Couverture de POLAF_146

Article de revue

La répression des autres : mobilisations et démobilisations dans les universités égyptiennes au lendemain du 3 juillet 2013

Pages 99 à 124

Notes

  • [1]
    Je tiens à remercier Sophie Duchesne, Mounia Bennani-Chraïbi, Marie Vannetzel ainsi que les évaluateurs anonymes pour leur relecture et leurs commentaires éclairants. Je remercie également Mohammed Abdel Salam et Mohammed Nagy pour leur aide lors de l’enquête.
  • [2]
    J’ai mené une quarantaine d’entretiens avec des membres actuels, anciens et fondateurs de ces collectifs. La majorité est composée d’étudiants en licence dans des universités publiques âgés entre 18 et 25 ans. Cette enquête a été principalement conduite au Caire. Cependant, une grande partie de mes enquêtés étaient étudiants dans les universités d’Alexandrie, de Tanta, de Banha et de Mansoura. Je les ai également observés lors de plusieurs manifestations, sit-in, sorties, réunions, et lors d’un « camp de formation » organisé en août 2014 par l’Association of Freedom of Thought and Expression (AFTE, Association de la liberté de pensée et d’expression). Créée en 2006 par d’anciens militants étudiants, l’AFTE est une organisation de défense des droits de l’homme qui développe des programmes spécialisés dans la documentation des violations des droits politiques à l’université et des libertés académiques.
  • [3]
    À la suite des mobilisations du 30 juin 2013 contre Mohammed Morsi, les Frères musulmans et leurs supporters organisent des sit-in dans plusieurs endroits pour proclamer leur soutien au président. Le plus grand a lieu sur la place Rab’aa el ‘Adawaeya au Caire. Le 14 août 2013, les forces de police et l’armée les dispersent violemment, faisant des centaines de morts et d’arrestations. Depuis, le terme Rab’aa, accompagné du signe quatre fait avec la main, est devenu le symbole de la lutte des FM contre les nouveaux détenteurs de pouvoir. Même si Raba’a est un nom propre, le mot en arabe est synonyme de quatrième, d’où le symbole d’une main avec quatre doigts.
  • [4]
    Les membres de TDI que j’avais pu rencontrer insistaient sur le fait que le mouvement n’est pas uniquement composé de FM, mais également d’étudiants qui soutiennent le retour de Morsi sans être membres de l’organisation.
  • [5]
    Voir, entre autres, M. Abdel Salam, « Egyptian Universities between the Brotherhood and the Military » [en ligne], Sada, Carnegie Endowment for International Peace, 20 décembre 2013, <http://carnegieendowment.org/sada/53998>, consulté le 9 avril 2017.
  • [6]
    Répression ici renvoie au « comportement appliqué par les gouvernements dans le but d’obtenir la tranquillité politique et faciliter la continuité du régime à travers les formes de restriction ou de violation des libertés politiques et civiles. Ce qui englobe les comportements violents (exécution et torture) et non violents (arrestations de masse, détention, intimidation), légal (sanctionnée par la loi) ou illégal ». V. Geisser, K. Karam et F. Vairel, « Espaces du politique. Mobilisations et protestations », in E. Picard (dir.), La politique dans le monde arabe, Paris, Armand Colin, 2006, p. 195.
  • [7]
    M. Nagy et A. Abdelhamid (dir.), Besieged Universities. A Report on the Rights and Freedom of Students in Egyptian Universities from the Academic Years 2013-2014 to 2015-2016 [en ligne], Association of Freedom of Thought and Expression/Norwegian Students’ and Academics’ International Assistance Fund, mars 2017, <https://afteegypt.org/wp-content/uploads/Besieged-Universities-web.pdf>, consulté le 19 avril 2017.
  • [8]
    Les unions étudiantes (al-itihadat al-tullabeya) sont des assemblées élues de représentants des étudiants dans chaque faculté et université. Même si leur qualité « syndicale » n’a jamais été reconnue, les unions sont les seules organisations qui peuvent légalement prétendre représenter les étudiants. C’est pour cela que les différents mouvements et organisations, ainsi que les administrations universitaires luttent pour le contrôle de ces assemblées.
  • [9]
    À l’exception de N. Ahmad, The Student Movement in Egypt after June 30th, Le Caire, Arab Center for Research and Policy Studies, décembre 2013. Et, plus récemment, A. Hamzawy, « Egypt Campus : The Students Versus the Regime » [en ligne], Sada, Carnegie Endowment for International Peace, mars 2017, <http://carnegieendowment.org/2017/03/06/egypt-campus-students-versus-regime-pub-68207>, consulté le 17 août 2017.
  • [10]
    Le terme milieu (wasat) a été fréquemment utilisé par des enquêtés pour décrire l’ensemble des réseaux dans lesquels ils s’insèrent. Le choix d’utiliser cette catégorie militante sur le plan analytique m’a semblé approprié pour saisir l’ensemble flou des interactions entre organisations, collectifs et individus. Cependant, théoriquement, le terme est assez vague et semble avoir plusieurs définitions : S. Malthaner par exemple utilise le terme « milieu radical » pour aborder l’environnement social immédiat des groupes terroristes (S. Malthaner et P. Waldmann, « The Radical Milieu : Conceptualizing the Supportive Social Environment of Terrorist Groups », Studies in Conflict & Terrorism, vol. 37, n° 12, 2014, p. 979-998) alors que S. Schielke parle de milieu littéraire pour décrire l’espace social large qui inclut une expérience générationnelle et une socialisation des individus appartenant à cet espace. Voir S. Schielke et M. S. Shehata, « The Writing of Lives. An Ethnography of Writers and their Milieus in Alexandria », Working Papers No 17, Berlin, Zentrum Moderner Orient, 2016. Dans le cadre de mon étude, j’emploie « milieu » pour désigner l’ensemble des individus et des groupes entre qui des liens se forment dans le cadre d’une arène d’interaction.
  • [11]
    « We define an arena as a space both concrete […] and symbolic […] which brings together all the players, individual or complex, participating in the emergence, definition and resolution of a problem ». O. Filleule et J. W. Duyvendak, « Conclusion. Patterned Fluidity : An Interactionist Perspective as a Tool for Exploring Contentious Politics », in J. Jasper et J. W. Duyvendak (dir.), Players and Arenas : The Interactive Dynamics of Protest, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2015, p. 306.
  • [12]
    F. Poletta, It Was like Fever : Storytelling in Protest and Politics, Chicago, The University of Chicago Press, 2006, p. 59.
  • [13]
    H. Combes et O. Filleule, « De la répression considérée dans ses rapports à l’activité protestataire. Modèles structuraux et interactions stratégiques », Revue française de science politique, vol. 61, n° 6, 2011, p. 1047-1072.
  • [14]
    Voir, entre autres, L. Bosi, C. Demetriou et S. Malthaner (dir.), Dynamics of Political Violence : A Process-Oriented Perspective on Radicalization and the Escalation of Political Conflict, Londres, Routledge, 2014.
  • [15]
    I. Farag, « Quand “l’éducation forme la jeunesse” : la construction d’une catégorie en Égypte », in M. Bennani-Chraïbi et I. Farag (dir.), Jeunesses des sociétés arabes. Par-delà les menaces et les promesses, Montreuil, Cedej/Aux lieux d’être, 2007, p. 49-78.
  • [16]
    A. Abdalla, The Student Movement and National Politics in Egypt : 1923-1973, Londres, Al Saqi Books, 1985.
  • [17]
    Ibid.
  • [18]
    H. Tammam, Témoignage sur l’histoire de la Jama’a el-islameya 1970-1984 [en arabe], Le Caire, Dar el-shorouk, 2010.
  • [19]
    Voir, entre autres, I. Abdullah, Jeunes et mouvements politiques et sociaux [en arabe], Le Caire, El Hayaa el Masreya el Amma lel ketab, 2012.
  • [20]
    Depuis la fin des années 1990 et avec la deuxième vague de néolibéralisation des différents secteurs de l’économie égyptienne, le gouvernement a instauré le HEEP (Higher Education Enhacement Program) en accord avec la Banque mondiale, afin de privatiser le système d’enseignement supérieur et de l’adapter aux demandes d’un marché du travail internationalisé. L’accentuation de la professionnalisation a « banalisé » l’université (F. Siino, « L’Université tunisienne banalisée. Mise à niveau libérale et dépolitisation » [en ligne], septembre 2004, <http://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00466284>, consulté le 17 août 2017) dans le sens où celle-ci est devenue simplement un lieu de préparation pour intégrer le marché et non pas un espace privilégié de contestation (à l’exception de quelques « poches de résistances »). Pour plus de détails, voir D. Cantini (dir.), Rethinking Private Higher Education : Ethnographic Perspectives, Leiden/Boston, Brill, 2016 ; I. Farag, « Egypt », in J. J. F. Forest et P. G. Altbach (dir.), International Handbook of Higher Education, Dordrecht, Springer, 2006, p. 693-710 ; F. Kohstall, « From Reform to Resistance : Universities and Student Mobilisation in Egypt and Morocco before and after the Arab Uprisings », British Journal of Middle Eastern Studies, vol. 42, n° 1, 2015, p. 59-73.
  • [21]
    D. Shehata, « Les jeunes mouvements protestataires », in D. Shehata (dir.), Le retour de la politique : nouveaux mouvements protestataires en Égypte [en arabe], Le Caire, Al-Ahram Center for Political and Strategic Studies, 2010, p. 247-254.
  • [22]
    En novembre 2011, la police a dispersé un sit-in de petite échelle dans lequel les participants réclamaient des compensations matérielles pour les blessés et les martyrs du soulèvement de 2011. La dispersion du sit-in initial a aggravé la mobilisation contre la police ; durant trois jours, les manifestants ont protesté contre le ministère de l’Intérieur et se sont confrontés à la police qui tire sur les manifestants, entraînant la mort de 40 d’entre eux.
  • [23]
    Lien vers la page Facebook du collectif, <https://www.facebook.com/pg/FECUrevolution/about/?ref=page_internal>, consulté le 17 août 2017.
  • [24]
    Entretien avec A. K., Le Caire, 10 septembre 2014.
  • [25]
    Entretien avec M. G., Le Caire, mai 2015.
  • [26]
    Le duo Imam (chanteur) et Negm (poète) est célèbre pour leurs chansons politiques qui critiquent les régimes en place. Pendant les années 1970, ils ont accompagné les mouvements « de gauche » dans leurs mobilisations contre Sadate. La chanson « Rag’ou el talamza » (« Les étudiants sont de retour ») évoque les mobilisations étudiantes de 1972 en soulignant le fait que la résistance est la mission des étudiants, alors que « Segn el Qal’a » (« La prison de la citadelle ») parle plus généralement de la continuité de la résistance malgré l’oppression que subissent les opposants.
  • [27]
    Entretien avec M. B., Alexandrie, mai 2014.
  • [28]
    Entre autres, entretien avec M. G., Alexandrie, mai 2014.
  • [29]
    Askar kazeboun (« les militaires menteurs ») : cette campagne a été menée au niveau national en 2012 par des militants de plusieurs mouvements protestataires et des ONG de défense des droits de l’homme afin de dénoncer les violations commises par les militaires. « Menteurs », dans ce contexte, renvoie à l’échec du CSFA à tenir ses promesses d’assurer une période de transition vers un régime démocratique incarnant les aspirations du soulèvement de 2011.
  • [30]
    Entretien avec A. G., Alexandrie, mai 2014.
  • [31]
    Ancien Frère musulman, Abou el-Fotouh est un des fondateurs de la Jama’a islameya dans les années 1970. Après 2011, il démissionne de la confrérie pour se présenter à l’élection présidentielle de 2012.
  • [32]
    Ancien directeur de l’Agence internationale de l’énergie atomique, El-Baradei est devenu en 2010 une figure de la vie politique égyptienne en s’opposant à Moubarak et en se présentant comme une alternative crédible. Après le soulèvement de 2011, il candidate aux élections de 2012, mais se retire avant le premier tour.
  • [33]
    La position de Masr el-Qaweya vis-à-vis des FM est très ambivalente puisque Abou el-Fotouh lui-même est un ancien FM qui a démissionné pour se présenter aux élections présidentielles de manière indépendante. Une grande partie des membres du parti sont des anciens Frères musulmans. De plus, même si les membres refusent de se désigner comme islamistes, ils se réfèrent à « la religion et la civilisation islamiques ». Cependant, ces ambivalences mises à part, la position officielle des membres de Masr el-Qaweya, mais surtout des étudiants de TMQ est qu’ils sont contre les FM.
  • [34]
    Entretien avec A. K., Le Caire, septembre 2014.
  • [35]
    S. Abdel Aziz, « Le problème de la sécurité des universités », in K. El Menoufy et A. Masoud (dir.), L’université et la construction de la citoyenneté en Égypte [en arabe], Le Caire, Konrad Adenauer Stiftung, 2007, p. 115-131.
  • [36]
    M. Abdel Salam, M. Nagy et A. Abdel Hamid, Déclin des frères musulmans et progression de nouvelles forces étudiantes [en arabe], Le Caire, Association of Freedom of Thought and Expression, 2013.
  • [37]
    G. Olivier-Téllez, S. Tamayo Flores-Alatorre et M. Voegtli, « La démobilisation étudiante au Mexique : le double visage de la répression (juillet-décembre 1968) » [en ligne], European Journal of Turkish Studies, n° 17, 2013, <https://ejts.revues.org/4819>, consulté le 19 avril 2017.
  • [38]
    Entretien avec S. A., membre d’OM, Le Caire, mai 2014.
  • [39]
    Discussions pendant le camp de formation organisé par l’AFTE, Le Caire, août 2014, voir note 2.
  • [40]
    Billet Facebook, M. S., militante Soc. Rév., janvier 2014.
  • [41]
    Discussion informelle avec S. G., membre de TMQ, Le Caire, janvier 2015.
  • [42]
    Entretien avec S. A., OM, Le Caire, mai 2014.
  • [43]
    Entretien avec A. K., Le Caire, septembre 2014.
  • [44]
    S. Abdel Aziz, « Le problème de la sécurité… », art. cité.
  • [45]
    R. Mokbel, « Egypt Universities Ban Student Political Groups », Al-Monitor, 12 septembre 2014. Officiellement, le décret concernait les organisations partisanes, mais les restrictions sont en pratique appliquées à tout individu ou collectif impliqué dans des activités potentiellement contestataires ou connues comme « politiques ».
  • [46]
    Des élections ont finalement eu lieu en décembre 2015, cependant, le ministère n’a pas reconnu ses résultats au niveau national. Voir note 59.
  • [47]
    Extrait d’entretien avec E. F., membre de l’UE d’une faculté à l’université du Caire, mars 2015.
  • [48]
    Entretien avec A. E., Alexandrie, octobre 2014.
  • [49]
    Entretien avec M. F., Le Caire, mai 2015.
  • [50]
    Pour des raisons évidentes, les enquêtés restent très vagues à propos du nombre de membres ayant fait défection et de membres restants.
  • [51]
    Entretien avec H. F., Le Caire, mai 2015.
  • [52]
    Selon un rapport d’AFTE, entre 2013 et 2016, il y a eu 1 181 arrestations d’étudiants, 1 051 actions disciplinaires, 65 procès militaires et 21 tueries extrajudiciaires. M. Nagy et A. Abdelhamid (dir.), Besieged Universities…, op. cit.
  • [53]
    Discussion informelle, M. G., OM, Le Caire, avril 2015.
  • [54]
    Entretien avec N. O., Le Caire, mai 2015.
  • [55]
    Extrait de notes de terrain, observation d’une réunion des représentants des mouvements contestataires, Le Caire, avril 2015.
  • [56]
    Ibid.
  • [57]
    Tantôt l’AFTE, tantôt l’ECRF (Egyptian Commission for Rights and Freedoms) une ONG de défense des droits de l’homme qui soutient les militants étudiants depuis fin 2014, en offrant justement des lieux d’accueil ainsi qu’en amorçant des programmes de documentations des droits des étudiants.
  • [58]
    Extrait d’un document produit par le comité politique de TMQ, avril 2015.
  • [59]
    Cette stratégie semble avoir produit des résultats l’année suivante (2015-2016). Malgré les limitations imposées par le ministère de l’Enseignement supérieur dans le but de contrôler les élections des unions étudiantes en novembre-décembre 2015, les étudiants ainsi mis en réseau ont pu remporter un grand nombre de sièges au niveau des facultés et des universités, même si le ministère ne reconnaît pas les résultats des élections au niveau national. De plus, en mai 2016, les mobilisations contre le transfert des îles de Tiran et Sanafir à l’Arabie saoudite ont eu un écho dans les campus universitaires, bien au-delà des frontières du milieu contestataire ; les membres des mouvements étudiants ont organisé des manifestations et des sit-in qui ont attiré un grand nombre de participants. Voir, entre autres, A. Hamzawy, « Egypt Campus… », art. cité.
  • [60]
    Discussions informelles avec H. F. et M. S., bureaux centraux d’OM et de TMQ respectivement.
  • [61]
    Entretien avec M. G., membre d’OM, mai 2015.
  • [62]
    Ibid.
  • [63]
    Extrait d’entretien avec E. F., membre de l’UE d’une faculté à l’université du Caire, mars 2015.
  • [64]
    Même si le régime au pouvoir depuis juillet 2013 ne s’attaque pas directement à la mémoire du soulèvement (le préambule de la constitution de 2014 évoque deux révolutions), les médias pro-régime présentent souvent le 25 janvier comme un complot étranger ou des Frères musulmans, et certains parlent même de « la défaite de 2011 » (naksa).
  • [65]
    Extrait d’entretien avec E. F., membre de l’UE d’une faculté à l’université du Caire, mars 2015.
  • [66]
    Par exemple, on peut citer l’ouvrage du leader de gauche A. Bahaa El-Din Shaaban, Hekayet Mosh’eli el thawrat (L’histoire de ceux qui ont fait la révolution), Le Caire, El-Hay’a el-Ama le kosour el sakafa. Il se veut à la fois une analyse du rôle historique des mouvements étudiants dans l’instigation des révolutions en Égypte (de la lutte nationaliste au soulèvement de 2011), et un recueil de témoignages des « héros » de la génération 1970. A. Bahaa El-Din Shaaban, L’histoire de ceux qui ont fait la révolution [en arabe], El-Hay’a el-Ama le kosour el sakafa, Le Caire, 2014. On peut également citer le roman de Radwa intitulé Farag, publié en 2008. En racontant la vie de Nada, militante dans les années 1970, Farag retrace les trajectoires de trois générations de militants de gauche (Nada, son père et son neveu), dont deux faisaient partie du mouvement étudiant. R. Ashour, Farag, Le Caire, dar el-shorouk, 2008.
  • [67]
    Voir, entre autres, D. El Khawaga, « La génération seventies en Égypte. La société civile comme répertoire d’action alternatif », in M. Bennani-Chraïbi et O. Filleule (dir.), Résistances et protestations dans les sociétés musulmanes, Paris, Presses de Science Po, 2003, p. 271-292.
  • [68]
    A. Saleh, Les mort-nés : notes d’une des membres de la génération du mouvement étudiant [en arabe], Le Caire, el hayaa el masreya el ‘ama lel ketab, 1997.
  • [69]
    Discussion informelle avec E. F., membre d’une UE à l’université du Caire, mars 2015.
  • [70]
    Billet Facebook, 19 janvier 2014, consulté le 10 mars 2016.
  • [71]
    Discussion informelle avec A.S, membre de TMQ, Le Caire, avril 2015.

1Le 3 juillet 2013, Abdel Fatah Al-Sissi, alors ministre de la Défense égyptien, annonce la destitution du président élu, Mohammed Morsi, membre de l’organisation des Frères musulmans [1]. Ce discours initie une période de troubles qui aboutissent à l’installation d’un régime autoritaire recourant massivement à la répression. De nombreux épisodes de violence s’ensuivent, doublés de condamnations à mort collectives et de restrictions des libertés politiques. Après qu’elles eurent atteint leur apogée entre janvier 2011 et juin 2013, c’en est fini, semble-t-il, des mobilisations dans la société égyptienne : les possibilités d’action collective apparaissent désormais très limitées.

2Cet article propose de revenir sur ce qui s’est déroulé dans les universités égyptiennes après le 3 juillet en s’appuyant sur une enquête ethnographique menée entre octobre 2013 et mai 2015 auprès de collectifs contestataires estudiantins [2]. On ne peut pas en effet parler de démobilisation immédiate dans les universités. Le mouvement Tullab did el-inkilab (TDI, Étudiants contre le coup d’État), créé par des étudiants partisans de l’ex-président Morsi à l’occasion du sit-in de la place Rab’aa [3], organise alors des manifestations quotidiennes sur les campus du Caire, d’Alexandrie et d’Al-Azhar notamment. TDI, composé de membres des Frères musulmans (FM) et de sympathisants du président destitué, réclame le retour de ce dernier, ainsi que la libération des étudiants détenus depuis juillet 2013 [4]. Le conflit entre les FM et les nouveaux détenteurs du pouvoir semble donc se déplacer dans les universités [5]. Celles-ci seraient devenues le dernier « champ de bataille » où les FM pourraient encore se battre contre le régime qui, sous l’étendard de la « guerre contre le terrorisme », tente de neutraliser ses opposants en ayant recours à des pratiques répressives [6] : la police occupe les alentours des campus pour disperser les manifestations en tirant sur les participants ; des milliers d’étudiants sont soit arrêtés, soit sanctionnés administrativement, voire expulsés. De leur côté, les membres de TDI utilisent des cocktails Molotov contre les forces de sécurité, attaquent le personnel administratif et bloquent l’accès aux locaux universitaires. On assiste donc, en 2013-2014, à une atmosphère de violence et de tension sans précédent [7]. En novembre 2013, Mohammed Reda, un étudiant de la faculté d’ingénierie à l’université du Caire, meurt après avoir reçu une balle perdue lors d’une des confrontations entre la police et les manifestants sur le campus. Une controverse éclate alors pour savoir si Reda faisait ou non partie des manifestants.

3Le lendemain de sa mort et tout au long de la semaine suivante, une mobilisation massive a lieu à l’université pour dénoncer la violence policière. Celle-ci révèle deux éléments qui vont à l’encontre de la lecture dominante selon laquelle ce qui se passe dans les universités ne ferait que refléter le conflit entre l’armée et les FM. Premièrement, les revendications ne portent pas sur la restitution des droits de victimes de Rab’aa, ni sur le retour de Morsi, mais sur la violence policière, en insistant sur le fait que Reda ne participait pas à la manifestation pendant laquelle il s’est fait tirer dessus. Deuxièmement, les TDI ne font pas partie des acteurs en tête de cette mobilisation, conduite principalement par les unions étudiantes [8], notamment celles de la faculté d’ingénierie et de la faculté d’économie et de sciences politiques. Par la suite, d’autres actions sont organisées par ces mêmes collectifs pour revendiquer la libération des étudiants arrêtés et pour demander la garantie des libertés politiques dans les universités. Loin de se rapprocher de TDI, ces groupes se sont explicitement démarqués des FM, en refusant de soutenir la légitimité électorale de Morsi, sans pour autant soutenir le régime post-2013. Au contraire, ils se présentent comme une « troisième voie » offrant des pistes alternatives d’action collective supposées rompre avec le conflit entre les FM et le pouvoir en place.

4Partant du constat qu’au-delà de ce face-à-face FM-Al Sissi, il se déroule « autre chose », jusque-là peu documentée [9], dans les universités égyptiennes, cette étude élabore une histoire parallèle de la contestation estudiantine après 2013. Outre la remise en cause de la lecture dominante, l’objectif est de problématiser les effets de la répression sur les dynamiques de mobilisation dans les universités, et de comprendre les ressorts de l’action de ces groupes étudiants. Même si ces mobilisations étaient minimes (comparées à celles des FM) en termes d’amplitude et de durée (rarement synchronisées, elles ne durent pas plus d’un ou deux jours à la fois sur des campus distincts), leur présence soulève en soi des questions. D’une part, comment ces acteurs parviennent-ils à construire des possibilités d’action collective dans un contexte si restrictif et dans un espace universitaire dominé par un conflit majeur (FM/régime) dans lequel ils ne sont pas impliqués ? Dans cette mobilisation, quel rôle joue la violence qui cible principalement les étudiants FM dont les acteurs étudiés se distinguent explicitement ? D’autre part, comment comprendre que, à partir d’octobre 2014, alors que les TDI liés aux Frères musulmans se démobilisent sous l’effet de la répression policière, l’activité de ces acteurs concurrents diminue visiblement ? En effet, loin de leur laisser le champ libre, la disparition des mobilisations FM pousse paradoxalement les groupes étudiants concurrents à se mettre en retrait à leur tour. Autrement dit, comment la répression des « autres » (les FM) entraîne-t-elle, successivement, la mobilisation de collectifs étudiants « non-FM » (en 2013-2014), puis leur démobilisation à partir d’octobre 2014 ?

5Pour comprendre cette double séquence, il est nécessaire d’analyser, dans un premier temps, l’émergence de ces collectifs et la manière dont ils se construisent comme un « milieu [10] » aux contours bien définis. Dans un second temps, j’examinerai le renouvellement de leurs stratégies dans le contexte répressif post-2013.

Contester à l’université : présents et passés des mouvements étudiants en Égypte

6L’orientation de la focale de cette étude loin des FM relève tout d’abord d’un souci de sécurité personnelle. Au moment où ceux-ci étaient les cibles directes d’arrestations, de surveillance et de violences, il était nécessaire de trouver une autre entrée. Mais, en se détournant des Frères musulmans pour rendre visibles d’autres acteurs, l’enquête ethnographique a permis de mettre en évidence les aspects problématiques et théoriques que soulèvent les mobilisations.

Des mobilisations problématiques

7Comme le montre le tableau 1, les collectifs étudiés diffèrent selon leur nature (union étudiante vs. mouvement vs. parti), leur ancienneté et selon le contexte politique dans lequel ils se sont constitués (avant 2011 vs. après 2011). Ils ont également des divergences idéologiques, entre ceux qui se définissent comme « libéraux », ceux qui revendiquent une référence aux valeurs islamiques sans se dire FM et ceux qui se présentent comme trotskistes. Ils ont enfin pris des positions différentes sur plusieurs enjeux universitaires et extra-universitaires entre 2011 et 2013. L’exemple le plus clair est que, lors des élections présidentielles de 2012, chaque organisation soutenait un candidat différent. Pourtant, ces collectifs ont conjointement participé à plusieurs vagues protestataires après 2011, ont souvent coordonné leurs actions et se reconnaissent dans un « nous » commun. Je propose de les appréhender comme étant constitutifs d’un « milieu étudiant contestataire ». Je m’inspire de l’ouvrage de J. Japser et J. W. Duyvendak, Players and Arenas, pour analyser ce milieu comme un regroupement de joueurs qui se confrontent dans des arènes [11] constituées autour d’enjeux diversifiés.

Tableau 1

Organisations étudiantes conduisant les mobilisations contre la répression après juillet 2013

Tableau 1
Nom du groupe Statut Date de création Positionnement idéologique et affiliations Osret-el-Midan (OM) Bureau des étudiants du par ti El-Dustur. Opérant dans les universités sous la forme de Osra (organisation étudiante). Interdit depuis octobre 2014 dans les universités du Caire et d’Alexandrie parce qu’« ayant des affiliations partisanes ». Septembre 2012 Ses membres se considèrent politiquement comme libéraux. Majoritairement anciens supporters de Mohammed El-Baradei, opposant au régime de Moubarak depuis 2010 et candidat à la présidentielle en 2012. Tullab-Masr-el-Qaweya (TMQ) Mouvement étudiant. Opérant dans les universités sous la forme de Osra nommée el kelma kelmetna (également interdit d’opérer en 2014). Septembre 2012 Ils ne se revendiquent d’aucune idéologie mais puisent leurs références dans des valeurs islamiques. Masr-el-Qaweya regroupe d’anciens Frères musulmans en plus de membres qui se disent « de gauche ». Ils ont des liens avec le parti portant le même nom. Eshterakeyeen Thawreyeen (Les socialistes révolutionnaires – Soc. Rév.) Regroupe les étudiants membres du mouvement des socialistes révolutionnaires. Le mouvement n’a pas été légalisé jusqu’à présent. Cependant, lors des périodes d’ouverture, ils opèrent ouvertement dans les universités et ailleurs. Date exacte inconnue puisque le mouvement opérait en secret. Mais premières apparitions documentées dans le cadre des manifestations pour la deuxième Intifada en 2002. Revendiquent une affiliation trotskiste. Étudiants du 6 avril Regroupe les étudiants membres du mouvement des jeunes du 6 avril. Le mouvement n’a pas été légalisé. Cependant, lors des périodes d’ouverture, ils opèrent dans les universités et ailleurs. Créé dans le cadre des mobilisations du 6 avril 2008. Comme la plupart des mouvements créés dans la dernière décennie du régime de Moubarak, les membres du mouvement 6 avril n’ont pas une affiliation idéologique particulière mais principalement des positions qui contestent l’autoritarisme. Les unions étudiantes (UE) Seules entités ayant droit de représenter les étudiants au niveau des facultés et des universités. Depuis juillet 2013, les unions de plusieurs universités et facultés participent à, voire conduisent les mobilisations contre la violence policière et pour les droits des étudiants. Les plus visibles sont : l’UE de la faculté d’économie et de science politique, l’UE de l’université de Tanta, l’UE de la faculté d’ingénierie et l’UE de la faculté de médecine à l’université d’Alexandrie.

Organisations étudiantes conduisant les mobilisations contre la répression après juillet 2013

Ce tableau n’est pas exhaustif mais présente les acteurs qui, d’après mes observations et les récits que j’ai recueillis, ont été les plus présents dans ces mobilisations.

8Trois hypothèses peuvent permettre d’interpréter la double séquence de mobilisation-démobilisation de ce milieu étudiant contestataire. La première est que son émergence puise ses origines dans l’histoire longue de la contestation étudiante en Égypte d’une part, et dans les dynamiques du soulèvement de 2011 de l’autre. Ses contours se sont définis graduellement sur deux ans et s’organisent à la fois autour de références communes à un « Mouvement étudiant historique » mythifié et à la « Révolution du 25 janvier 2011 », mais également autour de marqueurs d’opposition aux Frères musulmans. La polarisation avec les FM renvoie à la fois à une opposition structurelle du mouvement étudiant historique et à des conflits propres aux arènes d’interaction post-2011. Les démarcations du milieu étudiant contestataire sont le produit d’un travail de construction symbolique que le concept de métonymies, tel qu’il est défini par F. Poletta, permet d’analyser : « En retraçant comment des structures métonymiques surgissent dans le discours d’un groupe, on peut voir comment certains récits deviennent canoniques et par conséquent comment ces récits marginalisent des alternatives [12] ». Ainsi, les formulations par lesquelles ces militants énoncent les frontières symboliques du milieu orientent leurs tactiques et construisent des possibilités d’action.

9Suivant cette logique, et c’est là la deuxième hypothèse, en se désignant comme des concurrents des FM, ils parviennent à rester mobilisés après 2013 et à construire des cadres de mobilisation contre la violence, même si celle-ci cible leurs rivaux. Il s’agit d’impacts différenciés de la répression. Les travaux scientifiques qui abordent la répression comme un processus interactionnel montrent comment les effets de celle-ci dépendent non seulement des rapports constitués entre mouvements sociaux et acteurs étatiques [13], mais aussi de la concurrence entre les organisations militantes [14]. Ainsi, c’est cette compétition entre les groupes étudiants de l’espace universitaire égyptien qui fait que la répression et la démobilisation des uns permettent aux « autres » de rester mobilisés.

10La dernière hypothèse concerne le moment où ces groupes d’acteurs concurrents des FM se trouvent confrontés à la démobilisation de leurs rivaux. Leur propre démobilisation n’a alors rien d’automatique. Alors que le marqueur « anti-Frère » n’opère plus, leur inscription dans le mouvement étudiant historique ainsi que dans le soulèvement de 2011 constituent à la fois un atout qui se traduit par de nouvelles possibilités et une limite qui menace leurs stratégies d’adaptation.

Émergence du « milieu étudiant contestataire »

11Si une catégorie collective « al-Haraka al-tullabeyya » (« le Mouvement étudiant [15] ») et un répertoire d’action typiquement estudiantin se sont construits et stabilisés en Égypte au cours de nombreux épisodes contestataires tout au long du xxe siècle, le mouvement étudiant n’est, en réalité, pas monolithique. Différents acteurs, aux idéologies et tendances diverses, sont historiquement en concurrence pour le contrôle de l’espace universitaire, imaginé comme un lieu privilégié de contestation [16]. Une polarisation opposant les FM et d’« autres » courants politiques – nationalistes ou marxistes – s’est structurée depuis les années 1920. Elle s’est cristallisée dans les années 1970, quand le régime de Sadate a laissé le champ libre aux étudiants islamistes pour faire contrepoids aux mouvements de gauche qui s’étaient mobilisés sur les campus en 1968 et 1972 [17]. C’est ainsi qu’ont émergé les jama’a al-islameya, ces organisations étudiantes islamiques qui ont acquis une grande popularité dans les universités et ont progressivement rejoint les Frères musulmans. La concurrence entre la gauche et les islamistes s’est en particulier manifestée lors des élections des unions étudiantes, qui furent souvent remportées par les islamistes. Elle prenait aussi une tournure violente quand les étudiants islamistes attaquaient les expositions, les concerts et les conférences des autres en les jugeant non conformes à leurs codes religieux et moraux [18].

12Depuis la fin des années 1970 mais surtout avec l’arrivée de Moubarak au pouvoir en 1981, l’université, comme espace symbolique et pratique de contestation, s’est démobilisée sous l’effet de la stabilisation du régime [19], par l’intermédiaire de la répression et suite à une série de réformes d’inspiration néolibérale [20]. L’affaiblissement des mobilisations sur les campus est aussi dû à leur migration hors de l’espace universitaire ; entre 2000 et 2010, des groupes étudiants se mobilisent davantage dans la rue, au cours de ce que les militants appellent aujourd’hui la décennie de l’indignation [21]. On constate alors une convergence d’intérêt entre les FM et les militants Socialistes révolutionnaires (Soc. Rév.) qui se rencontrent lors des manifestations pour le soutien de la deuxième Intifada en 2000, puis manifestent ensemble en 2006 et 2007 pour condamner la fraude électorale lors des élections des unions étudiantes. Mais c’est avec le soulèvement de 2011 que l’université se remobilise nettement.

13Je propose, premièrement, d’analyser les arènes de mobilisations dans les universités en 2011-2012 comme des moments de rencontre entre des joueurs individuels et collectifs. Les rapports de connaissance et d’affinités qui se nouent lors de ces événements construisent le noyau dur du milieu étudiant contestataire. Les interactions subséquentes entre ces joueurs en 2012-2013 lui donnent une forme plus institutionnalisée et stabilisent les références de ses acteurs au mouvement étudiant historique et au soulèvement de 2011. Deuxièmement, ces arènes sont aussi des moments d’exclusion des FM ; outre la polarisation historique du mouvement étudiant entre ces derniers et les « autres », la démarcation d’un milieu étudiant contestataire non-FM reflète un processus plus général de séparation entre ces deux types d’acteurs politiques depuis 2011, en particulier après les victoires électorales des FM au parlement et à la présidentielle. Cette séparation se cristallise dans le cadre des arènes de mobilisations universitaires entre 2011 et 2013, comme le montrent les trois épisodes suivants.

Arène 1 : se mobiliser contre le Conseil suprême des forces armées (CSFA)

14Entre mars 2011 et juin 2012, plusieurs mobilisations générales contre le CSFA, gérant la période transitionnelle après la chute de Moubarak, surviennent suite à des confrontations violentes entre des manifestants et la police militaire, alors chargée du maintien de l’ordre. Une vague de grande ampleur se produit notamment en novembre-décembre 2011, à la suite des confrontations dites de « Mohammed Mahmoud [22] » – du nom d’une rue, donnant sur la place Tahrir, où se situe le ministère de l’Intérieur – pour s’indigner de la politique répressive menée par le CSFA dans la lignée du régime de Moubarak. Dans les universités, les joueurs principaux de ces mobilisations sont les Soc. Rév. et les étudiants du Mouvement 6 avril. C’est aussi le moment d’émergence, sur les campus, de nouveaux partis politiques créés après le soulèvement de 2011 (par exemple le Parti de la justice et le Parti social démocratique) ; des étudiants qui en sont membres participent aux manifestations même s’ils ne le font pas nécessairement au nom de leurs partis. Y participent également des collectifs ad hoc, créés pour coordonner des groupes d’étudiants, à l’instar du collectif « les révolutionnaires de la faculté d’ingénieurs au Caire [23] », qui permet de communiquer avec les participants des autres facultés, d’écrire des déclarations communes et de s’accorder sur le trajet des manifestations. Ces mobilisations deviennent donc des moments de rencontre entre militants de différents groupes plus ou moins structurés, et le lieu de constitution du noyau dur du milieu étudiant contestataire.

15Les récits des militants sur les manifestations contre le CSFA comprennent des références systématiques à la « révolution » (sous-entendu au soulèvement de 2011) et au « mouvement étudiant » (sous-entendu à la catégorie historique d’action collective). Ces deux métonymies reflètent comment ce moment esquisse les contours d’un « nous » en cours de constitution. D’une part, ces récits concrétisent l’identification collective des acteurs étudiants à « l’élan révolutionnaire » (el-zakham el-thawry) incarné par le sit-in sur la place Tahrir de janvier 2011. A. K., président de l’union étudiante d’une faculté de l’université du Caire, l’exprime parfaitement :

16

« Nous sommes la promotion de la révolution. On a commencé nos études en 2012 dans la continuité de l’élan révolutionnaire, avec la “sensation” révolutionnaire. On était très ambitieux, on voulait tout faire et personne ne pouvait nous arrêter. On protestait pour tout et contre tout, on causait beaucoup de problèmes pour les administrations [24] ».

17L’usage très vague que font les militants du qualificatif « révolutionnaire » permet précisément de considérer cette référence récurrente comme un dénominateur commun du milieu étudiant contestataire, comme l’exprime M. G., membre du collectif Osret al-Midan (OM, « La famille de la place », allusion directe à la place Tahrir) dans une faculté à l’université du Caire :

18

« À l’époque, après Mohammed Mahmoud, on n’était pas bien organisés et on n’avait pas vraiment d’idéologie, tout ce que nous voulions faire était de contribuer à la révolution [25] ».

19D’autre part, les récits militants présentent les mobilisations comme le « vrai retour du mouvement étudiant ». M. B., membre d’OM à Alexandrie, fait un lien direct entre les deux périodes :

20

« Après la révolution, la porte s’est ouverte. Peut-être avant il y avait des personnes qui voulaient se mobiliser mais qui ne pouvaient pas parce que la facture était trop lourde. Mais c’est devenu plus simple. De plus, après la révolution, le mouvement étudiant commence à se ranimer, l’histoire commence à se répéter. Pendant les manifestations contre le CSFA, les gens parlaient des manifestations des années 1970. La porte était ouverte pour revivre l’histoire. Depuis 2011, nous chantons les chansons de Sheikh Imam et Ahmad Fouad Negm dont « Les étudiants sont de retour » et « La prison de la citadelle » [26]. Tout le monde s’est mis à lire des romans qui racontent l’histoire des mouvements étudiants. Pendant la période du CSFA, les gens ont commencé à vouloir appliquer ce qu’ils avaient lu. C’est pour cela que les manifestations ont démarré dans les universités avant tout [27] ».

21En outre, ce moment marque aussi le début de la rupture graduelle entre les FM et les acteurs qui se désignent comme « révolutionnaires » en référence à 2011. Cette rupture se cristallise autour de la position ambivalente des Frères musulmans qui refusent de protester contre le CSFA. Cette position a été perçue par les autres comme une trahison : plusieurs enquêtés répètent que « les FM nous ont vendus à Mohammed Mahmoud [28] ». Elle se renforce, alors, dans les mobilisations suivantes. A. G., un autre membre d’OM à Alexandrie, explique que leur campagne intitulée « Militaires menteurs [29] » qui critique le CSFA ne plaît pas à leurs collègues FM :

22

« La polarisation du mouvement étudiant a toujours existé mais elle s’est accentuée […]. À l’époque, les FM étaient avec le CSFA de sorte que, quand nous avons voulu critiquer le CSFA, les FM et les salafistes nous ont attaqués. J’ai vu cela de mes propres yeux, quelqu’un m’a battu et a versé de l’eau sur mes haut-parleurs. […] On sait que, depuis les années 1970, il y a ce genre de confrontations, mais là c’était autre chose, les étudiants s’attaquaient les uns les autres. C’était violent. […] pour moi, les FM sont responsables de cette polarisation [30] ».

Arène 2 : faire campagne pour les présidentielles

23Lors des élections présidentielles de 2012, plusieurs candidats font des universités un lieu de campagne. Deux candidats semblent attirer le plus grand nombre de mes enquêtés : Abdel Moneim Abou el-Fotouh [31] et Mohammed El-Baradei [32]. Alors que ce dernier annonce son retrait quelques mois avant les élections, Abou el-Fotouh est éliminé au premier tour, mais chacun d’eux crée alors un parti politique – respectivement El-Dustur (« la Constitution ») et Masr-el-Qaweya (« l’Égypte forte ») – dont le but est de maintenir les réseaux de supporteurs et d’instituer une opposition politique partisane aux FM qui remportent les élections [33]. Deux organisations étudiantes affiliées à ces deux partis se créent : OM lié à El-Dustur, et Tullab Masr-el-Qaweya (TMQ : les étudiants de l’Égypte forte) ; leurs leaders insistent sur leur indépendance vis-à-vis du parti en assurant leur allégeance au projet plus large présenté par About El-Fotouh lors de sa campagne électorale. Ces deux organisations consolident le milieu contestataire en captant et en institutionnalisant les réseaux créés lors des mobilisations contre le CSFA l’année précédente. C’est ainsi que les militants étudiants commencent à s’identifier à des mouvements et à des organisations bien délimitées, dont des anciennes comme le Soc. Rév. et 6 avril, et des nouvelles comme OM et TMQ qui adoptent des discours distincts (voir tableau 1). Selon A. K., membre de TMQ pour une courte durée avant d’être élu président d’une union étudiante à l’université du Caire, l’institutionnalisation du milieu étudiant contestataire n’a pas été nécessairement perçue comme un tournant positif par les militants : « Chacun s’identifie à un mouvement et travaille de manière isolée en refusant le compromis nécessaire pour travailler avec les autres [34] ». Il n’en reste pas moins que les membres de ces organisations continuent de partager des références au « mouvement étudiant », à la « révolution de 2011 » et de se désigner comme un pôle « contre les FM ».

Arène 3 : militer contre le nouveau règlement étudiant et mobiliser pour les élections étudiantes de 2013

24La polarisation FM-non-FM dans l’espace universitaire atteint son apogée lors des négociations pour le nouveau « règlement étudiant » fin 2012-début 2013 ; c’est à ce moment que la démarcation du milieu étudiant contestataire vis-à-vis des Frères musulmans se concrétise formellement et non plus seulement symboliquement. Les organisations et les unions étudiantes dans les universités égyptiennes publiques sont réglementées par un chapitre annexe de la Loi 49 de 1972. Il a été amendé en 1979 par décret présidentiel, afin de limiter les libertés politiques dans cette institution, d’interdire la représentation étudiante au niveau national (dissolution de l’Union des étudiants d’Égypte) et d’assurer le contrôle des unions étudiantes locales et de leurs élections par les administrations universitaires et par les agents de sécurité, de sorte que ce texte est surnommé par les militants « règlement de Amn el-dawla » (les services de sécurité de l’État [35]). Après le soulèvement de 2011, les mouvements étudiants se mobilisent pour l’établissement d’un nouveau règlement écrit par les représentants des étudiants, nouvellement élus lors des élections des unions étudiantes de mars 2011 [36]. Une première version est rédigée, mais sa déclaration officielle est empêchée par les mobilisations contre le CSFA qui se déclenchent dans les universités. En mars 2012, de nouvelles élections des unions étudiantes (UE) ont lieu. Cette fois-ci elles sont remportées en majorité par les FM. Les autres mouvements boycottent en effet le scrutin, considérant qu’il faut officialiser le nouveau règlement avant de procéder aux élections. À l’inverse, les Frères musulmans insistent pour élire d’abord les UE qui, à leur tour, en proposeraient un. Leur point de vue l’emporte. Les élections sont tenues et l’Union nationale des étudiants d’Égypte, sous l’égide de la présidence Morsi, met en place le nouveau règlement étudiant en janvier 2013. L’analyse des récits de mes enquêtés, notamment des Soc. Rév., sur cette période montre que l’enjeu de la polarisation autour du règlement réside moins dans le contenu de celui-ci que dans la procédure de sa mise en vigueur. En effet, le texte de 2013 a largement élargi les compétences des UE et renforcé leurs prérogatives vis-à-vis des administrations universitaires en plus de légaliser la représentation étudiante au niveau national. Cependant, c’est la supposée « imposition » de la procédure par les FM qui est critiquée.

25Le conflit sur le règlement culmine lors des élections d’UE d’avril 2013. À cette occasion, les mouvements Soc. Rév., OM et TMQ, en plus d’étudiants se disant indépendants, coordonnent leurs listes électorales et, dans certaines facultés, se présentent sur une même liste. Ils réussissent ainsi à gagner une majorité des sièges dans plusieurs universités, ce qui est présenté médiatiquement comme une « défaite » des FM. Les critiques croissantes contre les Frères musulmans dans de multiples secteurs de la société au cours du premier semestre 2013 mènent bientôt aux mobilisations du 30 juin 2013 pour réclamer la démission de Morsi. C’est à ce moment-là que le milieu étudiant contestataire commence à se consolider autour d’une définition anti-FM. Mais l’irruption massive de la répression, ciblant prioritairement les Frères musulmans, dans et hors des universités, reconfigure leurs possibilités d’action.

Universités assiégées ? Possibilités d’action collective dans un contexte répressif

26La littérature sur l’action contestataire et la répression souligne que cette dernière ne suscite pas directement la démobilisation mais produit des effets variés à chaque séquence d’une mobilisation [37]. Dans le cas des acteurs du milieu étudiant égyptien, il apparaît que c’est la dénonciation de la répression à l’encontre de leurs rivaux qui leur permet de rester mobilisés pour un moment. Ce n’est que dans un deuxième temps, lorsque précisément leurs rivaux se démobilisent, qu’ils commencent à douter de leur capacité à maintenir leurs propres mobilisations ; les militants tentent de s’adapter et d’ouvrir de nouveaux espaces d’action, mais les options stratégiques varient et les clivages inter-organisationnels et intra-organisationnels s’accentuent.

Répression des uns, mobilisations des autres

27Si les contours du milieu étudiant contestataire se définissaient par rapport à son exclusion des FM, après le 3 juillet, l’explicitation de cette démarcation devient une nécessité car les Frères musulmans sont désormais désignés par le nouveau régime comme une organisation terroriste. La répression s’abat sur les TDI qui émergent pour protester contre le « coup d’État ». Les acteurs étudiants évitent donc à tout prix d’être assimilé à leurs rivaux :

28

« Notre stratégie n’impliquait aucun rapprochement avec les FM. Nous n’étions jamais alliés et nous ne le serons pas. […] Si une de nos manifestations tombait en même temps qu’eux, on changeait de date. On refuse absolument d’être assimilés à eux, nous ne voulons pas leur donner une couverture révolutionnaire [38] ».

29Entre octobre et décembre 2013, les revendications communes autour de la libération des étudiants emprisonnés ont pu effectivement faire l’objet d’une coordination entre les acteurs non-FM et les TDI. Mais ces quelques tentatives sont considérées comme des échecs par mes enquêtés. De leur point de vue, cela tient au fait que les Frères musulmans finissaient par mettre en avant leur revendication principale contre le coup d’État, en faisant le signe de Rab’aa ou en réclamant le retour de Morsi, transformant ainsi la mobilisation commune en manifestation pro-FM. Non seulement, cela allait à l’encontre des positions du milieu contestataire, mais cela risquait de faire des participants des cibles directes de la répression. Ils leur reprochent aussi implicitement d’être à l’origine des tensions sur le campus. Lors d’une séance de discussion collective, que j’ai observée, un étudiant de TMQ est intervenu pour accuser les TDI d’avoir « ramené la violence dans les universités [39] ». Selon lui, les manifestants faisaient exprès de provoquer les policiers autour du campus afin de transférer le conflit à l’intérieur de celui-ci : il s’agirait d’une stratégie pour créer des « martyrs » puisqu’une attaque policière sur le campus cause plus d’indignation qu’une confrontation dans la rue. Si cette opinion a été largement réfutée par les autres militants présents pour qui la police et les administrations universitaires sont responsables de la violence, tous s’accordent à attribuer aux FM la responsabilité de l’échec des mobilisations communes :

30

« Le deuxième jour de la mobilisation pour Mohammed Reda, on s’était mis d’accord pour faire une manifestation massive sur le campus avec les membres de tous les mouvements mais sans utiliser ni signe ni drapeau. Tout commence bien, mais une fois entrés sur le campus principal, on trouve des étudiants qui font le signe de Rab’aa, les autres participants protestent, la tension augmente et on se retrouve obligés de tout annuler [40] ».

31N’ayant pas réussi à se mobiliser avec les Frères musulmans, les groupes du milieu étudiant contestataire nouent des alliances afin de se présenter comme un acteur collectif, endossant le rôle de l’alternative tant aux FM qu’au nouveau régime. Ces alliances demeurent néanmoins ad hoc malgré les tentatives pour créer des structures plus durables, comme l’Ittilaf Tullab Misr (la Coalition des étudiants d’Égypte). Les divergences internes sur les priorités sont trop fortes [41]. Dès lors, la dénonciation de la violence et de ses conséquences, la seule position sur laquelle ils parviennent à se mettre tous d’accord, devient l’enjeu central. Les collectifs étudiants accomplissent plusieurs tâches communes, telles que chiffrer précisément le nombre des étudiants arrêtés ou expulsés, documenter leurs cas en détail, organiser des campagnes pour garantir des droits spécifiques aux étudiants détenus, comme l’accès aux examens, et enfin publiciser ces cas à travers des manifestations, des sit-in, des pétitions, des expositions et les réseaux sociaux. Le fait que les principales victimes de la violence soient des étudiants des TDI dont ils se distinguent explicitement est dépassé par l’insistance mise sur le statut étudiant des personnes arrêtées. Les mobilisations ont d’ailleurs plus d’écho auprès des publics étudiants ou dans le débat médiatique, et durent plus longtemps, quand les acteurs réussissent à présenter la victime comme un « talib ‘adi », un étudiant « ordinaire ». Un cas exemplaire est celui de Mohammed Reda évoqué en introduction :

32

« Mohammed Reda est un étudiant ordinaire, il n’a rien à faire avec la politique. Il ne discute pas de politique, il ne participe ni aux manifestations, ni aux sit-in ! Lors d’une confrontation entre les étudiants et la police dans sa faculté, il est allé voir ce qui se passait par curiosité, et on l’a tué. Je n’ai jamais vu un rassemblement aussi énorme que celui qui a suivi sa mort [42] ».

33A. K., président d’une UE d’une faculté à l’université du Caire, défend cette stratégie et critique les acteurs du milieu qui n’arrivent pas à l’adopter jusqu’au bout. Il explique :

34

« En parlant du problème de la présence policière sur le campus, nous essayons de souligner pourquoi cela pose problème et met tous les étudiants en danger quelle que soit leur affiliation politique. Si cela est arrivé à cet étudiant, qui ne faisait rien d’exceptionnel, cela peut arriver à n’importe qui. Dans ce cas, le nombre d’étudiants qui soutiennent notre mobilisation s’accroît, même les pro-régime pourraient rejoindre notre cause. Alors que quand nos collègues, les Soc. Rév., font un discours très radical en disant “kelab el dakhleya” (les flics sont des chiens) et des slogans de ce type, on essaie de les calmer et de les convaincre de travailler dans l’espace commun qui existe avec les autres [43] ».

35Mettre en avant « l’étudiant ordinaire » permet aussi de multiplier les domaines d’action possibles en se focalisant sur « les droits des étudiants ». En usant de modes d’action typiquement contestataires (sit-in et manifestations) ou non (groupes de discussion, conférences, festivals, concerts), ils demandent de meilleures conditions d’études et de vie sur le campus et élargissent le débat autour de la sécurité des campus par exemple, par-delà le conflit politique FM-régime et la question de la présence policière. Autrement dit, ils mettent l’accent sur les aspects pratiques et matériels de la sécurité : protection des locaux, garanties contre les vols, contrôle de l’entrée du campus, risques d’incendies, etc.

36Loin d’être « apolitiques », ces aspects s’inscrivent en fait dans le cadre de la nouvelle arène de mobilisation qui émerge à nouveau autour du retour de la Garde universitaire, ou haras el-gam’a. Cette unité policière était chargée avant 2011 de garantir la sécurité des campus. Elle était également l’outil principal du régime de Moubarak pour neutraliser les acteurs politiques étudiants [44]. Suite à des actions menées par les étudiants mais surtout par les professeurs des universités, un tribunal administratif ordonne son départ en 2011, bien que ce jugement ne ne soit exécuté qu’en mars 2011, après le soulèvement. La responsabilité de la sécurité des campus incombe alors aux agents administratifs civils de sécurité (amn edari). Dans le contexte post-juillet 2013, ce sont les présidents des universités qui évoquent la nécessité du retour de la Garde. Cela est très mal reçu par les militants estudiantins qui, tout en admettant l’incompétence des agents administratifs, se mobilisent pour critiquer la politisation de cette structure policière. En octobre 2014, les présidents de plusieurs universités, dont celles du Caire et d’Alexandrie, signent donc un contrat avec une entreprise privée (Falcon). Cela ne mit pas fin aux contestations des étudiants qui ont continué à dénoncer le manque de transparence du processus de sélection de cette entreprise, qui était aussi chargée de sécuriser la campagne électorale du maréchal Al-Sissi.

37Ainsi, la répression des « autres » (leurs concurrents FM) permet aux acteurs du milieu étudiant contestataire de construire des possibilités d’action collective en contexte répressif en produisant de nouveaux cadrages visant les « étudiants ordinaires ». Cependant, ces possibilités se révèlent moins durables qu’attendu. Le début de la deuxième année académique suivant la destitution de Morsi, en septembre 2014, coïncide avec plusieurs échecs de mobilisations, qui s’illustrent du point de vue de mes enquêtés, par la faible participation aux manifestations ou le rejet de leurs revendications par les autorités. Désormais, les restrictions administratives touchent toutes sortes d’activités potentiellement contestataires. En octobre 2014, l’activité politique est même officiellement interdite dans quelques universités, dont celle du Caire [45]. Au tournant de l’année 2015, les acteurs enquêtés perçoivent une fermeture des possibilités d’action et font face à une démobilisation qu’ils jugent « inévitable ».

Désillusion, démobilisation et recherche de perspectives

38Lors d’une deuxième phase d’enquête en janvier 2015, je trouve l’espace universitaire beaucoup plus calme que l’année précédente. La répression étatique semble avoir réussi à démobiliser les TDI ; il y a visiblement moins de mobilisations sous le signe de Rab’aa et le mouvement FM est en proie à de graves divisions internes sur les stratégies à adopter. Quant aux acteurs du milieu contestataire, ils explorent, entre janvier et mars 2015, plusieurs voies pour réclamer la tenue des élections annuelles des unions étudiantes, reportées sine die par le ministère de l’Enseignement supérieur depuis le précédent scrutin de 2013, afin de prévenir une éventuelle victoire des opposants du nouveau régime [46]. L’échec auquel les militants se heurtent les conduits à considérer que « c’est pratiquement terminé pour les unions et les mouvements des étudiants, tous les espaces sont fermés [47] ».

39Il semble alors que la démobilisation des TDI force leurs concurrents à se démobiliser à leur tour. Tout d’abord, l’engagement politique devient de plus en plus risqué ; ayant neutralisé les FM, le pouvoir en place n’a aucune intention de tolérer la contestation de quiconque. A. E., un militant de TMQ à Alexandrie, décrit les différentes réactions de ses collègues face à la répression, tout en questionnant la capacité de son organisation à perdurer dans ce contexte :

40

« On est dans une période difficile, une période de récession du mouvement étudiant. […] Je ne sais pas si nous pouvons continuer. Est-ce qu’on aura la force de subsister et de gérer cette situation ? Les positions des militants sont clivées : entre ceux qui, frustrés, décident d’émigrer, et ceux qui vont rejoindre les FM… D’autres décident de nous quitter pour des raisons de sécurité. Je respecte leur décision et je la comprends mais… [48] ».

41De plus, les administrations universitaires (présidents des universités, doyens des facultés et fonctionnaires) restreignent l’ensemble des domaines d’action étudiante. Outre le report des élections, la mise en œuvre des nouvelles prérogatives octroyées aux UE par le règlement de 2013 est bloquée par les administrations. Le règlement lui-même a été annulé en octobre 2014 sans être remplacé par un autre. Dans ce contexte, les membres des UE élus en 2013 considèrent qu’ils ne peuvent plus agir. M. F., présidente d’une UE à l’université d’Ain Shams, explique au lendemain de sa démission :

42

« L’assemblée de l’UE s’est réunie et a décidé de démissionner collectivement. On ne peut plus subir ce genre de traitement. J’ai presque été expulsée de l’université l’année dernière. Ils ne nous laissent rien faire. On est trop fatigués, on ne peut plus supporter la pression [49] ».

43Ensuite, la démobilisation des TDI met en évidence la taille réelle du milieu contestataire, de plus en plus décroissante, avec la perte d’un grand nombre des adhérents et des sympathisants découragés par la répression de l’année précédente [50]. H. F., membre du bureau central d’OM en 2014, exprime clairement l’état d’esprit prévalant dans en mai 2015 :

44

« On est trop faible, on ne peut rien faire. OM est censée être une structure révolutionnaire mais nos communiqués sont étranges. Nous revendiquons la chute du régime militaire, mais c’est un ton qu’on ne peut plus adopter [51] ».

45Enfin et surtout, la raison principale pour laquelle les acteurs du milieu étudiant contestataire se démobilisent est leur incapacité à mobiliser les « étudiants ordinaires », encore moins à gagner leur sympathie. En effet, la violence qui a marqué les années 2013 et 2014 [52] a suscité anxiété et tension auprès des publics étudiants, et nombreux sont ceux qui perçoivent l’activité politique comme étant à son origine ; par conséquent, « la politique a acquis une mauvaise réputation [53] ». Or, d’une certaine façon, ces acteurs endossent à leur insu le rôle auparavant tenu par les TDI. Loin de réussir à se dissocier des échanges de coups entre les FM et le régime, tous les acteurs associés à des mouvements politiques portent une partie de la responsabilité aux yeux de ceux qu’ils tentent de mobiliser. N. O., membre d’un club étudiant à l’université du Caire – une structure associative qui se concentre sur la vie étudiante et se tient explicitement à distance du milieu contestataire –, explique de quelle façon la politique rejaillit incidemment sur ses activités :

46

« Je crois que les mouvements des étudiants revendiquent des situations idéales qu’ils ne sont pas en mesure de réaliser. Alors nous subissons vraiment l’effet négatif de l’action politique ! Nous préparons les activités de notre club, et voilà qu’une manifestation arrive et nous nous trouvons obligés de tout ramasser et de partir. Il n’y a ni sécurité, ni stabilité [54] ! »

47En somme, la démobilisation des TDI ne laisse pas le champ libre à leurs concurrents, mais est perçue par ceux-ci comme une contrainte sur leurs champs de possibilité ; ils subissent un « effet de report » de la répression et de la délégitimation de l’action politique, qui se focalisaient auparavant sur les FM. Désormais, chaque décès ou arrestation d’étudiant, chaque activité annulée et chaque échec de mobilisation confortent la désillusion de mes enquêtés quant au potentiel des activités contestataires.

48Face au rétrécissement des capacités de mobilisation contestataire, même si la conscience d’avoir perdu « l’élan révolutionnaire » est présente, des stratégies d’adaptation et de « réconciliation avec la situation », selon l’expression de certains enquêtés [55], sont cependant rapidement mises en place. Les organisations qui se trouvent interdites d’opérer dans les universités en raison de leur affiliation politique changent de nom et placent aux postes à responsabilité des individus peu connus pour leurs activités politiques. Des activités de petite échelle sont organisées, comme des expositions artistiques, des sit-in et des conférences de presse. C’est la taille circonscrite de ces activités qui les met à l’abri de la répression.

49En outre, la réduction des possibilités d’action ouvre une phase de réflexion collective. Des questions comme « qu’est-ce que nous faisons dans les universités ? Que voulons-nous, qui ciblons-nous ? [56] » suscitent des discussions tendues et passionnées. Dans ce contexte, ce sont les relations individuelles entre les leaders des différents mouvements qui permettent au milieu de perdurer. Les discussions se déroulent généralement dans une ambiance informelle – 5 ou 6 membres des bureaux de TMQ et d’OM, par exemple, se rencontrant dans les locaux d’une ONG en dehors des campus [57]. D’après mes observations répétées de ce type de rencontres, il importe de souligner à quel point le moment de la démobilisation est également un moment où surgissent des luttes de définition de ce qu’il faut faire dans un contexte répressif.

50Je distinguerai trois stratégies. La première consiste à retravailler le discours collectif de manière à le neutraliser politiquement. Il s’agit de supprimer tout élément contestataire ciblant le régime et de focaliser le discours militant sur des demandes purement « étudiantes ». Avec le soutien d’ONG de défense des droits de l’homme, et en particulier de l’AFTE (Association of Freedom of Thought and Expression), les militants se tournent alors vers la recherche, la formulation de propositions de politiques publiques alternatives, l’organisation de campagnes de sensibilisation, la mise en place de sondages et de pétitions à propos de questions « sectorielles », spécifiques au statut étudiant (par exemple les conditions de vie dans les cités universitaires), tout en évitant d’évoquer des causes politiques « externes ». Des mouvements comme TMQ vont jusqu’à reformuler leur position officielle :

51

« Le mouvement des étudiants de TMQ est un mouvement essentiellement estudiantin qui lutte pour tout ce qui est lié aux affaires universitaires. Le mouvement s’intéresse en priorité aux droits et libertés étudiantes. […] Nous voulons rappeler à l’opinion publique que les étudiants sont une catégorie sociale qui a des demandes multiples et particulières dont personne ne s’occupe. Notre rôle n’est pas la prise en charge des affaires politiques dans leur complexité [58] ».

52Cette évolution a suscité des protestations à l’intérieur de TMQ, mais aussi entre les mouvements du milieu contestataire. Les Soc. Rév. considèrent que la distanciation vis-à-vis des « affaires politiques » avalise la défaite des mouvements étudiants et la résignation vis-à-vis de ce qu’ils pensent être la stratégie du régime, c’est-à-dire la neutralisation politique de l’université. D’où la deuxième tendance qui consiste à exploiter tous les moyens de mettre en avant des revendications politiques qui critiquent le pouvoir en place, et de mobiliser les étudiants politisés tout en recrutant des étudiants « ordinaires ». La montée en généralité à partir des causes estudiantines est donc au cœur de cette stratégie. La troisième tendance est le fait d’acteurs comme les membres des UE de l’université de Tanta et les membres d’OM, qui ont lancé en avril 2015 une campagne intitulée « el-gam’a beta’etna » (L’université est à nous). Proposant un changement de focale pour sortir du débat causes estudiantines vs. causes politiques, cette campagne a pour but de créer des réseaux d’étudiants afin de former une communauté qui serve de réservoir d’expériences et de contacts. L’objectif théorique de cette stratégie est de « produire une communauté mobilisable » dès que surgira une cause commune, ou construite comme étant commune [59]. Ces réseaux doivent être aussi inclusifs que possible dans une optique d’« élargissement des alliés et des partenaires pour inclure également des sympathisants ou des non-antagonistes quelle que soit leur adhésion politique et idéologique [60] ». Les tenants de cette stratégie continuent ainsi d’essayer de communiquer avec les « étudiants ordinaires » et, en parlant de réseaux et de communautés, leur initiative suscite dans le milieu une discussion sur le changement des structures organisationnelles. Tandis que cette troisième tendance privilégie une action informelle, non structurée, fondée sur les contacts personnels, d’autres privilégient la préservation des organisations existantes tout en allégeant les structures, au vu du nombre décroissant des membres. Éviter la répression nécessite de les simplifier :

53

« Il nous suffit de nous asseoir par terre, à cinq ou à dix pour discuter d’un livre qu’on a lu, on n’a pas besoin d’organisation, de budget et de permissions. Les gens nous repèrent et nous rejoignent [61] ».

54Ainsi, réalisant qu’ils ne peuvent plus se mobiliser de la même manière, les acteurs négocient ensemble pour redéfinir les priorités et les stratégies. Dans ce processus de négociation, la métonymie de « l’esprit révolutionnaire » de 2011 est à nouveau reprise dans les formulations militantes afin de rechercher de nouvelles possibilités d’action et d’en écarter d’autres. La volonté de sauvegarder cet « esprit » – à défaut de l’élan (el-zakham) – est commune à la quasi-totalité des enquêtés. Les épisodes contestataires entre janvier 2011 et juin 2013 servent de critère pour évaluer le présent. Plus que de la nostalgie, ce qu’il reste de l’énergie révolutionnaire pousse ces acteurs à lutter pour continuer à « faire quelque chose » :

55

« Maintenant, mon rôle se résume à la recherche de nouveaux outils pour transmettre nos idées aux étudiants. Les modes d’actions ordinaires sont devenus plus coûteux. Alors on essaie de créer de nouveaux moyens pour transmettre le sens que nous voulons sans trop prendre de risques [62] ».

56Ces « idées » et ce « sens » renvoient aux valeurs qu’ils associent à la Révolution du 25 janvier. Si des activités d’apparence banale, comme des concerts, des groupes de discussions de petite taille et des excursions, remplacent les sit-in, les expositions et les manifestations, c’est parce qu’elles ont pour but de socialiser les étudiants à ces valeurs. Il faut en effet bien saisir qu’arrivent déjà sur les campus des étudiants qui n’étaient que de jeunes adolescents pendant le soulèvement de 2011. Sauvegarder la mémoire des expériences révolutionnaires individuelles et collectives constitue un projet récurrent dans les discours et les stratégies de ces acteurs. La documentation de leurs activités et des épisodes de contestations dont ils ont été témoins à l’université depuis la création de leurs organisations a pour but de constituer la mémoire d’un contexte où ils étaient « libres » et où « tout était possible ». Cette conservation vise aussi à ce que les « prochaines générations d’étudiants ne partent pas de zéro et aient une base sur laquelle ils pourraient construire quelque chose [63] ». Cela dit, plus qu’une volonté pragmatique de transfert d’expérience, ces projets répondent au souci de garder les traces d’un rêve révolutionnaire et de prévenir une réécriture de l’histoire du soulèvement du 25 janvier [64]. Même si, pour de nombreux enquêtés, la Révolution a été « vaincue », cette patrimonialisation reflète une volonté d’en faire vivre « l’esprit » malgré leur résignation vis-à-vis de son achèvement. E. F., membre d’une UE, l’exprime clairement :

57

E. F. : Concrètement, la Révolution est terminée, ou peut-être on devrait tout recommencer. Je n’arrive pas à t’expliquer. Je veux dire que, si jamais quelque chose arrivait dans les universités, ce serait une action complètement nouvelle qui n’aurait rien à voir [avec la Révolution de 2011], sauf grâce à l’expérience et à la mémoire collective. Mais pour nous, actuellement, c’est fini.
Moi : Tu parles de mémoire collective. Qu’est-ce que tu entends par là ?
E. F. : La mémoire collective des étudiants [de leurs expériences révolutionnaires]. Ma promotion a vécu une expérience du début jusqu’à la fin. Si jamais quelqu’un d’autre arrive et veut faire la même chose, ce sera plus facile pour lui. […] Même ceux qui ont terminé leurs études et sortent de l’université pour travailler ou aller n’importe où, il y a quelque chose qui continue en eux. Même si l’UE n’a plus aucun rôle, l’expérience continue dans les étudiants eux-mêmes [65].

58Un passé plus lointain se fait également sentir. La métonymie du « mouvement étudiant historique » est remobilisée, d’une autre façon. Le temps est à la documentation : les militants évoquent les trajectoires des protagonistes de la « génération 1970 », souvent mentionnée comme l’épitomé du mouvement étudiant, et se réfèrent à des films, à des ouvrages littéraires et scientifiques [66]. La transmission de ce passé est favorisée par l’affiliation de certains groupes étudiants à des partis politiques où ils rencontrent des figures de cette génération historique, et par les liens noués entre le milieu étudiant contestataire post-2011, l’AFTE, et des grandes ONG de défense des droits de l’homme que cette génération a fondé dans les années 1980 [67]. Trois usages de ce passé flou me semblent particulièrement intéressants à souligner : le premier les considère comme des exemples à ne pas suivre (en tirer les leçons), le deuxième fait de cette lutte de longue durée une source de motivation, et le troisième l’appréhende comme une contrainte.

59D’une part, une image particulière surgit de façon répétée, celle des « mort-nés », du nom des mémoires d’Arwa Saleh [68], une des leaders du mouvement étudiant en 1972 et 1977. Elle y réfléchit sur sa trajectoire et celle de ses camarades, et décrit leur « défaite » d’un ton amer qui semble hanter une partie de mes enquêtés. Ne voulant « surtout pas être de nouveaux mort-nés [69] », ces derniers entendent persévérer et préserver leur énergie révolutionnaire, même s’il leur faut pour cela ouvrir de nouvelles arènes de lutte. L’idée de la fin tragique de cette génération vénérée les pousse à ne pas répéter « les erreurs » de leurs aînés, et donc à ne pas se résigner et à ne pas abandonner la lutte.

60D’autre part, l’inscription dans l’histoire longue du mouvement étudiant encourage les militants et les incite à ne pas désespérer. En janvier 2014, sur la page Facebook d’une union étudiante de l’université du Caire, une image de manifestations étudiantes des années 1970 est postée et commentée comme suit :

61

« Vous n’êtes ni les premiers, ni les derniers. C’est une chaîne de lutte et de résistance, une chaîne d’idées, un mouvement. Les générations poursuivent ce que leurs prédécesseurs ont commencé et le remettent à leurs successeurs. Ne vous découragez pas ! Sachez que le chemin est difficile seulement pour celui qui méconnaît son histoire. Mais il est facile pour celui qui contemple et réfléchit, car il sait qu’il n’est pas tout seul [70] ».

62C’est ainsi que le passé est mobilisé pour empêcher les militants du présent de juger les résultats momentanés de leurs actions en y adjoignant une perspective sur le temps long, d’accumulation et de continuité. Cependant, ce même passé constitue aussi une contrainte pour une partie des militants. Un des membres du bureau de TMQ l’exprime ainsi, à l’occasion d’une de nos discussions informelles : « L’histoire du mouvement étudiant est un poids qu’on ne peut plus supporter [71] ». Selon lui, si un grand nombre de membres de son mouvement refuse la nouvelle orientation proposée, axée sur les besoins des étudiants et éloignée des enjeux explicitement politiques, c’est à cause de la supposée mission historique des étudiants, censés être l’avant-garde de la contestation. Cet imaginaire incite plusieurs groupes dans le milieu contestataire à considérer comme une concession, voire comme une trahison, le changement stratégique que cet interlocuteur estime, lui, nécessaire à leur survie.

63Une comparaison globale entre les périodes 2011-2013 et 2013-2015, en Égypte, laisse peu de doute sur le fait que l’installation du régime soutenu par l’armée a démobilisé les différents secteurs de la société égyptienne. Cependant, le suivi des parcours et des stratégies de ces mouvements étudiants montre que la démobilisation n’est pas une conséquence linéaire de la répression. D’abord, cette dernière a des effets qui diffèrent selon la configuration des acteurs dans l’espace dans lequel elle est introduite. Ainsi, pour les collectifs du milieu étudiant contestataire, la dénonciation de ses effets sur leurs concurrents, les Frères musulmans, leur permet de rester mobilisés au moins pour un certain temps. Ensuite, la démobilisation doit être comprise dans une logique processuelle dans laquelle les interactions entre acteurs ne s’arrêtent pas immédiatement une fois qu’ils réalisent qu’ils ne peuvent plus continuer à agir de la même manière. Confrontés à un désillusionnement concernant toute possibilité d’action, ils continuent à mettre en œuvre des stratégies pour survivre et maintenir ce qui reste de leurs réseaux. De plus, la prise en compte de l’historicité des mobilisations étudiantes ajoute une perspective sur la longue durée et démontre que, loin de concevoir leurs stratégies uniquement en fonction de ce qui se passe au présent, les acteurs des mobilisations effectuent leur choix aussi en fonction du passé proche et lointain, ce qui les rend plus réticents à se résigner. On peut parler alors d’un « effet de report » de la démobilisation.

64Le suivi de ces acteurs permet de souligner que des processus relevant du temps court, moyen et long sont à l’œuvre dans un moment de restauration autoritaire. D’une part, la concurrence entre les acteurs FM et non-FM permet à ces derniers de transformer la répression en ressource de mobilisation sur le temps court. Ensuite, leur fidélité à un idéal révolutionnaire, « l’esprit Tahrir », les empêche d’accepter la fermeture des possibilités d’action sur le temps moyen. Finalement, leur auto-définition comme successeurs du mouvement étudiant historique donne, pour une grande partie d’entre eux, de la valeur à leur action collective, si minime et limitée soit-elle à ce moment donné, en soulignant son effet cumulatif sur le temps long. Cette étude appelle donc à la prise en compte de l’enchevêtrement des temporalités dans les moments de restauration autoritaire et souligne la nécessité d’interpréter les multiples changements dans les configurations des acteurs en faisant particulièrement attention à l’historicité des interactions dans l’espace dans lequel ils agissent.

Notes

  • [1]
    Je tiens à remercier Sophie Duchesne, Mounia Bennani-Chraïbi, Marie Vannetzel ainsi que les évaluateurs anonymes pour leur relecture et leurs commentaires éclairants. Je remercie également Mohammed Abdel Salam et Mohammed Nagy pour leur aide lors de l’enquête.
  • [2]
    J’ai mené une quarantaine d’entretiens avec des membres actuels, anciens et fondateurs de ces collectifs. La majorité est composée d’étudiants en licence dans des universités publiques âgés entre 18 et 25 ans. Cette enquête a été principalement conduite au Caire. Cependant, une grande partie de mes enquêtés étaient étudiants dans les universités d’Alexandrie, de Tanta, de Banha et de Mansoura. Je les ai également observés lors de plusieurs manifestations, sit-in, sorties, réunions, et lors d’un « camp de formation » organisé en août 2014 par l’Association of Freedom of Thought and Expression (AFTE, Association de la liberté de pensée et d’expression). Créée en 2006 par d’anciens militants étudiants, l’AFTE est une organisation de défense des droits de l’homme qui développe des programmes spécialisés dans la documentation des violations des droits politiques à l’université et des libertés académiques.
  • [3]
    À la suite des mobilisations du 30 juin 2013 contre Mohammed Morsi, les Frères musulmans et leurs supporters organisent des sit-in dans plusieurs endroits pour proclamer leur soutien au président. Le plus grand a lieu sur la place Rab’aa el ‘Adawaeya au Caire. Le 14 août 2013, les forces de police et l’armée les dispersent violemment, faisant des centaines de morts et d’arrestations. Depuis, le terme Rab’aa, accompagné du signe quatre fait avec la main, est devenu le symbole de la lutte des FM contre les nouveaux détenteurs de pouvoir. Même si Raba’a est un nom propre, le mot en arabe est synonyme de quatrième, d’où le symbole d’une main avec quatre doigts.
  • [4]
    Les membres de TDI que j’avais pu rencontrer insistaient sur le fait que le mouvement n’est pas uniquement composé de FM, mais également d’étudiants qui soutiennent le retour de Morsi sans être membres de l’organisation.
  • [5]
    Voir, entre autres, M. Abdel Salam, « Egyptian Universities between the Brotherhood and the Military » [en ligne], Sada, Carnegie Endowment for International Peace, 20 décembre 2013, <http://carnegieendowment.org/sada/53998>, consulté le 9 avril 2017.
  • [6]
    Répression ici renvoie au « comportement appliqué par les gouvernements dans le but d’obtenir la tranquillité politique et faciliter la continuité du régime à travers les formes de restriction ou de violation des libertés politiques et civiles. Ce qui englobe les comportements violents (exécution et torture) et non violents (arrestations de masse, détention, intimidation), légal (sanctionnée par la loi) ou illégal ». V. Geisser, K. Karam et F. Vairel, « Espaces du politique. Mobilisations et protestations », in E. Picard (dir.), La politique dans le monde arabe, Paris, Armand Colin, 2006, p. 195.
  • [7]
    M. Nagy et A. Abdelhamid (dir.), Besieged Universities. A Report on the Rights and Freedom of Students in Egyptian Universities from the Academic Years 2013-2014 to 2015-2016 [en ligne], Association of Freedom of Thought and Expression/Norwegian Students’ and Academics’ International Assistance Fund, mars 2017, <https://afteegypt.org/wp-content/uploads/Besieged-Universities-web.pdf>, consulté le 19 avril 2017.
  • [8]
    Les unions étudiantes (al-itihadat al-tullabeya) sont des assemblées élues de représentants des étudiants dans chaque faculté et université. Même si leur qualité « syndicale » n’a jamais été reconnue, les unions sont les seules organisations qui peuvent légalement prétendre représenter les étudiants. C’est pour cela que les différents mouvements et organisations, ainsi que les administrations universitaires luttent pour le contrôle de ces assemblées.
  • [9]
    À l’exception de N. Ahmad, The Student Movement in Egypt after June 30th, Le Caire, Arab Center for Research and Policy Studies, décembre 2013. Et, plus récemment, A. Hamzawy, « Egypt Campus : The Students Versus the Regime » [en ligne], Sada, Carnegie Endowment for International Peace, mars 2017, <http://carnegieendowment.org/2017/03/06/egypt-campus-students-versus-regime-pub-68207>, consulté le 17 août 2017.
  • [10]
    Le terme milieu (wasat) a été fréquemment utilisé par des enquêtés pour décrire l’ensemble des réseaux dans lesquels ils s’insèrent. Le choix d’utiliser cette catégorie militante sur le plan analytique m’a semblé approprié pour saisir l’ensemble flou des interactions entre organisations, collectifs et individus. Cependant, théoriquement, le terme est assez vague et semble avoir plusieurs définitions : S. Malthaner par exemple utilise le terme « milieu radical » pour aborder l’environnement social immédiat des groupes terroristes (S. Malthaner et P. Waldmann, « The Radical Milieu : Conceptualizing the Supportive Social Environment of Terrorist Groups », Studies in Conflict & Terrorism, vol. 37, n° 12, 2014, p. 979-998) alors que S. Schielke parle de milieu littéraire pour décrire l’espace social large qui inclut une expérience générationnelle et une socialisation des individus appartenant à cet espace. Voir S. Schielke et M. S. Shehata, « The Writing of Lives. An Ethnography of Writers and their Milieus in Alexandria », Working Papers No 17, Berlin, Zentrum Moderner Orient, 2016. Dans le cadre de mon étude, j’emploie « milieu » pour désigner l’ensemble des individus et des groupes entre qui des liens se forment dans le cadre d’une arène d’interaction.
  • [11]
    « We define an arena as a space both concrete […] and symbolic […] which brings together all the players, individual or complex, participating in the emergence, definition and resolution of a problem ». O. Filleule et J. W. Duyvendak, « Conclusion. Patterned Fluidity : An Interactionist Perspective as a Tool for Exploring Contentious Politics », in J. Jasper et J. W. Duyvendak (dir.), Players and Arenas : The Interactive Dynamics of Protest, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2015, p. 306.
  • [12]
    F. Poletta, It Was like Fever : Storytelling in Protest and Politics, Chicago, The University of Chicago Press, 2006, p. 59.
  • [13]
    H. Combes et O. Filleule, « De la répression considérée dans ses rapports à l’activité protestataire. Modèles structuraux et interactions stratégiques », Revue française de science politique, vol. 61, n° 6, 2011, p. 1047-1072.
  • [14]
    Voir, entre autres, L. Bosi, C. Demetriou et S. Malthaner (dir.), Dynamics of Political Violence : A Process-Oriented Perspective on Radicalization and the Escalation of Political Conflict, Londres, Routledge, 2014.
  • [15]
    I. Farag, « Quand “l’éducation forme la jeunesse” : la construction d’une catégorie en Égypte », in M. Bennani-Chraïbi et I. Farag (dir.), Jeunesses des sociétés arabes. Par-delà les menaces et les promesses, Montreuil, Cedej/Aux lieux d’être, 2007, p. 49-78.
  • [16]
    A. Abdalla, The Student Movement and National Politics in Egypt : 1923-1973, Londres, Al Saqi Books, 1985.
  • [17]
    Ibid.
  • [18]
    H. Tammam, Témoignage sur l’histoire de la Jama’a el-islameya 1970-1984 [en arabe], Le Caire, Dar el-shorouk, 2010.
  • [19]
    Voir, entre autres, I. Abdullah, Jeunes et mouvements politiques et sociaux [en arabe], Le Caire, El Hayaa el Masreya el Amma lel ketab, 2012.
  • [20]
    Depuis la fin des années 1990 et avec la deuxième vague de néolibéralisation des différents secteurs de l’économie égyptienne, le gouvernement a instauré le HEEP (Higher Education Enhacement Program) en accord avec la Banque mondiale, afin de privatiser le système d’enseignement supérieur et de l’adapter aux demandes d’un marché du travail internationalisé. L’accentuation de la professionnalisation a « banalisé » l’université (F. Siino, « L’Université tunisienne banalisée. Mise à niveau libérale et dépolitisation » [en ligne], septembre 2004, <http://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00466284>, consulté le 17 août 2017) dans le sens où celle-ci est devenue simplement un lieu de préparation pour intégrer le marché et non pas un espace privilégié de contestation (à l’exception de quelques « poches de résistances »). Pour plus de détails, voir D. Cantini (dir.), Rethinking Private Higher Education : Ethnographic Perspectives, Leiden/Boston, Brill, 2016 ; I. Farag, « Egypt », in J. J. F. Forest et P. G. Altbach (dir.), International Handbook of Higher Education, Dordrecht, Springer, 2006, p. 693-710 ; F. Kohstall, « From Reform to Resistance : Universities and Student Mobilisation in Egypt and Morocco before and after the Arab Uprisings », British Journal of Middle Eastern Studies, vol. 42, n° 1, 2015, p. 59-73.
  • [21]
    D. Shehata, « Les jeunes mouvements protestataires », in D. Shehata (dir.), Le retour de la politique : nouveaux mouvements protestataires en Égypte [en arabe], Le Caire, Al-Ahram Center for Political and Strategic Studies, 2010, p. 247-254.
  • [22]
    En novembre 2011, la police a dispersé un sit-in de petite échelle dans lequel les participants réclamaient des compensations matérielles pour les blessés et les martyrs du soulèvement de 2011. La dispersion du sit-in initial a aggravé la mobilisation contre la police ; durant trois jours, les manifestants ont protesté contre le ministère de l’Intérieur et se sont confrontés à la police qui tire sur les manifestants, entraînant la mort de 40 d’entre eux.
  • [23]
    Lien vers la page Facebook du collectif, <https://www.facebook.com/pg/FECUrevolution/about/?ref=page_internal>, consulté le 17 août 2017.
  • [24]
    Entretien avec A. K., Le Caire, 10 septembre 2014.
  • [25]
    Entretien avec M. G., Le Caire, mai 2015.
  • [26]
    Le duo Imam (chanteur) et Negm (poète) est célèbre pour leurs chansons politiques qui critiquent les régimes en place. Pendant les années 1970, ils ont accompagné les mouvements « de gauche » dans leurs mobilisations contre Sadate. La chanson « Rag’ou el talamza » (« Les étudiants sont de retour ») évoque les mobilisations étudiantes de 1972 en soulignant le fait que la résistance est la mission des étudiants, alors que « Segn el Qal’a » (« La prison de la citadelle ») parle plus généralement de la continuité de la résistance malgré l’oppression que subissent les opposants.
  • [27]
    Entretien avec M. B., Alexandrie, mai 2014.
  • [28]
    Entre autres, entretien avec M. G., Alexandrie, mai 2014.
  • [29]
    Askar kazeboun (« les militaires menteurs ») : cette campagne a été menée au niveau national en 2012 par des militants de plusieurs mouvements protestataires et des ONG de défense des droits de l’homme afin de dénoncer les violations commises par les militaires. « Menteurs », dans ce contexte, renvoie à l’échec du CSFA à tenir ses promesses d’assurer une période de transition vers un régime démocratique incarnant les aspirations du soulèvement de 2011.
  • [30]
    Entretien avec A. G., Alexandrie, mai 2014.
  • [31]
    Ancien Frère musulman, Abou el-Fotouh est un des fondateurs de la Jama’a islameya dans les années 1970. Après 2011, il démissionne de la confrérie pour se présenter à l’élection présidentielle de 2012.
  • [32]
    Ancien directeur de l’Agence internationale de l’énergie atomique, El-Baradei est devenu en 2010 une figure de la vie politique égyptienne en s’opposant à Moubarak et en se présentant comme une alternative crédible. Après le soulèvement de 2011, il candidate aux élections de 2012, mais se retire avant le premier tour.
  • [33]
    La position de Masr el-Qaweya vis-à-vis des FM est très ambivalente puisque Abou el-Fotouh lui-même est un ancien FM qui a démissionné pour se présenter aux élections présidentielles de manière indépendante. Une grande partie des membres du parti sont des anciens Frères musulmans. De plus, même si les membres refusent de se désigner comme islamistes, ils se réfèrent à « la religion et la civilisation islamiques ». Cependant, ces ambivalences mises à part, la position officielle des membres de Masr el-Qaweya, mais surtout des étudiants de TMQ est qu’ils sont contre les FM.
  • [34]
    Entretien avec A. K., Le Caire, septembre 2014.
  • [35]
    S. Abdel Aziz, « Le problème de la sécurité des universités », in K. El Menoufy et A. Masoud (dir.), L’université et la construction de la citoyenneté en Égypte [en arabe], Le Caire, Konrad Adenauer Stiftung, 2007, p. 115-131.
  • [36]
    M. Abdel Salam, M. Nagy et A. Abdel Hamid, Déclin des frères musulmans et progression de nouvelles forces étudiantes [en arabe], Le Caire, Association of Freedom of Thought and Expression, 2013.
  • [37]
    G. Olivier-Téllez, S. Tamayo Flores-Alatorre et M. Voegtli, « La démobilisation étudiante au Mexique : le double visage de la répression (juillet-décembre 1968) » [en ligne], European Journal of Turkish Studies, n° 17, 2013, <https://ejts.revues.org/4819>, consulté le 19 avril 2017.
  • [38]
    Entretien avec S. A., membre d’OM, Le Caire, mai 2014.
  • [39]
    Discussions pendant le camp de formation organisé par l’AFTE, Le Caire, août 2014, voir note 2.
  • [40]
    Billet Facebook, M. S., militante Soc. Rév., janvier 2014.
  • [41]
    Discussion informelle avec S. G., membre de TMQ, Le Caire, janvier 2015.
  • [42]
    Entretien avec S. A., OM, Le Caire, mai 2014.
  • [43]
    Entretien avec A. K., Le Caire, septembre 2014.
  • [44]
    S. Abdel Aziz, « Le problème de la sécurité… », art. cité.
  • [45]
    R. Mokbel, « Egypt Universities Ban Student Political Groups », Al-Monitor, 12 septembre 2014. Officiellement, le décret concernait les organisations partisanes, mais les restrictions sont en pratique appliquées à tout individu ou collectif impliqué dans des activités potentiellement contestataires ou connues comme « politiques ».
  • [46]
    Des élections ont finalement eu lieu en décembre 2015, cependant, le ministère n’a pas reconnu ses résultats au niveau national. Voir note 59.
  • [47]
    Extrait d’entretien avec E. F., membre de l’UE d’une faculté à l’université du Caire, mars 2015.
  • [48]
    Entretien avec A. E., Alexandrie, octobre 2014.
  • [49]
    Entretien avec M. F., Le Caire, mai 2015.
  • [50]
    Pour des raisons évidentes, les enquêtés restent très vagues à propos du nombre de membres ayant fait défection et de membres restants.
  • [51]
    Entretien avec H. F., Le Caire, mai 2015.
  • [52]
    Selon un rapport d’AFTE, entre 2013 et 2016, il y a eu 1 181 arrestations d’étudiants, 1 051 actions disciplinaires, 65 procès militaires et 21 tueries extrajudiciaires. M. Nagy et A. Abdelhamid (dir.), Besieged Universities…, op. cit.
  • [53]
    Discussion informelle, M. G., OM, Le Caire, avril 2015.
  • [54]
    Entretien avec N. O., Le Caire, mai 2015.
  • [55]
    Extrait de notes de terrain, observation d’une réunion des représentants des mouvements contestataires, Le Caire, avril 2015.
  • [56]
    Ibid.
  • [57]
    Tantôt l’AFTE, tantôt l’ECRF (Egyptian Commission for Rights and Freedoms) une ONG de défense des droits de l’homme qui soutient les militants étudiants depuis fin 2014, en offrant justement des lieux d’accueil ainsi qu’en amorçant des programmes de documentations des droits des étudiants.
  • [58]
    Extrait d’un document produit par le comité politique de TMQ, avril 2015.
  • [59]
    Cette stratégie semble avoir produit des résultats l’année suivante (2015-2016). Malgré les limitations imposées par le ministère de l’Enseignement supérieur dans le but de contrôler les élections des unions étudiantes en novembre-décembre 2015, les étudiants ainsi mis en réseau ont pu remporter un grand nombre de sièges au niveau des facultés et des universités, même si le ministère ne reconnaît pas les résultats des élections au niveau national. De plus, en mai 2016, les mobilisations contre le transfert des îles de Tiran et Sanafir à l’Arabie saoudite ont eu un écho dans les campus universitaires, bien au-delà des frontières du milieu contestataire ; les membres des mouvements étudiants ont organisé des manifestations et des sit-in qui ont attiré un grand nombre de participants. Voir, entre autres, A. Hamzawy, « Egypt Campus… », art. cité.
  • [60]
    Discussions informelles avec H. F. et M. S., bureaux centraux d’OM et de TMQ respectivement.
  • [61]
    Entretien avec M. G., membre d’OM, mai 2015.
  • [62]
    Ibid.
  • [63]
    Extrait d’entretien avec E. F., membre de l’UE d’une faculté à l’université du Caire, mars 2015.
  • [64]
    Même si le régime au pouvoir depuis juillet 2013 ne s’attaque pas directement à la mémoire du soulèvement (le préambule de la constitution de 2014 évoque deux révolutions), les médias pro-régime présentent souvent le 25 janvier comme un complot étranger ou des Frères musulmans, et certains parlent même de « la défaite de 2011 » (naksa).
  • [65]
    Extrait d’entretien avec E. F., membre de l’UE d’une faculté à l’université du Caire, mars 2015.
  • [66]
    Par exemple, on peut citer l’ouvrage du leader de gauche A. Bahaa El-Din Shaaban, Hekayet Mosh’eli el thawrat (L’histoire de ceux qui ont fait la révolution), Le Caire, El-Hay’a el-Ama le kosour el sakafa. Il se veut à la fois une analyse du rôle historique des mouvements étudiants dans l’instigation des révolutions en Égypte (de la lutte nationaliste au soulèvement de 2011), et un recueil de témoignages des « héros » de la génération 1970. A. Bahaa El-Din Shaaban, L’histoire de ceux qui ont fait la révolution [en arabe], El-Hay’a el-Ama le kosour el sakafa, Le Caire, 2014. On peut également citer le roman de Radwa intitulé Farag, publié en 2008. En racontant la vie de Nada, militante dans les années 1970, Farag retrace les trajectoires de trois générations de militants de gauche (Nada, son père et son neveu), dont deux faisaient partie du mouvement étudiant. R. Ashour, Farag, Le Caire, dar el-shorouk, 2008.
  • [67]
    Voir, entre autres, D. El Khawaga, « La génération seventies en Égypte. La société civile comme répertoire d’action alternatif », in M. Bennani-Chraïbi et O. Filleule (dir.), Résistances et protestations dans les sociétés musulmanes, Paris, Presses de Science Po, 2003, p. 271-292.
  • [68]
    A. Saleh, Les mort-nés : notes d’une des membres de la génération du mouvement étudiant [en arabe], Le Caire, el hayaa el masreya el ‘ama lel ketab, 1997.
  • [69]
    Discussion informelle avec E. F., membre d’une UE à l’université du Caire, mars 2015.
  • [70]
    Billet Facebook, 19 janvier 2014, consulté le 10 mars 2016.
  • [71]
    Discussion informelle avec A.S, membre de TMQ, Le Caire, avril 2015.
bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.14.85

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions