Couverture de POEU_073

Article de revue

Le British Council et la coopération culturelle européenne :

une réputation à la hauteur des turbulences du Brexit

Pages 90 à 117

Notes

  • [1]
    Cette étude n’a pas couvert les années 2020 et 2021 et les conséquences de la crise sanitaire du COVID-19 sur l’institution.
  • [2]
    Registered charity : 209131 (Angleterre et Pays de Galle) SC037733 (Écosse). De plus, une Supplemental Charter a été accordée le 26 novembre 1993 au British Council, <https://www.britishcouncil.org/sites/default/files/royalcharter.pdf> [19/11/2018].
  • [3]
    “[...] public corporation and an executive non departmental public body” dans le texte original.
  • [4]
    First Report from the House of Commons Expenditure Committee, 1970-71, The British Council, Q. 2337 et <https://api.parliament.uk/historic-hansard/commons/1972/feb/09/british-council> [19/11/2018].
  • [5]
    HC Deb 09 February 1972 vol 830 cc1351-432, Mr. Lewis Carter-Jones, Député Labour d’Eccles : « Je dois dire d'emblée que la sous-commission était d'accord et unanime, sur le fait que le British Council faisait un travail de premier ordre pour la Grande-Bretagne, et nous avons senti que le Foreign Office mettait son nez là où il n'avait vraiment aucun souci. Je dis cela avec une réserve. C'est que le FCO doit décider si le British Council est complètement indépendant ou si le ministère doit intervenir. Mais il ne peut pas jouer sur les deux tableaux. »
  • [6]
    <https://www.gov.uk/government/publications/tailored-review-of-the-british-council-terms-of-reference/tailored-review-of-the-british-council-terms-of-reference> [19/11/2018].
  • [7]
    Entretien #1 avec une Policy and Parliamentary Affairs Adviser, le 03 avril 2019.
  • [8]
    <https://appg.britishcouncil.org/education-culture-inquiry> [04/09/2019].
  • [9]
    Entretien #1 avec une Policy and Parliamentary Affairs Adviser, le 03 avril 2019.
  • [10]
    Entretien #2 avec le directeur du British Council de Paris, le 03 avril 2019.
  • [11]
    <https://www.gov.uk/government/people/lindsay-croisdale-appleby#current-roles> [04/09/2019].
  • [12]
    <https://www.nao.org.uk/wp-content/uploads/2008/06/0708625.pdf>, p. 7 “The British Council has no direct international peers” [19/11/2018].
  • [13]
    <https://www.britishcouncil.org/sites/default/files/2017-18-annual-report.pdf>, p. 66 [19/11/2018].
  • [14]
    <https://www.britishcouncil.org/sites/default/files/annual-report-2012-13.pdf> [19/11/2018].
  • [15]
    « [...] entrepreneurial public service » dans le texte original p. 3.
  • [16]
    Ibid. p. 2 “We have recommitted to being an entrepreneurial public service which will grow faster and create more value for the UK and for everyone who uses our services. […] We will create more international opportunities for the UK and raise people’s awareness that those opportunities exist”.
  • [17]
    Ibid. p. 7.
  • [18]
    <https://www.britishcouncil.org/sites/default/files/annual-report-2015-2016.pdf> [19/11/2018].
  • [19]
    <http://www.assemblee-nationale.fr/13/cr-cedu/09-10/c0910025.asp> [18/11/2018].
  • [20]
    Entretien #3, Chargée de projets culturels au Goethe-Institut, le 11 janvier 2019.
  • [21]
    Typologie développée dans les différents rapports d'activités du British Council, <https://www.britishcouncil.org/sites/default/files/2017-18-annual-report.pdf> p. 42 [19/11/2018] <https://www.britishcouncil.org/sites/default/files/annual-report-2016-17.pdf> p. 38 [19/11/2018] <https://www.britishcouncil.org/sites/default/files/annual-report-2014-2015.pdf> p. 24. [19/11/2018].
  • [22]
    Entretien #2, directeur du British Council de Paris, le 03 avril 2019, traduit par les soins de l'auteure.
  • [23]
    « The British Council commissioned Ipsos MORI to conduct the first survey in May and June 2016, covering 18 to 34 year olds in all 19 nation states in the G20 – the UK’s closest economic and cultural competitors and partners – to examine levels of trust that existed between these countries, and their levels of attraction to each other. The sample was chosen because this age range will contain future leaders in politics, business, education and culture who will be the people the UK will need to engage over the next 20–30 years if it is to continue to develop its international partnerships. The survey was then repeated with fresh samples in the autumn of 2016, after the outcome of the EU referendum was known, to enable a comparison of perceptions. It also enabled additional questions to be asked about the impact of the referendum specifically and its effects on likely future engagement with the UK, whether positive or negative. […] The two studies together represent the British Council’s biggest effort to date to collect views of the UK among educated young people internationally. They build on earlier studies of how the UK is seen by people around the world undertaken in 2013–14 and 2010–11 » <https://www.britishcouncil.org/sites/default/files/from_the_outside_in.pdf> p. 4. [11/12/2018].
  • [24]
    <https://www.britishcouncil.org/sites/default/files/from_the_outside_in.pdf> p. 30. [11/12/2018].
  • [25]
    Ibid. p. 44.
  • [26]
    Entretien #2, directeur du British Council de Paris, le 03 avril 2019, traduit par les soins de l'auteure.
  • [27]
    <https://www.creativeindustriesfederation.com/sites/default/files/2017-05/Brexit%20Report%20web.pdf> [09/09/2020].
  • [28]
    Ibid. p. 51.
  • [29]
    <https://www.britishcouncil.org/sites/default/files/3418_bc_edinburgh_university_soft_power_report_03b.pdf>. Les auteurs sont le Professeur J.P. Singh, directeur de l'Institute for International Cultural Relations Stuart MacDonald et Dr. Byunghwan Son, George Mason University ainsi que les Graduate Assistants de l'University of Edinburgh [11/12/2018].
  • [30]
    <https://www.britishcouncil.org/sites/default/files/3418_bc_edinburgh_university_soft_power_report_03b.pdf> p 60 [11/12/2018].
  • [31]
    Ibid.
  • [32]
    <https://www.britishcouncil.org/sites/default/files/our_shared_european_future_-_communique_-_03_july_0.pdf> [19/04/2019].
  • [33]
    Entretien #2, directeur du British Council de Paris, le 03 avril 2019, traduit par les soins de l'auteure.
  • [34]
    Entretien #1, Policy and Parliamentary Affairs Adviser, le 03 avril 2019, traduit par les soins de l'auteure.
  • [35]
    Entretien #3, Chargée de projets culturels au Goethe-Institut, le 11 janvier 2019.
  • [36]
    Entretien #4, membre Pôle Europe, Département Développement et Partenariats, Institut français, le 25 octobre 2018.
  • [37]
    <https://www.britishcouncil.org/sites/default/files/our_shared_european_future_-_communique_-_03_july_0.pdf> [19/04/2019].
  • [38]
    Ibid.
  • [39]
    <https://www.britishcouncil.org/sites/default/files/moving-beyond-brexit-recommendations.pdf> [20/04/2019].
  • [40]
    <https://www.britishcouncil.org/sites/default/files/appendix_1_-_endorsements_of_our_shared_european_future__updated_29_may_2018.pdf> [19/04/2019].
  • [41]
    <https://www.britishcouncil.org/sites/default/files/2017-18-annual-report.pdf>, p. 27 [18/09/2020].
  • [42]
    La première mention se trouve dans l’introduction de ce rapport annuel de 2017-2018, « […] le gouvernement cherche à renforcer les connexions mondiales de la Grande-Bretagne alors que nous nous dirigeons vers le Brexit » Ibid. p. 2.
  • [43]
    Entretien #5 avec un chargé de mission de l'Institut Français, le 25 septembre 2018.
  • [44]
    <https://www.eunicglobal.eu/contacts> [06/05/2019].
  • [45]
    <https://eacea.ec.europa.eu/sites/eacea-site/files/cebooklet2016_web.pdf>, p. 35 [10/05/2019].
  • [46]
    <https://www.cultureinexternalrelations.eu/> [10/05/2019].
  • [47]
    <https://ec.europa.eu/info/departments/foreign-policy-instruments_en> [10/05/2019].
  • [48]
    <https://www.eunicglobal.eu/clusters#cluster-what-is> [06/05/2019].
  • [49]
    Entretien #2, directeur du British Council de Paris, le 03 avril 2019, traduit par les soins de l'auteure.

1

Introduction

2Avec le BBC World Service, le British Council est l’un des deux éléments centraux du soft power britannique. Il s’agit d’une agence chargée des échanges éducatifs et des relations culturelles au rayonnement international. Créé en 1934, le British Committee for Relations with Other Countries est devenu British Council deux ans plus tard. En raison de son histoire déjà longue et de sa relative autonomie, le British Council offre un cas intéressant d’analyse des stratégies déployées par une organisation dans la perspective d’un éventuel Brexit et de ses conséquences pour celle-ci.

