Notes
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[1]
L’élaboration de ce dossier a bénéficié d’un séminaire, organisé dans le cadre du groupe de recherche « Sociologie historique de l’économique » et dirigé par Béatrice Hibou. Nous sommes reconnaissants au CERI/Sciences Po de l’opportunité ainsi fournie et à nos collègues qui ont commenté les présentations orales : tous nos remerciements donc à Richard Banégas, Jean-François Bayart, Vincent Gayon, Frédéric Pierru, Keith Hart et Jean-Pierre Warnier.
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[2]
J.-F. Bayart, « Le politique par le bas en Afrique noire », Politique africaine, n° 1, mars 1981, p. 53-82 ; J.-F. Bayart, A. Mbembe, C. Toulabor, Le Politique par le bas en Afrique noire, édition revue et augmentée, Paris, Karthala, 2008.
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[3]
P. Geschiere, « Le politique en Afrique : le haut, le bas et le vertige », Politique africaine, n° 39, octobre 1990, p. 155-160.
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[4]
Toutes ces expressions sont tirées de M. de Certeau, L’Invention du quotidien, tome1 - Arts de faire, tome 2- Habiter, cuisiner, Paris, Gallimard, 1990. Michel de Certeau a fortement inspiré les auteurs de la « politique par le bas ».
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[5]
Comme le rappelle J. K. Galbraith, « Les prévisions officielles dans le domaine économique ne sont pas censées être “justes” ; elles ne font que refléter les vœux des gouvernements » (cité par F. Lebaron, La Crise de la croyance économique, Bellecombe-en-Bauges, Les Éditions du Croquant, 2010, p. 41).
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[6]
F. Fourquet, Les Comptes de la puissance. Histoire de la comptabilité nationale et du plan, Paris, Encres, éditions recherches, 1980. Cet ouvrage nous a particulièrement inspiré dans cette réflexion sur la macroéconomie par le bas.
-
[7]
A. Terray, Des francs-tireurs aux experts. L’organisation de la prévision économique au ministère des Finances, 1948-1968, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2002 ; A. Desrosières, Gouverner par les nombres, l’argument statistique, tome 2, Paris, Presses de l’École des Mines, 2008, en particulier le chapitre 3 : « La naissance d’un nouveau langage statistique entre 1940 et 1960 », p. 61-78.
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[8]
R. Delorme et C. André, L’État et l’économie. Un essai d’explication de l’évolution des dépenses publiques en France (1870-1980), Paris, Le Seuil, 1983.
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[9]
A. Desrosières, « Historiciser l’action publique : l’État, le marché et les statistiques », in P. Laborier et D. Trom (dir.), Historicités de l’action publique, Paris, PUF, 2003, p. 207-221 et La Politique des grands nombres. Histoire de la raison statistique, Paris, La Découverte, 1993 ; T. Porter, Trust in Numbers. The Pursuit of Objectivity, in Science and Public Life, Princeton University Press, 1995 ; M. Mespoulet, Construire le socialisme par les chiffres. Enquêtes et recensements en URSS de 1917 à 1991, Paris, Ined, 2008 ; E. Didier, En quoi consiste l’Amérique ? Les statistiques, le New Deal et la démocratie, Paris, La Découverte, 2009.
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[10]
A. Desrosières, art. cit.
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[11]
On reconnaîtra évidemment ici l’analyse qu’offre Jean-François Bayart de l’État-rhizome dans L’État en Afrique. La politique du ventre, Paris, Fayard, 2006 (1ère éd. 1989).
-
[12]
B. Hibou (dir.). La Privatisation des États, Paris, Karthala, 1999 et le dossier « L’État en voie de privatisation ? », Politique africaine, n° 73, mars 1999, p. 6-121.
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[13]
M. Foucault, « Nietzche, la généalogie, l’histoire », in D. Defert et F. Ewald (dir.), Dits et Écrits, tome 2, Paris, Gallimard, 1994, p. 136-156 et Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975 ; voir également F. Fourquet, Richesse et puissance. Une généalogie de la valeur, Paris, La Découverte, 2002 (1ère éd. 1989).
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[14]
F. Fourquet, Richesse et puissance, op. cit., p. 19.
-
[15]
A. Desrosières, art. cit. ; A. Terray, Des francs-tireurs aux experts…, op. cit. ; A. Vanoli, Une histoire de la comptabilité nationale, Paris, La Découverte, 2002.
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[16]
Sur les « cadres sociaux » de production de la pensée économique, voir J. Weiller et G. Dupruigrenet-Desroussilles, Les Cadres sociaux de la pensée économique, Paris, PUF, 1974, et J. Weiller et J. Coussy (dir.), Économie internationale, vol. 2, Internationalisation et intégration… ou coopération (faits, théorie et politiques), Paris, Mouton, 1978.
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[17]
Voir R. H. R. Harper, Inside the IMF. An Ethnography of Documents, Technology and Organisational Action, San Diego, Academic Press, 1998 ; M. Séruzier, « Une discipline spécifique : la mesure en macroéconomie » et « À propos du débat sur les liens entre micro-données et macro-données », Statéco, n° 90-91, 1998, p. 21-32 et p. 35-40.
-
[18]
M. Séruzier, « À propos du débat sur les liens entre micro-données et macro-données… », art. cit.
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[19]
M. Séruzier, « Une discipline spécifique : la mesure en macroéconomie », art. cit., p. 23-24.
-
[20]
Voir A. Desrosières, Gouverner par les nombres…, op. cit, chapitre 11, « Du réalisme des objets de la comptabilité nationale », p. 257-266.
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[21]
Cette subjectivité inhérente à la comptabilité est plus générale, les normes comptables privées reflétant également un jugement sur les méthodes de valorisation des entreprises. Voir M. Capron (dir.), Les Normes comptables internationales, instruments du capitalisme financier, Paris, La Découverte, 2005.
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[22]
M. Séruzier, « Une discipline spécifique : la mesure en macroéconomie », art. cit., p. 28.
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[23]
Un tel débat fait même l’objet du premier chapitre du manuel de référence de la comptabilité nationale, OCDE, Banque mondiale, Commission européenne, Nations unies, Fonds monétaire international, Système de comptabilité nationale 1993 (SCN 93), New York, Nations unies, 1994.
-
[24]
Voir A. Desrosières, « Deux conceptions des relations entre micro et macro-données, commentaire de l’article de Michel Séruzier : “Une discipline spécifique : la mesure en macroéconomie” », Statéco, n° 90-91, 1998, p. 33-34.
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[25]
Voir l’illustration qu’en donne F. Pierru sur les politiques de la santé en France dans Hippocrate malade de ses réformes, Bellecombe-en-Bauges, Éditions du Croquant, Savoir/Agir, 2007.
-
[26]
Pour une analyse des jugements impliqués par le travail routinier des statisticiens, voir L. Boltanski, L. Thévenot, De la justification. Les économies de la grandeur, Paris, Gallimard, 1991.
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[27]
A. Siné, L’Ordre budgétaire. L’économie politique des dépenses de l’État, Paris, Economica, 2006 ; A. Desrosières, « Deux conceptions des relations entre micro et macro-données », art. cit.
-
[28]
M. de Certeau, L’Invention du quotidien, tome 1, op. cit.
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[29]
Jane Guyer, Marginal Gains : Monetary Transactions in Atlantic Africa, University of Chicago Press, 2004 ; A. Riles, Documents, Artifacts of Modern Knowledge, University of Michigan Press, 2006 ; M. Strathern (dir.), Audit Cultures : Anthropological Studies in Accountability, Ethics and the Academy, Londres, Routledge, 2000 ; R. H. R. Harper, Inside the IMF…, op. cit.
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[30]
M. Callon, « An essay on Framing and Overflowing : Economic Externalities Revisited by Sociology », in M. Callon (dir.), The Laws of the Market, Oxford, Wiley-Blackwell, 1998 ; M. Callon, P. Lascoumes et Y. Barthe, Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, Paris, Le Seuil, 2001.
-
[31]
R. H. R. Harper, Inside the IMF…, op. cit. ; O. Vallée, La Police morale de l’anticorruption, Paris, Karthala, 2010 ; J. Coussy, « États africains, programmes d’ajustement et consensus de Washington », L’Économie politique, n° 32, 2006, p. 29-40 ; R. Meier et M. Raffinot, « S’approprier les politiques de développement : nouvelle mode ou vieille rengaine ? Une analyse à partir des expériences du Burkina Faso et du Rwanda », Revue Tiers-Monde, vol. 46, n° 183, 2005, p. 625-649.
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[32]
Voir également son Marginal Gains. Monetary transactions in Atlantic Africa, op. cit. et W. Espeland, « Commensuration asa Social Process », Annual Review of Sociology, vol. 24, 1998, p. 313-343.
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[33]
Voir B. Hibou, « Économie politique du discours de la Banque mondiale en Afrique : du catéchisme économique au fait (et méfait) missionnaire », Les Études du CERI, n° 39, mars 1998.
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[34]
F. Lordon, Les Quadratures de la politique économique, op. cit.
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[35]
Voir F. Lebaron, La Croyance économique. Les économistes entre science et politique, Paris, Le Seuil, 2000 ; voir aussi l’analyse du rôle des croyances, des représentations et des forces collectives que donne André Orléan dans L’Empire de la valeur. Refonder l’économie, Paris, Le Seuil, 2011.
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[36]
On reconnaîtra là la tradition littéraire de la fiction, travaillée en sciences sociales notamment par Michel Foucault, Roland Barthes et Herbert Marcuse.
-
[37]
R. H. R. Harper, Inside the IMF…, op. cit., p. 122.
-
[38]
G. Deleuze, Pourparlers : 1972-1990, Paris, Éditions de Minuit, 1990 et J.-F. Bayart, L’Illusion identitaire, Paris, Fayard, 1996.
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[39]
Outre sa contribution au numéro, voir M. Jerven, « Users and Producers of African Income : Measuring the Progress of African Economies », Simons Papers in Security and Development, n °7, 2010, Simon Fraser University, Vancouver, octobre 2010.
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[40]
Voir par exemple T. Porter, Trust in Numbers…, op. cit. ; A. Desrosières, La Politique des grands nombres… op. cit. ; A. Ogien, L’Esprit gestionnaire. Une analyse de l’air du temps, Éditions de l’EHESS, 1995 ; A. Blum, M. Mespoulet, L’Anarchie bureaucratique. Statistiques et pouvoirs sous Staline, Paris, La Découverte, 2003.
-
[41]
A. Wildavsky, The Politics of the Budgetary Process, Boston, Little Brown, 1979 (1ère éd. 1964) ; R. Delorme et C. André, L’État et l’économie…, op. cit. ; A. Siné, L’Ordre budgétaire…, op. cit. ; pour une vue d’ensemble sur ces travaux, voir le livre de P. Bezès et A. Siné, Gouverner (par) les finances publiques, Paris, Presses de Sciences Po, 2011.
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[42]
Voir par exemple les travaux conduits à la suite de l’ouvrage de Pierre Lascoumes et Patrick le Galès, Gouverner par les instruments, Paris, Presses de Sciences Po, 2004 ; P. Bezès, Réinventer l’État. Les réformes de l’administration française (1962-2008), Paris, PUF, 2009 ; F. Pierru, Hippocrate malade de ses réformes…, op. cit. ; M. Strathern (dir.), Audit cultures…, op. cit. ; A. Ogien, L’Esprit gestionnaire…, op. cit. Dans les contextes africains, voir B. Samuel, « Le cadre stratégique de lutte contre la pauvreté et les trajectoires de la planification au Burkina Faso », art. cit. ; D. Darbon, « Réformer ou reformer les administrations projetées des Afriques ? », Revue française d’administration publique, no 105-106, 2003, p. 135-152.
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[43]
Voir également K. Nubukpo, L’Improvisation économique en Afrique. Du coton au franc CFA, Paris, Karthala, 2011.
-
[44]
J. Coussy, « États africains, programmes d’ajustement et consensus de Washington », art. cit.
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[45]
On peut aussi analyser de la sorte la position de James Ferguson, qui voyait dans les méthodes de l’ajustement le véhicule d’une nouvelle économie morale de l’exercice du pouvoir : J. Ferguson, « From African Socialism to Scientific Capitalism : Reflexion on the Legitimation Crisis in IMF-Ruled Africa », in D. Moore et G. Schmitz (dir.), Debating Development Discourse : Institutionnal and Popular Perspectives, New York/Londres, St Martin Press/MacMillan, 1995.
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[46]
R. H. R. Harper, Inside the IMF…, op. cit. ; J. Ferguson, Anti-Politics Machine…, op. cit. ; B. Hibou, « Économie politique du discours de la Banque mondiale en Afrique…, art. cit. ; J. Coussy, « États africains, programmes d’ajustement et consensus de Washington », art. cit. ; O. Vallée, La Police morale de l’anticorruption…, op. cit.
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[47]
Notamment de la part des tenants d’une critique de la gouvernance comme mode de domination hégémonique du néolibéralisme : pour eux, la macroéconomie présente comme naturel le passage à un nouvel ordre capitaliste. Voir J. Ferguson, « From African Socialism to Scientific Capitalism… », art. cit. ; T. Mitchell, Rule of Experts : Egypt, Techno-Politics, Modernity, Berkeley, The University of California Press, 2002 ; B. Campbell, « La bonne gouvernance, une notion éminemment politique », in Haut Conseil de la Coopération Internationale, Les non-dits de la bonne gouvernance, Karthala, Paris, 2001, p. 119-149 ; J. Elyachar, Markets of Dispossession : NGOs, Economic Development, and the State in Cairo, Durham, N.C., Duke University Press, 2005.
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[48]
A. Mbembe, De la postcolonie. Essai sur l’imagination politique dans l’Afrique contemporaine, Paris, Karthala, 2000 ; J.-M. Ela, Innovations sociales et renaissance de l’Afrique noire. Les défis du « monde d’en-bas », Paris, L’Harmattan, 1998 ; J. Elyachar, Markets of Dispossession…, op. cit.
-
[49]
P. Macherey, De Canguilhem à Foucault, la force des normes, La Fabrique, Paris, 2009 ; B. Hibou, Anatomie politique de la domination, Paris, La Découverte, 2011.
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[50]
J. Coussy, « Greffes de normes étrangères et pénétration de l’économie globale dans les sociétés africaines », in G. Winter (dir.), Inégalités et politiques publiques en Afrique, Paris, Karthala, 2001 ; B. Samuel, « Le cadre stratégique de lutte contre la pauvreté et les trajectoires de la planification au Burkina Faso », art. cit. ; B. Hibou, « Les marges de manœuvre d’un “bon élève” économique : la Tunisie de Ben Ali », Les Études du CERI, n° 60, décembre 1999 ; Olivier Vallée, La Police morale de l’anticorruption…, op. cit.
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[51]
Michael Power, La Société de l’audit, l’obsession du contrôle, Paris, La Découverte, 2004.
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[52]
Expression de François Fourquet dans Les Comptes de la puissance…, op. cit., p. 372.
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[53]
« This is ultimately the purpose of missions : not description, not reporting, but enabling policy », in R. H. R Harper, Inside the IMF…, op. cit., p. 212.
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[54]
Cet accent que les fictions macroéconomiques mettent sur la stabilité est aussi bien mis en évidence dans les pays occidentaux (F. Lordon, Les Quadratures de la politique économique, op. cit.) que dans les pays africains : B. Hibou, La Force de l’obéissance, op. cit. et « Les marges de manœuvre… », art. cit. ; S. Elbaz, « Quand le régime du “changement” prône la “stabilité” : mots et trajectoire de “développement” en Tunisie », Revue Tiers Monde, n° 200, 2009, p. 821-835.
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[55]
M. Weber, Économie et société, tome 1 - Les catégories de la sociologie, Paris, Agora, 2003. Pour une réflexion sur la macroéconomie comme ordre, voir B. Théret, Les Régimes économiques de l’ordre politique. Esquisse d’une théorie régulationniste des limites de l’État, Paris, PUF, 1992 ; et pour le cas du budget, A. Siné, L’Ordre budgétaire…, op. cit.
1Que veut dire le fait que certains pays africains, comme le Ghana, le Nigeria, ou l’Angola soient aujourd’hui mieux notés que la Grèce, Chypre ou le Portugal sur la base de données macroéconomiques ? Que penser des discours sur les succès économiques qui se fondent sur la croissance du produit intérieur brut (PIB), faisant des taux annuels de 8 % que connaissent le Mozambique ou le Rwanda des exemples à suivre ? Comment les populations africaines comprennent-elles et intègrent-elles dans leurs stratégies les raisonnements sur la macroéconomie ? L’objectif de ce dossier [1] est d’apporter un éclairage sur ces interrogations en adoptant une démarche « par le bas », directement issue des travaux publiés au tournant des années 1980 dans les colonnes de Politique africaine [2].
2Une analyse sociopolitique des pratiques qui entourent objets et politiques macroéconomiques fournit en effet des éléments de réponse. Ainsi il n’est pas de notation financière des États sans déploiement en Afrique de nouveaux acteurs financiers et de nouveaux instruments, à l’instar des activités florissantes de J. P. Morgan, de l’émergence de puissants groupes nigérians tournés vers le capital-risque ou de la multiplication des investissements de fonds spéculatifs américains, indiens ou chinois. Ces nouvelles techniques bouleversent les relations socio-politiques et les rapports de force au sein des sociétés africaines et offrent à ces acteurs la possibilité d’accéder à de nouvelles positions de pouvoir. Il n’est pas non plus de publication de taux de croissance miraculeux sans intervention de bureaucrates d’instituts nationaux de la statistique. Ces derniers mettent en œuvre leurs savoirs techniques sur la statistique et la comptabilité, mais ils sont aussi parfois directement soumis à l’autorité de dignitaires du régime et sont surtout encadrés par les contraintes du politiquement pensable. Ces taux de croissance ne sont pas non plus produits sans que des fonctionnaires internationaux de Washington ou de Paris, dans un rapport plus ou moins lointain aux réalités économiques du pays, n’apportent leur touche, en édictant les « bonnes » méthodes de calcul ou en bricolant avec les équipes nationales. Il n’est pas, enfin, de mesure de politique monétaire ou budgétaire qui n’affecte les circuits populaires du crédit, leurs intermédiaires et usuriers servant in fine de relais aux décisions de la Banque centrale… Toutes ces considérations montrent que la macroéconomie peut être approchée par des pratiques banales et quotidiennes du politique, au-delà des raisonnements abstraits usuellement associés à cette discipline.
3Que signifie alors l’adoption d’une lecture de la macroéconomie inspirée du « politique par le bas » ? La démarche est bien connue et il n’est pas nécessaire de revenir longuement sur elle. Mais il nous semble important d’en rappeler deux éléments, fondamentaux pour notre questionnement. D’une part, l’approche « par le bas » entend aborder la macroéconomie par les pratiques, par les processus de formation au quotidien, par les acteurs, quelle que soit leur position au sein de la hiérarchie sociale. Elle vise à la « débusquer dans des endroits inattendus » [3] et notamment dans les rapports sociaux et les relations de pouvoir. C’est donc une démarche qui met en valeur l’hétérogénéité, la richesse et la complexité des pratiques macroéconomiques, le caractère pluriel et contradictoire des logiques d’action, des techniques, des dispositifs de pouvoir qui les forment. Ainsi, la macroéconomie n’est pas le corpus théorique des économistes ; elle n’est pas non plus la tentative de rationalisation des politiques économiques que les praticiens considèrent usuellement. Elle est appréhendée au contraire comme lieu des luttes sociales et des rapports de force, comme mode de gouvernement.
4D’autre part, il ne s’agit en aucun cas de différencier un « haut » (une macroéconomie définie, conçue et interprétée par l’État) et un « bas » (une macroéconomie reçue, comprise et traduite par la population). Il ne s’agit pas d’opposer des experts (détenteurs du savoir et formés aux techniques de la macroéconomie), aux profanes (exclus de la compréhension des phénomènes économiques), ou des élites (qui maîtriseraient les rouages de la macroéconomie) aux subalternes (qui n’en comprendraient que l’imposition d’un ordre) ou encore des dirigeants (qui mettraient en œuvre des politiques économiques) et des dirigés (qui les subiraient). Au contraire, tous les acteurs sont sujets de la macroéconomie lue par le bas, parties prenantes à la production macroéconomique comme processus social.
5On comprendra dès lors que nous ne sommes pas intéressés à qualifier les politiques économiques de « bonnes » ou « mauvaises », à retenir une perspective normative et fonctionnaliste attribuant des mérites respectifs à différentes doctrines (interventionniste, libérale, néolibérale, développementaliste…), ni à souligner l’adéquation ou l’inadéquation des politiques à des principes macroéconomiques universellement admis, encore moins à rechercher des causalités d’ordre macroéconomique. Penser la macroéconomie par le bas, c’est réfléchir en termes d’acteurs et de stratégies, de « manières de faire », de différents « types d’opérations » qui font la macroéconomie « en pratique » [4], bref, la comprendre comme un ensemble de procédures, de codes, de jeux d’actions propres à des lieux, des circonstances et des moments historiques.
La macroéconomie, une pratique et une pensée d’État
6L’approche par le bas n’est évidemment pas synonyme de rejet de l’État en tant qu’acteur et sujet de la macroéconomie. Bien au contraire, cette dernière est avant tout une pratique étatique. Elle reflète l’activité gouvernementale et est constitutive de l’action publique. Échafaudée dans les bureaux des ministères des Finances ou de l’Économie, la macroéconomie permet la construction d’une représentation officielle du pays. Elle permet à l’État de définir et d’afficher des « orientations » et des « priorités » afin d’intervenir sur l’économie. La Tunisie – comme, dans une moindre mesure, le Burkina Faso – pouvait ainsi afficher dans les années 2000 des politiques volontaristes, figurant un État social et bienveillant. Il en va de même des jeunes États africains qui tentaient de développer dans les années 1970 des stratégies d’investissement industriel et agricole pour assurer leur croissance et réduire leur « dépendance ». C’est le cas également des États camerounais ou nigérian qui mettent aujourd’hui en avant leur détermination à assurer une gestion rigoureuse des fonds publics et à lutter contre le gaspillage et la corruption. Autrement dit, la macroéconomie est une des expressions de la parole d’État [5]. La légitimité étatique passe en partie par la définition de « bonnes » politiques économiques, par de « bonnes » orientations et par de « bons » résultats macroéconomiques. Mais ce que nous voudrions souligner ici c’est que, plus profondément, la macroéconomie est une pensée d’État.
7Elle est en effet une réflexion sur les ressorts de la richesse nationale et sur les moyens de l’accroître grâce à la science économique. La macroéconomie a connu un essor dans les pays occidentaux avec le keynésianisme de l’après-guerre, tandis qu’elle naissait en Afrique avec l’indépendance et la construction de l’État national, s’incarnant alors largement dans l’État planificateur et interventionniste. Elle traduit l’apparition d’une nouvelle réflexion sur le rôle, la place et la dimension économique de l’État jusqu’alors considéré d’abord dans sa dimension politique. En ce sens c’est incontestablement une préoccupation du Prince. Comme François Fourquet l’a montré à propos de la France, il existe un lien fondamental entre macroéconomie, désir de croissance et volonté de définir une stratégie nationale en vue d’augmenter la puissance du pays, lien qui est passé par la construction d’outils tels que la planification, la comptabilité nationale, la prévision et la définition de catégories macroéconomiques [6]. Jusqu’aux années 1970, la macroéconomie répond à la préoccupation du haut fonctionnaire ou de l’homme d’État désireux d’améliorer les débouchés d’une France en plein essor industriel [7]. Il s’agit pour eux de savoir comment améliorer la place de la nation dans le monde et infléchir les politiques de l’État pour assurer l’expansion de l’économie, en tirant profit du savoir macroéconomique naissant. En tant que pensée du souverain, le raisonnement macroéconomique offre un support au volontarisme, ou plus précisément à l’utopie du volontarisme et de l’omnipotence, en somme à son illusion [8]. Il est donc une pensée de la conduite, du pilotage technocratique, un pilotage nécessairement pertinent et éclairé, quand bien même on sait que ce n’est pas le cas. À propos de l’Afrique, on ne peut mieux illustrer ce fait qu’en évoquant l’énergie mise par de nombreux dirigeants africains à prétendre faire entrer leurs pays dans la catégorie des « émergents », à l’instar de la Tunisie, du Burkina Faso, mais aussi de l’Éthiopie ou du Mozambique. Un tel discours figure la volonté sans faille du Prince de promouvoir la croissance de son pays, d’améliorer l’« environnement des affaires », ou encore d’atteindre des résultats en matière sociale (éducation, santé…) pour développer le « capital humain », ce qui l’amène à déployer un ensemble en apparence très raisonné de stratégies et de politiques publiques volontaristes.
8Ceci ne signifie pas, loin s’en faut, que la macroéconomie suggère une manière univoque de penser les relations entre l’État et l’économie. Les travaux d’Alain Desrosières et de la sociologie de la quantification montrent que la macroéconomie ne permet pas seulement de décrire la réalité, en faisant apparaître des objets macroéconomiques univoques (un déficit, une dette, un niveau d’inflation) mais qu’elle construit la réalité [9]. Ces travaux mettent en évidence la production simultanée des objets macroéconomiques, de la conception de l’État et de la façon de penser la société. Les différentes formes que prend la conduite économique correspondent alors à différents rôles de l’État et leur analyse permet d’en repérer les transformations. Les procédés utilisés pour le pilotage économique révèlent différentes « manières d’agir sur l’économie », différentes manières de gouverner [10]. Nous nous inspirons de cette approche pour comprendre l’Afrique. La macroéconomie ne sera pas, dès lors, analysée pour elle-même mais comme un matériau pour comprendre les logiques de l’État, les préoccupations politiques, les mécanismes de pouvoir et les techniques de savoir.
9Ce qui ne nous interdit pas, bien au contraire, de regarder au-delà des seules institutions étatiques, au-delà du formel et des catégories définies par l’État. L’approche « par le bas » nous rappelle que notre regard doit rechercher le politique au-delà de l’État. Qui peut jouer de ce « pouvoir souverain » qu’est la macroéconomie ? Qui définit la macroéconomie et l’insère dans ses strategies de pouvoir ? Les stratégies de « chevauchement » (entre positions de pouvoir et positions d’accumulation, mais aussi entre positions différentes de pouvoir, entre positions différentes d’accumulation) sont ici omniprésentes. Kako Nubukpo nous montre, dans l’entretien qu’il nous a accordé, que très souvent les macroéconomistes sont simultanément universitaires, conseillers du Prince et entrepreneurs, tandis que Boris Samuel évoque des technocrates en charge du pilotage macroéconomique impliqués dans les jeux clientélistes des régimes burkinabè et mauritanien. De tels exemples nous rappellent que la macroéconomie doit être considérée dans une perspective relationnelle où l’État est certes toujours présent, voire central, mais selon des modalités d’exercice de son pouvoir fluides, mouvantes, plurielles et souvent peu institutionnalisées [11].
10Le pouvoir souverain apparaît dès lors largement partagé. Il l’est avec d’autres acteurs publics, au premier rang desquels – mais pas uniquement – des acteurs internationaux. En Afrique, il l’est avec les organisations internationales et les acteurs de la coopération, notamment avec le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale et la Banque africaine de Développement, avec l’Union européenne et certaines ONG. Dans la Zone Franc, il est aussi partagé avec les banques centrales régionales. Cet élargissement amène à repenser le lien entre macroéconomie et souveraineté : ces acteurs non étatiques négocient et travaillent avec les États ; en tant qu’acteurs publics, ils sont aussi détenteurs de l’autorité publique et, par délégation, mettent en avant leurs conceptions de l’intérêt général ; ils sont en outre dépositaires du bien public ; ils sont enfin à la source de manières de faire et de techniques de gestion qui infusent les procédés concrets de l’État. Par ailleurs, le pouvoir souverain est également partagé avec des acteurs non publics. La « privatisation de l’État », comme redéploiement de l’action étatique qui passe par l’intermédiaire d’acteurs privés [12], concerne aussi les pratiques et la diffusion de la pensée macroéconomique. L’importance accrue des agences de notation, des banques et plus généralement des acteurs financiers en est aujourd’hui une illustration commune dans le monde occidental, dont Olivier Vallée montre qu’elle concerne aussi le continent africain. Les travaux qui se sont penchés sur ce processus diffus de financiarisation ont montré qu’il ne s’agissait nullement d’un retrait de l’État et de son remplacement par des acteurs financiers privés dans un jeu à somme nulle, mais d’une stratégie d’alliance entre la politique et la finance. Cette alliance est d’abord construite sur une doctrine et elle consacre le primat d’une certaine macroéconomie, que l’on pourrait qualifier de « néolibérale », même si elle est davantage le fruit d’une construction pragmatique et bricolée que de l’application d’une théorie économique. Elle passe en outre par des pratiques quotidiennes : la privatisation induit des processus de délégation par le public et le politique au monde de la finance et des grands cabinets d’audit. Les banques sont ainsi un acteur central de la gestion de la dette publique à travers le marché financier, et les grands cabinets sont érigés en censeurs des politiques macroéconomiques. On l’a vu de façon spectaculaire depuis l’été 2011 avec la dégradation de la notation financière des États-Unis et de différents États occidentaux, mais ce phénomène dépasse la notation des dettes des États. La quasi-totalité des pratiques de « gouvernance » des États africains (passation des marchés, gestion des recettes douanières et plus généralement budgétaire, environnement des affaires…) est aujourd’hui scrutée par des scores et évaluations distinguant les bons gestionnaires des « États corrompus » ou des « mauvais réformateurs ». Ce faisant, on aboutit à la désignation, d’une part, des pays méritant de bénéficier de l’aide au développement ou des investissements étrangers, et d’autre part de ceux qui ne méritent pas la confiance des partenaires et investisseurs.
Une démarche généalogique
11On l’aura compris, ce sont les pratiques macroéconomiques comme techniques de pouvoir qui nous intéressent. Pour les étudier dans ce sens, notre démarche s’inspire de Michel Foucault et de son approche généalogique qui permet tout à la fois d’échapper aux définitions substantialistes, d’éviter les analyses causales et de fuir le raisonnement circulaire qui renvoie l’analyse des relations de pouvoir d’une institution à une autre [13]. La généalogie, c’est-à-dire non pas la recherche des origines mais l’analyse des conditions qui ont permis l’émergence d’une situation donnée, aide à comprendre la nature de problèmes historiques concrets que des concepts, des catégories, des raisonnements sont destinés à résoudre. Faire une généalogie de la macroéconomie, c’est faire voir des pratiques et des processus de rationalisation et de catégorisation qui émergent de certaines conditions. C’est aussi mettre en évidence des agencements de forces, des conflits, des luttes, des alliances et des compromis. Il s’agit d’« élargir le champ d’observation » de la macroéconomie « vers le bas, en dessous du quadrillage et de la norme étatiques » et de l’élargir également « à l’extérieur, en dehors du territoire étatique » [14].
12Il importe donc de regarder en dehors des catégories usuelles de la discipline. De fait, les grands agrégats globalement utilisés aujourd’hui pour qualifier les économies nationales ont d’abord été introduits dans le contexte des pays occidentaux des années 1930 à 1960 [15] durant lesquelles les bases du pilotage macroéconomique ont été posées ; dans les pays africains, les principales techniques macroéconomiques ont émergé avec les théories du développement, entre les années 1950 et les années 1980. Pour le dire autrement, la pensée économique a été produite dans des « cadres sociaux » spécifiques. Et dans la mesure où il existe un lien étroit entre les conditions sociales, matérielles, politiques, internationales de la production de la pensée économique et la nature de cette production [16], on ne peut prendre ses concepts pour acquis : il faut retracer la manière dont ils opèrent dans la société, analyser les façons dont ils sont mobilisés pour gouverner l’économie. Olivier Vallée montre ainsi comment les concepts de la macroéconomie « traditionnelle » sont aujourd’hui ré-agencés par le biais des appréciations des marchés financiers, notamment à travers les notations. En partant de l’intuition que la macroéconomie en Afrique contemporaine n’est pas étudiée dans ses modalités concrètes, Jane Guyer montre quant à elle que l’on ne peut comprendre les décisions prises par l’État nigérian sans tenir compte de leur passage à travers des canaux totalement ignorés de l’analyse macroéconomique orthodoxe, tels que les pratiques des intermédiaires sur les marchés du crédit non formels (intermédiaires qui jouent davantage le rôle de collatéraux que d’usuriers, mais qui occupent des positions de pouvoir). Les pratiques de cette « économie populaire » de l’endettement sont caractérisées par l’instabilité, l’incertitude et la réversibilité ainsi que par des compréhensions sociales de l’argent et de la monnaie. Les grands récits des agrégats et des « décisions » prises au centre ne rendent bien sûr pas compte de ces « subtilités ». Analyser la macroéconomie « par le bas » oblige à intégrer ces pratiques qui se situent tout à côté de la macroéconomie « formelle » et normative, de ses interprétations usuelles et des agrégats normalisés, habituellement utilisés pour forger les récits macroéconomiques sur le continent africain.
13Néanmoins, cette attention portée à ce qui est « hors champ » ne doit pas être comprise de manière univoque. Les macroéconomistes savent beaucoup plus de choses que ne le laissent paraître les tableaux qu’ils construisent. Ces derniers incorporent dans un chiffre une somme de considérations et de jugements sur l’économie [17]. Le résultat est paradoxal : si la connaissance de la complexité du réel est à la base des objets macroéconomiques, elle devient invisible et disparaît dans les objets apparemment simples et unifiés que sont les chiffres de la croissance, de l’inflation, de la dette ou du déficit budgétaire. Dans son ethnographie du FMI, Richard Harper souligne l’ampleur de ce qui existe derrière l’image éthérée et figée des chiffres. Ces derniers sont le résultat d’arbitrages pragmatiques, et tentent de rendre compte au mieux d’une infinité de phénomènes, souvent impossibles à synthétiser. Boris Samuel rappelle les processus de quantification complexes mis en jeu pour l’estimation du PIB, de l’indice de prix ou des importations à partir de multiples informations parcellaires, procédures qui donnent notamment lieu à des négociations entre le FMI et les services gouvernementaux. Béatrice Hibou met aussi en lumière la somme d’informations qui s’agencent savamment pour produire le récit du miracle économique tunisien. Dans ces conditions, on comprend mieux pourquoi le travail de déchiffrement, de déconstruction et d’interprétation est absolument nécessaire dans une approche « par le bas » qui entend comprendre ce que le chiffre ou l’agrégat convoie avec lui, dans l’infinité des procédures auxquelles il donne lieu avant, pendant et après la constitution des objets.
La question de l’agrégation et de l’autonomisation des catégories et des manières de penser
14Faire sens des chiffres demande d’effectuer un retour sur la somme des opérations qui les ont engendrés. Ce faisant, une problématique centrale pour les économistes resurgit : celle de l’épineuse question des modalités d’articulation des échelles micro et macro (éventuellement méso), voire de l’opposition entre ces échelles. Il est de fait bien difficile de savoir ce que mesurent les agrégats ; il est plus ardu encore de définir les phénomènes macroéconomiques et de les relier aux « réalités économiques ». Même pour le calcul des agrégats de la comptabilité nationale, du budget ou de la balance des paiements – qui sont des exercices procédant au rassemblement et à la somme de données éparses –, il est souvent impossible de lier clairement les agrégats macroéconomiques aux « faits réels » de l’économie [18]. Se demander ce que le chiffre convoie avec lui renvoie alors à deux considérations.
15La première tient à la nature même des procédés comptables : en réalité, le processus de constitution des agrégats ne correspond en rien à la mesure d’un tout prédéfini et clairement désigné. Il passe au contraire par une infinité de bricolages comptables et d’ajustements qui trient nombre d’informations incohérentes entre elles afin de construire une image de l’économie à partir d’un patchwork immense et souvent anarchique de données élémentaires. Autrement dit, le calcul macroéconomique est par essence une somme indémêlable d’additions et d’arrangements avec un réel multiple et rétif à la synthèse. Le résultat est un bricolage qui dépend largement des ficelles employées pour mettre en nombre l’activité économique. Un tel constat n’est en rien propre à l’Afrique : des travaux menés sur le Brésil dans les années 1980 montraient par exemple que le PIB pouvaity être réévalué considérablement en changeant le traitement des données sur les entreprises [19]. Sous cet angle, la nature des phénomènes approchés par les agrégats macroéconomiques apparaît insaisissable si bien qu’il est difficile, sinon impossible, de parler de réalisme ou de fiabilité des agrégats macroéconomiques.
16La seconde considération concerne le processus d’autonomisation des catégories macroéconomiques. Dans les conditions que nous venons d’exposer, le chiffre est en réalité souvent condamné à constituer une image mentale : les raisonnements économiques précèdent l’observation et la mesure, et les agrégats macroéconomiques sont avant tout le produit de conventions d’enregistrement qui sont subjectives et se réfèrent à des concepts préalablement établis et considérés comme pertinents [20]. Par exemple le calcul du PIB, en définissant comment évaluer la valeur ajoutée, est initialement lié à une lecture keynésienne de l’économie [21]. De même, des phénomènes comme le chômage ou l’inflation ne donnent lieu à une mise en nombre que parce que la théorie les considère comme significatifs [22]. Les agrégats ne mesurent donc pas le réel, ils se réfèrent à une théorie. On comprend de la sorte que si les données macroéconomiques africaines sont difficiles à interpréter, ce fait n’est pas propre à l’Afrique. La difficulté est en revanche exacerbée dans des contextes éloignés des « cadres sociaux » dans lesquels les concepts ont été élaborés : ainsi, des taux de chômage en Afrique peuvent être calculés, publiés et utilisés conformément aux théories économiques, même si les proportions d’emploi salarié sont si faibles que le taux n’a qu’un lien ténu avec une réalité économique intuitivement perceptible.
17Bien au-delà de l’Afrique, de telles questions hantent l’épistémologie de la macroéconomie [23]. Pour Alain Desrosières, il faut abandonner le point de vue « réaliste », et considérer que « la statistique sert à fournir des arguments, dans des constructions et des controverses (cognitives et sociales) plus vastes, dont elle constitue un maillon » [24]. Pour nous, dans une approche de sociologie politique de l’économique, ces processus chaotiques de production des chiffres peuvent être lus au-delà des « controverses » et du déploiement d’« arguments ». Les objets techniques sont issus de processus multiples et ambivalents, ils donnent lieu à une pluralité de pratiques, sont inscrits dans plusieurs répertoires et agissent simultanément selon différentes logiques. Ainsi le calcul de la dépense de l’État est une opération technique réalisée par des comptables publics qui visent à être aussi rigoureux que possible dans leur calcul. Mais ce chiffre est aussi à la base d’un récit économique d’ensemble, qui peut être lié à la tentative d’un ministère, d’un parti au pouvoir ou d’un président d’orienter le discours par divers moyens, afin de produire une image vertueuse de l’économie, ou de défendre une politique plutôt qu’une autre [25]. Un tel calcul donne encore lieu à l’incorporation (involontaire) d’erreurs de calcul et de jugements plus ou moins pertinents dans la construction même des objets macroéconomiques [26], comme il peut être un moyen de dissimulation d’excès de dépenses ou de fonds détournés face à des équipes d’auditeurs internationaux. En analysant l’enchevêtrement d’une pluralité de dynamiques, processus sociaux et rapports de pouvoir à travers les chiffres, il devient possible de prendre acte de la multiplicité inhérente à la production du discours macroéconomique et de dépasser les interrogations sur les jeux d’échelles et les articulations entre micro et macro. L’objet macroéconomique a plusieurs existences qui se superposent, interagissent et s’entrelacent.
18La macroéconomie repose in fine sur une « réduction statistique » qui masque la complexité et l’épaisseur de cette réalité. Elle réduit une vie, des relations et des rapports extrêmement riches à quelques mots dans la nomenclature, à quelques catégories macroéconomiques, à quelques chiffres. Elle est une élaboration, un travail qui entend mouler la réalité sociale complexe dans des catégories et des institutions issues de la pensée d’État préalablement analysée. Ce constat en appelle d’ailleurs un autre : la macroéconomie fait apparaître une unité et une certitude, qui naissent du recours à ces catégories limitées et strictement définies ; elle construit une vision d’ensemble au niveau national, et fait donc voir de la cohérence là où il n’y en a pas. Les chiffres et les agrégats de la macroéconomie montrent de l’harmonie, mais ils résultent d’une infinité de comportements incohérents, d’ambitions, de luttes, de succès, de défaites, bref de multiples stratégies d’acteurs. Comprendre la « macroéconomie par le bas », c’est donc, en conséquence, être attentif à ces multiplicités et complexités cachées ainsi qu’à ces effets de catégorisation et de simplification, et tenter au mieux de les prendre en compte par d’autres moyens. Ainsi le déficit budgétaire ou même les différents chiffres du budget cachent-ils des luttes entre positions, priorités, valeurs et intérêts, des arbitrages et des compromis, des problèmes d’action collective, de coopération et d’opposition, de choix et de hiérarchisation, de définition des buts collectifs, de régulation de l’action publique sous contrainte [27]. Dans une approche « par le bas », il s’agit de penser la cohérence affichée comme un processus d’occultation de désordres, d’incohérences, d’incompatibilités, de contradictions, d’incertitudes et de tâtonnements, et de les faire ré-émerger.
19Les remarques précédentes rappellent à quel point notre démarche s’enrichit et s’approche des travaux de sociologie de la quantification. Néanmoins, elle s’inspire également d’un ensemble de travaux distincts du corpus de l’analyse de la statistique, sans pour autant avoir pris comme objet la macroéconomie. Tel est le cas de la tradition incarnée par Michel de Certeau pour qui toute approche quantitative est par nature biaisée [28]. La macroéconomie par le bas entend précisément restituer les « histoires proliférantes », les « opérations hétérogènes », « le phrasé des bricolages », « les formes des pratiques » dont il nous parle. C’est aussi ce que cherchent à faire les approches anthropologiques analysant la quantification ou les procédés bureaucratiques [29]. Pour ces dernières, les objets bureaucratiques se présentent comme des artefacts traversés de multiples significations et de rapports sociaux. Sans avoir pris la macroéconomie comme objet d’analyse, ces travaux nous permettent de penser ces processus chaotiques de catégorisation et de mise en nombre.
20Les articles de ce numéro mettent ainsi tous en valeur le « tenir ensemble » des pratiques macroéconomiques et de la réalité sociale multiple qu’ils décrivent. Ils constituent des objets enchevêtrés (« entangled ») au sens où Michel Callon l’entend [30]. Les dynamiques macroéconomiques usent de procédés techniques plus ou moins cohérents, se couplent à de multiples processus sociaux et sont le support de rapports de pouvoir. Comme le montrent les textes de Béatrice Hibou et de Boris Samuel, une telle démarche semble par exemple indispensable pour comprendre comment s’opère l’interaction entre États récipiendaires de l’aide et bailleurs de fonds en Afrique. Il ne suffit pas de déconstruire et de décomposer les processus techniques à l’œuvre, il est aussi nécessaire de rendre compte des compréhensions qu’en ont les acteurs. Pour la Banque mondiale ou le FMI, il n’est pas évident de comprendre les chiffres et les informations macroéconomiques fournies par les États ; il leur faut pouvoir les interpréter, savoir ce qu’ils contiennent, ce qu’ils incluent et excluent, comment ils ont été construits, selon quels objectifs et avec quels postulats, quelle est la vision du gouvernement… Ce qui signifie des réunions, des discussions, des allers retours souvent longs et fastidieux pour comprendre la perspective des autorités et in fine savoir comment retraduire ces données macroéconomiques selon leur propre méthodologie [31]. Les données macroéconomiques des bailleurs de fonds apparaissent ainsi comme des données interprétées et élaborées selon une méthodologie propre mais aussi en fonction de discussions, de négociations, de rapports de force, qui recouvrent une multitude de dossiers et de jeux de pouvoir. Ils se marient dès lors à des réalités sociales et politiques très diverses, les chiffres opérant une réduction de rapports sociaux complexes. Jane Guyer apporte un éclairage différent sur les problématiques de la « réduction » statistique, nous montrant qu’il faut regarder au-delà des agrégats monétaires pour comprendre l’inflation et l’offre de monnaie au Nigeria. Son travail rend compte de la diversité des canaux concrets de la circulation monétaire largement oubliés lorsque des mises en équivalence sont opérées par les catégories macroéconomiques [32]. L’adoption de mesures monétaires ou budgétaires par l’État central nigérian se traduit par une suite de réajustements dans les relations d’endettement qui sont typiquement des effets aveugles des politiques. Grâce à son approche anthropologique, l’auteur intègre ces pratiques populaires cachées derrière les descriptions orthodoxes et offre une lecture politique et sociale riche des décisions formelles. Ici, la question n’est pas celle d’un manque de fidélité entre réalité économique et agrégats, mais bien celle d’une juxtaposition entre des phénomènes de natures entièrement différentes, voire d’une déconnexion entre le processus de mise en nombre et la réalité sociale qu’elle recouvre.
La macroéconomie comme fiction et imaginaire
21L’approche « par le bas » met donc en valeur toutes les apories, contradictions et insuffisances des procédés macroéconomiques. Ceci n’empêche pas que les mêmes techniques, les mêmes modèles soient utilisés avec une permanence remarquable. Ainsi, durant l’ajustement structurel, les discours économiques des institutions de Bretton Woods furent stigmatisés pour être ultra-libéraux et mal ciblés, ce qui prouvait le caractère doctrinaire de l’approche du FMI et l’aveuglement de son « catéchisme économique » [33]. Leurs techniques d’analyse, même si elles sont contestées, continuent pourtant d’être utilisées. De tels paradoxes apparents sont rarement problématisés de manière satisfaisante. Il est certes possible de penser ces situations en termes d’« idéologie macroéconomique », ou d’« opinion globale » déterminée autour d’objets macroéconomiques devenus des repères dominants [34], ou en termes de croyances et de « représentations collectives » [35]. Ces postures nous posent cependant problème car elles entendent expliquer, évaluer, trouver des relations causales, détecter des paradoxes. Dans une approche « par le bas », notre préoccupation est plutôt de comprendre comment fonctionne la macroéconomie dans le concret.
22Les textes présentés ici suggèrent que le registre de la fiction et de l’imaginaire est fondamental. La fiction est le propre de l’expérience, celle qu’on se fabrique, celle qui crée quelque chose qui n’existait pas avant mais qui existe après ; autrement dit, elle est langage qui, par définition, est distance [36]. La fiction macroéconomique invente ainsi des success stories et des mauvais exemples, elle met en récit des « bonnes » politiques et des « mauvaises » pratiques. Mais la fiction macroéconomique n’est pas pure et simple illusion, elle crée des effets historiques, elle est une fabrication avec d’importantes conséquences institutionnelles et comportementales. Béatrice Hibou suggère ainsi que la fiction du miracle tunisien façonne les comportements et les stratégies des acteurs économiques qui font « comme si » les problèmes n’existaient pas ou « comme si » les conditions optimales étaient effectivement présentes, ce qui témoigne de la force des anticipations, de la pensée auto-réalisatrice et du pouvoir du langage tout autant (si ce n’est plus) que celui des chiffres. Morten Jerven suggère que le discours de la croissance en Afrique est une fiction dont les dispositifs jouent toujours à la fois sur les marges ouvertes par les incertitudes statistiques et sur les grands récits, souvent simplistes, véhiculés par les gouvernements et par les organisations internationales. Ce faisant, il met en évidence les conséquences (et l’inconséquence) des discours macroéconomiques construits à travers les représentations habituelles de la croissance et de l’évolution des secteurs productifs africains. Il apparaît donc que la fiction émerge de « manières de faire » qui sont certainement ancrées dans des approches techniques, mais n’en produisent pas moins du politique. Le couplage entre un ethos technocratique et une multiplication d’erreurs de calcul et d’approximations conduit à l’émergence d’une fiction s’intégrant aux manières de gouverner. Ce qui situe la fiction dans le registre des pratiques produisant une réalité sociale et politique, et non pas dans celui des « croyances ». Les articles ici rassemblés montrent dans ce sens que la création souvent involontaire ou inconsciente de fictions aboutit à brouiller les pistes de la responsabilité et à diluer l’exercice du pouvoir.
23L’une des caractéristiques de la fiction est qu’il est difficile, voire impossible de distinguer le « vrai » du « faux », la « vérité » du « mensonge ». L’approche de la macroéconomie par le bas, dans ces circonstances, ne cherche pas à dénoncer les faux chiffres, les faux diagnostics, les faux miracles et les vrais « bidouillages », mais à saisir à quoi ces pratiques correspondent, ce qu’elles produisent et à prendre cette indistinction pour telle. L’attention accordée aux techniques de calcul et surtout aux dispositifs de catégorisation suggère que la fraude, le silence, le mensonge et la dissimulation sont constitutifs de la macroéconomie. Boris Samuel rappelle que les institutions internationales sont critiquées, voire délégitimées au nom du caractère « faux » de leurs modèles. Mais il montre aussi que ces derniers restent opératoires dans les logiques de négociations qui prévalent entre bailleurs et pays récipiendaires, et qu’ils permettent en outre de gouverner. Les technologies qui construisent le miracle économique tunisien que Béatrice Hibou décortique agissent par de simples effets de sélection, d’occultation, de choix d’indicateurs ou de légère interprétation. Les notations financières qu’Olivier Vallée analyse omettent nombre de facteurs sur les économies et les sociétés mais parviennent néanmoins à structurer l’activité macrofinancière du continent et ses relations au reste du monde. Le travail de Jane Guyer met quant à lui sur la voie d’une réelle dissociation entre l’économie populaire et les calculs de la macroéconomie, suggérant une autonomisation et un isolement radical du discours macroéconomique, qui est pour elle avant tout une source d’« opacité ».
24L’image macroéconomique d’un pays est par ailleurs, on l’a vu, le fruit d’une construction élaborée. Richard Harper qualifie les rapports macroéconomiques réalisés par les missions du FMI dans les pays « sous revue » de « documents créés de façon astucieuse » (« artfully created documents ») [37]. L’astuce ici ne doit évidemment pas être comprise au sens de triche, de ruse mais au contraire de la qualité de la construction d’une image qui s’effectue par une « bonne » sélection de faits, d’arguments, d’interprétations et de recommandations. Cette construction n’en aboutit pas moins à une mise en récit autonome qui constitue une modalité de la fiction.
25Cet accent sur l’indistinction du vrai et du faux permet de penser la macroéconomie en termes d’imaginaire dont on sait que Gilles Deleuze le définissait comme « l’indiscernabilité du réel et de l’irréel » : le philosophe montre comment sa prise en compte est indispensable pour saisir la complexité et la pluralité des manières d’être, d’agir et de comprendre la société dans laquelle tout individu est inséré, et par là même des processus d’assujettissement qu’il connaît [38]. L’article de Béatrice Hibou met en valeur une multiplicité d’imaginaires qui traversent le récit macroéconomique tunisien. La « réussite économique » habite non seulement les imaginaires des économistes mais aussi des citoyens, des bailleurs de fonds ou des journalistes au point d’organiser les processus sociaux autour de cette « Tunisie qui réussit ». L’imaginaire réformiste dans lequel l’ensemble de l’édifice macroéconomique s’insère donne une représentation de la réalité d’un pouvoir à la fois modernisateur et bienveillant qui s’impose à tous les niveaux de la société. Les imaginaires de la macroéconomie sont aussi présents dans les propos de Morten Jerven et d’Olivier Vallée. Le premier décrit comment les agrégats de la comptabilité nationale retranscrivent des représentations mentales de la société et de l’économie, en mettant en nombre des lectures subjectives et historicisées des économies africaines depuis les indépendances [39]. Le second montre comment les imaginaires générés par l’Afrique s’incorporent et sont mis à l’épreuve des dispositifs de modernisation de la finance, imprimant notamment la manière dont l’évaluation du risque financier est appréhendée : par occultation des réalités sociales et politiques, par appréhension des transformations économiques réelles ou encore par recherche de « marchés émergents » et de profit.
La macroéconomie comme expression de rapports de force et de relations de pouvoir
26En suivant tout à la fois Michel de Certeau et Michel Foucault, l’approche « par le bas » entend aussi substituer au point de vue interne à la macroéconomie le point de vue extérieur des stratégies, des tactiques et des luttes sociales. De la sorte, la macroéconomie apparaît, sous un tout autre angle, comme l’une des principales expressions du politique. Elle représente un site fondamental de déploiement des rapports de forces entre acteurs.
27On l’a rappelé plus haut, la macroéconomie est une pensée d’État. Tous les acteurs économiques s’emparent cependant des dispositifs macroéconomiques, en les intégrant dans leurs propres stratégies, en en jouant, en faisant apparaître une diversité d’enjeux, d’intérêts ou de logiques d’action. La macroéconomie s’invente donc aussi dans les relations et les rapports de force entre acteurs aux vues non nécessairement convergentes, ni compatibles. Le chiffre exprime des jeux de pouvoir, il permet aux individus de légitimer leur travail en affichant un caractère scientifique et objectif, d’asseoir leur autorité et d’affirmer leur rôle social [40]. La fixation du déficit public ou les « arbitrages budgétaires » cachent par exemple le concret des jeux, des stratégies, des négociations ; l’allocation et le redéploiement des ressources budgétaires résultent de relations conflictuelles entre ministères, entre institutions publiques, acteurs politiques, acteurs économiques puissants [41], comme le rappelle le texte de Boris Samuel à propos du Burkina Faso. De telles analyses ont récemment été largement documentées par la science politique, mais aussi par les spécialistes de sociologie administrative et de l’action publique à propos des réformes budgétaires conduites dans les pays occidentaux au nom de la rationalisation des dépenses de l’État, du New Public Management ou simplement de l’impératif gestionnaire [42]. Elles l’ont bien moins été à propos des pays africains, en mettant en avant le lien entre les techniques macroéconomiques, les procédés bureaucratiques et la « politique du ventre » (Bayart).
28Dans de telles perspectives, la macroéconomie n’apparaît plus comme un champ scientifique, un savoir objectif, un ensemble de dispositifs techniques et opérationnels mais bien comme un champ politique où s’affrontent des positions, des compréhensions, des stratégies, des perspectives et des intérêts. Aussi, les fictions macroéconomiques sont avant tout des fictions politiques. Jane Guyer le suggère lorsqu’elle évoque la métaphore du « national cake » nigérian figurant le budget national comme une richesse à partager, dans une représentation évidemment symptomatique de la politique du ventre vue au plan macroéconomique. Elle montre également comment les rapports de pouvoir permettent à l’élite de tirer les fils des politiques monétaires et d’en prendre avantage, par exemple par le biais de la détention, réelle ou supposée, de masses d’argent liquide par des individus qui parviennent à tenir le marché du crédit dans des situations de « pénurie » d’argent.
29Kako Nubukpo resitue la position des macroéconomistes dans la compétition pour l’accès aux ressources du pouvoir. Engagés dans des stratégies de chevauchement, nombre d’entre eux sont en effet des acteurs politiques davantage intéressés à s’insérer dans le champ du pouvoir qu’à contribuer à une meilleure compréhension de la situation économique du continent et à l’offre de politiques alternatives. Ceci influence en retour la nature des analyses économiques et les méthodes employées. L’intérêt pour une macroéconométrie techniquement élaborée mais stérile se comprendrait ainsi comme une manière de préserver une hiérarchie sociopolitique et des privilèges au sein même des économistes et dans le rapport de ces derniers à l’État. Ces économistes tireraient ainsi de leur dextérité dans le maniement des techniques leur principal critère de légitimité, tandis que les pratiques de l’État ne seraient pas mises en danger par ces méthodes statistiques inoffensives à débusquer la réalité de leurs pratiques de gestion. On comprend également mieux pourquoi, en Afrique, la macroéconomie se retrouve au centre des stratégies d’extraversion : les macroéconomistes d’Afrique francophone sont moins intéressés à comprendre la réalité africaine qu’à reproduire des modèles éthérés et des analyses « hors sol » dans un but de reconnaissance internationale à des fins de légitimité et de positionnement interne [43].
30De façon plus générale, la macroéconomie apparaît comme le lieu par excellence des relations conflictuelles entre les acteurs dominants de ce que l’on nomme la « communauté internationale » et les États africains. Jean Coussy a bien montré comment, à travers les ajustements structurels, la macroéconomie était devenue à partir du tournant des années 1980 le principal champ de cette confrontation, notamment avec les institutions de Bretton Woods. Mais il a également mis en évidence le caractère instable, mouvant et évolutif de ces rapports de force [44]. Les États africains ont commencé par rejeter massivement ces programmes sur des arguments plus politiques qu’économiques : ils ont ainsi exprimé un certain nationalisme, en jouant aussi sur des réminiscences coloniales et sur le rejet d’une certaine forme de domination. Peu à peu, cependant, on a assisté à une certaine adhésion, au moins partielle, en tout cas à une reprise de certains aspects du dogme néo-libéral, et notamment de sa dimension macroéconomique. Les arguments économiques (vitalité des marchés, reconnaissance de certains avantages d’une intégration internationale dynamique) ont certes été importants dans cette insertion d’une orthodoxie macroéconomique dans l’univers africain, mais le volet sociopolitiquea finalement été fondamental, incarné par la lutte contre la corruption, le scepticisme face aux interventions de l’État et la dénonciation de son inefficacité, ou encore par la stratégie d’alliance avec les principales puissances mondiales [45].
31Ici, nous retrouvons ce constat par l’observation des pratiques les plus élémentaires. Les rapports de force s’expriment en effet dans le quotidien de la gestion macroéconomique de façon bien plus subtile qu’en termes de relations entre « dominants » et « dominés ». L’ethnographie du travail des bailleurs de fonds suggère que la représentation macroéconomique d’un pays aidé n’est pas imposée par les institutions internationales, mais qu’elle est le fruit de compromis multiples, issus de rapports de force internes à ces institutions et aux administrations nationales, mais surtout issus des relations complexes entre les organisations donatrices et les autorités locales [46]. Les données macroéconomiques officielles des institutions de Bretton Woods sont largement estimées par leurs équipes sur le terrain à travers un travail d’interprétation des données nationales, mais elles sont toujours discutées, négociées et acceptées par le gouvernement « sous revue ». Elles sont donc construites par itération entre les entités négociantes : la « bonne » image macroéconomique résulte de ces relations. Dans le présent numéro, les contributions de Béatrice Hibou, de Morten Jerven ou de Boris Samuel mettent en lumière la manière dont les opérations élémentaires de constitution des chiffres et des récits s’opèrent de manière conjointes entre les gouvernements et les organisations internationales, tout en étant empreintes de rapports de pouvoir.
32Enfin, en mettant l’accent sur la macroéconomie comme champ politique, l’approche « par le bas » permet d’affiner la question classique de l’expertise et de son lien au politique. Il ne s’agit pas seulement de remettre en cause la distinction entre expertise et politique, et la porosité, voire l’impossibilité de délimiter les deux domaines. Cette approche essaie de montrer que l’on n’est pas seulement face à des chevauchements (entre positions d’expertise, de pouvoir et d’accumulation), mais que l’expertise apparaît aussi comme une vision construite du politique, un savoir de gouvernement, un instrument aux mains d’un pouvoir, une étatisation de l’économie et du social, un retour aux normes de la police dans la vie économique et sociale. Morten Jerven nous montre comment l’émergence de la macroéconomie au lendemain de l’indépendance d’un pays africain doit être lue comme la volonté d’instituer une réalité sociale nouvelle, et de faire émerger des modes d’appartenance à l’État souverain par le biais des activités techniques du calcul macroéconomique : entre les années 1950 et 1960, la définition de la production statistique nationale évolue pour inclure progressivement les activités économiques des anciens sujets coloniaux exclues des premiers calculs du « revenu national ». Son analyse suggère que l’expert possède la capacité de faire émerger de nouvelles subjectivités. Les articles d’Olivier Vallée et de Boris Samuel indiquent en outre que l’expertise, en définissant le domaine du discutable et le champ des possibles, forme la base des rapports de pouvoir. Pour le premier, les marchés financiers inventent de nouveaux rapports à l’économie tandis que pour le second, les projections budgétaires sont toujours peu fiables, alors que leur usage structure la compétition pour l’accès aux ressources. L’expertise reformule ainsi les rapports sociaux existants et contribue à faire émerger de nouveaux modes d’énonciation du politique. Dès lors elle ne s’apparente en aucun cas à une dépolitisation, comme cela est souvent argumenté à propos de la macroéconomie en Afrique [47]. Au contraire, les travaux experts sont les réceptacles des rapports de pouvoir et du politique, qu’ils reformulent mais n’occultent aucunement.
La macroéconomie entre processus normalisateur et mode de gouvernement
33La macroéconomie apparaît, enfin, comme l’exercice d’un pouvoir normalisateur. On sait qu’elle a servi depuis la période des ajustements structurels à définir des conditionnalités chiffrées que les États devaient respecter pour rétablir les équilibres et se mettre sur la voie de la stabilisation. Les programmes financiers qui accompagnent les accords de prêts des bailleurs de fonds fixaient – et fixent toujours – des cibles quantitatives à respecter et des séries de mesures à mettre en œuvre. S’ils sont toujours cités comme les symboles de la domination néolibérale qui s’est exercée sur les pays africains, il est plus intéressant selon nous de voir dans ces situations des processus de normalisation beaucoup plus ambivalents, où la macroéconomie joue une partition fondamentale. Les critères et cibles quantitatifs ne sont pas des valeurs qui ont un fondement théorique mais des conventions qui résultent de bricolages et de compromis politiques entre acteurs. Les critères de Maastricht (les fameux3% pour les déficits budgétaires, 60% pour la dette publique, 1,5% au-delà de la moyenne communautaire pour l’inflation…) ont été adoptés pour leur simplicité et leur opérationnalité ; ils sont désormais critiqués pour leur manque de pertinence et leur arbitraire. Mais quelles que soient les critiques dont ils peuvent faire l’objet, ils fixent in fine la norme à partir de laquelle on peut juger de la « bonne » ou de la « mauvaise » situation d’un pays européen. Ils structurent de la sorte les comportements des États.
34Les pays africains qui nous intéressent ici sont pleinement intégrés à cette économie politique de la normalisation. Mais que veut dire ici « normalisation » ? Ce processus est parfois interprété comme une mise sous tutelle. La macroéconomie est alors considérée comme le site par excellence de la mise en dépendance : un ordre extérieur, structuré autour des concepts construits ailleurs, est imposé. La macroéconomie apparaît ainsi comme l’expression d’une domination occidentale et d’une normalisation sur ses propres catégories et manières de penser [48]. Notre approche « par le bas » nous invite cependant à nous distancier de telles analyses, notamment pour éviter une réification de la macroéconomie, pour penser davantage ces pratiques économiques dans leurs dimensions sociologiques et politiques (et non dans une posture de dénonciation d’une idéologie). Les normes macroéconomiques ne viennent pas seulement du haut et de l’extérieur, et l’on ne peut entendre « normalisation » comme une imposition de normes déterminées et définies à l’avance sur des acteurs passifs. Parce qu’elle résulte de pratiques, la normalisation doit plutôt être comprise comme un processus interactif. Les normes ne prennent sens que « dans leur exercice concret » et c’est uniquement ainsi qu’elles affirment leur « valeur normative ». La macroéconomie comme fiction produit alors un « processus normatif » [49]. Les travaux d’économie politique, d’anthropologie ou de sociologie économique montrent ainsi que les relations entre les bailleurs, les organisations internationales, les coopérations bilatérales et les États récipiendaires sont aussi des négociations autour de normes ou du moins de leur exercice. Ils nous enseignent également que les acteurs africains jouent un rôle important dans la définition de cette mise en œuvre concrète [50]. À l’instar des travaux de Michael Power sur l’audit [51], les articles réunis ici suggèrent que le respect de la norme apparaît comme un processus social dans lequel le respect de critères apparemment rigides est en permanence recherché, jamais entièrement réalisé mais toujours renégocié.
35Le processus normatif n’est pas le seul à caractériser l’exercice du pouvoir et le gouvernement des choses et des hommes par la macroéconomie. Les agrégats, les concepts et les informations macroéconomiques servent également – et sans doute avant tout – d’« aide-mémoire [52] », d’indices de la réalité et de signes permettant de gouverner. Les documents macroéconomiques officiels, qu’ils émanent des États ou des institutions internationales, voire des ONG et des organismes financiers, ne cherchent pas à décrire le mieux possible et dans leur exhaustivité les situations économiques des pays qu’ils analysent, mais à construire une représentation qui permette de gouverner. C’est ce que rappelle Richard Harper dans son analyse du FMI lorsqu’il affirme que l’accord entre le gouvernement et l’institution de Washington transforme les chiffres en informations utilisables car validées, et surtout en ressources pour la mise en œuvre de l’action publique [53]. En ne cherchant ni la vérité ni la description parfaite de la réalité et en privilégiant la recherche de données pratiques, raisonnables et fiables, la macroéconomie apparaît surtout comme une modalité de l’exercice du pouvoir qui permet aux acteurs dominants de déployer leurs stratégies, et notamment aux acteurs étatiques d’exercer leur autorité. Il est d’ailleurs frappant de voir qu’en période d’incertitude, la construction d’une fiction macroéconomique relativement simple, mais suffisamment floue pour être plastique, permet de gérer cette incertitude fondamentale et d’apporter un semblant de stabilité [54]. La macroéconomie est indissociable d’un ordre, au sens wébérien du terme, c’est-à-dire d’une institution qui fait émerger des règles, des arrangements sociaux, des procédures, des routines, des savoirs partagés et ce faisant permet d’exercer une domination [55].
Notes
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[1]
L’élaboration de ce dossier a bénéficié d’un séminaire, organisé dans le cadre du groupe de recherche « Sociologie historique de l’économique » et dirigé par Béatrice Hibou. Nous sommes reconnaissants au CERI/Sciences Po de l’opportunité ainsi fournie et à nos collègues qui ont commenté les présentations orales : tous nos remerciements donc à Richard Banégas, Jean-François Bayart, Vincent Gayon, Frédéric Pierru, Keith Hart et Jean-Pierre Warnier.
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[2]
J.-F. Bayart, « Le politique par le bas en Afrique noire », Politique africaine, n° 1, mars 1981, p. 53-82 ; J.-F. Bayart, A. Mbembe, C. Toulabor, Le Politique par le bas en Afrique noire, édition revue et augmentée, Paris, Karthala, 2008.
-
[3]
P. Geschiere, « Le politique en Afrique : le haut, le bas et le vertige », Politique africaine, n° 39, octobre 1990, p. 155-160.
-
[4]
Toutes ces expressions sont tirées de M. de Certeau, L’Invention du quotidien, tome1 - Arts de faire, tome 2- Habiter, cuisiner, Paris, Gallimard, 1990. Michel de Certeau a fortement inspiré les auteurs de la « politique par le bas ».
-
[5]
Comme le rappelle J. K. Galbraith, « Les prévisions officielles dans le domaine économique ne sont pas censées être “justes” ; elles ne font que refléter les vœux des gouvernements » (cité par F. Lebaron, La Crise de la croyance économique, Bellecombe-en-Bauges, Les Éditions du Croquant, 2010, p. 41).
-
[6]
F. Fourquet, Les Comptes de la puissance. Histoire de la comptabilité nationale et du plan, Paris, Encres, éditions recherches, 1980. Cet ouvrage nous a particulièrement inspiré dans cette réflexion sur la macroéconomie par le bas.
-
[7]
A. Terray, Des francs-tireurs aux experts. L’organisation de la prévision économique au ministère des Finances, 1948-1968, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2002 ; A. Desrosières, Gouverner par les nombres, l’argument statistique, tome 2, Paris, Presses de l’École des Mines, 2008, en particulier le chapitre 3 : « La naissance d’un nouveau langage statistique entre 1940 et 1960 », p. 61-78.
-
[8]
R. Delorme et C. André, L’État et l’économie. Un essai d’explication de l’évolution des dépenses publiques en France (1870-1980), Paris, Le Seuil, 1983.
-
[9]
A. Desrosières, « Historiciser l’action publique : l’État, le marché et les statistiques », in P. Laborier et D. Trom (dir.), Historicités de l’action publique, Paris, PUF, 2003, p. 207-221 et La Politique des grands nombres. Histoire de la raison statistique, Paris, La Découverte, 1993 ; T. Porter, Trust in Numbers. The Pursuit of Objectivity, in Science and Public Life, Princeton University Press, 1995 ; M. Mespoulet, Construire le socialisme par les chiffres. Enquêtes et recensements en URSS de 1917 à 1991, Paris, Ined, 2008 ; E. Didier, En quoi consiste l’Amérique ? Les statistiques, le New Deal et la démocratie, Paris, La Découverte, 2009.
-
[10]
A. Desrosières, art. cit.
-
[11]
On reconnaîtra évidemment ici l’analyse qu’offre Jean-François Bayart de l’État-rhizome dans L’État en Afrique. La politique du ventre, Paris, Fayard, 2006 (1ère éd. 1989).
-
[12]
B. Hibou (dir.). La Privatisation des États, Paris, Karthala, 1999 et le dossier « L’État en voie de privatisation ? », Politique africaine, n° 73, mars 1999, p. 6-121.
-
[13]
M. Foucault, « Nietzche, la généalogie, l’histoire », in D. Defert et F. Ewald (dir.), Dits et Écrits, tome 2, Paris, Gallimard, 1994, p. 136-156 et Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975 ; voir également F. Fourquet, Richesse et puissance. Une généalogie de la valeur, Paris, La Découverte, 2002 (1ère éd. 1989).
-
[14]
F. Fourquet, Richesse et puissance, op. cit., p. 19.
-
[15]
A. Desrosières, art. cit. ; A. Terray, Des francs-tireurs aux experts…, op. cit. ; A. Vanoli, Une histoire de la comptabilité nationale, Paris, La Découverte, 2002.
-
[16]
Sur les « cadres sociaux » de production de la pensée économique, voir J. Weiller et G. Dupruigrenet-Desroussilles, Les Cadres sociaux de la pensée économique, Paris, PUF, 1974, et J. Weiller et J. Coussy (dir.), Économie internationale, vol. 2, Internationalisation et intégration… ou coopération (faits, théorie et politiques), Paris, Mouton, 1978.
-
[17]
Voir R. H. R. Harper, Inside the IMF. An Ethnography of Documents, Technology and Organisational Action, San Diego, Academic Press, 1998 ; M. Séruzier, « Une discipline spécifique : la mesure en macroéconomie » et « À propos du débat sur les liens entre micro-données et macro-données », Statéco, n° 90-91, 1998, p. 21-32 et p. 35-40.
-
[18]
M. Séruzier, « À propos du débat sur les liens entre micro-données et macro-données… », art. cit.
-
[19]
M. Séruzier, « Une discipline spécifique : la mesure en macroéconomie », art. cit., p. 23-24.
-
[20]
Voir A. Desrosières, Gouverner par les nombres…, op. cit, chapitre 11, « Du réalisme des objets de la comptabilité nationale », p. 257-266.
-
[21]
Cette subjectivité inhérente à la comptabilité est plus générale, les normes comptables privées reflétant également un jugement sur les méthodes de valorisation des entreprises. Voir M. Capron (dir.), Les Normes comptables internationales, instruments du capitalisme financier, Paris, La Découverte, 2005.
-
[22]
M. Séruzier, « Une discipline spécifique : la mesure en macroéconomie », art. cit., p. 28.
-
[23]
Un tel débat fait même l’objet du premier chapitre du manuel de référence de la comptabilité nationale, OCDE, Banque mondiale, Commission européenne, Nations unies, Fonds monétaire international, Système de comptabilité nationale 1993 (SCN 93), New York, Nations unies, 1994.
-
[24]
Voir A. Desrosières, « Deux conceptions des relations entre micro et macro-données, commentaire de l’article de Michel Séruzier : “Une discipline spécifique : la mesure en macroéconomie” », Statéco, n° 90-91, 1998, p. 33-34.
-
[25]
Voir l’illustration qu’en donne F. Pierru sur les politiques de la santé en France dans Hippocrate malade de ses réformes, Bellecombe-en-Bauges, Éditions du Croquant, Savoir/Agir, 2007.
-
[26]
Pour une analyse des jugements impliqués par le travail routinier des statisticiens, voir L. Boltanski, L. Thévenot, De la justification. Les économies de la grandeur, Paris, Gallimard, 1991.
-
[27]
A. Siné, L’Ordre budgétaire. L’économie politique des dépenses de l’État, Paris, Economica, 2006 ; A. Desrosières, « Deux conceptions des relations entre micro et macro-données », art. cit.
-
[28]
M. de Certeau, L’Invention du quotidien, tome 1, op. cit.
-
[29]
Jane Guyer, Marginal Gains : Monetary Transactions in Atlantic Africa, University of Chicago Press, 2004 ; A. Riles, Documents, Artifacts of Modern Knowledge, University of Michigan Press, 2006 ; M. Strathern (dir.), Audit Cultures : Anthropological Studies in Accountability, Ethics and the Academy, Londres, Routledge, 2000 ; R. H. R. Harper, Inside the IMF…, op. cit.
-
[30]
M. Callon, « An essay on Framing and Overflowing : Economic Externalities Revisited by Sociology », in M. Callon (dir.), The Laws of the Market, Oxford, Wiley-Blackwell, 1998 ; M. Callon, P. Lascoumes et Y. Barthe, Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, Paris, Le Seuil, 2001.
-
[31]
R. H. R. Harper, Inside the IMF…, op. cit. ; O. Vallée, La Police morale de l’anticorruption, Paris, Karthala, 2010 ; J. Coussy, « États africains, programmes d’ajustement et consensus de Washington », L’Économie politique, n° 32, 2006, p. 29-40 ; R. Meier et M. Raffinot, « S’approprier les politiques de développement : nouvelle mode ou vieille rengaine ? Une analyse à partir des expériences du Burkina Faso et du Rwanda », Revue Tiers-Monde, vol. 46, n° 183, 2005, p. 625-649.
-
[32]
Voir également son Marginal Gains. Monetary transactions in Atlantic Africa, op. cit. et W. Espeland, « Commensuration asa Social Process », Annual Review of Sociology, vol. 24, 1998, p. 313-343.
-
[33]
Voir B. Hibou, « Économie politique du discours de la Banque mondiale en Afrique : du catéchisme économique au fait (et méfait) missionnaire », Les Études du CERI, n° 39, mars 1998.
-
[34]
F. Lordon, Les Quadratures de la politique économique, op. cit.
-
[35]
Voir F. Lebaron, La Croyance économique. Les économistes entre science et politique, Paris, Le Seuil, 2000 ; voir aussi l’analyse du rôle des croyances, des représentations et des forces collectives que donne André Orléan dans L’Empire de la valeur. Refonder l’économie, Paris, Le Seuil, 2011.
-
[36]
On reconnaîtra là la tradition littéraire de la fiction, travaillée en sciences sociales notamment par Michel Foucault, Roland Barthes et Herbert Marcuse.
-
[37]
R. H. R. Harper, Inside the IMF…, op. cit., p. 122.
-
[38]
G. Deleuze, Pourparlers : 1972-1990, Paris, Éditions de Minuit, 1990 et J.-F. Bayart, L’Illusion identitaire, Paris, Fayard, 1996.
-
[39]
Outre sa contribution au numéro, voir M. Jerven, « Users and Producers of African Income : Measuring the Progress of African Economies », Simons Papers in Security and Development, n °7, 2010, Simon Fraser University, Vancouver, octobre 2010.
-
[40]
Voir par exemple T. Porter, Trust in Numbers…, op. cit. ; A. Desrosières, La Politique des grands nombres… op. cit. ; A. Ogien, L’Esprit gestionnaire. Une analyse de l’air du temps, Éditions de l’EHESS, 1995 ; A. Blum, M. Mespoulet, L’Anarchie bureaucratique. Statistiques et pouvoirs sous Staline, Paris, La Découverte, 2003.
-
[41]
A. Wildavsky, The Politics of the Budgetary Process, Boston, Little Brown, 1979 (1ère éd. 1964) ; R. Delorme et C. André, L’État et l’économie…, op. cit. ; A. Siné, L’Ordre budgétaire…, op. cit. ; pour une vue d’ensemble sur ces travaux, voir le livre de P. Bezès et A. Siné, Gouverner (par) les finances publiques, Paris, Presses de Sciences Po, 2011.
-
[42]
Voir par exemple les travaux conduits à la suite de l’ouvrage de Pierre Lascoumes et Patrick le Galès, Gouverner par les instruments, Paris, Presses de Sciences Po, 2004 ; P. Bezès, Réinventer l’État. Les réformes de l’administration française (1962-2008), Paris, PUF, 2009 ; F. Pierru, Hippocrate malade de ses réformes…, op. cit. ; M. Strathern (dir.), Audit cultures…, op. cit. ; A. Ogien, L’Esprit gestionnaire…, op. cit. Dans les contextes africains, voir B. Samuel, « Le cadre stratégique de lutte contre la pauvreté et les trajectoires de la planification au Burkina Faso », art. cit. ; D. Darbon, « Réformer ou reformer les administrations projetées des Afriques ? », Revue française d’administration publique, no 105-106, 2003, p. 135-152.
-
[43]
Voir également K. Nubukpo, L’Improvisation économique en Afrique. Du coton au franc CFA, Paris, Karthala, 2011.
-
[44]
J. Coussy, « États africains, programmes d’ajustement et consensus de Washington », art. cit.
-
[45]
On peut aussi analyser de la sorte la position de James Ferguson, qui voyait dans les méthodes de l’ajustement le véhicule d’une nouvelle économie morale de l’exercice du pouvoir : J. Ferguson, « From African Socialism to Scientific Capitalism : Reflexion on the Legitimation Crisis in IMF-Ruled Africa », in D. Moore et G. Schmitz (dir.), Debating Development Discourse : Institutionnal and Popular Perspectives, New York/Londres, St Martin Press/MacMillan, 1995.
-
[46]
R. H. R. Harper, Inside the IMF…, op. cit. ; J. Ferguson, Anti-Politics Machine…, op. cit. ; B. Hibou, « Économie politique du discours de la Banque mondiale en Afrique…, art. cit. ; J. Coussy, « États africains, programmes d’ajustement et consensus de Washington », art. cit. ; O. Vallée, La Police morale de l’anticorruption…, op. cit.
-
[47]
Notamment de la part des tenants d’une critique de la gouvernance comme mode de domination hégémonique du néolibéralisme : pour eux, la macroéconomie présente comme naturel le passage à un nouvel ordre capitaliste. Voir J. Ferguson, « From African Socialism to Scientific Capitalism… », art. cit. ; T. Mitchell, Rule of Experts : Egypt, Techno-Politics, Modernity, Berkeley, The University of California Press, 2002 ; B. Campbell, « La bonne gouvernance, une notion éminemment politique », in Haut Conseil de la Coopération Internationale, Les non-dits de la bonne gouvernance, Karthala, Paris, 2001, p. 119-149 ; J. Elyachar, Markets of Dispossession : NGOs, Economic Development, and the State in Cairo, Durham, N.C., Duke University Press, 2005.
-
[48]
A. Mbembe, De la postcolonie. Essai sur l’imagination politique dans l’Afrique contemporaine, Paris, Karthala, 2000 ; J.-M. Ela, Innovations sociales et renaissance de l’Afrique noire. Les défis du « monde d’en-bas », Paris, L’Harmattan, 1998 ; J. Elyachar, Markets of Dispossession…, op. cit.
-
[49]
P. Macherey, De Canguilhem à Foucault, la force des normes, La Fabrique, Paris, 2009 ; B. Hibou, Anatomie politique de la domination, Paris, La Découverte, 2011.
-
[50]
J. Coussy, « Greffes de normes étrangères et pénétration de l’économie globale dans les sociétés africaines », in G. Winter (dir.), Inégalités et politiques publiques en Afrique, Paris, Karthala, 2001 ; B. Samuel, « Le cadre stratégique de lutte contre la pauvreté et les trajectoires de la planification au Burkina Faso », art. cit. ; B. Hibou, « Les marges de manœuvre d’un “bon élève” économique : la Tunisie de Ben Ali », Les Études du CERI, n° 60, décembre 1999 ; Olivier Vallée, La Police morale de l’anticorruption…, op. cit.
-
[51]
Michael Power, La Société de l’audit, l’obsession du contrôle, Paris, La Découverte, 2004.
-
[52]
Expression de François Fourquet dans Les Comptes de la puissance…, op. cit., p. 372.
-
[53]
« This is ultimately the purpose of missions : not description, not reporting, but enabling policy », in R. H. R Harper, Inside the IMF…, op. cit., p. 212.
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[54]
Cet accent que les fictions macroéconomiques mettent sur la stabilité est aussi bien mis en évidence dans les pays occidentaux (F. Lordon, Les Quadratures de la politique économique, op. cit.) que dans les pays africains : B. Hibou, La Force de l’obéissance, op. cit. et « Les marges de manœuvre… », art. cit. ; S. Elbaz, « Quand le régime du “changement” prône la “stabilité” : mots et trajectoire de “développement” en Tunisie », Revue Tiers Monde, n° 200, 2009, p. 821-835.
-
[55]
M. Weber, Économie et société, tome 1 - Les catégories de la sociologie, Paris, Agora, 2003. Pour une réflexion sur la macroéconomie comme ordre, voir B. Théret, Les Régimes économiques de l’ordre politique. Esquisse d’une théorie régulationniste des limites de l’État, Paris, PUF, 1992 ; et pour le cas du budget, A. Siné, L’Ordre budgétaire…, op. cit.