Couverture de POLAF_119

Article de revue

Faut-il provincialiser la France ?

Pages 159 à 188

Notes

  • [1]
    J.-P. Sartre, Situations v. Colonialisme et néo-colonialisme, Paris, Gallimard, 1964, p. 168.
  • [2]
    Pour un exemple de cette diversité, lire M. Morana, E. Dussel, C. A. Jauregui (dir.), Coloniality at Large. Latin America and the Postcolonial Debate, Durham, Duke University Press, 2008. Voir également la synthèse de F. Coronil, « Latin American Postcolonial Studies and Global Decolonization », in N. Lazarus (dir.), The Cambridge Companion to Postcolonial Literary Studies, Cambridge, Cambridge University Press, 2004, p. 221-240 ; puis V. Chaturvedi (dir.), Mapping Subaltern Studies and the Post-colonial, New York, Verso, 2000.
  • [3]
    Lire,à titre d’exemple, S. During,« Postcolonialism and Globalization: Towards a Historicization of the Inter-relation », Cultural Studies, vol. 14, n° 3-4, 2000, p. 385-404 ; H. D. Harootunian, « Postcoloniality’s Unconscious/Area Studies’ Desire », Postcolonial Studies, vol. 2, n° 2, 1999, p. 127-147. Voir récemment New Formations, n° 59, 2006 ; PMLA, n° 122/3, 2007. Lire également le numéro spécial de Social Text, vol. 10, n° 2-3, 1999 ; le numéro spécial de American Historical Review, n° 99, 1994. Voir aussi A. Ahmed, In Theory : Classes, Nations, Literatures, Londres, Verso, 1992 ; A. Dirlik, The Postcolonial Aura : Third World Criticism in the Age of Global Capitalism, Boulder, Westview Press, 1997.
  • [4]
    Lire en particulier R. Young, Postcolonialism : An Historical Introduction, Blackwell, Oxford, 2001 ; D. Ludden (dir.), Reading Subaltern Studies. Critical History, Contested Meaning and the Globalization of South Asia, New Delhi, Permanent Black, 2001.
  • [5]
    Lire à cet égard la note de J. Pouchepadass, « Les Subaltern Studies ou la critique postcoloniale de la modernité », L’Homme, n° 156, 2000, p. 161-186. Voir, au milieu des années 2000, M.-C. Smouts (dir.), La Situation postcoloniale. Les postcolonial studies dans le débat français, Paris, Presses de Sciences-Po, 2007.
  • [6]
    Voir, néanmoins, la compilation de textes d’auteurs se réclamant des « subaltern studies » sous la direction de M. Diouf, L’historiographie indienne en débat. Colonialisme, nationalisme et sociétés postcoloniales, Paris, Karthala, 1999.
  • [7]
    Voir S. Dulucq, C. Coquery-Vidrovitch, J. Frémigacci, E. Sibeud, et J.-L. Triaud, « L’écriture de l’histoire de la colonisation en France depuis 1960 », Afrique & histoire, n° 6, 2006, p. 243. Lire également les thèses de J.-F. Bayart sur « l’historicité propre des sociétés africaines » dans L’État en Afrique. La politique du ventre, Paris, Fayard, 1990.
  • [8]
    A. Finkielkraut, La Défaite de la pensée, Paris, Gallimard, 1987, p. 90.
  • [9]
    L. Ferry, A. Renaut, « Préface à cette édition », in La Pensée 68, Paris, Gallimard, 1988, p. 15.
  • [10]
    Voir le bilan critique de G. Chaliand, Les Mythes révolutionnaires du Tiers Monde, Paris, Seuil, 1979 ; P. Bruckner, Le sanglot de l’homme blanc. Tiers-Monde, culpabilité, haine de soi, Paris, Seuil, 1982 ; C. Rangel, L’Occident et le Tiers-Monde. De la fausse culpabilité aux vraies responsabilités, Paris, Robert Laffont, 1982. Lire également Y. Lacoste, Contre les antitiersmondistes et contre certains tiersmondistes, Paris, La Découverte, 1985 ; C. Liauzu, Aux origines des tiersmondismes. Colonisés et anticolonialistes en France, 1919-1939, Paris, L’Harmattan, 1982 ; et, du même auteur, Les Intellectuels français au miroir algérien. Éléments pour une histoire des tiers-mondismes, Nice, Cahiers de la Méditerranée, 1984.
  • [11]
    R. Debray, La Critique des armes, Paris, Seuil, 2 vols, 1974.
  • [12]
    M. Foucault, « Il faut défendre la société ». Cours au Collège de France. 1975-1976, Paris, Éditions de l’EHESS, 1997, dernier chapitre.
  • [13]
    À propos de ce phénomène, W.E.B. DuBois écrira : « I have walked in Paris with [Blaise] Diagne who represents Senegal – all Senegal, white and black – in the French parliament. But Diagne is a Frenchman who is accidentally black. I suspect Diagne rather despises his own black Wolofs. I have talked with Candace, black deputy of Guadeloupe. Candace is virulently French. He has no conception of Negro uplift, as apart from French development ». W.E.B. DuBois, « Worlds of Color », in A. Locke (dir.), The New Negro, New York, Touchstone Books, 1999 [1925], p. 397.
  • [14]
    Lire sa revue Peuples noirs, peuples africains. Lire également A. Kom, Mongo Beti parle. Testament d’un esprit rebelle, Paris, Homnisphères, 2006.
  • [15]
    M. Beti, Main basse sur le Cameroun. Autopsie d’une décolonisation, Paris, Maspero, 1972.
  • [16]
    À propos des paradoxes de la critique de « la pensée 68 » en général, lire S. Audier, La Pensée anti-68. Essai sur les origines d’une restauration intellectuelle, Paris, La Découverte, 2009.
  • [17]
    Lire par exemple le dossier spécial de la revue Esprit, n° 17, janvier-février 1934 ; D. Guérin, Fascismes et grand capital, Paris, Gallimard, 1936.
  • [18]
    Lire par exemple M. Merleau-Ponty, Humanisme et terreur. Essai sur le problème communiste, Paris, Gallimard, 1947 ; Les Aventures de la dialectique, Paris, Gallimard, 1955.
  • [19]
    R. Aron, Démocratie et totalitarisme, Paris, Gallimard, 1965.
  • [20]
    M. Christofferson, Les Intellectuels contre la gauche. L’idéologie antitotalitaire en France (1973-1981), Marseille, Agone, 2008. Voir également J. Bourg, From Revolution to Ethics: May 68 and Contemporary French Thought, Montreal/Kingston, McGill/Queen’s University Press, 2007.
  • [21]
    Lire, dans cette perspective, C. Castoriadis, L’Institution imaginaire de la société, Paris, Seuil, 1975, notamment le chapitre i, « Le marxisme: bilan provisoire ».
  • [22]
    C. Castoriadis, La Société bureaucratique, Paris, Bourgois, 1990 ; C. Lefort, La Complication. Retour sur le communisme, Paris, Fayard, 1999 et L’Invention démocratique. Les limites de la domination totalitaire, Paris, Fayard, 1981.
  • [23]
    P. Singaravélou (dir.), L’Empire des géographes. Géographie, exploration et colonisation, xixe-xxe siècle, Paris, Belin, 2008.
  • [24]
    Voir L. Pyenson, Civilizing Mission : Exact Sciences and French Overseas Expansion, 1830-1940, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1993 ; M. A. Osborne, Nature, the Exotic, and the Science of French Colonialism, Bloomington, Indiana University Press, 1994.
  • [25]
    Sur leurs paradoxes et ambiguïtés, lire E. Sibeud, Une science impériale pour l’Afrique ? La construction des savoirs africanistes en France, 1878-1930, Paris, Éditions de l’EHESS, 2002.
  • [26]
    I. Poutrin (dir.), Le xixe siècle. Science, politique et tradition, Paris, Berger-Levrault, 1995.
  • [27]
    D. Rivet, « Le fait colonial et nous. Histoire d’un éloignement », Vingtième siècle, n° 33, 1992, p. 127-138 ; C. Coquery-Vidrovitch, « Plaidoyer pour l’histoire du monde dans l’université française », Vingtième siècle, n° 61, 1999, p. 111-125.
  • [28]
    Signe de cet anachronisme à l’heure dite de la « littérature-monde », les prestigieuses Éditions Gallimard, contrairement au Seuil, n’ont rien pu trouver de mieux qu’un ghetto éditorial appelé « Continents noirs » (!) dans lequel elles s’efforcent de caser la plupart de leurs auteurs non-blancs.
  • [29]
    À propos des regards d’historiens américains sur l’histoire contemporaine de la France, lire à titre d’exemple le dossier spécial des Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, n° 96-97, 2005. Voir également les articles réunis dans le numéro spécial de French Politics, Culture and Society, vol. 18, n° 3, 2000, et dans Yale French Studies, n° 100, 2001.
  • [30]
    Sur ce déphasage, lire en particulier A. G. Hargreaves et J. M. Moura,« Editorial Introduction. Extending the Boundaries of Francophone Postcolonial Studies », International Journal of Francophone Studies, vol. 10, n° 3, 2007, p. 307-311 ; H. Adlai Murdoch et A. Donatey (dir.), Postcolonial Theory and France Literary Studies, Gainesville, University Press of Florida, 2005 ; M. A. Majumdar, Postcoloniality: The French Dimension, Oxford, Berg, 2007 ; C. Forsdick et D. Murphy (dir.), Postcolonial Thought in the French-speaking World, Liverpool, Liverpool University Press, 2009.
  • [31]
    D. Gaonkar (dir.), Alternative Modernities, Durham, Duke University Press, 2001.
  • [32]
    H. Raphael-Hernandez (dir.), Blackening Europe : The African-American Presence, New York, Routledge, 2004.
  • [33]
    Sur cette période, lire T. Stovall, Paris Noir. African Americans in the City of Light, New York, Houghton Mifflin Company, 1996. Pour la suite, consulter D. Thomas, Black France. Colonialism, Immigration, and Transnationalism, Bloomington, Indiana University Press, 2007 ; B. J. Rosette, Black Paris. The African Writers’ Landscape, Urbana, University of Illinois Press, 2000.
  • [34]
    M. Bouche, Rap, expression des lascars : Significations et enjeux du rap dans la société française, Paris, L’Harmattan, 1998 ; A. J. M. Prévos, « Two Decades of Rap in France : Emergence, Development, Prospects », in A. P. Durand (dir.), Black, Blanc, Beur: Rap Music and Hip-Hop Culture in the Francophone World, Oxford, Scarecrow Press, 2002, p. 1-21.
  • [35]
    L. Dubois, Soccer Empire. The World Cup and the Future of France, Los Angeles, University of California Press, 2009 ; L. Thuram, Mes étoiles noires, Paris, Philippe Rey, 2010.
  • [36]
    Ce qui correspond peu ou prou aux observations de Paul Gilroy dans Darker Than Blue. On the Moral Economies of Black Atlantic Culture, Cambridge, The Belknap Press, 2009. Lire également A. J. M. Prévos, « “In It for the Money” : Rap and Business Cultures in France », Popular Music and Society, vol. 26, n° 4, 2003, p. 445-461.
  • [37]
    D. Fassin, A. Morice, C. Quiminal, Les Lois de l’inhospitalité. Les politiques de l’immigration à l’épreuve des sans-papiers, Paris, La Découverte, 1997. Voir aussi Coll., Cette France-là. 06.05.2007/30.06.2008, Paris, La Découverte, 2009.
  • [38]
    À propos de ces discussions, lire A. Renaut, Un humanisme de la diversité. Essai sur la décolonisation des identités, Paris, Flammarion, 2009.
  • [39]
    F. Cooper, « From Imperial Inclusion to Republican Exclusion ? France’s Ambiguous Postwar Trajectory » et D. Gondola « Transient Citizens : The Othering and Indigenization of Blacks and Beurs within the French Republic », in C. Tshimanga, D. Gondola, P. J. Brown (dir.), Frenchness and the African Diaspora. Identity and Uprising in Contemporary France, Bloomington, Indiana University Press, 2009.
  • [40]
    Voir www.assemblee-nationale.fr/1/commissions/voile-integral/voile-integral-20090909-2.asp.
  • [41]
    Sur tout ce qui précède, lire la synthèse d’É. Macé, « Postcolonialité et francité dans les imaginaires télévisuels de la Nation », in N. Bancel, F. Bernault, P. Blanchard et al. (dir.), Ruptures postcoloniales. Les nouveaux visages de la société française, Paris, La Découverte, 2010, p. 391-402.
  • [42]
    N. Bancel, P. Blanchard, F. Vergès, La République coloniale, Paris, Albin Michel, 2003 ; P. Blanchard, N. Bancel, S. Lemaire (dir.), La Fracture coloniale, Paris, La Découverte, 2006.
  • [43]
    H. Bhabha, Les Lieux de la culture : une théorie postcoloniale, Paris, Payot, 2008 ; N. Lazarus, Penser le postcolonial: une introduction critique, Paris, Éditions Amsterdam, 2006 ; P. Chatterjee, Politique des gouvernés. Réflexions sur la politique populaire dans la majeure partie du monde, Paris, Éditions Amsterdam, 2009 et D. Chakrabarty, Provincialiser l’Europe. La pensée postcoloniale et la différence historique, Paris, Éditions Amsterdam, 2009.
  • [44]
    Lire C. Coquery-Vidrovitch, Les Enjeux politiques de l’histoire coloniale, Marseille, Agone, 2008.
  • [45]
    J.-L. Amselle, L’Occident décroché. Enquête sur les postcolonialismes, Paris, Stock, 2008.
  • [46]
    J.-F. Bayart, Les Études postcoloniales. Un carnaval académique, Paris, Karthala, 2010.
  • [47]
    Pour une tentative de formulation philosophique de ces enjeux, lire A. Renaut, Un humanisme de la diversité…, op. cit.
  • [48]
    P. Ricœur, Histoire et Vérité, Paris, Seuil, 1955, p. 11.
  • [49]
    Il s’agit d’un mode d’investigation qui consiste à prendre comme point de départ les formes de résistance aux trois types de pouvoir caractéristiques de l’impérialisme colonial, à savoir le pouvoir de conquérir et de dominer ; le pouvoir d’exploiter ; le pouvoir d’assujettir. Pour une évaluation, lire B. Bush, Imperialism and Postcolonialism, Harlow, Longman, 2006 ; P. Wolfe, « History and Imperialism : A Century of Theory, from Marx to Postcolonialism », American Historical Review, vol. 102, n° 2, 1997, p. 388-420. Voir également, dans le champ historico-littéraire, E. Boehmer, Empire, the National, and the Postcolonial, 1890-1920, Oxford, Oxford University Press, 2001.
  • [50]
    Pour une formulation parfois caricaturale et polémique de cette position, lire J. Burbank et F. Cooper, « “Nouvelles” colonies et “vieux” empires », Mil neuf cent. Revue d’histoire intellectuelle, n° 27, 2009, p. 13-35 ; J.-F. Bayart, Les Études postcoloniales…, op. cit.
  • [51]
    Ibid.; P. Grosser, « Comment écrire l’histoire des relations internationales aujourd’hui? Quelques réflexions à partir de l’Empire britannique », Histoire @Politique. Politique, culture, société, n° 10, 2010, revue en ligne disponible sur www.histoire-politique.fr.
  • [52]
    Attraction déjà fortement remise en question par Husserl au milieu des années 1930. Lire E. Husserl, La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale, Paris, Gallimard, 1976.
  • [53]
    M. de Certeau, L’Écriture de l’histoire, Paris, Gallimard, 1975 ; P. Ricœur, Temps et Récit, 1, Paris, Seuil, 1983, en particulier le chapitre ii.
  • [54]
    P. Veyne, Comment on écrit l’histoire. Essai d’épistémologie, Paris, Seuil, 1971.
  • [55]
    J. Revel (dir.), Jeux d’échelles. La micro-analyse à l’expérience, Paris, Gallimard/Seuil, 1996.
  • [56]
    « Il faut démystifier l’instance globale du réel comme totalité à restituer », écrivait Michel Foucault.
    « Il n’y a pas “le” réel qu’on rejoindrait à condition de parler de tout ou de certaines choses plus “réelles” que les autres, et qu’on manquerait, au profit d’abstractions inconsistantes, si on se borne à faire apparaître d’autres éléments et d’autres relations. Il faudrait peut-être aussi interroger le principe, souvent implicitement admis, que la seule réalité à laquelle devrait prétendre l’histoire, c’est la société elle-même ». Voir M. Foucault, « La poussière et le nuage », in Dits et écrits, IV, 1980-1988, Paris, Gallimard, 1994, p. 15.
  • [57]
    Lire par exemple D. Chakrabarty, Rethinking Working-Class History: Bengal, 1890-1940, Princeton, Princeton University Press, 1989 ; G. Prakash, Bonded Histories : Genealogies of Labor Servitude in Colonial India, Cambridge, Cambridge University Press, 1990.
  • [58]
    M. Weber, Économie et société, Paris, Plon, 1971 [1920], première partie du chapitre i notamment.
  • [59]
    Sur ce genre d’argument, lire B. Lepetit, Les Formes de l’expérience. Une autre histoire sociale, Paris, Albin Michel, 1995.
  • [60]
    Voir par exemple H. Lagrange, Le Déni des cultures, Paris, Seuil, 2010.
  • [61]
    A. L. Stoler, « Colonial Aphasia: Race and Disabled Histories in France », Public Culture, à paraître en 2011.
  • [62]
    On utilise ici le terme « citoyenneté en souffrance » comme on le dit d’une lettre restée en souffrance, qui n’a pas atteint sa destination et est, de ce fait, restée sans réponse.
  • [63]
    M.-C. Smouts, « Les études postcoloniales en France : émergence et résistances », in N. Bancel, F. Bernault, P. Blanchard et al. (dir.), Ruptures postcoloniales. Les nouveaux visages de la société française, Paris, La Découverte, 2010, p. 309-316.
  • [64]
    J.-F. Bayart, « Les études postcoloniales, une invention politique de la tradition ? », Sociétés politiques comparées. Revue européenne d’analyse des sociétés politiques, n° 14, 2009, p. 9.
  • [65]
    Cas, par exemple, de l’ethnologue J.-L. Amselle, L’Occident décroché…, op. cit.
  • [66]
    Voir A. McClintock, Imperial Leather : Race, Gender, and Sexuality in the Colonial Conquest, New York, Routledge, 1995.
  • [67]
    Pour une synthèse, voir M. Silverman, Deconstructing the Nation : Immigration, Racism and Citizenship in Modern France, New York, Routledge, 1992.
  • [68]
    L. Dubois, Les Esclaves de la République : l’histoire oubliée de la première émancipation, 1789-1794, Paris, Calmann-Lévy, 1998.
  • [69]
    Lire notamment A. de Tocqueville, Écrits et discours politiques. Œuvres complètes, t. iii, Paris, Gallimard, 1992.
  • [70]
    Sur l’idée d’une « race française », voir R. Soucy, Fascism in France: The Case of Maurice Barrès, Berkeley, University of California Press, 1972 ; Z. Sternhell, Maurice Barrès et le nationalisme français, Paris, Fayard, 2000.
  • [71]
    Voir, en ce qui concerne en particulier l’Algérie, P. Nora, Les Français d’Algérie, Paris, Julliard, 1961 ; D. Prochaska, Making Algeria French : Colonialism in Bone, 1870-1920, Cambridge, Cambridge University Press, 1990 ; A. Lardillier, Le Peuplement français en Algérie de 1830 à 1900, Versailles, Atlanthrope, 1992.
  • [72]
    T. Stovall, « Universalisme, différence et invisibilité. Essai sur la notion de race dans l’histoire de la France contemporaine », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, n° 96-97, 2005, p. 73-90.
  • [73]
    Lire l’introduction de A. Mbembe, La Naissance du maquis dans le Sud-Cameroun (1920-1960), Paris, Karthala, 1996.
  • [74]
    S. Weil, Oeuvres, Paris, Quarto Gallimard, 1999, p. 419.
  • [75]
    Ibid., p. 420.
  • [76]
    P. Gilroy, After the Empire. Melancholia or Convivial Culture, New York, Columbia University Press, 2005.
  • [77]
    J.-L. Nancy, L’Expérience de la liberté, Paris, Galilée, 1988, p. 96.
  • [78]
    A. Appadurai, Modernity at Large…, op. cit.
  • [79]
    J. Hassoun, L’objet obscur de la haine, Paris, Aubier, 1997, p. 14.
  • [80]
    J.-M. Vaysse, L’Inconscient des modernes. Essai sur l’origine métaphysique de la psychanalyse, Paris, Gallimard, 1999, p. 389.
  • [81]
    Sur ces questions, lire A. Mbembe, Sortir de la grande nuit. Essai sur l’Afrique décolonisée, Paris, La Découverte, 2010.
  • [82]
    Sur ses antécédents historiques, voir J. Pitts, Naissance de la bonne conscience coloniale. Les libéraux français et britanniques et la question impériale (1770-1879), Ivry-sur-Seine, Éditions de l’Atelier, 2008.
  • [83]
    B. Waldenfels, Topographie de l’étranger, Paris, Van Dieren, 2009.
  • [84]
    Voir le dossier « Violence de guerre, violences coloniales, violences extrêmes avant la Shoah » dirigé par Annette Becker et Georges Bensoussan, Revue d’histoire de la Shoah, n° 189, 2008.
English version
« Comment ? Ils causent tout seuls ? [1] »