3La question de la culture, et des institutions gravitant autour, a été peu discutée lors des négociations concernant le Brexit, car elle ne représente qu’une compétence subsidiaire de l’Union européenne (UE). Elle permet toutefois de s’intéresser au quotidien d’une institution britannique post-Brexit en prise avec les premières conséquences du retrait du Royaume-Uni de l’UE. Ce quotidien, incertain malgré l’absence de brusques changements organisationnels, remet en question la réputation du British Council et sa place à tenir au niveau européen. L’organisation, active et prolifique dans le domaine de la coopération culturelle européenne, a fait le choix d’anticiper les conséquences d’un possible Brexit pour maintenir des liens avec l’UE et ses homologues européens, et cela dès l'annonce du référendum. Concluant de nouveaux accords, rassurant ses partenaires - institutionnels et culturels - le British Council est devenu et devrait rester un acteur essentiel du paysage culturel européen et mondial. Or, ses activités ne dépendent pas seulement de considérations techniques ou scientifiques, mais intègrent également des considérations d’ordre social et réputationnel. Le Brexit peut-t-il, dès lors, représenter un « risque réputationnel » pour le British Council ?

4Cette tension conduit à utiliser le concept de réputation organisationnelle comme le fil d’une analyse visant à restituer la trajectoire du British Council dans le contexte de turbulence post-référendaire de 2016. L’étude réalisée par Daniel Carpenter sur la réputation a inspiré une grande partie des travaux de science politique traitant de ce sujet. Selon l’auteur, la réputation est « composée de croyances symboliques sur [cette] organisation - ses capacités, ses intentions, son histoire, sa mission - et ces images sont intégrées dans un réseau d’audiences multiples » (Carpenter, 2010, 33). Le concept central dans une perspective basée sur la réputation est ainsi celui d’audience. Comme toute organisation, le British Council dépend d’audiences acquises à sa cause et qui contribuent à sa continuité, validant par leur support matériel ou symbolique tout ou partie de ses activités. Par audience, Carpenter entend « tout individu ou collectif qui observe une organisation de régulation et peut la juger » (Carpenter, 2010, 33). Celles du British Council sont nombreuses, que ce soient son ministère de tutelle - le Foreign and Commonwealth Office (FCO)-, les parlementaires, le public britannique et étranger, les autres institutions culturelles ainsi que les réseaux européens ou mondiaux auxquels il appartient. C’est auprès de ces différentes audiences que sont étudiées les conséquences du Brexit sur la réputation organisationnelle du British Council.

5Cependant, ces dernières évoluent dans un contexte post-référendaire toujours incertain. Cette incertitude entourant le Brexit permet, selon Ansell, Trondal et Øgård, de le caractériser comme une turbulence, définie ainsi comme « l’interaction d’évènements et d’attentes perçus comme hautement variables, incohérents, inattendus et/ou imprévisibles » (Ansell, Trondal et Øgård, 2017, 8). Le Brexit envisagé ainsi comme une turbulence, et non comme crise avec des bornes chronologiques claires, permet de placer la focale sur la manière dont les acteurs l’appréhendent et l’expérimentent concrètement et quotidiennement. Dans ce contexte, les systèmes de croyances des différentes audiences sont bousculés. Cela a en effet entraîné une compétition entre différentes institutions agissant dans un même champ pour des ressources ou des clients, menaçant à la fois leur pouvoir et leur légitimité.

6Pour gagner cette légitimité, « les organisations inventent des mythes sur elles-mêmes, s’adonnent à des activités symboliques et créent des histoires » (Huault, 2009, 4) engageant non seulement la direction et le personnel, ici du British Council, mais également leurs différentes audiences. Les activités de l’organisation font sens pour eux et se justifient alors par elles-mêmes (Selznick, 1949). Le British Council est ainsi devenu institution selon et pour ses membres et ses audiences. De plus, les dirigeants de l’organisation ont dû composer avec les symboles, les rituels et la rhétorique associés à sa réputation organisationnelle, autant d’éléments clés de la « confiance cognitive » que peut inspirer le British Council. En effet, la réputation « reflète, encode et simplifie des histoires compliquées […] alimente et informe l'organisation qu'elle représente » (Carpenter, 2010, 16). Elle génère ainsi une forme de dépendance vis-à-vis de son histoire qui s'est peu à peu transformée en « mythe ». Ce « mythe », intériorisé par le personnel, est à la fois contrainte et ressource. Les employés du British Council tirent alors profit de la réputation de leur institution pour mettre en place une stratégie de « résilience dynamique » (Ansell, Trondal et Øgård, 2017, ch. 4, p. 83), stratégie hybride qui s'inscrit sur le long terme dans l’histoire de l’organisation et s’est avérée un élément fondamental pour anticiper le futur de la coopération culturelle européenne.

7Les activités et les stratégies du British Council, aussi sophistiquées soient-elles, ne viendront jamais complètement à bout de l’incertitude qui caractérise le Brexit. La mise en œuvre d'actions de la part de cette institution aboutit à un dialogue constant entre ses audiences et elle. Une place peut être alors faite ici au discours prôné par les acteurs du British Council menant ces actions. La démonstration s’appuie sur une enquête empirique composée de sept entretiens menés entre septembre 2018 et avril 2019 auprès du personnel du British Council à Londres et à Paris ainsi que du personnel d’autres institutions culturelles européennes [1]. La localisation des membres du British Council, Londres ou Paris, peut avoir un impact sur leur perception compte tenu des contextes culturels nationaux. En effet, les cultures nationales ont été et sont encore le principal cadre de référence dans lequel les programmes de politique culturelle sont élaborés dans l'Europe moderne (Meinhof et Triandafyllidou, 2006). L’UE n’a d’ailleurs pas de « politique culturelle proprement dite » (Calligaro, 2017). Cependant, elle recourt de plus en plus aux activités culturelles à des fins « tant internes qu'externes » (Carta et Higgott, 2020). Sans analyser en profondeur le rôle stratégique de la culture dans le domaine de l'action extérieure de l'UE, l’apport des réseaux culturels, et particulièrement le réseau European Union National Institutes for Culture (EUNIC), est mis en avant avec le rapprochement prudent des États membres et donc des politiques culturelles nationales (Autissier, 2016), à travers le cas d’étude du British Council.

8Cette étude est complétée par des rapports d’activités, des communiqués, des études de l’institution ainsi que de ses archives. Ces sources permettent de revenir dans un premier temps sur l’histoire longue de l’organisation pour comprendre les caractéristiques et la plasticité qui lui ont permis de s’adapter au Brexit, turbulence parmi d’autres pour l’institution. Ce premier éclairage est complété par l’analyse des relations entre le British Council et ses différentes audiences et ce qu’elles signifient de part et d’autre dans le développement d’une coopération culturelle européenne. Selon les membres du British Council, les affaires de l’institution sont perçues comme une source de soft power et un business que le Brexit ne devrait affecter qu’à la marge. Défini comme « la capacité d'obtenir ce que vous voulez par l’attraction plutôt que par coercition ou paiement, [le soft power] découle de l'attrait de la culture, des idéaux politiques et des politiques d'un pays » (Nye, 2004). C’est sous ce prisme d’un pouvoir normatif que le sens des actions et la réputation du British Council dans le domaine de la culture sont enfin analysés comme représentant un enjeu d’autant plus important pour la coopération européenne. L’institution, en utilisant cette coopération comme démultiplicateur de ses actions, rassure les institutions culturelles européennes partenaires, dans une dynamique bilatérale, et prépare ainsi l’avenir hors de l’Union européenne. Ces audiences, nationales – FCO, public anglais -, et internationales – public étranger, institutions culturelles partenaires-, sont sensibles à ses activités, et c'est sur ces liens que le British Council peut s'appuyer lorsqu’il doit se penser face à une sortie de l'Union, de la même manière qu'il avait dû se penser et se légitimer par rapport à l'Union Européenne lors des tractations pour l'entrée du Royaume-Uni dans l'Union Européenne au début des années 1970.

Le British Council comme institution singulière « mythifiée »

9Un détour par l’histoire du British Council permet de mieux comprendre la singularité de cette institution dans les paysages britannique et européen, éclairant ainsi sa stratégie face au Brexit. Tout d’abord, à travers ses caractéristiques, ses missions, ses ressources et ses contraintes, se sont développées des considérations non seulement d’ordre technique mais également d’ordre réputationnel (Carpenter, 2010). Sa réputation organisationnelle se déploie en premier lieu au sein même du Royaume-Uni, où son mythe est peu à peu intériorisé consciemment et inconsciemment par ses agents. Une « confiance cognitive » se développe alors autour de l’institution qui en joue pour mieux mettre en avant ses ressources et consolider ainsi sa réputation.

10De plus, cette confiance se base sur une demande d’apprentissage de la langue anglaise. Elle représente, en particulier, une ressource structurelle, permettant entre autres au British Council d’établir un modèle organisationnel différent des institutions partenaires européennes. Ce modèle singulier - finalement peu menacé par le Brexit, la culture restant une prérogative nationale - permet lui aussi au British Council de conforter sa réputation en tant qu’institution culturelle dans le paysage européen et de mettre en avant son « indispensabilité ».

Le British Council, du diplomatic arm au arm’s-length relationship

11L’évolution de la relation du British Council et du Foreign and Commonwealth Office représente un enjeu important et explique en partie la position du British Council face au Brexit. La réputation de l’institution s’est forgée, entre autres, autour de sa relation avec le ministère, et cela dès sa création.

