Notes
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[1]
Nations unies, Office contre la drogue et le crime (ODC)/Royaume du Maroc, Maroc. Enquête sur le cannabis 2003, décembre 2003.
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[2]
Selon Interpol, en 1999, la somme des saisies au Maroc (55 tonnes), en France (64 tonnes) et en Espagne (431 tonnes) représentaient 550 tonnes, alors que toutes les saisies dans le monde en provenance du Pakistan et de l’Afghanistan, autres grands pays producteurs, n’atteignaient que 82 tonnes.
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[3]
Cette théorie de l’escalade n’est pas partagée par tous les experts, car une grande partie des consommateurs de drogues dites « dures » commence d’abord par abuser de drogues légales, alcool et tabac, et non de cannabis.
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[4]
Le kif désigne à la fois la plante entière et le produit dérivé, obtenu après tamisage de la résine et destiné à être consommé.
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[5]
Observatoire géopolitique des drogues (OGD), Rapport d’enquête sur les enjeux politiques, économiques et sociaux de la production et du trafic des drogues au Maroc, réalisé à la demande de l’Unité drogues du secrétariat général de la Commission des Communautés européennes, mars 1994, pp. 2-3.
-
[6]
F. Caballero, Droit de la drogue, Paris, Dalloz, 1989, pp. 682-683.
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[7]
Pour une description très imagée de ce phénomène, voir P. Moreno, Estudio del cultivo de cannabis sativa en el Rif marroqui : sus consecuencias socioéconomicas para la región, Université polytechnique, Valencia, décembre 1997, pp. 144-145. Cette thèse constitue le travail le plus approfondi sur la production et le commerce des dérivés du cannabis au Maroc.
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[8]
P. Moreno, Estudio del cultivo de cannabis…, op. cit., p. 132.
-
[9]
Ibid., p. 133.
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[10]
Nations unies, Office contre la drogue et le crime (ODC)/Royaume du Maroc, Maroc. Enquête sur le cannabis 2003, op. cit. Les développements qui suivent sont empruntés à ce rapport.
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[11]
Dans les années 1980, des agronomes travaillant dans la région du Rif estimaient que les cultures s’étendaient sur quelque 30 000 hectares, aussi ce fut une surprise lorsqu’en 1992 le roi Hassan II, demandant l’aide de la communauté internationale pour remplacer le cannabis, avança le chiffre de 50 000 hectares. Les informations recueillies off the record par l’OGD en 2001 auprès d’agronomes de la Direction provinciale de l’agriculture faisaient, quant à elles, état de 100 000 à 120 000 hectares.
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[12]
Elle n’est que légèrement dépassée par les superficies de coca en Colombie en 2001, en diminution dès l’année suivante ; au Pérou, les cultures de cette plante étaient estimées à 120 000 hectares au début des années 1990. Quant aux cultures de pavot de Birmanie et d’Afghanistan, elles n’ont jamais atteint 100 000 hectares.
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[13]
Notamment devant la Commission des stupéfiants des Nations unies qui se réunit à Vienne chaque année au printemps. L’ancien Premier ministre socialiste, Abderrahmane Youssoufi, n’a pas craint d’affirmer au cours de la session spéciale des Nations unies consacrée aux drogues (UNGASS), en juin 1998, que le problème des drogues au Maroc « était surtout celui du transit de substances illicites ».
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[14]
A. Labrousse et L. Romero, Enquête sur la situation du cannabis dans le Rif marocain, juin-août 2001, Saint-Denis-la-Plaine, OFDT, 2002.
-
[15]
OGD, Rapport sur les enjeux politiques…, op. cit., p. 27.
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[16]
Il n’est pas exclu que dans ces saisies figurent de la drogue produite en Afghanistan, au Pakistan ou au Népal, mais seulement à titre anecdotique. Quant à la production libanaise, elle a pratiquement disparu du marché depuis le début des années 1990.
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[17]
OGD, La Géopolitique mondiale des drogues 1995/1996. Rapport annuel, septembre 1997, p. 99. Consulter le site www.ogd.org.
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[18]
OGD, La Géopolitique mondiale des drogues 1995/1996…, op. cit.. Selon le même auteur, la part des grands trafiquants étrangers s’élèverait à 3 milliards de dollars.
-
[19]
Le roman de l’écrivain espagnol Arturo Pérez-Reverte, La Reine du Sud, Paris, Le Seuil, 2003, offre une description spectaculaire, mais fidèle de ce type de trafic.
-
[20]
Le Courrier international, n° 528, 14-20 décembre 2000.
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[21]
Incarcéré pour « outrage au roi », il a été gracié au début du mois de janvier 2004.
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[22]
Le Courrier international, art. cit.
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[23]
OGD, État des drogues, drogues des États, Paris, Hachette/Pluriel, 1994, pp. 40-41.
-
[24]
OGD, Géopolitique des drogues 1995, Paris, La Découverte, 1995, pp. 114-115.
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[25]
OGD, Rapport d’enquête sur les enjeux politiques…, op. cit.
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[26]
Le directeur de publication et le journaliste furent condamnés chacun à une amende de 5 000 francs, ainsi qu’à verser au roi Hassan II 1 franc à titre de dommage et intérêts et 10 000 francs par application de l’article 475-1 du code de procédure pénale, la Cour ordonnant la publication dans Le Monde d’un communiqué faisant état de la condamnation. L’affaire du rapport de l’OGD a connu un rebondissement inattendu : le 25 août 2002, la Cour européenne des droits de l’homme condamnait la France pour violation de l’article 10 portant sur la liberté de la presse, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (voir « Affaire Colombani et autres [requête n° 51279/99] »).. Dans ses attendus, elle fait valoir que « l’article 36 de la loi du 29 juillet 1881 portant sur le délit d’offense tend à conférer aux chefs d’État un statut exorbitant du droit commun, les soustrayant à la critique seulement en raison de leur fonction ou statut, sans aucune prise en compte de l’intérêt de la critique », et qu’il aurait suffi au roi Hassan II d’invoquer la simple diffamation pour défendre son honneur. Elle condamne donc l’État français. Cette décision a eu d’autant moins d’écho qu’un nouveau souverain était entre-temps monté sur le trône en 1999.
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[27]
Les négociateurs marocains ont prétendu que les fuites concernant le rapport de l’OGD avaient été volontairement organisées afin d’obtenir des concessions de leur part.
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[28]
Pour plus d’informations sur les trafiquants cités, voir OGD, La Géopolitique mondiale des drogues 1995/1996…, op. cit., septembre 1997, pp. 119-125.
-
[29]
Si c’est une Française, Christine Daure-Jouven, épouse d’Abraham Sarfati, militant marocain exilé, qui lancera la campagne sur le bagne de Tazmamart, c’est sous pression américaine que les frères Bourequat seront libérés.
-
[30]
G. Perrault, Notre ami le roi, Paris, Gallimard, 1996, et M. Souhaili, Le Roi et la rose, Hassan II et Mitterrand, des rapports équivoques, Paris, L’Harmattan, 1992.
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[31]
H. Durand, « La France a-t-elle une politique marocaine ? », Confluence méditerranéenne, n° 23, automne 1997.
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[32]
Fondation Charles-Léopold-Mayer pour le progrès de l’homme, « Les médias face à la drogue », Dossier pour un débat, n° 76, mars 1997, voir notamment pp. 22-23.
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[33]
A. El Azizi, « Les barons perdent le nord », Maroc-Hebdo, 25 janvier 2004, et A. R. Benchemsi, « Procès Erramach & Co. Quand l’État juge ses agents », Tel Quel, 25 février 2004.
1En décembre 2003, un rapport de l’Office contre la drogue et le crime (ODC) des Nations unies [1] a apporté une confirmation scientifique à ce que tous les experts estimaient depuis longtemps : avec 135 000 hectares de culture de cannabis produisant chaque année plus de 3 000 tonnes de haschisch, le Maroc est de très loin le premier producteur/exportateur mondial de cette substance [2]. Non seulement 90% du haschisch consommé en Espagne et en France provient de la région du Rif, mais les trafiquants utilisent leurs réseaux pour acheminer en Europe des drogues dures comme la cocaïne et y blanchir leurs profits. Ces derniers représentent la plus importante source de devises dans l’économie marocaine et sont à l’origine de réseaux de corruption et de clientélisme allant du choix, par la population, de trafiquants comme autorités villageoises dans le Rif jusqu’aux plus hauts niveaux des autorités de l’État, du moins sous le règne de Hassan II. Si ce dernier avait laissé aux trafiquants et à leurs appuis dans l’administration et au sein des élus une marge de manœuvre importante dans la région du Nord, c’était pour préserver la loyauté d’une région réputée hostile au pouvoir central – loyauté d’autant plus nécessaire qu’à partir du début des années 1990 le pouvoir mettait progressivement en place une ouverture démocratique risquant de rendre difficilement contrôlable les nouveaux partis politiques. Simultanément, la tolérance dont bénéficient les cultures illicites de la part du gouvernement permet aux populations paysannes berbères marginalisées économiquement et socialement discriminées de survivre dans un environnement dégradé.
2La place prise par le haschisch marocain sur les marchés de consommation espagnol et français doit beaucoup aux réseaux de corruption, actifs ou passifs, qui facilitent son importation dans ces deux pays. Si, en Espagne, la corruption induite par le trafic de transit touche essentiellement les membres des forces de répression, en France, en revanche, les ministres de l’Intérieur successifs affirment que la consommation du cannabis constitue un « fléau » conduisant à l’usage des drogues dures [3], mais s’arrangent pour que la responsabilité du Maroc dans sa production et son exportation soit occultée. Cette politique, bien entendu, est dictée par des intérêts économiques et géopolitiques « supérieurs ». Par conséquent, on peut se demander si la décision de Mohammed VI d’autoriser la première évaluation des superficies de culture et de s’en prendre, depuis l’été 2003, à d’importants trafiquants et à leurs complices dans l’appareil d’État est le signe d’un changement politique dans ce domaine ou bien seulement un rideau de fumée, comme ce fut à deux reprises au moins le cas sous le règne d’Hassan II.
Un héritage de l’histoire
3Les historiens s’accordent pour établir l’existence de cultures déjà centenaires de cannabis (kif [4]) dans la région de Ketama, dans le Rif central, au xvie siècle. Ces cultures remonteraient à l’arrivée des immigrants arabes dans la région au viie siècle. Vers 1890, le sultan Hassan Ier (1873-1894) confirme l’autorisation de cultiver le kif dans cinq hameaux des tribus des Ketama et des Beni Khaled. En 1912, le royaume est séparé en deux zones, l’une placée sous administration française, l’autre sous tutelle espagnole. La conférence d’Algerisas, en 1906, concède le monopole de la vente et de l’achat du tabac et du kif à la Régie marocaine des kifs et tabac, une compagnie multinationale de capital français. La Régie a pour siège Tanger, ville bénéficiant, à partir de 1920, d’un statut international et administrativement séparée des zones française et espagnole [5]. Durant les cinq ans pendant lesquels Abd el Krim maintient par la force des armes un État indépendant dans le Rif (1921-1926), la production de cannabis diminue notablement, non pas tant du fait des opérations militaires que de la volonté du chef berbère, pour qui la consommation de kif est contraire aux préceptes du Coran.
4Le 12 novembre 1932 est promulgué un dahir (décret-loi royal) interdisant la culture du cannabis dans la zone sous protectorat français. Contrairement à l’Espagne, la France a en effet signé l’accord international sur les stupéfiants. Mais ce même dahir autorise la Régie à vendre aux populations locales un mélange de haschisch et de tabac, permettant à la France de profiter des recettes fiscales générées par cette activité [6]. Un nouveau dahir, promulgué en 1954 par le roi Mohammed V et censé s’appliquer, dès l’indépendance, aux deux zones du royaume, confirme l’interdiction de 1932. Toutefois, une tolérance subsiste pour les cinq hameaux des tribus Ketama et Beni Khaled, ce qui vaut à la région le surnom espagnol de « Cinco ». Mais, dans les années 1950, le kif est également ouvertement planté dans le Haouz (plaine de la région de Marrakech) et le Gharb (plaine de la région de Kenitra). En 1960, le gouvernement marocain étendait l’application du dahir de 1954 à l’ensemble du territoire, sans que cette décision soit suivie d’effet dans le Rif. Au contraire, Ketama devient une sorte de Katmandou pour les jeunes Européens [7].
5Entre 1958 et 1990, le Rif connaît trois soulèvements durement réprimés, ce qui ne sera pas sans incidence sur la marginalisation économique postérieure de la région et son recours accru aux cultures illicites. Le plus sanglant est sans conteste celui de 1958 ; noyé dans le sang par Hassan II, il fait des milliers de morts. En 1984, des mesures prises par les autorités locales pour limiter la contrebande dans l’enclave espagnole de Melilla et le trafic de cannabis dans tout le Nord provoquent également un soulèvement. Plus récemment, en décembre 1990, la répression d’un mouvement de révolte sociale, né à Fez, fera elle aussi nombre de victimes (officiellement une quarantaine, officieusement près d’un millier) dans cette ville, mais aussi à Tanger, Tétouan et Al Hoceima.
6Dans les années 1980, le développement continu des productions entraîne l’arrivée de délinquants d’autres régions du Maroc, qui coupent les routes et rançonnent touristes et narco-touristes. À cela s’ajoute l’activité des forces de répression tendant à faire des étrangers, frappés de lourdes peines lorsqu’ils sont arrêtés en possession de haschisch, des boucs émissaires, afin de masquer le fait que les autorités locales, et parfois nationales, sont impliquées dans la production et le trafic. Le nord du Maroc est donc considéré comme une « zone dangereuse », ce qui affecte non seulement le narco-tourisme, mais le tourisme tout court. Cette mauvaise réputation perdure encore aujourd’hui bien qu’il n’existe plus aucune insécurité dans la zone, même dans la région de Ketama, qui passe pour être le berceau des trafiquants. Depuis l’avènement de Mohammed VI (juillet 1999), les contrôles policiers se sont en effet assouplis, ce dont bénéficient les cultivateurs mais également les touristes, qui se déplacent en toute quiétude dans la région.
Des réseaux de contrebande aux filières de la drogue
7La spécialisation du Rif dans la production de cannabis et les pratiques illicites s’explique enfin historiquement par le fait que les activités de contrebande y constituent une réalité plus que séculaire. La contrebande à partir des enclaves espagnoles du littoral méditerranéen marocain, Ceuta et Melilla, a pris forme à mesure que le Maroc s’est ouvert, au cours de la deuxième moitié du xixe siècle, au commerce européen et que les vieux presidios espagnols, de garnisons pénitentiaires, se sont métamorphosés en entrepôts commerciaux. À l’aube du xxe siècle, Ceuta et Melilla et les îlots qui les jouxtent sont déjà au cœur d’un trafic intense d’armes et de munitions de guerre qui contribua fortement à ce qui fut appelé l’« anarchie marocaine », prétexte à l’établissement du protectorat.
