Notes
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[1]
Voir A. Kayembe, T. Malu et DRIM (dir.), Situation des médias en RDC, Paris, Institut Panos Paris, 2004, http://www.panosparis.org/fr/doc/Situation.pdf.
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[2]
La ville de Kinshasa disposait de deux journaux véhiculant l’information officielle, Salongo et Elima, Lubumbashi, Bukavu et Kisangani d’un seul titre, respectivement Mjumbe, Jua et Boyoma.
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[3]
De 1990 à 1995, 638 organes de presse ont été autorisés à paraître et plus de 400 partis politiques ont vu le jour.
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[4]
Dans le premier groupe, on citera L’Avenir, qui se transforme rapidement en groupe de presse florissant ; dans le second, on retiendra Le Soft de Kin Kiey Mulumba, ancien ministre de l’Information de Mobutu. Une partie de l’équipe rédactionnelle quittera ce journal pour créer The Post, trihebdomadaire d’information.
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[5]
« Les journalistes sont devenus depuis 1999 la principale cible des attaques dirigées par les services de sécurité contre les libertés publiques : 43 journalistes interpellés, incarcérés ou détenus en 1998, 53 en 1999, 42 en 2000 ». African Media Institute (AMI), « Les entraves de la liberté de la presse en République démocratique du Congo », Kinshasa, AMI, 2004, p. 52. Selon Journaliste en danger (JED), au moins 160 journalistes ont été envoyés en prison pour de plus ou moins longues périodes sous Kabila père.
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[6]
Il existe, à Kinshasa, trois structures de formation initiale des journalistes : l’Ifasic (Institut facultaire des sciences de l’information et de la communication), la faculté de communication sociale des Facultés catholiques de Kinshasa et le département de communication de l’Unikin (université de Kinshasa).
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[7]
En 1998, le président Kabila fait don à la presse privée d’un montant de 1 million de dollars, dont la répartition est confiée à une association d’éditeurs mise en place pour la circonstance, la Casprom (Caisse d’assistance aux professionnels des médias). Les modalités de partage ont suscité des querelles entre éditeurs, une frange de la presse finissant par renoncer à la part qui lui était proposée, alors que la tendance adverse se partageait les bénéfices.
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[8]
On compte 3 radios dans le Bandundu, 10 dans le Bas-Congo, 2 dans l’Équateur, 4 dans le Sud-Kivu, 16 dans le Kasaï occidental, 9 dans le Kasaï oriental, 17 dans le Katanga, 7 dans le Nord-Kivu, 10 dans la Province orientale.
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[9]
Journaliste en danger, « L’affaire RTKM : un espace de liberté plurielle confisqué », 11 mars 2001, http ://www.congonline.com/Jed/Rapports/2001/Rapport-RTKM-11032001.htm.
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[10]
La délivrance de la carte de presse constituait l’unique compétence encore assumée par l’UPC début 2004. La carte était toutefois octroyée à tout candidat payant sa cotisation, sans contrôle de la réalité de son activité journalistique.
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[11]
Ainsi, l’ARCO, Association des radios communautaires du Congo, créée en 2000.
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[12]
Parmi les regroupements provinciaux ou régionaux, on peut citer l’Aejik (Association des éditeurs indépendants du Katanga), l’Afemek (Association des femmes des médias du Katanga), le Rateco (Réseau des radios et télévisions communautaires de l’est du Congo).
-
[13]
La première, créée par Modeste Mutinga, éditeur du Potentiel, a pour vocation d’appuyer les médias dans leur contribution possible à la paix et à la bonne gouvernance. La seconde, fondée et dirigée par Donat M’Baya Tshimanga, vise à défendre les droits des journalistes et à susciter des actions de plaidoyer face aux atteintes à la liberté de la presse.
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[14]
Soulignons que chaque grand éditeur de presse possède « son » association : Médias pour la paix (Modeste Mutinga, Le Potentiel), Fondation Ipakala (Ipakala Mobiko, La Référence plus), Médias pour le développement et la paix (Michel Ladi Luya, Le Palmarès).
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[15]
Le Congrès ne souhaitait pas être perçu comme une instance de l’UPC, ce qui aurait restreint sa portée vu le peu de légitimité de l’ancienne structure. Il a néanmoins été organisé en grande partie par l’ancien bureau de l’UPC, avec le concours de quelques personnalités de la presse kinoise et le soutien financier de plusieurs opérateurs actifs dans le champ des médias en RDC : l’Institut Panos Paris, le GRET (Groupe de recherches et d’échanges technologiques) et Niza (ONG néerlandaise). Le coût de cette opération s’est monté à plus de 200 000 euros.
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[16]
L’enjeu de la désignation des délégués de province a été un des plus épineux de la préparation du Congrès. En effet, une sélection devant s’opérer au préalable dans chacune des dix provinces, le rôle des anciennes sections provinciales de l’UPC, composées essentiellement d’anciens de la presse d’État, dans ces désignations était crucial.
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[17]
Certains participants craignaient que l’Observatoire soit « récupéré par les Kasaïens », déjà très présents dans la presse écrite kinoise. En outre, les principales associations actives dans le domaine de la défense de la liberté de la presse (JED), du monitoring des contenus des médias (UPEC), de même que plusieurs associations professionnelles (Médias pour la paix, Fopromedia) et l’instance de régulation elle-même (HAM) sont effectivement présidées par des ressortissants du Kasaï.
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[18]
On appelle les journalistes de Kinshasa quados (terme employé pour désigner les réparateurs de pneus sur le bord des routes), tant ils arpentent les rues à la recherche des moyens de leur survie.
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[19]
Dans son édition du 4 mars 2004, Le Palmarès s’en prend violemment au « nouveau Conquistador, Modeste Mutinga. Il a tort de croire que la presse congolaise lui appartient et que tous les journalistes vont se mettre à ses pieds. […] Il a tort de vouloir régenter la presse congolaise… ».
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[20]
Ainsi, le journal écrivait, dans son édition du 4 mars 2004 : « Certains zombies de la presse viennent d’omettre volontairement le nom du premier journal satirique de cette partie de la terre sur la liste des participants au Congrès […]. Alors, Grognon ne reconnaîtra guère les aboiements et autres subjectivités à sortir des travaux d’une messe d’où il a été sciemment exclu. »
-
[21]
Le 4 mars, les patrons de presse des « organes écartés » étaient reçus par le ministre de la Presse et de l’Information pour manifester leur mécontentement et annoncer leur « projet d’organiser, dans un bref délai, un Congrès de la presse véritablement national, débarrassé des anti-valeurs ». Voir L’Avenir, 5 mars 2004. Le même jour, le directeur de publication du Palmarès tenait au Grand Hôtel une conférence de presse : « Rien ne m’empêche de créer une autre association qui regroupe les oubliés du Congrès. » Le Palmarès, 5 mars 2004.
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[22]
Interrogés à ce sujet, les organisateurs ont évoqué le fait que les journalistes de Radio Okapi seraient soumis à un devoir de réserve vu leur appartenance au système des Nations unies et ne seraient pas autorisés par leur hiérarchie à participer à des regroupements professionnels.
