Notes
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[1]
Cité dans : « L’UE scelle son élargissement à 25 membres », Le Monde, 17 avril 2003
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[2]
Une autre stratégie d’invention d’un patrimoine européen est la représentation muséale de l’Europe. Voir Mazé (2009) et Kaiser (2011).
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[3]
Voir le site de la Commission européenne, DG Education et Culture : <http://ec.europa.eu/culture/our-programmes-and-actions/doc2519_en.htm>, consulté le 23 septembre 2011.
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[4]
Il est à souligner que des initiatives académiques indépendantes des institutions européennes ont eu pour but de mettre en lumière des « lieux de mémoires européens », voir François et Sicard (à paraître).
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[5]
Conseil de l’UE : Décision n° 1904/2006/EC du Parlement européen et du Conseil européen, OJEC L 378/32, 27 décembre 2006.
-
[6]
Commission européenne, DG X, rapport, avril 1982, Conférence internationale des professeurs d’histoire contemporaine, Luxembourg 28-29 janvier 1982. Étude des débuts de l’intégration européenne.
-
[7]
Entretien avec Michel Dumoulin, Bruxelles, 4 septembre 2009.
-
[8]
Archives historiques de l’Union européenne (AHUE) : Fonds Émile Noël, EN-1137, Note de René Girault sur le futur du Groupe de liaison des historiens et sur les projets de recherche, Paris, 1er décembre 1987.
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[9]
Voir Girault (1994) et Frank (2004).
-
[10]
AHUE : Fonds Émile Noël, EN-1045, Note de Manuel Santarelli à M. Ripa de Maena, Report on the feasibility of a « Lived history of the Community » as proposed by the Ministers of Culture on 20 December 1985 », Bruxelles, 7 décembre 1987.
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[11]
Entretien avec Michel Dumoulin, Bruxelles, 4 septembre 2009 et archives personnelles de M. Dumoulin : dossier « Groupe de Liaison des Historiens », Procès-verbal de la réunion du 30 janvier 1986.
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[12]
AHUE : Fonds Émile Noël, EN-2503, F. Delouche (1988), Manuel d’Histoire de l’Europe » DG X, Unité Information universitaire, 15 février 1986.
-
[13]
Ibid. Le livre de Le Goff, qui établit la chrétienté médiévale comme origine de l’Europe actuelle, fut cependant publié et connu un grand succès. L’ouvrage fait partie de la collection « Faire l’Europe », publiée simultanément par cinq maisons d’édition européennes, avec l’intention « d’ouvrir les Européens sur le caractère unique de leur civilisation et de leur projet politique » (Le Goff, 2003).
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[14]
Johan Galtung évoque (1994, 224) « a totally uncritical book presenting a gender biased and sanitised view of history ».
1 Le retour en force de la mémoire sur l’agenda politique et intellectuel de l’Union européenne (UE) depuis les années 1990 renvoie à des déterminants variés qui renseignent sur l’évolution du système politique européen dans toutes ses dimensions (polity/politics/policies). La résurgence de la référence au passé traduit la réactivation de la mémoire comme ressource politique par les institutions européennes, en réponse à de nouvelles structures d’opportunité et de contrainte liées aux élargissements, à la conjoncture politique interne de légitimation de l’UE et à la concurrence entre institutions européennes. Ces nouveaux usages de la mémoire ne renvoient pas à une doctrine clairement formalisée d’un rapport à l’histoire comme mythe fondateur sur le modèle de l’État-nation. Si la recherche du « grand récit » est bien présente parmi les motivations des acteurs, elle coexiste avec des stratégies visant d’autres types de légitimation ou poursuivant des intérêts de court terme. La montée en puissance d’une mémoire européenne ne signifie donc pas nécessairement la fin des versions enchantées des histoires nationales. Elle peut proposer des projets alternatifs, s’appuyer sur les imaginaires nationaux pour les dépasser ou les retravailler.
2 Par mémoire, on entend ici principalement mémoire politique définie comme la reformulation constante de vision du passé dans la compétition pour le pouvoir de manière à produire des effets politiques. Les objectifs poursuivis peuvent être multiples. Il peut s’agir de justifier des processus d’action publique au nom d’une tradition, d’un héritage à préserver ou d’une solidarité ancestrale. Le but visé peut encore être de rechercher dans le passé un principe d’unité et des ressources de mobilisation pour favoriser le montage de coalitions d’acteurs (publics/privés, politiques, bureaucratiques ou de la société civile), du niveau européen au local avec d’éventuelles ramifications internationales. Enfin, l’évocation d’une mémoire peut être un moyen de répondre à une demande identitaire, de formuler un message de réassurance sur le devenir collectif, ou simplement de rechercher l’attention et le soutien de publics cibles ou de la plus large audience. Les références contemporaines à la mémoire sont largement à comprendre comme un acte communicationnel, un usage du passé servant à construire une relation symbolique à autrui pour « faire communauté », pour définir une altérité ou pour affirmer un particularisme.