8Depuis les années 1970, le phénomène a pris une dimension nouvelle. De confinée localement, la contrebande est devenue une donnée régionale et même nationale, car elle atteint les villes les plus éloignées du pays et fournit du travail à des dizaines de milliers de personnes [8]. Cette activité illégale est alimentée en toute connaissance de cause par l’Espagne ; en effet, les produits (des détergents à l’huile de cuisine en passant par le fromage et les insecticides) introduits au Maroc via les enclaves sont spécialement fabriqués dans ce but et ne sont pas vendus sur le territoire espagnol. Selon le gouvernement marocain, qui pourtant la tolère, la contrebande représentait à la fin des années 1990 un chiffre d’affaires annuel de 3 000 millions de dollars, et les pertes pour l’économie nationale s’élevaient à environ 1 350 millions de dollars [9]. Non seulement ce phénomène fait obstacle au développement de l’industrie manufacturière du pays, mais il a durablement enraciné les réseaux et les infrastructures d’une économie informelle dont le trafic illicite de stupéfiants a naturellement bénéficié. Schématiquement, le transport de la drogue permet d’optimiser les investissements en hommes et en moyens de transport de la contrebande traditionnelle, dont les flux se font depuis les enclaves espagnoles vers l’intérieur du Maroc, alors que la drogue circule de l’intérieur vers l’Espagne. Les douaniers, policiers, gendarmes et autres représentants de l’autorité, habitués à « fermer les yeux » sur les transports de marchandises dans un sens, n’éprouvent pas de scrupules majeurs, moyennant bakchich, à ne pas les ouvrir sur la drogue voyageant dans le sens opposé.
Estimation des superficies de culture du cannabis
9La région du nord du Maroc où se concentre la culture du cannabis occupe environ 20 000 km2, soit 2,7 % de la superficie du pays [10]. À cheval sur les provinces d’Al Hoceima, Chefchaouen, Larache, Taounate, Tetouan, elle est traversée d’est en ouest par la chaîne du Rif, qui culmine à 2 456 mètres. La densité de la population rurale (124 habitants au km2, avec, dans certaines communes, près de 150 habitants au km2) y est trois fois plus élevée que la moyenne nationale. Et cela bien que la région ait été, dans les années 1960-1970, la principale zone d’émigration vers l’Europe. Mais le taux d’accroissement y est de 2,19 % par an, la moyenne par famille de sept enfants, et la moitié de la population a moins de 15 ans.
10À partir des zones de production traditionnelle de certaines communes du Rif central où le cannabis est cultivé depuis plusieurs siècles, les cultures illicites se sont propagées au cours des vingt dernières années, vers l’ouest, dans les provinces de Chefchaouen et de Larache, puis ont gagné au nord celle de Tétouan et, au sud, celle de Taounate. Driss Basri, l’inamovible ministre de l’Intérieur déchu par le nouveau roi, avait coutume, en février, époque où l’on sème le cannabis, d’apparaître à la télévision pour exhorter les paysans à ne pas en planter sous peine de sanctions. Bien que ces menaces soient restées, le plus souvent, lettre morte, le silence de son successeur a donné aux paysans l’impression que les cultures étaient désormais autorisées.
11Les cultures sont progressivement passées de 30 000 hectares dans les années 1980 à plus de 100 000 au début des années 2000 [11]. Les chiffres obtenus par l’Office contre la drogue et le crime en 2003, en croisant des observations satellites et une enquête de terrain, font état de 134 000 hectares – une des plus importantes superficies de cultures illicites jamais observées dans un seul pays [12] – pour une production de 47 000 tonnes de cannabis brut, soit 3 080 tonnes de haschisch, auxquelles devraient s’ajouter la production d’une quinzaine de milliers d’hectares dans les régions à l’est et à l’ouest du Rif n’ayant pas fait l’objet d’observations directes. Ces chiffres, qui coïncident avec les données suggérant une croissance régulière des cultures illicites depuis une quinzaine d’années, contredisent les affirmations des diplomates marocains qui, dans les enceintes internationales, soutiennent que les cultures de cannabis ne dépassent pas 50 000 hectares [13].
12Si un nombre très réduit de paysans berbères affirment ne pas cultiver le cannabis parce qu’il serait haram (impur) selon le Coran, sa production et son usage peuvent être qualifiés de « traditionnels » au sein de la population. On se rend encore en pèlerinage sur la tombe de Sidi-Heddi, le saint patron des fumeurs de kif, qui serait le premier à avoir rapporté des graines d’Asie. Bien que l’ivresse cannabique soit longtemps restée l’apanage des mystiques et que l’« herbe de fakirs » se retrouve toujours au cœur de certains rites religieux, les fumeurs de kif sont devenus, à partir du xixe siècle, de plus en plus nombreux parmi la population paysanne. Aujourd’hui, si le kif est traditionnellement fumé entre hommes autour d’un verre de thé à la menthe, on le consomme aussi en famille lors des grands événements. La poudre de cannabis intervient également dans la préparation du majoun, pâtisserie réservée aux repas de fête, encore très populaire dans tout le Maroc.
Dégradation de l’environnement physique et humain
13Le cannabis couvre 10 % de la superficie totale des cinq provinces concernées et 27 % de leur surface agricole utile, mais seulement 1,5 % de la surface agricole utile du Maroc ; quelque 96 600 familles rurales, représentant environ 800 000 personnes (2,5 % de la population du Maroc en 2002), soit un peu moins de la moitié de la population de la province, le cultivent. Les plantations de cannabis rapportent sept ou huit fois plus que celles de céréales, comme l’orge, lorsque les terres ne sont pas irriguées (88 % des cas), et douze à seize fois plus lorsqu’elles le sont (12 % des cas). La récolte de cannabis a généré en 2003 un revenu global de 214 millions dollars, soit, par famille, un revenu annuel moyen d’environ 2 200 dollars. Si l’on prend en compte les autres sources de revenu des cultivateurs de cannabis, cela équivaut en moyenne à 51 % du revenu annuel total des cultivateurs de cannabis (4 351 dollars), chiffre comparable au revenu moyen des 1,5 million d’exploitants agricoles du Maroc qui, eux, ne cultivent pas le cannabis. Ces chiffres montrent clairement que le Rif est une des régions les plus pauvres du pays et que seule la culture du cannabis y assure aux paysans un revenu équivalent à celui de la moyenne des cultivateurs du pays.
14On doit donc se demander pourquoi les autorités ont soudainement accepté, en 2003, de signer avec les Nations unies un accord portant sur l’évaluation des cultures de cannabis. D’une part, cette initiative se situe dans le contexte des mesures prises par le nouveau roi pour lutter contre la corruption et imposer davantage de transparence dans la gestion des affaires publiques. D’autre part, elle vise à attirer les fonds de la communauté internationale pour le développement de la région. La culture intensive du cannabis a en effet des conséquences sur l’environnement qui peuvent, à moyen terme, se révéler désastreuses et obliger une grande partie de la population à partir, sans que les zones urbaines puissent absorber cette migration intérieure.