1Dans le reste du monde, le virage postcolonial dans les sciences sociales et les humanités a été effectué il y a près d’un quart de siècle. Depuis lors, la critique postcoloniale influence de nombreux débats politiques, épistémologiques, institutionnels et disciplinaires aux États-Unis, en Grande Bretagne et dans nombre de régions de l’hémisphère sud (Amérique du sud, Australie et Nouvelle-Zélande, sous-continent indien, Afrique du Sud) [2]. Dès sa naissance, cette pensée a fait l’objet d’interprétations fort variées et a suscité, à intervalles plus ou moins réguliers, des vagues de polémiques et controverses, qui au demeurant se poursuivent, voire des objections totalement contradictoires les unes avec les autres [3]. Elle a aussi donné lieu à des pratiques intellectuelles, politiques et esthétiques tout aussi foisonnantes et divergentes, au point où on est parfois fondé à se demander ce qui en constitue l’unité [4]. Nonobstant cette fragmentation, on peut affirmer qu’en son noyau central, la critique postcoloniale a pour objet ce que l’on pourrait appeler l’entremêlement des histoires et la concaténation des mondes. L’esclavage et surtout la colonisation (mais aussi les migrations, la circulation des formes et des imaginaires, des biens, des idées et des personnes) ayant joué un rôle décisif dans ce processus de collision et d’enchevêtrement des peuples, c’est non sans raison qu’elle en a fait des objets privilégiés de ses enquêtes.

2Le meilleur de la pensée postcoloniale ne considère la colonisation ni comme une structure immuable et a-historique, ni comme une entité abstraite, mais comme un processus complexe d’invention à la fois de frontières et d’intervalles, de zones de passage et d’espaces interstitiels ou de transit. Parallèlement, il fait valoir qu’en tant que force historique et moderne, l’une de ses fonctions était la production de la subalternité. Diverses puissances coloniales avaient exercé dans leurs empires respectifs une subordination fondée sur des bases raciales et des statuts juridiques parfois différenciés, mais toujours, et en dernière instance, infériorisants. En retour, dans le but d’articuler leurs revendications à l’égalité, bien des sujets coloniaux durent procéder à la critique des torts que la loi de la race et la race de la loi (et celle du genre et de la sexualité) avaient contribué à créer. La pensée postcoloniale examine ce faisant le travail accompli par la race et les différences fondées sur le genre et la sexualité dans l’imaginaire colonial et leurs fonctions dans le processus de subjectivation des assujettis coloniaux. Elle s’intéresse par ailleurs à l’analyse des phénomènes de résistance qui jalonnèrent l’histoire coloniale, aux diverses expériences d’émancipation et à leurs limites, à la façon dont les peuples opprimés se constituèrent en sujets historiques et pesèrent d’un poids propre dans la constitution d’un monde transnational et diasporique. Elle se préoccupe enfin de la manière dont les traces du passé colonial font, dans le présent, l’objet d’un travail symbolique et pratique, ainsi que des conditions dans lesquelles ce travail donne lieu à l’émergence de formes inédites, hybrides ou cosmopolites de la vie et de la politique, de la culture et de la modernité.

Décrochage et discordance des temps

3Le cloisonnement plus ou moins étanche entre les disciplines, le provincialisme plus ou moins accentué des savoirs produits et dispensés dans l’Hexagone (qu’a longtemps masqué l’exportation des produits intellectuels de luxe tels que Sartre, Lacan, Foucault, Deleuze, Derrida ou Bourdieu) et le narcissisme culturel aidant, la France est restée longtemps en marge de ces nouveaux voyages de la réflexion planétaire. Jusqu’à une date récente, la pensée postcoloniale est restée sinon méprisée, du moins peu connue dans ce pays. Cavalière indifférence ou simple insolence doublée d’ignorance ? Ostracisme calculé, désinvolture ou simple accident ? Toujours est-il qu’elle n’y fera l’objet d’aucune critique informée ni débat digne de ce nom jusqu’au début du millénaire [5]. Et, hormis quelques textes d’Edward Said, presqu’aucun théoricien se réclamant de ce courant de pensée ou de ses divers affluents (subaltern studies par exemple) ne fera l’objet de traduction [6].

4C’est qu’au moment où il commence à prendre de l’ascendant dans les milieux académiques et artistiques anglo-saxons, la France politique et culturelle, avançant dans une direction opposée, rentre dans ce que l’on pourrait appeler une sorte d’« hiver impérial ». Du point de vue de l’histoire intellectuelle, cet hiver se caractérise par une série de « décrochages », d’anathèmes et de grandes excommunications qui se soldent par le recul relatif d’une pensée française d’allure véritablement planétaire. Fort significatif est, de ce point de vue, le décrochage du marxisme et d’une conception des rapports entre la production du savoir et l’engagement militant héritée, non des années 1960 comme on tend souvent à le faire accroire, mais d’une longue histoire étroitement liée à celle du mouvement ouvrier, de l’internationalisme et de l’anticolonialisme. De fait, l’empire s’étant inscrit en profondeur dans l’identité française, surtout entre les deux guerres mondiales, sa perte (notamment celle de l’Algérie) prend l’allure d’une véritable amputation dans l’imaginaire national, soudain privé de l’une des ressources de sa fierté. La colonisation prenant fin, la peur est que la France n’eut plus, dans les équilibres mondiaux, qu’une place provinciale. L’histoire impériale – dont l’une des fonctions était de chanter la gloire de la nation, de dessiner sa galerie de portraits héroïques, ses images de conquête, ses épopées et ses représentations exotiques – est reléguée à une région périphérique et marginale de la conscience nationale. Grand gâchis, morts et souffrances inutiles pour les uns, honte et culpabilité pour les autres, la colonisation ne préoccupe plus, du moins dans l’esprit public, que les secteurs les plus réactionnaires de la société française qui, depuis la marge, s’efforcent dans la nostalgie et la mélancolie d’en préserver la mémoire.