3 La mémoire politique repose sur, et interagit avec, plusieurs autres types de mémoire (culturelle, sociale, territoriale, générationnelle, etc.) qui n’acquièrent un sens politique que lorsqu’ils sont mobilisés de manière concurrentielle dans la lutte pour le pouvoir. Sans diminuer l’importance des autres répertoires, on se focalisera ici sur la mémoire culturelle dont les institutions européennes se sont plus particulièrement saisies. La « mémoire culturelle » (Raible, 1988 ; Assmann, 1992) désigne une mémoire longue qui permet la transmission d’images et des histoires à des individus qui n’ont aucune expérience personnelle des événements remémorés. Leur actualisation se fait à l’aide de rituels, de symboles, de représentations iconographiques, de récits. Les souvenirs ainsi partagés cristallisent une vision commune du monde, créent du lien social et servent de fondation à la constitution d’une identité collective. Les domaines privilégiés de cette mémoire sont les arts, les humanités, l’éducation.
4 Trois scénarios, à comprendre comme des idéaux-types, sont observables dans les débats récents relatifs à la mémoire européenne. Ces scénarios, qui coexistent et se recoupent fréquemment en pratique, renvoient à autant de stratégies différentes développées par les acteurs politiques et sociaux pour ancrer l’UE dans le temps. Chaque scénario est illustré ici par une étude de cas.
5 Le premier scénario est l’européanisation de l’intérieur des mémoires nationales. Un bon exemple est l’investissement symbolique et financier des institutions européennes dans la restauration et la mise en valeur de lieux historiques nationaux transformés en « lieux de mémoire européens ».
6 Le deuxième scénario est l’énonciation d’une mémoire spécifique du processus d’intégration européenne. Le soutien au développement de réseaux spécialisés d’historiens et de recherches va dans ce sens. Cette approche, qui se concentra tout d’abord sur l’intégration après 1945, ne résista pas à la tentation de la « grande histoire » en soulignant de manière sélective dans le passé du continent ce qui pouvait justifier son unification.
7 Le troisième scénario assume explicitement une ambition de doter l’Europe (plutôt que l’UE stricto sensu) d’un grand récit des origines autonomes des histoires nationales. Il se distingue du second scénario en ce qu’il est moins directement lié à la construction européenne proprement dite et est souvent porté par des acteurs non-institutionnels qui se font les défenseurs d’une civilisation européenne à (re)découvrir. Le débat sur l’héritage chrétien de l’Europe amorcé lors du processus constitutionnel en est une application concrète.
Les conditions structurelles de l’énonciation d’une mémoire européenne
8 Une mémoire européenne ne va pas de soi, que ce soit concernant le périmètre qu’elle peut englober, la concurrence de récits s’articulant à d’autres référents territoriaux qu’elle peut rencontrer, les versions divergentes dont elle peut faire l’objet, son abstraction faute de cadres sociaux enracinés dans les cultures collectives, et enfin du fait de la possible non-compatibilité des types de temporalités auxquels elle est confrontée.
9 La zone à historiciser n’est pas donnée de manière incontestable par les faits. L’Europe au sens géographique ne s’impose pas comme système d’action dont le fonctionnement peut expliquer l’évolution historique du continent. L’intérêt de proposer une histoire qui dépasse le prisme national est aujourd’hui largement reconnu, et l’élargissement de la focale pousse les chercheurs jusqu’à proposer une « histoire globale » à l’échelle de la planète. L’aire territoriale pertinente ne va pas nécessairement « de l’Atlantique à l’Oural ». Les interactions entre centres de force se font à géométrie variable selon les époques et les problèmes, tantôt morcelant et tantôt transgressant les frontières de l’UE telle qu’on la connaît aujourd’hui. L’intégration européenne en tant que telle se voit généralement réservée au mieux quelques pages, quand elle n’est pas totalement ignorée (voir par exemple Mazower, 1998 ; Hobsbawn, 1994).