15Sur le plan économique également, la culture du cannabis a des effets pervers : les paysans ont tendance à abandonner les cultures vivrières pour s’approvisionner sur les marchés en lait, légumes, oeufs, huile, etc., dont les prix ne cessent de monter, et donc à s’endetter saisonnièrement auprès des commerçants. On peut observer dans de nombreuses régions du Rif le cycle suivant : à la fin du mois d’août et au mois de septembre, lorsque la récolte est rentrée et vendue, l’atmosphère est à la fête et à la consommation. C’est notamment l’époque où l’on célèbre les mariages. Durant les quelques mois qui suivent, l’économie familiale est équilibrée, puis, au début de l’année suivante, s’ouvre une période de disette et d’endettement qui atteint son paroxysme en juillet, peu avant la récolte du cannabis.
16Au début des années 1980, on a commencé à former les habitants des régions du Rif. Alors que l’analphabétisme y est plus élevé que dans le reste du Maroc (touchant, en 2001, 75 % des hommes et 95 % des femmes pour les provinces de Chefchaouen et d’Al Hoceima), l’arrivée soudaine de l’argent du cannabis a fait fléchir les motivations en matière d’éducation des enfants. Le taux de scolarisation n’atteignait pas, en 2001, 50 % des enfants dans la région, la seule au Maroc où l’on observe une progression de l’analphabétisme. Il est vrai que les jeunes sont en général occupés à commercialiser le produit que leurs parents cultivent et qu’ils n’acquièrent donc pas le savoir-faire agricole traditionnel. Parmi eux, on observe une consommation de plus en plus importante de boissons alcoolisées mais aussi de drogues, notamment de la cocaïne fumée sous forme de base dans des boîtes de coca-cola et même de l’opium produit localement sur de petites superficies plantées de pavot [14]. L’économie du cannabis exacerbe également les conflits familiaux et contribue à multiplier les litiges fonciers. La population se montrant par ailleurs très réticente à l’égard des projets de développement, les ONG s’investissent dans d’autres régions du pays. D’une façon générale, l’argent n’est pas destiné à améliorer la situation familiale mais le plus souvent consacré à des dépenses dites « somptuaires » : beaucoup de Rifains possèdent dans les villes de Tétouan et de Tanger des appartements dans lesquels ils ne font qu’un court séjour, deux ou trois fois par an, pour marquer le signe d’un statut.
17Enfin, une conséquence sociale de cette économie est que les notables, traditionnellement investis de l’autorité villageoise ou tribale, ont dû céder la place à une nouvelle classe émergente de privilégiés, les trafiquants de drogue, qui possèdent le pouvoir économique : ce sont eux qui avancent de l’argent aux cultivateurs, possèdent des automobiles, achètent des terres, sont propriétaires de biens et d’appartements [15]…Un important producteur de cannabis de Ketama a même créé une ONG se proposant de développer (chez les autres, bien entendu) des cultures alternatives au cannabis et reçoit pour cela des subsides du gouvernement.
Argent de la drogue, grands trafics et corruption
18Dans le rapport de l’ODC, on peut lire qu’en 2002 environ 735 tonnes de résine de cannabis ont été saisies en Europe occidentale [16] (dont 564 en Espagne) et 66 tonnes au Maroc, soit un total de 801 tonnes. Si l’on déduit ces saisies du chiffre potentiel de la production de haschisch marocain, il reste environ 2 300 tonnes pour la consommation en Europe. Ce rapport met donc implicitement en opposition les 214 millions de dollars qui reviennent aux paysans marocains aux 12 milliards de dollars qui seraient engrangés par des trafiquants dont on insinue qu’ils sont européens. C’est probablement en exigeant cette présentation des faits, dans laquelle les Marocains apparaissent sinon comme des victimes, du moins comme les parents pauvres du trafic de haschisch, que les autorités du pays ont accepté de voir dévoiler l’ampleur des cultures sur leur territoire.
19En réalité, ce calcul « oublie » toutes les phases intermédiaires du trafic de gros, demi-gros, etc., dont les profits doivent être pris en compte, comme ceux des paysans et des petits dealers aux deux bouts de la chaîne. Ces bénéfices accumulés par les grands trafiquants représentent plusieurs milliards de dollars supplémentaires. Les Marocains ont le monopole de la vente de gros du haschisch à partir de leur pays ; ils ont ensuite une participation dans le commerce en Europe ; enfin, ils prennent une large part au commerce de détail dans les différents pays d’Europe. Or, ces deux dernières catégories de trafiquants rapatrient une partie de leurs profits au Maroc, où les contrôles sur le blanchiment de l’argent sont quasiment inexistants, même après la mobilisation de la communauté internationale autour de ce thème après le 11 septembre et bien que le Maroc ait été à son tour victime d’attentats. Plusieurs affaires, particulièrement en Belgique, ont mis au jour ces mécanismes. Ainsi, la banque Chaabi du Maroc a-t-elle été mise à l’amende, en juillet 1996, pour avoir fait transiter des centaines de millions de francs belges provenant de la vente de haschisch aux Pays-Bas par sa succursale anversoise [17] ; les sommes étaient ensuite ventilées sur différents comptes, dont ceux de clients utilisés à leur insu, de façon à ce que chaque fois la somme reste inférieure à 10 000 écus, montant au-dessus duquel une déclaration doit être remplie. L’auteur de ces opérations de blanchiment est un grand trafiquant tangérois, Abdesselam Echeeri. Ce propriétaire de nombreux immeubles, terrains, restaurants et clubs de la région est notamment impliqué dans l’affaire du Volga, un yacht à l’équipage composé de marins russes et ukrainiens sur lequel a été saisie par les autorités espagnoles, en 1995, la quantité phénoménale de 36 tonnes de haschisch. Arrêté au Maroc pour cette affaire, il bénéficiera d’une mise en liberté provisoire, achetée au prix fort auprès d’un juge. Arrêté à nouveau en Belgique, il sera extradé vers son pays. Pascual Moreno estime que, en 1997, 2 milliards de dollars provenant de la production et du commerce du haschisch ont été générés ou rapatriés au Maroc [18]. La même année, le tourisme a rapporté 1 260 millions de dollars, les investissements étrangers 460 millions et les exportations de textiles 750 millions.
20Les profits générés par la production, et surtout le trafic de gros de haschisch, sont d’une ampleur financière telle qu’ils permettent de nourrir la corruption. Il est évident que dans un pays aussi policier que le Maroc de Hassan II, plusieurs milliers de tonnes de haschisch n’ont pu être exportées chaque année sans des complicités très étendues. Selon des témoignages recueillis à Tanger par les auteurs, les trafiquants utilisent d’énormes limousines pour acheminer le haschisch du Rif jusqu’à la côte : les policiers s’imaginent ainsi que leurs propriétaires ne peuvent être que des gens influents qu’ils seraient dangereux de contrôler. Toujours selon les mêmes sources, les réseaux se sont considérablement structurés et complexifiés au fil des années.
21La même sophistication est observable au niveau des trafics maritimes. On peut citer le cas d’une organisation qui possède un chantier de fabrication de voiliers de plaisance destinés à transporter la drogue sous l’alibi « d’essayer » les bateaux en Méditerranée pour les revendre ensuite légalement. Les exportateurs ont également recours à de grands canots pneumatiques de type Zodiac, équipés d’un ou plusieurs moteurs de 500 CV [19], capables de transporter 1 500 kilos de haschisch par voyage (la destination la plus fréquente étant la région de Malaga en Espagne). Dans les années 2000, les plus importantes zones d’exportation en Méditerranée sont les ports de Oued Lalou, Martil et Bou Ahmed. Les commanditaires sont des trafiquants qui vivent à Tanger, Rabat et sur la Costa del Sol espagnole. Il existe deux modalités du trafic : certains bateaux vont directement en Espagne, d’autres transbordent au large la marchandise sur des embarcations de pêche ou des yachts. Les trafiquants, pour se livrer en toute tranquillité à leur négoce, doivent s’assurer la complicité de la confrérie des pêcheurs du cru ainsi que, selon les cas, de la gendarmerie, de l’armée, des douanes et de la marine. À l’arrivée en Espagne, des agents des douanes et des policiers sont également achetés. Un trafiquant marocain nous a même déclaré que, en cas de conflit avec son acheteur espagnol, rapatrier la marchandise au Maroc en attendant une prochaine tentative ne lui posait aucun problème : cela en dit long sur l’impunité qui règne des deux côtés de la Méditerranée. Les trafiquants utilisent aussi des hélicoptères (dont un s’est écrasé dans le Rif) et, selon l’attaché de police de l’ambassade de France, des avionnettes. Une partie du haschisch est également expédiée en camion vers le Sud, dans des ports comme Agadir, Essaouira, Casablanca, et même jusqu’au Sénégal (6 tonnes de haschisch marocain ont été saisies en 2000 dans le port de Dakar) et en Côte d’Ivoire, d’où elle est embarquée sur des bateaux à destination des Pays-Bas, de la Belgique ou de l’Allemagne.
La cocaïne emprunte les filières du haschisch
22Le trafic de cocaïne utilise des filières qui doivent beaucoup aux groupes de contrebandiers galiciens. Leurs réseaux, traditionnellement impliqués dans l’importation de cigarettes, puis de haschisch, se sont illustrés dans le transbordement au large de cargaisons de cocaïne chargées dans les Antilles sur des bateaux de pêche ou des porte-conteneurs. La vigilance accrue des autorités espagnoles a poussé les Galiciens à faire transiter la cocaïne par le Maroc, réduisant le plus souvent les Marocains au simple rôle de prestataires de services. La drogue est transbordée sur les bateaux des trafiquants marocains au large des îles Canaries ou du Cap-Vert, centres de ravitaillement traditionnels pour les flottilles de pêche de l’Atlantique. Le débarquement a lieu sur les côtes portugaises ou andalouses, suivant les routes habituelles du haschisch. Plus sophistiquée est la pratique qui consiste à décharger la drogue au Maroc, dans un port quelconque de la côte atlantique, puis à la dissimuler dans un transport routier international (TIR) empruntant un ferry à destination du Portugal ou de la Galice. En outre, selon les autorités marocaines, tout bon trafiquant galicien se doit de disposer d’un correspondant dans un port marocain. Agadir, El-Jadida ou Casablanca abritent en permanence leurs bateaux, hors de portée des autorités espagnoles.
23La seule affaire très importante révélée à ce jour est le résultat du hasard et non de l’efficacité des services de répression marocains. Six tonnes de cocaïne pure enveloppées dans des sacs étanches ont été rejetées par la mer entre le 23 et le 30 juin 1997. La drogue, transbordée au large de Las Palmas (îles Canaries) à partir d’un navire colombien non identifié, avait été larguée au large d’El-Jadida et de Casablanca par l’équipage d’un bateau qui n’avait pu atteindre les côtes espagnoles ou portugaises, sa destination finale, en raison d’une panne de moteur. Les commanditaires étaient des Espagnols, dont l’un sera arrêté en Galice.
24Ce type de réseau, en dépit de la campagne d’assainissement lancée par les autorités en 1996, continue de bénéficier de protections politiques. Une affaire datant de la fin de l’année 2000 tend à le confirmer. Trois journaux marocains ont été définitivement interdits pour avoir publié une lettre accusant le parti (FSP) du Premier ministre Youssoufi d’avoir trempé en 1972 dans une tentative d’assassinat contre Hassan II. Parmi ces trois publications, l’hebdomadaire Demain s’est contenté de publier un commentaire de la lettre sans la reproduire. Le Courrier international [20] a publié un article inédit du directeur de Demain, selon lequel la raison de l’interdiction du journal pourrait avoir été en réalité « les informations sur le trafic de drogue que distillait le magazine depuis quelques semaines ». Pour l’auteur de l’article, Ali Lamrabet [21], ancien directeur de Demain, tout aurait commencé avec l’arrestation en Espagne, le 4 octobre 2000, d’un important trafiquant marocain, Rachid Wahid Temsamani, pour une affaire portant sur 15 kilos de cocaïne, 24 tonnes de dérivés de cannabis, de l’ecstasy et une très grosse somme d’argent. Parmi les membres du réseau ont également été arrêtés des Italiens, des Britanniques et des Néerlandais. Temsamani, un notable de Tétouan, richissime homme d’affaires, président du club de football local, avait réussi à fuir le pays en 1996, au moment de la campagne d’assainissement (voir infra). Le capo arrêté est un proche de Haj Mediouri, chef de la Sécurité royale d’Hassan II et président de la Fédération royale marocaine d’athlétisme. C’est lui qui a fait nommer Temsamani président de la Ligue du Nord d’athlétisme et l’a fait décorer quelques mois avant sa fuite. Toujours selon l’article, Temsamani, dénoncé aux services secrets espagnols (Cesid) par un ancien trafiquant de la ville de Larache, aurait passé un accord avec la police ibérique : en échange de sa tranquillité, il fournirait une foule de renseignements sur les réseaux opérant entre le Maroc et l’Espagne. Ses révélations sont à l’origine d’un rapport très détaillé du Cesid sur les complicités « haut placées » des capos marocains qui fut distillé à la presse. « La source de Larache » explique également comment les hommes condamnés par la justice pouvaient se faire absoudre par un juge de Tétouan. À l’appui de ses dires, il cite le cas de Nordine Benazzouz, alias El Hayyati, condamné à dix ans de prison qui, bien que déjà condamné à la même peine en 1996 et en fuite à Ceuta, a pu regagner son pays sans passer par la police des frontières et se faire absoudre quelques jours plus tard. D’autres « personnalités », dont les noms ont été livrés par les articles de Demain, utiliseront la même filière. « La découverte de cette filière – qui vaudra au directeur de Demain des menaces de mort de la part d’El Hayyati – ainsi que la publication de quelques informations démontrant, par exemple, comment il est possible d’effectuer le chargement et le convoyage de la drogue des montagnes du Rif jusqu’au dépôt où elle embarque pour l’Espagne, près de la côte, firent l’effet d’une bombe dans les milieux policiers et judiciaires de la ville [Tétouan]… Demain révéla que la voiture qui escortait la drogue du pont de l’entrée de Tétouan jusqu’à un dépôt était une Mitsubishi de la police [22]. »
Les rideaux de fumée des campagnes antidrogue
25Pour donner le change, Hassan II a lancé à deux reprises des offensives contre la drogue qui se sont révélées autant de rideaux de fumée. Lors des élections communales d’octobre 1992, de nombreux trafiquants se sont portés candidats dans la région du Nord afin d’avoir une couverture légale pour mener à bien leurs activités. Plusieurs d’entre eux étant susceptibles d’accéder au Parlement, dont un tiers des votants sont désignés par de grands électeurs issus des scrutins locaux, des membres de la bourgeoisie traditionnelle de Fez et de Casablanca, inquiets de cette concurrence, ont alors exercé des pressions sur le roi pour qu’il intervienne.
