Notes
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[*]
Je voudrais remercier ici Vincent Foucher pour ses encouragements et ses critiques stimulantes lors de la rédaction de cet article, ainsi que Hamidou Ba qui m’a beaucoup aidé au cours de mes recherches menées à Dakar.
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[1]
Voir W. J. Hanna (ed.), University Students and African Politics, New York, Londres, Holmes & Meier, 1975, p. 266.
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[2]
Sur les années 1968 et 1988, et sur le mouvement étudiant en général, lire l’ouvrage de P. Bianchini, École et politique en Afrique noire, Paris, Karthala, 2004.
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[3]
Sur cette grève, lire L. Zeilig, « In the age of Wade : political change and the student strike in Dakar 2001 », in N. Akam et R. Ducasse (dir.), Quelle université pour l’Afrique ?, Bordeaux, MSHA, 2002.
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[4]
A. Bathily et al., « The Senegalese student movement from its inception to 1989 », in M. Mamdani et E. Wamba-dia-Wamba (eds), African Studies in Social Movements and Democracy, Dakar, Codesria, 1995, p. 401.
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[5]
Ibid., p. 401.
-
[6]
Ibid., p. 405.
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[7]
Ibid., p. 405.
-
[8]
D. Cruise O’Brien, « A lost generation ? Youth identity and State decay in West Africa », in R. P.Werbner et T. O. Ranger (eds), Post-Colonial Identities in Africa, Londres, Zed Books, 1996, p. 65.
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[9]
Le Soleil, 19 mars 2004.
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[10]
Sans exagération, la gauche, en particulier la Ligue démocratique-Mouvement pour le parti du travail (LD/MPT) et, dans une moindre mesure, le And Jëf-Parti africain pour la démocratie et le socialisme (AJ/PADS) et le Parti de l’indépendance et du travail (PIT), ont joué un rôle central dans la structuration de la coalition Alternance 2000 qui a rassemblé les partis soutenant Wade. Le coordinateur actuel du Mouvement des élèves et étudiants de AJ/PADS, Ibrahima Ba, explique que la gauche était consciente du fait que « la seule personne qui pourrait diriger à ce moment la coalition c’est Abdoulaye Wade. Et on a fait appel à lui ; mais il était à Paris ». Wade a accepté de mener la coalition et Ba rapporte que « c’était un programme de gauche et lui c’est un libéral ». Entretien, Dakar, 12 février 2004. Cette analyse est en partie un vœu pieux, qui sert de justification au maintien de l’alliance entre la gauche (LD et AJ) et un gouvernement libéral contrôlé par le PDS.
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[11]
Entretien, Dakar, 4 mars 2001.
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[12]
Sud Quotidien, 14 février 2000.
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[13]
Wal Fadjri, 7 mars 2000.
-
[14]
Au moment de l’entretien, en février 2004 à Dakar, Y. Diattara était un conseiller du gouvernement et un proche d’Idrissa Seck. Il a donné sa démission peu après celle du Premier ministre I. Seck en avril 2004.
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[15]
Lors de mes enquêtes (janvier-avril 2004), les étudiants expliquaient qu’ils étaient « apolitiques » alors même qu’ils discutaient avec passion de la situation politique du pays. « Apolitique » signifie donc ici : « Je ne suis pas membre d’un parti politique. »
-
[16]
Si, lors des réunions officielles de l’AG, aucun propos politique ne fut tenu ouvertement durant les premières semaines de la grève, le reste de l’université, en revanche, résonnait de discussions politiques. Un article paru dans Sud Quotidien, le 12 février 2000, signalait que les murs de l’université formaient comme une « Agence Campus Presse » autour de laquelle les membres des différents partis « se livrent une bataille verbale à distance ». Certains de ces graffitis sont encore visibles : « Sept ans de suicide collectif encore ? Ah non ! » ; « Où sont les 20 000 emplois par an promis par Diouf ? ».
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[17]
Entretien, Dakar, 12 février 2004.
-
[18]
Lire les éditions des 10 et 13 mars 2000.
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[19]
Bitèye (5 février 2004) explique que le second tour de l’élection a coïncidé avec la fête annuelle musulmane de Tabaski. À cette occasion, une proportion importante de la population de Dakar se rend dans les zones rurales pour « fêter ». En 2000, Bitèye affirmait que ceux qui avaient quitté la ville le temps de la fête y retournaient le lendemain pour voter.
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[20]
Entretien, Dakar, 12 février 2004.
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[21]
Entretien, Dakar, 5 février 2004.
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[22]
Wal Fadjri, 6 mars 2000.
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[23]
Sud Quotidien, 27 mars 2000.
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[24]
Pendant la grève de 2001, le président prenait déjà ses distances avec les « accords » qui auraient été passés avec les étudiants. « Quelles promesses électorales ? » demanda-t-il lors d’une conférence de presse en janvier. « Ils vous ont dit ça ? Eh bien, ils ne m’en ont jamais rien dit. C’est aujourd’hui la première fois qu’on me dit que je ne respecte pas mes promesses électorales [ …]. » Voir Pan-African News Agency, 5 février 2001, http://groups.yahoo.com/group/wa-afr-network/message/1456.
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[25]
Entretien, Dakar, 11 février 2004.
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[26]
Le credo de Wade – peint sur les murs de Dakar, répété quotidiennement par les politiciens et mis en musique – est : « Il faut travailler, beaucoup travailler, encore travailler, toujours travailler. »
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[27]
Sud Quotidien, 23 mars 2000.
-
[28]
Lire A. M. Wane, Le Sénégal entre deux naufrages ? Le Joola et l’alternance, Paris, L’Harmattan, 2003.
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[29]
Sud Quotidien, 15 janvier 2001.
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[30]
Entretien, Dakar, 4 mars 2001.
-
[31]
Voir, par exemple, Le Matin, 1er février et 6 février 2001, Sud Quotidien, 2 février 2001.
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[32]
Les mesures comprenaient également la réduction du prix des tickets-repas de 165 à 150 francs CFA, celui des tickets-déjeuners de 100 à 75 francs CFAet du loyer des chambres de 5 000 à 4 000 francs CFA.
-
[33]
Consulter le site officiel du gouvernement sénégalais, http://www.finances.gouv.sn/sitecso3.html.
-
[34]
Le Soleil, 19 mars 2004.
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[35]
Ibid.
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[36]
Entretien, Dakar, 18 mars 2004.
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[37]
A. Dème assure que, pendant la collecte d’argent organisée en faveur de la famille de B. Gaye, certains membres de la direction du mouvement étudiant se sont servis. « Quel péché! » commente-t-il.
-
[38]
Voir, par exemple, le numéro anniversaire spécial de Wal Fadjri, 31 janvier 2004. Pour un compterendu clair (mais très naïf) de l’année qui a suivi la mort de A. Gaye, voir Amnesty International, http://web.amnesty.org/library/index/ENGAFR490012002?open&of=ENG-SEN.
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[39]
Wal Fadjri, 8 mars 2004.
-
[40]
Le gouvernement a également employé le terme « assassinat », laissant supposer l’existence d’un complot élaboré et justifiant ainsi les difficultés de la justice à résoudre l’affaire.
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[41]
Le statut et la réussite universitaires sont également des solutions de secours dans un univers politique incertain – si le patronage politique peut disparaître, on reste « docteur » pour toujours.
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[42]
Voir M. Niang, Me Wade et l’alternance. Le rêve brisé du sopi, Dakar, Mody Niang, 2004, p. 79-119. Dans la littérature populaire sur l’alternance, les étudiants et l’université ne sont jamais évoqués spécifiquement.
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[43]
Entretien, Dakar, 18 mars 2004.
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[44]
Entretien, Dakar, 28 janvier 2004.
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[45]
Entretien, Dakar, 12 février 2004.
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[46]
A. Bathily et son parti, la LD/MPT, ont quitté le gouvernement en 2004.
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[47]
Les hommes politiques encouragent également le militantisme estudiantin et le décrivent comme une marque de civisme. A. Wade, par exemple, explique ainsi les responsabilités des étudiants : « La fonction de l’étudiant c’est d’étudier. Son rôle c’est de prouver qu’il est excellent dans les études. Et après, la jeunesse doit faire la politique. Elle doit avoir un engagement militant ». Voir A. Sow, Lux, juillet-août 2003.