10 « L’Europe » n’est qu’un cadre sémantique tardif en compétition avec d’autres pour se remémorer le passé. « La chrétienté » ou « l’Occident » sont des exemples de termes structurant des récits alternatifs pour formuler un mythe des origines et donner sens aux évolutions historiques du continent. « L’Europe » comme configuration culturelle prend forme seulement entre le Xe et le XVe siècle et ne revêt une signification politique réelle qu’après le XVIe siècle, une fois que la référence chrétienne a perdu son pouvoir unificateur avec la Réforme et les guerres religieuses. La Renaissance et les Lumières, de même que l’évangélisation d’autres parties du monde, poursuivent le démantèlement de la Chrétienté comme structure politique européenne (Delanty, 1995, 65-83). Les schémas géopolitiques séculiers (nationalisme, libéralisme, socialisme, etc.) qui émergent alors ne permettent le plus souvent pas de penser l’Europe dans son entièreté, et la débordent fréquemment. De nos jours, les tentatives se multiplient de reformuler une « mémoire civilisationnelle » européenne. Il s’agit de mettre l’accent sur l’ancienneté d’un système régional d’interactions entre sociétés qui aurait abouti à l’émergence d’un socle de valeurs communes. L’enjeu est de déterminer qui participe et surtout qui ne participe pas de cette civilisation. Comme le soulignent Jefery Checkel et Peter Katzenstein, en Europe comme ailleurs, les « mémoires civilisationnelles » sont toujours des cacophonies sans unité ni hiérarchie interne, mais elles ont une certaine efficacité quand il s’agit de désigner un « autre » qu’on exclut du devenir commun (Checkel et Katzenstein, 2009, 219).
11 Une potentielle mémoire européenne ne dispose pas a priori de cadres sociaux (Halbwachs, 1949) capables de la supporter et de l’informer. Le souvenir doit pouvoir reposer dans le cadre dans lequel s’est déroulée l’action, à la fois pour assurer la bonne transmission des contenus cognitifs et pour que ce qui est transmis soit connoté affectivement de la même manière pour tous les membres du groupe. Chacun doit se rappeler la même chose en l’investissant de la même valeur et de la même émotion. L’UE n’a pas été le cadre initial de ce qu’elle pourrait prétendre mettre en mémoire. Elle ne constitue pas non plus la sphère de l’expérience quotidienne directe des Européens. L’inculcation, la commémoration et la codification normative de la mémoire continuent à se faire très largement dans le moule national. Le succès très limité de la tentative d’instaurer des rituels européens (exemple de la Journée de l’Europe) (Foret, 2008, 150-153) fonctionnant comme dispositifs de sédimentation d’une vision partagée de l’histoire montre que l’UE n’a pas les mêmes ressources symboliques et politiques que l’État-nation pour « récupérer » le passé et l’ajuster aux nécessités de sa légitimation. Si l’on pousse la logique à l’extrême, les seuls lieux d’une « mémoire européenne pure », au double sens où ils renvoient à une action du passé proprement européenne sans médiation nationale ou infranationale et où ils constituent la sphère de l’expérience quotidienne pour une population, sont les institutions européennes. C’est l’une des explications du tropisme vers Bruxelles de toutes les initiatives de commémoration de l’UE.
12 Il existe une tension permanente entre la perpétuelle reconstruction de la mémoire collective dans la compétition entre visions sociales différentes et le rôle stabilisateur des institutions. Lorsqu’elle s’inscrit dans la durée et la continuité – ce qui n’est guère le cas pour l’UE –, l’action mémorielle des autorités publiques peut représenter un point d’ancrage pour déterminer les usages politiques légitimes du passé. Mais la mémoire « officielle » n’est jamais un processus top-down totalement efficace. Elle rencontre de nombreuses résistances et fait l’objet de multiples tentatives de réappropriation. L’UE promeut une mémoire institutionnelle d’une Europe célébrée comme un espace de démocratie, d’état de droit et de protection des minorités ayant été capable de tirer les leçons du passé. Cette version irénique se heurte de façon régulière à la mémoire transmise par l’école et par la société, articulée autour de la guerre, événement traumatique que le discours communautaire de réconciliation n’efface pas (Bottici, 2008, 48-54). L’efficacité politique d’une « identité européenne basée sur l’horreur du passé » (Giesen, 2003, 32-33) et le souvenir commun des souffrances partagées peinent toujours à se vérifier dans les faits.
13 Pour finir, la notion même de mémoire européenne n’est pas spontanément compatible avec la temporalité du projet politique d’intégration. La société pré-moderne s’autorisait du passé et le pouvoir politique prétendait avant tout incarner la continuité de la communauté politique. Dans la modernité tardive, le rapport au temps bascule et c’est le futur et le projet à réaliser par le pouvoir qui deviennent la source de légitimité. L’intégration européenne pousse à son terme cette logique en se définissant comme un chantier en perpétuelle redéfinition : l’événement fondateur est la rupture avec le passé récent des guerres, et la finalité ultime n’est pas précisée, faisant du présent la clé de voûte de la temporalité européenne. Ce « présentéisme » complique singulièrement toute tentative de mise en mémoire des acquis de la construction européenne (Abélès, 1996, 56). La focalisation sur le présent marque fortement le rapport au temps de l’UE mais est cependant loin de lui être exclusive. Les États-nations européens doivent également faire face à cette accélération du temps qui suggère une rupture avec le passé et fait de l’avenir un inconnu menaçant. En découle une hypertrophie des appels à la mémoire, ou plutôt à des mémoires plurielles qui s’annulent mutuellement dans la recherche d’une version unifiante du vécu collectif (Gauchet, 1998 ; Beck, 1992). La frénésie commémorative qui en résulte est fréquemment critiquée comme une dégradation de la mémoire en communication, l’invention perpétuelle de mythes et rituels qui connaissent une obsolescence presque instantanée (Alexander, Giesen et Mast, 2006).