12Le contexte de sa fondation en 1934 est celui d'une instabilité globale entre une dépression financière mondiale, qui réduit le niveau de vie, l'employabilité et l'économie, et la montée des idéologies fascistes en Allemagne, en Italie ou en Espagne, et du communisme en Russie, ce qui se rapproche d'une situation de turbulence (Ansell, Trondal et Øgård, 2017, 42). Juridiquement, le British Council est une charity enregistrée au Royaume-Uni et en Écosse [2] et régie par une charte royale depuis 1940. Il s'agit d'une société publique et d’un organisme public non ministériel [3] en partie subventionné par le FCO.

13En 1973, le British Council était pleinement reconnu comme un bras de la diplomatie britannique par le gouvernement. Les membres de la House of Commons soulignent par ailleurs dans le First Report of Select Committee on Expenditure, Session 1970-71 ainsi que dans le Report on the British Council[4], que la valeur et le potentiel de l'institution étaient bien compris. Néanmoins, les débats autour de ces rapports mettent également en exergue la position floue du FCO à l'époque quant à l'indépendance du British Council [5], entre indépendance totale de cet organe et intervention du Département. Ce flou institutionnel va par la suite être investi par les membres du British Council pour créer leur mythe d’institution indépendante, d’arm’s-length body[6]. Il faut toutefois noter que ce principe d’arm's-length concernant le British Council n’est pas unique au sein du milieu culturel britannique. Ce principe, selon lequel le gouvernement accorde des subventions à un secteur particulier par l'intermédiaire d'un autre organisme, afin que le gouvernement ne prenne pas lui-même des décisions de financement directement, est au cœur des institutions politiques et culturelles britanniques (Gray, 2000). La BBC par exemple, autre élément du soft power britannique, bénéficie également de ce statut.

14Expliquer toute l'importance du British Council et des politiques éducatives et culturelles demande cependant un effort de pédagogie constant selon une employée de l’institution. Il semble que les parlementaires affiliés au shadow cabinet ou au gouvernement sont bien conscients de l'intérêt des relations culturelles, qu'elles soient bi- ou multilatérales. Cette employée travaille essentiellement avec le British Council All Party Parliamentary Group (APPG), groupe multipartite composé de députés et de membres de la Chambre des Lords ayant un intérêt pour les travaux du British Council. Son objectif est que les parlementaires se familiarisent davantage avec l’institution, la soutiennent en offrant à ses membres des conseils et des encouragements dans le travail de l’institution à court et à long terme. Le British Council est devenu selon elle :

15

« Un partenaire de choix avec une expertise fine et des liens à la fois au Royaume-Uni, en Europe mais dans le monde entier. Nous sommes une institution assez ancienne, ça forge le respect, tout ce qui tient sur le long terme au Royaume-Uni est respecté [7]. »

16Elle pilote par ailleurs une enquête avec ce sous-comité du British Council APPG sur le rôle que l'éducation et les arts peuvent jouer dans le renforcement et le maintien des relations du Royaume-Uni avec l'Europe, dans le but de rétablir la confiance et les relations du Royaume-Uni avec l'Europe en encourageant une meilleure compréhension et connaissance entre citoyens [8]. Depuis sa création, le British Council a toujours construit sa réputation en travaillant main dans la main avec ses partenaires. Après les années 1980, les activités de l’institution se sont tournées vers l’Asie ou l’Amérique du Sud, mais la turbulence du Brexit représente un point de départ pour renouveler cette « confiance entre partenaires européens » [9]. Ses employés peuvent alors, même en contexte d’incertitude, activer suivant leurs besoins ce lien constant fondé sur une confiance et une connaissance de leurs symboles et de rituels communs avec le British Council. Un autre employé du British Council renchérit alors en expliquant qu'ils en sont arrivés au fil du temps à une :

17

« « arm’s-length relationship ». Nous sommes relativement indépendants. L'ambassade britannique n'a pas de contrôle sur nous, le FCO peut seulement choisir un membre du conseil [d’administration] et nous subventionne un peu [10]. »

18Comme Per Mangset le souligne, le concept d’arm’s-length principle est fréquemment « utilisé de manière rhétorique par les politiques et les travailleurs de la culture pour renforcer la légitimité de la politique culturelle nationale » (Mangset, 2009). Bien que la politique culturelle britannique soit « généralement considérée comme le prototype d’une politique culturelle indépendante » (Chartrand et McCaughey, 1989 ; Mangset, 2009), ce principe peut, dans le cas du British Council, servir également d'outil rhétorique et normatif pour le renforcement du « mythe » entourant sa relation avec son ministère de tutelle, même s’il ne recouvre pas toujours une même réalité politique.

19Toutefois, le lien qui unit le FCO et le British Council est, comme le met en avant l’employé de l’institution, visible lors de certaines nominations. Le directeur général de la Direction de la sortie de l'Union européenne au FCO depuis juillet 2017, Lindsay Croisdale-Appleby, a été nommé au Conseil d'Administration du British Council en avril 2019. Il est responsable au sein du FCO de tous les travaux affectés par le Brexit, notamment des réseaux européens et des « travaux internes et bilatéraux de l'Union européenne » [11]. La double casquette de Lindsay Croisdale-Appleby manifeste alors l’importance du British Council dans la politique de retrait de l’Union européenne. Le FCO reconnaît dans cette dynamique de nomination la réputation du British Council à l’étranger et au sein de l’Union européenne. Cette position d'égal à égal racontée par les acteurs leur permet de simplifier leur histoire et leur relation avec le FCO et de passer sur les différentes étapes de la construction de leur relation, réduisant ainsi à une épure une histoire complexe et façonnant l’institution par sa réputation (Carpenter, 2010, 16).

20Le British Council apparaît comme une institution singulière par comparaison avec des structures défuntes ou encore en activité. Dans leur rapport de 2008 sur l’institution, les membres du National Audit Office, organisme parlementaire indépendant chargé du contrôle et de l'audit des administrations publiques britanniques, reconnaissent un statut juridique particulier de l’institution et soulignent que « le British Council n'a pas de pairs internationaux directs [12] ». Le tournant dans sa stratégie organisationnelle dans les années 2010 confirme cette singularité à l’échelle européenne. Quel est le poids de sa singularité organisationnelle pour sa réputation en temps de turbulence ?

Un entrepreneurial public service dans le paysage des institutions culturelles européennes

21Bien que les institutions culturelles européennes partagent des objectifs communs, la singularité organisationnelle et réputationnelle du British Council lui a permis de jouer une partition à part dans ce champ, renforçant ainsi un peu plus son mythe.

22Comme de nombreuses institutions culturelles ces dernières années, les subventions de la part du ministère sont en baisse pour le British Council pour les années post-Brexit. La proportion des subventions du FCO par rapport au revenu total du British Council a diminué de 0.4 % passant ainsi de 14.7 % pour les années 2016-2017 à 14.3 % pour 2017-2018 soit un budget de 158.3 M£ en 2017-2018 contre 168 M£ pour 2016-2017 [13]. Le défi est alors de transformer l'attractivité de la langue en une attractivité pour le Royaume-Uni en remplissant un double objectif. Tout d’abord, il s’agit d’un objectif financier : les revenus des cours et examens d’anglais permettent au British Council de continuer à financer ses activités annexes de manière autonome. De plus, il s’agit d’un objectif réputationnel, permettant à l’institution de paraître indispensable à la fois au FCO, malgré un désengagement financier de sa part, et aux institutions culturelles européennes. Plusieurs réflexions ont alors été engagées au sein du British Council au sujet de ces futures baisses de dotations du FCO prévues dès les années 2010, puis sur la manière de capitaliser sur l’attrait pour la langue anglaise. Un changement sémantique apparaît dans les rapports d'activité de l'institution à partir des années 2010, et plus particulièrement en 2012 [14]. Le British Council se qualifie ainsi de service public entrepreneurial [15], c'est-à-dire un service public plus dynamique et animé d'un esprit d'initiative qui repose sur les techniques de performance des grandes entreprises. Le président du British Council, Sir Vernon Ellis, déclare alors dans le rapport annuel de 2012-2013 :

23

« Nous nous sommes réengagés à être un service public entrepreneurial qui se développera plus rapidement et créera plus de valeur pour le Royaume-Uni et pour tous ceux qui utilisent nos services. […] Nous créerons plus d'opportunités internationales pour le Royaume-Uni et sensibiliserons les gens à l'existence de ces opportunités [16]. » 

24Ce terme est repris tout au long du rapport annuel de 2012, comme il le sera également dans les futurs rapports. Il peut s’agir d’une volonté de marquer le changement organisationnel et stratégique pour ces audiences institutionnelles que sont le FCO et les parlementaires. De plus, ce changement est entendu et reconnu par les partenaires européens, bien conscients de cette différence intrinsèque.