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[48]
La présence de ces graffitis sur le campus ne doit pas automatiquement être perçue comme un indicateur du sentiment populaire, puisque ce sont souvent les partis politiques qui commandent leur inscription.
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[49]
Wal Fadjri, 15 octobre 2003.
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[50]
Voir R. Abrahamsen, Disciplining Democracy : Development Discourse and Good Governance in Africa, Londres, Zed Books, 2000.
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[51]
Le Soleil, 19 mars 2004.
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[52]
Ibid.
1Les étudiants sénégalais ont toujours été au cœur de la vie politique sénégalaise. Au cours des dix dernières années, ils ont été perçus tantôt comme une avant-garde de la démocratisation, tantôt comme des fauteurs de troubles manipulés par les élites politiques [1]. Le moment fort de l’activisme étudiant remonte à 1968, huit années seulement après l’indépendance, lorsque l’université puis les syndicats s’étaient soulevés, manquant de faire chuter le régime du président Senghor. La mobilisation estudiantine est restée très présente au cours des années 1970 et 1980 ; en 1988, les étudiants ont joué à nouveau un rôle clé dans la vie politique nationale, en organisant des manifestations contre les élections [2]. Lors du scrutin de 2000 qui a abouti à l’élection d’Abdoulaye Wade à la présidence de la République, l’opposition avait sollicité les étudiants en leur demandant de se joindre à la campagne nationale pour le sopi (« changement », en wolof). Une fois la victoire acquise, bien des étudiants ont considéré qu’ils en avaient été les principaux auteurs. Rapidement, cependant, ils se sont présentés comme la « nouvelle » opposition au nouveau gouvernement [3].
2Depuis longtemps, les analystes du mouvement étudiant sénégalais se sont évertués à identifier des ruptures nettes dans son action. On distingue généralement, de façon caricaturale, deux périodes dans l’activisme estudiantin : les années 1960 et 1970 où il était à son zénith, et les années 1980 et 1990 qui virent la désintégration du mouvement. Au cours des années 1960-1970, les étudiants auraient été les porteurs d’un avenir meilleur : « Si, avant la seconde guerre mondiale, [ils] avaient tacitement accepté d’être des petits bourgeois liés au pouvoir colonial, ils avaient ensuite revendiqué, jusque dans les années 1970, le statut d’avant-garde de gauche [4]. » Cependant, vingt ans plus tard, avec l’effondrement du pacte social postcolonial, les étudiants étaient tenus pour quantité négligeable, « isolés dans leur corporatisme quotidien et l’inefficacité de leurs combats [5] » visant à l’amélioration de leurs bourses et de leurs « privilèges ». « Vers la fin des années 1970, les étudiants sénégalais se voyaient plus modestement comme les symboles des impasses de l’indépendance, de l’échec économique et politique d’un régime qui s’avérait incapable de leur assurer des perspectives claires de survie [6]. » Les étudiants auraient ainsi perdu leur statut et, « de porteurs de modernité, ils sont devenus des candidats à l’assistance [7] ». D. Cruise O’Brien défend une approche assez similaire : non content de revendiquer des emplois, les étudiants étaient également prêts à défendre leur « statut d’élite », à manifester « pour leurs privilèges … défendant leur “droit” à des bourses plus importantes [8] ».
3Les étudiants sénégalais ont donc joué un rôle important dans l’élection de A. Wade et dans la trajectoire du nouveau régime. Au cours de ces deux périodes, ils ont fait preuve à la fois d’un « syndicalisme alimentaire » et d’un avant-gardisme qui, l’un comme l’autre, doivent beaucoup à la période antérieure de mobilisation. Pour le nouveau régime, officiellement du moins, l’université, loin d’être périphérique, a été un site central des réformes politiques. Lors des célébrations commémorant le quatrième anniversaire de l’« alternance », le régime se prévalait d’avoir réformé le système universitaire : « Dans le domaine de l’enseignement, une grande réussite est également à mettre au compte de l’alternance. C’est le fait que nous ayons pu accorder à tout étudiant une bourse, ou au moins, une aide équivalente à une bourse. C’est la prévision de l’importance que nous accordions à l’éducation [9].» Pour mener ces réformes, le pouvoir a dû rompre avec les recommandations formulées par la Banque mondiale, qui insistait pour que le gouvernement limite le nombre d’étudiants admis à l’université.
4Ces réformes n’ont cependant été arrachées au pouvoir qu’à la suite d’une grève des étudiants, en janvier et février 2001, grève qui a abouti à la mort de l’un d’eux, Balla Gaye. Ce fut là la première crise importante à laquelle le nouveau régime s’est trouvé confronté – une crise qui divise encore la scène politique nationale. La mobilisation s’était faite autour de revendications que, selon les leaders étudiants, Wade s’était engagé à satisfaire après son arrivée au pouvoir. À la suite de la mort de Balla Gaye, le quotidien national Le Matin écrivait, le 1er février 2001 : « L’année dernière […] les mêmes étudiants, qui aujourd’hui ont été pris à partie par les policiers […] avaient fait un triomphe à Me Abdoulaye Wade. »
5La première partie de cet article traitera brièvement de la place et du rôle joué par les étudiants lors de l’élection de 2000 qui a abouti à l’alternance démocratique. La deuxième partie portera sur la grève majeure qui a secoué le campus un an après le scrutin. Dans les parties suivantes, j’examinerai la nature des relations entre les étudiants et le pouvoir, et, en particulier, la corruption et la cooptation utilisées par le régime pour rallier certains de leurs responsables. En analysant la nature de la mobilisation étudiante dans le contexte de changement politique au Sénégal ces dernières années, j’entends apporter un éclairage sur la nature du nouveau régime.
L’année des élections : le « sopi » et les étudiants
6Les étudiants ne sont sans doute pas les mieux placés pour juger du rôle qu’ils ont joué dans le succès électoral de A. Wade en mars 2000. Si la plupart des responsables estudiantins de l’époque soutiennent que le mouvement a eu un rôle déterminant lors du scrutin, d’autres observateurs, plus réalistes, considèrent l’alternance comme le résultat de plus de vingt-cinq années d’activisme politique du Parti démocratique sénégalais (PDS), le parti de A. Wade, d’une mobilisation politique en faveur du sopi et du soutien décisif d’un ensemble formé de partis principalement issus de la gauche, de la presse privée, des étudiants et de certains syndicats autonomes [10]. Il est cependant indiscutable que, lors des deux tours de scrutin et pendant l’année qui les a précédés, les étudiants, grâce aux « caravanes » qu’ils ont organisées vers leurs campagnes d’origine, ont joué un rôle clé – et précurseur – en s’investissant dans la mobilisation du vote rural en faveur de Wade et de sa coalition, et en encourageant les populations villageoises à s’inscrire sur les listes électorales. « Pendant la campagne, l’université était vide. Les étudiants rentraient dans leurs villages, à travers tout le pays … Ils voulaient le changement, et je peux dire qu’[ils] ont fait le changement », raconte Idrissa Gassama, un étudiant [11]. De plus, certains des étudiants qui avaient reçu de l’argent pour mener la campagne du Parti socialiste (PS) au pouvoir utilisaient en fait ces fonds au service de « Papa [surnom de A. Wade] Sopi ».
