Couverture de POLAF_105

Article de revue

« Mes objectifs en matière de politique internationale »

Pages 149 à 152

Notes

  • [1]
    Conférence de presse sur la politique internationale, mercredi 28 février 2007, Paris (extraits).

1« [...] La perspective d’un nouveau quinquennat est l’opportunité de procéder à un diagnostic de notre politique étrangère, un diagnostic qui peut être l’antichambre de certains changements [1]. Dois-je rappeler que le général de Gaulle lui-même avait refondé la politique étrangère de la France à son arrivée au pouvoir en 1958 ? Et que ce qui paraît s’imposer comme un ensemble de principes indépassables fut en son temps le fruit d’une rupture ? [...] Cela fait trop longtemps que nous n’avons pas réfléchi collectivement à ce qui doit être la colonne vertébrale de notre politique. Ce diagnostic nécessaire n’est pas le prélude à la table rase. D’autant que l’action de Jacques Chirac a été, à bien des aspects, exemplaire. [...] J’approuve l’action menée depuis douze ans par le Président de la République. [...].

2Ce préalable posé, je veux tenter une approche plus doctrinale des affaires internationales. Nos diplomates […] ne peuvent tenir leur rang en l’absence de clarté politique et de vision stratégique. Bref en l’absence d’une doctrine ! […] Quels doivent être nos objectifs de long terme en matière internationale ? J’en vois trois.

3Premier grand objectif : assurer la sécurité de la France et des Français d’abord, de nos amis et alliés ensuite. […] Sur le nucléaire, une coopération est pourtant possible avec nos partenaires du Sud. Je souhaite par exemple proposer à l’Algérie, avant d’autres États, de l’aider à développer une capacité nucléaire civile en échange d’un partenariat sur l’exploitation des champs gaziers. […] Au travers de l’exemple algérien, grand pays d’Afrique, c’est aussi dire que pour moi, le développement du Sud passe par l’accès à l’énergie et donc au nucléaire. L’énergie du futur n’a pas vocation à être la possession exclusive des pays les plus développés dès lors qu’un système de garanties peut fonctionner efficacement. J’ai proposé pour cela la création, sous l’égide de l’Onu et de l’Agence internationale pour l’énergie atomique, d’une véritable banque mondiale du combustible nucléaire civil qui garantirait aux pays émergents l’accès aux bienfaits de l’énergie atomique sans risque de détournement militaire. […]

4Le caractère transnational des nouveaux fléaux nous oblige à repenser nos méthodes. En matière d’immigration, nous devons arriver à une gestion concertée des migrations entre pays d’accueil, pays d’origine et pays de transit, tout en étant particulièrement fermes dans la lutte contre l’immigration illégale. Je considère comme indispensable de continuer à accueillir des étudiants des pays en développement dans nos universités. Cet élément fait partie du projet de Pacte européen sur l’immigration que j’ai proposé à mes collègues ministres de l’Intérieur des six grands pays de l’Union européenne, qui accueillent à eux seuls 80 % des migrants dans l’espace européen. J’ai enfin une autre ambition qui peut paraître lointaine, mais qui répond à un besoin évident. Je souhaite en effet ouvrir le grand chantier d’un traité sur les migrations internationales. Curieusement, les migrations internationales ne font l’objet d’aucune régulation à l’échelle mondiale et sont abandonnées au chaos planétaire. Le traité international sur les migrations que j’entends proposer comporterait des droits et des devoirs pour les États et pour les migrants. Une Agence internationale des migrations serait chargée de veiller à l’application du traité.

5La lutte contre les grandes pandémies peut être l’occasion d’œuvrer à l’édification d’une mondialisation équitable, à travers l’initiative Unitaid, lancée par la France et présidée par Philippe Douste-Blazy, grâce à laquelle les malades du sida, de la tuberculose et du paludisme dans les pays pauvres auront accès à des médicaments performants pour se soigner.

6Deuxième grand objectif : promouvoir les libertés et les droits de l’homme sur la scène internationale. Notre identité démocratique nous destine à promouvoir la liberté et le respect de l’individu dans le monde. Nous, les Français, pensons que la démocratie, la liberté individuelle, les droits de l’homme, le droit de pratiquer sa religion comme celui de ne pas en avoir, et l’État de droit sont des objectifs en soi. Car nous refusons le relativisme culturel qui voudrait que certains peuples ne soient pas faits pour la démocratie. […] Ces valeurs sont universelles, aucun individu ne doit en être privé, et la liberté est créatrice de prospérité et de stabilité. Je ne prétends pas que la seule évocation des droits de l’homme puisse constituer le socle d’une politique étrangère. Mais valeurs et intérêts, en réalité, se rejoignent. Il faut refuser l’opposition stérile entre « réalisme » et « idéalisme ». L’histoire montre que le sacrifice des valeurs au nom d’intérêts à court terme ou d’une stabilité d’apparence n’engendre que la frustration, le désespoir et la violence. La France est elle-même quand elle promeut la liberté contre l’oppression et la raison contre le chaos. Ceux qui objecteront que les bons sentiments ne font que de la mauvaise diplomatie devraient faire le bilan de ces trente dernières années. Ils y liraient l’exact contraire. […] Ceux qui se disent adeptes de la realpolitik ne sont pas si réalistes que cela. Ils cantonnent l’action diplomatique à un effort pour ne rien changer à la réalité du monde. La stabilité est leur mot d’ordre. L’immobilisme leur obsession. L’immobilisme n’est pas une politique, c’est un renoncement. Je ne veux pas de la stabilité pour la stabilité. Car elle peut correspondre à un statu quo cruel et injuste. Cette stabilité-là ne saurait être un objectif pour moi. En revanche, la recherche de la stabilisation en profondeur est un objectif. Et si je veux que la France défende ses valeurs dans le monde, c’est parce que c’est un devoir, mais aussi parce que c’est la seule manière d’assurer une stabilisation en profondeur des États fragilisés par des conflits internes ou externes. […]