14 Des conflits de temporalités peuvent de même survenir quand la mémoire européenne passe par des grilles de lecture normatives de l’histoire, comme par exemple le religieux. Le temps chrétien linéaire va d’un début donnant sens à la lecture des siècles qui suivent comme le déploiement de la destinée chrétienne de l’Europe jusqu’à une fin des temps annoncée sans être datée, mais qui commande d’adopter des comportements dictés par la religion pour s’y préparer. Le « présentisme » de l’UE contredit la téléologie chrétienne. En pratique, cette contradiction est largement résolue par le fait que le christianisme n’est plus en mesure d’imposer son mode d’emploi et que les références qui y sont faites ne reprennent pas sa vision temporelle (Foret, 2009, 37-50).
Trois scénarios pour l’émergence d’une mémoire européenne
15 Les conditions structurelles pour l’émergence d’une mémoire collective à l’échelle européenne ne sont pas acquises d’emblée. Cela n’a pas empêché la multiplication d’initiatives en ce sens, selon des modalités et avec des résultats variables. Trois principaux axes peuvent être distingués et illustrés par une étude de cas : la reformulation de mémoires existantes pour montrer en quoi elles sont européennes ; la mise en mémoire du processus d’intégration en lui-même, prolongée éventuellement par la mise en lumière de ses origines profondes ; l’activation d’une mémoire de l’Europe plus que de la construction européenne, un grand récit sur les racines d’une civilisation européenne, racines fréquemment religieuses.
L’Européanisation de l’intérieur : des lieux de mémoire nationaux au concept de patrimoine européen
16 Le rapport au passé et à sa remémoration entretenu par les institutions européennes a fortement évolué au cours des premières décennies de la construction européenne. La mémoire encore vive de la guerre était au cœur de l’argumentaire développé par les architectes de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA). Le discours de Robert Schuman du 9 mai 1950, érigé plus tard en acte fondateur de la Communauté, concevait l’union économique comme l’unique moyen de mettre un terme aux incessantes guerres européennes. Dès lors, la mémoire de la guerre est demeurée présente dans tous les textes fondamentaux de l’UE, acquérant ainsi le statut d’« acquis historique communautaire » (Larat, 2002). Cependant, ce rejet du passé belliqueux n’a pas entrainé la constitution d’une politique mémorielle. Comme au niveau des États-nations, les impératifs de reconstruction et la réconciliation imposaient le silence aux mémoires conflictuelles.
17 La crise des années 1970 et la fin du consensus permissif (Lindberg et Scheingold, 1970) qui permit aux élites communautaires de mener l’intégration européenne sans un appui significatif de l’opinion publique, obligèrent les élites européennes à envisager une autre temporalité. Le souci croissant d’éveiller l’intérêt des citoyens pour l’intégration européenne réintroduit le passé sur la scène du présent. Le passé de l’Europe fit son entrée sur l’agenda européen à travers le concept de patrimoine culturel et sous l’impulsion du Parlement européen (PE).
18 Dans une résolution de 1973, le PE réclama une participation de la Communauté dans la sauvegarde du patrimoine architectural et artistique de l’Europe, considéré comme le symbole tangible d’une identité européenne commune. La mémoire fit donc son entrée sur l’agenda politique de l’UE sous la forme de lieux de mémoire envisagés comme d’efficaces représentations de l’Europe. Il s’agit bien ici de lieux de mémoire au sens norassien dans la mesure où le but poursuivi est d’investir un lieu (physique mais également abstrait) d’une dimension émotionnelle forte, capable de toucher le plus grand nombre (Nora, 1984).