7À l’approche de l’élection, la coalition pro-Wade organisa des « marches bleues » afin de diffuser son programme. Il s’agissait d’une vaste tournée politique au cours de laquelle A. Wade « allait à la rencontre » de la population. Le 12 février 2000, la marche bleue passa par l’université. Aux étudiants « hystériques » qui reprenaient les paroles du chanteur radical ivoirien Alpha Blondy, Wade déclinait ses références : « Ancien étudiant, ancien professeur et ancien doyen, personne ne peut connaître vos problèmes mieux que moi [12]. » Après son passage, le campus se lança dans une « action politique ». Le mouvement de grève se voulait officiellement « corporatiste » et « se limitait » à réclamer la réalisation des promesses que le gouvernement avait faites au mouvement étudiant l’année précédente. Yankhoba Diattara, l’un des principaux chefs de l’Union des étudiants de Dakar (UED) qui s’était constituée dans les mois précédant l’élection, déclara : « Le principal point du protocole d’accord que nous avions signé l’année dernière avec les autorités, a trait à l’attribution de 2/3 de bourses aux étudiants de second cycle [13]. »
8Les responsables étudiants d’alors admettent volontiers que, sous le voile des revendications corporatistes, le mouvement de grève était très politique. Yankhoba Diattara – à l’époque militant PDS – explique : « Nous n’avions pas mené de grève politique. On n’a pas déclenché le mouvement de grève pour dire qu’Abdou Diouf doit partir, non. On posait la question des revendications légitimes et légales. Parce qu’il fallait augmenter le nombre de boursiers, etc., en étant en négociations avec le ministre, c’est ça. Mais si c’était, en fait, une revendication portant essentiellement sur le départ d’Abdou Diouf, le ministre ne nous recevrait pas », ajoutant : « On n’a jamais parlé en assemblée générale des enjeux électoraux ou bien de Diouf ou de Wade [14]. » Comme nous allons le voir, la neutralité « politique » affichée pendant les assemblées générales (AG) n’a guère duré. La volonté de limiter la grève à des intérêts corporatistes, à l’habituelle « plate-forme de revendications » était une stratégie fréquemment utilisée pour contrer l’hostilité habituelle de la masse des étudiants à l’égard des partis politiques, y compris le PDS, mais aussi une manière de garder l’université ouverte pendant une grève « politique [15] ».
9Juste avant le premier tour de l’élection, l’ambiance sur le campus était à l’enthousiasme. Le 3 mars 2000, le journal Wal Fadjri rapporte que « les étudiants exigeaient l’alternance comme condition sine qua non de la reprise des cours ». Lors du premier tour, Abdou Diouf n’obtint pas la majorité nécessaire, ce qui le contraignit, pour la première fois dans l’histoire du Sénégal, à un second tour contre son principal rival, Abdoulaye Wade. Le scrutin eut pour effet de radicaliser encore les étudiants et de multiplier les débats et les tensions politiques jusqu’alors tus [16]. Désormais, les responsables étudiants ne pouvaient que faire des déclarations politiques explicites. Même s’il prétend le contraire, c’est sans doute Y. Diattara qui a tenu les propos les plus politisés à l’université, en défiant le président de fermer le campus. « Abdou Diouf avait dit [ …] qu’il fallait fermer le campus sinon on ne pourrait pas maîtriser les étudiants. Après, j’ai fait une déclaration à la radio [ …] disant que si Abdou Diouf ferme le campus, je ferme le Palais, et ça c’est une déclaration politique ». Meissa Touré – également militant PDS à l’époque – affirme de même que la grève, qui avait commencé autour de « revendications étudiantes », est devenue ouvertement politique en février : « Tout le monde, toutes les forces vives de la nation, toutes les forces vives de l’université et scolaires étaient autour de l’idée qui était le départ de Diouf. Mais avant, on n’osait pas dire ça en assemblée générale, on parlait de problèmes de bourses [ …], de problèmes pédagogiques [17]. »
10M. Touré explique qu’il y a eu un « engouement» parmi les étudiants et que des milliers d’entre eux ont alors participé aux AG. Au cours de l’une d’elles, en février, un étudiant qui avait fait partie d’une délégation reçue par le ministre de l’Éducation nationale a dû rendre compte de ces discussions, comme le raconte Touré : « On a demandé à un frère de faire le rapport de notre rencontre avec le ministre de l’Éducation nationale d’alors, qui avait fait des avancées positives par rapport aux questions qu’on posait. [ …] il disait : “Camarades, je pense qu’on est au tournant de la grève. Hier on a rencontré le ministre de l’Éducation nationale qui est d’accord sur plusieurs problèmes.” Les étudiants, tous les étudiants ont crié “corrompus, corrompus”. Ensuite, lorsque j’ai pris la parole, j’ai dit qu’au-delà de la plate-forme revendicative que nous avons posée, il y a un préalable, c’est le départ de Diouf et tout le monde a crié : “Sopi, sopi, sopi.” Et on a dit que les étudiants aujourd’hui sont d’accord qu’il y a un seul point à la plate-forme revendicative : c’est le départ de Diouf et ils criaient que Diouf “Na dem, na dem, na dem” [ “qu’il parte”, en wolof]. »
11C’est à partir de ce moment, quand la question politique s’est posée clairement, que des confrontations violentes ont eu lieu. L’incident le plus grave se produisit le 8 mars 2000, lorsque des étudiants du Mouvement des élèves et étudiants socialistes (MEES) favorable à Diouf attaquèrent les organisateurs de l’AG. Selon Sud Quotidien [18], des bombes lacrymogènes, des couteaux et des hachettes firent leur apparition, et il y eut quelques blessés légers. La grève fut cependant reconduite pour quarante-huit heures. Par la suite, des membres de l’UED reçurent des menaces de mort.
12La plupart des étudiants participaient à la campagne électorale en voyageant dans des cars généralement loués par les partis politiques [19]. Ibrahima Ba [20] assure ainsi que ce sont des centaines de véhicules qui ont alors été utilisés. Les étudiants organisaient ces « caravanes » pour aller voter – puisqu’ils étaient généralement inscrits dans leur localité d’origine –, mais aussi pour aller « sensibiliser » leurs villes et leurs villages, et « orienter le vote ».
13D’autres étudiants expliquent qu’ils ont essayé d’influencer leurs familles et leurs villages en décrivant les conditions de vie et de travail à l’université. « Il fallait descendre au niveau des campagnes, au niveau des villes, au niveau des villages, nous l’avons fait en sensibilisant nos parents aux conditions dans lesquelles nous vivions », explique Meissa Touré. Selon lui, ces arguments étaient nécessaires pour convaincre les « parents », vu l’influence que Diouf et son parti, le PS, conservaient dans les zones rurales. Les étudiants devaient « dire à nos parents que, aujourd’hui, je suis à l’université, je n’ai ni bourse ni chambre, je vis dans des conditions excessivement difficiles … je ne mange pas ou je ne mange qu’une seule fois par jour. Et vous n’avez pas les moyens de m’aider. Donc pour faire changer les choses, il faut changer le PS, il faut faire partir le président Abdou Diouf. [ …], et si vous continuez à voter pour le président [ …] nous-mêmes, après la maîtrise, nous n’aurons pas de boulot. [ …], nos parents ont compris. Ils ont voté pour le président Wade. Et nous avons remporté les élections ».
14Madiop Bitèye, actuel secrétaire général du Mouvement des élèves et étudiants libéraux (MEEL), se rappelle les actions menées, à partir d’août 1999, par les activistes étudiants pour mobiliser la jeunesse : « Nous avons décidé de descendre dans les lycées, dans les campagnes et de mobiliser les jeunes … pour se préparer à être dans les bureaux de vote [ …] et à superviser les inscriptions, à aider les populations à obtenir des cartes d’identité pour s’inscrire sur les listes électorales [21] … » Pendant les élections, les étudiants étaient également présents dans les « bureaux de vote », et plusieurs responsables étudiants interrogés ont expliqué que, grâce à leur présence, il n’y avait pas eu de fraude électorale significative. Après le scrutin, ils ont également pris part au comptage des bulletins. Ils surveillaient les procédures et même, selon certains, le transport des urnes par les forces de l’ordre afin de vérifier qu’il n’y avait pas de manipulations. En quelle qualité les étudiants s’acquittaient-ils de ces missions ? Certes, certains d’entre eux étaient membres de partis politiques et agissaient donc en tant que militants, mais la plus grande partie des étudiants qui militaient en faveur de Wade n’avaient pourtant pas la carte du parti.
15Sitôt le premier tour passé, les commentateurs et les hommes politiques ont analysé les résultats comme une victoire des « jeunes ». Dans une interview qu’il a accordée entre les deux tours, l’homme politique Abdoulaye Bathily, qui soutenait Wade, expliquait : « C’est vrai que ce scrutin a revêtu un caractère historique exceptionnel à tous points de vue. Jamais nous n’avons vu s’exprimer avec autant de vigueur la volonté de changement au Sénégal … ceux qui ont voté le 27 février 2000 représentent un électorat pour l’essentiel composé de jeunes qui ont coupé les amarres avec les formes traditionnelles d’engagement politique, fondé sur la dépendance par rapport à tel ou tel autre leader local ou national [22]. » De son côté, le PS a lui aussi réagi au vote de la jeunesse, en rendant publics quatre des dix points de son plan, à la suite du premier tour, consacrés aux jeunes et aux étudiants. Ainsi, le cinquième point annonçait une augmentation de 50 % du nombre de boursiers et dans le recrutement de l’ensemble des diplômés de l’École normale supérieure et de l’École de formation des instituteurs. Ces promesses restèrent sans effet sur les étudiants, qui les considérèrent comme des pots-de-vin de dernière minute.
16A. Wade remporta le second tour avec 58,50 % des votes tandis que A. Diouf ne recueillait que 41,50 % des suffrages. Le vote des jeunes a-t-il réellement été décisif dans cette élection ? Selon la Commission nationale du recensement des votes, 43 % des inscrits avaient entre 18 et 35 ans (soit 1 127 100 électeurs sur un total de 2 618 176). Ainsi que Sud Quotidien l’a signalé, « cette tranche d’âge semble avoir le plus voté lors du scrutin présidentiel à deux tours, de février et mars 2000 en assurant l’alternance [23] ». Ces statistiques ne rendent toutefois pas compte de la mobilisation effective des jeunes – et en particulier des étudiants – lors de la campagne. Comme nous l’avons vu, ces derniers ne constituèrent pas seulement une part décisive de l’électorat de Wade, ils furent également les principaux organisateurs et propagandistes de sa campagne.
17Pour le nouveau pouvoir, le soutien de la jeunesse sénégalaise avait cependant un prix. Les étudiants avaient le sentiment que cette victoire établissait une sorte de « pacte » entre Wade et eux : celui-ci, désormais, avait l’obligation morale d’améliorer les conditions de vie et de travail à l’université ; s’il n’honorait pas ce « pacte », il subirait, à son tour, l’hostilité d’un mouvement qu’il avait pourtant su rallier à sa cause [24]. Les étudiants se sentaient « propriétaires » des élections, dont le résultat leur paraissait être une justification historique de leurs revendications ; s’ils s’étaient engagés du côté de l’opposition, pour emprunter la formule de I. Gassama, c’était « pour faire bouger les choses ». Ainsi, plutôt que de ressentir de la gratitude envers le « changement », les étudiants se sentaient une autorité sur le nouveau régime.
18Après la victoire de A. Wade, l’euphorie avait gagné le campus. « Les gens étaient contents. Ils croyaient au changement. Ils croyaient qu’on allait vivre dans de meilleures conditions, que les jeunes allaient avoir du travail. C’était l’espoir, c’était l’euphorie … On dansait ! » se souvient Mbaye Sène, un étudiant qui avait participé à la campagne dans sa ville d’origine, Kaolack [25]. De plus, Wade avait promis aux étudiants un concert en cas de victoire, qui eut lieu le 22 mars 2000. De la tribune, Pape Birahim Ndiaye, étudiant et député PDS, déclara que « si aujourd’hui le sopi a accédé au pouvoir, c’est surtout grâce à la jeunesse », signalant par ailleurs aux étudiants que Wade ne leur apporterait pas le paradis sur un « plateau d’argent » et qu’il allait falloir « se serrer la ceinture et travailler pour sortir le Sénégal de la misère [26] ». Les milliers de participants portaient des tee-shirts à l’effigie de Wade et, quand celui-ci entra dans le stade, ils scandèrent « Papa ñëwna, Papa dikkna » (« Papa est venu, Papa est arrivé »). Wade reprit le message de sa campagne et expliqua que « c’est la jeunesse sénégalaise qui m’a libéré de prison, et aujourd’hui c’est cette même jeunesse qui m’a élu [27] ».
La mort de Balla Gaye et la grève étudiante de 2001
19Les revendications étudiantes, depuis plus d’une décennie, portaient, entre autres, sur la réduction du prix des tickets-repas et des loyers des logements étudiants, ainsi que sur l’augmentation du nombre et du montant des bourses. Si Wade a bénéficié du soutien du campus au début de son mandat, sa lune de miel politique avec l’université aura duré moins d’un an. En effet, avec la grève qui a secoué le campus (et le pays) entre janvier et février 2001, l’université est redevenue très rapidement un espace de confrontation. Cette grève et la mort d’un étudiant, Balla Gaye, ont été la première grande crise, le premier des « naufrages [28] » du régime Wade et ont provoqué une rupture avec les étudiants. Difficile à gérer pour le gouvernement, la grève a finalement été fatale au mouvement étudiant.
20Le contexte immédiat de la grève est typique des tensions et des problèmes de l’enseignement supérieur au Sénégal depuis les années 1990. Le Programme décennal d’éducation et de formation (PDEF) du gouvernement, financé en partie par la Banque mondiale, est la source d’un mécontentement avéré. Les étudiants se sont mis en grève suite à une conférence nationale organisée par l’État pour discuter de la réforme de l’enseignement. La Banque mondiale demandait, entre autres, la réduction du nombre d’admis à l’université et l’augmentation des droits d’inscription à 35 000 francs CFA. Les délégués étudiants et les membres du Syndicat autonome des enseignants du supérieur (SAES) exprimèrent clairement leur désaccord, et le ministre de l’Enseignement supérieur menaça de trouver d’autres sources de financements si les conditions imposées par la Banque (en particulier la réduction du nombre d’admissions) ne coïncidaient pas avec les priorités domestiques pour l’enseignement supérieur au Sénégal. La délégation étudiante insista pour que le ministre signale clairement que les réformes proposées par la Banque mondiale étaient contraires au « gouvernement de l’alternance ». Déthié Diouf, un représentant étudiant, déclara qu’ils pouvaient convoquer « une assemblée générale des étudiants pour lancer un mot d’ordre de grève illimitée en guise de riposte à la mesure annoncée [29] ».
21La grève éclata donc le 15 janvier, d’abord dans quelques départements, puis, deux jours après, elle touchait la quasi-totalité de l’université de Dakar. Selon Alioune Diop, un délégué étudiant, « nous avons beaucoup participé à l’alternance [ …] et nous pensions que c’en était fini pour les grèves. Nous constatons que les dirigeants actuels qui restent sourds à nos doléances sont ceux qui nous courtisaient en nous promettant de meilleures conditions d’études et de vie dans le campus pendant les campagnes électorales [30] ». Lors de l’AG du 17 janvier, les représentants étudiants déclarèrent que, jusqu’à ce que les autorités les informent de leurs décisions, ils refuseraient de payer leurs repas dans les restaurants universitaires.
22Ainsi, pour beaucoup, le « pacte » avec le nouveau régime était rompu. Les revendications tournaient autour de ce qui fut rapidement surnommé le « cercle magique » : la réduction des coûts des loyers et des repas ; une assistance financière pour les non-boursiers ; l’allocation de nouvelles bourses aux bourses complètes pour les redoublants. Le 31 janvier 2001, au cours d’une manifestation qui tourna à l’affrontement entre étudiants et forces de l’ordre, un étudiant en droit, Balla Gaye, fut tué, ce qui transforma la grève estudiantine dakaroise en une véritable crise nationale. Dans tout le pays, les élèves du secondaire se mirent en grève, et les étudiants de l’université Gaston-Berger de Saint-Louis manifestèrent aussi leur solidarité. Dans les journaux, les spéculations sur l’incident et les interprétations se multipliaient [31].
Les suites de l’« affaire Balla Gaye »
23Comme on l’a vu plus haut, dans une interview accordée au journal gouvernemental Le Soleil lors des célébrations du quatrième anniversaire de l’« alternance », A. Wade expliquait qu’il considérait les réformes universitaires comme l’un de ses principaux résultats : tout d’abord, l’allocation systématique d’une bourse ou d’une aide à tous les étudiants entrant à l’université ; ensuite, la suppression de l’examen d’entrée – suppression permettant aux étudiants d’accéder à l’université directement après le baccalauréat [32]. Entre les années universitaires 2000-2001 et 2002-2003, le nombre d’inscrits est ainsi passé de 28 585 à 31 172, soit plus de 2 500 étudiants supplémentaires [33].
24A. Wade souligna que ces réformes avaient abouti à une rupture avec la Banque mondiale et avec le Fonds monétaire international (FMI). Il expliqua qu’il était nécessaire de « se battre pour faire accepter, par les institutions de Bretton Woods, cette amélioration que nous tenions depuis longtemps à apporter à la condition estudiantine [34] ». La Banque mondiale, il est vrai, considère les bourses payées par l’État comme un gaspillage coûteux et inutile, relevant du domaine social, autrement dit de la consommation. « Lorsqu’ils regardaient les statistiques, ils en déduisaient que l’essentiel des fonds alloués à l’université servaient au social et très peu à l’enseignement et à la pédagogie », et Wade se dit en désaccord avec cette analyse, soutenant que les bourses ne sont pas un « luxe », mais bien un investissement : « C’est extrêmement important. J’ai fait accepter cela et c’est pourquoi, aujourd’hui, je n’ai plus d’ennuis en donnant des bourses à tout étudiant qui s’inscrit à l’université. C’est une de nos plus grandes victoires [35]. »
25Cependant, le gouvernement n’a procédé à ces réformes qu’après la grève de 2001 et la mort de Balla Gaye. Abdoulaye Dème – qui dirigeait la puissante Amicale de la faculté des lettres –, tout comme Madiop Bitèye, du MEEL, reconnaît que le président « a signé les accords à la va-vite [36] » après la mort de cet étudiant. Parce qu’il a fini par répondre favorablement aux revendications estudiantines, le gouvernement a dû d’ailleurs emprunter, l’année suivante, des fonds alloués au budget de l’enseignement supérieur. Les anciens dirigeants de l’UED, ceux qui avaient été très actifs pendant les élections, avaient depuis laissé la place à de nouveaux responsables. Meissa Touré, militant du MEEL et animateur de l’UED en 2000, y voit là le principal problème : « Je le dis souvent au ministre Sow [ …], nous avions une grande responsabilité parce que, après avoir élu maître Wade, nous avons tous laissé le mouvement syndical et “la nature a horreur du vide” … [et] d’autres étudiants qui ne sont animés que par leur intérêt personnel occupent le vide. » Il est vrai que l’une des conséquences de la grève de 2001 fut la dissolution de l’Union des étudiants de Dakar. En effet, à la fin de l’année universitaire, les responsables étudiants qui avaient organisé la grève avaient presque tous obtenu une bourse pour poursuivre leurs études hors du Sénégal. Pour A. Dème, la décision de les envoyer à l’étranger « a tué le mouvement étudiant, qu’il avait fallu des années pour construire ». Dans un manuscrit intitulé L’Autre Université, il analyse la nature de la « corruption » des organisateurs de la grève par le gouvernement et décrit les suites du mouvement gréviste : « Je regardais avec mépris ces délégués corrompus avant la mort du camarade … nous avions appris que le président allait recevoir les étudiants pour discuter de la plate-forme revendicative. Après avoir reçu la délégation estudiantine, certaines revendications ont été satisfaites. » Des étudiants félicitaient la délégation, rapporte-t-il, les traitaient comme des héros parce que leurs requêtes avaient abouti, en semblant oublier que leur réussite devait tout à la mort de leur camarade. Après la levée du mot d’ordre de grève, les étudiants reprirent les cours tandis que, selon Dème, « les corrompus négociaient leur voyage pour l’étranger [37] ».
26Cependant, dans ce texte, qui est avant tout une critique morale du comportement des étudiants, Abdoulaye Dème n’identifie pas correctement les responsabilités et n’analyse pas ici le rôle, central, joué par le pouvoir. Comme beaucoup d’étudiants activistes, il décrit la dégénérescence du mouvement étudiant en postulant que ces derniers « devraient être moins naïfs », et juge que, « en tant qu’intellectuels privilégiés et responsables », leur comportement est inacceptable. S’il estime que le pouvoir a mis en œuvre une double stratégie – satisfaire les revendications exigées par les étudiants, tout en achetant systématiquement les responsables étudiants à coups de bourses d’études à l’étranger –, Dème ne condamne pas pour autant le gouvernement. Il écrit cependant : « Les autorités peuvent-elles expliquer les raisons qui les ont poussées à les laisser sortir ? » (L’Autre Université, p. 25.)
27L’« affaire Balla Gaye » – comme on la désigne maintenant – perdure donc. Elle est la cause de manifestations estudiantines fréquentes, généralement menées par des étudiants du département de Gaye, manifestations ressenties comme une humiliation permanente par les autorités. Cependant, dans son édition du 31 janvier 2004, Wal Fadjri remarquait que le troisième anniversaire de sa mort « a été marqué [ …] par une quasi-indifférence ».
28Une commission d’enquête a certes été mise en place peu après l’incident ; elle a rendu son rapport en octobre 2001, concluant que la balle à l’origine de la mort de Balla Gaye a été tirée à partir d’une arme dont disposaient un certain nombre de représentants des forces de l’ordre. À la suite de ce rapport, le président Wade a demandé une « accélération du processus judiciaire », et, quelques jours après, un officier de police auxiliaire, Thiendella Ndiaye, était arrêté et placé en détention préventive. Il a cependant été innocenté en 2003 devant un tribunal militaire et libéré. Il se dit, depuis, qu’il n’était qu’un bouc émissaire ayant servi à dissimuler la véritable identité du meurtrier [38].
29Selon Wal Fadjri [39], le ministre de la Justice, Serigne Diop, justifierait l’échec de la justice à résoudre cette affaire en évoquant ce qu’il appelle des cas « similaires », comme l’assassinat de John F. Kennedy et celui de l’homme politique marocain Ben Barka, dont « on cherche encore aujourd’hui les véritables auteurs ». La comparaison de Serigne Diop, qui pourrait sembler absurde à première vue, illustre pourtant l’importance des étudiants – « la lumière de la société » – au Sénégal, mais aussi le cynisme d’un régime qui a « échoué » à punir cet « assassinat [40] ».
Abdoulaye Wade, les étudiants et l’université
30La mort de Balla Gaye a été un tournant décisif dans la vie politique estudiantine après l’élection de A. Wade, qui plaça des étudiants à des postes clés dans les sphères du pouvoir. Ces derniers avaient milité activement au sein du mouvement estudiantin pendant les élections présidentielles – et aussi, dans une moindre mesure, lors des élections législatives qui suivirent l’année d’après. Yankhoba Diattara, militant de longue date du PDS et allié personnel d’Idrissa Seck, à l’époque directeur de cabinet de Wade, est ainsi devenu conseiller du gouvernement et secrétaire permanent du conseil municipal de Thiès. Des leaders étudiants PDS célèbres, comme Modou Diagne Fada, ont aussi exercé, et pour certains exercent toujours, des responsabilités politiques. Autre cas spectaculaire, celui d’Aliou Sow qui avait quitté le PS pour le PDS en 1999 : aujourd’hui âgé de 28 ans, il est le ministre de la Jeunesse, ce qui, dans la presse, lui vaut le surnom d’« étudiant-ministre ».
31Cette cooptation a perduré. Ainsi, après la grève de 2001, le régime, se rendant compte que l’université échappait à son contrôle, a rallié, par exemple, Dethié Diouf, militant PS et important responsable étudiant depuis le début des années 1990, qui s’était illustré avant l’élection présidentielle par son hostilité à Wade et qui joua un rôle actif pendant la grève de 2001. Cas typique du vagabondage politique si couramment pratiqué sur le campus, il a finalement rejoint le PDS et obtenu un poste de conseiller technique auprès du ministère des Affaires étrangères. Toutefois, soulignons que la cooptation, par l’attribution de bourses d’études ou de responsabilités politico-administratives, est une pratique qui était déjà largement répandue sous Diouf et Senghor.
32La vie universitaire sénégalaise est aussi un lieu de formation politique : en participant au syndicalisme étudiant, les jeunes se forment et démontrent leurs « compétences politiques » – organisation de réunions, rédaction de discours, maîtrise des codes de l’expression politique, préparation d’actions politiques ; par ailleurs, le syndicalisme étudiant est une occasion de se constituer un carnet d’adresses et de créer un réseau de militants. À ce titre, l’université Cheikh-Anta-Diop (UCAD) de Dakar est bien un site important de formation du capital politique et, par conséquent, de recrutement pour les partis, qui peuvent ainsi « s’assurer » l’université – et, dans le cas des partis au pouvoir, essayer de « démobiliser » le campus. Cependant, beaucoup d’hommes politiques sénégalais ont été formés à l’étranger, notamment en France et, de plus en plus, aux États-Unis. Ce sont souvent des « héritiers », des enfants issus de l’élite sénégalaise, qui, compte tenu de la dégradation du système universitaire du pays, préfère envoyer ses enfants étudier à l’étranger. Il arrive que ces étudiants « expatriés » réapparaissent sur la scène politico-administrative sénégalaise ; grâce à leurs réseaux et à l’expertise technique qu’ils ont alors acquise, ils obtiennent des positions importantes. Tel est le cas de Talla Sylla, actuel responsable de l’Alliance Jëf Jël : étudiant et leader syndicaliste à l’université de Dakar dans les années 1980, il est parti étudier en France grâce à une bourse dont l’obtention n’est pas étrangère à son rôle crucial dans la mobilisation étudiante contre le régime lors des élections de 1988.
33Une fois entrés au gouvernement, certains anciens responsables étudiants continuent à entretenir une relation étroite avec l’université tout en gardant une certaine indépendance. Ainsi, Aliou Sow, enseignant invité dans le département d’anglais, considère que l’université est la base principale de son pouvoir politique, par-delà les incertitudes des nominations, et il fait tout pour y rester présent [41]. Elle lui garantit une certaine autonomie par rapport à ses chefs politiques et lui assure une source indépendante d’autorité. Souvent considéré comme un fils chéri de Wade, il a d’ailleurs su prouver son indépendance à l’égard du pouvoir lors du remaniement ministériel très controversé d’avril 2004. À la surprise de bien des observateurs, alors que Modou Diagne Fada était menacé par ce remaniement en raison de ses liens avec Idrissa Seck, de plus en plus perçu comme un danger par Wade, Sow a défié le président en menaçant de démissionner si Fada quittait le gouvernement. Ainsi, dans son édition du 23 avril 2004, Wal Fadjri ne put s’empêcher d’exprimer sa surprise et son indignation, notant qu’« un ministre de la République [ …] n’avait jamais osé pousser aussi loin l’outrecuidance devant un chef de l’État », mais ne se trompait pas quant aux raisons de l’absence de sanctions : « Le président Wade ne veut pas avoir sur le dos une frange des jeunes de son parti. Surtout après l’éviction d’Idrissa Seck qui a avec lui une importante partie de la jeunesse libérale.» Par la même occasion, cette manœuvre permettait à Sow de préserver sa crédibilité au sein de la « jeunesse libérale » et de montrer qu’il n’était pour rien dans l’éviction de Fada. Celui-ci fut donc « réadmis » au gouvernement, au poste de ministre de l’Environnement, poste qu’il occupait précédemment. La leçon de cet épisode était claire pour tous : le président, autoritaire et volontariste, était disposé à plier devant « ses » jeunes …
34Si la corruption et la cooptation telles qu’Abdoulaye Dème les décrit sont très répandues et opèrent à de multiples niveaux de la vie politique et syndicale étudiante, elles résultent pour beaucoup de la pauvreté qui sévit sur le campus et de la crise permanente touchant le secteur de l’emploi qualifié au Sénégal. Avant comme après l’alternance, la « transhumance » reste une pratique courante que l’on retrouve au sein de l’université, permettant ainsi à un certain nombre de responsables étudiants de trouver du travail [42]. Comme Yankhouba Seydi le signale, « si tu viens d’un milieu pauvre, et que tu es membre du mouvement, tu as des connections et un accès à l’argent … ça peut être difficile de résister [43] ». Cependant, bien des étudiants résistent à la cooptation et à la corruption qui se pratiquent sur le campus. Pendant les périodes de mobilisation politique, les responsables étudiants savent que leur crédibilité en tant qu’activistes politiques dans le mouvement estudiantin est liée à l’« incorruptibilité » qu’on leur prête. C’est souvent au cours de négociations avec les autorités que ces derniers sont soumis à la tentation des « bourses pour l’étranger ». Plusieurs anciens responsables – en particulier A. Dème – se vantent, quant à eux, de ne pas avoir cédé. Mais les accusations de corruption et de cooptation politique sont formulées si fréquemment (et si facilement) qu’il est souvent difficile de se faire une opinion. Toutefois, il est certain que l’allocation de ces bourses est une technique classique visant à briser les mobilisations étudiantes. Le gouvernement recourt ainsi à une méthode qui combine l’« exil » des militants les plus actifs (pour peu que ceux-ci s’avèrent finalement arrangeants) et la cooptation de ceux qui se sont impliqués du côté du pouvoir dans la vie politique universitaire.
35C’est grâce à cette méthode que le gouvernement est parvenu, en 2002, à affaiblir l’Union des étudiants de Dakar. En 2003, l’UED a essuyé le refus des syndicats des différentes facultés d’envoyer des délégués, ce qui a fini de la briser. « Au moment de la mort de Balla Gaye, on avait un syndicat qui réunissait tous les étudiants … [après sa mort] les membres de l’UED sont tous partis en France. [ …] le gouvernement a jugé nécessaire de les éloigner du pays [ …] pour qu’on puisse calmer la situation. Ceux qui sont restés n’ont pas trop d’influence », résume Hamidou Ba, un ancien militant de l’UED [44]. Certes, au début de l’année 2004, une Union générale des étudiants de Dakar (UGED) est créée, mais, pour le moment, elle n’a produit aucun résultat. Lors des législatives d’avril 2001, la participation politique des étudiants s’était considérablement affaiblie par rapport à ce qu’elle était en 2000, pour devenir à peu près négligeable lors des élections locales de 2002.
Pouvoir virtuel, universités virtuelles et formation politique
36Au Sénégal, beaucoup pensent que les étudiants sont devenus une masse corrompue et qu’ils ont abandonné leur rôle de leaders d’opinion et d’activistes. Selon Chérif Ba, « l’espace universitaire sur le plan politique n’est pas un espace neutre. L’espace universitaire est hyperpolitisé », mais la politique et le militantisme qui s’y déploient sont « cyniques » et immoraux. Contrairement à une génération plus ancienne de responsables étudiants – Bathily et Savané sont des exemples fréquemment cités (souvent par eux-mêmes) –, la plupart des étudiants se seraient « lancés dans la politique uniquement pour autre chose [leurs intérêts personnels]. Vous interrogez un étudiant libéral, vous lui dites quelles sont les bases du libéralisme … il n’y connaît rien du tout. Ils ne lisent pas des théories économiques … Bon, je suis dans un parti, je reste, j’ai ma carte, il y a une petite réunion qui était convoquée, j’y vais. Il faut que le dirigeant voie que je suis là, que je suis actif, que je participe à un tam-tam dans le quartier [45] ».
37Selon C. Ba, la vie politique étudiante, comme la vie politique sénégalaise dans son ensemble, est fortement imprégnée de clientélisme et de « cynisme », et les mobilisations contre le pouvoir ne sont pas épargnées. Toutefois, son analyse doit être complétée, car il ne parle ici que de l’activité des partis politiques sur le campus. Or, si le syndicalisme estudiantin, en proie à la corruption, est condamné par la précédente génération de responsables étudiants et d’hommes politiques, ces derniers ont aussi leur part de responsabilité. Qui, en effet, a corrompu les mobilisations estudiantines ? A. Bathily, l’archétype même de l’intellectuel-politicien sénégalais, est l’un des plus fervents critiques de la faiblesse idéologique des mobilisations actuelles. Cependant, en tant que chef d’un influent parti de gauche, est-ce qu’il n’est pas, en partie au moins, responsable de cette dégénérescence [46] ? Comme C. Ba le remarque, « les partis politiques doivent assumer la formation de leurs militants. Quel est le parti politique qui fait ça ? [ …] les militants n’ont pas la formation de base qu’il faut. [ …], on fait de la politique tout simplement pour aller accueillir un président [47] ».