5Beaucoup d’historiens tendent désormais à ne la traiter que comme « un moment certes important, mais finalement tardif et “exogène”, d’une très longue histoire “indigène” [7] ». Comme s’il fallait au plus vite s’en déprendre, aucune place centrale ne lui est faite à l’intérieur de la pensée philosophique et politique française au sein de laquelle elle ne joue plus dorénavant qu’une fonction d’extériorité puisqu’elle est relocalisée et située de l’autre coté de la frontière, comme pour bien marquer la disparition de l’Autre qu’aurait, pense-t-on, entraînée la décolonisation. Plus grave encore, une certaine critique s’efforce d’attribuer à la décolonisation ce qu’elle appelle « la défaite de la pensée » en France. D’une part, cette défaite trouverait son expression la plus éclatante dans la déconstruction des deux signatures de la modernité occidentale que seraient la raison et le sujet et dans la proclamation, au cours des années 1960 en particulier, des différentes morts de « l’homme », du sens et de l’histoire. D’autre part, cette « défaite » serait la conséquence de la réfutation de l’ethnocentrisme occidental rendue légitime par la décolonisation. Cette réfutation– assimilée à une manière de diabolisation et de culpabilisation de l’Occident – aurait abouti à la dissolution de « l’homme », « ce concept unitaire de portée universelle », et à sa substitution par « l’homme différent », pierre angulaire d’une diversité culturelle sans hiérarchie [8]. Le relativisme culturel et l’émiettement du sujet humain en une série de singularités irréductibles les unes aux autres auraient, à leur tour, facilité la naissance de projets de transformation radicale de la société qui s’incarneront dans le tiers-mondisme et le gauchisme [9].

6Au moment où, prenant appui sur le poststructuralisme, la psychanalyse et une tradition du marxisme critique, la pensée postcoloniale prend son envol dans le monde anglo-saxon, nombre de penseurs qui auraient pu s’y intéresser – et dont certains ont autrefois milité au Parti communiste, sympathisé avec cette formation politique ou eu des accointances avec des organisations radicales ou anti-impérialistes – sont pressés d’en finir avec le gauchisme et ses avatars, au premier rang desquels ils placent « le tiers-mondisme » [10]. Au sein d’une certaine gauche notamment – où l’identification des luttes et « causes justes » à celles du Parti communiste avait été étroite –, on cherche à sortir de l’adhésion inconditionnelle à la dogmatique marxiste-léniniste afin de pouvoir formuler de nouvelles positions critiques qui permettraient de penser le stalinisme et la politique de l’Union soviétique en termes qui ne reprennent pas purement et simplement le langage de la droite et qui n’ouvrent pas la voie à une nouvelle phase d’exaltation nationaliste. Dans ce contexte, le tiers-mondisme est assimilé tantôt à un militantisme expiatoire, tantôt à la haine de soi et de l’Occident. Cette catégorie polémique surgit en France à un moment où l’échec du projet révolutionnaire dans les mondes extra-européens ne fait plus de doute, tandis que dans l’Hexagone l’idéologie des droits de l’homme connaît un essor notable. Par ailleurs, à la conception traditionnellement anti-impérialiste de la solidarité internationale [11], une partie des intellectuels revenus du marxisme oppose désormais une « morale de l’extrême urgence » (humanitarisme) qui met l’accent sur des interventions ponctuelles là où en réponse à la misère du monde, le projet était auparavant la construction du socialisme. La conviction, désormais, est qu’il n’y aura de socialisme hors d’Occident que totalitaire. Dans ces conditions, il ne sert à rien de vouloir transférer les aspirations et utopies révolutionnaires occidentales vers les mouvements de lutte des pays non-européens.

7C’est dans ce contexte qu’abreuvés de sarcasmes, Jean-Paul Sartre et à travers lui toute une tradition de pensée anticolonialiste font l’objet d’un retentissant désaveu. Auparavant, Frantz Fanon, presque condamné à l’ostracisme, venait de commencer son long purgatoire, ne suscitant plus que l’intérêt de voix marginales et vite étouffées. De Césaire, l’élite bien-pensante ne veut rien savoir du Discours sur le colonialisme, et encore moins de la Tragédie du roi Christophe ou d’Une Saison au Congo. Elle ne veut retenir que l’image de l’homme qui, tournant le dos aux sirènes de l’indépendance, a fait le choix de faire de son île un département de la France. Hormis chez Sartre et de Beauvoir, et à l’exception de quelques débris chez Derrida, aucun des deux grands mouvements visant à déconstruire la race au cours du xxe siècle – le mouvement des droits civiques aux États-Unis et la lutte globale contre l’apartheid – ne laisse de traces saillantes dans l’œuvre des ténors de la pensée française. Ainsi, traitant de l’État racial vers la fin des années 1970, Michel Foucault n’a pas un seul mot sur l’Afrique du Sud qui, à l’époque, représente pourtant le seul archétype « réellement existant » de la ségrégation légale [12]. C’est du reste en Amérique et non à Paris que Maryse Condé, Valentin Mudimbe et Édouard Glissant – grandes figures françaises ou francophones identifiées à ce courant même si elles-mêmes ne s’y reconnaissent pas entièrement – trouvent refuge et reconnaissance, voire consécration.

8Une partie de l’humanisme colonial français consistait à identifier et à reconnaître, dans les traits des peuples que la France avait subjugués, le visage multiple de l’humanité et la physionomie innombrable de la Terre. Chez les réformateurs coloniaux en particulier, la reconnaissance des différences entre groupes humains n’empêchait nullement la constitution d’une fraternité asymétrique. L’entreprise coloniale elle-même avait été une affaire relativement multiraciale [13]. Du commandant de cercle à l’interprète, voire au gouverneur ; du tirailleur réquisitionné lors des guerres de conquête ou de « pacification » au député au palais Bourbon, voire au ministre, le visage public de l’Empire français était loin d’être entièrement pâle. Au début des années 1980, ce bariolage des couleurs n’est plus qu’un lointain souvenir. Le projet d’assimilation – qui avait été l’une des pierres d’angle de l’humanisme colonial français et qui avait, plus qu’on ne veut souvent l’avouer, recueilli la profonde adhésion de bien des sujets coloniaux – est quasiment abandonné au lendemain de la décolonisation. Les minorités sont progressivement mises sous le boisseau, recouvertes d’un voile de pudeur qui obfusque leur visibilité dans la vie politique et publique de la nation. Quant aux anciennes possessions d’Afrique en particulier, elles sont abandonnées à leurs tyrans auxquels, à coups de corruption et d’interventions militaires, les classes dirigeantes françaises dispensent libéralement leur soutien politique et idéologique. Ceux des dissidents qui, comme Mongo Beti, dénoncent à partir de la marge les violences néocoloniales sont tournés en dérision et crient pratiquement dans le désert [14]. Lorsque la marginalisation ne suffit pas à les ramener à la raison, on n’hésite pas à recourir à la censure afin de les faire taire [15].

9On observe le même processus de recentrage hexagonal de la pensée dans la critique de ce que l’on appelle, pour la stigmatiser,« la pensée 68 ». Celle-ci est décriée au moment même où le poststructuralisme et la French theory enflamment l’imagination académique dans le reste du monde. Si Foucault, Derrida, Barthes, Lacan et d’autres inspirent une certaine démarche de la pensée postcoloniale, ces auteurs font – autre preuve de la discordance des temps – l’objet d’un « procès » en France. Ils sont en effet accusés d’être, pêle-mêle, des fossoyeurs des Lumières et des ennemis de l’humanisme. Il leur est reproché d’avoir liquidé le sens et la transcendance, d’avoir favorisé l’avènement d’un procès sans sujet et d’avoir inventé un monde et une histoire qui nous échappent de toutes parts [16]. Pour le reste, échaudée par le spectacle malheureux des lendemains d’indépendance et les dérives autoritaires des nouveaux régimes ; convaincue qu’elle s’était pour l’essentiel fourvoyée et déterminée à oublier, voire à renier ses engagements passés dans la cause anticoloniale, une partie importante de l’intelligentsia n’arrête plus de battre sa coulpe et croit trouver dans la croisade antitotalitaire son nouveau chemin de Damas.

10Au fond, ce grand mouvement de redistribution des cartes conceptuelles et la transformation décisive de l’espace idéologique qui en résulte ont commencé bien avant la décolonisation proprement dite. Celle-ci sert surtout d’accélérateur à une dynamique amorcée au milieu des années 1930. À l’époque déjà, les milieux de la démocratie chrétienne, certains courants libéraux et dissidents de la gauche s’interrogent sur la nature de l’URSS et des tentations qui guettent la démocratie libérale [17]. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, au sortir du nazisme, une partie importante de la pensée française se trouve confrontée à la question du communisme dans sa version stalinienne [18]. Mais c’est au cours de la période de la guerre froide que le passage de l’antifascisme à l’anticommunisme atteint le point de non-retour. Au sein de l’intelligentsia française, la lecture des relations internationales s’effectue désormais dans le cadre de l’antagonisme capitalisme/communisme d’une part, et, d’autre part, démocratie libérale/totalitarisme [19]. Ponctuée par des événements tels que le procès de Kravchenko et de Rousset, la révolte hongroise et le printemps de Prague, cette dynamique atteint son point culminant dans les années 1950, puis rebondit de plus belle dans les années 1970 lorsque les repentis de la « lutte des classes » (des intellectuels aux parcours et intérêts différents, mais qui ont en commun d’être issus ou d’avoir été proches du marxisme-léninisme) opèrent le glissement du philocommunisme et de la foi laïque dans le socialisme à l’invocation de la dissidence et des droits de l’homme. Sur fond de crise des relations entre les intellectuels et les partis de gauche, ils s’emparent alors du concept de « totalitarisme » dont ils lient l’usage à un militantisme polémique et à un plaidoyer pour la dissidence et les droits humains dans les pays du Pacte de Varsovie [20]. L’avènement de la pensée postcoloniale au cours du dernier quart du xxe siècle coïncide donc avec la tentative, en France, de sortie des marxismes (officiels et d’opposition) et l’arraisonnement de la pensée par le projet antitotalitaire [21]. Contrairement aux intuitions de Hannah Arendt, la plupart des théories françaises du totalitarisme sont cependant oublieuses non seulement du fascisme et du nazisme, mais aussi du colonialisme et de l’impérialisme. C’est que pauvre théoriquement, le concept de totalitarisme fonctionne avant tout, et à quelques exceptions près, à la manière d’une matraque. Son élaboration est subordonnée aux impératifs de politique intérieure française et on l’utilise d’abord pour instruire le procès du marxisme [22].

11Les facteurs brièvement évoqués ci-dessus ont non seulement retardé la diffusion de la pensée postcoloniale en France, mais encore en ont fortement brouillé la réception. Encore faut-il ajouter ce que l’on pourrait appeler les raisons « épistémiques ». Celles-ci ont trait aux conditions et modalités de production du savoir sur les mondes extra-européens dans les sciences sociales et les humanités sous la colonisation et au lendemain de la décolonisation. Comme l’a montré Pierre Singaravélou, les années 1880-1910, au cours desquelles culminent le scientisme et l’expansion coloniale, correspondent au moment de l’institutionnalisation des savoirs sur les colonies et les populations colonisées [23]. Les « sciences coloniales » en France (l’histoire, la géographie, la législation, l’économie) avaient pour objet central les « races attardées » [24]. Leur fonction principale était d’une part de contribuer à la mise en scène de la diversité humaine et, d’autre part de contribuer, par la connaissance, à l’élévation de cette humanité primitive au niveau des« peuples évolués » [25]. À leur fondement se trouvaient trois postulats – évolutionniste, différentialiste et primitiviste [26]. Si les « sciences coloniales » proprement dites disparaissent progressivement de la scène au lendemain de la décolonisation, c’est souvent pour être remplacées par les « sciences de la guerre froide ». La « grande partition » qui présida à leur naissance et qui justifiait l’existence d’un véritable apartheid non seulement des connaissances, mais aussi des institutions, persiste cependant. Qu’il s’agisse des disciplines historiques, géographiques, juridiques, économiques, ethnographiques ou politiques, la valorisation de la différence et de l’altérité constitue, d’un point de vue épistémique, la pierre philosophale de toute mise en ordre cognitive des mondes extra-européens. La différence – telle est l’épistémologie qui fonde ces « sciences ». C’est ce qui explique en très grande partie la ségrégation entre les discours et savoirs concernant les mondes anciennement colonisés et les discours et savoirs sur l’Hexagone. Par ailleurs, l’espace concédé aux études extra-européennes étant des plus réduits dans le dispositif académique et culturel français, ces savoirs ne sont guère intégrés ni dans la« bibliothèque nationale des connaissances », ni à une véritable histoire-monde [27]. Au contraire, une topographie des savoirs fondée sur un nouveau partage du monde en « aires culturelles » (area studies) domine désormais. On retrouve la même logique de discrimination et de cantonnement dans des espaces réservés en matière de dispositifs institutionnels et d’édition. Les instituts et centres de recherche sur les mondes extra-européens fonctionnent à la manière de ghettos au sein du dispositif universitaire tandis que la grande majorité des ouvrages scientifiques ou des articles concernant les mondes postcoloniaux est confinée, dans la plupart des disciplines, dans un groupe séparé de revues et maisons d’éditions [28].

