dévoilée par des anthropologues soucieux des mythes, de la dimension affective du passé et de la crédibilité des récits portés par des individus ou des groupes, et de l’autre une histoire faite par des historiens attachés à des vérités empiriquement vérifiables [65]. Considérer l’histoire académique comme une possibilité parmi d’autres de percevoir, de comprendre et de représenter le passé [66] est une ouverture analytique importante qui n’est pas sans risque : relativiser la factualité de l’analyse historique peut ouvrir la porte aux révisionnismes et aux négationnismes à de nombreux acteurs politiques. L’histoire n’est par ailleurs pas complètement opposable aux historicités vernaculaires.

23Certes, les manières de penser le passé peuvent entrer en concurrence, les récits vernaculaires rapportés par les uns étant peu souvent ou pas toujours congruents avec des récits établis par les historiens. Mais il est sans doute préférable de ne pas postuler a priori une opposition entre ces manières d’historiciser le passé. Il s’agit plutôt de rendre compte comment les individus peuvent simultanément se mouvoir entre des mondes sociaux distincts, pour partie séquents, pour partie incommensurables [67]. Les individus peuvent s’emparer, taire, subvertir, ignorer ou prendre leur distance avec une histoire dite académique. C’est aussi dans ce jeu de miroirs que peuvent s’analyser des historicités parfois concurrentes, parfois perméables à des écritures historiennes.

24L’histoire du Sat Guru Maharaj Ji montre qu’une opposition entre les historicités vernaculaires et l’histoire académique n’est de fait pas toujours opératoire. Ce dernier articule les historicités singulières de sa communauté et l’histoire contemporaine du Nigeria dont il est partie prenante : il est montré dans une salle d’exposition en compagnie des grands de ce monde (Olusegun Obasanjo, président du Nigeria de 1999 à 2007, Bill Clinton en visite au Nigeria, ou les plus hauts dignitaires du pays). Le Sat Guru développe une vision de l’histoire et un projet politique qui ressortent de multiples influences qui sont encore à décrypter. Il proclame le Nigeria nouvelle Terre sainte en 1993 contre la dictature de Babangida (1985-1993) et la recolonisation du pays par les Britanniques. En 2017, dans une liste de 52 propositions, il bénit le nouveau gouvernement fédéral, il propose de renationaliser l’électricité et de fixer le prix de l’essence en fonction de l’âge du président en exercice (soit 74 nairas à la place de 145 nairas le litre). Il propose également d’imposer aux Nigérians de manger des produits du pays et d’interdire la consommation d’alcool pendant cinq ans, d’arrêter les femmes dont les tenues exposent les sous-vêtements, la poitrine et les fesses, de fournir repas et transports gratuits pour les plus de 60 ans et une éducation gratuite pour tous les jeunes [68]. Il articule sans peine les historicités de sa communauté, l’histoire contemporaine du Nigeria et un projet politique à la fois de justice sociale et de moralisation religieuse. Cet usage des différentes catégories temporelles est modelé par l’expérience concrète du présent par une communauté victime de plusieurs raids de l’armée et qui fait l’objet d’une très forte stigmatisation à Ibadan.