7Cette volonté de promouvoir les libertés pose en toute logique la question de nos bases militaires en Afrique. Leur présence est de moins en moins bien comprise par la jeunesse africaine. La première mission de ces bases, c’est d’aider l’Union africaine à construire une architecture de paix et de sécurité régionale, qui permettra au continent de disposer d’un outil pour mieux assurer, solidairement, sa stabilité. Mais aujourd’hui, elles conduisent parfois la France à devoir s’impliquer dans une crise, à titre humanitaire, pour préserver la sécurité des populations civiles et des ressortissants étrangers. Ces interventions sont parfois mal comprises, en Afrique comme en France. Ce sont toujours des décisions difficiles, que l’on est contraint de prendre dans l’urgence, qui consistent à choisir entre deux mauvaises solutions. Soit la France n’intervient pas, et on l’accuse de manquer à ses engagements bilatéraux et d’abandonner des gouvernements souverains et des peuples en détresse ! Soit elle intervient, et on lui reproche de s’ingérer dans les affaires intérieures d’un État souverain !

8On peut reprocher à la France son interventionnisme, mais je constate que rares sont les candidats pour venir en aide à des États d’Afrique en proie à une crise politico-militaire. Sans doute devons-nous réfléchir davantage aux moyens d’anticiper ces crises, aux moyens de les prévenir avec l’Union africaine. Cela passe par le renforcement des capacités africaines de maintien de la paix, auquel la présence militaire française doit aider. Mais à mon sens, cette présence devra être limitée au strict minimum lorsque l’Union africaine se sera dotée d’une capacité stratégique et militaire de rétablir elle-même la légalité internationale sur le continent. Je souhaite donc que l’armée française reste au service de la sécurité de l’Afrique, mais sous mandat de l’Onu et de l’Union africaine.

9Promouvoir les libertés, c’est aussi promouvoir le développement. Nous devons nous fixer une obligation de résultats et plus seulement de moyens. Un tournant a été pris depuis le point bas que nous avons connu en 2001, sous le gouvernement socialiste, quand l’aide publique au développement de la France était tombée à 0,32 % de la richesse nationale. Sous l’impulsion du Président de la République, elle a depuis augmenté de 75 % en 5 ans pour atteindre aujourd’hui plus de 8,2 milliards d’euros. Pour autant je ne vois pas pourquoi l’aide au développement échapperait aux principes qui doivent gouverner l’utilisation de l’argent public : la fixation d’une stratégie précise, des exigences réciproques clairement définies, et la culture du résultat. Plus d’aide doit impliquer plus d’efficacité, de part et d’autre. Nous ne devons plus accepter que l’aide au développement puisse devenir une prime à la mauvaise gouvernance et aux régimes prédateurs. De même la corruption doit cesser d’être regardée avec complaisance comme un mal inévitable. La France devra donner la priorité à ceux des pays d’Afrique, et pas seulement des pays francophones, qui respectent ces principes. Nous devons par ailleurs bâtir une grande politique de codéveloppement. Elle consistera à mobiliser le dynamisme, la compétence, l’épargne des migrants en France dans l’intérêt du développement de leur pays. Enfin l’autre axe de cette politique doit consister à généraliser le recours au microcrédit et les aides aux microprojets.

10Troisième grand objectif : promouvoir nos intérêts économiques et commerciaux. Ce qui garantit dans la durée nos parts de marchés, c’est la compétitivité et la qualité de nos produits, et la pugnacité de nos vendeurs. En aucun cas la complaisance à l’égard des oppresseurs. Pour autant, nous devons aussi faire preuve de fermeté dans la défense de nos intérêts dans le cadre des négociations commerciales internationales et en cas de litiges. Nous ne devons pas hésiter à engager des rapports de forces pour faire prévaloir nos positions commerciales.

11Grâce à quels principes d’action pourrons-nous atteindre ces objectifs ainsi définis et hiérarchisés ? D’abord en confortant le multilatéralisme : plus que jamais, les grandes décisions internationales doivent faire l’objet d’une concertation des grands pays. Nous avons besoin de l’Organisation des nations unies parce qu’elle est universelle et qu’elle a donc seule la légitimité et l’efficacité pour traiter certains problèmes. C’est vrai pour traiter les crises les plus complexes. On le voit dans les crises africaines, où les opérations de maintien de la paix ne se limitent pas à un volet militaire mais appuient aussi les processus politiques de transition, l’organisation des élections, la restructuration des forces de sécurité, la reconstruction de l’appareil judiciaire. […]

12Nous devrons également rendre les relations entre les États plus transparentes. Il nous faut les débarrasser des réseaux d’un autre temps, des émissaires officieux qui n’ont d’autre mandat que celui qu’ils s’inventent. Le fonctionnement normal des institutions politiques et diplomatiques doit prévaloir sur les circuits officieux qui ont fait tant de mal par le passé. Il faut définitivement tourner la page des complaisances, des secrets et des ambiguïtés, notamment avec nos partenaires africains et arabes. Nous ne devons pas non plus nous contenter de la seule personnalisation de nos relations. Les relations entre des États modernes ne doivent pas seulement dépendre de la qualité des relations personnelles entre les chefs d’État, mais d’un dialogue franc et objectif, d’une confrontation des exigences respectives, du respect des engagements pris et de la construction d’une communauté d’intérêts à long terme. »


Date de mise en ligne : 15/11/2012

https://doi.org/10.3917/polaf.105.0149

Notes

  • [1]
    Conférence de presse sur la politique internationale, mercredi 28 février 2007, Paris (extraits).

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