25Ce changement organisationnel et stratégique intervient également dans une dynamique plus large entourant le concept d’industries créatives et datant de 1997 avec l’arrivée du parti travailliste britannique au pouvoir. Bien que la « politique des industries créatives ne [soit] pas une nouveauté absolue » au Royaume-Uni (Schlesinger et Junqua, 2012), ce concept de créativité « a été politiquement reconceptualisé comme un moyen de répondre à des programmes socio-politiques et économiques plus larges » (Neelands et Choe, 2010). La conception de la culture selon le paradigme politique du marché social du New Labour en fait « un enjeu essentiellement déterminé par la compétitivité au sein de l’économie mondiale » (Schlesinger et Junqua, 2012). Dans le rapport 2012-2013, le terme d’« industries créatives » est présent une dizaine de fois. Le British Council est décrit comme une institution créant « des opportunités internationales pour les citoyens du Royaume-Uni et d'autres pays et [instaurant] la confiance entre eux dans le monde entier ». Pour cela, le British Council partage « les grands atouts culturels du Royaume-Uni - la langue anglaise, les opportunités éducatives, [les] arts et les industries artistiques d’envergure ainsi que [leur] ouverture et pluralisme en tant que société [17] ». Parmi les « grands atouts » de l’institution, et avant les industries créatives, se trouve la langue anglaise grâce à laquelle s'opère le changement vers un « service public entrepreneurial ».

26La demande en langue anglaise est importante et durable, ce qui fait que l’institution n’a pas d’effort de promotion à faire, son offre restant en dessous de la demande. Les revenus tirés de l’apprentissage de la langue sont suffisants pour financer les autres secteurs, comme l’action culturelle. Ainsi, tentant de s'adapter au mieux, le British Council avait prévu une hausse de son chiffre d’affaires qui est passé de 799 M£ en 2012-2013 à 980 M£ en 2015-2016 [18], tandis que la part des ressources publiques est passée de 25 % à 16 % de son budget. Sa stratégie financière repose sur une augmentation des ressources tirées de l’enseignement de l’anglais, des partenariats contractuels avec les organismes internationaux et les gouvernements locaux en matière de coopération éducative, et du mécénat. La demande en langue anglaise est la ressource principale du British Council et cela se confirme sur la période étudiée. En 2017-2018, sur un revenu total de 1,172.3 M£, les activités d’enseignement représentent 18 % avec 212.0 M£ générés. Les examens ont rapporté pour leur part 486.9 M£ soit 41 % du revenu total de l’année. En raison de la bonne performance de ses activités d'enseignement et d'examens d'anglais, le British Council a atteint près de 9 % de croissance pour son revenu total cette année-là. L’institution peut se permettre une réelle réorganisation de sa stratégie vers un modèle entrepreneurial, car elle en a les possibilités et surtout les ressources financières.

27De plus, l'aspect beaucoup plus entrepreneurial du British Council peut détonner par rapport à deux autres institutions culturelles de poids au sein de l’UE, l'Institut Français ou le Goethe-Institut. Ainsi, les priorités et les programmes varient au sein de ces trois institutions. La perception de leur travail ainsi que l'organisation ou le mode de financement sont très différents. Ces groupes d'acteurs sont conscients de la présence des deux autres institutions sur la scène européenne et mondiale, et auditionnent à l’occasion leurs pairs. La Commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée Nationale française a, par exemple, auditionné en janvier 2010 le directeur du British Council de Paris et le directeur du Goethe-Institut de Paris pour une étude sur la réorganisation et la réforme de la tutelle du réseau culturel français à l’étranger [19]. La réputation de service public entrepreneurial est aussi reconnue par les pairs du British Council, comme le souligne ce membre du Goethe-Institut à Paris :

28

« Le British Council est bien implanté et ne manque pas d’argent. On n’est pas financé de la même manière, eux, les cours de langue marchent si bien que même en cas de baisse du budget, car aucune institution culturelle n’y coupe, ils n’ont pas de souci à se faire. On ne fait pas la même chose au fond. Eux, c’est un business qui est rentable, le British Council est un business qui donne des cours de langue pour se financer et financer ses autres activités [20]. »

29L'Institut Goethe, financé par le gouvernement fédéral allemand, délivre également des diplômes de langue, comme le Zertifikat Deutsch, mais il ne s’agit pas de son activité principale et elle ne lui permet pas une autonomie organisationnelle ou budgétaire. Le British Council a donc des caractéristiques structurelles uniques qui lui permettent de se distinguer de ses pairs européens. Ces dernières couplées à la notion de créativité font en quelque sorte advenir la « marque » Royaume-Uni. Comme il est possible de le retrouver dans les rapports annuels du British Council, la « créativité » est devenue « une valeur en soi, [...] unanimement acceptée comme telle aujourd’hui encore » (Schlesinger et Junqua, 2012). Selon Philip Schlesinger, l’attractivité de ce concept « en tant qu'idéologie du développement adaptable à de nombreux types de régimes et de conditions économiques » réside dans « l'omniprésence du discours sur la créativité en tant que synonyme de dynamisme, de croissance, de formation de talents et de renouveau national » (Schlesinger, 2009).

30Cette demande en langue anglaise permet ainsi au British Council de gagner en autonomie par rapport à ses audiences institutionnelles et de conforter sa réputation organisationnelle auprès d’elles. Cela lui permet ensuite de se distinguer de ses pairs européens en adoptant un modèle organisationnel entrepreneurial. Cette singularité lui permet de jouer un double jeu de renforcement de l’attrait pour le Royaume-Uni et pour l’institution elle-même participant ainsi au soft power britannique. Si le Brexit ne menace au fond ni les activités du British Council - la culture restant une prérogative nationale - ni la demande en langue anglaise -ressource structurelle de l’institution-, il peut avoir un impact sur sa réputation au sein de l’UE. C’est cependant sur cette réputation organisationnelle et son « mythe » que l’institution joue pour faire face aux turbulences du Brexit.

Le British Council comme source de soft power

31Les activités culturelles et linguistiques de l’institution permettent d’asseoir l’attractivité du Royaume-Uni, de sa culture et de son économie auprès de ses audiences participant à ces mêmes activités. Ce sont elles qui contribuent au « mythe » du British Council, en les validant en partie. Ensuite, la vision des membres de l’institution, se percevant comme acteurs mêmes du soft power britannique, éclaire également ce « mythe ». Cette perception d’eux-mêmes leur permet ainsi de consolider la réputation organisationnelle de leur institution pendant la période de l’annonce du Brexit.

32S’il n’affecte, sur un temps court et selon les membres de l’institution, qu’à la marge le business du British Council, il peut avoir des conséquences à long terme sur sa stabilité organisationnelle et réputationnelle par rapport à ses publics. Misant sur l’attrait pour la langue anglaise et la culture britannique, les membres de l’institution capitalisent sur une « confiance cognitive partagée » avec leurs audiences européennes, souvent jeunes. De cet attrait découle une capacité pour l’institution de se penser pendant et après le Brexit, leur soft power servant d’outil de gouvernance en temps de turbulence (Nye, 2004).

Le « mythe » du British Council en période de turbulence

33Le prisme de la réputation organisationnelle engage à se pencher sur la question des audiences. Ces individus ou collectifs qui « observe[nt] une organisation de régulation et peu[vent] la juger » (Carpenter, 2010, 33), et plus particulièrement ici les différents publics prenant part à ses activités linguistiques ou culturelles, contribuent à la continuité du British Council en validant ses activités. Cette institution, comme les autres instituts ou réseaux culturels européens, va alors développer ses actions dans leur sens pour « semer des graines de confiance et d’intérêt » (Autissier, 2016, 196), travaillant symboles et rhétorique pour confirmer son « mythe » auprès d’eux.

34Le British Council distingue trois groupes prioritaires vers lesquels il veut développer des actions spécifiques dans le but d’essayer de modifier leur perception ou leur comportement : les leaders, décideurs sur le plan national ou régional ; les influencers, futurs décideurs et relais d'opinion, et les aspirants, les jeunes cherchant de l'information et des opportunités [21]. Interrogé sur le sujet, un membre du British Council à Paris présente sa stratégie [22] :

35

« Avec mon équipe à Paris mais comme tous les British, nous nous intéressons aux jeunes, cette génération a l'ouverture d'esprit pour comprendre tous les enjeux autour desquels nous travaillons. Vous nous comprenez et vous vous faites comprendre de tous et tout ça avec une maîtrise de l’anglais. »

36La langue anglaise représente une ressource phare, surtout auprès des jeunes ou des actifs souhaitant parfaire leur anglais, pour le monde du travail par exemple. Le fait de donner des cours de langue a des conséquences intéressantes pour l’institution sur le court terme avec une rentrée d'argent et des personnes potentiellement prêtes à rentrer dans l'économie britannique, mais cela a également des conséquences intéressantes sur le long terme. En effet, le public ayant pris des cours d'anglais ou passé des examens type IELTS représente une base mobile et anglophile. Cette audience peut avoir une meilleure compréhension de la culture et des institutions britanniques. L’institution peut alors compter sur une base d'audience acquise à sa cause depuis son plus jeune âge, et renforcer leurs liens en cas de période de turbulence pour s’assurer de son soutien.

37Concernant la sortie de l’Union européenne, le British Council a cherché à savoir quels ont été les impacts du Brexit sur son travail et ses audiences. L’institution a commandé en 2016 une étude intitulée From the outside in: G20 views of the UK before and after the EU referendum, réalisée par Ipsos MORI. Comme l'indique le titre, il s'agit de mesurer l'impact du Brexit sur la vision que les membres des pays du G20 ont du Royaume-Uni avant le Brexit, en mai et juin 2016, et après le Brexit à l'automne 2016 [23]. Cette étude concerne le degré de confiance des jeunes originaires des pays membres du G20, incluant la Grande-Bretagne, envers les Britanniques, le gouvernement ou les institutions britanniques. La donnée étudiée, la confiance, engage non seulement le public ou l’audience qui l'accorde, mais également la ou les personnes « qui en bénéficie[nt] : celui qui donne sa confiance, sur la base d’un jugement de fiabilité et de loyauté, attend que son engagement ne soit pas déçu ; et celui qui bénéficie de la confiance est « presque engagé par un jugement porté sur lui par avance », qu’il se doit de ne pas décevoir […] » (Quéré, 2001). La réputation organisationnelle du British Council permet cette confiance tout comme elle dépend de celle-ci. Concernant l’étude, les résultats montrent que la perception pré- et post Brexit n'est pas si différente, « les enquêtes réalisées avant et après le référendum européen montrent qu'en moyenne le Royaume-Uni a maintenu son statut de pays attractif aux yeux des jeunes dans les mois qui ont suivi le vote. En effet, il semble avoir connu une légère augmentation de sa position en tant que puissance mondiale au cours de cette période, du moins comme le montrent les résultats pour les 18 à 34 ans instruits dans ces pays [24]. »

38Ces études permettent de montrer pour les membres du British Council que la culture semble être l'un des sujets les moins touchés par le Brexit pour le panel. Selon les résultats et « à en juger par cette recherche, l'amitié avec les Britanniques et l'engagement pour la culture britannique sont des formes d'engagement moins susceptibles d'être affectées par le Brexit parmi les jeunes citoyens de l'UE, ce qui n'est pas le cas avec l'engagement des entreprises ou du commerce et de l'éducation. Ils pourraient s'avérer être les meilleurs moyens par lesquels maintenir des relations positives à grande échelle avec l'UE à une époque où le débat et la négociation sur les questions politiques, économiques et sécuritaires pourraient parfois être difficiles [25]. » Les membres du British Council rencontrés s’emparent de ce résultat comme argument clé dans leur rhétorique post-Brexit:

39

« Je ne me fais pas de souci concernant l'impact du Brexit sur mon travail. Tout d'abord de manière peut-être personnelle, car en France, cela n'aura aucun impact sur le British de Paris ; les relations avec les autorités, l'Institut [Français], l'Alliance [Française] et le gouvernement sont bonnes. Cela n'aura aucun impact également sur le reste de l'Europe, concernant les relations culturelles, j'entends bien. Nous avons de forts liens avec les dirigeants des instituts ou réseaux culturels ou autres. Le travail de terrain ne sera pas affecté [26]. »

40La coopération culturelle se veut comme un domaine potentiellement moins affecté par le Brexit pour les membres de l’institution. Cependant, au sein du secteur culturel, ce sentiment n’est pas toujours partagé. Bien qu’il n’existe pas de politique culturelle européenne, les conséquences du Brexit pourront se faire sentir sur « la liberté de mouvement des talents et des compétences », « l'accès aux subventions européennes », « les règles commerciales et d'investissement » et « le cadre réglementaire » concernant la règle de copyright ou encore la lutte contre le piratage selon le Brexit Report de la Fédération des industries créatives datant d’octobre 2016 [27]. Le British Council est cité une seule fois dans ce rapport pour souligner le fait que certaines régions pouvaient s’associer à l’institution pour trouver des nouveaux marchés d’exports [28]. L’institution a donc bien une position et un discours singuliers sur la question du Brexit.

41Le British Council recourt à des études commandées auprès de différents organismes pour vérifier et consolider ses stratégies auprès de ses audiences. L’institution se justifie ainsi auprès de ses audiences nationales, qui malgré une baisse de dotation la soutiennent, et de ses audiences-publics, qui se sentent écoutées et lisent à travers ces études le récit construit petit à petit par le British Council. En travaillant avec des audiences jeunes, le British Council veut encourager une forme de « confiance cognitive », nourrie par les symboles et les rituels communs, générant ainsi une forme de dépendance vis-à-vis de l'histoire du British Council et de son « mythe ». Cette stabilité du British Council et la linéarité de son histoire, faisant partie du « mythe », contrastent donc avec l'incertitude du Brexit et lui permettent de s'asseoir un peu plus dans le paysage britannique et mondial en tant qu'institution pérenne qui n'est pas chamboulée par les turbulences politiques. Ce « mythe » a été également incorporé par les membres eux-mêmes du British Council qui se voient comme agents du soft power britannique.

Le soft power, un outil de gouvernance en temps de turbulence ?

42Opérationnaliser le soft power s’avère être complexe pour les membres du British Council. Néanmoins, cet effort conceptuel peut se révéler être une stratégie de renforcement réputationnel de l’institution et de légitimation en situation de turbulence.

43Le British Council a cherché à conceptualiser le soft power pour en comprendre les conséquences sur les relations culturelles du Royaume-Uni avec le reste de l'Europe et du monde, mais également pour justifier ses actions et ses stratégies auprès de ses audiences. Une étude a été commandée par le British Council à l'Université d'Édimbourg [29], intitulée Soft Power Today, measuring the Influences and Effects. Publiée en 2017, elle a été menée à partir de données de 2000 à 2012, une période marquée par les baisses de dotations du FCO ainsi que par le passage à un entrepreunarial public service. Les institutions culturelles, comme le British Council, ont été jugées assez influentes pour attirer les étudiants internationaux, les touristes et les investissements directs à l'étranger (IDE). L’étude conclut que plus un institut culturel sera présent à l'étranger, meilleures seront les conséquences pour le pays dont l’institut est issu : « chaque augmentation de 1 % du nombre de pays couverts par les institutions culturelles se traduit par une augmentation de près de 0,66 % de l'IED pour ce pays [30] ». En 2016, une telle hausse aurait représenté 1,3 milliard de livres sterling pour le Royaume-Uni, qui a enregistré des investissements étrangers de 197 milliards de livres sterling. Cette augmentation de 1 % du nombre de pays couverts entraîne également une augmentation de 0,73 % du nombre d'étudiants internationaux dans le pays d'origine de l'institution concernée. En utilisant les derniers chiffres britanniques de 2015/16, cela équivaut à près de 3 200 étudiants internationaux supplémentaires. Cette tentative d’opérationnalisation du soft power reste assez inédite de la part d’une institution et malgré une perfectibilité possible des variables, les résultats statistiques soulignent le fait que le pluralisme démocratique, la prospérité économique et les institutions culturelles en réseau international génèrent des dividendes. Il s’agit ici d’objectiver la stratégie de l'institution. Cette tentative de conceptualiser le soft power est une autre ressource pour le British Council, et donc une manière de se justifier auprès de ses différentes audiences, dont ses audiences institutionnelles, grâce à un concept relativement connu en relations internationales et repris par plusieurs hommes politiques à travers le monde. Le British Council légitime son tournant organisationnel vers un modèle plus entrepreneurial en mettant en avant les attraits économiques dont il peut faire bénéficier le Royaume-Uni, se rendant en quelque sorte indispensable.

44Néanmoins, comme le souligne Joseph Nye, les limites du soft power « [dépendent] du contexte : qui est relié à qui et dans quelles circonstances - mais le soft power dépend plus que le hard power de l'existence d'interprètes et de récepteurs volontaires. […] Pour que cela se produise, la mesure objective d’un potentiel soft power doit être attrayante aux yeux d'un public spécifique, et cette attraction doit influencer les résultats des politiques » (Nye, 2004, 16). Il faut alors bien cibler un ou des publics, « le soft power est plus difficile à manier que le hard power, car bon nombre de ses ressources cruciales échappent au contrôle des gouvernements et leurs effets dépendent fortement de l'acceptation par le public récepteur [31] ». Pour reprendre l’exemple de la langue anglaise, ressource structurelle du British Council, elle devient alors un générateur de capital culturel donnant accès aux idées, aux valeurs et à la culture britanniques. La construction sur le long terme d'un public acquis à sa cause, de potentiels touristes ou étudiants, a de nombreuses conséquences sur le marché et l'économie britanniques. Le soft power est difficilement déployable ou utilisable à un moment T, il s'agit donc bien plus d'une ressource que d’un instrument, un outil pour les institutions ou le gouvernement. Ce soft power, établi sur le long terme, sur le terrain avec des publics spécifiques, peut alors être mobilisé et activé dans des situations de turbulences comme le Brexit en favorisant l’influence du Royaume-Uni et en partageant le savoir-faire et les connaissances britanniques. Il permet de consolider les liens entre l’institution et ses publics tout en gardant un grand répertoire d'actions possibles (Ansell, Trondal et Øgård, 2017) face à cette situation - cours de langue, expositions, conférences avec d'autres institutions, intégration de réseaux, etc... Bien que moins palpable et mobilisable, le soft power peut se révéler utile pour l’institution quand le hard power est mis à mal par des turbulences.

45Les symboles et la rhétorique du British Council liés à sa réputation organisationnelle et politique sont incorporés par les publics, souvent jeunes, et permettent ainsi une « confiance cognitive » commune. En capitalisant alors sur ces audiences acquises à sa cause, l'institution a pu s'adapter, au sens de Carpenter (Carpenter, 2010,33), et faire du soft power une ressource pour se légitimer et consolider sa réputation. Le discours de l’institution veut présenter le Brexit comme ne représentant pas une menace pour la réputation organisationnelle du British Council par rapport à ses audiences institutionnelles - elle reste une institution de premier plan au sein même du Royaume-Uni - et par rapport à ses publics qui prennent part à ses activités linguistiques et culturelles. Néanmoins, les conséquences des turbulences du Brexit sur la coopération culturelle européenne peuvent faire apparaître un autre discours.