25L’historicité vernaculaire que certains anthropologues appellent à raison à dévoiler ne s’oppose ainsi pas toujours à l’histoire académique, comme le montrent la multiplicité et l’interpénétration des registres historiques du mouvement set/setal à Dakar dans les années 1990 [69]. Les fresques peintes sur les murs et les trottoirs de Dakar révèlent une appropriation singulière de l’histoire par les acteurs du mouvement. Le mouvement, qui vise à rendre propre la ville et la société sénégalaise (set setal signifie « rendre propre » en wolof), se lance à l’assaut de la classe dirigeante via des fresques qui attestent d’une réorganisation et d’une recomposition des héritages historiques. Baptiser les rues du nom de figures locales, convoquer des figures historiques comme les héros de la lutte contre la conquête coloniale (Lat Dior), les politiciens de la première génération (Blaise Diagne, Lamine Guèye) mais aussi les grandes figures de la lutte mondiale pour les droits des noirs (Martin Luther King, Nelson Mandela), témoignent de ce que Mamadou Diouf appelle une « nouvelle historicité urbaine » qui entre en concurrence avec « l’État historien de la période nationaliste [70] ». Ce mouvement social ne fait pas resurgir une mémoire enfouie, il produit plutôt une nouvelle lecture politique du passé. Il est simultanément une réappropriation de l’espace urbain par une jeunesse qualifiée de « malsaine » l’année précédente par le président Abdou Diouf [71]. Il ouvre un horizon d’attente : comme le dit Ndiouga Benga, le set/setal est l’expression de la conscience civique des « sans voix » de Dakar, il est une dénonciation des carences du système politique et social et une invalidation de la parole présidentielle « en voulant donner à la “capitale de la saleté” un nouveau visage, dynamique et gai, à l’image d’une jeunesse qui se veut tout sauf malsaine [72] ». L’historicité du set/setal n’est ainsi ni réductible à l’histoire de ce mouvement, ni à celle d’une mémoire enfouie des Dakarois, ni à une histoire vernaculaire du Sénégal. L’histoire est clairement utilisée comme cause : c’est une historicité de combat qui se construit dans le feu des luttes.

26L’historicité n’est pas seulement un réagencement des catégories temporelles par des mouvements sociaux ou par des organisations, elle peut avoir une dimension ordinaire et individuelle. Dans la Copperbelt congolaise, les brusques transformations sociales nées du déclin industriel suscitent au sein de certains groupes de mineurs « un vécu du présent comme un mélange d’absences : absences de passés remémorés et absences de futurs espérés qui restent à accomplir [73] ». Le temps est assimilé à une perte de pouvoir et à la dégradation de la situation des mineurs. Cette nostalgie du passé colonial associée au déclin de moyens matériels s’arrime à « l’agonie d’un présent » où les retraites ne sont plus versées, dévoilant ainsi les façons dont les passés précoloniaux et coloniaux continuent à définir les temps [74]. Dans cette acception, l’historicité est « la narration de cet enchevêtrement [75] » du passé, du présent et du futur des acteurs. Le travail de Timothy Makori fait écho aux travaux de James Ferguson sur la Copperbelt zambienne qui avait articulé les récits du passé glorifié des mineurs, les effets dramatiques des politiques d’ajustement structurels sur leurs niveaux de vie et leurs rêves déchus de modernité [76]. Au-delà de ces expériences individuelles, lorsque les usages sociaux du passé se transforment en projet politique, l’histoire devient cause, une dimension de l’historicité qui n’a pas été assez prise en compte ni par les historiens, ni par les anthropologues, ni par les spécialistes de la mémoire. On se limitera pour finir à deux exemples, celui des mobilisations des deux ou trois dernières décennies autour des traumatismes liés à l’histoire de l’esclavage et des violences coloniales.

27L’historicité de l’esclavage est distincte de son histoire et ne saurait se résumer à la présence de sa mémoire dans le présent des acteurs. En Afrique de l’Ouest notamment, la stigmatisation des descendants d’esclave reste forte : éliminer un candidat à un poste administratif ou politique, assigner à des individus des tâches spécifiques en raison de leur origine servile demeurent des pratiques communes alors que certaines grandes figures politiques sont oubliées de la mémoire nationale en raison de cette origine servile [77]. Ce qui est qualifié de post-esclavage permet d’articuler ces modes de rapport au temps des acteurs sociaux : l’héritage de la longue histoire de l’esclavage en Afrique, les mobilisations politiques depuis les années 1990 et le projet d’émancipation des acteurs et des actrices anciennement serviles [78]. Ces mobilisations témoignent bien de cette appréhension hétérogène de ce passé esclavagiste – stimuler la valorisation de l’identité d’esclave ; « retourner le stigmate » ; revaloriser l’histoire de l’esclavage au sein des groupes d’origine servile – dans des buts soit d’émancipation, soit de revendications d’égalité entre anciens maîtres et anciens esclaves. Il s’agit aussi de briser le silence et de confronter la réalité sociale des descendants d’esclaves à la mémoire dominante de l’esclavage qui, d’après Ibrahima Thioub, « se confine dans le discours des élites relayé par les instances étatiques (programmes scolaires), à l’évocation des traites esclavagistes, principalement transatlantiques, ignorant sa présence remarquable dans les cultures populaires : chants, proverbes, dictons [79] ». Mobiliser un passé d’esclave devient cause, et c’est dans cette pluralité des mobilisations, de coexistence de luttes et d’enchevêtrement des temps que se dévoilent ces multiples historicités de l’esclavage en Afrique.