19 Le premier lieu de mémoire auquel la Commission accorda une subvention en 1984 fut le Parthénon, présenté par les eurodéputés comme le berceau de la démocratie européenne. La ligne budgétaire créée par la suite pour la protection du patrimoine européen fut tout entière dédiée à des monuments emblématiques d’une haute culture largement issue des héritages gréco-romain et chrétien (Calligaro, 2010, 88-92). La mise en valeur de ces monuments participe à l’écriture d’un grand récit européen, à la glorification des origines d’une communauté européenne antérieure aux institutions créées après 1945 et en en justifiant en partie l’existence. La stratégie consiste en une européanisation de lieux de mémoire déjà célèbres, au moins à l’échelle nationale, et d’incarner ainsi une identité européenne. Certains de ces lieux sont investis pour la célébration de rituels européens durant lesquels leur dimension nationale est escamotée. L’Acropole fut ainsi le cadre choisi pour lancer le programme des Capitales européennes de la culture dont les premières éditions (Athènes 1985, Florence 1986), insistèrent sur les racines communes de l’Europe (civilisation grecque, Renaissance). La signature officielle du Traité d’adhésion des pays est-européens en avril 2003 eut également pour cadre l’Acropole d’Athènes. Dans son discours d’ouverture, le premier ministre grec Kostas Simitis, établit un pont temporel entre la démocratie athénienne et la Communauté européenne en train de se construire. Avec le choix de l’Acropole plutôt que du siège bruxellois des institutions comme décor, la célébration de l’élargissement, qui ouvrait de nouveaux horizons à la Communauté, devenait simultanément la commémoration d’un passé commun : « Ici, dans cette ancienne agora, il y a eu de cela 2500 ans, des hommes de cultures et de nationalités différentes se rencontraient pour débattre. Ce lieu nous fait comprendre que l’histoire ne s’arrête pas. Il est la continuité de l’histoire [1]. »
20 La stratégie, plutôt que de mettre en scène un rituel fort en un lieu particulièrement charismatique, peut également consister en l’invention des rituels simultanés à travers l’espace européen, permettant ainsi de toucher un public large. C’est la stratégie à l’œuvre dans le programme des Journées européennes du patrimoine. Cette initiative, s’inspirant des Journées portes ouvertes des monuments historiques créées en 1983 par le ministère Lang, fut lancée en 1991 par le Conseil de l’Europe. La Commission européenne en devint le co-organisateur à partir de 1999. Lors de ces journées, les visiteurs admirent le plus souvent des sites ou des collections constitués dans et pour le cadre national. Inviter les Européens à découvrir ou redécouvrir ces lieux simultanément, à l’occasion d’un événement présenté avec insistance comme européen, est une tentative d’européaniser des lieux liés à la mémoire nationale ou locale (Calligaro, 2009, 92) [2]. Autre illustration marquante de cette apposition d’une dimension européenne à des lieux de mémoire : le Label du patrimoine européen. Ce label fut proposé en 2007 par le ministre français de la Culture Renaud Donnedieu de Vabres et devint, avec l’appui de différents États européens, une action de forme intergouvernementale. Il est désormais en voie de devenir un programme de l’UE. Son objectif officiel est de « renforcer le sentiment d’adhésion des citoyens de l’Europe à une identité européenne commune et de favoriser leur sentiment d’appartenance à un espace culturel commun ». Pour se voir attribuer ce label, les sites patrimoniaux doivent mettre en valeur leur dimension européenne, et une plaque portant le logo du Label est apposée à leur entrée. Dans la liste des sites ayant reçu le label figurent notamment l’Acropole d’Athènes, la place du Capitole à Rome, l’Abbaye de Cluny, la maison de Goethe à Francfort ou les chantiers navals de Gdansk [3]. Une telle désignation, au niveau institutionnel, de sites dignes d’appartenir à un patrimoine européen commun, contribue à l’esquisse d’une carte de la culture européenne, à l’écriture d’une histoire officielle dont les étapes marquantes sont incarnées par des lieux de mémoire estampillés « européens [4] ». Jusque-là, aucun lieu de mémoire se référant à un passé traumatique ne s’est vu décerner le Label du patrimoine européen.
21 Pourtant, des sites liés une mémoire négative de l’Europe ont été inclus dans la définition institutionnelle du patrimoine européen dès 1993. À l’initiative d’un groupe de parlementaires européens, les anciens camps de concentration nazis furent en effet reconnus comme « monuments historiques européens » et devinrent ainsi éligibles à l’obtention de subsides communautaires (Calligaro, 2010, 94). La résolution de 1993 fut le point de départ d’une intégration toujours plus grande d’une mémoire négative de l’Europe, essentiellement tournée vers les guerres et dictatures du XXe siècle, dans l’approche officielle du passé européen. Cette évolution aboutit en 2006 à la décision du PE et du Conseil d’instituer un programme d’action communautaire destiné à promouvoir une « mémoire européenne active » incluant les crimes du nazisme, et, à la suite de l’élargissement à l’est de l’UE en 2004, les crimes du stalinisme [5]. C’est la première fois que dans un texte officiel le concept de mémoire s’émancipe du concept de patrimoine européen. Jusque-là, les actions de la Communauté se fondaient sur un devoir de conservation des traces d’un passé européen commun. L’établissement de liste de sites susceptibles de bénéficier de subsides de la Communauté constituait une mémoire relativement statique. Avec la décision de 2006 est introduite l’idée d’un devoir de mémoire dynamique, constitutif d’une identité européenne commune.