Coopération et collaboration, mots d'ordre face au Brexit

46En contexte de turbulences, une collaboration resserrée a été initiée entre les différents réseaux culturels européens. Le constat est unanime pour les acteurs britanniques comme européens et un renforcement de la coopération culturelle leur semble la meilleure solution. La culture, bien que compétence subsidiaire de l’UE, s’entremêle à d’autres compétences comme l’économie ou encore le tourisme. Comme enjeu européen, elle « se situe donc à la confluence de différents domaines de politiques publiques et différents niveaux de gouvernance » (Calligaro, 2017). Le British Council va alors utiliser cette coopération pour démultiplier ses actions, contribuant ainsi à une certaine « mobilité souvent bilatérale et relativement flexible que les programmes communautaires ne sont pas en mesure d’appuyer » (Autissier, 2016, 194).

47Dans un premier temps, il va sensibiliser et rassurer ses partenaires, faisant ainsi du Brexit un défi partagé. En parallèle, forts de la « confiance cognitive » qu’ils ont su développer avec les différentes audiences – leurs partenaires institutionnels ou leurs publics - les membres de l'institution se réengagent dans des structures flexibles et s'insèrent de manière plus prononcée dans les différents réseaux culturels européens traduisant ainsi une vision dynamique de la résilience (Ansell, Trondal et Øgård, 2017, ch. 4). Le British Council va alors jouer de ses réseaux pendant cette période de turbulence en investissant des politiques bilatérales.

Le Brexit perçu comme un défi partagé : éviter un « lose-lose scenario »

48Conscient des potentielles pertes économiques et culturelles causées par le Brexit, le British Council, soutenu par le FCO, se montre présent auprès des différents acteurs européens, experts ou membres des institutions culturelles, pour resserrer les liens et mailler un peu plus encore le territoire européen en cas de sortie de l'Union Européenne. Les réponses plutôt positives de la part des autres acteurs culturels européens semblent être une opportunité pour le British Council qui peut ainsi maintenir une certaine réputation en temps de turbulence.

49Le Royaume-Uni a adopté un rôle de chef de file dans les organisations supranationales européennes de la culture, en endossant « y compris la responsabilité principale de la coopération culturelle au sein de l'UE et des questions de politique culturelle au Conseil de l'Europe » depuis qu’il a rejoint l’UNESCO en 1997 sous l’impulsion du New Labour. Depuis la fin des années 1990, les dirigeants politiques cherchent en effet « à définir une politique spécifique correspondant à [l'] identité [du Royaume-Uni] aux niveaux national, régional et sous-régional » (Stevenson, McKay et Rowe, 2010). Le British Council, fort de la position institutionnelle britannique, a également suivi ce rôle de chef de file. Et cela d’autant plus dans la période après le référendum du 23 juin 2016, où le but recherché était de garder ce rang et d’atténuer l’impact du Brexit sur son travail et ses partenariats. En janvier 2017, il a initié les EU-UK Culture and Education Series qui ont regroupé plus de 500 personnalités venant de tous les pays européens et des différents secteurs de l'éducation, de la culture, de la science ou de la recherche. Ces series prennent deux formes, tout d’abord des réunions face-to-face puis des webinars. Tous les participants européens ou les institutions britanniques, incluant les musées, les théâtres, les universités, les centres d'apprentissage et le milieu académique, ont souligné l'importance d'une collaboration rapprochée pour accompagner les politiques et réseaux après le Brexit [32]. L'objectif premier a été pour le British Council de calmer les inquiétudes de ses partenaires. Face à un Brexit où tout ou presque est incertain, le British Council joue la carte du rassemblement et du calme ; les acteurs britanniques comme européens parfois ne cessaient de répéter que le Brexit n'aurait aucun impact sur le British Council : « Je ne me fais pas de souci concernant l'impact du Brexit sur mon travail [33] », « C'est important pour nous d'être sur le terrain, de montrer qu'en dehors des conséquences du Brexit pour notre propre pays, on se soucie également des conséquences pour les pays partenaires, pour nos amis. Il faut faire un travail de pédagogie. Tout va bien se passer. Nos liens et partenariats ne peuvent pas se terminer comme cela [34] », « Nous continuerons, je pense, à travailler avec [le British Council], quoiqu’il arrive [35] », « [Le British Council] restera un potentiel partenaire si Brexit ou non [36] ».

50L’institution a été à l’origine, seule ou en partenariat, de nombreuses rencontres entre acteurs européens. Comme explicité dans le Communiqué précédant les series, la vision du British Council et de ses partenaires, souvent ses pairs européens, était d'encourager « a European open zone [37] », promouvant la culture comme secteur économique clé et les échanges culturels comme maillage européen. Les audiences classiques du British se retrouvent dans cette stratégie où les « étudiants, artistes, universitaires, scientifiques, enseignants, chercheurs et jeunes voyagent, opèrent, collaborent et innovent facilement au-delà des frontières [38] ». Le Brexit risque de casser cette vision, surtout avec l'introduction de barrières économiques entre ces différents secteurs, et donc de mettre à mal les politiques et stratégies du British Council, menaçant sa légitimité et sa réputation. En partenariat avec la Fondation européenne de la culture et le British Council, le Palais des Beaux-Arts de Bruxelles (BOZAR) a accueilli un autre workshop intitulé Moving Beyond Brexit: Uniting the Cultural and Creative Sectors le 24 septembre 2018 où se sont réunis 60 experts des milieux créatifs et culturels de toute l'Europe. Un des participants insiste sur un point :

51

« Le Royaume-Uni a une place essentielle. [Le Brexit] nous oblige à repenser les modèles. Il ne s’agit pas seulement d’un argument économique. L'Union européenne était un projet culturel pour assurer la paix en Europe. Cela doit être réaffirmé. Tout ne se résume pas à conclure des accords [39]. »

52Une autre vision de l’Europe se dessine aussi bien pour le British Council que pour ses partenaires. L’institution tente de s'adapter à cette situation grâce à une stratégie de « résilience dynamique » (Ansell, Trondal et Øgård, 2017, ch. 4, p. 83). Il s'agit d'une stratégie hybride qui s'inscrit sur le long terme dans l’histoire de l’organisation et se base sur les ressources multiples de l’institution et sur sa réputation. En mobilisant ses réseaux d’experts et en les impliquant directement sur les questions concernant le Brexit, le British Council a réuni près de 600 acteurs de différents secteurs. Ils ont montré leur soutien à l'initiative de ces series dans un communiqué appelé « Our Shared European Future » [40], piloté là encore par le British Council. D’après le rapport annuel 2017-2018 de l’institution, les recommandations d’« Our Shared European Future » qui ont été faites aux dirigeants de l'UE et du Royaume-Uni « fournissent des informations aux négociateurs du Brexit sur les implications pour les secteurs de l'éducation, de la culture et des sciences en Europe […] [41] ». Il s’agit par ailleurs de la seconde mention du Brexit dans les rapports du British Council depuis le référendum de juin 2016 [42].

53La stratégie de « résilience dynamique » est possible pour l’institution, car elle en a les moyens réputationnels et financiers. Ces derniers lui confèrent une place particulière au sein de la scène culturelle européenne. Le British Council répond en effet très souvent aux appels d'offres et est leader de nombreux événements ayant lieu au sein de l'Union Européenne au risque d'énerver parfois certains acteurs d’institutions culturelles, dont un membre de l'Institut Français :

54

« Oui, nous sommes contents de travailler avec le British, bien sûr ! C'est un acteur important avec des ressources importantes, une certaine indépendance et surtout une réelle vision sur le long terme. Mais c'est un business ! Excusez-moi, mais on ne joue pas dans la même cour ! Mais leur travail est important, très important. Malgré le Brexit ou je ne sais ce qu'il peut se passer, il faut continuer à travailler avec eux et tout faire pour qu'ils restent dans les différents réseaux [43] ».

55Malgré quelques discordes, conséquence de la vision entrepreneuriale de l’institution, l'importance du travail de coopération entre les différentes institutions et les liens bâtis au fil des années sont reconnus de tous et le leadership que peut prendre parfois le British Council est bienvenu. Ces réunions et séminaires tenus à l’échelle européenne sont une plateforme pour le British Council qui, tout en rassurant à la fois tous ses partenaires, s’inscrit dans un contexte binational, entre le British Council représentant le Royaume-Uni, et ses pairs européens, représentant leur pays d’origine.

Un pouvoir de coopération au niveau européen ?

56La Communauté européenne s’est engagée sur deux positions dans le domaine culturel, d’un côté la diversité culturelle, et de l’autre l’aspiration à une identité commune, la culture universelle (Meinhof et Triandafyllidou, 2006). La diversité culturelle est également soutenue par des institutions culturelles comme le réseau European Union National Institutes for Culture (EUNIC) créé en 2006, dont le British Council est membre. Comme le souligne Anne-Marie Autissier, « certains responsables de réseaux culturels européens ont eu beau jeu de faire valoir que cette mise en réseau officielle, au mieux était inutile, au pire entrait en concurrence avec les activités des professionnels. Il est toutefois intéressant de considérer EUNIC comme un mode d’apprentissage multilatéral pour des entités qui ne s’y étaient guère préparées » (Autissier, 2016, 194). Effectivement, en temps de turbulence pour le British Council (et le Royaume-Uni), la défense du projet européen de diversité et coopération culturelles représente à la fois un objectif en soi pour un pan de sa stratégie et un instrument lui permettant de consolider sa réputation et sa légitimité à l’échelle européenne. Seulement, le British Council va jouer sur des relations plus bilatérales.

57EUNIC est un réseau regroupant des instituts culturels nationaux et de promotion des langues de l'Union européenne. Ce réseau, informel dans les premiers temps, s’est constitué en 2011 en association reconnue d'utilité publique avec son siège à Bruxelles. Il est partenaire de la Commission Européenne et d'autres institutions européennes, et organise conférences et manifestations culturelles à la fois en Europe et hors d’Europe. Sa présidence est assurée de manière tournante [44]. En 2014, EUNIC a été sélectionné comme l'un des réseaux culturels cofinancés par le programme « Europe Creative » pour la période 2014-2017 [45], qui a été renouvelé en 2017. Un membre du British Council, Martin Hope, a assuré la présidence de EUNIC de 2010 à 2011. Aujourd’hui, le Royaume-Uni, via le British Council, se réengage dans les politiques culturelles et éducatives, sous un nouveau statut de « pays tiers » au sein de ce réseau. L’institution s’est en effet investie dans quelques actions au sein de EUNIC malgré ce changement de statut. Avec le Centre des Beaux-Arts/BOZAR, EUNIC Global, la Fondation européenne de la culture et l'Institut français, le British Council fait partie d'un consortium, dirigé par le Goethe-Institut, afin de soutenir la mise en œuvre de la cultural diplomacy platform de l’Union européenne [46]. Ce consortium a été sélectionné via appel d'offres. La plate-forme de diplomatie culturelle a été lancée début mars 2016 par le Service for Foreign Policy Instruments (FPI) [47], afin de soutenir les institutions de l'UE dans la mise en œuvre d'une nouvelle « Stratégie de l'UE pour les relations culturelles internationales ». Cette plateforme regroupe à la fois des gouvernements, des régions, des villes, des instituts culturels, des organisations de la société civile, des artistes ou des scientifiques. Le British Council confirme alors sa légitimité à agir à l'échelle européenne via son implication dans différents projets. Au niveau local, il est également présent à travers les clusters EUNIC.

58Il s’agit de plateformes de collaboration entre organisations membres. Il faut au minimum trois membres EUNIC pour créer officiellement un cluster [48]. Partant de l’hypothèse que les clusters d’une même région font face à des besoins et à des défis similaires, le programme consiste en une série de réunions régionales de clusters EUNIC et de membres opérant dans une région afin de développer une approche stratégique de leur travail. Andrew Chadwick, directeur des programmes et partenariats depuis août 2016 au British Council de Paris, était par exemple Vice-Président du cluster EUNIC Paris avant d’être remplacé par une employée du Forum culturel autrichien en 2020. Selon un membre du British Council, l'implication d'Andrew Chadwick était indispensable au vu de ses fonctions :

59

« Andrew est directeur des programmes et des partenariats, son rôle dans le cluster [EUNIC de Paris] est primordial. Nous sommes pour une coopération peer to peer, nous partageons les mêmes problématiques ou les mêmes ambitions que nos partenaires des autres institutions, il faut mettre notre savoir-faire et notre force en commun [49]. »

60L’espace, restreint et codifié, du cluster européen permet cette coopération peer to peer, cette mise en relation d’égale à égale entre institutions de même plan partageant les mêmes ambitions. Ces clusters sont alors un terrain investi par le British Council qui peut ainsi consolider à la fois sa présence au niveau européen et sa présence au niveau national tout en prolongeant ses activités principales éducatives et culturelles.

61Le Brexit est perçu comme un défi partagé par les acteurs des institutions culturelles européennes, et une coopération resserrée est et restera d’actualité. L'action du British Council dans le champ d’intervention européen - instrument double pour sa politique interne et pour sa réputation - renforce des rapprochements bilatéraux à travers les réseaux d’institutions européennes investissant l’Europe comme démultiplicateur d’actions et de possibles. Ces actions n’entachent pas sa réputation organisationnelle, mais la maintiennent voire la renforcent à l’échelle européenne.

Conclusion

62Cet article a considéré la réputation organisationnelle du British Council comme ayant non seulement survécu au Brexit, mais comme étant également sortie renforcée de cette période de turbulence. Étudié au prisme du soft power britannique, le British Council représente ainsi un cas intéressant de stratégie de « résilience dynamique » (Ansell, Trondal et Øgård, 2017, ch. 4).

63Le Brexit n’est pas présenté par les membres de l’institution comme constituant une réelle menace pour le devenir de l’institution, elle ne dépend pas de l’Europe que ce soit pour ses ressources ou sa réputation, et la culture n’est en Europe qu’une compétence subsidiaire. Le British Council renforce son travail de pédagogie auprès du Parlement et resserre ses liens avec les différents réseaux culturels européens, même après un changement de statut pour celui de « pays tiers ». Le rôle du British Council a évolué, l'ancien bras diplomatique du FCO est devenu un acteur un peu plus indépendant dans la lignée du principe d’arm's-length, courant au Royaume-Uni, lui permettant ainsi de ne pas être en première ligne lors du Brexit. Les tentatives de compréhension et de régulation des sources de turbulences se sont faites dès l'annonce du référendum pour envisager un possible avenir sans l'Union Européenne. Le British Council s’est appliqué à trouver un équilibre entre adaptabilité et expérimentation d’une part, et continuité et résilience de l’autre en capitalisant sur son soft power, mobilisable quand le hard power est mis à mal par des possibles turbulences, et ses audiences avec lesquelles il partage une « confiance cognitive », alimentée par sa réputation. Cela se traduit par une vision dynamique de la résilience dans laquelle les membres de l'institution se réengagent dans des structures flexibles, s'insèrent de manière plus prononcée dans les différents réseaux culturels européens.

64Ainsi, le British Council s'adapte et anticipe ses actions, en s'appuyant sur les fondamentaux qui l’ont construit, de telle sorte que l'organisation a su se créer des conditions pour gagner en légitimité et stabilité depuis l'entrée du Royaume-Uni dans l'Union Européenne dans les années 70 jusqu'à aujourd’hui. Ses membres ont créé un besoin pour leurs partenaires européens, une sorte d’allégeance mutuelle où chaque institution est soumise à ses homologues européens, car dépendante des financements et programmes de coopération européens, et où chacune se fait confiance, s’engageant ainsi mutuellement (Quéré, 2010). Cela a alors conditionné la manière dont la turbulence est vécue à la fois par les agents de terrain et par leurs partenaires. L’Union européenne joue ici le rôle de démultiplicateur d’actions pour le British Council qui va finalement se servir de ses réseaux pendant cette période de turbulence pour mieux investir des politiques bilatérales avec chaque audience et chaque institution partenaire. Cependant la crise du COVID-19 qui a succédé à la turbulence du Brexit a mis à mal cette rhétorique et le soft power de l’institution.

Bibliographie

Bibliographie

  • Ansell, Christopher K., Trondal, Jarle et Øgård, Morten (eds) (2017), Governance in Turbulent Times, Oxford, Oxford University Press.
  • Autissier, Anne-Marie (2016), Europe et Culture : un couple à réinventer ? Essai sur 50 ans de coopération culturelle européenne, Toulouse, Éditions de l'Attribut.
  • Calligaro, Oriane (2017), « La politique européenne de la culture. Entre paradigme économique et rhétorique de l’exception », Politique européenne, vol. 56 (2), p. 8-28.
  • Carpenter, Daniel (2010), Reputation and power, Organizational image and pharmaceutical regulation at the FDA, Princeton, Princeton University Press.
  • Carta, Caterina et Higgott, Richard (eds) (2020), Cultural Diplomacy in Europe. Between the Domestic and the International, New York, Palgrave Macmillan.
  • Chartrand, Harry Hillman et McCaughey, Claire (1989), “The Arm’s Length Principle and the Arts: An International Perspective – Past, Present and Future”, in Milton C. Cummings et J. Mark Schuster (eds), Who’s to Pay for the Arts? The International Search for Models of Arts Support, New York, ACA Books, p. 43–80.
  • Gray, Clive (2000), The Politics of the Arts in Britain, New York, Palgrave.
  • Huault, Isabelle (2009), « Des organisations en quête de légitimité », in Isabelle Huault et Sandra Charreire (eds), Les grands auteurs en management, Caen, Éditions EMS, p. 175-190.
  • Mangset, Per (2009), “The arm's length principle and the art funding system. A comparative approach”, in Miikka Pyykkönen, Niina Simanainen et Sakarias Sokka (eds), What about cultural policy? Interdisciplinary perspectives on culture and politics, Helsinki et Jyväskylä, Minerva Kustannus, p. 273-298.
  • Meinhof, Ulrike Hanna et Triandafyllidou, Anna (eds) (2006), Transcultural Europe, Cultural Policy in a Changing Europe, New York, Palgrave Macmillan.
  • Neelands, Jonathan et Choe, Boyun (2010), “The English model of creativity: cultural politics of an idea”, International Journal of Cultural Policy, vol. 16 (3), p. 287-304.
  • Nye, Joseph S., Jr (2004), Soft Power: The Means to Success in World politics, New York, PublicAffairs.
  • Quéré, Louis (2001), « La structure cognitive et normative de la confiance », Réseaux, vol. 108 (4), p. 125-152.
  • Schlesinger, Philip (2009), “The politics of cultural policy”, in Scotland in Europe [numéro thématique], Litteraria Pragensia: Studies in Literature & Culture, vol. 19 (38), p. 75-89.
  • Schlesinger, Philip et Junqua, Frédéric (2012), « Expertise, politiques publiques et économie créative : le cas britannique », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 193 (3), p. 80-95.
  • Selznick, Philip (1949), TVA and the Grass Roots: A Study in the Sociology of Formal Organization, Berkeley, University of California Press.
  • Stevenson, Deborah, McKay, Kieryn et Rowe, David (2010), “Tracing British cultural policy domains: contexts, collaborations and constituencies”, International Journal of Cultural Policy, vol. 16 (2), p. 159-172.