28L’histoire des violences coloniales s’inscrit quant à elle dans ce qu’Ann Laura Stoler appelle une aphasie coloniale qui ne se traduit pas par une perte de la mémoire mais par une occultation de son savoir, par exemple par la sous-estimation du fait colonial dans l’histoire du racisme en France, par l’oubli de la colonisation dans les lieux de mémoire de la nation française ou par la très forte disjonction entre l’historiographie métropolitaine et l’historiographie des mondes colonisés [80]. Cette aphasie inclut les violences commises pendant la colonisation qui finissent par resurgir longtemps après la fin d’événements traumatiques. Depuis une vingtaine d’années, de nombreux collectifs de victimes et de leurs descendants impliqués dans la reconnaissance de ces violences se mobilisent pour demander réparation pour les préjudices causés pendant la colonisation. Ce qui est déterminant dans tous ces processus de resurgissement du passé colonial, ce sont bien les manières dont se constituent des historicités concurrentes, entre des acteurs étatiques, des collectifs militants, d’anciennes victimes et un certain nombre d’historiens convoqués en tant que témoins dans les procès. Ainsi en est-il du génocide des Herero dont la célébration du centenaire en 2004 a conduit un ministre allemand à présenter des excuses semi-officielles à la Namibie [81], du massacre des tirailleurs de Thiaroye au Sénégal en décembre 1944 ou de la « dette de sang » due aux millions de vétérans de l’Empire français engagés auprès de la métropole pendant les deux guerres mondiales [82]. On pourrait mentionner la poursuite du gouvernement britannique entre 2009 et 2011 par des parties civiles kenyanes victimes de torture et de mauvais traitements pendant l’État d’urgence au Kenya (1952-1962) [83] ou, à l’inverse, l’oubli des victimes du colonialisme hollandais considérées comme ne faisant pas partie de l’histoire nationale aux Pays-Bas, à la différence de son ancienne colonie, l’Indonésie, où les mémoires de ces violences sont encore très présentes même si elles sont contestées localement [84]. Ces mobilisations autour d’une cause dépassent très largement les controverses académiques et s’inscrivent dans les agendas politiques nationaux et transnationaux de la montée en puissance des revendications mémorielles en Europe comme en Afrique [85].

29Travailler sur l’historicité de ces violences coloniales, c’est bien sûr inclure les manières dont les mémoires sont constituées et réactivées, mais c’est aussi tenter de comprendre comment une constellation d’acteurs (militants, élus, juges, associations, artistes, généalogistes, historiens amateurs ou professionnels, entrepreneurs de mémoires…) expliquent, découvrent ou affirment leur vision du passé plutôt que de s’appuyer sur des mémoires enfouies. C’est explorer les conditions concrètes de la production de ce passé, en marginalisant, en ignorant ou en valorisant partiellement le travail historien, en s’abstenant ou au contraire en recourant aux méthodes historiques à travers la recherche de sources de première main. Travailler l’historicité des violences coloniales du point de vue des acteurs sociaux, c’est explorer les écarts entre l’histoire telle qu’elle se constitue dans le champ académique, en Afrique et en Europe, et les usages sociaux et politiques de ce passé par une constellation d’acteurs qui prennent l’histoire comme cause. C’est in fine étudier l’histoire comme objet politique, entre demandes de réparation, de justice et de reconnaissance des violences commises par l’ancienne puissance coloniale.

30Travailler les multiples historicités en Afrique et en Europe devrait ainsi inviter les chercheurs et les chercheuses en sciences sociales à prendre au sérieux les innombrables initiatives d’écriture de l’histoire par une pluralité d’acteurs individuels (généalogistes, gourous, traditionnistes, écrivains, musiciens, plasticiens, vidéastes, réalisateurs) et collectifs (militants, groupes autochtones, entrepreneurs de mémoire) qui tentent de donner une visibilité publique croissante à des groupes marginalisés ou stigmatisés (minorités religieuses, ethniques ou étrangères, descendants d’esclaves, groupes politiques réprimés, familles des victimes des massacres coloniaux et de génocides, descendants de populations colonisées) et qui estiment que leur histoire n’est pas suffisamment prise en compte par les autorités ou par l’histoire académique. Il ne s’agit pas tant de privilégier une historicité vernaculaire aux dépens d’une histoire académique du continent – qui nécessite toujours autant d’attention scientifique – mais de donner à voir la manière dont les acteurs font sens du passé, que ce dernier soit commensurable ou non avec l’écriture académique de l’histoire. Comprendre la manière dont cette histoire traumatique resurgit si longtemps après la fin de l’esclavage, de la colonisation ou des conflits du continent est un vaste chantier précisément parce que les mille et une manières dont cette histoire devient cause sont les enjeux de batailles politiques considérables entre anciennes colonies et anciennes métropoles autant qu’au sein des espaces nationaux de chaque continent. C’est à l’articulation de cette histoire comme cause, de ce présent des mobilisations et des attentes politiques qui sous-tendent ces projets que peuvent se dévoiler les multiples historicités dont il reste à décrypter le sens et les conditions concrètes de production.

Notes

  • [1]
    Je remercie Vincent Bonnecase, Julien Brachet, Christine Deslaurier, Joël Glasman et Djemila Zeneidi pour leur relecture attentive et leurs précieux conseils sur les premières versions de cet article.
  • [2]
    Cette journée se déroule dans le cadre d’une école d’été organisée par l’université de Columbia, Sciences Po et l’Institut français de recherche en Afrique (Ifra). Pour le récit de la journée, voir A. Adetoro, A. Adebayo, K. Ashamu, F. Ijimakinwa, O. Ogunsemoyin et C. Omotayo, « One Love Family: Intersection with State and Non-State Agents in Spatial Appropriation », Ifra Nigeria Working Papers Series, n° 39, Ibadan, Ifra Nigeria, 2017.
  • [3]
    Quartier d’Ibadan construit dans les années 1960 pour héberger la nouvelle population étudiante et universitaire de la première université du pays et lieu de résidence de la communauté en 1987 avant son déménagement à la périphérie de la ville.
  • [4]
    « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire. » Extrait du discours prononcé par le président de la République française, Nicolas Sarkozy, le 26 juillet 2007 à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar. Voir J.-P. Chrétien (dir.), L’Afrique de Sarkozy. Un déni d’histoire, Paris, Karthala, 2008 ; A. B. Konaré (dir.), Petit précis de remise à niveau sur l’histoire africaine à l’usage du président Sarkozy, Paris, La Découverte, 2008.
  • [5]
    S’inspirant en cela de l’article de Johanna Siméant qui a montré combien le concept « d’économie morale » avait sur le continent conduit à une multiplication des usages, à des impasses et à une certaine forme de routine interprétative dans les sciences sociales. J. Siméant, « “Économie morale” et protestation : détours africains », Genèse, n° 81, 2010, p. 142-160.
  • [6]
    M. Sahlins, Islands of History, Chicago, University of Chicago Press, 1985, p. x.
  • [7]
    C. Stewart, « Historicity and Anthropology », Annual Review of Anthropology, vol. 45, 2016, p. 82.
  • [8]
    J. Comaroff et J. L. Comaroff, « The Madman and the Migrant: Work and Labor in the Historical Consciousness of a South African People », American Ethnologist, vol. 14, n° 2, 1987, p. 191-209 ; J.-L. Amselle, « Anthropology and Historicity », History and Theory, vol. 32, n° 4, 1993, p. 12-31.
  • [9]
    S. Feierman, Peasant Intellectuals: Anthropology and History of Tanzania, Madison, The University of Wisconsin Press, 1990, p. 29.
  • [10]
    J.-L. Amselle et E. M’Bokolo (dir.), Au cœur de l’ethnie. Ethnies, tribalisme et État en Afrique, Paris, La Découverte, 1985.
  • [11]
    F. Cooper, « The Rise, Fall and Rise of Colonial Studies, 1951-2001 », in F. Cooper, Colonialism in Question: Theory, Knowledge, History, Berkeley, University of California Press, 2005, p. 41-46.
  • [12]
    D. P. Henige, « The Problem of Feedback in Oral Tradition: Four Examples from the Fante Coastlands », The Journal of African History, vol. 14, n° 2, 1973, p. 223-235 ; C. Lentz, « Of Hunters, Goats and Earth-Shrines: Settlement Histories and the Politics of Oral Tradition in Northern Ghana », History in Africa, vol. 27, 2000, p. 193-214 ; D. Nurse et T. Spear, The Swahili: Reconstructing the History and Language of an African Society, 850-1500, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 1985 ; R. L. Pouwels, Horn and Crescent: Cultural Change and Traditional Islam on the East African Coast, 800-1900, Cambridge, Cambridge University Press, 1987, p. 63-74.
  • [13]
    J.-F. Bayart, « Le politique par le bas en Afrique noire. Questions de méthode », Politique africaine, n° 1, 1981, p. 53-82.
  • [14]
    Ibid., p. 60-62.
  • [15]
    Ibid., p. 73.
  • [16]
    J.-F. Bayart, L’État au Cameroun, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1979.
  • [17]
    Ibid., p. 75
  • [18]
    J.-F. Bayart, L’État en Afrique. La politique du ventre, Paris, Fayard, 1989. La question de l’historicité des sociétés africaines est âprement débattue, notamment par Achille Mbembe, « Pouvoir, violence et accumulation », Politique africaine, n° 39, 1990, p. 7-24 ; C. Coulon, « L’exotisme peut-il être banal ? L’expérience de Politique africaine », Politique africaine, n° 65, 1997, p. 77-95.
  • [19]
    J.-F. Bayart, L’État en Afrique…, op. cit., p. 41-55.
  • [20]
    Ibid., p. 58.
  • [21]
    J. F. Ade Ajayi, « Colonialism: An Episode in African History », in L. H. Gann et P. Duignan (dir.), Colonialism in Africa, 1870-1960. Volume I: The History and Politics of Colonialism, 1870-1914, Cambridge, Cambridge University Press, 1969, p. 497-509.
  • [22]
    B. Jewsiewicki et D. S. Newbury, African Historiographies: What History for which Africa?, Beverly Hills, Sage Publications, 1986.
  • [23]
    F. Hartog, Régimes d’historicité. Présentisme et expériences du temps, Paris, Le Seuil, 2003 ; F. Hartog et G. Lenclud, « Régimes d’historicité », in A. Dutru et N. Dodille (dir.), L’état des lieux en sciences sociales, Paris, L’Harmattan, 1993, p. 18-38.
  • [24]
    F. Hartog, Régimes d’historicité…, op. cit., p. 18.
  • [25]
    Ibid., p. 19-20.
  • [26]
    Cette distinction est aussi proposée par Danny Trom et Pascale Laborier dans l’introduction d’un ouvrage sur l’historicité de l’action publique paru la même année. P. Laborier et D. Trom (dir.), Historicités de l’action publique, Paris, PUF, 2003.
  • [27]
    Cité par C. Delacroix, « Généalogie d’une notion », in C. Delacroix, F. Dosse et P. Garcia (dir.), Historicités, Paris, La Découverte, 2009, p. 30.
  • [28]
    En particulier la loi du 23 février 2005, les émeutes d’octobre novembre 2005 en France et la création de l’association les Indigènes de la République.
  • [29]
    R. Bertrand, Mémoires d’empire. La controverse autour du fait colonial, Clamecy, Éditions du Croquant, 2006 ; C. Deslaurier et A. Roger, « Mémoires grises. Pratiques politiques du passé colonial entre Europe et Afrique », Politique africaine, n° 102, 2006, p. 7.
