Couverture de POLAF_141

Article de revue

« On n’est pas à vendre ». L’économie politique du rap dans la Tunisie post-révolution

Pages 27 à 51

Notes

  • [1]
    L’analyse proposée ici est basée sur l’enquête ethnographique que nous avons menée en Tunisie, entre 2014 et 2015. Elham Golpushnezad a étudié le rap tunisien dans le cadre d’une recherche transnationale sur les rappeurs musulmans, réalisée entre la Tunisie, l’Indonésie, l’Iran et les États-Unis. Stefano Barone a travaillé sur les scènes rap, métal, et électro en Tunisie. Pour ces recherches, chacun de nous a eu recours aux entretiens, à l’observation participante et à l’analyse des paroles de chansons.
  • [2]
    Voir le clip vidéo de la chanson sur YouTube : Hamzaoui Med Amine et Kafon, « Houmani » [en ligne], Cloch’art production, 2013, <www.youtube.com/watch?v=mz3p3a4EiXA>, consulté le 22 août 2015.
  • [3]
    Voir A. Bennett et K. Kahn-Harris, After Subculture. Critical Studies in Contemporary Youth Culture, Londres, Palgrave Macmillan, 2004.
  • [4]
    K. Kahn-Harris, Extreme Metal. Music and Culture on the Edge, Londres, Berg, 2007.
  • [5]
    Voir K. Bouzouita, Underground versus Mainstream : anthropologie des dominations et des dissidences musicales, thèse de doctorat en anthropologie, Paris, Université Paris 8, 2013.
  • [6]
    K. Perkins, A History of Modern Tunisia, Cambridge, Cambridge University Press, 2014.
  • [7]
    B. Hibou, « Tunisie. Économie politique et morale d’un mouvement social », Politique africaine, n° 121, 2011, p. 6.
  • [8]
    K. Bouzouita, Underground versus Mainstream…, op. cit., p. 338.
  • [9]
    Afin de protéger la vie privée des personnes interrogées, nous avons eu recours à des pseudonymes.
  • [10]
    Le concept de MC (master of ceremony) est central dans la culture hip-hop : ce dernier est tout à la fois speaker, rappeur et animateur.
  • [11]
    Entretien avec Mondher, El Mourouj, 22 juin 2015.
  • [12]
    Entretien avec Mahmoud, Carthage, 1er mai 2015.
  • [13]
    Entretien avec Khaled, Carthage, 1er mai 2015.
  • [14]
    K. Bouzouita, « Music of Dissent and Revolution », Middle East Critique, vol. 22, n° 3, 2013, p. 281-292. Voir aussi S. Halila, « Rap and Islamism in Post-Revolutionary Tunisia », in A. Hamdar et L. Moore (dir.), Islamism and Cultural Expression in the Arab World, Londres/New York, Routledge, 2015, p. 222-238.
  • [15]
    K. Bouzouita, Underground versus Mainstream…, op. cit., p. 372-375.
  • [16]
    B. Hibou, La Force de l’obéissance. Économie politique de la répression en Tunisie, Paris, La Découverte, coll. « Textes à l’appui », 2006.
  • [17]
    B. Hibou, « Tunisie. Économie politique… », art. cité. H. Ayeb, « Social and Political Geography of the Tunisian Revolution : the Alfa Grass Revolution », Review of African Political Economy, vol. 38, n° 129, 2011, p. 467-479.
  • [18]
    Voir le clip de la chanson sur YouTube : El General, « Rayes Lebled » [en ligne], 2010, <www.youtube.com/watch?v=7yPZE313mk8>, consulté le 5 octobre 2015.
  • [19]
    N. Gana, « Rap and Revolt in the Arab World », Social Text, vol. 30, n° 4, 2012, p. 25-53.
  • [20]
    Y. Gonzalez-Quijano, « Le nouvel orientalisme et les jeunes rebelles : les rappeurs de la scène arabe » [en ligne], Contretemps, 25 août 2013, <www.contretemps.eu/interventions/nouvel-orientalisme-jeunes-rebelles-rappeurs-sc%C3%A8ne-arabe>, consulté le 7 octobre 2015.
  • [21]
    Entretien avec Seif, Tunis, 7 août 2014.
  • [22]
    Entretien avec Abdelkrim, Tunis, 8 août 2014.
  • [23]
    Il est intéressant de comparer la situation de la Tunisie avec celle du Maroc voisin, notamment la description qu’en fait Cristina Moreno-Almeida. La scène marocaine, plus développée que celle de la Tunisie, existe dans un espace ambigu que se partagent, d’une part le système de parrainage par les Makhzen des festivals et des movida nationaux en plein essor, d’autre part les rappeurs dans leur quête en tous genres de nouveaux espaces. Voir C. Moreno-Almeida, « Unravelling Distinct Voices in Moroccan Rap : Evading Control, Weaving Solidarities, and Building New Spaces for Self-Expression », Journal of African Cultural Studies, vol. 25, n° 3, 2013, p. 319-332.
  • [24]
    « En Tunisie, des rappeurs lancent un syndicat » [en ligne], Libération, 10 octobre 2013, <http://www.liberation.fr/monde/2013/10/10/en-tunisie-des-rappeurs-lancent-un-syndicat_938511>, consulté le 12 octobre 2015.
  • [25]
    Entretien avec Taher, Tunis, 8 août 2014.
  • [26]
    Entretien avec Hakim, Tunis, 11 février 2015.
  • [27]
    « Kafon promet d’éviter les gros mots à cause de son public mineur » [en ligne], Tuniscope, 30 juillet 2014, <www.tuniscope.com/article/50203/vie/stars/mineur-170919>, consulté le 28 janvier 2016.
  • [28]
    « Hamzaoui Med Amine : prochainement un duo avec Klay BBJ » [en ligne], Mosaïque FM, 31 janvier 2015, <www.mosaiquefm.net/fr/index/a/ActuDetail/Element/47382-hamzaoui-med-amine-prochainement-un-duo-avec-klay-bbj>, consulté le 15 octobre 2015. Pour suivre la chronologie du clash, voir « El Karar à Goum Barrawah : le feuilleton des clashs entre Klay BBJ & Hamzaoui » [en ligne], Web Mag, <www.wled-el-banlieue.com/2015/02/les-clashs-rap-klay-bbj-hamzaoui.html>, consulté le 15 octobre 2015.
  • [29]
    Weld El 15, « Boulicia Kleb » [en ligne], From the Space City, YouTube, 2013, <www.youtube.com/watch?v=6owW_Jv5ng4>, consulté le 15 octobre 2015.
  • [30]
    « Six mois avec sursis pour Weld El 15 : l’avocat veut un non-lieu » [en ligne], Huffington Post Maghreb, 2 juillet 2015, <www.huffpostmaghreb.com/2013/07/02/weld-el-15-sursis_n_3533635.html>, consulté le 15 octobre 2015.
  • [31]
    « Arrestation Weld El 15 et Klay BBJ au festival de Hammamet, Fethi Heddaoui : “être artiste c’est être politiquement incorrect” », Huffington Post Maghreb, 23 août 2013, <www.huffpostmaghreb.com/2013/08/23/weld-15-klay-bbj-arretes_n_3803000.html>, consulté le 15 octobre 2015.
  • [32]
    Voir le clip vidéo le plus connu : Lak3y, Madou, Htounsi, Wistar, Balti, Blidog, Klay BBJ, Gas, Crack, « Sayeb 15 » [en ligne], YouTube, 2013, <www.youtube.com/watch?v=yO7LBVZ_68E>, consulté le 15 octobre 2015.
  • [33]
    « Gabès : un rappeur arrêté pour outrage à la police » [en ligne], Kapitalis, 7 juillet 2015, <kapitalis.com/tunisie/2015/07/07/gabes-un-rappeur-arrete-pour-outrage-a-la-police/>, consulté le 15 octobre 2015.
  • [34]
    Voir, par exemple, l’histoire du rappeur Volcanis Le Roi : S. Ben Gharbia, « Tunisia Arrests Young Rapper after Online Protest » [en ligne], Nawaat, 27 janvier 2012, <nawaat.org/portail/2012/01/27/tunisia-arrests-young-rapper-after-online-protest-song/>, consulté le 16 octobre 2015.
  • [35]
    Entretien avec Taher et Abdelkrim, Carthage, 8 août 2014.
  • [36]
    « La relation entre la police et les rappeurs sera-t-elle, un jour, moins tendue ? » [en ligne], Kapitalis, 10 octobre 2013, <www.kapitalis.com/culture/18609-la-relation-entre-la-police-et-les-rappeurs-sera-t-elle-un-jour-moins-tendue.html>, consulté le 16 octobre 2015.
  • [37]
    Entretien avec Wissem, Tunis, 5 septembre 2014.
  • [38]
    E. C. Murphy, « The Tunisian Elections of October 2011 : a Democratic Consensus » [en ligne], The Journal of North African Studies, vol. 18, n° 2, 2012, p. 231-247.
  • [39]
    Psyco-M, « Manipulation » [en ligne], Blanka Production, YouTube, 2011, <www.youtube.com/watch?v=d_R5wjUXYX8>, consulté le 22 octobre 2015.
  • [40]
    « Psyco-M contre Sawsen Mâalej et Olfa Youssef : l’affaire passe devant la justice » [en ligne], Tunisia SAT Forums, 17 décembre 2010, <www.tunisia-sat.com/forums/threads/1498665/>, consulté le 7 mars 2016.
  • [41]
    Entretien avec Achref, Tunis, 27 septembre 2014.
  • [42]
    Entretien avec Marwen, Tunis, 14 février 2015.
  • [43]
    El General, « #24 » [en ligne], YouTube, 2014, <www.youtube.com/watch?v=N3lZVRAIuaU>, consulté le 22 octobre 2015.
  • [44]
    « Mehrez Boussaïane : je suis un candidat ‘‘Houmani’’ » [en ligne], Mosaique FM, 6 novembre 2014, <www.mosaiquefm.net/fr/index/a/ActuDetail/Element/43881-mehrez-boussaiane-je-suis-un-candidat-houmani>, consulté le 22 octobre 2015.
  • [45]
    H. Chennaoui, « Élections 2014 : l’underground tunisien récupéré par le politique ? » [en ligne], Nawaat, 19 novembre 2014, <nawaat.org/portail/2014/11/19/elections-2014-lunderground-tunisien-recupere-par-le-politique/>, consulté le 26 octobre 2015. Kafon a chanté pour Beji Caid Essebsi lors du second tour de la présidentielle.
  • [46]
    H. Chennaoui, « Élections 2014… », art. cité.
  • [47]
    Entretien avec Yasser, Tunis, 6 mars 2015.
  • [48]
    Klay BBJ, « Lesna lil bey3 » [en ligne], YouTube, 2014, <www.youtube.com/watch?v=TC0eMu2SsXo>, consulté le 26 octobre 2015.
  • [49]
    Entretien avec Samy, Tunis, 8 mai 2015.
  • [50]
    Entretien avec Sahbi, Tunis, 3 mai 2015.
  • [51]
    Voir le site Internet de Turning Tables, <turningtables.org/>, consulté le 26 octobre 2015.
  • [52]
    Dans le domaine du hip-hop, une crew est un collectif d’artistes de différentes disciplines (rap, DJing, dance, graffiti) qui collaborent et font montre d’une identité collective, à travers un nom commun, un tag, et souvent l’ambition de « représenter » un quartier.
  • [53]
    Voir la page Facebook de Debo [en ligne], <www.facebook.com/deboworld/?fref=ts>, consulté le 7 mars 2016.
  • [54]
    Voir la page Facebook d’Art Solution [en ligne], <www.facebook.com/WeARTSolution/info>, consulté le 26 octobre 2015.
  • [55]
    Pour mieux comprendre le débat sur la transitologie, voir F. Cavatorta, « No Democratic Change… and Yet No Authoritarian Continuity : the Inter-Paradigm Debate and North Africa After the Uprisings », British Journal of Middle Eastern Studies, vol. 42, n° 1, 2015, p. 1-11.
  • [56]
    Le délicat traitement des rappeurs islamistes par les institutions parties prenantes et les incompréhensions qu’une telle situation a générées, ont été analysés par Hisham Aïdi dans le contexte européen. Voir H. Aïdi, Rebel Music. Race, Empire and the New Muslim Youth Culture, New York, Vintage Books, 2014, p. 205-211.
  • [57]
    Entretien avec Sahbi, Tunis, 3 mai 2015.
  • [58]
    Entretien avec Brahim, La Marsa, 30 juin 2015.
  • [59]
    Entretien avec Meriem, Nabeul, 24 septembre 2014.
  • [60]
    H. Meddeb, « L’ambivalence de la course à “el khobza”. Obéir et se révolter en Tunisie », Politique Africaine, n° 121, 2011, p. 35-51.
  • [61]
    Cette production de la légitimité et les positionnements conflictuels qu’elle a engendrés peuvent être lus à travers le prisme de la catégorie de champs de Pierre Bourdieu. Voir P. Bourdieu, Les règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire, Paris, Seuil, 1992.
  • [62]
    Entretien avec Samy, Tunis, 8 mai 2015.

1Entre 2014 et 2015, il était pratiquement impossible de marcher dans les rues de Tunis sans entendre « Houmani » de Hamzaoui Med Amine et Kafon [1]. La chanson passait en boucle et à plein volume dans les haut-parleurs des taxis et des radios des boutiques, envahissant le centre-ville aussi bien que les banlieues bourgeoises du Nord ou les quartiers défavorisés, comme ceux de Sidi Hassine ou Mellasine. « Houmani » fut un succès sans précédent sur la scène musicale locale. En août 2015, son clip vidéo avait été vu plus de vingt millions de fois sur YouTube, soit deux fois la population de la Tunisie [2]. La chanson, mélange de ragga et de dubstep, était même devenue l’hymne rap par excellence de la Tunisie post-révolution. Lorsque certains présentateurs de télévision taquinaient les rappeurs en leur demandant leur avis sur le sujet, ces derniers répondaient souvent avec prudence : « Kafon mouch rappeur ! » (« Kafon n’est pas un rappeur ! »). Cette prudence cachait mal leur rejet, tant de la chanson que de ses auteurs, qu’ils accusaient de banaliser la complexité culturelle du rap tunisien et d’en offrir une version superficielle au public.

2« Houmani » décrivait la vie difficile des jeunes de la houma (« quartier » en Tunisie – le mot désigne en particulier les quartiers populaires). La chanson épousait donc parfaitement le récit post-révolution qui plaçait les jeunes pauvres au cœur de la conscience nationale tunisienne. Kafon – qui, lui-même, passa dix mois en prison pour infractions mineures liées à la drogue – représentait le parfait stéréotype du rappeur tunisien issu de la houma : un garçon d’origine modeste, réprimé par la police pour son style de vie, celui de la rue et, de manière implicite, pour son art. Au début de l’année 2014, Kafon fit son entrée dans l’arène politique en apportant son soutien à la campagne du milliardaire Slim Riahi. Quelques mois plus tard, Hamzaoui et Kafon allaient être entraînés dans une querelle de rap avec Klay BBJ, icône « anti-système » du rap tunisien et partenaire musical historique de Hamzaoui. Un tel affrontement, comme nous le verrons plus tard, est symptomatique des tensions qui sont survenues sur la scène musicale tunisienne dans son ensemble.

3Ces vicissitudes sont emblématiques des contradictions qui existent au sein du rap tunisien, qu’il s’agisse des batailles autour de la légitimité esthétique, de la répression policière ou encore des rapports ambigus qui lient le rap – la musique des pauvres, celle de la révolution – à l’économie politique de la Tunisie. Nous présenterons d’abord la culture rap dans le contexte des changements historiques survenus dans le pays, de la période Ben Ali à la révolution et ses suites chaotiques. Nous discuterons ensuite de la manière dont le rap et le champ politique interagissent, en particulier comment la scène rap et la carrière des rappeurs sont façonnées par la vie politique et comment ces relations affectent la guerre de légitimité qui se joue sur la scène elle-même.

4Le sens donné ici au concept de scène est celui qu’il a acquis dans le domaine des études dites post-subculturelles [3], à savoir un espace de pratiques culturelles liant, en interdépendance, musiciens, infrastructures (comme la presse, la radio et les labels musicaux) aux consommateurs de musique. Le sociologue Keith Kahn-Harris propose ainsi les concepts de construction et de structure comme influençant la scène de manière réciproque. Selon ses termes, la « construction » évoque la nature discursive de la scène, son idéologie, son esthétique et sa cohésion interne. Quant au concept de « structure », il désigne plutôt l’organisation des infrastructures de la scène (c’est-à-dire ses groupes, webzines, lieux de spectacles, etc.) et d’autres éléments matériels tels que ses volumes de production et de consommation. Kahn-Harris souligne comment les différents contextes locaux – par exemple, les différents systèmes nationaux de bien-être social – affectent l’interaction entre construction et structure, perçue comme la façon dont l’« humeur » et les sentiments interpersonnels d’une scène interagissent avec ses formes matérielles [4].

« Les gens dans un coin » : le rap sous Ben Ali

5Les premiers balbutiements du rap tunisien ont eu lieu à la fin des années 1980, quand un jeune DJ du nom de Slim Larnaout fit son entrée dans l’industrie musicale locale. Le parcours de Larnaout restait relativement en marge des récits rencontrés habituellement dans la sphère du rap. Issu d’un milieu privilégié, il était le fils d’un intellectuel très respecté. Son rap était raffiné, subtil et destiné à un très large public. Perçu comme exotique, Slim participa aux événements musicaux les plus en vue dans le pays, se produisant aux festivals de Carthage et d’Hammamet et partageant la scène avec de grands groupes de rap français [5].

6Les premières expressions du rap datent de la période commençant juste après la prise de pouvoir de Ben Ali, en novembre 1987, suite au renversement du président Habib Bourguiba. La chute du gouvernement de Ben Ali, connue sous le nom de « Révolution de jasmin », fut une époque d’ouverture démocratique marquée par une atmosphère généralement positive, nourrissant des rêves de progrès et de réformes. L’espace politique fut cependant rapidement restreint, avec notamment la répression systématique d’Ennahda (le principal rival de Ben Ali) et la pénétration capillaire du tissu social par les structures du parti au pouvoir, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) [6]. Malgré cela, le régime continua d’être perçu comme progressiste et d’une grande stabilité démocratique aux yeux des observateurs internationaux et des classes moyennes du pays. C’est sous Ben Ali que les cultures de la jeunesse, comme le rap, se développèrent en Tunisie. Cet essor fut rendu possible par certains aspects idéologiques de la Tunisie de cette époque, en particulier la promesse générale d’un hédonisme « occidental » et de modes de vie séculaires basés sur la consommation facile (bien que dans le même temps, durant sa présidence, Ben Ali fît connaître sa volonté ferme de revenir à l’islam en politique et dans la société). Ce climat, fait de consommation libérale aisée, est au cœur de l’analyse de Béatrice Hibou et de ce qu’elle appelle le « pacte de sécurité », un consensus implicite qui constituait le fondement même du régime et de sa discipline omniprésente, basée sur une sorte de servitude volontaire. « À travers lui, l’État tentait de prévenir tout ce qui pouvait être incertitude, risque, danger et il était en cela légitime parce qu’il répondait à un désir d’État de la part de la population, un désir de protection, de consommation et de modernité [7] ».

7Le régime bâtit son récit du progrès économique sur une série d’instruments, comme la finance créative, l’endettement privé et l’aide internationale. Tel qu’il a été façonné, le « miracle tunisien » comportait en son sein des poches croissantes de pauvreté et de marginalité, présentes partout dans le pays et plus particulièrement à l’intérieur des terres. C’est en fait dans ces niches de pauvreté qu’une nouvelle vague de rap apparut à la fin des années 1990, plus soutenue et cohérente que les productions de Larnaout. Des groupes de rap tels que Filozof, Wled Bled, ou Arabe Clan virent le jour dans ce que les médias appelaient des « zones d’ombre », c’est-à-dire des quartiers pauvres que la mission de modernisation du régime allait très vite éclairer : Jebel Lahmar, Jebel Jelloud, Sidi Hassine. Ces quartiers, au contraire, structuraient la base de l’économie du pays et abritaient ceux qui étaient tenus à l’écart du pacte de sécurité. Ces nouveaux groupes proposaient un style de rap à l’opposé de celui de Slim, un rap cru et direct. Il exprimait sans ambages les difficultés de la vie dans la rue tunisienne. Dans leurs paroles, les auteurs utilisaient le derja, le dialecte tunisien, employé dans ses aspects les plus grossiers et les moins commercialisables musicalement, et conçu comme un modèle d’innovation linguistique. Ce style hardcore ne conduisait pas nécessairement à un rejet catégorique de l’establishment musical « officiel », ni à la marginalisation du rap. Le rap et la musique mainstream (qui était complètement assujettie à la surveillance de l’État et du RCD) interagissaient plutôt dans une sorte de tension entre cooptation problématique et protestation précaire.

8

« L’histoire du rap témoigne de nombreuses interactions avec les circuits des cellules du RCD gérant les maisons de jeunes. Dans un sens, le rap bénéficia de l’étatisation de la culture, dans un contexte où l’emprise du parti devint de plus en plus forte sur l’État [8] ».

9Parfois, les rappeurs pouvaient, par certains moyens, s’immiscer au sein de la culture légitime. Et pourtant, cette possibilité restait à risque, l’échec d’une négociation pouvant immédiatement mener à la censure. Comme nous le confia Mondher [9], un rappeur expérimenté :

10

« Avant la révolution, c’était presque impossible [de jouer sur scène]. T’avais juste les maisons des jeunes mais on n’acceptait pas le rap là-bas. Donc tu entrais en scred, par exemple comme MC [10] dans les spectacles de breakdance. La breakdance était tolérée, car il n’y avait pas de paroles. Donc, il y avait le spectacle et au milieu, tu jouais deux ou trois morceaux. Je me rappelle du premier concert qu’on a fait, c’était 2009 je crois… Le directeur [de la maison des jeunes] nous a demandé d’arrêter. On a négocié un peu, on lui a demandé de faire un autre titre, mais il a débranché [l’alimentation] [11] ».

11Et pourtant, certains ont pu tirer leur épingle du jeu. Balti par exemple, un membre du groupe T-Men, auparavant considéré comme une légende du rap underground, devint le premier rappeur à être apprécié du grand public en Tunisie. Mieux encore, il parvint à gagner l’approbation des milieux politiques, jusqu’à se produire à plusieurs occasions pour le Président lui-même, notamment lors des célébrations du 7 novembre (date anniversaire de l’accession au pouvoir de Ben Ali) et lors d’un concert en septembre 2010, plus tard considéré comme le premier concert rap « officiel » dans le pays. La route qui mena Balti à la célébrité fut cependant semée d’embûches. L’artiste se confronta plusieurs fois à l’industrie musicale nationale, ce qui lui valut une refonte générale de son art. Le chanteur choisit de simplifier son flow, d’édulcorer son langage et de le modeler pour un public familial, d’éviter les références politiques directes dans le texte de ses chansons et de devenir une sorte d’artiste « pop rap ». La scène rap, encore en gestation, connaissait ainsi ses premiers repositionnements et conflits de légitimité :

12

« Avant, on avait vraiment les codes du rap. C’était la honte de faire un morceau débile, tu ne pouvais même pas voir des gens après. Puis ça a changé, après le deuxième album de Balti, en 2008. Le rap a… Car le public a commencé à avoir la mauvaise définition de rap. Ils n’écoutaient pas le Balti d’avant, ils écoutaient le Balti d’aujourd’hui, tu vois ? Ils ne savaient pas c’est quoi le vrai rap. La culture a commencé à se perdre [12] ».

13Le frère de Mahmoud, un vétéran du rap, avait une tout autre opinion de Balti :

14

« Moi je connaissais Balti avant qu’il commence à enregistrer. Un jour il m’a dit “pendant que je fais ça, je suis un peu en train de penser, je ne sais pas, faire un peu de commercial, je n’ai rien d’autre à faire”. C’est pour ça que je le respecte, quand quelqu’un fait un truc à partir de son principe, c’est lui qui a décidé. Tu sais, franchement, personne n’était sûr qu’il y aurait eu une révolution [sic], donc il s’est fait un peu protéger, il a fait des morceaux, il a critiqué, mais… il a trop pensé avant de critiquer. Maintenant, je ne peux plus écouter un morceau de Balti, c’est impossible, mais je ne peux jamais dire qu’il est quelqu’un de mauvais [13] ».

15Faire profil bas devant le régime de Ben Ali, comme Balti, ne suffit pas toujours à protéger les artistes des répercussions politiques. En 2005, le rappeur Ferid Extranjero, un Tunisien vivant en Espagne, diffusa anonymement sur YouTube « La3bed fi Tarkina » (Les gens dans un coin), la première accusation significative des méthodes du régime jamais publiée par un rappeur. La police entreprit alors une traque brutale de l’auteur du vidéo clip, et procéda à l’arrestation de plusieurs rappeurs, les obligeant à chanter ce titre afin de comparer leur voix à celle de l’interprète du texte. Balti figurait dans le lot et son arrestation pour une chanson qu’il n’avait pas écrite fut un choc pour lui [14]. Quant à Ferid, il partageait la même trajectoire de contestation et d’exil que Karkadan, un rappeur vivant en Italie. Ce dernier avait gardé contact avec certains membres de l’opposition clandestine à Ben Ali, notamment le milieu des cyber-activistes – cela fut le cas pour d’autres comme Thameur et Haythem Mekki, passés du militantisme de la scène au militantisme tout court [15].

16La confrontation entre le rap et le régime présente ainsi deux facettes différentes : d’un côté, une négociation compliquée portant sur les espaces et les libertés, qui souvent procède d’une cooptation et d’un certain clientélisme — apprendre à connaître un membre quelconque du parti, le convaincre que faire du rap ne constitue pas une menace pour le régime, accepter un compromis avec l’establishment politique ; d’un autre côté, la répression, tout simplement. Cette dualité renvoie à la façon dont Béatrice Hibou a interprété l’« économie politique de la répression » du régime. Selon elle, la domination en Tunisie ne provient pas de l’exercice du pouvoir absolu, mais d’une panoplie de moyens visant à discipliner l’inclusion dans les rouages du système, qui s’accompagne d’une absence d’alternatives, une « servitude volontaire » façonnée par le pacte de sécurité et ses promesses, ainsi que par une série de mécanismes ayant intégré la population au système : redistribution de la richesse et des faveurs, clientélisme, corruption [16].

17La partie suivante cherche à analyser comment, avec la chute de Ben Ali, les mécanismes de discipline par l’inclusion et la répression continuent de façonner la scène rap, dans un environnement politique en constante évolution.

Rien n’a changé : la persistance post-révolution de la discipline

18Le 17 décembre 2010, un vendeur de rue du nom de Mohamed Bouazizi s’immolait par le feu dans la ville sinistrée de Sidi Bouzid, déclenchant un mois de protestations qui commencèrent par l’incendie de postes de police à l’intérieur du pays, pour finir par la fuite en exil de Ben Ali, le 14 janvier 2011. Sidi Bouzid fut le révélateur des limites spatiales et historiques du pacte de sécurité tunisien et de son déclin structurel [17]. Les régions intérieures pauvres et les centaines de milliers d’indigents créés par le « miracle économique » prirent le devant de la scène et captèrent l’attention des médias. Le processus révolutionnaire en était encore alors à son début. La protestation continua pendant les mois chaotiques de changements de régime. L’atmosphère devint néanmoins plus libre et le ton des Tunisiens beaucoup plus créatif, le rap devenant un des principaux moyens d’expression.

19Hamada Ben Amor, plus connu sous le nom d’El General, fut arrêté le 6 janvier 2011 avant d’être libéré trois jours plus tard. Sa chanson « Rayes Lebled [18] » (Chef de l’tat), diffusée au beau milieu des troubles de décembre 2010, lui valut d’être à la fois persécuté par le régime et mondialement érigé en porte-parole de la révolution tunisienne. « Rayes Lebled », chanson dans laquelle l’auteur interpellait nommément le président Ben Ali sur les conditions de vie misérables des Tunisiens et l’oppression qu’ils subissaient, devint l’hymne de ce que l’on appela ensuite le « Printemps arabe ». Cela valut à El General d’être classé parmi les personnes les plus influentes au monde en 2011 par le magazine Time [19]. Un débat sur le statut et la représentativité d’El General surgit sur la scène et dans la presse. Certains rappeurs tentèrent de relativiser sa renommée mondiale. Selon eux, El General venait de nulle part. Il était loin d’être le plus grand rappeur de Tunisie (comme l’avaient affirmé beaucoup de journaux), et encore moins le premier critique du régime [20]. Cependant, ses attaques contre Ben Ali arrivaient au bon moment : après El General, le rap incarna la parole comme contestation politique dans l’ère post-régime, mais devint aussi le porte-voix du segment social qui fut au cœur de la révolution, celui la jeunesse, notamment celle issue des quartiers pauvres. Certains changements technologiques jouèrent un rôle crucial dans cet essor, en particulier la fin de la censure sur Internet et l’accès facilité à YouTube, qui permit à une multitude de personnes d’avoir accès aux vidéos des chansons, ce qui était impensable dans les années 2010. Bien que controversé, le nombre de visionnages et de mentions « J’aime » enregistré par une vidéo devint rapidement un baromètre de succès pour les rappeurs. Toute une génération de MC gagna ainsi une toute nouvelle visibilité.

20La « monnaie virtuelle » des réseaux sociaux, les « J’aime », témoignait parfaitement du tout aussi virtuel degré de succès dans le rap tunisien. Dans le contexte déplorable de l’industrie musicale locale, la monétisation de la renommée était très rare pour un musicien. Il était peu courant de voir les rappeurs vivre de leur art. La question des droits d’auteur fut l’un des défis majeurs auxquels les musiciens furent confrontés. Malgré l’existence de lois spécifiques en matière de protection des droits d’auteur, celles-ci restaient très mal appliquées et la piraterie empiétait sur la quasi-totalité de la distribution musicale locale. Les rappeurs se plaignaient même que les grandes chaînes de supermarchés vendaient leur musique sans y être autorisé. Des compilations de leurs chansons étaient commercialisées par des maisons de production sans autorisation ni versements de redevances, des pages anonymes sur YouTube et Facebook diffusant les vidéos des rappeurs étaient visitées des milliers de fois, au détriment des pages officielles des artistes.

21Le rap tunisien était englué dans le paradoxe suivant : il connaissait un succès retentissant en tant que porte-voix de la culture de la jeunesse tunisienne. Les enfants des milieux défavorisés rêvaient de Phenix ou de Redstar Radi, des enfants du quartier tout comme eux, qui avaient réussi grâce à la musique. Et pourtant, en y regardant de plus près, la carrière des rappeurs ressemblait plus à un labyrinthe qu’à une porte de sortie. Certains d’entre eux avaient un emploi régulier, ou travaillaient dans les centres d’appels. Beaucoup devaient se battre pour s’en sortir. Le rap était en même temps un projet de vie et une source de revenus complémentaire, un mélange de bénéfices du travail en free­lance, de trafic de drogue et de prêts concédés auprès d’amis. En outre, les revenus générés par le rap reflétaient l’instabilité structurelle de la scène, et son industrie sous-développée.

22Seif, l’un des rappeurs les plus prospères en Tunisie, tirait la plus grande partie de ses revenus de son studio d’enregistrement et de son travail d’arrangeur et de beatmaker. Ses gains financiers provenaient essentiellement de ses spectacles, notamment de sa participation aux plus grands festivals d’été dans le pays, une activité cependant saisonnière. Ses concerts d’été lui permettaient de se consacrer, l’hiver, à la composition et à la promotion de nouvelles chansons. La vente aux compagnies téléphoniques de certains de ses tubes transformés en sonneries de téléphones portables constituait une petite rentrée de fonds complémentaire [21]. Et pourtant, Seif était considéré comme une figure de la réussite. Comme nous l’affirma Abdelkrim, un membre du groupe Empire :

23

« On perd tous les jours des rappeurs qui arrêtent le rap. Parce que nous, on donne trop au rap, et le rap ne te donne rien. Tu ne peux rien garantir, tu peux perdre tes études, ton boulot, et le rap ne te donne… Sauf pour des likes sur YouTube, OK ? Et nous, on n’a rien à foutre. Aujourd’hui si tu arrives à trente ans, à trente-cinq ans, t’as pas terminé tes études, t’as fait dix ans de rap, t’as pas une maison… T’es personne ! T’es anonyme ! Tu ne peux même pas te marier [22] ».

24Pris dans les mailles d’une industrie musicale moribonde qui la marginalise, la scène rap a façonné sa propre structure, dans le sens où Kahn-Harris la définit (c’est­à­dire, l’ensemble des infrastructures et des relations qu’elle entretient avec les institutions sociales au sens large) à travers ses liens avec l’économie politique de la Tunisie post-révolutionnaire. La logique mise au jour par Béatrice Hibou a perduré dans la période de la post-révolution, en partie parce que la plupart des personnels de base de l’administration et de la gestion de la culture (par exemple, de nombreux directeurs de maisons de la culture et de maisons des jeunes) ont été maintenus à leurs postes. Le rap a été, par conséquent, discipliné par le même dualisme inclusion-répression mentionné ci-dessus [23].

La discipline par inclusion

25Les concerts, en particulier les festivals d’été, constituaient le dispositif le plus important d’inclusion du rap dans l’industrie musicale mainstream. L’impossibilité de gagner de l’argent de la vente de CD ou de MP3 poussa les rappeurs à se rabattre sur les concerts dont ils firent leur toute première option de carrière. Seuls quelques chanteurs célèbres étaient engagés pour des concerts dans des discothèques ou les salons des hôtels, mais la plupart jouaient soit lors de fêtes publiques (organisées par l’État, par un gouvernorat ou par une association), soit pour de petits concerts dans les universités, les maisons de la culture, ou dans d’autres salles. Ces représentations ne constituaient pas une véritable source de revenus. Les artistes y jouaient le plus souvent pour rester en contact avec leurs fans. Le système d’organisation des fêtes publiques était décrit comme une sorte de mafia. Il était indispensable pour les artistes d’avoir des connexions personnelles avec des personnalités des partis politiques, de l’administration, de la police ou des ambassades, pour être programmé à un nombre acceptable d’événements importants.

26Les rappeurs désirant se produire lors de manifestations sponsorisées par l’État devaient être reconnus en tant que « professionnels ». Après la Révolution, le ministère de la Culture s’attela à insérer le rap dans les mêmes mécanismes que ceux qui régulent l’art officiel en Tunisie. La délivrance d’une carte professionnelle aux rappeurs, attestant de leur qualification d’artistes professionnels fut au cœur de cette nouvelle politique. Celle-ci leur permit de toucher un cachet de l’État et de bénéficier de plusieurs autres avantages (le droit à la sécurité sociale par exemple). Durant la première année au cours de laquelle l’État dut évaluer les rappeurs avant de leur délivrer la carte, une commission fut mise sur pied, dans laquelle siégea Balti et d’autres membres reconnus de la scène rap. Un examen d’évaluation des compétences des rappeurs était prévu à l’origine, bien que bon nombre d’entre eux aient finalement obtenu leur carte sans avoir à passer le test, au regard de leur mérite artistique et de leur carrière d’avant la Révolution. Certains membres de la scène critiquèrent Balti pour avoir délivré des cartes à ses amis, dont certains n’avaient aucun rapport avec le rap. D’autres applaudirent le fait que les groupes de rap historiques, pourtant underground, irrévérencieux et provocateurs, obtinrent leur accréditation sans avoir à passer l’évaluation.

27À partir de la deuxième année, la carte professionnelle et la commission d’évaluation furent gérées par le tout nouveau syndicat des rappeurs, une entité probablement unique au monde, fondée en 2013 par plusieurs rappeurs pour défendre les intérêts des artistes du rap face aux institutions gouvernementales [24]. Les personnes interrogées exprimèrent des opinions divergentes quant à l’utilité d’un tel syndicat (de même que celle des cartes professionnelles). Quasiment aucune d’entre elles ne pensait vraiment que la commission d’évaluation était impartiale. Elle était souvent considérée comme un groupe de rappeurs tunisiens qui, pour une raison indéterminée, fut chargé d’évaluer les autres rappeurs du pays. Certains membres de la scène, comme Taher, montraient une certaine méfiance envers la commission pour des raisons culturelles : « C’est difficile, car le rap, on ne peut pas le mettre dans tout ce qui est administratif. Mais on a besoin d’un syndicat très fort, pour tes droits, car t’es… Il nous faut un syndicat plus fort que celui de la police. Et de l’autre côté c’est ton principe, tu ne peux pas le fuir, le rap c’est outlaw. Tu vois, c’est entre les deux rives, c’est difficile [25] ».

28L’un de mes interviewés montrait un brin de cynisme pendant qu’« ils essay[ai]ent juste de manger quelque chose ! ». D’autres prirent une position plus radicale, comme le groupe Zomra, de jeunes rappeurs de Tunis qui se firent un nom dans le milieu rap grâce à leur production artistique, prolifique et radicale politiquement. Leur foi envers le DIY (DoItYourself, Faites-le vous-même) et en l’autogestion les poussèrent à refuser de se produire dans des espaces « légitimes » tels que les médias et les fêtes publiques. Comme nous le confia Hakim, l’un des membres de Zomra : « On s’en fout du syndicat. Ça me sert à quoi, si je ne veux avoir rien à faire avec les médias, et si je ne veux rien gagner avec la musique ? [26] ».

29L’« industrie » légitime du rap ne disciplina pas simplement la scène en essayant de l’insérer dans les rouages des institutions tunisiennes et leur environnement corrompu, elle disciplina aussi l’artiste, qui dut se réinventer moralement pour se lancer dans une nouvelle carrière. Jouer lors d’événements parrainés par l’État signifiait aussi corriger son langage pour convenir à un « public familial » : les rappeurs devaient purger leurs chansons de tous gros mots et adopter un langage aseptisé, renonçant ainsi à utiliser le derja le plus cru, ce qui, pour un rappeur, voulait dire changer son propre style, son flow et sa métrique. À certains moments, les rappeurs se contentèrent tout simplement de silences en lieu et place de mots vulgaires ; dans d’autres cas, ils eurent recours à l’ironie pour contourner la censure. Lors d’un concert dans un espace culturel, le groupe Zomra utilisa le son « tiit ! » à la place de chaque gros mot, imitant ainsi le bip de la censure. Quant à Kafon, il déclara publiquement qu’il n’écrirait plus jamais de chansons avec des grossièretés [27], après, selon ses dires, avoir entendu des écoliers chanter son tube à succès, « Mazatil » (Camés). Le choix des mots fut parfois plus une question d’autocensure qu’une conséquence de la discipline imposée aux rappeurs : ceux-ci étaient mal à l’aise à l’idée de chanter dans une langue vulgaire lorsque des familles et des enfants se trouvaient dans le public. Il était donc nécessaire pour le rappeur d’adapter les sujets abordés en fonction des spectacles, d’abord par autodiscipline (comme nous le dit Hakim cité ci-dessus, « Comment pourrait-on chanter à propos de la rue sans le langage de la rue ? »), et aussi parce que, lors de tels événements, certains sujets étaient interdits ou tabous.

30Ces contraintes s’imposaient aussi lors d’émissions de télévision et notamment en fonction des besoins des émissions diffusées aux heures de grande écoute. Les personnes interrogées déplorèrent parfois la banalisation dont elles firent l’objet, l’humour bon marché dont ils furent la cible dans ces émissions, la nécessité de se plier au bon vouloir et à l’humour de quelque présentateur superficiel.

31On peut aisément prendre la mesure de cette dynamique de la scène en se penchant sur les affrontements entre rappeurs. Ceux-ci dépassaient les simples invectives personnelles entre deux rappeurs ou deux groupes de rap. Ils témoignaient souvent de divergences de vues plus profondes et, dans un sens plus large, d’un positionnement bien précis sur la scène. Le conflit qui, en 2015, opposa Hamzaoui Med Amine et Kafon d’un côté et de l’autre Klay BBJ, en fut une bonne illustration. Hamzaoui et Klay, des amis de longue date, s’engagèrent dans plusieurs collaborations musicales, avant et après le succès retentissant de « Houmani », le duo de Hamzaoui et Kafon. Leur projet de tournée commune ne put avoir lieu du fait de l’interdiction qui frappait Klay de jouer dans des fêtes publiques : son langage intransigeant, ses positions politiques tranchées contre le système et ses antécédents judiciaires lui valurent d’être marginalisé, malgré la forte popularité dont il jouissait. L’imprésario de Hamzaoui proposa à ce dernier (et à Kafon) de continuer à jouer sans Klay, ce qui provoqua un échange d’insultes et de réponses cinglantes entre les deux artistes par chanson interposée [28]. Cette confrontation fut d’autant plus importante qu’elle illustrait bien le lien fort qui existait entre les deux formes de discipline que nous avons précédemment évoquées : les deux protagonistes naviguaient entre inclusion et répression.

La discipline par la répression

32Volcanis Le Roi, Weld El 15, Lady Sam, Madou MC, Emino, Phenix, T-MC, Brown, Killa MC ainsi que d’autres artistes déjà cités comme Klay BBJ et Kafon, comptèrent parmi les rappeurs arrêtés en Tunisie depuis la révolution. Les motifs de leur arrestation furent divers et pas nécessairement en lien avec le rap, même si, à l’intérieur de la scène, ils étaient souvent perçus comme l’une des manifestations de la campagne d’oppression menée contre les artistes et les jeunes des milieux défavorisés de manière plus générale.

33Weld El 15 capta l’attention des médias internationaux par sa chanson de 2013, « Boulicia Kleb [29] » (Les policiers sont des chiens), qui lui valut une condamnation à deux ans de prison (plus tard ramenée à six mois) pour diffamation envers des fonctionnaires de l’État et outrage à la morale publique [30]. Quelques mois plus tard, il fut à nouveau arrêté, cette fois-ci avec Klay BBJ, alors qu’ils se produisaient sur la scène du festival d’Hammamet. Lors de son arrestation, Weld El 15 fut brutalement molesté par les policiers. Finalement, les deux artistes furent acquittés [31]. L’écho médiatique de cette affaire généra une vaste campagne de solidarité internationale. Des rassemblements furent organisés en France et une série de chansons sur le thème « Sayeb 15 » (Libérez 15) furent diffusées par des rappeurs tunisiens [32]. Le rappeur Weld Zo, originaire de la ville de Gabès au sud de la Tunisie fut lui aussi arrêté en juillet 2015, pour avoir insulté la police sur scène [33]. Accusé d’avoir tenu des propos diffamatoires envers le Président lors d’une émission de télévision, T-MC, un rappeur issu d’un quartier très pauvre, Cité Béchir, passa six jours en garde à vue. Après les deux tragiques attaques terroristes qui secouèrent le pays en 2015, plusieurs rappeurs furent convoqués par les autorités policières qui les traitèrent de salafistes et d’apologistes du terrorisme.

34Dans de nombreux autres cas, la censure n’était pas clairement invoquée pour motiver les arrestations. La majorité des rappeurs tunisiens condamnés devaient leurs démêlés avec la justice à la funeste loi 52, passée sous Ben Ali, punissant les consommateurs de drogues (y compris les fumeurs de cannabis) à des peines sévères. Fumer un simple joint valut à beaucoup de jeunes tunisiens un an de prison ferme. Cette loi, sur la base de laquelle la majorité de la population carcérale fut jugée, fut perçue comme un outil de justification des arrestations à caractère politique. Elle fut interprétée par ses détracteurs (y compris la scène rap) comme l’un des dispositif-clés de la répression et des inégalités sociales dans le pays. Pour nombre de personnes interrogées, la drogue n’était qu’un prétexte pour arrêter des individus indésirables. La police avait toute latitude pour cacher des substances illicites dans leurs maisons ou leurs voitures afin de prouver leur culpabilité ou, du moins, recueillir toutes les informations possibles pour compromettre les personnes ciblées, et utiliser le délit de consommation de cannabis comme prétexte pour se débarrasser d’elles [34]. Par la suite, les interpellations pour usage de drogue furent souvent considérées comme fondamentalement politiques, en ce qu’elles visaient le plus souvent les couches les plus pauvres de la population. Alors que les jeunes privilégiés avaient recours aux pots-de­vin pour falsifier les tests et ne pas être emprisonnés, les « fils du quartier », eux, payaient le prix fort de la guerre contre la drogue. Pire encore, la loi 52 frappa leur mode de vie : au cœur de ces quartiers et au sein de la scène rap, le petit trafic de drogue et la consommation de cannabis étaient considérés comme des moyens de survie contre la pauvreté et la faim.

35Les rappeurs arrêtés étaient souvent considérés comme des martyrs de cette guerre. À leurs yeux, la police n’était pas simplement une émanation de l’État, mais un gang concurrent à part entière, persécutant les jeunes des quartiers, à la recherche de pots-de-vin et de l’extase du pouvoir.

36

Taher : « En Tunisie il y a une loi. Si tu insultes Dieu, tu attrapes deux ou trois mois de prison. Si t’insultes la police ils seront plus ! ».
Abdelkrim : « Tu vois ? Ils provoquent toujours : “T’as dit quoi ? Qu’est-ce que tu veux faire avec ta main ?” ».
Taher : « Car pour nous, c’est toujours rappeurs contre police […]. Ce sont des personnes qui deviennent flics pour avoir un tel pouvoir, un charisme, et tout ça. Car il a vécu une enfance, on dirait, il était méprisé [35] ».

37Les concerts pouvaient être interrompus par la police à tout moment, les rappeurs accusés arrêtés n’importe quand, de manière brutale et sans motif valable. Durant l’été 2013, devant la persistance de cette atmosphère délétère, le syndicat de la police annonça un boycott des concerts de rap. Il déclara que la police ne pouvait plus assurer la sécurité lors de ces manifestations, puisque les rappeurs pensaient que tous les policiers étaient corrompus. Le syndicat des rappeurs prit l’affaire en main et proposa de mener une médiation. Un des aspects de cette médiation consista à demander aux membres du syndicat d’éviter, dans leurs chansons, d’utiliser un langage insultant vis-à-vis de la police [36].

38Ce n’était là qu’un des nombreux exemples où la discipline par la répression nuisait non seulement à la scène rap, mais la construisait aussi. Certes, la crainte de l’oppression dictait sa loi aux rappeurs et influait sur la trajectoire que prenait leur art, comme cela fut le cas pour Wissem : « J’adore fumer de l’herbe, mais si je le mentionne dans mes chansons, plus personne ne m’invitera à des concerts. Je suis qui je suis parce que je garde mes chansons de rap clean. Mais ma vie, vous voyez comme elle est [sourire] [37] ». Bien sûr, les thèmes de l’oppression et ses conséquences furent une source inspiration, la police et la loi 52 constituant des sujets de prédilection du rap tunisien. La peur de la police modifiait les habitudes de vie des artistes. Les rappeurs, par exemple, fréquentaient assidûment certains lieux et préféraient en éviter d’autres. L’expérience de la prison était un aspect déterminant du rite de passage des rappeurs. Elle pouvait susciter une évolution brusque dans le style d’un rappeur, tout comme elle pouvait l’isoler des nouvelles tendances de la scène et faire en sorte que sa musique fût perçue comme ringarde au moment de sa libération. Le casier judiciaire d’un rappeur après sa sortie de prison pouvait lui porter préjudice pour effectuer un déplacement à l’étranger, alors que cette perspective était un véritable rêve pour de nombreux musiciens, et même parfois la raison pour laquelle ils avaient choisi de faire du rap. Dans ce contexte de risque permanent, la révolution ouvrit de nouveaux horizons servant d’éventuels filets de sécurité contre les aléas du rap. Dans le même temps, ces nouvelles possibilités créèrent d’autres problèmes, qui vinrent compliquer la vie des rappeurs ainsi que la construction de la scène.

J’aime Bajbouj : « démocratisation » et économie du rap

39Lors des premières élections post-révolution (pour une nouvelle Assemblée constituante), le 23 octobre 2011, pas moins de cent partis et mouvements présentèrent leurs candidats [38]. Les conséquences les plus visibles de l’ouverture de l’espace politique permirent, entre autres, une prolifération spasmodique de candidats en compétition pour gagner l’adhésion populaire. Une partie de ces concurrents s’empressèrent de monopoliser la rhétorique et l’esthétique de la révolution, y compris celles incarnées par la culture hip­hop et le rap. Les graffitis, le breakdance, le rap devinrent ainsi d’excellents moyens de propagande, non seulement pour les forces politiques qui s’érigeaient en « gardiens de la révolution », mais aussi pour ceux qui fondaient leur discours sur le maintien de la stabilité d’avant la révolution et le « sens de l’État ».

Le commerce des rappeurs politiques

40Depuis 2011, Ennahda et le Congrès pour la république (CPR, le parti du dissident de longue date, Moncef Marzouki, alors président de la République) en particulier, s’érigèrent en défenseurs de la révolution, contre la ténacité des personnalités de l’ancien régime et leurs méthodes. Ils apportèrent rapidement leur soutien à de célèbres rappeurs dont les noms étaient liés à la révolution et aux idées politiques des islamistes, comme El General et Psyco-M. Grâce à une poétique aux accents de géopolitique conspirationniste, Psyco­M se fit un nom sur la scène de la fin des années 2000. Il alimenta beaucoup de débats avec sa chanson « Manipulation », lancée en 2010 [39], qui lui valut un procès pour diffamation en raison des attaques qu’il y portait contre des personnalités du gratin mondain [40]. Il fut un moment considéré comme le rappeur « officiel » d’Ennahda. De nombreux membres de la scène étaient écœurés de cette allégeance, non pas parce que le rappeur soutenait un discours politique, mais plutôt parce qu’« il touchait l’argent », que ses mains étaient souillées par l’argent de la politique, ce qui entama sa crédibilité populaire. Psyco-M ne fut pas le seul rappeur à collaborer avec Ennahda. Plusieurs autres MC se produisirent lors des réunions du parti et bénéficièrent de ses ressources, un argument de poids, en particulier dans les quartiers les plus défavorisés, où même un home studio et un microphone n’étaient pas à la portée de tout le monde. La difficulté à lancer leur carrière poussa parfois les rappeurs à accepter le parrainage politique. Il n’était pas facile de discerner un véritable soutien d’un patronage artistique. Plus qu’un choix idéal, pour les rappeurs, la politisation était surtout une des options de carrière les plus sûres. Comme nous le confia Achref, un rappeur ayant sympathisé avec Ennahda :

41

« J’ai 32 ans maintenant et je ne fais que rapper. Je fais parfois de petits boulots, mais je dois gagner autant que je peux pour joindre les deux bouts à la fin du mois. Donc, je ne vois pas quel mal il y aurait à accepter un emploi de leur part ? […] De nos jours, la chanson que vous faites est tellement liée à votre sponsor. Je veux dire que celui qui vous sponsorise peut vous dicter ce que vous devez chanter ou pas. Donc, je vis de la manière dont j’ai décidé de vivre, mais je ne crois pas forcément aux chansons que je fais [41] ».

42Les niveaux d’engagement varient cependant. Marwen, par exemple, joua dans les festivals Ennahda, y compris sur l’avenue Bourguiba, mais refusa d’être associé de manière trop étroite au parti : « C’est mon parti, je l’aime, mais quand même j’ai refusé leur soutien, car je me sentirais moins indépendant dans mon rap. Même Psyco-M il a fait comme ça : il avait accepté d’être soutenu par eux, puis il s’est éloigné, car il se sentait trop lié [42] ».

43Au moment où se tenaient les nouvelles élections (législatives et présidentielles) à la fin de 2014, cette situation, que certains décrivaient comme un véritable « commerce de rappeurs », était devenue fréquente sur la scène rap. Les trois partis Ennahda, le CPR et Ettakatol (la Troïka, comme on les surnommait) qui furent aux affaires pendant trois années chaotiques, furent ensuite rejoints par de nouvelles forces politiques dans l’utilisation du langage hip-hop. El General composa un hymne électoral pour Marzouki, intitulé « #24 [43] », en référence au numéro du candidat sur le bulletin de vote. Un autre candidat, l’indépendant Mehrez Boussayane, surfa sur la vague du plus gros succès musical tunisien du moment et se proclama « candidat Houmani [44] ». Le milliardaire Slim Riahi, de l’Union patriotique libre, alla plus loin encore. Il invita Kafon en personne à participer à sa campagne, déclenchant le courroux de nombreux membres de la scène vis-à-vis du rappeur, et poussant même son partenaire Hamzaoui à prendre ses distances avec lui [45].

44En novembre 2014, deux artistes tagueurs avaient peint un panneau d’affichage près de la gare de Tunis. Il représentait un portrait de Beji Caid Essebsi, chef du parti Nidaa Tounes (post-RCD), portant l’inscription suivante : « J’aime Bajbouj » (Bajbouj étant le surnom de Beji Essebsi). Une vidéo présentant le film de sa conception apparut sur une page Facebook de sympathisants de Nidaa, sous-titré « Place de Barcelone : deux jeunes artistes tagueurs s’expriment et disent “J’aime Bajbouj” ». On découvrit très vite que les artistes en question étaient des membres du groupe Zomra, et qu’ils avaient été payés pour faire ce travail. Cela provoqua une série d’attaques contre le groupe, qui avait toujours été respecté pour son radicalisme anarchiste et sa position en retrait du marché. Les membres de Zomra répliquèrent en déclarant vouloir séparer leur expression artistique de leur travail de concepteurs graphiques et d’illustrateurs qui leur permettait de gagner leur vie grâce aux commissions de leurs clients [46]. Les membres du groupe affirmèrent plus tard avoir eux­mêmes détruit le panneau d’affichage. Selon d’autres personnalités de la scène, la collusion entre rappeurs et politiciens était en fait plus compliquée qu’on peut le penser. C’était l’avis de Yasser, un producteur très respecté et proche de plusieurs rappeurs (y compris Zomra), qui nous parla de son expérience sur la question, notamment après avoir été contacté par certains partis politiques :

45

« En Tunisie il y a un clash entre ceux qui sont dans le cercle et ceux qui sont dehors. Je parle de politique [Il baisse la voix]. Moi j’ai été contacté pendant les élections, pour mes artistes, mais j’ai refusé. Moi je connais le système, c’est une mafia. Tu ne vas plus te libérer d’eux, tu ne vas jamais t’en sortir pour ta volonté, et si jamais tu voudras le faire, ils vont te casser les jambes. Ils pourraient même arriver à te trouver un truc pour te faire arrêter. Et en plus, tu brûles ta crédibilité comme artiste, car tu vas toujours être associé avec eux [47] ».

46La plus forte dénonciation, encore une fois, vint de Klay BBJ, qui lança la chanson « Lesna lil bey3 [48] » (On n’est pas à vendre). La chanson était un diss (une critique ouverte) des personnalités fortunées se rendant dans les bidonvilles et « achetant » les pauvres. L’auteur y citait nommément Slim Riahi. Pourtant, certaines personnes de la scène questionnèrent la légitimité de ces attaques. Par exemple, Samy, un artiste visuel ayant travaillé avec de nombreux rappeurs, critiqua la contradiction existante entre la chanson et sa vidéo, à laquelle participaient le militant Azyz Amami et le journaliste Amine Mtiraoui : « Le paradoxe est que les figurants dans la vidéo sont des vendus. Amine Mtiraoui est responsable de communication de Nidaa Tounes, et Azyz Amami a travaillé à la communication pour le Front populaire. C’est la schizophrénie ! [49] ».

Les organismes internationaux et le « discours transitologique »

47Après avoir parlé de l’allégeance politique comme « corruption culturelle », le célèbre rappeur Sahbi déclara : « Il y a aussi une autre forme de corruption culturelle : celle de tout l’argent qui vient d’Europe [50] ». Sahbi faisait alors allusion à un ensemble de pratiques liées aux organismes internationaux qui voulaient promouvoir la culture du rap en Tunisie et documenter le phénomène. Ce monde fut souvent perçu par les membres de la scène comme un seul et même acteur, même s’il formait plutôt un ensemble hétérogène de personnes et d’institutions. Les instituts nationaux tels que le Goethe Institut (centre culturel allemand) ou l’Institut français organisaient des événements culturels en Tunisie ; les ONG internationales œuvraient au renforcement des libertés ; les associations musicales étrangères conviaient les rappeurs locaux à participer à des résidences d’artistes ou des festivals ; des journalistes ou de simples artistes venaient dans le pays pour réaliser un documentaire ou un reportage. Chacune de ces entités avait ses priorités et une vision qui lui étaient propres, qui pouvaient ne pas coïncider avec les programmes des différents intervenants (qu’il s’agisse de nations étrangères ou d’organisations supranationales). En outre, ces programmes furent constamment relayés par les institutions locales qui fournissaient un soutien logistique à l’organisation d’événements sur place, après avoir favorablement répondu à un appel à projets ou après avoir accepté de servir de branche locale d’associations internationales. L’exemple de l’ONG danoise Turning Tables illustrait bien une telle situation. L’ONG mit en œuvre plusieurs projets d’autonomisation à travers des ateliers de hip-hop destinés aux jeunes des pays pauvres. Turning Tables travailla en Tunisie en 2013. Elle mit en place un studio d’enregistrement à Tunis, organisa un festival (L’Angar) et produisit des collaborations entre certains rappeurs locaux et des artistes étrangers [51]. On peut aussi citer l’exemple de Debo, un studio d’enregistrement du centre-ville doublé d’un crew[52] rap, qui travailla (avec des partenaires étrangers) sur plusieurs ateliers dans les régions pauvres du Sud, dans le but d’apporter aux enfants de la région une alternative à la marginalité [53]. Art Solution était une association tunisienne spécialisée dans le domaine du hip-hop, la promotion de festivals et d’ateliers de breakdance, de graffitis et de rap. Elle collabora, par exemple, à l’édition nord-africaine du Redbull Battle of the Year (l’une des plus importantes compétitions mondiales de breakdance) [54].

48Ce complexe international servit de base à la structure de la scène : l’argent, l’expertise, la visibilité, les possibilités de voyager pour les rappeurs. Il se justifiait par la perception internationale du rap tunisien après la révolution : celui-ci était considéré comme un moteur de démocratisation et un moyen pour les populations pauvres d’exprimer leur désir d’égalité sociale et de participation. Même si une telle logique ne pouvait pas, à elle seule, expliquer l’enchevêtrement inextricable des idéologies, des programmes et des pratiques derrière chaque projet, une forme de discours transitologique semblait réunir de nombreux « concepts » des événements, appels à projet, descriptions des organisateurs. Par « transitologique », nous faisons ici appel à une vulgarisation du paradigme de science politique, connu sous le nom de « transitologie », qui conçoit l’histoire moderne comme une série de vagues de démocratisation. Sous cet angle, certains analystes considérèrent que la Tunisie était en phase de « transition vers la démocratie » qui, en fonction de circonstances particulières, pouvait soit réussir, soit avorter [55].

49L’idée que le rap était un atout pour cette transition, un vecteur de participation au jeu démocratique pour les jeunes défavorisés, ne prenait pas du tout la mesure de la complexité des messages délivrés dans la scène très diversifiée du rap (cela était aussi valable pour beaucoup de protagonistes de ces projets), un agglomérat d’anarchisme, de positions antisociales, de culture gangsta, d’islamisme radical, de rejet des idéologies et pouvoirs occidentaux et d’affiliation à d’autres solidarités politiques (centrées par exemple sur l’identité berbère).

50La question de l’islam était particulièrement délicate. Même les rappeurs qui n’avaient pas la même ligne politique que des partis tels qu’Ennahda, firent souvent montre d’une forte sensibilité politique musulmane radicale. Cette proximité fut souvent mal comprise par les observateurs occidentaux. Beaucoup tenaient pour acquis l’idée selon laquelle les artistes rebelles tels que les rappeurs adopteraient une lecture laïque de la liberté qu’ils préconisaient. Plusieurs parmi les personnes interrogées, par exemple, critiquèrent sévèrement une militante et réalisatrice franco-tunisienne qui avait organisé des résidences d’artistes à Paris et réalisé des documentaires sur le rap tunisien. Selon eux, elle avait manipulé le sens de leurs paroles pour présenter le rap comme opposé à l’islamisme [56]. On peut prendre comme autre exemple le cas de Sahbi déjà cité précédemment. Rappeur très célèbre et observateur averti des médias, il était également réputé pour son engagement dans la promotion des droits civils. Cela ne signifiait pas pour autant que Sahbi était enthousiasmé par les élections et le processus de « démocratisation » :

51

« Ils viennent dans un pays super instable comme la Tunisie, en crise, avec les flics partout. Tu lis la feuille du projet, et tu penses que c’est juste ça. Et après non, après ils te passent une autre feuille, tu la lis et tu trouves des mots bizarres : stabilité, maintenir la stabilité… Putain, c’est quoi ça ? Ou bien, on était dans cette période, sous le gouvernement d’une dictature [il fait référence à la Troïka], ils étaient en train de foutre le pays et on trouve écrit “il faut inviter les gens à voter”. Et pourquoi ? Je peux chanter un truc à quelqu’un et il peut se convaincre à voter, mais c’est son putain de choix ! [57] ».

52Alors que Sahbi critiquait la teneur politique des projets auxquels il avait affaire, un autre organisateur, Brahim, se plaignait de la façon dont les objectifs des organismes changeaient d’année en année selon la prégnance des événements politiques, et dont les énormes ressources financières qu’ils mobilisaient pour des projets étaient totalement gaspillées.

53

« Moi je crois que la breakdance peut changer les choses, je crois à ça. Mais si ça doit devenir le critère principal pour que je fais [sic] mes événements… allez-vous faire foutre. Si je reçois tout ce montant pour inviter un danseur étranger dans une région où il n’y a pas de danseurs, juste parce que cette région est “à la mode”… Je peux y ramener un danseur tunisien, pour faire un atelier d’initiation avec moins d’argent et utiliser les grosses sommes pour un truc qui soit important pour tout le Nord de l’Afrique. Je peux amener un danseur étranger pour un atelier avec des danseurs qui ont déjà un niveau. Ça va leur valoriser et même valoriser le danseur étranger. Moi je connais la scène mieux qu’eux [les bailleurs de fonds] [58] ! ».

54À quelques exceptions près, les membres de la scène « jouèrent le jeu ». Ils essayèrent d’exploiter cette situation sans se faire dévorer par elle, en essayant de tirer au maximum profit du flux de capitaux mobilisés par ces projets. Certains d’entre eux en profitèrent pour quitter le pays ou se lancer dans une carrière internationale. Plusieurs artistes avaient construit leur carrière sur les concerts à l’étranger. Ce fut le cas de Meriem, une femme rappeuse qui avait souvent participé à des festivals en Afrique et en Europe, figuré dans des compilations, et écrit des chansons avec des artistes internationaux reconnus. Elle était plus active à l’étranger que sur la scène locale. En tant que femme, c’était un choix presque obligé :

55

« Si je refuse les offres de jouer dans d’autres pays, je ne sais pas si je pourrais continuer à faire du rap. C’est stressant ici. Je ne dois jamais perdre de vue le fait que je suis une fille et une rappeuse et que j’ai envie de réussir. Ce n’est pas du tout facile pour les filles, je fais donc beaucoup d’efforts pour produire de bonnes chansons et parler de questions qui me préoccupent et d’autres sujets qui touchent directement les femmes. Aucune rappeuse ne pouvait avant faire du hip-hop dans la rue et même si elles le faisaient, elles ne parvenaient pas à capter l’attention du public. Mais maintenant, si vous téléchargez votre chanson sur un site et qu’une personne quelque part dans le monde s’y intéresse et qu’elle désire vous venir en aide, ils peuvent toujours me trouver [59] ».

56Pour Meriem, l’audience internationale lui permit de gérer les contraintes liées à sa condition de femme, de se rapprocher d’un public susceptible de mieux appréhender ses messages féministes et à caractère universel et de penser sérieusement à sa carrière. D’autres membres de la scène utilisèrent leur nom pour se lancer personnellement dans l’organisation d’événements, en « détournant » à leur avantage la vague transfrontalière de projets et de ressources qui inondait le pays. Certains d’entre eux répondirent favorablement à des appels à projets, en feignant d’accepter toutes les clauses que ces derniers comportaient, pour ensuite les aménager à leur façon. Dans des cas extrêmes, de l’argent « disparut » dans les poches de certains courtiers d’événements tunisiens. Ces pratiques divisèrent la scène : commentant le cas tristement célèbre d’un projet dans lequel des ressources financières furent détournées une fois arrivées en Tunisie, certains critiquèrent les personnes mises en cause et les traitèrent de voyous ayant souillé l’image du rap et ayant nui à d’autres possibilités de projets en cours de développement dans le pays qui auraient pu apporter plus de visibilité et de possibilités au rap local ; d’autres, au contraire, ne furent pas troublés par ce type d’escroqueries et acceptaient (à certaines conditions) le fait que ce soit de l’argent sale. Selon eux, les membres de la scène savaient mieux ce dont le rap tunisien ou les gens des quartiers pauvres avaient besoin. Alors, après tout, il était louable de prendre l’argent et de l’investir dans des projets autonomes qui pouvaient bénéficier à la scène.

57Le cas que nous venons de citer ci-dessus illustre parfaitement la manière dont le caractère politique de la scène tunisienne influa sur sa propre construction. Des facteurs politiques de natures différentes favorisèrent la mise sur pied d’une industrie parallèle, permettant de surmonter les défauts inhérents à l’industrie musicale en tant que telle. Alors que l’establishment de la musique tunisienne ne pouvait offrir aux rappeurs une véritable carrière, leurs allégeances politiques et des acteurs étrangers leur permirent d’avoir des perspectives nouvelles et de disposer de ressources. Il faut aussi noter que cet establishment était politiquement infiltré, à travers notamment l’intervention de l’État, la corruption dont il se servit pour discipliner la scène et les conséquences multiples de la répression. Hamza Meddeb proposa le modèle de la « course à el khobza » (« la course au pain ») pour montrer comment les Tunisiens pauvres survivaient grâce à une économie informelle qui, concomitamment, disciplinait leur vie quotidienne [60]. Dans la même veine, on peut remarquer que la gouvernance du rap exista grâce à une fusion du formel et de l’informel, aux confins de la dénonciation du pouvoir et de son renforcement par le jeu de la corruption. Exister à l’intérieur d’un tel pouvoir signifiait notamment d’essayer de le contourner et profiter, d’une certaine manière, de ses raccourcis et de ses pièges. Les membres de la scène se forgèrent une conduite en étant dans ce système, tout en préservant leur intégrité.

58Et pourtant, le sens général de l’intégrité dans la scène variait selon les conflits et les situations dans lesquels les rappeurs se trouvaient, et les choix et compromis qu’ils faisaient pour sortir de telle ou telle situation. La construction de la scène, ses logiques de base et son sens de la communauté s’avéraient instables, en raison de ces conflits de légitimité. La construction du « rap légitime » constituait, dans le même temps, un objectif pour les rappeurs, qui luttaient ainsi pour une reconnaissance, mais aussi une frontière en constante évolution de la scène elle-même. El General ou Kafon, pouvaient-ils prétendre être de vrais rappeurs ? Jusqu’où un rappeur pouvait-il aller sans perdre le respect ? Qui était à l’intérieur de la scène, qui était à l’extérieur ? Bien évidemment, l’économie restait le facteur déterminant quand il s’agissait de définir une telle frontière : chaque artiste voulait gagner sa vie, faire de la musique, voyager pour voir le monde. Dans cette quête, il devait juste choisir sa voie. Il pouvait être quelqu’un de la houma, un trafiquant de drogue ou finir en prison. Il pouvait aussi choisir la voie du compromis qui menait à une bonne carrière musicale. Le plus souvent, il s’agissait d’un mélange des deux [61].

59Lorsque nous demandâmes au musicien de la scène Samy ce qui, à ses yeux, représentait le succès dans le rap, il nous répondit : « C’est comme pour un guerrier : c’est quoi le succès pour un guerrier ? C’est de mener son combat [62] ». La géographie de la scène, la ligne entre l’intérieur et l’extérieur de la scène régresse ou avance au rythme de ces combats. Si les rappeurs sont des guerriers, la scène est leur front.

Notes

  • [1]
    L’analyse proposée ici est basée sur l’enquête ethnographique que nous avons menée en Tunisie, entre 2014 et 2015. Elham Golpushnezad a étudié le rap tunisien dans le cadre d’une recherche transnationale sur les rappeurs musulmans, réalisée entre la Tunisie, l’Indonésie, l’Iran et les États-Unis. Stefano Barone a travaillé sur les scènes rap, métal, et électro en Tunisie. Pour ces recherches, chacun de nous a eu recours aux entretiens, à l’observation participante et à l’analyse des paroles de chansons.
  • [2]
    Voir le clip vidéo de la chanson sur YouTube : Hamzaoui Med Amine et Kafon, « Houmani » [en ligne], Cloch’art production, 2013, <www.youtube.com/watch?v=mz3p3a4EiXA>, consulté le 22 août 2015.
  • [3]
    Voir A. Bennett et K. Kahn-Harris, After Subculture. Critical Studies in Contemporary Youth Culture, Londres, Palgrave Macmillan, 2004.
  • [4]
    K. Kahn-Harris, Extreme Metal. Music and Culture on the Edge, Londres, Berg, 2007.
  • [5]
    Voir K. Bouzouita, Underground versus Mainstream : anthropologie des dominations et des dissidences musicales, thèse de doctorat en anthropologie, Paris, Université Paris 8, 2013.
  • [6]
    K. Perkins, A History of Modern Tunisia, Cambridge, Cambridge University Press, 2014.
  • [7]
    B. Hibou, « Tunisie. Économie politique et morale d’un mouvement social », Politique africaine, n° 121, 2011, p. 6.
  • [8]
    K. Bouzouita, Underground versus Mainstream…, op. cit., p. 338.
  • [9]
    Afin de protéger la vie privée des personnes interrogées, nous avons eu recours à des pseudonymes.
  • [10]
    Le concept de MC (master of ceremony) est central dans la culture hip-hop : ce dernier est tout à la fois speaker, rappeur et animateur.
  • [11]
    Entretien avec Mondher, El Mourouj, 22 juin 2015.
  • [12]
    Entretien avec Mahmoud, Carthage, 1er mai 2015.
  • [13]
    Entretien avec Khaled, Carthage, 1er mai 2015.
  • [14]
    K. Bouzouita, « Music of Dissent and Revolution », Middle East Critique, vol. 22, n° 3, 2013, p. 281-292. Voir aussi S. Halila, « Rap and Islamism in Post-Revolutionary Tunisia », in A. Hamdar et L. Moore (dir.), Islamism and Cultural Expression in the Arab World, Londres/New York, Routledge, 2015, p. 222-238.
  • [15]
    K. Bouzouita, Underground versus Mainstream…, op. cit., p. 372-375.
  • [16]
    B. Hibou, La Force de l’obéissance. Économie politique de la répression en Tunisie, Paris, La Découverte, coll. « Textes à l’appui », 2006.
  • [17]
    B. Hibou, « Tunisie. Économie politique… », art. cité. H. Ayeb, « Social and Political Geography of the Tunisian Revolution : the Alfa Grass Revolution », Review of African Political Economy, vol. 38, n° 129, 2011, p. 467-479.
  • [18]
    Voir le clip de la chanson sur YouTube : El General, « Rayes Lebled » [en ligne], 2010, <www.youtube.com/watch?v=7yPZE313mk8>, consulté le 5 octobre 2015.
  • [19]
    N. Gana, « Rap and Revolt in the Arab World », Social Text, vol. 30, n° 4, 2012, p. 25-53.
  • [20]
    Y. Gonzalez-Quijano, « Le nouvel orientalisme et les jeunes rebelles : les rappeurs de la scène arabe » [en ligne], Contretemps, 25 août 2013, <www.contretemps.eu/interventions/nouvel-orientalisme-jeunes-rebelles-rappeurs-sc%C3%A8ne-arabe>, consulté le 7 octobre 2015.
  • [21]
    Entretien avec Seif, Tunis, 7 août 2014.
  • [22]
    Entretien avec Abdelkrim, Tunis, 8 août 2014.
  • [23]
    Il est intéressant de comparer la situation de la Tunisie avec celle du Maroc voisin, notamment la description qu’en fait Cristina Moreno-Almeida. La scène marocaine, plus développée que celle de la Tunisie, existe dans un espace ambigu que se partagent, d’une part le système de parrainage par les Makhzen des festivals et des movida nationaux en plein essor, d’autre part les rappeurs dans leur quête en tous genres de nouveaux espaces. Voir C. Moreno-Almeida, « Unravelling Distinct Voices in Moroccan Rap : Evading Control, Weaving Solidarities, and Building New Spaces for Self-Expression », Journal of African Cultural Studies, vol. 25, n° 3, 2013, p. 319-332.
  • [24]
    « En Tunisie, des rappeurs lancent un syndicat » [en ligne], Libération, 10 octobre 2013, <http://www.liberation.fr/monde/2013/10/10/en-tunisie-des-rappeurs-lancent-un-syndicat_938511>, consulté le 12 octobre 2015.
  • [25]
    Entretien avec Taher, Tunis, 8 août 2014.
  • [26]
    Entretien avec Hakim, Tunis, 11 février 2015.
  • [27]
    « Kafon promet d’éviter les gros mots à cause de son public mineur » [en ligne], Tuniscope, 30 juillet 2014, <www.tuniscope.com/article/50203/vie/stars/mineur-170919>, consulté le 28 janvier 2016.
  • [28]
    « Hamzaoui Med Amine : prochainement un duo avec Klay BBJ » [en ligne], Mosaïque FM, 31 janvier 2015, <www.mosaiquefm.net/fr/index/a/ActuDetail/Element/47382-hamzaoui-med-amine-prochainement-un-duo-avec-klay-bbj>, consulté le 15 octobre 2015. Pour suivre la chronologie du clash, voir « El Karar à Goum Barrawah : le feuilleton des clashs entre Klay BBJ & Hamzaoui » [en ligne], Web Mag, <www.wled-el-banlieue.com/2015/02/les-clashs-rap-klay-bbj-hamzaoui.html>, consulté le 15 octobre 2015.
  • [29]
    Weld El 15, « Boulicia Kleb » [en ligne], From the Space City, YouTube, 2013, <www.youtube.com/watch?v=6owW_Jv5ng4>, consulté le 15 octobre 2015.
  • [30]
    « Six mois avec sursis pour Weld El 15 : l’avocat veut un non-lieu » [en ligne], Huffington Post Maghreb, 2 juillet 2015, <www.huffpostmaghreb.com/2013/07/02/weld-el-15-sursis_n_3533635.html>, consulté le 15 octobre 2015.
  • [31]
    « Arrestation Weld El 15 et Klay BBJ au festival de Hammamet, Fethi Heddaoui : “être artiste c’est être politiquement incorrect” », Huffington Post Maghreb, 23 août 2013, <www.huffpostmaghreb.com/2013/08/23/weld-15-klay-bbj-arretes_n_3803000.html>, consulté le 15 octobre 2015.
  • [32]
    Voir le clip vidéo le plus connu : Lak3y, Madou, Htounsi, Wistar, Balti, Blidog, Klay BBJ, Gas, Crack, « Sayeb 15 » [en ligne], YouTube, 2013, <www.youtube.com/watch?v=yO7LBVZ_68E>, consulté le 15 octobre 2015.
  • [33]
    « Gabès : un rappeur arrêté pour outrage à la police » [en ligne], Kapitalis, 7 juillet 2015, <kapitalis.com/tunisie/2015/07/07/gabes-un-rappeur-arrete-pour-outrage-a-la-police/>, consulté le 15 octobre 2015.
  • [34]
    Voir, par exemple, l’histoire du rappeur Volcanis Le Roi : S. Ben Gharbia, « Tunisia Arrests Young Rapper after Online Protest » [en ligne], Nawaat, 27 janvier 2012, <nawaat.org/portail/2012/01/27/tunisia-arrests-young-rapper-after-online-protest-song/>, consulté le 16 octobre 2015.
  • [35]
    Entretien avec Taher et Abdelkrim, Carthage, 8 août 2014.
  • [36]
    « La relation entre la police et les rappeurs sera-t-elle, un jour, moins tendue ? » [en ligne], Kapitalis, 10 octobre 2013, <www.kapitalis.com/culture/18609-la-relation-entre-la-police-et-les-rappeurs-sera-t-elle-un-jour-moins-tendue.html>, consulté le 16 octobre 2015.
  • [37]
    Entretien avec Wissem, Tunis, 5 septembre 2014.
  • [38]
    E. C. Murphy, « The Tunisian Elections of October 2011 : a Democratic Consensus » [en ligne], The Journal of North African Studies, vol. 18, n° 2, 2012, p. 231-247.
  • [39]
    Psyco-M, « Manipulation » [en ligne], Blanka Production, YouTube, 2011, <www.youtube.com/watch?v=d_R5wjUXYX8>, consulté le 22 octobre 2015.
  • [40]
    « Psyco-M contre Sawsen Mâalej et Olfa Youssef : l’affaire passe devant la justice » [en ligne], Tunisia SAT Forums, 17 décembre 2010, <www.tunisia-sat.com/forums/threads/1498665/>, consulté le 7 mars 2016.
  • [41]
    Entretien avec Achref, Tunis, 27 septembre 2014.
  • [42]
    Entretien avec Marwen, Tunis, 14 février 2015.
  • [43]
    El General, « #24 » [en ligne], YouTube, 2014, <www.youtube.com/watch?v=N3lZVRAIuaU>, consulté le 22 octobre 2015.
  • [44]
    « Mehrez Boussaïane : je suis un candidat ‘‘Houmani’’ » [en ligne], Mosaique FM, 6 novembre 2014, <www.mosaiquefm.net/fr/index/a/ActuDetail/Element/43881-mehrez-boussaiane-je-suis-un-candidat-houmani>, consulté le 22 octobre 2015.
  • [45]
    H. Chennaoui, « Élections 2014 : l’underground tunisien récupéré par le politique ? » [en ligne], Nawaat, 19 novembre 2014, <nawaat.org/portail/2014/11/19/elections-2014-lunderground-tunisien-recupere-par-le-politique/>, consulté le 26 octobre 2015. Kafon a chanté pour Beji Caid Essebsi lors du second tour de la présidentielle.
  • [46]
    H. Chennaoui, « Élections 2014… », art. cité.
  • [47]
    Entretien avec Yasser, Tunis, 6 mars 2015.
  • [48]
    Klay BBJ, « Lesna lil bey3 » [en ligne], YouTube, 2014, <www.youtube.com/watch?v=TC0eMu2SsXo>, consulté le 26 octobre 2015.
  • [49]
    Entretien avec Samy, Tunis, 8 mai 2015.
  • [50]
    Entretien avec Sahbi, Tunis, 3 mai 2015.
  • [51]
    Voir le site Internet de Turning Tables, <turningtables.org/>, consulté le 26 octobre 2015.
  • [52]
    Dans le domaine du hip-hop, une crew est un collectif d’artistes de différentes disciplines (rap, DJing, dance, graffiti) qui collaborent et font montre d’une identité collective, à travers un nom commun, un tag, et souvent l’ambition de « représenter » un quartier.
  • [53]
    Voir la page Facebook de Debo [en ligne], <www.facebook.com/deboworld/?fref=ts>, consulté le 7 mars 2016.
  • [54]
    Voir la page Facebook d’Art Solution [en ligne], <www.facebook.com/WeARTSolution/info>, consulté le 26 octobre 2015.
  • [55]
    Pour mieux comprendre le débat sur la transitologie, voir F. Cavatorta, « No Democratic Change… and Yet No Authoritarian Continuity : the Inter-Paradigm Debate and North Africa After the Uprisings », British Journal of Middle Eastern Studies, vol. 42, n° 1, 2015, p. 1-11.
  • [56]
    Le délicat traitement des rappeurs islamistes par les institutions parties prenantes et les incompréhensions qu’une telle situation a générées, ont été analysés par Hisham Aïdi dans le contexte européen. Voir H. Aïdi, Rebel Music. Race, Empire and the New Muslim Youth Culture, New York, Vintage Books, 2014, p. 205-211.
  • [57]
    Entretien avec Sahbi, Tunis, 3 mai 2015.
  • [58]
    Entretien avec Brahim, La Marsa, 30 juin 2015.
  • [59]
    Entretien avec Meriem, Nabeul, 24 septembre 2014.
  • [60]
    H. Meddeb, « L’ambivalence de la course à “el khobza”. Obéir et se révolter en Tunisie », Politique Africaine, n° 121, 2011, p. 35-51.
  • [61]
    Cette production de la légitimité et les positionnements conflictuels qu’elle a engendrés peuvent être lus à travers le prisme de la catégorie de champs de Pierre Bourdieu. Voir P. Bourdieu, Les règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire, Paris, Seuil, 1992.
  • [62]
    Entretien avec Samy, Tunis, 8 mai 2015.
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