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[23]
Selon une enquête réalisée par l’AMI en 2003, les salaires des journalistes dans les quotidiens les plus importants évoluent entre 20 et 50 dollars, alors que la RTNC, soumise au barème de la fonction publique, rémunère les membres de la rédaction entre 15 et 25 dollars.
-
[24]
Voir Journaliste en danger, République démocratique du Congo. Vers une nouvelle stratégie pour la liberté d’expression, Kinshasa, octobre 2000, http ://www.ifex.org/.frcontent/view/archivefeatures/478/.
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[25]
Voir, à ce sujet, A. Kayembe T. Malu et DRIM (dir.), Situation des médias en RDC, op. cit.
-
[26]
JED, « Rapport sur la liberté de la presse 2000 », http ://www.congonline.com/Jed/Rapports/2001/Rapport20001.htm.
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[27]
Note circulaire n° 001/CabMin/PresseInfo/2004, « portant strict respect des consignes éditoriales en cette période de crise ».
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[28]
Conférence de presse, 17 décembre 2004.
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[29]
Ainsi, Arthur Zahidi Ngoma (opposition non armée) utilise particulièrement Antenne A, Yerodia Ndombasi (mouvance présidentielle), la RTGA (groupe L’Avenir), Horizon 33 et Digital Congo, Azarias Ruberwa (RCD) la RTP.
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[30]
Toutefois, pour certains observateurs congolais, la radio a surtout contribué à mettre en avant des personnalités impliquées dans le conflit mais privées de réelle représentativité et d’une quelconque légitimité à s’exprimer au nom des intérêts qu’elles prétendaient défendre. Comme les radios internationales, Radio Okapi aurait donc servi au « marketing politique des belligérants ». Voir A. Kayembe T. Malu et DRIM (dir.), Situation des médias en RDC, op. cit., p. 82.
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[31]
Communiqué de presse du ministre H. Mova Sakanyi, cité par l’AFP (26 décembre 2004).
-
[32]
La HAM jouit pour l’instant du soutien de plusieurs partenaires financiers (coopérations belge, française, britannique et européenne) qui interviennent à la fois pour soutenir son fonctionnement et fournir une assistance technique et une expertise.
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[33]
La Référence plus, 5 août 2005.
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[34]
Selon le communiqué de JED publié le 18 janvier 2005, « cette émission était devenue l’instrument de lynchage médiatique de tous ceux qui s’écartent de la vision officielle des événements en cours en RDC. Le vice-président de la République Azarias Ruberwa et toutes les personnes d’expression rwandophone étaient les cibles principales de cette émission ».
-
[35]
Voir S. Bailly, « Les médias congolais, premières victimes des tensions avec le Rwanda », article non publié, p. 5.
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[36]
L’Église catholique s’en inquiète d’ailleurs, remarquant que « certaines églises sont en train de devenir des cadres de propagande de certains hommes politiques en quête de légitimité en dehors des élections. Il n’est pas surprenant d’entendre des chants religieux à l’honneur de ces hommes politiques lors de leurs passages dans des assemblées religieuses. » Voir Renaître, 15 novembre 2004.
1En mars 2004 se tenait en République démocratique du Congo (RDC), à Kinshasa, le Congrès national de la presse, qualifié de « Congrès de la refondation ». Pour la première fois depuis 1989, l’ensemble de la presse congolaise, écrite et audiovisuelle, de la capitale et des provinces s’est réuni afin de réfléchir à son mode d’organisation et aux grands enjeux auxquels elle se trouve confrontée. Dans un pays qui se relève lentement de cinq années de guerre ayant entraîné la partition du territoire et, directement ou indirectement, la mort de plus de 3 millions de personnes, les médias comptent parmi les acteurs qui ont à jouer un rôle important dans le processus de transition devant conduire le pays à ses premières élections libres et pluralistes. C’est d’ailleurs pourquoi l’accord global et inclusif sur la gestion du pouvoir politique en RDC, signé le 17 décembre 2003 à Sun City, a prévu l’instauration, parmi les cinq institutions citoyennes transitoires, d’une Haute Autorité des médias (HAM), chargée d’organiser le paysage médiatique, tant public que privé, en prévision des échéances électorales. L’enjeu est important ; on estime aujourd’hui qu’il existe 231 publications dans le pays (la plupart paraissant de manière irrégulière), 126 stations de radio et 52 chaînes de télévision [1]. Toutefois, professionnalisme et responsabilité restent largement à reconstruire, dans un secteur marqué par la peur, la corruption et la violence.
Quinze années de pluralisme : une histoire mouvementée
Une presse écrite politisée
2C’est en 1990 que la libéralisation des médias est décrétée au Zaïre, après de longues décennies de monopole étatique [2]. La presse écrite connaît alors un développement remarquable : lors de la période agitée de la Conférence nationale souveraine, plus de 200 titres sont déclarés auprès des autorités compétentes en l’espace de quelques mois. Les journaux se répartissent très vite en une presse dite de « la mouvance », proche de Mobutu (Elima, Le Soft) et une presse dite de « l’opposition radicale » (Le Potentiel, Le Phare, Le Palmarès, La Tempête des tropiques...). Les nouveaux journaux privés naissent dans le giron des hommes et des partis politiques émergeant dans l’effervescence du pluralisme politique récemment autorisé [3]. La situation est globalement défavorable au développement d’une presse écrite de qualité et de grande diffusion dans un pays où l’analphabétisme est important, où les journaux restent souvent cantonnés dans la capitale vu la faiblesse du réseau des transports et où le niveau de vie moyen ne permet guère au citoyen d’investir dans son information quotidienne. Toutefois, quelques journaux parviennent à respecter leur périodicité et s’installent dans les habitudes de lecture des Zaïrois.
3À l’arrivée au pouvoir de Laurent-Désiré Kabila en 1997, de nouveaux supports de presse apparaissent ou se développent, alors que les anciens journaux mobutistes entrent dans une période de vaches maigres [4]. Toutefois, les activités des partis politiques sont suspendues, ce qui prive les différents titres de leur matière première habituelle et de leurs sources de financement. Le pouvoir se montre extrêmement méfiant et dur envers la presse : les arrestations, emprisonnements et intimidations des journalistes se multiplient et ces derniers subissent de multiples violences [5]. La guerre qui éclate en 1998 va rendre encore plus précaires les conditions de fonctionnement des entreprises de presse : le prix des matières premières augmente, la diffusion dans les zones occupées est impossible. Déjà politisés et rendus sensibles à la corruption par leur situation de dénuement extrême, les journalistes s’adonnent à une propagande virulente contre l’ennemi rwandais, encourageant la « chasse aux Tutsi » dans les zones contrôlées par le pouvoir de Kabila. Le régime pratique en outre une rétention de l’information telle que les journalistes ne peuvent que s’égarer dans des projections, des supputations et des commentaires sur l’évolution de la situation nationale.