22 Cependant, l’UE a financé, bien avant 2006, des projets dépassant la simple conservation du patrimoine physique et proposant des réflexions critiques sur un passé européen commun. Le programme Culture 2000 pour les années 2000-2007, en charge du financement de projets culturels par la Communauté, disposait d’un large chapitre « Patrimoine européen ». Il en est même pour le programme 2007-2013. Au titre du « Patrimoine européen » sont éligibles des projets œuvrant aussi bien à la conservation de sites matériels qu’à la publication de livres et l’organisation de colloques ou d’expositions, parfois itinérantes, sur des aspects du passé européen. Le budget européen a ainsi participé dès 2000 au financement d’expositions sur les préjugés antisémites, sur la culture rom, sur l’instrumentalisation des loisirs dans les régimes fasciste et nazi, etc. (Calligaro, 2010, 96). Si ces projets explorent des mémoires de natures diverses, tous respectent un critère strictement exigé par la Commission européenne : la participation d’acteurs – associations, musées, universités – issus d’au moins trois États européens différents. Dans la majorité des cas, en particulier pour les projets portant sur la mémoire de la Seconde Guerre mondiale et de ses conséquences, les projets financés après l’élargissement associent systématiquement des acteurs des deux côtés de l’ancien rideau de fer. Les conditions de financement imposent donc aux acteurs locaux et nationaux d’imaginer des collaborations au-delà de leurs frontières nationales, et pour cela, de déterminer a priori des équivalences, des correspondances dans l’expérience du passé faite par d’autre pays européens. Dans ce type d’action, la stratégie de la Commission n’est donc pas tant d’européaniser des lieux de mémoire que d’européaniser les conditions de réflexion sur une mémoire considérée d’emblée comme commune.
La mise en mémoire accélérée du processus d’intégration comme récit autonome
23 L’action des institutions européennes au cours des quarante dernières années n’a pas seulement porté sur l’européanisation du passé mais également sur une mise en mémoire accélérée de l’histoire de l’intégration européenne elle-même. Cet effort commence également dans les années 1970 et poursuit un but similaire : humaniser le processus d’intégration trop largement perçu par l’opinion publique comme une mécanique froide.
24 La mise en mémoire du processus d’intégration commence par l’élaboration d’un discours des origines autour de la figure des pères fondateurs (Cohen, 2007, Constantin, 2009). Les Mémoires de Jean Monnet, publiées en 1976, sont un élément central de cette entreprise menée par des institutions privées gravitant autour des institutions européennes et soutenant leur action. C’est le cas notamment de la Fondation Ford, qui finança en grande partie le projet. La rédaction des Mémoires nécessita le travail archivistique d’un historien, Jean-Baptiste Duroselle, qui devint au cours des décennies suivantes un acteur-clé du discours des origines de la construction européenne. Enfin, c’est un fonctionnaire européen, François Fontaine, directeur du Bureau d’information de la Communauté à Paris, qui se chargea de la rédaction des Mémoires (Cohen, 2007, 20-25). Le projet autobiographique de Monnet a donc posé les fondations d’une collaboration entre acteurs institutionnels et historiens qui sera le moteur de la mise en mémoire accélérée de l’intégration européenne.
25 La seconde étape de ce processus fut le développement d’une telle collaboration non plus en marge des institutions, sur la base d’un financement privé, mais de façon officielle et sur demande expresse de la Commission européenne. L’année même de la publication des Mémoires de Monnet, en 1976, le secrétaire de la Commission européenne signa avec le directeur de l’Institut universitaire européen de Florence, à peine créé, un contrat portant sur l’écriture d’une historiographie de l’intégration européenne. La réalisation en fut confiée à l’historien allemand Walter Lipgens, un fédéraliste fervent (Varsori, 2010, 11-12).
26 L’effort de la Commission s’intensifia avec l’ouverture des premières archives de la construction européenne en 1981. Elle convia des historiens des relations internationales à une conférence à Luxembourg en 1982 pour une réflexion commune sur l’historiographie de l’intégration. Parmi les invités figuraient des historiens avec lesquels la Commission avait déjà établi contact tels que Jean-Baptiste Duroselle et Walter Lipgens. Les orateurs qui ouvrirent la conférence – le président de la Commission, Gaston Thorn, et Walter Lipgens – tinrent un discours quelque peu contradictoire mais représentatif de la pensée des partisans d’une européanisation de la mémoire européenne. Tous deux dénoncèrent le rôle joué par les historiens dans l’alimentation de discours nationalistes responsables de l’affaiblissement d’une identité européenne pluriséculaire. Gaston Thorn rassura son auditoire en expliquant qu’il n’était certes pas l’intention de la Commission de mettre l’histoire au service d’un « Grand dessein européen » mais en appela cependant à une « déterritorialisation » de la science historique, permettant l’adoption d’un point de vue européen et non plus strictement national sur le passé. Jean-Baptiste Lipgens n’hésita pas, quant à lui, à promouvoir une approche militante de l’historiographie capable de restaurer la profondeur historique de l’identité européenne [6]. Tous deux critiquaient en somme un usage politiquement orienté de l’histoire pour en proposer un autre, tout aussi orienté. Le fondement de leur pensée est que la mémoire européenne n’est pas à inventer mais, qu’obscurcie par le nationalisme, elle est à remettre en lumière.
27 À l’issue de la conférence de 1982 fut créé le Groupe de liaison des historiens près la Commission européenne, dont la tâche était de dynamiser la production et la circulation de savoir sur l’histoire de l’intégration européenne (Le Boulay, 2010 ; Calligaro, 2011). Le groupe est une création de la direction générale de l’Information de la Commission, dont une unité se dédiait particulièrement au milieu académique. Un des buts affichés de cette unité était d’utiliser les professeurs d’universités comme relais d’un savoir sur l’intégration européenne auprès des jeunes générations d’étudiants dans l’espoir de les gagner à la cause européenne (Calligaro, 2011, 28-36). Les historiens du groupe n’étaient pas dans leur majorité des fédéralistes forcenés et voyaient parfois d’un mauvais œil l’intrusion de la Commission dans leurs travaux [7]. On observe cependant un infléchissement européen de leurs recherches. En 1989, René Girault, professeur à la Sorbonne, lança le projet « Identité et conscience européennes au XXe siècle ». Dans sa présentation du projet à la Commission, il expliquait qu’un progrès de l’intégration européenne rendait nécessaire une plus grande conscience chez les citoyens européens de ce qui les unit : « une histoire culturelle commune, une unique civilisation [8] ». Quelle que soit la part d’opportunisme d’un tel discours, il n’en reste pas moins que le projet de R. Girault, né dans le cadre du Groupe de liaison, a mobilisé des dizaines d’historiens à travers l’Europe et donné lieu à des conférences et à d’importantes publications. Achevé en 1993, il fut poursuivi par Robert Frank sur la période 1995-1999 [9]. Les liens établis entre la Commission et les historiens ont ainsi contribué à une diffusion et à une banalisation dans la sphère académique de concepts jusque-là largement ignorés tels que « identité, conscience ou mémoire européennes » (Calligaro, 2011, 76-79).
28 La Commission a également tenté d’infléchir les méthodes de travail des historiens en cherchant précisément à tirer l’histoire sur le terrain de la mémoire. Dès la rencontre de 1982 et dans les conférences suivantes organisées par le Groupe de liaison, la Commission a tenu à ce quoi soient présents des témoins de la construction européenne et a invité les historiens à prendre en compte cette mémoire vivante. Il s’agissait d’incarner, au sens propre du terme, le processus d’intégration. Le Conseil européen de Milan de 1985 adopta même un mémorandum sur la constitution d’une « histoire vécue de l’intégration européenne », fondée sur les souvenirs personnels de « l’homme de la rue [10] ». Consultés par la Commission, les historiens considèrent le projet comme ridicule : il n’y a pas de mémoire populaire de la construction européenne, qui fut menée par les élites [11].
29 Au cours de la décennie suivante, en conséquence des invitations répétées de la Commission, les historiens du Groupe de liaison, pour la plupart devenus entre-temps titulaires d’une chaire Jean Monnet pour l’histoire de l’intégration, s’engagèrent dans un vaste projet de recueil de la mémoire de ces élites, constituant une impressionnante réserve d’archives orales (Calligaro, 2011, 72-76). Poursuivant cette même logique, la Commission lança en 2002 un appel à projet pour la réalisation d’une histoire de la Commission européenne largement fondée sur la mémoire des acteurs. Le projet retenu fut celui de Michel Dumoulin, membre de la première heure du Groupe de liaison et aboutit en 2007 à la publication du livre La Commission européenne, 1958-1972. Histoire et mémoires d’une institution.
30 Il y a sans doute un contraste très grand entre les ambitions énoncées lors de la rencontre de 1982 à Luxembourg, où W. Lipgens proposait une mise en lumière des origines profondes de l’intégration européenne, et la publication de l’histoire d’une institution contemporaine. La tentation d’écrire une histoire de l’intégration européenne sur le temps long a existé et son échec relatif a sans doute mené la Commission à réévaluer ses ambitions dans le domaine historiographique. En effet, elle accorda en 1985 son soutien au projet de Jean-Baptiste Duroselle et Frédéric Delouche, un entrepreneur privé, d’une histoire de l’Europe clairement téléologique, où la succession d’expériences « communautaires » dès l’Antiquité sous-tend le processus d’intégration du XXe siècle. Jean-Baptiste Duroselle et Frédéric Delouche imaginaient initialement trois volets pour ce projet : un livre d’histoire pour un public érudit, un manuel scolaire pour les élèves du secondaire et une bande-dessinée pour un public jeune et populaire, tous réalisés avec la collaboration d’historiens et d’auteurs de manuels issus de divers pays européens et étant destinés à paraître dans le plus grand nombre possible d’États membres [12]. C’est parce que le projet proposait de toucher un public très large qu’il fut préféré à une Histoire de l’Europe soumise à la même époque à la DG X par Jacques Le Goff et que la Commission considéra comme trop « élitiste [13] ».