  • [30]
    J.-F. Bayart et R. Bertrand, « De quel “legs colonial” parle-t-on ? », Esprit, n° 12, 2006, p. 141, 149.
  • [31]
    R. Bertrand, « Politiques du moment colonial. Historicités indigènes et rapports vernaculaires au politique en “situation coloniale” », Questions de recherche, n° 26, 2008, p. 35.
  • [32]
    Ibid., p. 16-17.
  • [33]
    Ibid., p. 19.
  • [34]
    J. Revel, « Pratiques du contemporain et régimes d’historicité », Le genre humain, n° 35, 1999, p. 16-17.
  • [35]
    A. Mbembe, La naissance du maquis dans le Sud-Cameroun (1920-1960). Histoire des usages de la raison en colonie, Paris, Karthala, 1996, p. 35 ; A. Mbembe, « Faut-il provincialiser la France ? », Politique africaine, n° 119, 2010, p. 181.
  • [36]
    R. Branche, « “Au temps de la France”. Identités collectives et situation coloniale en Algérie », Vingtième siècle, n° 117, 2013, p. 199-213.
  • [37]
    Comme le suggère Ludivine Bantigny, l’expression régime d’historicité tend peut-être à figer des rapports au temps et « pourrait faire manquer les contestations, négliger les interstices, omettre la pluralité, les formes de coexistence, et donc de concurrence, qu’engage la notion même d’historicité ». L. Bantigny, « Historicités du 20e siècle. Quelques jalons sur une notion », Vingtième siècle, n° 117, 2013, p. 15.
  • [38]
    É. Morier-Genoud, « Renouveau religieux et politique au Mozambique : entre permanence, rupture et historicité », Politique africaine, n° 134, 2014, p. 155-177.
  • [39]
    J. Schmitz, « Migrants ouest-africains vers l’Europe : historicité et espace moraux », Politique africaine, n° 109, 2008, p. 5-15.
  • [40]
    Une récente université d’hiver de l’Association des chercheurs de Politique africaine (Acpa) a travaillé ces notions d’historicité et de temporalités dans ce sens générique. Programme tri-annuel (2016-2019) de formation à la recherche « Historicité et temporalités du politique en Afrique », Acpa, Chaire d’études africaines comparées (UM6P-Rabat). C’est ce sens que je privilégie dans L. Fourchard, Trier, exclure et policer. Vies urbaines en Afrique du Sud et au Nigeria, Paris, Presses de Sciences Po, 2018.
  • [41]
    J.-F. Bayart, « Les chemins de traverse de l’hégémonie coloniale en Afrique de l’Ouest francophone. Anciens esclaves, anciens combattants, nouveaux musulmans », Politique africaine, n° 105, 2007, p. 201-240 ; J.-F. Bayart, « Hégémonie et coercition en Afrique. La “politique de la chicotte” », Politique africaine, n° 110, 2008, p. 123-152.
  • [42]
    B. Hibou, « La “décharge”, nouvel interventionnisme », Politique africaine, n° 73, 1999, p. 6-15 ; B. Hibou, « Retrait ou redéploiement de l’État ? », Critique internationale, n° 1, 1998, p. 151-168.
  • [43]
    M. Hilgers, « The Historicity of the Neoliberal State », Social Anthropology, vol. 20, n° 1, 2012, p. 80-94.
  • [44]
    T. Hagmann et D. Péclard, « Negotiating Statehood: Dynamics of Power and Domination in Africa », Development and Change, vol. 41, n° 4, 2010, p. 539-562.
  • [45]
    M. Catusse et F. Vairel (dir.), « Le Maroc de Mohammed VI : mobilisations et action publique », Politique africaine, n° 120, 2010 ; B. Hibou (dir.), « La Tunisie en révolution ? », Politique africaine, n° 121, 2011 ; A. Bensaäd (dir.), « La Libye révolutionnaire », Politique africaine, n° 125, 2012 ; T. Dahou et N. Sidi Moussa (dir.), « L’Algérie aux marges de l’État », Politique africaine, n° 137, 2015.
  • [46]
    D. Ambrosetti (dir.), « Sud Soudan. Conquérir l’indépendance, négocier l’État », Politique africaine, n° 122, 2011 ; L. de Brito (dir.), « Mozambique, quelle démocratie après la guerre ? », Politique africaine, n° 117, 2010 ; D. Péclard (dir.), « L’Angola dans la paix. Autoritarisme et reconversions », Politique africaine, n° 110, 2008.
  • [47]
    M. Hilgers et J. Mazzocchetti (dir.), « Le Burkina Faso : l’alternance impossible », Politique africaine, n° 101, 2006 ; L. Fourchard (dir.), « Le Nigeria sous Obasanjo. Violences et démocratie », Politique africaine, n° 106, 2007 ; S. Ben Néfissa et J.-Y. Moisseron (dir.), « L’Égypte sous pression ? Des mobilisations au verrouillage politique », Politique africaine, n° 108, 2007 ; R. Ciavolella et M. Fresia (dir.), « Mauritanie, la démocratie au coup par coup », Politique africaine, n° 114, 2009 ; F. Bernault et J. Tonda (dir.), « Fin de règne au Gabon », Politique africaine, n° 115, 2009 ; A. Allal et M. Vannetzel (dir.), « Restaurations autoritaires ? », Politique africaine, n° 146, 2017.
  • [48]
    Seule exception à cette historicité réduite à quelques décennies, l’Éthiopie dont la centralisation étatique remonte à la seconde moitié du xixe siècle. Voir C. Barnes et T. Osmond, « L’après-État-nation en Éthiopie. Changement de forme plus que d’habitudes ? », Politique africaine, n° 99, 2005, p. 8.
  • [49]
    F. Hartog, Régimes d’historicité…, op. cit., p. 18, p. 223.
  • [50]
    R. Reid, « Past and Presentism: The “Precolonial” and the Foreshortening of African History », The Journal of African History, vol. 52, n° 2, 2011, p. 135-155.
  • [51]
    C. Coulon, « L’exotisme peut-il être banal ?… », art. cité.
  • [52]
    C. Deslaurier, « Le “bushingantahe” peut-il réconcilier le Burundi ? », Politique africaine, n° 92, 2003, p. 76-96 ; R. Sarro, R. Blanes et F. Viegas, « La guerre dans la paix. Ethnicité et angolanité dans l’Église kimbanguiste de Luanda », Politique africaine, n° 110, 2008, p. 84-101.
  • [53]
    Voir sur le sujet et parmi une abondante bibliographie T. Spear, « Neo-Traditionalism and the Limits of Invention in British Colonial Africa », The Journal of African History, vol. 44, n° 1, 2003, p. 3-27 ; C. Lentz, Ethnicity and the Making of History in Northern Ghana, Édimbourg, Edinburgh University Press, 2006.
  • [54]
    Devenue 20 & 21. Revue d’histoire.
  • [55]
    L. Bantigny et Q. Deluermoz (dir.), « Historicités du 20e siècle. Coexistence et concurrence des temps », Vingtième siècle, n° 117, 2013.
  • [56]
    F. Dosse, « Reinhart Koselleck, entre sémantique historique et herméneutique critique », in C. Delacroix et al., Historicités, op. cit., p. 115.
  • [57]
    Q. Deluermoz, « Les formes incertaines du temps. Une histoire des historicités est-elle possible ? », Vingtième siècle, n° 117, 2013, p. 3.
  • [58]
    L. Bantigny, « Historicités du 20e siècle… », art. cité, p. 15-16.
  • [59]
    Pour Deluermoz, une histoire des historicités est possible à condition d’en restreindre l’usage à la manière dont l’histoire vient à la conscience des acteurs. Q. Deluermoz, « Les formes incertaines du temps… », art. cité.
  • [60]
    R. Branche, « Papa qu’as-tu fait en Algérie ». Enquête sur un silence familial, Paris, La Découverte, 2020.
  • [61]
    C. Stewart, « Historicity and Anthropology », art. cité, p. 89.
  • [62]
    Ibid., p. 83.
  • [63]
    M. Lambek, The Weight of the Past: Living with History in Mahajanga, Madagascar, New York, Palgrave Macmillan, 2002.
  • [64]
    M. Lambek, « On Being Present to History: Historicity and Brigand Spirits in Madagascar », HAU: Journal of Ethnographic Theory, vol. 6, n° 1, 2016, p. 317-341.
  • [65]
    C. Stewart, « Historicity and Anthropology », art. cité, p. 85 ; M. Lambek, « On Being Present to History… », art. cité, p. 318.
  • [66]
    C. Stewart, « Historicity and Anthropology », art. cité, p. 83.
  • [67]
    R. Bertrand, « Politiques du moment colonial… », art. cité, p. 27.
  • [68]
    Comuniqué de presse de Satguru Maharj Ji, « the living perfect Master, the Mahdi and Christ of this age and the Father of all Creations », 8 juin 2017.
  • [69]
    M. Diouf, « Fresques murales et écriture de l’histoire : le set/setal à Dakar », Politique africaine, n° 46, 1992, p. 41-54.
  • [70]
    Ibid., p. 41, 54.
  • [71]
    N. A. Benga « Entre Jérusalem et Babylone : jeunes et espace public à Dakar », Autrepart, n° 18, 2001, p. 169-178.
  • [72]
    Ibid., p. 174.
  • [73]
    T. Makori, « Abjects retraités, jeunesse piégée : récits du déclin et d’une temporalité multiple parmi les générations de la “Copperbelt” congolaise », Politique africaine, n° 131, 2013, p. 51-73.
  • [74]
    Ibid., p. 72.
  • [75]
    Ibid., p. 51.
  • [76]
    J. Ferguson, Expectations of Modernity: Myths and Meaning of Urban Life on the Zambian Copperbelt, Berkeley, University of California Press, 1999.
  • [77]
    I. Thioub, « Stigmates et mémoires de l’esclavage en Afrique de l’Ouest : le sang et la couleur de peau comme lignes de fracture », Fondation de la Maison des sciences de l’homme, Collège d’études mondiales, n° 23, 2012 ; R. Botte, « Le droit contre l’esclavage au Niger », Politique africaine, n° 90, 2003, p. 127-143.
  • [78]
    L. Pelckmans et C. Hardung, « La question de l’esclavage en Afrique : politisation et mobilisations », Politique africaine, n° 140, 2015, p. 5-22.
  • [79]
    I. Thioub, « Stigmates et mémoires de l’esclavage… », art. cité, p. 8.
  • [80]
    A. L. Stoler, « L’aphasie coloniale française : l’histoire mutilée », in N. Bancel, F. Bernault, P. Blanchard, A. Boubeker, A. Mbembe et F. Vergès (dir.), Ruptures postcoloniales. Les nouveaux visages de la société française, Paris, La Découverte, 2010, p. 62-78.
  • [81]
    R. Kössler, « La fin d’une amnésie ? L’Allemagne et son passé colonial depuis 2004 », Politique africaine, n° 102, 2006, p. 50-66.
  • [82]
    M. Mourre, Thiaroye 1944. Histoire et mémoire d’un massacre colonial, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2017 ; G. Mann, « Colonialism Now: Contemporary Anticolonialism and the “Facture Coloniale” », Politique africaine, n° 105, 2007, p. 181-200.
  • [83]
    D. M. Anderson, « Mau Mau in the High Court and the “Lost” British Empire Archives: Colonial Conspiracy or Bureaucratic Bungle? », The Journal of Imperial and Commonwealth History, vol. 39, n° 5, 2011, p. 699-716 ; C. Elkins, « Alchemy of Evidence: Mau Mau, the British Empire, and the High Court of Justice », The Journal of Imperial and Commonwealth History, vol. 39, n° 5, 2011, p. 731-748.
  • [84]
    P. Bijl, « Colonial Memory and Forgetting in the Netherlands and Indonesia », Journal of Genocide Research, vol. 14, n° 3-4, 2012, p. 441-461.
  • [85]
    C. Deslaurier et A. Roger, « Mémoires grises… », art. cité, p. 8.
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