38Le changement politique au Sénégal vient à la fois confirmer et infirmer cette description habituelle des mobilisations estudiantines. Ainsi, les étudiants ont pu jouer un rôle politique explicite en lien avec la volonté populaire de changement, mais la faiblesse de leur « formation politique » et les conditions difficiles qui prévalaient sur le campus les ont laissés quasiment sans défense face aux tentatives de cooptation du nouveau régime. Celui-ci a finalement dissous ces mobilisations – confirmation du regrettable stéréotype du « syndicalisme alimentaire ».
39Le mécontentement et l’opposition politique réapparaissent cependant régulièrement. L’évolution des graffitis, début 2004, sur le campus de l’UCAD est à ce propos frappante. En effet, quatre ans auparavant, les murs étaient couverts de slogans hostiles au PS et favorables au sopi. Aujourd’hui, ces slogans ont été remplacés : sur le côté du pavillon A, on lit « 153 voyages en 3 ans », en référence aux multiples voyages officiels du président. Près du département d’anglais, le message est différent mais tout aussi critique : « Wade : l’ennemi du savoir [48] ». Wade et le changement qu’il symbolisait sont désormais devenus les cibles de la colère et de la frustration des étudiants. Ces graffitis sont certes moins nombreux qu’à l’époque de Diouf, mais, fait étonnant, les étudiants pro-Wade ne semblaient pas vouloir leur répondre par des contre-graffitis.
40Le nouveau régime a raté une opportunité historique de changer les choses et s’est rabattu sur les vieilles méthodes politiques : « C’est dans ces moments qu’un pays peut faire des progrès significatifs. Dans la foulée, on aurait pu faire beaucoup de réformes. Mais en lieu et place, on a commencé à prendre et à recycler ce que l’ancien système avait de pire [49] », déclare A. Bathily, dont le parti avait soutenu A. Wade en 2000. Le gouvernement a recyclé les vieilles élites – souvent au travers d’un processus de transhumance politique vers le PDS [50].
41L’effondrement de ce grand espoir de sopi évoqué avec nostalgie par A. Bathily a fait place à une realpolitik cynique de changement virtuel. Interrogé en mars 2004 sur ce qu’il considérait comme les réalisations les plus importantes de son gouvernement après quatre ans d’alternance, Abdoulaye Wade s’est vanté d’être l’un des « principaux interlocuteurs du monde occidental … aujourd’hui quand on parle de leader de l’Afrique il y a … un francophone ». Il prétend également avoir établi une relation privilégiée avec George W. Bush qui, « me fait l’amitié de me consulter sur les grands problèmes ». Son « rôle » comme médiateur, consultant et intermédiaire international aurait également reçu le soutien de Jacques Chirac : « lui [Chirac], il se bat pour que je sois un interlocuteur [51]. » On ne saurait trouver plus bel exemple du rôle de complaisance que jouent les chefs d’État africains sur la scène internationale : s’ils obéissent aux ordres de leurs patrons géopolitiques, ils sont autorisés à leur donner des conseils. L’auto-célébration par Wade de son rôle révèle bien toute l’impuissance des chefs d’État africains de la postcolonie : un monde de puissance virtuelle.
42Les plans de A. Wade pour l’enseignement supérieur participent d’ailleurs du même monde virtuel. En mars 2004, quand il est revenu à l’université, pour la première fois depuis son élection, à l’occasion de l’inauguration de l’UCAD-II – un projet ambitieux d’extension de l’université de Dakar –, il a été reçu de façon ambiguë : si des masses d’élèves du secondaire, amenés en bus, criaient avec application sopi, sopi, les étudiants, quant à eux, avaient quasiment déserté le campus. L’inauguration de la nouvelle université a ressemblé à une cérémonie de remise des prix à Hollywood, avec des escortes de police imposantes précédant l’arrivée du Premier ministre, et plus impressionnantes encore lors de l’arrivée du président. Le moment clé de l’inauguration fut la présentation que fit Wade de l’Université virtuelle d’Afrique (UVA), où les cours seront enseignés « virtuellement » grâce à des liens « satellitaires » avec les universités françaises, canadiennes et américaines. « Le diplôme, à la fin, sera non pas équivalent mais le même [52] », affirma-t-il. Ainsi, grâce à l’UVA les étudiants n’auront plus besoin de partir à l’étranger puisque le monde viendra au Sénégal : « Ceux qui auront le diplôme de cette université n’auront pas besoin d’aller aux États-Unis pour étudier. » En bonne logique, à un monde de pouvoir virtuel, il fallait une université virtuelle.
43Certes, cette université virtuelle est importante par bien des aspects pour les étudiants sénégalais, à un moment où les puissances occidentales accordent de moins en moins de visas et de bourses. Cependant, la globalisation « à la Wade » offre aux jeunes une illusion cruelle : cette panoplie technologique – téléphones mobiles, connections Internet, UVA – renforce la frustration des Sénégalais par rapport à ce « village global » qui, s’il semble leur offrir un accès au monde, les confine pourtant chez eux et les empêche de profiter des véritables opportunités. Même les revendications du mouvement étudiant sont devenues étrangement « virtuelles » : aujourd’hui, en effet, ils ne se mobilisent plus tant pour décrocher un emploi dans la fonction publique, secteur longtemps très prisé, mais pour obtenir un visa afin de quitter le pays – vœu formulé notamment lors des manifestations organisées pendant la visite au Sénégal, en décembre 2003, de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur.
44Même si le campus est souvent déchiré par des luttes politiques, les étudiants sont des acteurs politiques privilégiés : leurs voix – leurs plaintes et leur résistance – s’inscrivent systématiquement au niveau national. Toutefois, les faiblesses de leur mouvement restent importantes. Comme Chérif Ba l’explique, les responsables étudiants n’ont pas de bases idéologiques solides. Ces faiblesses les empêchent notamment de contrer la domination que les partisans de Wade exercent sur l’UED et de prévenir la débâcle de leur mouvement sous la double pression de la cooptation et de la corruption. Cependant, ces critiques à l’encontre de la mobilisation étudiante sont également valables pour la quasi-totalité des formations politiques sénégalaises au cours de ces quatre dernières années. Bien qu’elle ait réussi, la stratégie du gouvernement a eu son coût : le pouvoir a été contraint d’accorder des avantages individuels aux responsables étudiants et des avantages collectifs à l’ensemble de l’effectif estudiantin ; il a dû de même rompre, du moins temporairement, avec la Banque mondiale, démontrant ainsi que son libéralisme n’était pas dogmatique. Pourtant, cette réponse finalement favorable aux revendications estudiantines a fragilisé la mobilisation des étudiants, qui, depuis, ont gardé le silence. On peut cependant penser que ce silence ne durera pas, et qu’ils reprendront la parole, peut-être même demanderont-ils un nouveau changement politique.
Notes
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[*]
Je voudrais remercier ici Vincent Foucher pour ses encouragements et ses critiques stimulantes lors de la rédaction de cet article, ainsi que Hamidou Ba qui m’a beaucoup aidé au cours de mes recherches menées à Dakar.
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[1]
Voir W. J. Hanna (ed.), University Students and African Politics, New York, Londres, Holmes & Meier, 1975, p. 266.
-
[2]
Sur les années 1968 et 1988, et sur le mouvement étudiant en général, lire l’ouvrage de P. Bianchini, École et politique en Afrique noire, Paris, Karthala, 2004.
-
[3]
Sur cette grève, lire L. Zeilig, « In the age of Wade : political change and the student strike in Dakar 2001 », in N. Akam et R. Ducasse (dir.), Quelle université pour l’Afrique ?, Bordeaux, MSHA, 2002.
-
[4]
A. Bathily et al., « The Senegalese student movement from its inception to 1989 », in M. Mamdani et E. Wamba-dia-Wamba (eds), African Studies in Social Movements and Democracy, Dakar, Codesria, 1995, p. 401.
-
[5]
Ibid., p. 401.
-
[6]
Ibid., p. 405.
-
[7]
Ibid., p. 405.
-
[8]
D. Cruise O’Brien, « A lost generation ? Youth identity and State decay in West Africa », in R. P.Werbner et T. O. Ranger (eds), Post-Colonial Identities in Africa, Londres, Zed Books, 1996, p. 65.
-
[9]
Le Soleil, 19 mars 2004.
-
[10]
Sans exagération, la gauche, en particulier la Ligue démocratique-Mouvement pour le parti du travail (LD/MPT) et, dans une moindre mesure, le And Jëf-Parti africain pour la démocratie et le socialisme (AJ/PADS) et le Parti de l’indépendance et du travail (PIT), ont joué un rôle central dans la structuration de la coalition Alternance 2000 qui a rassemblé les partis soutenant Wade. Le coordinateur actuel du Mouvement des élèves et étudiants de AJ/PADS, Ibrahima Ba, explique que la gauche était consciente du fait que « la seule personne qui pourrait diriger à ce moment la coalition c’est Abdoulaye Wade. Et on a fait appel à lui ; mais il était à Paris ». Wade a accepté de mener la coalition et Ba rapporte que « c’était un programme de gauche et lui c’est un libéral ». Entretien, Dakar, 12 février 2004. Cette analyse est en partie un vœu pieux, qui sert de justification au maintien de l’alliance entre la gauche (LD et AJ) et un gouvernement libéral contrôlé par le PDS.
-
[11]
Entretien, Dakar, 4 mars 2001.
-
[12]
Sud Quotidien, 14 février 2000.
-
[13]
Wal Fadjri, 7 mars 2000.
-
[14]
Au moment de l’entretien, en février 2004 à Dakar, Y. Diattara était un conseiller du gouvernement et un proche d’Idrissa Seck. Il a donné sa démission peu après celle du Premier ministre I. Seck en avril 2004.
-
[15]
Lors de mes enquêtes (janvier-avril 2004), les étudiants expliquaient qu’ils étaient « apolitiques » alors même qu’ils discutaient avec passion de la situation politique du pays. « Apolitique » signifie donc ici : « Je ne suis pas membre d’un parti politique. »
-
[16]
Si, lors des réunions officielles de l’AG, aucun propos politique ne fut tenu ouvertement durant les premières semaines de la grève, le reste de l’université, en revanche, résonnait de discussions politiques. Un article paru dans Sud Quotidien, le 12 février 2000, signalait que les murs de l’université formaient comme une « Agence Campus Presse » autour de laquelle les membres des différents partis « se livrent une bataille verbale à distance ». Certains de ces graffitis sont encore visibles : « Sept ans de suicide collectif encore ? Ah non ! » ; « Où sont les 20 000 emplois par an promis par Diouf ? ».
-
[17]
Entretien, Dakar, 12 février 2004.
-
[18]
Lire les éditions des 10 et 13 mars 2000.
-
[19]
Bitèye (5 février 2004) explique que le second tour de l’élection a coïncidé avec la fête annuelle musulmane de Tabaski. À cette occasion, une proportion importante de la population de Dakar se rend dans les zones rurales pour « fêter ». En 2000, Bitèye affirmait que ceux qui avaient quitté la ville le temps de la fête y retournaient le lendemain pour voter.
-
[20]
Entretien, Dakar, 12 février 2004.
-
[21]
Entretien, Dakar, 5 février 2004.
-
[22]
Wal Fadjri, 6 mars 2000.
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[23]
Sud Quotidien, 27 mars 2000.
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[24]
Pendant la grève de 2001, le président prenait déjà ses distances avec les « accords » qui auraient été passés avec les étudiants. « Quelles promesses électorales ? » demanda-t-il lors d’une conférence de presse en janvier. « Ils vous ont dit ça ? Eh bien, ils ne m’en ont jamais rien dit. C’est aujourd’hui la première fois qu’on me dit que je ne respecte pas mes promesses électorales [ …]. » Voir Pan-African News Agency, 5 février 2001, http://groups.yahoo.com/group/wa-afr-network/message/1456.
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[25]
Entretien, Dakar, 11 février 2004.
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[26]
Le credo de Wade – peint sur les murs de Dakar, répété quotidiennement par les politiciens et mis en musique – est : « Il faut travailler, beaucoup travailler, encore travailler, toujours travailler. »
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[27]
Sud Quotidien, 23 mars 2000.
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[28]
Lire A. M. Wane, Le Sénégal entre deux naufrages ? Le Joola et l’alternance, Paris, L’Harmattan, 2003.
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[29]
Sud Quotidien, 15 janvier 2001.
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[30]
Entretien, Dakar, 4 mars 2001.
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[31]
Voir, par exemple, Le Matin, 1er février et 6 février 2001, Sud Quotidien, 2 février 2001.
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[32]
Les mesures comprenaient également la réduction du prix des tickets-repas de 165 à 150 francs CFA, celui des tickets-déjeuners de 100 à 75 francs CFAet du loyer des chambres de 5 000 à 4 000 francs CFA.
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[33]
Consulter le site officiel du gouvernement sénégalais, http://www.finances.gouv.sn/sitecso3.html.
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[34]
Le Soleil, 19 mars 2004.
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[35]
Ibid.
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[36]
Entretien, Dakar, 18 mars 2004.
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[37]
A. Dème assure que, pendant la collecte d’argent organisée en faveur de la famille de B. Gaye, certains membres de la direction du mouvement étudiant se sont servis. « Quel péché! » commente-t-il.
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[38]
Voir, par exemple, le numéro anniversaire spécial de Wal Fadjri, 31 janvier 2004. Pour un compterendu clair (mais très naïf) de l’année qui a suivi la mort de A. Gaye, voir Amnesty International, http://web.amnesty.org/library/index/ENGAFR490012002?open&of=ENG-SEN.
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[39]
Wal Fadjri, 8 mars 2004.
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[40]
Le gouvernement a également employé le terme « assassinat », laissant supposer l’existence d’un complot élaboré et justifiant ainsi les difficultés de la justice à résoudre l’affaire.
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[41]
Le statut et la réussite universitaires sont également des solutions de secours dans un univers politique incertain – si le patronage politique peut disparaître, on reste « docteur » pour toujours.
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[42]
Voir M. Niang, Me Wade et l’alternance. Le rêve brisé du sopi, Dakar, Mody Niang, 2004, p. 79-119. Dans la littérature populaire sur l’alternance, les étudiants et l’université ne sont jamais évoqués spécifiquement.
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[43]
Entretien, Dakar, 18 mars 2004.
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[44]
Entretien, Dakar, 28 janvier 2004.
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[45]
Entretien, Dakar, 12 février 2004.
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[46]
A. Bathily et son parti, la LD/MPT, ont quitté le gouvernement en 2004.
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[47]
Les hommes politiques encouragent également le militantisme estudiantin et le décrivent comme une marque de civisme. A. Wade, par exemple, explique ainsi les responsabilités des étudiants : « La fonction de l’étudiant c’est d’étudier. Son rôle c’est de prouver qu’il est excellent dans les études. Et après, la jeunesse doit faire la politique. Elle doit avoir un engagement militant ». Voir A. Sow, Lux, juillet-août 2003.
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[48]
La présence de ces graffitis sur le campus ne doit pas automatiquement être perçue comme un indicateur du sentiment populaire, puisque ce sont souvent les partis politiques qui commandent leur inscription.
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[49]
Wal Fadjri, 15 octobre 2003.
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[50]
Voir R. Abrahamsen, Disciplining Democracy : Development Discourse and Good Governance in Africa, Londres, Zed Books, 2000.
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[51]
Le Soleil, 19 mars 2004.
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[52]
Ibid.