4Le président Joseph Kabila, qui succède à son père assassiné en janvier 2001, se montre plus clément envers la presse. Aujourd’hui, une poignée de quotidiens, respectant leur périodicité et présentant un embryon d’entreprise survit difficilement (Le Potentiel, L’Observateur, Le Phare, La Référence plus, Le Palmarès, L’Avenir, La Tempête des tropiques) avec des contenus souvent très politisés et une qualité professionnelle générale relative. Quelques périodiques s’y ajoutent, habituellement de faible qualité, même si certains titres se détachent du lot : The Post, par le soin de sa mise en pages ; Le Révélateur, par la qualité de sa démarche journalistique ; Le Manager grognon, par ses caricatures… La presse de province est essentiellement hebdomadaire et souvent irrégulière. Elle rencontre d’énormes problèmes d’approvisionnement en matières premières, d’impression (les journaux des provinces avoisinantes viennent imprimer à Kinshasa, ceux de l’Est impriment à Kampala) et manque cruellement de personnel qualifié.
5Les journaux ont tous des tirages extrêmement bas (autour de 500 exemplaires, le premier tirage, pour Le Potentiel, pouvant grimper exceptionnellement à 2 000) et se vendent mal : leur prix, avoisinant 0,80 dollar, est difficilement accessible à une population qui manque de tout. La diffusion hors de la capitale demeure insignifiante. La plupart des titres vivent de leurs accointances avec les hommes ou partis politiques et ne développent guère de réel projet éditorial. Par ailleurs, la confusion est constante entre espaces rédactionnels et publicitaires ; on constate en permanence la publication d’articles issus non d’une démarche désintéressée de collecte de l’information, mais de la vente d’un espace à un individu ou une structure. Certaines pratiques de grande corruption semblent aussi fréquentes dans certains titres (chantages, falsifications…), et la pratique du « coupage », intervention financière visant à obtenir du journaliste qu’il publie ou taise une information, s’est généralisée. Les entreprises se caractérisent par l’inexistence d’une véritable politique de gestion, l’opacité comptable et la faiblesse de la formation des ressources humaines dans tous les secteurs de la production et de l’administration [6].
6En outre, la presse privée est extrêmement divisée. Cette situation découle de la personnalisation à outrance des titres (entièrement soumis à un directeur fondateur qui chapeaute à la fois les contenus et les finances), de leur politisation et de la rareté des ressources suscitant ainsi une féroce concurrence [7].
La radio et le facteur religieux
7Le paysage radiophonique a connu lui aussi un développement extraordinaire, quoique plus tardif. Radio Elikya, créée en 1995 par l’Église catholique, constitue une des plus anciennes initiatives ayant survécu. Pour la seule ville de Kinshasa, on compte aujourd’hui quelque 23 stations qui émettent en FM. La plupart de ces radios appartiennent au registre confessionnel, essentiellement des radios dites « évangéliques » ou « messianiques » (Radio-Télévision Puissance, Radio-Télévision Message de vie, Radio-Télévision Armée de l’éternel, Radio de l’Église du Christ au Congo…). On trouve aussi des radios privées commerciales (Raga FM, RTKM, MBC…) ou des radios communautaires (Réveil FM). Dans les provinces, où la presse écrite est souvent inexistante ou très irrégulière, la radio demeure le média le mieux implanté, chaque province voyant se développer un nombre plus ou moins important d’initiatives privées [8].
8Ces stations sont toutefois caractérisées par un très faible niveau de formation du personnel – les animateurs ayant rarement plus qu’un diplôme de niveau secondaire –, la précarité du statut de l’énorme majorité des employés travaillant sans contrat, ainsi qu’une gestion aléatoire et improvisée. Beaucoup d’entre elles évoluent dans une trop grande dépendance par rapport aux financements extérieurs (Églises, partenaires au développement ou personnalités politiques ou du monde des affaires), ce qui empêche le déploiement de stratégies d’autofinancement et maintient des situations de concurrence artificielles. L’absence d’une stratégie de production de programmes propres ou de moyens pour mettre en œuvre cette volonté condamne les radios à combler les heures d’antenne avec des plages musicales ou des émissions reçues gratuitement de l’extérieur.
9Les radios associatives et communautaires se plaignent en outre du montant trop élevé du récépissé (5 000 dollars) et de la licence de détention de fréquence (2 500 dollars), et souhaitent qu’il soit revu à la baisse. Cette revendication est compréhensible, mais il faut toutefois souligner que de nombreuses stations dites « communautaires » ou « associatives » ne rencontrent pas les exigences de ce type de radiodiffusion, que ce soit en termes de statut, de nature des programmes et de prise en compte de l’apport de la communauté réceptrice.
10Enfin, il faut noter que les radios, média populaire par excellence, ont beaucoup souffert de la situation d’instabilité et d’occupation du pays, se trouvant souvent prises en otages par les belligérants soucieux de faire passer leur message. Elles ont été l’objet de multiples mesures de suspension, d’interdiction, de menaces, surtout durant le régime de Laurent-Désiré Kabila et de son ministre de la Communication, Dominique Sakombi Inongo.
11La situation de guerre a aussi entraîné la caporalisation totale de la RTNC (Radio-Télévision nationale du Congo, ex-Voix du Zaïre). La crise de l’entreprise audiovisuelle publique est d’ailleurs patente à Kinshasa comme dans les stations de province où, en plus du matériel obsolète et des ressources humaines peu motivées, des problèmes techniques entravent la diffusion. L’alignement systématique de la RTNC sur les positions gouvernementales, voire son rôle de propagandiste durant la période de conflit, a amené une grande partie du public à s’en détourner, d’autant que, dans les provinces, son signal est fréquemment interrompu, la station ne parvenant pas à couvrir les charges de sa retransmission auprès de son opérateur satellitaire.
12Aujourd’hui, la seule radio qui couvre l’ensemble du territoire est Radio Okapi. Créée dans le cadre de la Mission de l’Organisation des Nations unies au Congo (Monuc), elle a commencé à émettre en février 2002. La conduite du projet est assurée par la Fondation suisse Hirondelle, spécialisée dans la mise en place de radios « humanitaires » dans les pays en crise. Trois ans après sa création, la radio a développé une dizaine d’antennes locales dans les différentes provinces et paraît être de plus en plus écoutée, même si aucune statistique n’est disponible à ce sujet. Si le projet peut être considéré comme une réussite, il suscite toutefois plusieurs interrogations quant à son indépendance éditoriale concernant la couverture des actions de la Monuc et surtout quant à son avenir ultérieur : le fonctionnement de cette entreprise médiatique coûte aujourd’hui 8 millions de dollars par an, financement assuré essentiellement par les Nations unies, l’Usaid (Agence américaine pour le développement international), le DFID (Coopération britannique pour le développement) et la DDC (Direction du développement et de la coopération suisse). Au terme de la mission de maintien de la paix, cette radio reviendra-t-elle aux autorités congolaises pour que les infrastructures soient réintégrées à la RTNC ? Sera-t-elle privatisée, au risque de tomber dans les mains d’hommes d’affaires impliqués en politique comme c’est bien souvent le cas ? Peut-elle être confiée à un consortium de radios locales afin d’être gérée sur le mode communautaire par un partenaire local non institutionnel ? Fermera-t-elle simplement ses portes ? Cette question, pourtant cruciale, n’est pas tranchée.
L’essor de la télévision privée
13La RDC est un des rares pays du continent où la télévision privée s’est développée de manière importante ces cinq dernières années. Après Antenne A, créée à Kinshasa dès 1991 par un homme d’affaires, se sont multipliées les chaînes privées commerciales (Raga TV, Télé Kin Malebo, Tropicana TV, Canal Kin 1 et 2, CMB…) et confessionnelles (Télévision Sango Malamu, Amen Télévision, Radio-Télévision Sentinelle, Radio-Télé Kintuadi…). Aujourd’hui, la seule ville de Kinshasa compte plus de 20 chaînes, dont deux seulement, RTNC 1 et 2, ont un statut public.
14Le pluralisme télévisuel se développe aussi dans certaines villes de province ; ainsi, Lubumbashi compte aujourd’hui 5 chaînes concurrentes à l’antenne locale de la RTNC. Toutefois, la télévision demeure un phénomène essentiellement urbain, sans doute à cause du coût de l’investissement initial et du manque d’accès à l’électricité.
15Généralement, les télévisions sont couplées avec des stations de radio dont elles constituent une extension et auxquelles elles empruntent leurs animateurs. Leur programmation est de faible qualité technique et professionnelle, la plupart d’entre elles ne disposant pas de moyens pour assurer une production propre et restant très dépendantes d’émissions offertes par l’extérieur ou piratées sur d’autres antennes. Les nombreuses télévisions confessionnelles se bornent souvent à diffuser les prêches de leur propriétaire-prédicateur, entrecoupés de plages musicales.
16Les télévisions congolaises manquent de ressources, le marché publicitaire demeurant restreint dans un pays troublé et dominé par l’économie informelle. Outre les grandes industries brassicoles, les entreprises de téléphonie mobile sont les seules à investir dans la promotion de leurs produits. Dès lors, les télévisions fonctionnent souvent, faute de moyens, grâce au bricolage (technique, humain et financier) et n’ont guère de perspectives d’évolution. Certaines d’entre elles sont également très proches des hommes politiques et milieux d’affaires – comme Canal Kin 1 et 2, propriétés de Jean-Pierre Bemba.
17Sous la présidence de Laurent-Désiré Kabila, en 2000, cette station privée ainsi que RTKM (Radio-Télévision Kin Malebo, appartenant à un ancien ministre de l’Information de Mobutu) avaient été nationalisées. « Canal Kin et RTKM sont des propriétés des opposants, en rébellion ouverte contre le pouvoir, avait précisé le ministre de la Communication Dominique Sakombi Inongo. Notre pays étant en guerre, ces chaînes de radiodiffusion et de télévision ne devraient plus fonctionner. Mais compte tenu du fait que l’ex-Canal Kin et l’ex-RTKM utilisent des compatriotes, pour sauver leurs emplois, le gouvernement de salut public a pris des mesures conservatoires de mise sous tutelle du ministère de la Communication de ces stations de radiodiffusion et de télévision, en les prenant en charge [9]. » En 2001, Joseph Kabila décidait de la rétrocession des deux stations à leurs propriétaires respectifs.
L’organisation du secteur des médias : une nécessité
Le cadre légal
18Le cadre juridique dans lequel évoluent les médias congolais est essentiellement circonscrit par deux textes : la loi du 22 juin 1996, fixant les modalités de l’exercice de la liberté de la presse en République démocratique du Congo, et l’ordonnance-loi du 2 avril 1981, portant statut des journalistes œuvrant en RDC. Le premier texte émane d’une volonté de la Conférence nationale de remplacer l’ancien texte de 1970 et s’est inspiré des travaux des états généraux de la communication qui se sont déroulés en mai 1995. Cette loi consacre la liberté de la presse et la liberté d’entreprise dans le secteur des médias, met fin au monopole étatique qui existait encore de droit (sinon de fait), proclame la neutralité des médias publics, officialise l’instauration du régime de la déclaration en lieu et place de celui de l’autorisation préalable. Toutefois, elle ne traite pas du statut du journaliste qui demeure dès lors régi par l’ordonnance-loi de 1981, obsolète puisqu’elle a été élaborée dans un contexte où le pluralisme et les initiatives privées n’existaient pas.
19En dépit des multiples critiques qu’elle suscite auprès des journalistes, la loi de 1996 pèche moins par un quelconque caractère liberticide (elle est au contraire relativement libérale) que par la non-application de certains de ses articles qui en appellent à la responsabilité de l’État, des médias et même du public. Ainsi, l’État doit, selon le texte, apporter son soutien aux médias publics et peut éventuellement appuyer indirectement la presse privée, ce que les entreprises de presse réclament mais qui n’a jamais été mis en œuvre. Le public, de son côté, est normalement astreint à la redevance découlant de la possession d’un poste de radio ou de télévision, mais la mesure n’est toujours pas appliquée. Quant aux médias, ils sont supposés diffuser au moins 50 % de programmes locaux, respecter les bonnes mœurs et les prescriptions en matière de limitation de la publicité. Autant d’injonctions qui ne sont pas effectives, notamment faute de précisions sur les modalités d’exécution.
20La loi a été fréquemment évoquée ces dernières années pour arrêter, juger et condamner des journalistes. S’il est certain que de nombreux médias se sont rendus coupables d’excès fâcheux (appels à la haine, diffamations, injures…), certaines lacunes du texte sont toutefois exploitées pour faire taire facilement des organes de presse qui dérangent les autorités. Ainsi, la loi de 1996, qui insiste sur les aspects éthiques et moraux, ne définit pas de manière précise les infractions commises par voie de presse. Elle renvoie au code pénal dont la nouvelle mouture, adoptée en 2003, fait l’impasse sur ce type de délits. La porte est donc laissée largement ouverte aux interprétations les plus tendancieuses.
Le cadre professionnel
21Plus de 4 500 personnes se revendiquant « journalistes » seraient employées à ce jour dans les médias congolais, parmi lesquelles plus de 500 appartiennent aux médias publics (avec un statut d’agents de l’État), près de 2 000 aux radios privées et environ 1 500 à la presse écrite privée. L’organisation interne de la profession apparaît donc à la fois comme une nécessité et comme un défi de grande ampleur.
22L’unique structure professionnelle fédératrice censée représenter l’ensemble de la profession et chargée de délivrer la carte de presse est demeurée, des années durant, l’UPC (Union de la presse congolaise, créée en 1970), anciennement UPZA (Union de la presse du Zaïre). Structure officielle financée durant les années de monopole étatique par le gouvernement, elle a été rendue illégitime par l’émergence, de fait, du pluralisme des médias et, par ailleurs, est fortement critiquée pour sa léthargie [10]. Chacun des ministres qui se sont succédé depuis 1996 au ministère de l’Information, de Didier Mumengi à Kikaya Ben Karubi, a explicitement formulé le souhait de réformer cette structure, voire de la dissoudre, pour la remplacer par une autre plus représentative et consensuelle.
23Face à la léthargie de l’UPC, qui contrastait avec le bouillonnement du secteur des médias, de nombreuses associations et organisations professionnelles se sont créées pour s’attaquer à des problématiques précises et ciblées : associations sectorielles (concernant spécifiquement la radio [11], la presse écrite ou la télévision), regroupements régionaux ou provinciaux (obéissant à des logiques géographiques, la plupart des médias de province se sentant abandonnés par les associations professionnelles basées à Kinshasa, incapables de prendre en compte leurs réalités spécifiques [12]), organisations regroupant certaines catégories de personnel (les chefs d’entreprise, les employés, les femmes), rassemblements d’affinités thématiques (journalistes sportifs, de la santé, de la presse diplomatique…).
24Outre les organisations ou associations professionnelles, ont également vu le jour des organisations non gouvernementales (ONG) œuvrant à l’appui et à l’accompagnement des médias sur certaines thématiques (Médias pour la paix, Journaliste en danger [13]). Devant une telle dispersion des initiatives, une fédération de toutes ces structures, la Fopromedia, a finalement vu le jour afin de présenter aux éventuels partenaires extérieurs, désorientés par la multiplicité des associations, un interlocuteur unique [14].
25C’est dans ce contexte que, du 3 au 5 mars 2004, s’est tenu le Congrès national de la presse [15], réunissant plus de 200 délégués, membres de la profession venant de toutes les provinces du pays [16]. Après cinq jours de débats, les participants ont adopté une série de décisions importantes pour la configuration future des médias congolais. Une nouvelle structure fédératrice a été créée, l’UNPC (Union nationale de la presse congolaise), avec à sa tête un comité directeur qui fait la part belle à la presse privée, le nouveau président, Kabeya Pindi Pasi, étant directeur des programmes d’une chaîne de télévision privée, Tropicana TV. C’est une femme, Chantal Kanyimbo, journaliste vedette de la RTNC, qui a été élue à la vice-présidence. L’UNPC a désormais pour mandat de coordonner les activités des groupements et associations membres, mais aussi de défendre la liberté, les droits et les intérêts généraux de la presse et de ses membres, et d’organiser la profession ainsi que les activités de formation professionnelle et les luttes syndicales.
26Un Observatoire congolais des médias (OMEC), instance d’autorégulation, a également été mis sur pied. Composée de 9 représentants de la profession et de 6 délégués du public, cette organisation professionnelle indépendante doit veiller au respect, par les journalistes, des règles d’éthique et de déontologie incluses dans le code revu pour la circonstance. L’accouchement de ce conseil de presse a été laborieux : certains professionnels estimant que ce genre de contrôle était du ressort exclusif de la corporation et non du public ; d’autres brandissant, plus discrètement et en dehors des débats officiels, des arguments régionalistes, sans doute moins avouables [17]. Polydor Muboyayi, directeur de publication du Phare et président de la Fopromedia, personnalité consensuelle, a été élu à la tête de l’OMEC qui peine toutefois à entrer en activité.
27Au-delà de la manifestation des divisions politiques et des solidarités régionalistes latentes, les débats du Congrès ont largement montré qu’il existe aujourd’hui trois générations parmi les acteurs de la presse en RDC. D’une part, les anciens caciques des médias d’État du système mobutiste, dont faisaient partie les cadres dirigeants de l’ancienne UPC, d’autre part, les entrepreneurs de presse et de médias privés qui ont investi le secteur au moment de la libéralisation, et, enfin, la masse des jeunes journalistes peu formés, au statut précaire et aux conditions de travail difficiles. Chaque génération a sa propre vision de la profession et de ce que devrait être son organisation : les premiers conservent une certaine nostalgie de la période de « gloire » des journalistes congolais (les années 1970 du monopole étatique où ils étaient estimés, respectés, bien formés et relativement nantis) ; les deuxièmes sont surtout soucieux des conditions du marché et de la survie financière de leur entreprise ; les derniers sont souvent journalistes « en attendant mieux », de façon transitoire, sans désir de demeurer dans une profession devenue aujourd’hui objet de risée [18].
28Le Congrès a également révélé la ferme volonté de certains professionnels de créer un contrepoids professionnel aux ambitions de la Haute Autorité des médias. Présidée par un des grands entrepreneurs de la presse privée (Modeste Mutinga, proche de l’UDPS d’Étienne Tshisekedi, qui siège dans cette institution citoyenne au titre de la société civile), l’instance de régulation a pu donner l’impression de vouloir étendre, à plusieurs reprises, ses compétences et son action à divers domaines (formation des journalistes, éthique, attribution de la carte de presse…) qui ne sont pas du ressort d’un régulateur. La HAM s’est d’ailleurs heurtée quelquefois au ministre de l’Information en poste jusqu’en juillet 2004, Vital Kamerhe, qui reprochait à l’institution citoyenne sa vision extensive de ses compétences et de son champ d’intervention.
29Durant toute la manifestation, certains journalistes se sont ouvertement désolidarisés de ce congrès dont ils ne reconnaissaient pas la légitimité, certains y voyant une manœuvre de Modeste Mutinga pour asseoir son pouvoir sur la presse [19], d’autres critiquant la réelle représentativité des participants désignés (L’Avenir, Le Manager grognon [20], Le Forum des as). La capacité de l’UNPC de représenter effectivement l’ensemble de la corporation, traditionnellement divisée, constitue donc un défi important [21], d’autant plus que quelques médias de grande qualité professionnelle, appuyés massivement par l’aide étrangère (Radio Okapi, l’agence de presse privée Inter-Congo médias), n’avaient pas été invités à prendre part aux travaux du Congrès. C’est surtout frappant pour Radio Okapi qui constitue de loin la première entreprise médiatique du pays en termes de personnel qualifié (même si la RTNC dispose d’effectifs plus importants), de surface de diffusion et d’auditoire, ainsi que de capacités techniques [22].
Les défis à relever pour les médias congolais
30Les médias congolais souffrent d’une série de handicaps qui sont similaires à ceux que connaît la presse dans d’autres pays africains, encore aggravés par la situation de guerre et d’instabilité : délabrement économique, faiblesse des ressources publicitaires, capacités financières du public réduites, absence d’un circuit performant de distribution, manque de formation des personnels, faible niveau des rémunérations entraînant une plus grande sensibilité à la corruption [23]. Cependant, des défis tout à fait spécifiques s’ajoutent à ces entraves plus générales.
La construction de la paix
31Dès 1991, les médias congolais ont montré qu’ils pouvaient se changer en instruments de haine et de division. Lors du massacre des étudiants sur le campus de l’université de Lubumbashi en mai 1991, la caporalisation des médias d’État était apparue au grand jour. Cette tendance se renforcera encore l’année suivante, lors de l’expulsion violente et meurtrière des populations kasaïennes du Katanga. L’antenne katangaise de la télévision nationale et des journaux acquis à la cause du pouvoir ont véhiculé des appels à la haine, des discours xénophobes, poussant les populations de la province à se débarrasser des citoyens originaires de la province voisine. « Les Kasaïens doivent partir », « Ces chiens sans colliers », titrait Ujamaa, journal de Lubumbashi [24].
32Au début de la guerre dans le Kivu, en 1996, les médias congolais ont d’abord perçu le conflit comme un problème « ethnique », puis comme une manipulation extérieure émanant du Rwanda. Mais, peut-être suite aux analyses de la presse étrangère qui a mis en avant la personne de Laurent-Désiré Kabila [25], les animateurs de la presse d’opposition se sont bientôt réjouis de voir émerger ce qui s’apparentait à une alternative au régime de Mobutu. Ils ont été d’emblée taxés de « collabos » par des médias officiels ou mobutistes qui brandissaient la thèse de l’occupation étrangère, assimilant les Banyamulenge au Rwanda. Ces médias véhiculaient la thèse de la balkanisation du pays, soutenant que des déportations et des massacres massifs des populations congolaises du Kivu étaient en train de se produire. Présentée comme une agression extérieure, la guerre du Kivu permettait de renforcer le nationalisme congolais, au service d’un pouvoir pourtant moribond.
33Dès l’arrivée au pouvoir de Laurent-Désiré Kabila, les médias gouvernementaux se sont mis totalement au service de l’AFDL, alors que la presse traditionnellement de « l’opposition » reprenait rapidement ses distances. L’éclatement de la deuxième guerre, en 1998, caractérisée par une diversité de mouvements et de fronts et par la présence officiellement reconnue sur le territoire congolais de plusieurs armées étrangères, parfois rivales entre elles (comme les troupes rwandaises et ougandaises lors des événements de Kisangani), a entraîné des scissions correspondantes dans la presse, chaque média se mettant au service de un ou plusieurs groupes armés, parfois au gré des opportunités financières. Une forte propagande anti-tutsi et anti-Rwanda s’est développée à Kinshasa où tout individu au profil fin et élancé suscitait immédiatement la suspicion.
34Sous-informée, incapable d’accéder aux terrains d’opération, persécutée, la presse d’opposition est devenue, comme celle proche du pouvoir, un vecteur de propagande. Ainsi que le soulignait un rapport de JED, « la presse congolaise qui aurait pu être le témoin privilégié est totalement absente du théâtre de la guerre. Elle se contente des communiqués officiels ou des informations de seconde main. Certes, la presse congolaise n’a pas beaucoup de moyens pour se rendre sur les lieux des opérations mais on lui a surtout inculqué la peur. On lui interdit de voir ce qui se passe et même d’en parler. Souvent au détriment du pays. Cela est vrai à l’est comme à l’ouest. Quand elle ose, elle est taxée de “décourager les combattants et la population”, “d’être en intelligence avec l’ennemi” dont certains principaux ténors ont regagné, sur le tapis rouge, Kinshasa. Bref, de trahison [26] ».
35Ces réflexes perdurent aujourd’hui. En juin 2004 encore, le ministre V. Kamerhe rappelait aux médias, suite aux événements de Bukavu et Kinshasa, que les rédactions « qui tiendront des propos tendant à démoraliser les Forces armées congolaises ou à traiter avec légèreté tous ces événements malheureux […] se verront appliquer toute la rigueur de la loi [27] ». Alors que le président de la HAM, suite à l’incursion des forces rwandaises au Congo en décembre 2004, lançait à ses confrères : « Si le militaire a son fusil et ses munitions pour aller au front, le journaliste a sa plume et son micro pour défendre l’unité, l’intégrité et la souveraineté de notre pays [28]. »
36Les réflexes propagandistes ont prospéré pendant cinq ans et, à l’heure de la réconciliation et de la reconstruction, la plupart des médias continuent à jouer les porte-voix d’une des tendances représentées au gouvernement. Les médias gouvernementaux relaient les positions du président de la République alors que chacun des quatre vice-présidents dispose de sa chaîne de télévision privilégiée pour diffuser son message [29]. Une campagne électorale avant terme est déjà en cours, ce qui suscite bien des inquiétudes.
37Pourtant, les médias et les journalistes congolais peuvent aussi contribuer à la construction de la paix, comme le prouve l’expérience de Radio Okapi qui a joué un rôle essentiel dans le maintien d’une cohésion nationale et d’un sentiment d’appartenance commun au sein de communautés géographiquement et idéologiquement divisées. En veillant à être présente dans tout le pays, en donnant la parole à l’ensemble des protagonistes du conflit, Radio Okapi a pu véhiculer une information non partisane dans un contexte extrêmement tendu mais où la soif d’information allait croissant [30]. Dans les provinces, certaines radios communautaires, comme Radio Maendeleo à Bukavu, ou confessionnelles, telle Radio Amani à Kisangani, ont essayé de donner un écho aux souffrances causées par la guerre aux populations civiles et de laisser à ces dernières des occasions de s’exprimer et de se faire entendre. Soucieuses de dénoncer les violations des droits de l’homme perpétrées sous leurs yeux loin de la capitale, ces radios ont souvent été harcelées par les forces belligérantes coupables des exactions incriminées. Mais les tentatives des médias pour travailler de manière professionnelle, en offrant une perspective pluraliste, déplaisent généralement au pouvoir politique. En décembre 2004, 11 journalistes de Kinshasa qui rentraient d’un séjour à Kigali, où ils avaient pu rencontrer le ministre des Affaires étrangères Charles Morigande et le président Paul Kagame, se sont fait sévèrement réprimander par le nouveau ministre de l’Information et de la Presse, Henri Mova Sakanyi, qui a jugé « inadmissible et regrettable que la presse congolaise serve de marchepied et de diffuseur de la propagande rwandaise […]. L’instrumentalisation d’une certaine presse congolaise par le président rwandais est un acte perfide […] [31] », a-t-il conclu.
Des échéances électorales explosives
38Dans un contexte marqué par les affinités entre journalistes et partis ou hommes politiques, la perspective des élections qui doivent clôturer la période de transition laisse planer de sérieuses craintes quant au rôle des médias dans le déroulement des scrutins. C’est donc la Haute Autorité des médias qui est chargée de garantir l’égal accès de toutes les forces politiques aux médias et la couverture équilibrée de la campagne électorale et des scrutins. Ses attributions, très larges, portent sur le contrôle du respect de la loi sur la liberté de la presse, la garantie du droit du public à une information pluraliste, le contrôle de la neutralité et de l’équité des médias publics, la régulation de l’ensemble du champ médiatique, la promotion de l’accès des médias congolais aux technologies de l’information et de la communication (TIC). Elle dispose d’un pouvoir consultatif (auprès du gouvernement) et coercitif (vis-à-vis des médias). Toutefois, la HAM éprouve une double difficulté qui entrave son efficacité. D’une part, sa composition (11 membres, issus de la société civile et des différentes forces belligérantes, désignés par leurs groupes respectifs, conformément aux accords de Sun City) en fait le siège d’interminables polémiques politiques. D’autre part, elle dispose d’un personnel restreint à 48 personnes et de moyens limités face à l’ampleur de la tâche à accomplir [32].
39Ces derniers mois, la HAM a démontré sa faible capacité à inciter la RTNC à se positionner en véritable média public et non en porte-voix du gouvernement. Ainsi, le vice-président Azarias Ruberwa s’est plaint à plusieurs reprises du boycott opéré par la télévision nationale sur ses conférences de presse, amenant Modeste Mutinga à reconnaître la propension de l’administrateur général de la RTNC, Emmanuel Kipolongo, à « barrer de manière délibérée l’accès aux médias publics à d’autres courants politiques [33] ». La HAM a également fini par suspendre, le 13 janvier 2005, l’émission Forum des médias qui, sur les ondes nationales, faisait la part belle à des propos xénophobes [34]. Dès lors, l’instance aura-t-elle suffisamment de poids et une présence effective sur l’entièreté du territoire national pour limiter les éventuelles dérives des médias durant la campagne électorale ?
40La situation est d’autant plus complexe que, parmi les nombreux médias confessionnels, traditionnellement tenus à l’écart du champ politique, certains s’engagent de plus en plus activement derrière des hommes politiques dont les liens avec les Églises évangéliques sont connus [35]. Autant Azarias Ruberwa que le ministre Eugène Diomi ou le désormais vice-président de la HAM, Dominique Sakombi, revendiquent ouvertement leurs accointances avec les Églises du réveil [36]. Radios « confessionnelles » à vocation politique, radios « communautaires » à but commercial, journaux « indépendants » affiliés à un homme politique, médias « publics » non pas gouvernementaux mais présidentiels, radio « humanitaire » liée à une mission onusienne de pacification à l’efficacité très contestée : les ambiguïtés du paysage médiatique congolais rendent délicate une approche sereine et confiante de ce que sera demain l’information électorale.
41Depuis quinze ans, les médias congolais ont survécu dans des conditions de vie extrêmement difficiles, matériellement et politiquement. Ils ont contribué à ouvrir les esprits au pluralisme et ont permis aux opinions contrastées de s’exprimer. Au-delà de l’exploit de la survie, c’est à présent un autre défi qui les attend : celui de la reconstruction d’un pays et d’un secteur dévastés par la peur, la corruption et la violence.
42L’assainissement de la profession, à la veille d’échéances électorales à hauts risques, constitue une nécessité, d’autant que, comme l’a dénoncé publiquement, et ce à plusieurs reprises, le président de la HAM, de nombreux « moutons noirs » se sont introduits dans le secteur des médias. Cependant, l’argent risque d’affluer dans les prochains mois, et pas seulement en provenance des partis politiques et des anciens belligérants. En effet, nombreux sont les partenaires financiers et acteurs de coopération au développement qui s’inquiètent de cette transition congolaise à la santé précaire et qui souhaitent la renforcer, entre autres par un appui au secteur des médias et à ses organisations professionnelles. Des aides relativement importantes se chiffrant en millions d’euros transitent par des ONG spécialisées (Institut Panos Paris, GRET, Internews), visant à pousser les médias à préparer les citoyens aux élections, à renforcer la volonté et les efforts de paix et à œuvrer à la réunification du pays. Dans un secteur fragile, l’aide devra être ciblée, mesurée, réfléchie et concertée si elle veut contribuer efficacement à la consolidation de médias professionnels et responsables, au risque de devenir un facteur supplémentaire de déstabilisation et de division dans un secteur qui n’a pas attendu l’intérêt soudain des bailleurs de fonds pour tenter d’apporter sa pierre à l’édifice de la transition.
Notes
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[1]
Voir A. Kayembe, T. Malu et DRIM (dir.), Situation des médias en RDC, Paris, Institut Panos Paris, 2004, http://www.panosparis.org/fr/doc/Situation.pdf.
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[2]
La ville de Kinshasa disposait de deux journaux véhiculant l’information officielle, Salongo et Elima, Lubumbashi, Bukavu et Kisangani d’un seul titre, respectivement Mjumbe, Jua et Boyoma.
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[3]
De 1990 à 1995, 638 organes de presse ont été autorisés à paraître et plus de 400 partis politiques ont vu le jour.
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[4]
Dans le premier groupe, on citera L’Avenir, qui se transforme rapidement en groupe de presse florissant ; dans le second, on retiendra Le Soft de Kin Kiey Mulumba, ancien ministre de l’Information de Mobutu. Une partie de l’équipe rédactionnelle quittera ce journal pour créer The Post, trihebdomadaire d’information.
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[5]
« Les journalistes sont devenus depuis 1999 la principale cible des attaques dirigées par les services de sécurité contre les libertés publiques : 43 journalistes interpellés, incarcérés ou détenus en 1998, 53 en 1999, 42 en 2000 ». African Media Institute (AMI), « Les entraves de la liberté de la presse en République démocratique du Congo », Kinshasa, AMI, 2004, p. 52. Selon Journaliste en danger (JED), au moins 160 journalistes ont été envoyés en prison pour de plus ou moins longues périodes sous Kabila père.
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[6]
Il existe, à Kinshasa, trois structures de formation initiale des journalistes : l’Ifasic (Institut facultaire des sciences de l’information et de la communication), la faculté de communication sociale des Facultés catholiques de Kinshasa et le département de communication de l’Unikin (université de Kinshasa).
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[7]
En 1998, le président Kabila fait don à la presse privée d’un montant de 1 million de dollars, dont la répartition est confiée à une association d’éditeurs mise en place pour la circonstance, la Casprom (Caisse d’assistance aux professionnels des médias). Les modalités de partage ont suscité des querelles entre éditeurs, une frange de la presse finissant par renoncer à la part qui lui était proposée, alors que la tendance adverse se partageait les bénéfices.
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[8]
On compte 3 radios dans le Bandundu, 10 dans le Bas-Congo, 2 dans l’Équateur, 4 dans le Sud-Kivu, 16 dans le Kasaï occidental, 9 dans le Kasaï oriental, 17 dans le Katanga, 7 dans le Nord-Kivu, 10 dans la Province orientale.
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[9]
Journaliste en danger, « L’affaire RTKM : un espace de liberté plurielle confisqué », 11 mars 2001, http ://www.congonline.com/Jed/Rapports/2001/Rapport-RTKM-11032001.htm.
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[10]
La délivrance de la carte de presse constituait l’unique compétence encore assumée par l’UPC début 2004. La carte était toutefois octroyée à tout candidat payant sa cotisation, sans contrôle de la réalité de son activité journalistique.
-
[11]
Ainsi, l’ARCO, Association des radios communautaires du Congo, créée en 2000.