Notes

  • [1]
    Cette étude n’a pas couvert les années 2020 et 2021 et les conséquences de la crise sanitaire du COVID-19 sur l’institution.
  • [2]
    Registered charity : 209131 (Angleterre et Pays de Galle) SC037733 (Écosse). De plus, une Supplemental Charter a été accordée le 26 novembre 1993 au British Council, <https://www.britishcouncil.org/sites/default/files/royalcharter.pdf> [19/11/2018].
  • [3]
    “[...] public corporation and an executive non departmental public body” dans le texte original.
  • [4]
    First Report from the House of Commons Expenditure Committee, 1970-71, The British Council, Q. 2337 et <https://api.parliament.uk/historic-hansard/commons/1972/feb/09/british-council> [19/11/2018].
  • [5]
    HC Deb 09 February 1972 vol 830 cc1351-432, Mr. Lewis Carter-Jones, Député Labour d’Eccles : « Je dois dire d'emblée que la sous-commission était d'accord et unanime, sur le fait que le British Council faisait un travail de premier ordre pour la Grande-Bretagne, et nous avons senti que le Foreign Office mettait son nez là où il n'avait vraiment aucun souci. Je dis cela avec une réserve. C'est que le FCO doit décider si le British Council est complètement indépendant ou si le ministère doit intervenir. Mais il ne peut pas jouer sur les deux tableaux. »
  • [6]
    <https://www.gov.uk/government/publications/tailored-review-of-the-british-council-terms-of-reference/tailored-review-of-the-british-council-terms-of-reference> [19/11/2018].
  • [7]
    Entretien #1 avec une Policy and Parliamentary Affairs Adviser, le 03 avril 2019.
  • [8]
    <https://appg.britishcouncil.org/education-culture-inquiry> [04/09/2019].
  • [9]
    Entretien #1 avec une Policy and Parliamentary Affairs Adviser, le 03 avril 2019.
  • [10]
    Entretien #2 avec le directeur du British Council de Paris, le 03 avril 2019.
  • [11]
    <https://www.gov.uk/government/people/lindsay-croisdale-appleby#current-roles> [04/09/2019].
  • [12]
    <https://www.nao.org.uk/wp-content/uploads/2008/06/0708625.pdf>, p. 7 “The British Council has no direct international peers” [19/11/2018].
  • [13]
    <https://www.britishcouncil.org/sites/default/files/2017-18-annual-report.pdf>, p. 66 [19/11/2018].
  • [14]
    <https://www.britishcouncil.org/sites/default/files/annual-report-2012-13.pdf> [19/11/2018].
  • [15]
    « [...] entrepreneurial public service » dans le texte original p. 3.
  • [16]
    Ibid. p. 2 “We have recommitted to being an entrepreneurial public service which will grow faster and create more value for the UK and for everyone who uses our services. […] We will create more international opportunities for the UK and raise people’s awareness that those opportunities exist”.
  • [17]
    Ibid. p. 7.
  • [18]
    <https://www.britishcouncil.org/sites/default/files/annual-report-2015-2016.pdf> [19/11/2018].
  • [19]
    <http://www.assemblee-nationale.fr/13/cr-cedu/09-10/c0910025.asp> [18/11/2018].
  • [20]
    Entretien #3, Chargée de projets culturels au Goethe-Institut, le 11 janvier 2019.
  • [21]
    Typologie développée dans les différents rapports d'activités du British Council, <https://www.britishcouncil.org/sites/default/files/2017-18-annual-report.pdf> p. 42 [19/11/2018] <https://www.britishcouncil.org/sites/default/files/annual-report-2016-17.pdf> p. 38 [19/11/2018] <https://www.britishcouncil.org/sites/default/files/annual-report-2014-2015.pdf> p. 24. [19/11/2018].
  • [22]
    Entretien #2, directeur du British Council de Paris, le 03 avril 2019, traduit par les soins de l'auteure.
  • [23]
    « The British Council commissioned Ipsos MORI to conduct the first survey in May and June 2016, covering 18 to 34 year olds in all 19 nation states in the G20 – the UK’s closest economic and cultural competitors and partners – to examine levels of trust that existed between these countries, and their levels of attraction to each other. The sample was chosen because this age range will contain future leaders in politics, business, education and culture who will be the people the UK will need to engage over the next 20–30 years if it is to continue to develop its international partnerships. The survey was then repeated with fresh samples in the autumn of 2016, after the outcome of the EU referendum was known, to enable a comparison of perceptions. It also enabled additional questions to be asked about the impact of the referendum specifically and its effects on likely future engagement with the UK, whether positive or negative. […] The two studies together represent the British Council’s biggest effort to date to collect views of the UK among educated young people internationally. They build on earlier studies of how the UK is seen by people around the world undertaken in 2013–14 and 2010–11 » <https://www.britishcouncil.org/sites/default/files/from_the_outside_in.pdf> p. 4. [11/12/2018].
  • [24]
    <https://www.britishcouncil.org/sites/default/files/from_the_outside_in.pdf> p. 30. [11/12/2018].
  • [25]
    Ibid. p. 44.
  • [26]
    Entretien #2, directeur du British Council de Paris, le 03 avril 2019, traduit par les soins de l'auteure.
  • [27]
    <https://www.creativeindustriesfederation.com/sites/default/files/2017-05/Brexit%20Report%20web.pdf> [09/09/2020].
  • [28]
    Ibid. p. 51.
  • [29]
    <https://www.britishcouncil.org/sites/default/files/3418_bc_edinburgh_university_soft_power_report_03b.pdf>. Les auteurs sont le Professeur J.P. Singh, directeur de l'Institute for International Cultural Relations Stuart MacDonald et Dr. Byunghwan Son, George Mason University ainsi que les Graduate Assistants de l'University of Edinburgh [11/12/2018].
  • [30]
    <https://www.britishcouncil.org/sites/default/files/3418_bc_edinburgh_university_soft_power_report_03b.pdf> p 60 [11/12/2018].
  • [31]
    Ibid.
  • [32]
    <https://www.britishcouncil.org/sites/default/files/our_shared_european_future_-_communique_-_03_july_0.pdf> [19/04/2019].
  • [33]
    Entretien #2, directeur du British Council de Paris, le 03 avril 2019, traduit par les soins de l'auteure.
  • [34]
    Entretien #1, Policy and Parliamentary Affairs Adviser, le 03 avril 2019, traduit par les soins de l'auteure.
  • [35]
    Entretien #3, Chargée de projets culturels au Goethe-Institut, le 11 janvier 2019.
  • [36]
    Entretien #4, membre Pôle Europe, Département Développement et Partenariats, Institut français, le 25 octobre 2018.
  • [37]
    <https://www.britishcouncil.org/sites/default/files/our_shared_european_future_-_communique_-_03_july_0.pdf> [19/04/2019].
  • [38]
    Ibid.
  • [39]
    <https://www.britishcouncil.org/sites/default/files/moving-beyond-brexit-recommendations.pdf> [20/04/2019].
  • [40]
    <https://www.britishcouncil.org/sites/default/files/appendix_1_-_endorsements_of_our_shared_european_future__updated_29_may_2018.pdf> [19/04/2019].
  • [41]
    <https://www.britishcouncil.org/sites/default/files/2017-18-annual-report.pdf>, p. 27 [18/09/2020].
  • [42]
    La première mention se trouve dans l’introduction de ce rapport annuel de 2017-2018, « […] le gouvernement cherche à renforcer les connexions mondiales de la Grande-Bretagne alors que nous nous dirigeons vers le Brexit » Ibid. p. 2.
  • [43]
    Entretien #5 avec un chargé de mission de l'Institut Français, le 25 septembre 2018.
  • [44]
    <https://www.eunicglobal.eu/contacts> [06/05/2019].
  • [45]
    <https://eacea.ec.europa.eu/sites/eacea-site/files/cebooklet2016_web.pdf>, p. 35 [10/05/2019].
  • [46]
    <https://www.cultureinexternalrelations.eu/> [10/05/2019].
  • [47]
    <https://ec.europa.eu/info/departments/foreign-policy-instruments_en> [10/05/2019].
  • [48]
    <https://www.eunicglobal.eu/clusters#cluster-what-is> [06/05/2019].
  • [49]
    Entretien #2, directeur du British Council de Paris, le 03 avril 2019, traduit par les soins de l'auteure.
bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.9.175

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions