Couverture de POLAF_145

Article de revue

Temporalités des systèmes d’alerte précoce et extraversion de l’État éthiopien (2003-2016)

Pages 65 à 83

Notes

  • [1]
    L’EPRDF est une coalition de plusieurs organisations créée en 1989 par les maquisards avant la chute du régime militaro-communiste du Derg en 1991. Pilotée par l’un des principaux mouvements de guérilla d’inspiration marxiste-léniniste, le Tigrayan People’s Liberation Front (TPLF, Front populaire de libération du Tigray), la coalition sert de faire-valoir à ce dernier en lui conférant une apparence d’ouverture et de démocratie. Voir M. Fontrier, Éthiopie : le choix du fédéralisme ethnique. Chroniques du gouvernement de transition, 1991-1995, Paris, L’Harmattan, 2012.
  • [2]
    La victoire de l’opposition aux législatives de 2005 et le changement du rapport de force interne au bureau politique central.
  • [3]
    J.-N. Bach, « L’Éthiopie après Meles Zenawi : l’autoritarisme ethnique à bout de souffle ? », Politique africaine, n° 142, 2016, p. 5-29.
  • [4]
    F. Enten, « Du bon usage des systèmes d’alerte précoce en régime autoritaire. Le cas de l’Éthiopie », Politique africaine, n° 119, 2010, p. 43-62.
  • [5]
    Voir Fews Net, <https://www.fews.net/>, consulté le 7 juin 2017.
  • [6]
    R. F. Hopkins, « Responding to the 2008 “Food Crisis” : Lessons from the Evolution of the Food Aid Regime », in J. Clapp et M. J. Cohen (dir.), The Global Food Crisis. Governance Challenges and Opportunities, Waterloo, Wilfrid Laurier University Press, 2010, p. 79-83.
  • [7]
    P.-M. Boulanger, D. Michels et C. De Jaegher, Systèmes d’information pour la sécurité alimentaire : l’expérience AEDES en Afrique, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 181.
  • [8]
    IPC, Technical Manual Version 2.0. Evidence and Standards for Better Food Security Decisions, Rome, FAO, 2012, <http://www.fews.net/sites/default/files/uploads/IPC-Manual-2-Interactive.pdf>
  • [9]
    V. Bonnecase, « À quoi servent les indicateurs nutritionnels ? », Cahiers Agriculture, vol. 21, n° 5, 2012, p. 314.
  • [10]
    A. Ogien, « La valeur sociale du chiffre. La quantification de l’action publique entre performance et démocratie », Revue française de socio-économie, n° 5, 2010, p. 25 et 35.
  • [11]
    V. Bonnecase, « À quoi servent les indicateurs nutritionnels ? », art. cité.
  • [12]
    V. Bonnecase, Pauvreté au Sahel. La construction des savoirs sur les niveaux de vie au Burkina Faso, au Mali et au Niger (1945-1974), Thèse de doctorat en histoire, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, 2008.
  • [13]
    J.-P. Olivier de Sardan, « Introduction thématique. La crise alimentaire de 2004-2005 au Niger en contexte », Afrique contemporaine, n° 225, 2008, p. 3.
  • [14]
    M. Fourcade, « Les Britanniques en Inde (1858-1947) ou le règne du “cyniquement correct” », in M. Ferro (dir.), Le livre noir du colonialisme, Paris, Robert Laffont, 2003, p. 302-350.
  • [15]
    A. De Waal, Famine Crimes : Politics and the Disaster Relief Industry in Africa, Londres/Oxford/Bloomington, African Rights/The International African Institute/James Currey/Indiana University Press, 1997.
  • [16]
    V. Bonnecase, Pauvreté au Sahel…, op. cit.
  • [17]
    Ce dernier élément nous renvoie à la notion d’économie morale d’Edward Thomson. En cas de crise, ces formes d’intimidations populaires se déploient lorsque les autorités ne se conforment pas au modèle paternaliste et protecteur arrimé dans la mémoire des arrangements anciens et du droit traditionnel, selon lesquels ces dernières sont supposées subvenir aux besoins des populations. Voir J. Siméant, « “Économie morale” et protestation : détours africains », Genèses, n° 81, 2010, p. 142-160.
  • [18]
    E. Delcombel, « La gestion de la crise alimentaire au Niger vue de l’intérieur », Afrique contemporaine, n° 225, 2008, p. 75-101.
  • [19]
    D. Feyissa, « Aid Negociation : The Uneasy “Partnership” Between EPRDF and the Donors », Journal of Eastern African Studies, vol. 5, n° 4, 2011, p. 788-817 ; E. Fantini, Development State, Economic Transformation and Social Diversification in Ethiopia, Milan, Istituto per Gli Studi di Politica Internazionale, n° 163, 2013, <http://www.ispionline.it/sites/default/files/pubblicazioni/analysis_163_2013.pdf>, consulté le 27 juin 2017.
  • [20]
    C. Clapham, « Controlling Space in Ethiopia », in W. James, D. L. Donham, E. Kurimoto et A. Triulzi (dir.), Remapping Ethiopia, Socialism and After, Oxford, James Currey, 2002, p. 9-32.
  • [21]
    J. Markakis, Ethiopia. The Last Two Frontiers, Rochester (New York)/Oxford, Woodbridge & Suffolk/James Currey, 2011.
  • [22]
    Le terme kadre désigne le fonctionnaire d’État appartenant au part i de la mouvance gouvernementale. Hérité de la période communiste (1974-1991), il est parfois synonyme de birokrasi. Voir R. Lefort, « Powers – Mengist – and Peasants in Rural Ethiopia : The May 2005 Elections », The Journal of Modern African Studies, vol. 45, n° 2, 2007, p. 253-273.
  • [23]
    S. Planel, « Réalités, perceptions et usages des “famines vertes” du Sud éthiopien », Revue Tiers Monde, n° 184, 2005, p. 839.
  • [24]
    D. Feyissa, « Aid Negociation… », art. cité.
  • [25]
    L. Whitfield, The Politics of Aid. African Strategies for Dealing with Donors, Oxford, Oxford University Press, 2009, p. 338.
  • [26]
    J.-H. Jézéquel, Éthiopie 2008. Chorégraphie d’une crise, rapport non publié, MSF, 2008.
  • [27]
    P. Gill, Famine and Foreigners. Ethiopia since Live Aid, Oxford/New York, Oxford University Press, 2010.
  • [28]
    A. Gascon, « Oublier Malthus. Éthiopie, la crise alimentaire surmontée ? », Hérodote, n° 131, 2008, p. 73-91.
  • [29]
    Le programme nutritionnel est appliqué depuis 2004 à l’échelle nationale. Il couple un volet préventif de surveillance nutritionnelle dans les structures de santé gouvernementales avec un volet de prise en charge thérapeutique ambulatoire au niveau « communautaire ». En 2016, ce dispositif ciblait 1,2 million d’enfants et de mères atteints de malnutrition modérée et plus de 450 000 enfants sévèrement malnutris. Voir A. Villanucci et E. Fantini, « Santé publique, participation communautaire et mobilisation politique en Éthiopie : la Women’s Development Army », Politique africaine, n° 142, 2016, p. 77-99.
  • [30]
    Mis en place en 2005, le Productive Safety Net Programme (PSNP, Programme de filet social à visée productive) a pour but de restaurer le capital des populations ciblées pour les extraire de l’insécurité alimentaire « chronique ». Consistant en un apport d’aide alimentaire, d’argent et de packages agricoles, il concerne encore aujourd’hui environ 8 millions de personnes. Voir J.-G. Van Uffelen, « From Disaster Response to Predictable Food Security Interventions. Structural Change or Structural Reproduction ? », in D. Ramatho, A. Pankhurst, J.-G. Van Uffelen (dir.), Food Security, Safety Nets and Social Protection in Ethiopia, Addis Abeba, Forum for Social Studies, 2013, p. 145-173.
  • [31]
    J.- N. Bach, « L’Éthiopie après Meles… », art. cité.
  • [32]
    Notamment avec le PRSP II ou Plan for Accelerated and Sustained Development to End Poverty (Pasdep, Plan de développement accéléré et soutenu pour mettre fin à la pauvreté, 2005-2010), puis le Growth and Transformation Plan (GTP, Plan de croissance et de transformation, 2011-2015).
  • [33]
    S. Planel, « Le developmental state éthiopien et les paysans pauvres. Économie politique du développement rural par le bas », Politique africaine, n° 142, 2016, p. 57-76.
  • [34]
    R. Lefort, « Free Market Economy, “Development State” and Party-State Hegemony in Ethiopia : The Case of “Model Farmers” », The Journal of Modern Af rican Studies, vol. 50, n° 4, 2012, p. 681-706.
  • [35]
    Initié en 2003 par le gouvernement, le resettlement était un programme de réinstallation des populations affectées vers des zones fertiles, ciblant jusqu’à 2,2 millions de personnes. Il a été suspendu en 2008 à cause de son coût, du manque de terres et de la compétition avec les programmes agricoles intensifs. Seule une moitié de la population ciblée a été déplacée. Voir A. Pankhurst et F. Piguet (dir.), Moving People in Ethiopia. Development, Displacement and the State, Oxford, James Currey, 2009.
  • [36]
    Pratique collective d’autocritique, le gimgema, hérité des formes de contrôle exercée dans le maquis lors des années 1980, s’est ensuite institutionnalisé comme modalité de contrôle interne de la bureaucratie éthiopienne. Il permet d’assurer la subordination des agents à l’égard de leurs supérieurs hiérarchiques, de renforcer la discipline de l’EPRDF et de contrôler toute dérive. Voir M. Labzaé, « Les travailleurs du gouvernement. Encadrement partisan et formes du travail administratif dans l’administration éthiopienne », Genèses, n° 98, 2015, p. 89-109.
  • [37]
    Voir E. Wuilbercq, « En Éthiopie, la faim et la peur au ventre » [en ligne], LeMonde.fr, 10 mars 2016, <www.lemonde.fr/afrique/article/2016/03/10/en-Éthiopie-la-faim-et-la-peur-au-ventre_4880592_3212.html>, consulté le 20 mai 2016.
  • [38]
    J.-G. Van Uffelen, « From Disaster Response… », art. cité.
  • [39]
    K. Welle, « Monitoring Performance or Performing Monitoring ? Exploring the Power and Political Dynamics Underlying Monitoring the MDG for Rural Water in Ethiopia », Canadian Journal of Development Studies, vol. 35, n° 1, 2014, p. 155-169.

1Fin août 2015, une nouvelle saison d’urgence déclenchée par le phénomène climatique El Niño débute en Éthiopie. Sécheresses et inondations ont provoqué une crise alimentaire jugée de grande ampleur par les dispositifs d’évaluation des crises, les systèmes d’alerte précoce (SAP), à partir desquels les agents gouvernementaux et internationaux planifient les réponses humanitaires déployées dans le pays. Les médias relaient l’information en mentionnant la « pire des sécheresses depuis 50 ans », évoquant les famines successives du régime monarchique d’Haïlé Sélassié et de la junte du Derg, dont les impacts sidérants auraient respectivement causé 200 000 et 1 million de morts. Depuis ces épisodes dramatiques et la prise de pouvoir par l’Ethiopian People’s Revolutionary Democratic Front (EPRDF, Front démocratique révolutionnaire des peuples éthiopiens [1]) en 1991, la production agricole est restée insuffisante, et la succession des chocs climatiques en 1994, 2000 et 2003 maintient l’Éthiopie au premier rang des pays récipiendaires de l’aide internationale. L’étendue de la crise de 2003, affectant près de 12 millions de personnes, démontre les limites des programmes de sécurité alimentaire pour s’extraire du cycle des urgences. À partir de 2005, en contrepoint des chocs politiques qui secouent le régime [2], le gouvernement s’engage alors sur la voie d’une politique développementaliste, en instaurant notamment un ambitieux programme de filet de sécurité (Productive Safety Net Program, PSNP) destiné à enrayer l’insécurité alimentaire et à s’affranchir de l’aide internationale. Ces dix dernières années, qualifiées de « “grand bond en avant” à l’éthiopienne [3] », ont connu une forte augmentation de la production céréalière. Pour autant, de nouvelles pénuries alimentaires surgissent à partir de 2008 qui nécessitent le déclenchement en 2016 d’une vaste intervention couvrant cette fois plus de 10 millions de bénéficiaires, auxquels s’ajoutent les 8 millions du PSNP. La planification chiffrée des SAP est rythmée à la fois par le temps court de la gestion des crises et par le temps long des politiques étatiques, sous-tendues par la mémoire des famines historiques.

2En combinant les programmes d’autonomisation alimentaire et les réponses aux urgences, l’État développementaliste démontre aussi ses capacités d’appropriation des dispositifs de planification internationaux. Plutôt que de l’affaiblir, les crises, grâce à leur mode de gestion intégrée au sein des institutions gouvernementales, renforcent les modalités d’encadrement de l’appareil bureaucratique et des populations par le pouvoir éthiopien. Elles contribuent ainsi à affermir dans la durée les stratégies d’extraversion de l’État éthiopien. De ce paradoxe apparent, découlent quelques questions. En quoi l’aide d’urgence peut-elle effectivement être lue comme l’objet d’une programmation plus ou moins maîtrisée de la part des acteurs étatiques ? Comment les systèmes d’alerte précoce combinent-ils gestion des urgences et planification des programmes de sécurité alimentaire s’inscrivant sur le long terme ? Sur quels aspects l’imbrication des différentes temporalités façonne-t-elle la pratique des acteurs gouvernementaux et internationaux impliqués dans la production de données du SAP ? Et, enfin, comment cette imbrication renforce-t-elle les capacités d’extraversion du régime éthiopien ?

3En nous replaçant dans la perspective historique de la création des systèmes d’alerte précoce et de la gestion des crises contemporaines en Éthiopie, nous proposons d’explorer les continuités et les changements des modalités d’extra-version des régimes éthiopiens par l’aide alimentaire internationale. À partir de matériaux d’enquêtes ethnographiques de 2002-2004 déjà exposés dans un article publié dans Politique africaine[4], nous approfondissons l’analyse des jeux de temporalité observés lors de la fabrique des chiffres du SAP. Enfin, nous revenons sur la gestion de l’épisode El Niño de 2016.

Les SAP façonnés par les jeux de temporalité

4Institués en réponse aux sécheresses des régions sahéliennes des années 1970, les systèmes d’alerte précoce sont des outils de planification destinés à produire des « analyses objectives, fondées sur des preuves, pour aider les décideurs des gouvernements et des agences d’aide à anticiper les crises humanitaires et y répondre [5] ». En amont de la distribution effective, ils facilitent l’arbitrage nécessaire à un régime international de l’aide alimentaire caractérisé par une pénurie chronique de moyens, en régulant son ciblage sur des échelles variables, entre pays ou régions déficitaires, ainsi qu’entre populations affectées de façon « chronique » ou « aiguë [6] ».

Un système expert « flou » vecteur de négociations institutionnelles

5Les SAP consistent en une collecte de données et en leur traitement synthétique et cartographié, sous forme de catégories comparables et hiérarchisables. Depuis la création en 1975 du Système mondial d’information et d’alerte rapide (Smiar) de la FAO et du Réseau du système d’alerte rapide aux risques de famine (Famine Early Warning System, Fews) de l’USAID en 1985, une multitude de systèmes d’alerte précoce nationaux a vu le jour, avec, depuis 2012, un SAP régional multi-agences pour l’Afrique de l’Est et centrale. Aujourd’hui disponibles « en temps réel » sur Internet, leur traitement par des logiciels informatiques et leur mise en forme chiffrée et cartographiée permettent de situer les zones et les pays concernés sur une échelle graduée en cinq phases de gravité « minimale, affectée, crise, urgence et famine », selon le Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (Integrated Food Security and Humanitarian Phase Classification, IPC).

6Si ces modélisations, fréquemment consultées sur Internet, circulent entre les organisations gouvernementales et internationales, les carences méthodologiques, l’approximation des données chiffrées et le mélange entre méthodes high-tech et empirisme conduisent toutefois les experts en sécurité alimentaire à qualifier le SAP de « système expert flou » au « caractère ambigu et fondamentalement imprécis [7] ». Dans les recommandations de l’IPC, il est explicitement stipulé qu’il ne découle pas d’un « modèle mathématique », mais plutôt d’une méthode qui suit une « approche de convergence de preuves, selon un faisceau de paramètres et sur la base de documents et de données fiables ». Pragmatique, il relève d’une volonté de fournir aux décideurs un « savoir applicable », « consistant » et « accessible », et ce, de façon « rigoureuse » et « transparente [8] ». Système élaboré conjointement par les agents gouvernementaux et internationaux, il joue le rôle d’un « vecteur de négociations et de luttes pour l’orientation des politiques alimentaires et nutritionnelles [9] » qui participe à la reconfiguration des rapports antagonistes d’intérêts et de pouvoirs entre les acteurs institutionnels. Doublé d’un « système de chiffres » reposant moins sur « la conviction qu’emporte l’exposition de la valeur substantielle du chiffre que sur la mobilisation implicite de sa valeur sociale [10] », le SAP s’impose comme l’étalon formel de la sécurité alimentaire et nutritionnelle, à propos duquel les contre-expertises indépendantes sont difficilement autorisées [11].

Registres techniques et temporalités des SAP

7Historiquement, les systèmes d’alerte précoce ont été créés et se sont transformés au moment des crises. En effet, après de longues périodes d’insécurité alimentaire, la survenue de pics plus aigus a pu brutalement remettre en cause la légitimité technique des outils et leur usage routinier. Si elles résultent le plus souvent de l’aggravation de problèmes alimentaires chroniques [12], leur prise en charge exige de mobiliser de nouveaux critères explicatifs. La production et l’emploi d’un nouveau savoir induisent alors une transformation de la représentation institutionnelle de l’aide alimentaire, qui connaît un « basculement » de la gestion courante vers un « régime de l’urgence [13] ». Les nouvelles normes techniques se cristallisent à force de tâtonnements empiriques et de négociations.

8Les SAP trouvent leur origine dans le Code Famine rédigé en 1880 par le régime colonial britannique suite aux grandes famines indiennes de 1876-1877 [14]. Il est ensuite appliqué de façon inégale dans les pays africains de l’empire britannique [15]. Lors de la famine sahélienne de 1972-1973, alors que les données de routine recueillies par les agents de l’État nigérien se concentrent sur les déficits vivriers, et accessoirement sur les données sanitaires ou migratoires, ce sont les regroupements de population qui déclenchent la prise de conscience de la crise [16]. Des indicateurs font alors leur apparition, rendus visibles par la pression médiatique. Tel est le cas de la malnutrition, étayée par un savoir nouveau et dont l’observation est possible du fait de la concentration d’importantes populations dans des camps ou des centres de nutrition. Mobilisant un registre émotionnel amplifié par les médias, la mise en lumière de tels indicateurs soumet les autorités au devoir moral de remédier à l’état de détresse de ces groupes. La mobilité, les déplacements, aisément visibles, procèdent de plus d’une stratégie d’intimidation populaire à l’égard des autorités [17]. Il faut attendre les décisions de la Conférence mondiale de l’alimentation de 1974 pour que se concrétisent des bilans alimentaires basés sur les estimations des déficits vivriers, découlant du registre technique du Code Famine, et que le Smiar (Système mondial d’information et d’alerte rapide) de la FAO voie le jour. Lors de la famine éthiopienne de 1984, l’USAID propose une autre innovation : en réaction au Smiar, jugé trop dépendant des données agricoles gouvernementales, le Fews est institué en 1985, enrichi par les modélisations météorologiques et les imageries satellitaires. Puis en 1996, le Sommet mondial de l’alimentation impulse la mise en place des systèmes d’information et de cartographie sur l’insécurité alimentaire et la vulnérabilité, généralisant les modélisations graphiques et cartographiées.

9À partir des années 2000, des méthodes de collecte de données socio-économiques à l’échelle locale sont expérimentées et progressivement introduites par les ONG Save the Children et Care, afin de cibler plus finement les catégories prioritaires de bénéficiaires. Ces méthodologies dites de l’approche de l’économie des ménages (Household Economy Approach, HEA) sont aujourd’hui appliquées sur la zone sahélienne. Lors de la crise du Niger en 2005, des ONG prennent position pour faire reconnaître la situation d’urgence, et l’irruption des paramètres nutritionnels entraîne une brusque mutation du savoir institutionnel. La médiatisation associe en effet mal-nutrition et « famine », en recourant à un registre émotionnel, si bien que les dispositifs et les partenariats institutionnels en place ne résistent pas à la pression et sont sommés de répondre à l’urgence humanitaire dépeinte par les médias [18]. S’ensuivent une redistribution précipitée des normes des SAP, une recomposition des acteurs et une réorientation des politiques de l’aide. Enfin, en 2012, les différents critères techniques existants sont fusionnés dans l’approche globale IPC, dotée de cartes déterminant le nombre de bénéficiaires des aides d’urgence. Cet outil, en tant que représentation moderne des famines, combine plusieurs savoirs experts. Il est traversé de tensions entre disciplines, méthodologies, choix d’indicateurs et gestion de l’incertitude, et il démultiplie les termes techniques des négociations sur le ciblage de l’aide, tels que les déficits agricoles, le cours des denrées, la pluviométrie, les migrations, les critères sanitaires et nutritionnels, etc. Au cours du dernier siècle, les sauts qualitatifs des normes techniques des systèmes d’alerte précoce ont ainsi été provoqués par des crises aiguës bousculant les normes en vigueur, ainsi que par leur formalisation en décisions entérinées de façon durable par des conférences internationales.

Le SAP éthiopien comme modalité d’extraversion de l’aide internationale

10L’adoption du SAP en Éthiopie et son évolution depuis 1976 nous renseignent sur les capacités d’extraversion des régimes successifs par le biais de l’assistance internationale [19]. Cette extraversion s’inscrit dans l’héritage d’une bureaucratie qui, dès la fin du xixe siècle, constitue la matrice et le support de politiques de centralisation pour procéder à « l’encadrement [20] » administratif et militaire des populations par des élites formées et renouvelées à chaque régime [21]. Aujourd’hui, au travers de ses kadre[22] cumulant l’appartenance aux services publics et aux structures du parti, l’État-parti régule la « rente nationale [23] » de l’aide, qui représente près de la moitié du budget national, de telle sorte que, « plus que tout autre gouvernement éthiopien, l’EPRDF a réussi à extraire des ressources économiques considérables de la communauté internationale [24] ». L’intégration progressive du système d’alerte précoce au sein de l’appareil bureaucratique constitue une composante centrale de la capacité de gestion des apports humanitaires par l’État, grâce à la maîtrise des techniques de chiffrage et de répartition géographique employées en amont du déclenchement des opérations.

« Chorégraphie » de l’extraversion éthiopienne

11L’extraversion éthiopienne se caractérise par un puissant « capital de négociation [25] ». Malgré les montants de l’aide, les négociations entre l’État et les donateurs sur des points de désaccord sont conclues au bénéfice du gouvernement, en partie pour des raisons impérieuses de maintien d’une stabilité géopolitique de la région, mais aussi grâce à un État historiquement fort et à sa bureaucratie structurée. Dès lors que la gestion de l’aide est passée aux mains de l’administration éthiopienne, les agences multilatérales ont mobilisé un dispositif contraignant de signalement (reporting) et de mise en forme, à tous les échelons de la chaîne hiérarchique et sur toute l’étendue du territoire. Mais elles restent impuissantes à réguler les termes de son usage. Les normes internationales de ciblage des SAP sont hybridées avec les normes bureaucratiques locales, incorporées dans les pratiques d’une administration centralisée et hiérarchisée, elles-mêmes héritées des régimes précédents.

12Cette extraversion est aussi structurée par une « chorégraphie [26] » de gestion des crises. Aux phases d’occultation des tensions alimentaires succèdent, sous la pression médiatique et de la communauté internationale, des phases de reconnaissance des chocs, en minimisant ou en surenchérissant successivement leur gravité. Aujourd’hui, l’État développementaliste est en mesure de maîtriser le discours technique des systèmes d’alerte précoce et les opérations d’urgence, en désamorçant les coups de semonce médiatique. Si la création, fin 1974, du département d’alerte précoce éthiopien, le Relief and Rehabilitation Commission (RRC, Commission de secours et de réhabilitation), et l’adoption du premier système d’alerte précoce africain en 1976 par le Derg inaugurent un traitement moderne des famines, le SAP ne cesse d’être devancé par les révélations des médias et des ONG internationales. Tout comme sous Haïlé Sélassié en 1973, la famine de 1984 est révélée par les reportages transmis sur les chaînes télévisées ITV et BBC, suscitant d’importantes collectes de fonds. En 1995, fort d’une coopération accrue avec les acteurs internationaux et d’une volonté de s’orienter vers des actions de prévention des crises, le nouveau régime de l’EPRDF réorganise la RRC en Disaster Prevention and Preparedness Committee (DPPC, Comité de prévention et de préparation aux catastrophes). Les cycles d’évaluation de la situation agricole et l’appel aux donations se rodent, organisés conjointement par les autorités éthiopiennes et les agences de l’aide. Le pouvoir actuel a, semble-t-il, définitivement rompu avec les errements des régimes précédents qui avaient ignoré les signes annonciateurs et occulté les crises, mais cette fois-ci en assumant, voire en surestimant, leur gravité. À plusieurs reprises cependant, ces outils démontrent leurs limites pour déceler les épicentres de ces dernières. Lors de la sécheresse de 2000, la gravité de la situation en Ogaden est révélée par la BBC. En 2003, la découverte tardive de taux élevés de malnutrition par les ONG Médecins sans frontières (MSF) et Concern dans la région Sud déplace les activités d’urgence dans cette zone [27]. En 2008, l’État conserve une position provisoire de déni pour basculer ensuite dans une surenchère du degré d’insécurité alimentaire, tout en assumant la coordination des réponses humanitaires [28]. Cette tendance à la surenchère est confortée et aboutit par la suite à une gestion très opérationnalisée. Lors de l’épisode El Niño en 2016, elle s’incarne dans l’orchestration hautement technocratisée des IPC. Cette maîtrise permet de minimiser les risques de dérapages médiatiques, à tel point que les médias servent de relais aux discours officiels.

13L’extraversion éthiopienne se caractérise encore par la rapidité de l’État à adopter les approches innovantes proposées par les partenaires internationaux, voire même en participant à leurs expérimentations. Ainsi, au gré des innovations techniques ou méthodologiques, le SAP éthiopien s’est doté successivement d’outils de surveillance satellitaire, d’approches socio-économiques et d’enquêtes sur la malnutrition jusqu’à son renouvellement récent en méthode IPC. Les programmes de sécurité alimentaire ont testé et intégré ceux encore inédits de nutrition ambulatoire et communautaire [29] et de filet de sécurité [30].

14Ainsi, depuis les années 1970, la succession de crises transforme l’Éthiopie en un laboratoire des programmes humanitaires, où stratégies, méthodes et techniques sont pensées, testées, adaptées au contexte local dans une collaboration étroite entre les acteurs humanitaires et gouvernementaux. Mais ces innovations doivent aussi être lues comme la traduction des efforts répétés des institutions internationales pour se démarquer de la centralisation étatique et tenter de compenser la faiblesse de leur emprise sur les orientations des politiques publiques. Ces innovations doivent rester encadrées par l’État, d’autant plus depuis que celui-ci est devenu développementaliste. Les dispositifs sont donc sur la sellette : leur efficacité est à démontrer dans le temps court des agendas politiques, avant tout accroissement de l’échelle d’action. Les différents programmes (filet de sécurité, aide d’urgence, nutrition, etc.) sont mis en compétition, tout en se référant à des positionnements idéologiques marqués et différents, entre urgence et développement.

Des crises alimentaires au développement « à marche forcée »

15Le traitement de plus en plus technocratique des urgences s’insère progressivement dans des programmes de sécurisation alimentaire à long terme. En 1973, un processus d’institutionnalisation de la gestion des famines s’opère, enracinant et accroissant la présence des Nations unies et des ONG dans le pays, tout en s’accompagnant d’une dramaturgie médiatisée rendant intenable le déni des crises à venir par les pouvoirs centraux. Sous le Derg, la réponse à la famine de 1984 est confiée aux ONG internationales sous le contrôle strict du RRC. Avec l’EPRDF, depuis 1991, les politiques d’interventions continuent de s’articuler autour des aides d’urgence, mais la gravité de la situation de 2003 sert d’argument décisif pour démontrer leur inefficacité à enrayer l’insécurité alimentaire chronique. Engagé dans une modernisation « à marche forcée [31] », le régime opère un revirement de sa politique agricole et cherche à s’affranchir de la dépendance des donations alimentaires, en s’inscrivant dans les plans de réduction de la pauvreté établis avec la Banque mondiale [32]. Guidée par le marché, la production agricole s’oriente en priorité vers la commercialisation agricole d’exportation [33]. Elle doit créer de l’emploi, et ce, au travers des investissements étrangers, du support aux grandes exploitations privées à visée commerciale et du passage à l’agriculture mécanisée, ainsi que de l’appui aux micro- et petites entreprises agricoles. À l’échelle villageoise, le développement agricole cible les exploitants en mesure d’accroître leur production à destination des marchés domestiques et extérieurs, mettant en avant les « investisseurs » et les « nouveaux entrepreneurs » ruraux désignés comme « fermiers modèles [34] ». Ces modes de gestion entrepreneuriaux se combinent aux vastes programmes d’assistance aux populations vulnérables des filets de sécurité et de prise en charge nutritionnelle, ainsi qu’aux programmes de réinstallation (resettlement)[35].

Les tempos de l’improvisation routinière des SAP

16Afin d’explorer plus finement les effets des jeux de temporalités sur le SAP et les modalités d’extraversion de l’aide, nous nous tournons maintenant vers la fabrique des chiffres de « bénéficiaires » de l’aide alimentaire annuelle issus des évaluations saisonnières des déficits agricoles conduites sur la période de fin 2002 à fin 2004. Nous nous pencherons sur le chevauchement de temporalités rythmant le processus de production des données : temporalités courtes relatives aux urgences, lorsque les séries de négociations sur les chiffres se déroulent dans la précipitation, voire dans l’improvisation ; temporalités longues, lorsque le cadre d’action et de réflexion prolonge des pratiques antérieures stabilisées dans la durée, telles que le protocole routinier des évaluations et leur inscription dans les relations institutionnelles. Nous étudierons comment cette combinaison facilite le contrôle informel des kadre de l’EPRDF sur les équipes d’évaluation et sur les résultats finaux.

Une série de tractations sur les données, les méthodes et les résultats du SAP

17Au niveau national, l’exercice est conduit sur l’ensemble du territoire par des équipes multi-agences, composées de représentants du gouvernement éthiopien – dont certains experts du département d’alerte précoce (DPPC) – et d’organisations internationales – dont le Programme alimentaire mondial (PAM). Le moment de l’enquête a coïncidé avec la période charnière de glissement des politiques d’urgence vers le développement, où l’introduction des filets de sécurité entre en concurrence avec l’aide d’urgence et les programmes de réinstallation. Le SAP entame une phase expérimentale, mixant les méthodologies de la FAO basées sur des bilans céréaliers gouvernementaux avec les méthodes socio-économiques HEA à l’échelle des ménages. Il commence à distinguer les populations affectées de façon « aiguë » des populations rencontrant des problèmes « chroniques » en vue de dissocier aides d’urgence et filet de sécurité. Lors de leur tournée d’évaluation, les équipes suivent les échelons hiérarchiques de l’administration éthiopienne, en effectuant un aller-retour d’Addis Abeba jusqu’aux capitales de région, de zones administratives puis de districts (woreda). L’exercice consiste à valider à chaque étape les chiffres des rapports gouvernementaux, puis à les agréger en remontant la chaîne hiérarchique du niveau périphérique (woreda) jusqu’au niveau central. Le chiffre final est ensuite validé par le DPPC et les donateurs. Confinées dans un espace bureaucratique, les équipes ne recourent au savoir paysan, aux visites de marchés et à l’observation du paysage que de façon anecdotique, pour appuyer ou contredire ce que les rapports énoncent déjà.

18Trois points méritent d’être soulignés. Premièrement, les évaluations se caractérisent par une série de micro-négociations, déclinée au sein d’une équipe « multi-agences », entre celle-ci et les agents d’un woreda, d’une zone, ou de la hiérarchie régionale du DPPC. Il s’agit de s’entendre sur un chiffre, calé sur les rapports des autorités et sur une grille établie au niveau central, afin de déterminer trois scenarii de sécurité alimentaire (« bon, moyen, pire »), en piochant dans un ensemble de données en vrac, en décortiquant méthodes et paramètres de calcul, et en les négociant un à un. Deuxièmement, le chiffrage des déficits agricoles et des bénéficiaires effectué par les équipes découle d’une succession d’approximations empiriques de mesure (jaugeage visuel des déficits agricoles lors de l’observation des paysages depuis un véhicule) et de panachages circonstanciés des méthodologies de calcul (bilan céréalier et HEA), mais qui aboutissent toujours à une mise en forme systématique des résultats en données précises. La production des chiffres et leur bricolage passent par un processus qui peut être qualifié d’improvisation routinière. Outre le contraste qui prévaut entre, d’une part, l’absence de rigueur dans la pratique des panachages méthodologiques et l’absence de mesures physiques des récoltes et, d’autre part, le caractère objectivé, chiffré et précis des publications finales, l’exercice valide un processus institutionnel recyclant les approximations cumulées d’année en année. Troisièmement, au cours des négociations, interfèrent des arguments politiques imposés par la hiérarchie et les kadre placés aux différents échelons de l’administration de façon à augmenter ou réduire les résultats estimés par les équipes en fonction des orientations des politiques de sécurité alimentaire fixées au niveau central à un moment donné. Dans cette configuration, nous constatons une marginalisation des experts nationaux et internationaux qui perdent insidieusement leur pouvoir au profit des kadre. Cette dépossession contribue, par touches successives et discrètes, à renforcer le contrôle de l’EPRDF, tant sur le dispositif bureaucratique que sur l’orientation de la rente de l’aide.

L’urgence comme catalyseur des jeux de pouvoir enchâssés dans le temps long

19S’insérant dans une gestion à court terme, la mise en nombre combine deux logiques distinctes, l’une relative à un bricolage hâtif présidant à la confection des données et à l’assemblage de méthodes hétérogènes, et l’autre à la temporalité de l’urgence. Ce bricolage méthodologique intervient à toutes les étapes du suivi par les évaluateurs : lorsqu’ils usent de méthodes simplifiées pour produire les données de base, comme par exemple des estimations visuelles des surfaces affectées ou des données sur la proportion de populations touchées, déduites de l’emploi des techniques de ciblage ; lorsqu’ils estiment les nombres totaux de bénéficiaires, via des raisonnements sommaires qui extrapolent des données localisées à des zones entières, ou qui mêlent une analyse des tendances, des moyennes, et des proportions d’individus concernés au sein de certains groupes, mixant et tronquant ainsi des méthodes hétérogènes de calculs ; enfin, lorsqu’ils convertissent les résultats de ces multiples approximations en chiffres précis, en appliquant des coefficients théoriques pour ramener chaque situation à des scenarii préétablis en vue des négociations. La temporalité de l’urgence impose une accélération du tempo des évaluations, ne laissant le temps ni de vérifier les données et de les traiter plus finement, ni de les négocier, voire de reporter les conclusions en cas de désaccord ou de doute. Ces deux dimensions se combinent, le tempo de l’urgence accentuant le degré d’approximation et l’absence de rigueur des raisonnements et, au final, l’arbitraire des décisions. L’urgence n’autorise pas la remise en cause des méthodologies et des données employées, et de leurs résultats. Elle impose aux évaluateurs de trancher sur des décisions opérationnelles, tout en justifiant l’arbitraire de leurs choix.

20Ce temps court est tout d’abord lié aux délais de décision, calés sur les saisons des récoltes et sur les cycles des programmes d’aide, générant une forme d’« urgence institutionnelle » chronique. Les équipes multi-agences bousculent en quelques jours les pratiques routinières du SAP exercées tout au long de l’année par le DPPC, de façon à ce que la validation collective de leurs résultats corresponde aux calendriers annuels institutionnels. La répartition géographique des montants alloués à la nourriture et des bénéficiaires détermine les opérations humanitaires qui auront lieu dans l’année à venir. Le tempo des évaluations peut s’accélérer davantage avec la survenue exceptionnelle d’une crise, qui surajoute une « urgence de crise » à « l’urgence institutionnelle », redoublant la pression exercée sur les équipes lors des prises de décision et des négociations. Sommés de fournir des résultats et de les justifier, les évaluateurs reproduisent leurs automatismes méthodologiques. Ils déroulent de façon systématique des raisonnements simplificateurs pour agréger les catégories et faciliter les comparaisons et les transactions avec les agents de l’administration, qui disposent de leurs propres sources. Focalisés sur la collecte et l’analyse de données gouvernementales, ils se lancent dans des courses-poursuites avec des interlocuteurs peu disponibles en vue de récupérer des informations dispersées et incomplètes. Ils escamotent ou bâclent les relevés de terrains et les rencontres avec les paysans, réduites à des interactions éphémères. Ils sont contraints d’utiliser et de produire des chiffres sans pouvoir intervenir sur leur qualité, tout en devant en justifier la cohérence. En fin de cycle, lors des prises de décision finales sur les montants nationaux, les donateurs et les agents gouvernementaux à Addis Abeba sont soumis au même tempo de l’urgence, glissant sur les imprécisions des données agrégées et leurs incohérences méthodologiques, pour s’entendre sur les modalités opérationnelles d’achat, de transport, de stockage et de distribution de l’aide alimentaire et engager les moyens sans tarder. Enfin, les déséquilibres dans les rapports de force observés lors des temps courts de chacune des séances de micro-négociations se répètent d’une année sur l’autre et à plusieurs étapes du cycle d’évaluation (woreda, région, Addis Abeba). Tout comme l’agrégation des chiffres opérée au long de la chaîne d’évaluation, ils finissent par s’additionner, se manifestant aussi bien lors des interactions entre les experts du PAM et du DPPC au sein des équipes multi-agences, que lors des transactions entre ces dernières et les employés administratifs des woreda ou des régions, notamment lorsqu’interviennent des kadre hiérarchiques.

21Bien qu’improvisée et incertaine, la gestion de ces temps courts est enchâssée dans des relations sociales et des institutions structurées par le temps long : modes d’exercice du pouvoir par l’État, relations avec les institutions de l’aide, emploi des procédures et des savoir-faire routinisés du SAP… Les urgences institutionnelles et les crises répétées réactivent, exacerbent et systématisent leurs modes de fonctionnement plus qu’elles ne les remettent en cause. Dans le cadre tendu des négociations, certains membres gouvernementaux des équipes d’évaluation choisissent le retrait plutôt que de s’opposer aux ajustements imposés par les kadre. Face à ces gardiens de l’ordre autoritaire de la bureaucratie éthiopienne, ils tentent de ne pas outrepasser la hiérarchie et évoquent en aparté la crainte des séances d’autocritique interne (le gimgema[36]), de la censure, de la mise à l’écart, voire de la perte d’emploi, ou même de l’emprisonnement. Les agences de l’aide internationale forment pour leur part une nébuleuse d’institutions humanitaires régie par des principes techniques apolitiques, reliées par des relations de complémentarité et de concurrence, et sans coordination forte. En cas de désaccord sur les chiffres finaux lors des micro-négociations, les agents humanitaires – qui peuvent difficilement s’appuyer sur le système expert « flou » – ne résistent pas aux argumentaires des employés gouvernementaux et des kadre hiérarchiques. Ils se justifient par leur mandat d’appui institutionnel, qui impose la neutralité, mais leur trop grande disparité institutionnelle les rend incapables de faire front face à l’appareil bureaucratique éthiopien. Le temps et la logique de l’urgence les acculent à se rétracter devant la hiérarchie plutôt que d’envisager d’autres ressorts de négociation. Enfin, bien que menées dans la précipitation, ces discussions s’insèrent dans la continuité du déroulement routinier du SAP. Les différentes parties connaissent déjà les faiblesses ou stratagèmes de leurs interlocuteurs, et ils affûtent au mieux leur stratégie, pour les contrer lorsque cela paraît possible, ou pour éviter la rupture et maintenir des relations cordiales pour les exercices à venir, quitte à revoir leurs exigences à la baisse. Leurs raisonnements techniques sont aussi prévisibles : les évaluateurs s’appuient sur des comparaisons avec les années précédentes, raisonnant à partir des moyennes figurant dans les anciens rapports annuels, ainsi que de leurs observations passées. Ce recyclage perpétuel de méthodes empiriques et de données approximatives contribue néanmoins à une amplification des erreurs : chaque cycle cumule les erreurs passées et accentue d’année en année la virtualité des chiffres sur laquelle se base la planification des opérations à venir.

Impact des cycles de déni et renchérissement de l’insécurité alimentaire

22Les cycles de déni et de surenchère de l’insécurité alimentaire se sur-imposent au tempo de l’urgence. Fin 2002, avant la fin des évaluations, les chiffres relatifs au « pire » des scenarii, arrondis à 15 millions de personnes affectées, sont annoncés dans les médias par le Premier ministre Meles Zenawi, invoquant la famine de 1984 et son lot d’images dramatiques. Alors que les coéquipiers sont en train de rédiger leur rapport final à la région, un kadre de la hiérarchie régionale du DPPC les interrompt pour leur demander d’augmenter les chiffres d’un woreda, sans être en mesure d’argumenter sur une base technique solide. Ils sont à nouveau convoqués à la nuit tombée pour rectifier un autre cas. Fin 2003, les pressions politiques exercées s’opèrent directement aux niveaux décentralisés des woreda, mais cette fois-ci pour baisser le montant des donations alimentaires. Ce brusque revirement se justifie par les bonnes récoltes, mais surtout par l’introduction du filet de sécurité et du programme de réinstallation, qui entrent en concurrence directe avec l’aide d’urgence. Certains woreda annoncent « zéro » bénéficiaire, sans qu’il soit possible pour les évaluateurs, déstabilisés, de négocier à la hausse dans ces délais. Au final, le chiffre obtenu au niveau national, excessivement bas, sera encore révisé. Pour publier un rapport calé sur le calendrier des donateurs de fin d’année, les calculs sont effectués en urgence et « en coulisse » par les agents du DPPC, à partir des moyennes des années précédentes, en annulant les résultats des évaluations. Fin 2004, la période d’évaluation coïncide avec la phase d’intensification du filet de sécurité et de la réinstallation, et les équipes doivent encore quémander aux woreda la tenue de réunions, où l’obtention des données consolidées est conduite tambour battant, en abrégeant le temps nécessaire à la discussion.

23Les temporalités des urgences participent ainsi d’une réactivation des rapports inégalitaires préexistants lors des prises de décision. Elles en accentuent la brutalité, faisant voler en éclat des méthodologies déjà fragiles et annihilant les capacités de négociation des équipes d’évaluation. Sur le temps court, nous assistons à un condensé de la capacité des kadre à infléchir chaque micro-négociation et à peser sur les chiffres qui en résultent, en opérant discrètement, mais simultanément sur plusieurs niveaux hiérarchiques, pour s’imposer à leurs subordonnés et aux agents de l’aide internationale.

2016, une crise historique aux chiffres « très bizarres »

24En 2016, la crise El Niño est annoncée au travers des canaux institutionnels. Relayées par les médias, les analyses officielles sont peu remises en cause, mais plutôt renforcées par une touche sensationnaliste [37]. Le système d’alerte précoce joue pleinement son rôle d’outil d’une planification orchestrée par le gouvernement et les agences de l’aide, sans que le pouvoir en place ne soit déstabilisé par des reportages bénéficiant d’une très large diffusion médiatique. En comparaison avec les années 2000 et 2003, la gestion de l’insécurité alimentaire aiguë est toute autre, encadrée par le dispositif établi par un État développementaliste en mesure de faire face aux crises. Mais cela ne va pas sans réactiver les tensions et les divergences idéologiques entre les donateurs, partisans d’une combinaison entre programmes d’urgence et de développement, et les autorités éthiopiennes, qui prônent une autonomisation totale à l’égard des aides humanitaires [38]. El Niño relance ces tensions, en éprouvant la capacité de l’État à convaincre les partenaires de l’aide internationale de sa gestion maîtrisée de l’urgence. Selon la ligne officielle, pris à temps, les chocs ne se traduiraient plus par une mortalité élevée et des migrations massives, mais par des distributions raisonnées et une prise en charge de la malnutrition, étendues à l’échelle du territoire, et ce grâce aux modélisations des SAP.

25À partir de l’annonce officielle des impacts climatiques fin 2015, les modélisations produites par les organisations internationales et le département d’alerte précoce éthiopien façonnent un discours homogène, constituant le principal vecteur d’analyse de la situation et de sa traduction simultanée en opérations humanitaires. Toutefois, des pans entiers des méthodologies d’élaboration de ces outils et des indicateurs cruciaux restent toujours opaques aux yeux des hauts responsables internationaux, tels que les déficits agricoles de l’IPC, le nombre de bénéficiaires de l’aide d’urgence, les taux de malnutrition infantiles et les taux de mortalités associés. Mi-2016, alors que le pic de malnutrition est attendu pour juillet-août, certains responsables d’agences comme Ocha, Unicef, ou Echo, questionnés à Addis Abeba sur la qualité des évaluations, reconnaissent que les données sur la malnutrition et la mortalité sont « très bizarres » (very fancy). D’autres les qualifient ironiquement de « très intéressantes », quand certains, plus catégoriques, les estiment de « qualité médiocre », étayant leur propos par l’impossibilité des agents de santé communautaires de les récolter à la source. Les taux de mortalité très bas qu’affiche le ministère de la Santé sont qualifiés par les ONG de données « taboues » impossibles à vérifier sur le terrain sans passer par les canaux étatiques des centres de santé. Au final, ces responsables avouent à demi-mot que « personne ne sait vraiment ce qui se passe » à cause de la piètre qualité des chiffres collectés, voire des interférences politiques sur leur production. Leur position se résume à des formulations embarrassées : « Nous n’avons pas un œil sur ce qui se passe sur le terrain » ou encore « Je ne mettrais pas ma main au feu sur ce qui va se passer ». Derrière la virtualité bureaucratique, la fabrique des chiffres reste invisible, au point de provoquer un profond désarroi chez les hauts cadres des agences humanitaires qui, conscients de la fragilité des indicateurs, ne peuvent estimer l’issue de la crise à quelques mois de son pic supposé. Aussi surprenant que cela puisse paraître, ces aveux d’impuissance de la part de hauts responsables humanitaires, pourtant au cœur du dispositif d’évaluation, corroborent une situation d’inégalité des rapports entre les acteurs internationaux et le gouvernement éthiopien pour l’orientation des programmes humanitaires.

26Face aux incertitudes méthodologiques, le principe de précaution conduit en effet à une double surenchère en faveur du pouvoir éthiopien : surenchère concernant le niveau de gravité de la situation – qui s’impose désormais via des modélisations sophistiquées et non plus par les canaux émotionnels des médias internationaux – et surenchère concernant les actions à mettre en œuvre pour juguler les effets de la crise. L’État dépasse aujourd’hui ses mentors par ses capacités de gestion – affichées ou réelles – grâce à un regain de légitimité, et par sa capacité à maîtriser les jeux autour des chiffres. Exit les images des famines éthiopiennes et des humanitaires au chevet du pays. L’année 2016 a été l’année de la surenchère, très probablement en lien avec l’anniversaire des 25 ans de la prise de pouvoir par l’EPRDF et avec la flambée de mouvements de contestation à travers le pays et leur violente répression.

27L’extraversion éthiopienne de l’aide internationale à travers le SAP participe d’un chevauchement de temporalités. Elle s’inscrit dans le temps long de l’institutionnalisation de la gestion de l’insécurité alimentaire et de l’élaboration conjointe du système d’alerte précoce par l’État et les agences internationales. Depuis les années 1970, avec l’instauration du département d’alerte précoce éthiopien, les modalités routinières d’évaluation se cristallisent selon un processus continu d’empilement de méthodes en phase avec l’évolution et les expérimentations des SAP internationaux. Incorporée à l’appareil bureaucratique national et à sa structure hiérarchisée, la gestion de la rente de l’aide en reproduit les pratiques internes dirigistes, voire coercitives. Les négociations sur les chiffres entre agents gouvernementaux et internationaux sont dès lors le siège de rapports de force inégaux, au cours desquels le gouvernement parvient à s’imposer. Et ce d’autant plus que les bricolages méthodologiques et le recyclage des données entachées d’erreurs laissent des marges de manœuvre aux kadre de l’EPRDF pour contrôler et interférer discrètement dans le ciblage de l’aide. Les situations d’urgence accroissent encore ces marges de manœuvre car la précipitation et l’improvisation imposées par l’utilisation des systèmes d’alerte précoce en temps de crise accentuent encore les imprécisions. Ces écarts de temporalités sont une caractéristique du SAP : si les approximations et les négociations sont aussi présentes dans la production des indicateurs des Objectifs du millénaire pour le développement [39], les effets catalyseurs de l’urgence lui sont spécifiques.

28Enfin, le regard porté sur la durée intermédiaire de ces dix dernières années nous révèle comment, doué d’une volonté politique forte, l’État développementaliste, renforcé par la maîtrise des exercices de modélisation et leur lot d’indicateurs chiffrés, est parvenu à intégrer les réponses humanitaires aux politiques de développement de grande envergure. Le glissement de statut des urgences vers une gestion de plus en plus technocratique contribue à affaiblir l’emprise des agents internationaux sur la conduite des opérations d’aide alimentaire. Elle désamorce aussi la pression médiatique, en donnant à l’État éthiopien la pleine maîtrise des temporalités de la planification et des processus de ciblage de l’aide internationale.

Notes

  • [1]
    L’EPRDF est une coalition de plusieurs organisations créée en 1989 par les maquisards avant la chute du régime militaro-communiste du Derg en 1991. Pilotée par l’un des principaux mouvements de guérilla d’inspiration marxiste-léniniste, le Tigrayan People’s Liberation Front (TPLF, Front populaire de libération du Tigray), la coalition sert de faire-valoir à ce dernier en lui conférant une apparence d’ouverture et de démocratie. Voir M. Fontrier, Éthiopie : le choix du fédéralisme ethnique. Chroniques du gouvernement de transition, 1991-1995, Paris, L’Harmattan, 2012.
  • [2]
    La victoire de l’opposition aux législatives de 2005 et le changement du rapport de force interne au bureau politique central.
  • [3]
    J.-N. Bach, « L’Éthiopie après Meles Zenawi : l’autoritarisme ethnique à bout de souffle ? », Politique africaine, n° 142, 2016, p. 5-29.
  • [4]
    F. Enten, « Du bon usage des systèmes d’alerte précoce en régime autoritaire. Le cas de l’Éthiopie », Politique africaine, n° 119, 2010, p. 43-62.
  • [5]
    Voir Fews Net, <https://www.fews.net/>, consulté le 7 juin 2017.
  • [6]
    R. F. Hopkins, « Responding to the 2008 “Food Crisis” : Lessons from the Evolution of the Food Aid Regime », in J. Clapp et M. J. Cohen (dir.), The Global Food Crisis. Governance Challenges and Opportunities, Waterloo, Wilfrid Laurier University Press, 2010, p. 79-83.
  • [7]
    P.-M. Boulanger, D. Michels et C. De Jaegher, Systèmes d’information pour la sécurité alimentaire : l’expérience AEDES en Afrique, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 181.
  • [8]
    IPC, Technical Manual Version 2.0. Evidence and Standards for Better Food Security Decisions, Rome, FAO, 2012, <http://www.fews.net/sites/default/files/uploads/IPC-Manual-2-Interactive.pdf>
  • [9]
    V. Bonnecase, « À quoi servent les indicateurs nutritionnels ? », Cahiers Agriculture, vol. 21, n° 5, 2012, p. 314.
  • [10]
    A. Ogien, « La valeur sociale du chiffre. La quantification de l’action publique entre performance et démocratie », Revue française de socio-économie, n° 5, 2010, p. 25 et 35.
  • [11]
    V. Bonnecase, « À quoi servent les indicateurs nutritionnels ? », art. cité.
  • [12]
    V. Bonnecase, Pauvreté au Sahel. La construction des savoirs sur les niveaux de vie au Burkina Faso, au Mali et au Niger (1945-1974), Thèse de doctorat en histoire, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, 2008.
  • [13]
    J.-P. Olivier de Sardan, « Introduction thématique. La crise alimentaire de 2004-2005 au Niger en contexte », Afrique contemporaine, n° 225, 2008, p. 3.
  • [14]
    M. Fourcade, « Les Britanniques en Inde (1858-1947) ou le règne du “cyniquement correct” », in M. Ferro (dir.), Le livre noir du colonialisme, Paris, Robert Laffont, 2003, p. 302-350.
  • [15]
    A. De Waal, Famine Crimes : Politics and the Disaster Relief Industry in Africa, Londres/Oxford/Bloomington, African Rights/The International African Institute/James Currey/Indiana University Press, 1997.
  • [16]
    V. Bonnecase, Pauvreté au Sahel…, op. cit.
  • [17]
    Ce dernier élément nous renvoie à la notion d’économie morale d’Edward Thomson. En cas de crise, ces formes d’intimidations populaires se déploient lorsque les autorités ne se conforment pas au modèle paternaliste et protecteur arrimé dans la mémoire des arrangements anciens et du droit traditionnel, selon lesquels ces dernières sont supposées subvenir aux besoins des populations. Voir J. Siméant, « “Économie morale” et protestation : détours africains », Genèses, n° 81, 2010, p. 142-160.
  • [18]
    E. Delcombel, « La gestion de la crise alimentaire au Niger vue de l’intérieur », Afrique contemporaine, n° 225, 2008, p. 75-101.
  • [19]
    D. Feyissa, « Aid Negociation : The Uneasy “Partnership” Between EPRDF and the Donors », Journal of Eastern African Studies, vol. 5, n° 4, 2011, p. 788-817 ; E. Fantini, Development State, Economic Transformation and Social Diversification in Ethiopia, Milan, Istituto per Gli Studi di Politica Internazionale, n° 163, 2013, <http://www.ispionline.it/sites/default/files/pubblicazioni/analysis_163_2013.pdf>, consulté le 27 juin 2017.
  • [20]
    C. Clapham, « Controlling Space in Ethiopia », in W. James, D. L. Donham, E. Kurimoto et A. Triulzi (dir.), Remapping Ethiopia, Socialism and After, Oxford, James Currey, 2002, p. 9-32.
  • [21]
    J. Markakis, Ethiopia. The Last Two Frontiers, Rochester (New York)/Oxford, Woodbridge & Suffolk/James Currey, 2011.
  • [22]
    Le terme kadre désigne le fonctionnaire d’État appartenant au part i de la mouvance gouvernementale. Hérité de la période communiste (1974-1991), il est parfois synonyme de birokrasi. Voir R. Lefort, « Powers – Mengist – and Peasants in Rural Ethiopia : The May 2005 Elections », The Journal of Modern African Studies, vol. 45, n° 2, 2007, p. 253-273.
  • [23]
    S. Planel, « Réalités, perceptions et usages des “famines vertes” du Sud éthiopien », Revue Tiers Monde, n° 184, 2005, p. 839.
  • [24]
    D. Feyissa, « Aid Negociation… », art. cité.
  • [25]
    L. Whitfield, The Politics of Aid. African Strategies for Dealing with Donors, Oxford, Oxford University Press, 2009, p. 338.
  • [26]
    J.-H. Jézéquel, Éthiopie 2008. Chorégraphie d’une crise, rapport non publié, MSF, 2008.
  • [27]
    P. Gill, Famine and Foreigners. Ethiopia since Live Aid, Oxford/New York, Oxford University Press, 2010.
  • [28]
    A. Gascon, « Oublier Malthus. Éthiopie, la crise alimentaire surmontée ? », Hérodote, n° 131, 2008, p. 73-91.
  • [29]
    Le programme nutritionnel est appliqué depuis 2004 à l’échelle nationale. Il couple un volet préventif de surveillance nutritionnelle dans les structures de santé gouvernementales avec un volet de prise en charge thérapeutique ambulatoire au niveau « communautaire ». En 2016, ce dispositif ciblait 1,2 million d’enfants et de mères atteints de malnutrition modérée et plus de 450 000 enfants sévèrement malnutris. Voir A. Villanucci et E. Fantini, « Santé publique, participation communautaire et mobilisation politique en Éthiopie : la Women’s Development Army », Politique africaine, n° 142, 2016, p. 77-99.
  • [30]
    Mis en place en 2005, le Productive Safety Net Programme (PSNP, Programme de filet social à visée productive) a pour but de restaurer le capital des populations ciblées pour les extraire de l’insécurité alimentaire « chronique ». Consistant en un apport d’aide alimentaire, d’argent et de packages agricoles, il concerne encore aujourd’hui environ 8 millions de personnes. Voir J.-G. Van Uffelen, « From Disaster Response to Predictable Food Security Interventions. Structural Change or Structural Reproduction ? », in D. Ramatho, A. Pankhurst, J.-G. Van Uffelen (dir.), Food Security, Safety Nets and Social Protection in Ethiopia, Addis Abeba, Forum for Social Studies, 2013, p. 145-173.
  • [31]
    J.- N. Bach, « L’Éthiopie après Meles… », art. cité.
  • [32]
    Notamment avec le PRSP II ou Plan for Accelerated and Sustained Development to End Poverty (Pasdep, Plan de développement accéléré et soutenu pour mettre fin à la pauvreté, 2005-2010), puis le Growth and Transformation Plan (GTP, Plan de croissance et de transformation, 2011-2015).
  • [33]
    S. Planel, « Le developmental state éthiopien et les paysans pauvres. Économie politique du développement rural par le bas », Politique africaine, n° 142, 2016, p. 57-76.
  • [34]
    R. Lefort, « Free Market Economy, “Development State” and Party-State Hegemony in Ethiopia : The Case of “Model Farmers” », The Journal of Modern Af rican Studies, vol. 50, n° 4, 2012, p. 681-706.
  • [35]
    Initié en 2003 par le gouvernement, le resettlement était un programme de réinstallation des populations affectées vers des zones fertiles, ciblant jusqu’à 2,2 millions de personnes. Il a été suspendu en 2008 à cause de son coût, du manque de terres et de la compétition avec les programmes agricoles intensifs. Seule une moitié de la population ciblée a été déplacée. Voir A. Pankhurst et F. Piguet (dir.), Moving People in Ethiopia. Development, Displacement and the State, Oxford, James Currey, 2009.
  • [36]
    Pratique collective d’autocritique, le gimgema, hérité des formes de contrôle exercée dans le maquis lors des années 1980, s’est ensuite institutionnalisé comme modalité de contrôle interne de la bureaucratie éthiopienne. Il permet d’assurer la subordination des agents à l’égard de leurs supérieurs hiérarchiques, de renforcer la discipline de l’EPRDF et de contrôler toute dérive. Voir M. Labzaé, « Les travailleurs du gouvernement. Encadrement partisan et formes du travail administratif dans l’administration éthiopienne », Genèses, n° 98, 2015, p. 89-109.
  • [37]
    Voir E. Wuilbercq, « En Éthiopie, la faim et la peur au ventre » [en ligne], LeMonde.fr, 10 mars 2016, <www.lemonde.fr/afrique/article/2016/03/10/en-Éthiopie-la-faim-et-la-peur-au-ventre_4880592_3212.html>, consulté le 20 mai 2016.
  • [38]
    J.-G. Van Uffelen, « From Disaster Response… », art. cité.
  • [39]
    K. Welle, « Monitoring Performance or Performing Monitoring ? Exploring the Power and Political Dynamics Underlying Monitoring the MDG for Rural Water in Ethiopia », Canadian Journal of Development Studies, vol. 35, n° 1, 2014, p. 155-169.
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