12Intellectuellement et culturellement, la France cherche désormais ailleurs que dans l’empire et ses vestiges d’autres ressources pour nourrir le patriotisme et alimenter sa « fonction imaginaire ». Peut-être ne se replie-t-elle pas entièrement sur l’Hexagone. Mais c’est adossée à l’Hexagone qui, désormais, lui sert de filtre, qu’elle entreprend sa lecture d’elle-même et du monde. Entre 1980 et 1995, une génération d’universitaires formés dans les institutions françaises et composés en très grande partie de citoyens français « de couleur » et de ressortissants de minorités issues des anciennes possessions coloniales commence à tirer les conséquences de cet hiver culturel et intellectuel. En butte au monocolourism et au système mandarinal et bureaucratique en vigueur dans les universités et les centres de recherche, ils émigrent aux États-Unis où, qu’il s’agisse du linguistic turn, du self-reflexive moment en anthropologie, de la critique féministe ou des critical race studies, une véritable effervescence est en cours dans les humanités et les sciences sociales. Ils se ressourcent à la rencontre de la pensée afro-américaine, des Caraïbes anglophones, des mondes sino-indiens et latino-américains, et des nouvelles interprétations de l’histoire et de la littérature françaises qui émergent au sein de l’académie américaine [29].

Frémissements

13Les remarques qui précèdent visent à contextualiser non seulement le décalage dans la réception des études postcoloniales en France, mais aussi le déphasage français en relation à un monde qui, une fois la décolonisation en grande partie achevée, se reconstitue désormais sur le modèle de la circulation de flux éclatés et diasporiques [30]. Alors que la France s’arc-boute sur ses problématiques traditionnelles de l’« assimilation » et de l’« intégration », ailleurs on privilégie celle des « modernités alternatives [31] ». C’est au début des années 1990 que la France commence timidement à secouer sa langueur postcoloniale. Comme c’est souvent le cas, cette secousse s’amorce à partir des marges de la société. Un frémissement s’observe d’abord dans le domaine artistique et culturel. La greffe d’éléments de la culture populaire afro-américaine à la culture populaire des banlieues commence à produire des effets parmi les jeunes issus des minorités. Tel est notamment le cas dans les sphères de la musique, du sport, de la mode et de la stylistique de soi [32]. L’âge d’or de la présence afro-américaine au cœur de Paris (de 1914 jusque vers les années 1970) est certes révolu [33]. La très longue période de domination du jazz, du reggae et du rhythm and blues touche à sa fin, et l’irruption du hip-hop et la réception des diverses variantes du rap ne sont guère dénuées d’ambiguïté. Mais certaines figures de proue de cette nouvelle forme d’expression donnent à ce genre musical une indéniable tonalité politique [34]. Cette nouvelle sensibilité esthétique s’alimente également, bien qu’indirectement, de la lente domination du football par les athlètes noirs et d’origine maghrébine. D’ailleurs, quelques-uns d’entre eux n’hésitent pas à intervenir dans des débats concernant le racisme ou la citoyenneté [35]. La relative fusion entre les figures noires de l’équipe nationale de football et les figures noires du basket-ball étatsunien et de l’athlétisme américain et caribéen demeure, aujourd’hui encore, un point d’ancrage à potentialité symbolique forte, du moins parmi les jeunes des banlieues confrontés à des processus contradictoires d’auto-identification et rongés par un désir effréné de participation à la société de consommation dont la global black culture est devenue un indice planétaire [36].

14Ce frémissement s’observe également dans les formes nouvelles que revêtent les luttes des minorités, que celles-ci appartiennent à la catégorie des intrus et complete outsiders (immigrés légaux ou clandestins) auxquels est refusé le droit d’avoir des droits ; ou à celle des sans-parts de la démocratie française – ceux qui, bien que nominalement français, s’estiment néanmoins privés de la jouissance pleine et entière des profits symboliques rattachés à la citoyenneté, à commencer par le droit à la visibilité. C’est que, depuis le milieu des années 1970, des clubs de pensée de l’extrême droite développent l’idée selon laquelle l’identité nationale française serait souillée par les immigrés. D’abord agitée par le Front national, cette idée gagne peu à peu la droite républicaine et s’infiltre dans une bonne partie de la gauche, voire de l’extrême gauche. Si, après les boucheries des deux guerres mondiales la France avait en effet organisé une immigration destinée à répondre au pressant besoin de main-d’œuvre de ses industries, cette immigration a été effectivement stoppée après la crise pétrolière de 1974. Depuis lors, il n’y a d’immigration en France que marginale – par le biais des regroupements familiaux, des demandes d’asile, des études, d’entrées pour des raisons touristiques, ou alors clandestines.

15Mais alors que l’immigration n’est plus que marginale, les lois n’ont cessé de se durcir au cours de cette période de gel, chaque ministre de l’Intérieur se faisant le devoir de passer une ou plusieurs lois anti-immigration toujours plus draconienne(s) que les précédentes. En plus de créer des digues à l’entrée, l’une des conséquences immédiates de cette cascade de dispositifs législatifs et de répression est de rendre chaque fois plus précaire la vie des étrangers d’ores et déjà établis en France. Par ailleurs, l’accumulation de lois et l’emballement réglementaire ont permis de produire, au cours des vingt dernières années, un nombre considérable de « sans-papiers » que l’État entreprend ensuite de traquer au nom de la lutte contre l’immigration clandestine [37].

16Si la première forme de mobilisation a pour enjeu central le droit d’avoir des droits (à commencer par le droit de séjour en France), la deuxième (qui émerge vers la fin des années 1990) est une lutte pour la visibilité et contre la minoration et les stéréotypes. Elle s’attaque indirectement à un non-dit majeur du modèle républicain français – l’implicite « blanc » de la francité. En effet, au nom du principe d’égalité entre les individus, la constitution française préconise que ne soient guère prises en compte les différences de race, d’ethnie, de genre ou de religion entre les individus et les groupes. Elle se veut laïque et colour blind. Les conséquences de cette radicale indifférence aux différences sont telles que la collecte de « statistiques ethniques » est proscrite par la loi, et toute velléité de programmes d’action affirmative décriée [38]. L’effet pervers de cette indifférence aux différences est une relative indifférence aux discriminations.

17À cet égard et jusqu’à la fin des années 1990, les médias en général et la télévision en particulier constituent la scène principale d’une double violence symbolique – d’une part la violence de l’indifférence et de la minoration ; d’autre part la violence impliquée dans la production des stéréotypes et des préjugés racistes. À l’époque, les minorités ne sont certes pas invisibles à la télévision. Mais lorsqu’elles y font irruption, c’est dans des émissions musicales ou sportives. Les Noirs en particulier n’apparaissent souvent à l’écran et dans le champ public que comme comédiens, chanteurs ou saltimbanques. Lorsqu’ils sont présents dans les fictions, il s’agit presque toujours de fictions américaines et non françaises. Il en va de même des publicités et des émissions sur la vie quotidienne. Les footballeurs et autres athlètes ne sont pas mieux lotis. Ils sont assimilés à des « tirailleurs » modernes dont le corps et la puissance physique sont entièrement dévoués au drapeau, mais sur lesquels pèse constamment le soupçon de ne pas vouloir chanter La Marseillaise à pleins poumons.

18La production des stéréotypes vise, quant à elle, à renvoyer les minorités à leurs origines « ailleurs » et à leur attribuer une irréductible altérité. Ces stéréotypes sont ensuite recyclés et réinterprétés comme constitutifs de leur essentielle étrangeté [39]. D’ailleurs, les minorités en viendraient-elles à faire l’objet d’une véritable intégration au sein de la société que c’est cette étrangeté même qui risquerait de contaminer l’identité française de l’intérieur.« Le voile intégral », peut ainsi affirmer la féministe Élisabeth Badinter, « symbolise le refus absolu d’entrée en contact avec l’autre ou plus précisément le refus de la réciprocité. La femme au voile intégral, elle s’arroge le droit de me voir, mais me refuse le droit réciproque de la voir. Outre la violence symbolique que représente cette non-réciprocité, je ne peux m’empêcher d’y voir une sorte de contradiction pathologique. D’une part, on refuse de montrer son visage sous prétexte de ne pas être l’objet de regards impurs […]. De l’autre, on se livre à une véritable exhibition de soi, car tout le monde regarde cet objet non identifié [40] ».

19À la différence des « Français de souche », les minorités se caractériseraient surtout par l’exotisme de leurs coutumes, fruits, parfums, costumes et cuisines, et les tropicalités des lieux d’où elles sont originaires. La logique de ces représentations est de renvoyer les Français non-blancs aux causes géographiques, climatiques ou culturelles de leur défaut d’intégration à la nation. L’utilisation répétée du qualificatif « ethnique » pour les nommer ainsi que pour désigner leurs pratiques est, de ce fait, stratégique. D’une part, elle ne se comprend qu’en référence au non-dit selon lequel les Français blancs ne sont pas « ethniques » [41]. D’autre part, elle cherche à souligner leur inassimilabilité. C’est contre ce dispositif symbolique que s’élève, en 1998, le Collectif Égalité.

20C’est également au début des années 1990 que se dessinent des initiatives parallèles dans le champ académique [42]. Depuis lors, un ensemble d’événements a permis, au cours des cinq dernières années, une visibilité accrue de la pensée postcoloniale au sein du public français. Phénomène de mode ou pas, plusieurs années après les ouvrages d’Edward Said, des textes importants du corpus postcolonial font finalement l’objet de traductions et d’innombrables débats [43]. De nombreux jeunes chercheurs produisent des travaux originaux présentés lors de colloques et séminaires ou dans des revues.

Byzantines querelles

21Comme on vient de le montrer, l’irruption de la pensée postcoloniale dans le champ discursif français et les différends qu’elle suscite doivent tout sauf à des circonstances contingentes. Récemment, la critique s’est cependant déplacée du champ strictement littéraire et théorique aux sciences sociales. Au cours de ce déplacement, elle a dégénéré en querelle byzantine. Celle-ci est animée par un groupe de contempteurs dont les assauts, souvent désinvoltes, ne se privent pas d’insinuations malveillantes et visent avant tout à abaisser les auteurs de travaux qu’ils n’ont pris soin ni de bien lire ni, et encore moins, de comprendre. Cette querelle ne surgit pas, ni ne se déroule, dans un vide idéologique. Surtout chez les zélotes de l’anti-postcolonialisme, ses enjeux ne sont pas simplement – ni même d’abord – des enjeux de savoir et de connaissance, ainsi que l’explique bien Catherine Coquery-Vidrovitch dans un ouvrage fort remarqué [44]. Mus par une ferveur toute pentecôtiste, ils se servent avant tout de la pensée postcoloniale comme d’autres, avant eux, se sont servis du « tiers-mondisme » et de « la pensée 68 » – comme d’un chiffon rouge. C’est le cas du pamphlet au ton frelaté, L’Occident décroché, de l’ethnologue Jean-Loup Amselle [45]. Dans la plupart des cas, ce dernier « fabrique » littéralement des énoncés apodictiques. Il les impute ensuite à des auteurs qu’il qualifie d’autorité de « postcolonialistes » alors que non seulement ces derniers ne se revendiquent guère de ce courant de pensée, mais encore n’ont jamais énoncé dans la réalité les arguments qui leur sont prêtés et auxquels s’attaque notre croisé. Critiquant un argumentaire qu’il a lui-même« fabriqué » selon des modalités qui ne sont à aucun moment explicitées, il peut alors construire un front ennemi en apparence homogène, mais en vérité imaginaire.

22Là où ces enjeux de connaissance existent, comme le soutient non sans raison Jean-François Bayart dans un essai polémique [46], ces derniers ne peuvent guère être dissociés, comme il semble le suggérer, des enjeux éthiques et philosophiques [47]. Car la colonisation n’était pas qu’une forme particulière de rationalité, avec ses technologies et ses dispositifs. Elle se voulait également une certaine structure du connaître, une structure du croire, voire, comme l’avait fait valoir Edward Said, un régime épistémique. Au demeurant, elle revendiquait un double statut de juridiction et de véridiction. À ce titre, non seulement il ya bel et bien une singularité morale de la colonisation en tant qu’idéologie et pratique de la conquête du monde et de l’asservissement des races jugées inférieures, mais encore la critique de la connaissance historique des situations coloniales doit bel et bien alterner ce que Paul Ricœur appelait « le souci épistémologique » (propre à l’opération historiographique) et le « souci éthico-culturel » (qui relève du jugement historique) [48]. C’est d’ailleurs ce que Ricœur appelait une « herméneutique critique ». C’est une démarche à laquelle on a le droit de rester indifférent. Mais elle est légitime, tout comme les critiques de type nominaliste ou philosophique de la colonisation formulées à travers des analyses historiques, littéraires, psychanalytiques ou phénoménologiques.

23Dans le but de disqualifier en bloc « les études postcoloniales », leurs pourfendeurs entretiennent volontiers l’amalgame entre ce courant de pensée et l’usage qu’en font certains de ses tenants français. Ils s’en prennent notamment à la manière dont la critique postcoloniale est jouée dans le réel – par exemple le fait qu’entre les mains de ses tenants locaux, cette pensée tend à devenir un instrument de lutte, d’affrontements et de refus. Avec un aveuglement commode, ils font en outre comme s’il n’existait point une tradition des « études postcoloniales » qui, depuis ses origines, n’a cessé de replacer l’histoire de la colonisation dans la perspective d’une histoire de l’impérialisme – ou plus précisément de l’anti-impérialisme [49]. Puis, arguant du fait qu’en bien des régions du monde la colonisation fut brève, ils cherchent à en minimiser l’impact et la portée qu’ils qualifient de superficiels sans que l’on sache exactement quels sont les critères permettant d’établir historiquement un tel bilan. Dans les deux cas, l’objectif est chaque fois de dénier à la colonisation toute fonction fondatrice dans l’histoire des sociétés autochtones; d’en minimiser la violence et d’en faire un événement blanc; de faire valoir que les empires coloniaux n’ont pas grand-chose de nouveau ; que le colonialisme n’est qu’un cas particulier d’un phénomène transhistorique et universel (l’impérialisme) ; enfin, que le monde impérial est loin de constituer un « système » omnipotent puisqu’il est travaillé par des tensions et affrontements internes, voire par des impossibilités et des discontinuités [50]. Puis, comme si cette catégorie disciplinaire était intégralement claire à elle-même, certains proposent de recourir à la « sociologie historique » pour rendre compte des faits coloniaux qu’ils réduisent soit à un simple problème de passage de l’empire à l’État-nation, soità un simple inventaire comparé des pratiques de gouvernance impériale [51].

24Ils mobilisent à cet effet des figures totémiques telles que Max Weber et Michel Foucault et s’efforcent ensuite de réactiver la vieille querelle explication/ interprétation/compréhension que des auteurs comme Paul Ricœur s’étaient pourtant efforcés d’apaiser. C’était à une époque – que l’on croyait révolue– où les sciences sociales continuaient de subir de plein fouet l’attraction des modèles quantitatifs et positivistes en vigueur dans les sciences de la nature [52]. Au demeurant, comme le rappellent Paul Ricœur ou Michel de Certeau, l’interprétation est un trait de la recherche de la vérité en histoire. Il en est de même de la dimension narrative ou littéraire de tout discours historique. Elle renferme toujours, a priori, une dimension cognitive [53]. Derrière les deux officiants que sont Weber et Foucault et sous le couvert d’un appel à une relecture de« l’histoire impériale », n’est-ce pas, en réalité, aux noces d’Auguste Comte et du structuralisme que l’on est convié ? Après tout, on n’a guère besoin de mettre en doute les concepts de vérité, de réalité ou de connaissance pour faire valoir que l’activité scientifique est une construction sociale. D’autre part, et dans une large mesure, les faits n’existent qu’à travers le langage au moyen duquel ils sont exprimés et les descriptions qui les produisent. Quant au qualificatif « historique » rattaché à cette « sociologie », il n’a souvent que peu à voir avec les acquis de la critique française de la deuxième moitié du xxe siècle. En insistant sur le fait qu’il n’y a pas, en histoire, de mode privilégié d’explication, cette critique fait valoir, par ricochet, qu’il existe une variété de types d’explication [54]. La« sociologie historique » n’est qu’un type d’explication parmi plusieurs autres. S’agissant de l’analyse des situations coloniales, il n’est pas nécessairement vrai que dans les échelles d’observation, le petit est meilleur à penser que le grand, le détail plus que l’ensemble, et l’exception plus que la généralisation [55]. Il n’est pas vrai non plus que « les études post-coloniales » ne feraient que du textualisme, de l’idéologie et de la dénonciation militante ou « compassionnelle » tandis que la « sociologie historique » ferait de la « science » pure et« cynique ». À des degrés divers, aussi bien les « études postcoloniales » que la « sociologie historique » travaillent sur des représentations, passent incessamment par des jugements moraux, n’opèrent pas toujours la distinction entre ce qui est vrai et ce qui est tenu pour vrai, manipulent des séries causales par définition contingentes et constituent, en fin de compte, des héritiers d’un même genre discursif – la« philosophie critique de l’histoire ».

25On prétend par ailleurs que « les études postcoloniales » ne se seraient occupé que des « discours » et des textes et non des « pratiques réelles », comme si les discours des gens ne faisaient pas partie de leur « réalité » et comme si l’examen des dimensions imaginaires de la colonisation ou encore des faits psychiques ou iconographiques était sans importance dans la reconstitution des représentations et des pratiques des acteurs de l’époque [56]. On passe ainsi sous silence le fait que l’un des objets privilégiés des « études postcoloniales » est justement l’étude des transactions matérielles et symboliques et des interactions intersubjectives qui, dans le contexte colonial, permettaient de constituer le lien colonial. En réalité, quantité d’études se réclamant de ce courant de pensée dissèquent non seulement les discours, les textes et les représentations, mais aussi les comportements des sujets coloniaux et leurs réponses à la pression des normes coloniales, les diverses manœuvres de négociation, de justification ou de dénonciation qu’ils ne cessèrent de déployer, le plus souvent dans des contextes d’incertitude parfois radicale [57]. Elles montrent comment les sujets colonisés sont pris non seulement dans des rapports de production, mais aussi dans des relations de pouvoir, de sens et de savoir – toutes choses qui exigent, si l’on devait suivre Weber lui-même, de combiner d’entrée de jeu explication, compréhension et interprétation [58]. À côté de « la sociologie historique », il y a donc place pour d’autres modèles (mixtes) d’explication et d’interprétation des situations coloniales et de leurs dispositifs. Dans l’expérience coloniale, il n’y a pas de « pratiques sociales » (ou ce que les zélotes de l’anti-postcolonialisme appellent « les réalités concrètes ») qui seraient séparées des « discours », des langages ou des représentations. Discours, langages et représentations, en plus d’être des composantes symboliques et imaginaires dans la structuration du lien colonial et dans la constitution des sujets colonisés, constituent en eux-mêmes des ressources de l’action et des pratiques à part entière [59].

26Si la querelle initiée en France par les tenants de l’anti-postcolonialisme est anachronique d’un point de vue épistémologique, elle est par contre fort symptomatique d’un point de vue culturel et politique puisque ses enjeux portent désormais sur l’identité même de la France, les limites de son modèle démocratique et les ambiguïtés de son universalisme républicain. Car, au fond, la querelle autour de la pensée postcoloniale– comme d’ailleurs les autres querelles concernant la régulation de l’islam, le voile ou la burqa, les débats récemment commandités par l’État sur l’identité nationale, la fièvre des commémorations ou les innombrables projets de monuments, musées et stèles funéraires – est d’abord le symptôme d’un profond chiasme dans le présent et du malaise de la France dans la mondialisation. Il en est de même des dérives racistes dans la sphère publique, que celles-ci aient trait à l’instrumentalisation de l’islam, à la sorte de « guerre sociale » menée contre les jeunes Français « issus de l’immigration » dans les banlieues, aux déportations de groupes vulnérables définis en fonction de leurs origines ethniques, ou à la montée du culturalisme dans l’explication des faits de discrimination sociale [60]. Ce chiasme– autre nom de ce qu’Ann Laura Stoler appelle l’aphasie – est une conséquence directe des maladies françaises de la colonisation, comme l’on parlait autrefois des maladies de l’esprit [61]. Il trouve ses ressorts privilégiés dans l’affrontement en cours de deux désirs antagonistes - d’une part le désir d’apartheid (renforcement des frontières, contrôle des identités, stigmatisation de l’islam, de l’immigration et des banlieues, rafles et déportations) porté par une nébuleuse néo-révisionniste et, de l’autre, le désir de reconnaissance symbolique et d’élargissement d’une citoyenneté en souffrance – désir porté en particulier par les minorités et ceux qui les soutiennent [62]. Une chose unit ces minorités par ailleurs fragmentées – ce qu’elles perçoivent subjectivement comme une condition de dépossession symbolique. Cette dépossession est aggravée par l’apparente rémanence et reproduction dans la France contemporaine de pratiques, schèmes de pensée et représentations hérités d’un passé d’infériorisation juridique et de stigmatisation raciale et culturelle.

Parisianisme, anti-postcolonialisme et anachronisme

27Dans le contexte des maladies de la colonisation dont la France fait l’expérience, les courants néo-révisionnistes bénéficient du renfort inattendu d’un certain nombre de chercheurs qui prétendent démontrer que la pensée postcoloniale n’a en rien contribué à la connaissance du fait impérial et colonial ; qu’elle est non seulement inutile, mais aussi nuisible et que la tâche de l’heure consiste à l’enterrer purement et simplement. Portée en très grande partie par des cercles parisiens, l’hostilité à l’égard du postcolonialisme n’est pas seulement tardive et décalée. D’après Marie-Claude Smouts, « les procédés de disqualification ont été des plus ordinaires. Le plus répandu, celui que rencontrent toutes les écoles de pensée nouvelles quelque peu dérangeantes […] consiste à confondre une approche théorique complexe avec ce que certains en font, privilégier dans un corpus d’énonciations multiples celles qui sont les moins solides, retenir quelques formules extrêmes – de préférence en les isolant de leur contexte – et, sur ces bases, disqualifier le tout. L’astuce n’en fonctionne que mieux si l’on dispose d’un épouvantail tout trouvé, à l’instar de la figure bien pratique du “postcolonial antisémite” […] ou si l’on en fabrique un de toutes pièces [63] », à l’exemple des « héritiers de Sartre », « assez peu soucieux », du moins si l’on en croit Jean-François Bayart, « de décider s’ils doivent, ou non, porter les valises du Hamas ou d’al Qaida [64] ».

28On pourrait ajouter que des pourfendeurs gaulois du postcolonialisme, très peu lisent l’anglais dans le texte. Du fait de cette infirmité linguistique que sous-tend une conception toute pontificale des sciences sociales et de leur supposée neutralité, une part importante de leurs diatribes se fait à partir d’une position de sublime ignorance [65]. S’étant longtemps pris pour les « fondés de parole » des mondes extra-européens, ils ne supportent pas que les ex-colonisés se mettent « à causer tout seuls ». Plus grave encore, ils ne veulent d’aucune ethnographie de la France qui passerait par l’Autre et d’aucune mise en question de la France depuis ses interstices et ses lieux d’entrelacement avec ses innombrables ailleurs. Ils tiennent à garder intacte la fiction d’une France qui n’aurait guère à répondre de son étrangeté puisque, ayant d’ores et déjà fusionné le propre et l’universel, elle n’aurait rien à apprendre du monde et ne saurait recevoir son nom de l’étranger.

29Trop étroitement liée à des problèmes de taxonomie, leur critique n’apporte aucune contribution originale aux nombreux débats qui ont émaillé l’histoire de la pensée postcoloniale depuis ses origines. Pour le moment, elle semble surtout agiter ceux qui étaient de toute façon opposés a priori à ce courant. Quant aux praticiens des études postcoloniales, la plupart restent indifférents à la critique d’une argumentation qu’ils n’ont jamais revendiquée comme la leur. Par ailleurs, les tenants français de l’anti-postcolonialisme se contentent souvent de régurgiter des observations déjà émises à l’intérieur du champ des études postcoloniales elles-mêmes – observations que l’on s’efforce ensuite de présenter comme novatrices à un lectorat peu au fait de l’histoire de ce courant. Ainsi de la supposée réification et a-historicisme de la colonisation. Au milieu des années 1990, Ann McClintock attirait déjà l’attention sur les risques portés par un terme monolithique et singulier, utilisé de façon a-historique et hanté par une image du progrès linéaire héritée du xixe siècle [66]. On ne compte plus le nombre d’études littéraires et historiques publiées chaque année dans les revues telles que le Journal of Postcolonial Studies ou Interventions qui répètent et démontrent à partir d’exemples tirés des anciens mondes coloniaux que l’impérialisme se développa comme un projet contradictoire et ambigu, déterminé autant par les tensions au sein de la Métropole et les conflits internes aux administrations coloniales que par les différentes cultures et contextes dans lesquels les colonisateurs firent irruption. Le féminisme postcolonial en particulier – dont on sait qu’il s’est constitué en rupture avec à la fois le courant androcentriste des études postcoloniales et celui de la pensée féministe hégémonique– n’a eu cesse de décrire, y compris dans le détail des relations interpersonnelles, un monde colonial traversé de rapports sociaux dynamiques, hybrides et contradictoires. Ses grandes figures ont contribué à repenser des concepts comme la famille, le travail, ou même la violence. Avec force détails, elles ont également montré comment la subjectivité des colonisateurs se construit dans la masculinisation excessive de ces derniers et dans l’infériorisation par la féminisation des indigènes.

30Typique de l’anti-postcolonialisme français est par ailleurs sa cécité dès lors qu’il s’agit d’analyser les problèmes posés par les différences raciales et le rôle que joue la race dans la définition de l’identité française aujourd’hui. Les modèles français de la pensée raciale ont varié au cours du temps, et notamment depuis le xviie siècle, quand d’importantes populations non-blanches sont appelées à vivre sous l’autorité de la France. En dépit des variations, ces modèles partagent cependant, depuis les Lumières, trois postulats. Le premier concerne l’appartenance de toutes les races à l’humanité. Le deuxième affirme que les races ne sont pas toutes égales même si, loin d’être immuables, les différences humaines sont susceptibles d’être dépassées. Le troisième met en avant l’étroite relation qui existe entre la race blanche, la nation et la culture française [67]. Cette tension entre race, culture et nation n’est entièrement effacée ni par la Révolution, ni par le républicanisme. Certes la Révolution affirme la primauté de l’égalité de tous et de la commune appartenance à la Cité républicaine sur toute autre forme de distinction sociale ou raciale. Mais en même temps, la France révolutionnaire ne cesse pas de faire de la différence raciale un facteur de définition de la citoyenneté [68]. La tension entre un universalisme ignorant de la couleur et un républicanisme libéral friand des stéréotypes raciaux les plus grossiers s’enracine dans la science et dans la culture populaire française au moment de l’expansion coloniale. Elle est exacerbée dans un contexte où l’impérialisme colonial a pour fonction de revivifier la nation et « le caractère français » d’une part et, d’autre part, « de diffuser les bienfaits de notre civilisation » – diffusion qui ne se justifie que par une distinction nationale entre la France et ses Autres [69].

31Au cours du xixe siècle, les modèles du racisme populaire en France sont en partie liés à des transformations sociales de grande ampleur (telles que la colonisation, l’industrialisation, l’urbanisation, la montée de la famille bourgeoise) qui donnent un caractère d’urgence à la question de la différence en général et à celle des différentes qualités raciales en particulier. Au dédain aristocratique à l’égard des sans-culottes de l’époque de la Révolution répond, comme en écho, celui de la démocratie bourgeoise à l’égard des classes laborieuses naissantes. À ses origines, la « question sociale » est d’ores et déjà, en sous-main, une « question raciale ». La race est à la fois le résultat et la réaffirmation de l’idée générale de l’irréductibilité des différences sociales. Sont en dehors de la nation tous ceux qui se situent en dehors de ses caractères racialement, socialement et culturellement définis. Dans les colonies également, l’identité nationale, voire la citoyenneté se confondent étroitement avec l’idée raciale de blancheur [70]. On a beau évoquer les expériences de citoyennetés mâles et non-blanches de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Réunion et des Quatre Communes du Sénégal, il ne s’agit que de quelques milliers dans un vaste dominion peuplé de millions de sujets. Vers la fin du xixe siècle, l’assimilation est d’ores et déjà un échec et l’empire est davantage un empire de sujets que de citoyens. Dans une large mesure, la décolonisation vient ratifier cet échec. Elle consacre juridiquement l’idée selon laquelle tous les sujets de l’empire ne peuvent pas devenir français. Les indigènes doivent par conséquent être« civilisés » dans le cadre de leur différence propre, celle de sociétés sans histoire ni écriture, figées dans le temps. Entre la citoyenneté et l’identité françaises se trouve donc la barrière de la race [71]. Sur un autre plan, il a toujours existé, sur la longue durée, une relation étroite entre une certaine expression du nationalisme français et une pensée de la différence raciale que masque le paradigme universaliste et républicain. En même temps, comme l’affirme Tyler Stovall, il existe une manière de l’universalisme français qui est lui-même un produit de la pensée raciale. Dans la mesure où la France comme nation et la civilisation française comme culture ont été en dialogue permanent avec ceux qui ont été définis comme « Autres », on ne saurait s’étonner de voir à quel point la notion d’humanité et de liberté défendue par la République est historiquement fondée sur une opposition racialisée entre les civilisés et les primitifs [72].

32En tant que formule générale de la domination, la colonisation créa une nouvelle structure d’action et de sens, un nouveau régime d’historicité (ou mieux, une nouvelle prosaïque). Ce processus de mise en ordre du champ dans lequel se dérouleraient désormais les interactions entre dominants et assujettis coloniaux ne gomma point l’ensemble des coutumes et logiques autochtones qui lui préexistaient. Il fut fondamentalement hétéronome. Si cette tentative d’invention de nouvelles coutumes fut à l’origine de nouvelles contraintes, elle libéra également de nouvelles ressources et obligea les sujets coloniaux soit à chercher à en tirer profit, soit à les contester ou les déformer, soit à faire tout cela sinon simultanément, du moins parallèlement [73]. D’autre part, on sait que les régimes coloniaux se définissaient, dans une large mesure, par des lignes de fuite. Du début à la fin, ils furent traversés de fissures, de fêlures, de brèches qu’ils ne cessèrent de colmater et de boucher. Même lorsqu’ils se transformèrent en appareils plus ou moins centralisés, ils n’en étaient pas moins travaillés par les logiques de la segmentarité. Dans la plupart des cas, chaque décision ne faisait souvent que déplacer ailleurs les lignes de fuite. Univers de micro-déterminations, les mondes coloniaux reposaient aussi sur la gestion des petites et grandes peurs, la production et la miniaturisation d’une insécurité partagée aussi bien par les dominants que par les assujettis. Cette peur structurelle et moléculaire découlait du fait que toujours, quelque chose échappait aux maîtres coloniaux, qu’ils s’efforçaient sans cesse de rattraper en édictant chaque fois de nouvelles lois et de nouveaux interdits. Et même lorsqu’ils le rattrapaient, ils n’avaient jamais la certitude qu’il s’agissait du bon objet. La peur permanente– voire la paranoïa– avait également pour origine la double structure d’impuissance et d’ignorance si caractéristique de ce mode de domination. Les maîtres coloniaux ne savaient presque jamais ce qui, de la simple imitation, était en réalité opposition ; ce qui, de l’opposition apparente, n’était que simple inversion ; ni encore ce qui, tout en ayant l’air d’une révolte proprement dite, relevait finalement d’une simple logique du désir. Du début jusqu’à la fin, les régimes coloniaux vécurent dans le sentiment que quelque chose des sociétés autochtones – peu importait l’échelle, la taille ou les dimensions – relevait de l’inassignable.

33Ceci dit, l’histoire de la colonisation n’est pas seulement une histoire d’ambivalences et de contingences, de grands hasards et d’étonnantes rencontres, comme tend à le faire accroire une certaine critique historiographique et sociologique – documentée, souvent érudite et, à l’occasion, ingénue. Il y a dans les empires coloniaux du xixe siècle des éléments de nouveauté, de modernité, voire dans certains cas de cohérence. Le dire ne signifie en rien minimiser les liens complexes et souvent ambigus qui se tissèrent entre les administrations coloniales et leurs sujets. À distance de la suffisance positiviste, il faut donc relire l’histoire de l’Occident hors d’Occident à rebours du discours occidental sur sa propre genèse, à rebours de ses fictions, de ses évidences parfois vides de contenu, ses déguisements, ses ruses et – cela vaut la peine de le répéter – sa volonté de puissance (qui, comme on vient de le suggérer, est profondément encastrée dans une structure d’impuissance et d’ignorance). Car, au-delà de la compilation des détails empiriques, la critique du colonialisme ou du fait impérial n’a encore rien dit du colonialisme et de l’impérialisme tant qu’elle ne s’est pas affrontée à cette volonté de puissance et à la manière dont ses dimensions ontologique, métaphysique, théologique et mythologique font constamment l’objet de voilement. L’histoire des situations coloniales ne peut pas être réduite à une histoire de dispositifs, d’agencements et d’assemblages. Elle doit également être une histoire de la ratio coloniale proprement dite, de ses structures de vérité, de vérification et de véridiction. Ces structures se résument en deux termes : la volonté de conquête et la volonté de puissance. En tant que double volonté de conquête et de puissance, la raison coloniale est une raison à la fois religieuse, mystique, messianique, militaire et utopique. La colonisation est inséparable des puissantes constructions imaginaires et des représentations symboliques et religieuses à travers lesquelles la pensée occidentale a figuré l’horizon terrestre. Il y a donc place, dans la critique des situations coloniales et des faits d’Empire, pour une critique philosophique et éthique, et un examen circonstancié de ce qui, dans la chose, se donnait comme son feu intérieur. À la pratique, il arriva effectivement que cette loi intérieure soit déformée, désajustée, dérangée, et sa clarté obscurcie. Mais ceci ne fut qu’une affaire de cours et non pas d’axiomatique. Or, ce qui l’anime de l’intérieur, l’élan qui la porte, c’est en très grande partie la race. C’est ce qui, au fond, régit son langage, ses schémas perceptifs, ou encore ses pratiques. « Vieux » ou « jeunes », les multiples répertoires et les différentes stratégies que les empires coloniaux mettent en place dans le but d’incorporer des populations hétérogènes dans une seule entité politique tout en maintenant les distinctions et les hiérarchies n’ont de sens que par rapport à l’incontournable réalité de la race.

34La colonisation était également un système de signes que différents acteurs ne cessèrent de déchiffrer à leur manière. Elle avait ses manières de se représenter à elle-même sa mythologie. Elle avait des mots par lesquels elle s’auto-désignait. Elle savait se déléguer dans des substituts indigènes qui la prolongeaient. Le rapport colonial de domination ne fut ni simple, ni unilatéral. Il fut tissé de creux. Ceci dit, il y avait une trame – la volonté de puissance et ce qu’elle nous dit au sujet des questions générales de la force et du droit, du droit et de la justice, de la justice et de la responsabilité, de la fragilité de la puissance, bref, de ce que l’on appelait autrefois « le propre de l’homme » et de ses rapports à son semblable. Par ailleurs, s’il y a des forces que la colonisation libère, ce sont les flux de richesse, les flux de désirs et de croyances, le choc, l’étonnement, la séduction de la puissance, et l’appel à l’assimilation. Colons et assujettis étaient investis aussi bien par les désirs, les croyances que par les intérêts. Les différents régimes coloniaux n’étaient pas que des complexes politico-économiques. Ils furent aussi des complexes de l’inconscient et, souvent, c’est à ce titre qu’ils laissèrent d’indélébiles traces dans l’imaginaire des colonisés. Malgré tout le poids d’incertitude qui entoura leurs pratiques, ils ne furent pas que des pétards mouillés.

35La domination coloniale fut comparable à un état de guerre. Elle commençait « presque toujours par l’exercice de la force sous sa forme pure, c’est-à-dire par la conquête », observait Simone Weil. « Un peuple, soumis par les armes, subit soudain le commandement d’étrangers d’une autre couleur, d’une autre langue, d’une tout autre culture, et convaincus de leur propre supériorité. » Par la suite, « comme il faut vivre, et vivre ensemble, une certaine stabilité s’établit, fondée sur un compromis entre la contrainte et la collaboration », précisait-elle [74]. Dans bien des cas, ce compromis prit la forme d’une guerre permanente et de basse intensité. Le vainqueur cherchant chaque fois à prolonger indéfiniment « le rapport de conquérant à conquis », on peut dire de la « paix coloniale » qu’elle ne différait de la guerre que par le fait que l’un des camps était privé d’armes [75]. De cette confrontation, les indigènes sortirent le plus souvent rompus, défaits et défigurés. Les colons risquaient, quant à eux, de n’en sortir qu’après avoir détruit tout ce qu’ils étaient en mesure de détruire. Car toute pratique coloniale est habitée par une pulsion interne – l’ivresse de la force, une sombre émulation de tuer et, s’il le faut, de périr. Au-delà de la recherche du profit, elle se construit toujours sur la crête d’une ligne intense – la pure ligne froide de la force et de la destruction. Cette force parfois aveugle traverse y compris les lignes de fuite qu’elle se fait fort d’investir. Telle est la nature de la volonté coloniale de puissance. Fondée sur le partage entre la possession des armes d’un côté et la privation des armes de l’autre, elle consiste, dès lors, en la volonté de tout remettre en jeu. En tant que telle, cette volonté est un pari sur la mort des autres et sur la sienne propre. Mais cette dernière, toujours, est supposée passer par celle des autres – une mort déléguée.

36Dans une humanité planétarisée, voilà précisément les questions qui nous concernent au plus proche, dans l’énigme même de notre présent et dans sa capacité la plus propre d’avenir. C’est en effet en partie par le biais du commerce négrier et de la colonisation – et donc de ces questions générales – que s’est forgée notre langue commune et que se sont juxtaposés les habitants de la terre, au sein d’une unité à la fois emblématique et problématique. Et c’est à poursuivre l’interrogation autour de la question des conditions d’une rencontre authentique que ces événements nous appellent. Cette rencontre commence non par l’oubli démesuré qui ferait de tous des somnambules, non par un révisionnisme que cachent mal les appels au positivisme scientiste, fût-il d’inspiration wébérienne, mais par le dépaysement réciproque et la reconnaissance du fait qu’il n’ya guère de lieux où nous soyons totalement chez nous. La nécessité d’un tel dépaysement requiert à son tour l’élaboration d’une pensée qui soit, à la fois, profondément historique, philosophique et éthique.

37Par ailleurs, on ne peut accuser la pensée postcoloniale d’« ethniciser » le lien social que si, au préalable, on fait l’impasse sur l’apport des courants postcoloniaux à la critique du nationalisme et de l’ethnicité et leur contribution à la théorie de la démocratie [76]. Cruciale est, à cet égard, la reconnaissance du fait qu’historiquement, l’individu se constitue en citoyen par la médiation d’un processus de subjectivation. Est citoyen celui ou celle qui peut répondre personnellement à la question de savoir « Qui suis-je ? » et qui peut parler publiquement à la première personne. Certes, il ne suffit pas de parler à la première personne pour exister comme sujet. Mais il n’y a pas de citoyenneté pleine là où cette possibilité est purement et simplement niée. On peut d’ailleurs affirmer que cette possibilité constitue le fondement originaire de la démocratie. Se pose ensuite la question de l’appartenance à une humanité commune. Dans la forme française d’humanisme civique, le passage du moi particulier au moi universel (l’homme en général) n’est possible que s’il est fait abstraction des différences individuantes. Dans cette logique, le citoyen est avant tout celui ou celle qui est conscient(e) d’être un être humain égal aux autres et qui dispose, en outre, de la capacité de discernement de ce qui est utile au bien public. Or, là où les attaches premières ont été niées ou oblitérées par la violence et la domination raciale, la montée vers la citoyenneté n’est pas automatiquement incompatible avec l’attachement aux différences que sont les liens familiaux, religieux, corporatistes, voire ethniques. D’ailleurs, comme le rappelle Jean-Luc Nancy, l’égalité ne consiste pas tant « en une commensurabilité des sujets par rapport à quelque unité de mesure » qu’en « l’égalité des singularités dans l’incommensurable de la liberté [77] ». Énoncer le pluriel de la singularité devient alors l’un des moyens les plus efficaces pour négocier le Babel des races, des cultures et des nations rendu inévitable par la longue histoire de la globalisation [78]. Pour que « l’humain », tout comme « l’universel » ne soient pas que des fictions, il est nécessaire de tourner le dos aux formes d’universalisme qui ne peuvent penser l’autre « qu’en termes de duplication, de dédoublement jusqu’à l’infini d’une image narcissique » à laquelle est assujetti celui qui en est la proie [79]. De fait, « l’humain » se laisse repérer sous des figures à chaque fois différentes et singulières. Et aucune pensée de la démocratie ne saurait être complète qui oublie que le sujet ne s’appréhende que dans une distanciation de soi à soi et ne saurait s’éprouver que dans l’Autre [80].

38La reconnaissance de la différence – et donc de la mutualité – n’est donc guère incompatible avec le principe d’une société démocratique. Une telle reconnaissance ne signifie pas non plus que la société fonctionne désormais sans idées communes et sans croyances communes. En fait, cette reconnaissance constitue un préalable pour que ces idées et ces croyances deviennent véritablement communes. Après tout, la démocratie signifie également la possibilité d’identification à l’autre. Par ailleurs, le processus de subjectivation– dont on a dit qu’il participait pleinement du devenir-citoyen – passe, entre autres, par des particularismes librement revendiqués. Qu’est-ce, en effet, qu’être soi à l’âge des flux sinon de pouvoir revendiquer librement telle ou telle particularité – la reconnaissance de ce qui, dans le monde qui nous est commun, me rend différent des autres ? Et de fait, on pourrait suggérer que la reconnaissance de cette différence par les autres constitue précisément la médiation par laquelle je me fais leur semblable. Il apparaît donc, quant au fond, que le partage des singularités est bel et bien un préalable à une politique du semblable et à une éthique de la mutualité et de la convivialité [81].

39Au-delà de son ambivalence et par-delà l’extraordinaire diversité de ses formes et de ses contenus, la colonisation moderne était l’une des filles directes des doctrines qui consistaient à trier les hommes et à les diviser en deux groupes – ceux qui comptent et que l’on compte d’une part, et d’autre part « le reste », ce qu’il nous faut appeler les « résidus d’hommes » ou encore « les déchets d’hommes ». Les premiers, les maîtres, étaient « les derniers hommes ». Ils cherchaient à ériger en loi universelle les conditions propices à leur propre survie. Ce qui caractérise « le dernier homme », c’est sa volonté de dominer et de jouir, de conquérir et de commander, sa propension à déposséder et, s’il le faut, à exterminer. Le « dernier homme » invoque sans cesse la loi, le droit et la civilisation. Mais il opère précisément comme s’il n’y avait de loi, de droit et de civilisation que les siens. Ceci étant, rien de ce qu’il commet ne saurait être jugé au regard de quelque morale que ce soit. Rien n’appartient à qui que ce soit d’autre qu’il ne puisse prétendre obtenir pour lui, que ce soit par la force, la ruse ou la tromperie. C’est enfin le poids qu’il accorde à la préservation de soi et la peur qu’il cultive à l’égard de toute puissance assez grande pour protéger, de façon autonome, le fruit de son travail et sa vie. Incapables de s’engendrer eux-mêmes, les autres, les « déchets d’hommes » sont appelés à se soumettre. Renonçant à la lutte, ils ont pour rôle de porter le malheur des premiers et de s’en plaindre sans fin. Ils épousent si bien ce rôle qu’ils finissent par porter cette interminable lamentation comme le dernier mot de leur identité. Et dans la mesure où l’idée d’égalité universelle et d’équivalence entre les hommes (dogme des faibles) appartient en vérité à la religion sous forme de narcose de la pitié, c’est l’idée même de la morale qui doit être abolie. Elle doit faire place à la foi dans son propre droit – le bon droit qui ne s’autorise pas seulement de la force, mais qui en outre, se complaît dans l’ignorance et la bonne conscience [82].

40Or nous sommes loin d’être sortis de l’ère du bon droit qui s’autorise de la force, de l’ignorance et de la bonne conscience. La nôtre est une ère qui tente de remettre au goût du jour le vieux mythe selon lequel l’Occident a, seul, le monopole du futur. Dans ces conditions, il n’est guère surprenant que d’aucuns cherchent à nier toute signification paradigmatique au fait colonial et impérial et à noyer les graves dilemmes philosophiques et éthiques issus de l’expansion européenne dans le monde en les consignant au registre de détails sans importance. La réhabilitation du bon droit colonial repose sur la conviction selon laquelle la liberté réelle et effective n’est pas conférée par quelque contrat entre parties égales ou traité que ce soit. Elle est fille d’un droit de nature (jus naturale). La nôtre est également une ère où la seule morale qui vaille est une morale réduite à l’instinct de pitié ; aux mille formes de mépris que masquent charité et bon samaritanisme ; à la croyance selon laquelle le vainqueur, après tout, a raison. Et dans les conditions où la force crée le droit et où force et raison s’épousent, pourquoi exiger justice et réparation ? Par ailleurs, selon cette morale, il n’y a place, dans les entrailles de notre monde, ni pour la culpabilité ni, et encore moins, pour la repentance puisqu’aussi bien le sentiment de culpabilité que le désir de repentance ne sont, en dernier ressort, que des manifestations cyniques de la perversité des faibles.

41Dans ces conditions, la véritable question posée aux intellectuels de France est celle de la refondation de la pensée critique. Une telle refondation renvoie d’abord, de nécessité, à une certaine disposition – celle qui affirme l’entière et radicale liberté des sociétés vis-à-vis de leur passé et de leur futur. C’est aussi une pensée qui sait s’expliquer son monde, qui cherche à comprendre l’histoire dont on est partie prenante et qui permet d’identifier la puissance du futur inscrite dans le présent. Si l’anti-postcolonialisme à la française doit être autre chose qu’un piètre remake de l’antitotalitarisme des années de la guerre froide et de l’anti-tiersmondisme des années 1980, alors il faut peut-être commencer par reconnaître à la suite du philosophe allemand Bernhard Waldenfels qu’au fond, il n’y a pas de monde où nous soyons totalement maîtres des lieux [83]. Le propre toujours surgit en même temps que l’étranger. Ce dernier ne vient pas d’ailleurs. Toujours il naît d’une scission originelle et irréductible qui exige, en retour, détachement et appropriation. À l’évidence, l’avènement d’une telle pensée critique susceptible de féconder un universalisme latéral exige le dépassement du « parisianisme », cette forme bien française de l’anachronisme. Pour le reste, comme toute réalité historique, le monde colonial fut un monde incohérent et équivoque – ce qui n’enlève rien à sa brutalité, bien au contraire [84]. La colonisation était loin d’être une nécessité. Elle n’était ni écrite d’avance ni déterminée comme une fatalité. Pour en restituer l’intelligibilité dans le présent, un effort de détachement et d’objectivité est nécessaire. Mais que cette objectivation se fasse à partir d’une perspective socio-historique, « postcolonialiste », littéraire ou même philosophique, son langage sera toujours en deçà de ce que fut l’événement.

Notes

  • [1]
    J.-P. Sartre, Situations v. Colonialisme et néo-colonialisme, Paris, Gallimard, 1964, p. 168.
  • [2]
    Pour un exemple de cette diversité, lire M. Morana, E. Dussel, C. A. Jauregui (dir.), Coloniality at Large. Latin America and the Postcolonial Debate, Durham, Duke University Press, 2008. Voir également la synthèse de F. Coronil, « Latin American Postcolonial Studies and Global Decolonization », in N. Lazarus (dir.), The Cambridge Companion to Postcolonial Literary Studies, Cambridge, Cambridge University Press, 2004, p. 221-240 ; puis V. Chaturvedi (dir.), Mapping Subaltern Studies and the Post-colonial, New York, Verso, 2000.
  • [3]
    Lire,à titre d’exemple, S. During,« Postcolonialism and Globalization: Towards a Historicization of the Inter-relation », Cultural Studies, vol. 14, n° 3-4, 2000, p. 385-404 ; H. D. Harootunian, « Postcoloniality’s Unconscious/Area Studies’ Desire », Postcolonial Studies, vol. 2, n° 2, 1999, p. 127-147. Voir récemment New Formations, n° 59, 2006 ; PMLA, n° 122/3, 2007. Lire également le numéro spécial de Social Text, vol. 10, n° 2-3, 1999 ; le numéro spécial de American Historical Review, n° 99, 1994. Voir aussi A. Ahmed, In Theory : Classes, Nations, Literatures, Londres, Verso, 1992 ; A. Dirlik, The Postcolonial Aura : Third World Criticism in the Age of Global Capitalism, Boulder, Westview Press, 1997.
  • [4]
    Lire en particulier R. Young, Postcolonialism : An Historical Introduction, Blackwell, Oxford, 2001 ; D. Ludden (dir.), Reading Subaltern Studies. Critical History, Contested Meaning and the Globalization of South Asia, New Delhi, Permanent Black, 2001.
  • [5]
    Lire à cet égard la note de J. Pouchepadass, « Les Subaltern Studies ou la critique postcoloniale de la modernité », L’Homme, n° 156, 2000, p. 161-186. Voir, au milieu des années 2000, M.-C. Smouts (dir.), La Situation postcoloniale. Les postcolonial studies dans le débat français, Paris, Presses de Sciences-Po, 2007.
  • [6]
    Voir, néanmoins, la compilation de textes d’auteurs se réclamant des « subaltern studies » sous la direction de M. Diouf, L’historiographie indienne en débat. Colonialisme, nationalisme et sociétés postcoloniales, Paris, Karthala, 1999.
  • [7]
    Voir S. Dulucq, C. Coquery-Vidrovitch, J. Frémigacci, E. Sibeud, et J.-L. Triaud, « L’écriture de l’histoire de la colonisation en France depuis 1960 », Afrique & histoire, n° 6, 2006, p. 243. Lire également les thèses de J.-F. Bayart sur « l’historicité propre des sociétés africaines » dans L’État en Afrique. La politique du ventre, Paris, Fayard, 1990.
  • [8]
    A. Finkielkraut, La Défaite de la pensée, Paris, Gallimard, 1987, p. 90.
  • [9]
    L. Ferry, A. Renaut, « Préface à cette édition », in La Pensée 68, Paris, Gallimard, 1988, p. 15.
  • [10]
    Voir le bilan critique de G. Chaliand, Les Mythes révolutionnaires du Tiers Monde, Paris, Seuil, 1979 ; P. Bruckner, Le sanglot de l’homme blanc. Tiers-Monde, culpabilité, haine de soi, Paris, Seuil, 1982 ; C. Rangel, L’Occident et le Tiers-Monde. De la fausse culpabilité aux vraies responsabilités, Paris, Robert Laffont, 1982. Lire également Y. Lacoste, Contre les antitiersmondistes et contre certains tiersmondistes, Paris, La Découverte, 1985 ; C. Liauzu, Aux origines des tiersmondismes. Colonisés et anticolonialistes en France, 1919-1939, Paris, L’Harmattan, 1982 ; et, du même auteur, Les Intellectuels français au miroir algérien. Éléments pour une histoire des tiers-mondismes, Nice, Cahiers de la Méditerranée, 1984.
  • [11]
    R. Debray, La Critique des armes, Paris, Seuil, 2 vols, 1974.
  • [12]
    M. Foucault, « Il faut défendre la société ». Cours au Collège de France. 1975-1976, Paris, Éditions de l’EHESS, 1997, dernier chapitre.
  • [13]
    À propos de ce phénomène, W.E.B. DuBois écrira : « I have walked in Paris with [Blaise] Diagne who represents Senegal – all Senegal, white and black – in the French parliament. But Diagne is a Frenchman who is accidentally black. I suspect Diagne rather despises his own black Wolofs. I have talked with Candace, black deputy of Guadeloupe. Candace is virulently French. He has no conception of Negro uplift, as apart from French development ». W.E.B. DuBois, « Worlds of Color », in A. Locke (dir.), The New Negro, New York, Touchstone Books, 1999 [1925], p. 397.
  • [14]
    Lire sa revue Peuples noirs, peuples africains. Lire également A. Kom, Mongo Beti parle. Testament d’un esprit rebelle, Paris, Homnisphères, 2006.
  • [15]
    M. Beti, Main basse sur le Cameroun. Autopsie d’une décolonisation, Paris, Maspero, 1972.
  • [16]
    À propos des paradoxes de la critique de « la pensée 68 » en général, lire S. Audier, La Pensée anti-68. Essai sur les origines d’une restauration intellectuelle, Paris, La Découverte, 2009.
  • [17]
    Lire par exemple le dossier spécial de la revue Esprit, n° 17, janvier-février 1934 ; D. Guérin, Fascismes et grand capital, Paris, Gallimard, 1936.
  • [18]
    Lire par exemple M. Merleau-Ponty, Humanisme et terreur. Essai sur le problème communiste, Paris, Gallimard, 1947 ; Les Aventures de la dialectique, Paris, Gallimard, 1955.
  • [19]
    R. Aron, Démocratie et totalitarisme, Paris, Gallimard, 1965.
  • [20]
    M. Christofferson, Les Intellectuels contre la gauche. L’idéologie antitotalitaire en France (1973-1981), Marseille, Agone, 2008. Voir également J. Bourg, From Revolution to Ethics: May 68 and Contemporary French Thought, Montreal/Kingston, McGill/Queen’s University Press, 2007.
  • [21]
    Lire, dans cette perspective, C. Castoriadis, L’Institution imaginaire de la société, Paris, Seuil, 1975, notamment le chapitre i, « Le marxisme: bilan provisoire ».
  • [22]
    C. Castoriadis, La Société bureaucratique, Paris, Bourgois, 1990 ; C. Lefort, La Complication. Retour sur le communisme, Paris, Fayard, 1999 et L’Invention démocratique. Les limites de la domination totalitaire, Paris, Fayard, 1981.
  • [23]
    P. Singaravélou (dir.), L’Empire des géographes. Géographie, exploration et colonisation, xixe-xxe siècle, Paris, Belin, 2008.
  • [24]
    Voir L. Pyenson, Civilizing Mission : Exact Sciences and French Overseas Expansion, 1830-1940, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1993 ; M. A. Osborne, Nature, the Exotic, and the Science of French Colonialism, Bloomington, Indiana University Press, 1994.
  • [25]
    Sur leurs paradoxes et ambiguïtés, lire E. Sibeud, Une science impériale pour l’Afrique ? La construction des savoirs africanistes en France, 1878-1930, Paris, Éditions de l’EHESS, 2002.
  • [26]
    I. Poutrin (dir.), Le xixe siècle. Science, politique et tradition, Paris, Berger-Levrault, 1995.
  • [27]
    D. Rivet, « Le fait colonial et nous. Histoire d’un éloignement », Vingtième siècle, n° 33, 1992, p. 127-138 ; C. Coquery-Vidrovitch, « Plaidoyer pour l’histoire du monde dans l’université française », Vingtième siècle, n° 61, 1999, p. 111-125.
  • [28]
    Signe de cet anachronisme à l’heure dite de la « littérature-monde », les prestigieuses Éditions Gallimard, contrairement au Seuil, n’ont rien pu trouver de mieux qu’un ghetto éditorial appelé « Continents noirs » (!) dans lequel elles s’efforcent de caser la plupart de leurs auteurs non-blancs.
  • [29]
    À propos des regards d’historiens américains sur l’histoire contemporaine de la France, lire à titre d’exemple le dossier spécial des Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, n° 96-97, 2005. Voir également les articles réunis dans le numéro spécial de French Politics, Culture and Society, vol. 18, n° 3, 2000, et dans Yale French Studies, n° 100, 2001.
  • [30]
    Sur ce déphasage, lire en particulier A. G. Hargreaves et J. M. Moura,« Editorial Introduction. Extending the Boundaries of Francophone Postcolonial Studies », International Journal of Francophone Studies, vol. 10, n° 3, 2007, p. 307-311 ; H. Adlai Murdoch et A. Donatey (dir.), Postcolonial Theory and France Literary Studies, Gainesville, University Press of Florida, 2005 ; M. A. Majumdar, Postcoloniality: The French Dimension, Oxford, Berg, 2007 ; C. Forsdick et D. Murphy (dir.), Postcolonial Thought in the French-speaking World, Liverpool, Liverpool University Press, 2009.
  • [31]
    D. Gaonkar (dir.), Alternative Modernities, Durham, Duke University Press, 2001.
  • [32]
    H. Raphael-Hernandez (dir.), Blackening Europe : The African-American Presence, New York, Routledge, 2004.
  • [33]
    Sur cette période, lire T. Stovall, Paris Noir. African Americans in the City of Light, New York, Houghton Mifflin Company, 1996. Pour la suite, consulter D. Thomas, Black France. Colonialism, Immigration, and Transnationalism, Bloomington, Indiana University Press, 2007 ; B. J. Rosette, Black Paris. The African Writers’ Landscape, Urbana, University of Illinois Press, 2000.
  • [34]
    M. Bouche, Rap, expression des lascars : Significations et enjeux du rap dans la société française, Paris, L’Harmattan, 1998 ; A. J. M. Prévos, « Two Decades of Rap in France : Emergence, Development, Prospects », in A. P. Durand (dir.), Black, Blanc, Beur: Rap Music and Hip-Hop Culture in the Francophone World, Oxford, Scarecrow Press, 2002, p. 1-21.
  • [35]
    L. Dubois, Soccer Empire. The World Cup and the Future of France, Los Angeles, University of California Press, 2009 ; L. Thuram, Mes étoiles noires, Paris, Philippe Rey, 2010.
  • [36]
    Ce qui correspond peu ou prou aux observations de Paul Gilroy dans Darker Than Blue. On the Moral Economies of Black Atlantic Culture, Cambridge, The Belknap Press, 2009. Lire également A. J. M. Prévos, « “In It for the Money” : Rap and Business Cultures in France », Popular Music and Society, vol. 26, n° 4, 2003, p. 445-461.
  • [37]
    D. Fassin, A. Morice, C. Quiminal, Les Lois de l’inhospitalité. Les politiques de l’immigration à l’épreuve des sans-papiers, Paris, La Découverte, 1997. Voir aussi Coll., Cette France-là. 06.05.2007/30.06.2008, Paris, La Découverte, 2009.
  • [38]
    À propos de ces discussions, lire A. Renaut, Un humanisme de la diversité. Essai sur la décolonisation des identités, Paris, Flammarion, 2009.
  • [39]
    F. Cooper, « From Imperial Inclusion to Republican Exclusion ? France’s Ambiguous Postwar Trajectory » et D. Gondola « Transient Citizens : The Othering and Indigenization of Blacks and Beurs within the French Republic », in C. Tshimanga, D. Gondola, P. J. Brown (dir.), Frenchness and the African Diaspora. Identity and Uprising in Contemporary France, Bloomington, Indiana University Press, 2009.
  • [40]
    Voir www.assemblee-nationale.fr/1/commissions/voile-integral/voile-integral-20090909-2.asp.
  • [41]
    Sur tout ce qui précède, lire la synthèse d’É. Macé, « Postcolonialité et francité dans les imaginaires télévisuels de la Nation », in N. Bancel, F. Bernault, P. Blanchard et al. (dir.), Ruptures postcoloniales. Les nouveaux visages de la société française, Paris, La Découverte, 2010, p. 391-402.
  • [42]
    N. Bancel, P. Blanchard, F. Vergès, La République coloniale, Paris, Albin Michel, 2003 ; P. Blanchard, N. Bancel, S. Lemaire (dir.), La Fracture coloniale, Paris, La Découverte, 2006.
  • [43]
    H. Bhabha, Les Lieux de la culture : une théorie postcoloniale, Paris, Payot, 2008 ; N. Lazarus, Penser le postcolonial: une introduction critique, Paris, Éditions Amsterdam, 2006 ; P. Chatterjee, Politique des gouvernés. Réflexions sur la politique populaire dans la majeure partie du monde, Paris, Éditions Amsterdam, 2009 et D. Chakrabarty, Provincialiser l’Europe. La pensée postcoloniale et la différence historique, Paris, Éditions Amsterdam, 2009.
  • [44]
    Lire C. Coquery-Vidrovitch, Les Enjeux politiques de l’histoire coloniale, Marseille, Agone, 2008.
  • [45]
    J.-L. Amselle, L’Occident décroché. Enquête sur les postcolonialismes, Paris, Stock, 2008.
  • [46]
    J.-F. Bayart, Les Études postcoloniales. Un carnaval académique, Paris, Karthala, 2010.
  • [47]
    Pour une tentative de formulation philosophique de ces enjeux, lire A. Renaut, Un humanisme de la diversité…, op. cit.
  • [48]
    P. Ricœur, Histoire et Vérité, Paris, Seuil, 1955, p. 11.
  • [49]
    Il s’agit d’un mode d’investigation qui consiste à prendre comme point de départ les formes de résistance aux trois types de pouvoir caractéristiques de l’impérialisme colonial, à savoir le pouvoir de conquérir et de dominer ; le pouvoir d’exploiter ; le pouvoir d’assujettir. Pour une évaluation, lire B. Bush, Imperialism and Postcolonialism, Harlow, Longman, 2006 ; P. Wolfe, « History and Imperialism : A Century of Theory, from Marx to Postcolonialism », American Historical Review, vol. 102, n° 2, 1997, p. 388-420. Voir également, dans le champ historico-littéraire, E. Boehmer, Empire, the National, and the Postcolonial, 1890-1920, Oxford, Oxford University Press, 2001.
  • [50]
    Pour une formulation parfois caricaturale et polémique de cette position, lire J. Burbank et F. Cooper, « “Nouvelles” colonies et “vieux” empires », Mil neuf cent. Revue d’histoire intellectuelle, n° 27, 2009, p. 13-35 ; J.-F. Bayart, Les Études postcoloniales…, op. cit.
  • [51]
    Ibid.; P. Grosser, « Comment écrire l’histoire des relations internationales aujourd’hui? Quelques réflexions à partir de l’Empire britannique », Histoire @Politique. Politique, culture, société, n° 10, 2010, revue en ligne disponible sur www.histoire-politique.fr.
  • [52]
    Attraction déjà fortement remise en question par Husserl au milieu des années 1930. Lire E. Husserl, La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale, Paris, Gallimard, 1976.
  • [53]
    M. de Certeau, L’Écriture de l’histoire, Paris, Gallimard, 1975 ; P. Ricœur, Temps et Récit, 1, Paris, Seuil, 1983, en particulier le chapitre ii.
  • [54]
    P. Veyne, Comment on écrit l’histoire. Essai d’épistémologie, Paris, Seuil, 1971.
  • [55]
    J. Revel (dir.), Jeux d’échelles. La micro-analyse à l’expérience, Paris, Gallimard/Seuil, 1996.
  • [56]
    « Il faut démystifier l’instance globale du réel comme totalité à restituer », écrivait Michel Foucault.
    « Il n’y a pas “le” réel qu’on rejoindrait à condition de parler de tout ou de certaines choses plus “réelles” que les autres, et qu’on manquerait, au profit d’abstractions inconsistantes, si on se borne à faire apparaître d’autres éléments et d’autres relations. Il faudrait peut-être aussi interroger le principe, souvent implicitement admis, que la seule réalité à laquelle devrait prétendre l’histoire, c’est la société elle-même ». Voir M. Foucault, « La poussière et le nuage », in Dits et écrits, IV, 1980-1988, Paris, Gallimard, 1994, p. 15.
  • [57]
    Lire par exemple D. Chakrabarty, Rethinking Working-Class History: Bengal, 1890-1940, Princeton, Princeton University Press, 1989 ; G. Prakash, Bonded Histories : Genealogies of Labor Servitude in Colonial India, Cambridge, Cambridge University Press, 1990.
  • [58]
    M. Weber, Économie et société, Paris, Plon, 1971 [1920], première partie du chapitre i notamment.
  • [59]
    Sur ce genre d’argument, lire B. Lepetit, Les Formes de l’expérience. Une autre histoire sociale, Paris, Albin Michel, 1995.
  • [60]
    Voir par exemple H. Lagrange, Le Déni des cultures, Paris, Seuil, 2010.
  • [61]
    A. L. Stoler, « Colonial Aphasia: Race and Disabled Histories in France », Public Culture, à paraître en 2011.
  • [62]
    On utilise ici le terme « citoyenneté en souffrance » comme on le dit d’une lettre restée en souffrance, qui n’a pas atteint sa destination et est, de ce fait, restée sans réponse.
  • [63]
    M.-C. Smouts, « Les études postcoloniales en France : émergence et résistances », in N. Bancel, F. Bernault, P. Blanchard et al. (dir.), Ruptures postcoloniales. Les nouveaux visages de la société française, Paris, La Découverte, 2010, p. 309-316.
  • [64]
    J.-F. Bayart, « Les études postcoloniales, une invention politique de la tradition ? », Sociétés politiques comparées. Revue européenne d’analyse des sociétés politiques, n° 14, 2009, p. 9.
  • [65]
    Cas, par exemple, de l’ethnologue J.-L. Amselle, L’Occident décroché…, op. cit.
  • [66]
    Voir A. McClintock, Imperial Leather : Race, Gender, and Sexuality in the Colonial Conquest, New York, Routledge, 1995.
  • [67]
    Pour une synthèse, voir M. Silverman, Deconstructing the Nation : Immigration, Racism and Citizenship in Modern France, New York, Routledge, 1992.
  • [68]
    L. Dubois, Les Esclaves de la République : l’histoire oubliée de la première émancipation, 1789-1794, Paris, Calmann-Lévy, 1998.
  • [69]
    Lire notamment A. de Tocqueville, Écrits et discours politiques. Œuvres complètes, t. iii, Paris, Gallimard, 1992.
  • [70]
    Sur l’idée d’une « race française », voir R. Soucy, Fascism in France: The Case of Maurice Barrès, Berkeley, University of California Press, 1972 ; Z. Sternhell, Maurice Barrès et le nationalisme français, Paris, Fayard, 2000.
  • [71]
    Voir, en ce qui concerne en particulier l’Algérie, P. Nora, Les Français d’Algérie, Paris, Julliard, 1961 ; D. Prochaska, Making Algeria French : Colonialism in Bone, 1870-1920, Cambridge, Cambridge University Press, 1990 ; A. Lardillier, Le Peuplement français en Algérie de 1830 à 1900, Versailles, Atlanthrope, 1992.
  • [72]
    T. Stovall, « Universalisme, différence et invisibilité. Essai sur la notion de race dans l’histoire de la France contemporaine », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, n° 96-97, 2005, p. 73-90.
  • [73]
    Lire l’introduction de A. Mbembe, La Naissance du maquis dans le Sud-Cameroun (1920-1960), Paris, Karthala, 1996.
  • [74]
    S. Weil, Oeuvres, Paris, Quarto Gallimard, 1999, p. 419.
  • [75]
    Ibid., p. 420.
  • [76]
    P. Gilroy, After the Empire. Melancholia or Convivial Culture, New York, Columbia University Press, 2005.
  • [77]
    J.-L. Nancy, L’Expérience de la liberté, Paris, Galilée, 1988, p. 96.
  • [78]
    A. Appadurai, Modernity at Large…, op. cit.
  • [79]
    J. Hassoun, L’objet obscur de la haine, Paris, Aubier, 1997, p. 14.
  • [80]
    J.-M. Vaysse, L’Inconscient des modernes. Essai sur l’origine métaphysique de la psychanalyse, Paris, Gallimard, 1999, p. 389.
  • [81]
    Sur ces questions, lire A. Mbembe, Sortir de la grande nuit. Essai sur l’Afrique décolonisée, Paris, La Découverte, 2010.
  • [82]
    Sur ses antécédents historiques, voir J. Pitts, Naissance de la bonne conscience coloniale. Les libéraux français et britanniques et la question impériale (1770-1879), Ivry-sur-Seine, Éditions de l’Atelier, 2008.
  • [83]
    B. Waldenfels, Topographie de l’étranger, Paris, Van Dieren, 2009.
  • [84]
    Voir le dossier « Violence de guerre, violences coloniales, violences extrêmes avant la Shoah » dirigé par Annette Becker et Georges Bensoussan, Revue d’histoire de la Shoah, n° 189, 2008.
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