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[12]
Parmi les regroupements provinciaux ou régionaux, on peut citer l’Aejik (Association des éditeurs indépendants du Katanga), l’Afemek (Association des femmes des médias du Katanga), le Rateco (Réseau des radios et télévisions communautaires de l’est du Congo).
-
[13]
La première, créée par Modeste Mutinga, éditeur du Potentiel, a pour vocation d’appuyer les médias dans leur contribution possible à la paix et à la bonne gouvernance. La seconde, fondée et dirigée par Donat M’Baya Tshimanga, vise à défendre les droits des journalistes et à susciter des actions de plaidoyer face aux atteintes à la liberté de la presse.
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[14]
Soulignons que chaque grand éditeur de presse possède « son » association : Médias pour la paix (Modeste Mutinga, Le Potentiel), Fondation Ipakala (Ipakala Mobiko, La Référence plus), Médias pour le développement et la paix (Michel Ladi Luya, Le Palmarès).
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[15]
Le Congrès ne souhaitait pas être perçu comme une instance de l’UPC, ce qui aurait restreint sa portée vu le peu de légitimité de l’ancienne structure. Il a néanmoins été organisé en grande partie par l’ancien bureau de l’UPC, avec le concours de quelques personnalités de la presse kinoise et le soutien financier de plusieurs opérateurs actifs dans le champ des médias en RDC : l’Institut Panos Paris, le GRET (Groupe de recherches et d’échanges technologiques) et Niza (ONG néerlandaise). Le coût de cette opération s’est monté à plus de 200 000 euros.
-
[16]
L’enjeu de la désignation des délégués de province a été un des plus épineux de la préparation du Congrès. En effet, une sélection devant s’opérer au préalable dans chacune des dix provinces, le rôle des anciennes sections provinciales de l’UPC, composées essentiellement d’anciens de la presse d’État, dans ces désignations était crucial.
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[17]
Certains participants craignaient que l’Observatoire soit « récupéré par les Kasaïens », déjà très présents dans la presse écrite kinoise. En outre, les principales associations actives dans le domaine de la défense de la liberté de la presse (JED), du monitoring des contenus des médias (UPEC), de même que plusieurs associations professionnelles (Médias pour la paix, Fopromedia) et l’instance de régulation elle-même (HAM) sont effectivement présidées par des ressortissants du Kasaï.
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[18]
On appelle les journalistes de Kinshasa quados (terme employé pour désigner les réparateurs de pneus sur le bord des routes), tant ils arpentent les rues à la recherche des moyens de leur survie.
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[19]
Dans son édition du 4 mars 2004, Le Palmarès s’en prend violemment au « nouveau Conquistador, Modeste Mutinga. Il a tort de croire que la presse congolaise lui appartient et que tous les journalistes vont se mettre à ses pieds. […] Il a tort de vouloir régenter la presse congolaise… ».
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[20]
Ainsi, le journal écrivait, dans son édition du 4 mars 2004 : « Certains zombies de la presse viennent d’omettre volontairement le nom du premier journal satirique de cette partie de la terre sur la liste des participants au Congrès […]. Alors, Grognon ne reconnaîtra guère les aboiements et autres subjectivités à sortir des travaux d’une messe d’où il a été sciemment exclu. »
-
[21]
Le 4 mars, les patrons de presse des « organes écartés » étaient reçus par le ministre de la Presse et de l’Information pour manifester leur mécontentement et annoncer leur « projet d’organiser, dans un bref délai, un Congrès de la presse véritablement national, débarrassé des anti-valeurs ». Voir L’Avenir, 5 mars 2004. Le même jour, le directeur de publication du Palmarès tenait au Grand Hôtel une conférence de presse : « Rien ne m’empêche de créer une autre association qui regroupe les oubliés du Congrès. » Le Palmarès, 5 mars 2004.
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[22]
Interrogés à ce sujet, les organisateurs ont évoqué le fait que les journalistes de Radio Okapi seraient soumis à un devoir de réserve vu leur appartenance au système des Nations unies et ne seraient pas autorisés par leur hiérarchie à participer à des regroupements professionnels.
-
[23]
Selon une enquête réalisée par l’AMI en 2003, les salaires des journalistes dans les quotidiens les plus importants évoluent entre 20 et 50 dollars, alors que la RTNC, soumise au barème de la fonction publique, rémunère les membres de la rédaction entre 15 et 25 dollars.
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[24]
Voir Journaliste en danger, République démocratique du Congo. Vers une nouvelle stratégie pour la liberté d’expression, Kinshasa, octobre 2000, http ://www.ifex.org/.frcontent/view/archivefeatures/478/.
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[25]
Voir, à ce sujet, A. Kayembe T. Malu et DRIM (dir.), Situation des médias en RDC, op. cit.
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[26]
JED, « Rapport sur la liberté de la presse 2000 », http ://www.congonline.com/Jed/Rapports/2001/Rapport20001.htm.
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[27]
Note circulaire n° 001/CabMin/PresseInfo/2004, « portant strict respect des consignes éditoriales en cette période de crise ».
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[28]
Conférence de presse, 17 décembre 2004.
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[29]
Ainsi, Arthur Zahidi Ngoma (opposition non armée) utilise particulièrement Antenne A, Yerodia Ndombasi (mouvance présidentielle), la RTGA (groupe L’Avenir), Horizon 33 et Digital Congo, Azarias Ruberwa (RCD) la RTP.
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[30]
Toutefois, pour certains observateurs congolais, la radio a surtout contribué à mettre en avant des personnalités impliquées dans le conflit mais privées de réelle représentativité et d’une quelconque légitimité à s’exprimer au nom des intérêts qu’elles prétendaient défendre. Comme les radios internationales, Radio Okapi aurait donc servi au « marketing politique des belligérants ». Voir A. Kayembe T. Malu et DRIM (dir.), Situation des médias en RDC, op. cit., p. 82.
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[31]
Communiqué de presse du ministre H. Mova Sakanyi, cité par l’AFP (26 décembre 2004).
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[32]
La HAM jouit pour l’instant du soutien de plusieurs partenaires financiers (coopérations belge, française, britannique et européenne) qui interviennent à la fois pour soutenir son fonctionnement et fournir une assistance technique et une expertise.
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[33]
La Référence plus, 5 août 2005.
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[34]
Selon le communiqué de JED publié le 18 janvier 2005, « cette émission était devenue l’instrument de lynchage médiatique de tous ceux qui s’écartent de la vision officielle des événements en cours en RDC. Le vice-président de la République Azarias Ruberwa et toutes les personnes d’expression rwandophone étaient les cibles principales de cette émission ».
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[35]
Voir S. Bailly, « Les médias congolais, premières victimes des tensions avec le Rwanda », article non publié, p. 5.
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[36]
L’Église catholique s’en inquiète d’ailleurs, remarquant que « certaines églises sont en train de devenir des cadres de propagande de certains hommes politiques en quête de légitimité en dehors des élections. Il n’est pas surprenant d’entendre des chants religieux à l’honneur de ces hommes politiques lors de leurs passages dans des assemblées religieuses. » Voir Renaître, 15 novembre 2004.