26À l’automne 1992, Hassan II déclarait la « guerre aux trafiquants », envoyant 5 000 soldats le long du littoral des provinces du Nord, limogeant de nombreux fonctionnaires (des gouverneurs de province aux commissaires de police) et, surtout, rayant des listes électorales 400 narco-candidats. À la fin du premier semestre 1993, plusieurs milliers d’hectares de cannabis ont été éradiqués et 30 tonnes de haschisch saisies. Mais, à l’été 1993, la campagne s’est relâchée et de nombreux témoignages montrent qu’elle s’est surtout attaquée à de petits trafiquants et non aux commanditaires, véritables barons de la drogue, et à leurs protecteurs au niveau des autorités politiques, souvent des proches du Palais [23].
27Dans un tel contexte, il est difficile aux policiers honnêtes de faire leur travail. Aussi, dès 1994, on observait le retour, sur la scène politique tangéroise, de personnalités interdites de campagne électorale l’année précédente ou mises en cause par le pouvoir [24]. C’est alors que la publication fortuite d’un rapport confidentiel de l’OGD va provoquer un scandale, obligeant le pouvoir marocain à une seconde « campagne d’assainissement ».
Des fuites comme instruments de négociation…
28En 1993, l’unité drogue de la Commission européenne commande à l’OGD un rapport sur la situation des drogues au Maroc [25]. Deux journalistes d’investigations appartenant à l’OGD découvrent notamment que les autorités marocaines, qui prétendent n’avoir que peu d’informations sur une région qu’elles présentent comme quasiment incontrôlée, font dresser chaque année par une équipe du ministère de l’Agriculture le cadastre des productions de cannabis dans le Rif. Cette découverte est à mettre en relation avec le fait que, en 2000, 10 000 hectares ont été éradiqués dans les périmètres irrigués des riches régions de plaine situées au sud du Rif où elles se sont entre-temps étendues. Il semble donc que c’est l’État qui fixe la limite géographique à ne pas franchir. La tolérance à l’égard des cultures illicites ne vaut que pour apporter une sorte de compensation au sous-développement dans lequel sont maintenues les populations berbères du Rif et à la politique discriminatoire du pouvoir central à leur égard.
29Ce rapport, censé rester confidentiel, est l’objet de fuites à Bruxelles et la presse, notamment Le Monde, en France, s’en fait l’écho. Le roi Hassan II agite alors la menace, non suivie d’effets, d’en faire juger les auteurs. En revanche, par une lettre du 23 novembre 1995, il adresse au ministère des Affaires étrangères français une demande de poursuite contre le directeur du journal Le Monde et contre l’auteur de l’article pour « offense proférée à l’encontre d’un chef d’État étranger ». En première instance, le tribunal correctionnel de Paris, considérant que le journaliste s’est borné à citer un rapport « dont le sérieux n’est pas contesté » et a agi de bonne foi, ordonne la relaxe. Jugement qui sera infirmé par la Cour d’appel et la Cour de cassation [26].
30Au Maroc, dès la fin de l’année 1994, la Commission nationale des stupéfiants, après avoir démenti le contenu du rapport, publie un Livre blanc pour y répondre. Petit à petit, cependant, la presse et même des personnages officiels concèdent qu’il y a « du vrai » dans ce document, même s’il contient aussi « beaucoup d’exagérations ». Profitant de nouvelles dispositions constitutionnelles, l’opposition obtient en février 1996 que la première Commission parlementaire d’enquête de l’histoire du pays soit consacrée à cette question. Elle estime dans son rapport final que les cultures de cannabis couvrent 70 000 hectares, pour une production de 1 500 tonnes de haschisch, et reprend de façon plus retenue la plupart des arguments, sauf en ce qui concerne la corruption. Quant à l’Union européenne, tirant argument du manque de preuve de bonne volonté des autorités en matière de lutte contre la production et le trafic, elle gèle tout investissement dans ce domaine. Les accusations de « laxisme » à l’égard du pouvoir marocain publiées dans la presse internationale sont d’autant plus mal venues que s’achèvent alors les délicates négociations de l’accord de libre échange (ALE) avec l’Union européenne signé le 11 novembre 1995 [27].
31Ce contexte explique sans doute la nouvelle « campagne d’assainissement » lancée en janvier 1996, menée cette fois par l’Unité de coordination de la lutte antidrogue (Uclad) sous l’autorité du ministère de l’Intérieur. Elle aboutira à l’arrestation et au jugement de nombreux barons de la drogue [28] comme Abelaziz El Yakhloufi. Les autres barons arrêtés sont Mohamed Derkaoui, Mohamed Hattachi et, surtout, Ahmed Bounekkoub, alias M’midou Dib « Le Loup », qui a expédié plus de 600 tonnes de haschisch en Europe depuis le début des années 1960. Mais, dans ce cas également, les réseaux identifiés et démantelés sont les plus voyants, ceux basés au nord du pays, dirigés par des contrebandiers qui doivent beaucoup de leur pouvoir aux protections multiples dont ils ont bénéficié de la part de membres influents des partis officiels, le Mouvement national populaire (MNP) et le Rassemblement national des indépendants RNI. Faut-il s’étonner qu’aucun des procès de 1996 ne se soit appesanti sur les relations que les trafiquants entretiennent avec la bonne société ? Ainsi l’arrestation de Salah Ahmout n’aura-t-elle guère nui à la carrière de son gendre, puissant industriel, député de l’Union socialiste des forces populaires (USFP-opposition) et président de la chambre de commerce de Tanger.
32Les contradictions apparentes de la politique de Hassan II dans le domaine des drogues ont différentes motivations. Le fait que de nombreuses personnes mises en cause appartiennent à des autorités locales ou à des partis politiques représentant le Palais suggère que ce dernier, pour payer leur allégeance tout en les « tenant » par le chantage, leur laisse des franchises pour trafiquer. Cependant, une « guerre » sélective permet de neutraliser certains réseaux qui, en se multipliant, ont donné au trafic une visibilité nuisant à l’image de marque du royaume, malgré le peu d’exigence de la communauté internationale dans ce domaine. La démagogie des autorités marocaines est évidente lorsqu’elles emploient, au début des années 1990, l’expression de « risque de colombianisation du pays », car à aucun moment les organisations criminelles n’échappent à la tutelle de l’État et de ses représentants. D’autre part, le pouvoir ne peut se permettre de tarir une source de revenus qui tient une place si importante dans l’économie nationale. Enfin, la militarisation du Nord, dans la double perspective de la lutte contre la drogue et de la prévention de la contagion islamique venue d’Algérie, est l’occasion de détourner les militaires de la capitale et de la tentation de menacer le pouvoir.
La drogue absente des relations officielles franco-marocaines
33Depuis l’accession au pouvoir d’Hassan II en 1961, c’est peu dire que la France entretient des liens privilégiés avec le Maroc. Pourtant, au fil des années, les motifs de refroidissement n’ont pas manqué : l’enlèvement et l’assassinat sur le territoire français du leader syndical marocain Mehdi Ben Barka; le soutien de personnalités comme Danièle Mitterrand à la cause sarahoui ; les disparitions de citoyens et la généralisation de la torture dans le pays ; l’affaire du bagne mouroir de Tazmamart et des trois frères Bourrequat, de nationalité française, qui y étaient détenus (1973-1991) [29] ; et, bien sûr, le fait que le Maroc, depuis la fin des années 1980, détient le monopole de l’approvisionnement en haschisch de la France avec la complicité des autorités nationales. Sans revenir sur l’histoire de ces relations qui ont déjà fait l’objet de plusieurs ouvrages [30], rappelons que Jacques Chirac a réservé au Maroc d’Hassan II son premier voyage officiel en juillet 1995. En avril 1997, Pierre Mauroy a été reçu par le roi en tant que président de l’Internationale socialiste et la visite au Maroc de Lionel Jospin, accompagné de cinq ministres, en décembre 1997, a revêtu un éclat tout particulier. En retour, lors de ses deux dernières visites en France, Hassan II a bénéficié du privilège rare de s’adresser à l’Assemblée nationale en 1996 et, en 1999, d’être l’invité d’honneur du défilé du 14 Juillet. De même, une des premières visites à l’étranger du nouveau roi Mohammed VI sera pour la France (du 19 au 22 mars 2000). Comme le remarque un spécialiste du Maroc : « Si possible, bien avant l’élection les futurs responsables français sont invités au Maroc et font l’objet d’une campagne de charme selon les pratiques habituelles du clientélisme méditerranéen. Aussitôt élus, ils deviennent, et cela quelle que soit leur couleur politique, “le copain” personnel du chef de l’État marocain [31]. »
34Le « clientélisme » s’applique d’abord à des relations illicites entre les deux parties. Les rumeurs persistantes selon lesquelles Hassan II a financé les campagnes de certains hommes politiques n’ont cependant jamais été assorties de preuves. De même, d’autres affaires sur les liens troubles qui auraient pu exister entre des hommes politiques français et le roi n’ont jamais été éclaircies. Le fait que la France soit le premier partenaire économique du Maroc et qu’elle compte près de 600 000 ressortissants marocains expliquent pour une part ces liens privilégiés. Ensuite, Hassan II, auquel il ne faut pas nier un sens aigu de la politique internationale, a joué un rôle important dans les négociations au Moyen-Orient en faisant notamment du Maroc le deuxième pays arabe, après l’Égypte, à reconnaître Israël. Autre contribution aux efforts des pays occidentaux, dans les années 1970 les troupes marocaines sont intervenues à deux reprises au Zaïre pour sauver Mobutu. Enfin, le Maroc a été considéré par la France comme un rempart contre la montée des islamistes, particulièrement depuis que ces derniers se sont révélés une menace en Algérie. C’est sans doute la raison pour laquelle non seulement les partis politiques français de tous bords, mais également l’ensemble des pays occidentaux et les autorités de l’Union européenne n’ont pas souhaité déstabiliser le régime marocain en soulevant le thème de ses responsabilités dans le trafic de drogue.
35La première conséquence de cette attitude est que, lors des visites officielles du roi du Maroc en France, et bien sûr de responsables français au Maroc, le thème du haschisch n’a jamais été à l’ordre du jour. De nombreux policiers avec lesquels nous nous sommes entretenus se sont plaints des interdictions officielles mises à leur tentative de remonter les filières des drogues jusqu’au Maroc. La presse reflète également la volonté officielle de ne pas mettre en avant le rôle de ce pays : lorsqu’il est rendu compte de saisies, ou même dans des articles d’investigation, il n’est fait mention que de l’Espagne comme pays d’origine du haschisch. Au cours d’un colloque intitulé « Les médias face à la drogue [32] », des journalistes interrogés à ce sujet, notamment un représentant de l’AFP, ont fait remarquer que les sources policières à l’origine d’informations sur le haschisch évitaient de mentionner le Maroc ; le journaliste savait que du haschisch pouvait parvenir en Espagne, même à titre exceptionnel, de la Turquie et du Pakistan via la Méditerranée, mais ne s’autorisait pas à mentionner le Maroc, de peur d’être ensuite démenti. Ce à quoi celui qui était alors le directeur de l’Office centrale de répression du trafic international de stupéfiants (Ocrtis), Gilles Leclair, a répondu : « La culture se fait au Maroc mais le haschisch peut être stocké pendant six mois dans un entrepôt en Espagne. À ce moment là effectivement on vous dit que cela vient d’Espagne. » Il ajoutera cependant un peu plus tard : « Écoutez, si j’ai à communiquer là-dessus, je ne me gênerai pas. Je ne pense pas que cela puisse poser un problème diplomatique ou politique… », affirmation immédiatement nuancée : « De toute façon, lorsque nous avons affaire à des hommes politiques ou à des personnalités proches d’un pouvoir quel qu’il soit, il y a toujours des pressions. C’est dans la nature même du fonctionnement des États. C’est un peu logique… »
La balle dans le camp français et européen
36La décision prise par le gouvernement marocain d’accepter une évaluation de ses superficies de cannabis, qui se révèleront d’une ampleur considérable, n’a provoqué aucune réaction officielle ni des gouvernements européens ni de l’Union européenne. Ce silence est probablement dû au fait que l’éradication du cannabis dans le Rif impliquerait un investissement financier considérable (de l’ordre de plusieurs milliards de dollars, renouvelable pendant plusieurs années), dans la mesure où il faudrait fournir un moyen de subsistance alternatif aux populations. Même dans ces conditions, il est probable qu’une partie des habitants du Rif soit contrainte de quitter cette région surpeuplée et, dans ce cas, la crainte des pays européens est grande de les voir venir grossir le flux des émigrés qui tentent de gagner l’Europe, particulièrement l’Espagne et la France.
37L’Europe peut également exprimer son scepticisme quant à la volonté politique du nouveau roi de lutter contre la production et le trafic de drogue. Lors de sa visite dans le Rif, à la fin de l’année 1999, Mohammed VI s’est contenté de louer « l’esprit d’entreprise » de ses habitants et, depuis, n’a jamais fait allusion au problème. Cependant, à l’été 2003, il a commencé à donner des premiers gages de son engagement : à la suite d’une fusillade entre trafiquants survenue dans la nuit du 3 août, un baron de la drogue de la région du Nord, l’ancien préfet de police de Tétouan, un contrôleur général de la Sûreté nationale, deux commissaires principaux, quatre officiers de police, un capitaine et un commandant de l’armée, un adjudant et deux sergents de la gendarmerie, un agent technique des douanes et cinq magistrats (trois juges et deux procureurs) ont été arrêtés et inculpés. Le ministre de la Justice, Mohammed Bouzoubâa, contrairement à ses prédécesseurs dans de semblables circonstances, a largement tenu la population informée et, fin janvier 2004, un tribunal ordinaire a commencé à juger les trafiquants. Quant aux fonctionnaires, ils ont été renvoyés devant une cour spéciale de justice sur laquelle le gouvernement a la haute main. Ces mesures sont également un moyen de contrecarrer la propagande des islamistes contre la corruption des classes dirigeantes. Cependant, la presse marocaine, en rappelant les précédents de 1993 et 1996 (les barons condamnés en ces circonstances, comme Temsamani et Arbiti, ont été depuis relâchés et ont repris leurs activités), est dans l’expectative [33]. Il ne fait aucun doute que les encouragements d’un gouvernement français qui cesserait de se voiler la face, assortis du financement de politiques alternatives, ne pourraient qu’encourager le gouvernement marocain à persévérer dans cette voie
Notes
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[1]
Nations unies, Office contre la drogue et le crime (ODC)/Royaume du Maroc, Maroc. Enquête sur le cannabis 2003, décembre 2003.
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[2]
Selon Interpol, en 1999, la somme des saisies au Maroc (55 tonnes), en France (64 tonnes) et en Espagne (431 tonnes) représentaient 550 tonnes, alors que toutes les saisies dans le monde en provenance du Pakistan et de l’Afghanistan, autres grands pays producteurs, n’atteignaient que 82 tonnes.
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[3]
Cette théorie de l’escalade n’est pas partagée par tous les experts, car une grande partie des consommateurs de drogues dites « dures » commence d’abord par abuser de drogues légales, alcool et tabac, et non de cannabis.
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[4]
Le kif désigne à la fois la plante entière et le produit dérivé, obtenu après tamisage de la résine et destiné à être consommé.
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[5]
Observatoire géopolitique des drogues (OGD), Rapport d’enquête sur les enjeux politiques, économiques et sociaux de la production et du trafic des drogues au Maroc, réalisé à la demande de l’Unité drogues du secrétariat général de la Commission des Communautés européennes, mars 1994, pp. 2-3.
-
[6]
F. Caballero, Droit de la drogue, Paris, Dalloz, 1989, pp. 682-683.
-
[7]
Pour une description très imagée de ce phénomène, voir P. Moreno, Estudio del cultivo de cannabis sativa en el Rif marroqui : sus consecuencias socioéconomicas para la región, Université polytechnique, Valencia, décembre 1997, pp. 144-145. Cette thèse constitue le travail le plus approfondi sur la production et le commerce des dérivés du cannabis au Maroc.
-
[8]
P. Moreno, Estudio del cultivo de cannabis…, op. cit., p. 132.
-
[9]
Ibid., p. 133.
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[10]
Nations unies, Office contre la drogue et le crime (ODC)/Royaume du Maroc, Maroc. Enquête sur le cannabis 2003, op. cit. Les développements qui suivent sont empruntés à ce rapport.
-
[11]
Dans les années 1980, des agronomes travaillant dans la région du Rif estimaient que les cultures s’étendaient sur quelque 30 000 hectares, aussi ce fut une surprise lorsqu’en 1992 le roi Hassan II, demandant l’aide de la communauté internationale pour remplacer le cannabis, avança le chiffre de 50 000 hectares. Les informations recueillies off the record par l’OGD en 2001 auprès d’agronomes de la Direction provinciale de l’agriculture faisaient, quant à elles, état de 100 000 à 120 000 hectares.
-
[12]
Elle n’est que légèrement dépassée par les superficies de coca en Colombie en 2001, en diminution dès l’année suivante ; au Pérou, les cultures de cette plante étaient estimées à 120 000 hectares au début des années 1990. Quant aux cultures de pavot de Birmanie et d’Afghanistan, elles n’ont jamais atteint 100 000 hectares.
-
[13]
Notamment devant la Commission des stupéfiants des Nations unies qui se réunit à Vienne chaque année au printemps. L’ancien Premier ministre socialiste, Abderrahmane Youssoufi, n’a pas craint d’affirmer au cours de la session spéciale des Nations unies consacrée aux drogues (UNGASS), en juin 1998, que le problème des drogues au Maroc « était surtout celui du transit de substances illicites ».
-
[14]
A. Labrousse et L. Romero, Enquête sur la situation du cannabis dans le Rif marocain, juin-août 2001, Saint-Denis-la-Plaine, OFDT, 2002.
-
[15]
OGD, Rapport sur les enjeux politiques…, op. cit., p. 27.
-
[16]
Il n’est pas exclu que dans ces saisies figurent de la drogue produite en Afghanistan, au Pakistan ou au Népal, mais seulement à titre anecdotique. Quant à la production libanaise, elle a pratiquement disparu du marché depuis le début des années 1990.
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[17]
OGD, La Géopolitique mondiale des drogues 1995/1996. Rapport annuel, septembre 1997, p. 99. Consulter le site www.ogd.org.
-
[18]
OGD, La Géopolitique mondiale des drogues 1995/1996…, op. cit.. Selon le même auteur, la part des grands trafiquants étrangers s’élèverait à 3 milliards de dollars.
-
[19]
Le roman de l’écrivain espagnol Arturo Pérez-Reverte, La Reine du Sud, Paris, Le Seuil, 2003, offre une description spectaculaire, mais fidèle de ce type de trafic.
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[20]
Le Courrier international, n° 528, 14-20 décembre 2000.
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[21]
Incarcéré pour « outrage au roi », il a été gracié au début du mois de janvier 2004.
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[22]
Le Courrier international, art. cit.
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[23]
OGD, État des drogues, drogues des États, Paris, Hachette/Pluriel, 1994, pp. 40-41.
-
[24]
OGD, Géopolitique des drogues 1995, Paris, La Découverte, 1995, pp. 114-115.
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[25]
OGD, Rapport d’enquête sur les enjeux politiques…, op. cit.
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[26]
Le directeur de publication et le journaliste furent condamnés chacun à une amende de 5 000 francs, ainsi qu’à verser au roi Hassan II 1 franc à titre de dommage et intérêts et 10 000 francs par application de l’article 475-1 du code de procédure pénale, la Cour ordonnant la publication dans Le Monde d’un communiqué faisant état de la condamnation. L’affaire du rapport de l’OGD a connu un rebondissement inattendu : le 25 août 2002, la Cour européenne des droits de l’homme condamnait la France pour violation de l’article 10 portant sur la liberté de la presse, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (voir « Affaire Colombani et autres [requête n° 51279/99] »).. Dans ses attendus, elle fait valoir que « l’article 36 de la loi du 29 juillet 1881 portant sur le délit d’offense tend à conférer aux chefs d’État un statut exorbitant du droit commun, les soustrayant à la critique seulement en raison de leur fonction ou statut, sans aucune prise en compte de l’intérêt de la critique », et qu’il aurait suffi au roi Hassan II d’invoquer la simple diffamation pour défendre son honneur. Elle condamne donc l’État français. Cette décision a eu d’autant moins d’écho qu’un nouveau souverain était entre-temps monté sur le trône en 1999.
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[27]
Les négociateurs marocains ont prétendu que les fuites concernant le rapport de l’OGD avaient été volontairement organisées afin d’obtenir des concessions de leur part.
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[28]
Pour plus d’informations sur les trafiquants cités, voir OGD, La Géopolitique mondiale des drogues 1995/1996…, op. cit., septembre 1997, pp. 119-125.
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[29]
Si c’est une Française, Christine Daure-Jouven, épouse d’Abraham Sarfati, militant marocain exilé, qui lancera la campagne sur le bagne de Tazmamart, c’est sous pression américaine que les frères Bourequat seront libérés.
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[30]
G. Perrault, Notre ami le roi, Paris, Gallimard, 1996, et M. Souhaili, Le Roi et la rose, Hassan II et Mitterrand, des rapports équivoques, Paris, L’Harmattan, 1992.
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[31]
H. Durand, « La France a-t-elle une politique marocaine ? », Confluence méditerranéenne, n° 23, automne 1997.
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[32]
Fondation Charles-Léopold-Mayer pour le progrès de l’homme, « Les médias face à la drogue », Dossier pour un débat, n° 76, mars 1997, voir notamment pp. 22-23.
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[33]
A. El Azizi, « Les barons perdent le nord », Maroc-Hebdo, 25 janvier 2004, et A. R. Benchemsi, « Procès Erramach & Co. Quand l’État juge ses agents », Tel Quel, 25 février 2004.