31 Le premier volet de l’entreprise Delouche-Duroselle, un livre d’histoire à l’approche clairement téléologique reposant sur le mythe de l’Europe comme produit d’une histoire pan-européenne pluriséculaire (Ifversen, 2010, 461), fut l’objet de critiques violentes à la veille de sa publication en 1990. La trop faible place attribuée selon certains à l’héritage grec – notamment grec orthodoxe – dans la définition de l’identité européenne suscita la polémique, relayée par des eurodéputés grecs, et obligea la Commission européenne à se désolidariser de l’entreprise (Calligaro, 2011, 83-92). Cet épisode révéla que l’écriture d’une histoire longue de l’Europe pouvait s’avérer un terrain miné pour l’UE. De nombreux auteurs décrivirent le livre de J.-B. Duroselle comme un exemple d’instrumentalisation grossière de l’histoire par la Commission européenne (Galtung, 1994 ; Shore, 2000, 44) [14]. Le manuel dirigé par Delouche, publié dans trente et un pays, ne fut jamais utilisé dans les écoles de l’UE mais connut un grand succès. Une version revue et augmentée en allemand est sortie en 2011 (Delouche, 2011).
Imiter l’État-nation pour le dépasser : l’héritage chrétien comme mythe des origines
32 Les entreprises mémorielles européennes ne partent pas toutes du processus d’intégration comme objet principal et n’émanent pas toujours des réseaux ayant Bruxelles comme centre. D’autres tentatives ont été faites de produire un « grand récit » européen qui émule le mythe des origines dont s’autorise l’État-nation pour mieux le dépasser. Il s’agit de montrer l’existence d’une civilisation européenne qui se développe depuis l’Antiquité et dont la modernité et les projets politiques contemporains ne sont qu’une déclinaison. Ces tentatives englobent l’UE comme produit historique mais n’en font pas le noyau de leur vision temporelle. L’UE n’est qu’une excroissance tardive d’un tronc commun, célébré comme tel mais aussi parfois critiqué pour son caractère réducteur.
33 Cette quête de prérequis civilisationnels communs a atteint un niveau de systématisation sans précédent lors du débat sur l’héritage chrétien de l’Europe qui s’est développé depuis la fin des années 1990. L’enjeu principal portait sur l’opportunité ou non de mentionner l’héritage chrétien dans le préambule d’une constitution européenne. La perception d’un besoin toujours plus fort de légitimation de l’UE s’est couplée avec les effets de la référence constitutionnelle : la Constitution dans la pensée politique européenne renvoie à la charte fondatrice d’une communauté politique et aux valeurs qui la cimentent. L’action des milieux non-institutionnels comme les Églises et les intellectuels a également été importante. Le rapport aux origines chrétiennes a été en outre mis en exergue dans d’autres polémiques connexes, à propos de « l’européanité » de la Turquie ou encore sur la manière de réguler le religieux, comme lors de l’Affaire Lautsi.
34 Il peut sembler paradoxal d’instrumentaliser le religieux dans l’invention d’une mémoire européenne lors même que le continent est en voie de sécularisation. Le paradoxe s’estompe si l’on comprend la sécularisation moins comme la disparition des croyances que comme leur mutation. Les grandes religions traditionnelles échappent de plus en plus au contrôle de leurs Églises et de leurs hiérarchies. Les croyances se pluralisent (coexistence et hybridation d’un grand nombre de confessions) et se subjectivisent (soumission au choix individuel dans le contenu et les modalités de pratique) (Hervieu-Léger, 1993 ; Byrnes et Katzenstein, 2006). En bref, le religieux – ou le rapport antagoniste au religieux – se culturalise. Il devient une manière de s’inscrire dans la lignée nationale en célébrant une composante de l’identité collective (le catholicisme en Pologne, la laïcité en France). Il s’offre alors comme un réservoir de sens en libre-service pour des stratégies politiques variées (Foret, 2007).
35 Un usage mémoriel du religieux en faveur de l’UE apparait donc en congruence avec son évolution sociétale qui le laisse subsister comme trace mnésique et comme marqueur identitaire davantage que comme discours d’autorité. Les difficultés sont plus d’ordre politique. Les interactions entre Église et État ont été un élément structurant du processus de construction stato-national, et la régulation des affaires spirituelles demeure fermement aux mains des États membres. Sur le plan symbolique comme sur celui des compétences juridiques, le principe de subsidiarité prévaut. Selon l’article 17 du traité de Lisbonne, l’UE respecte les systèmes nationaux en la matière et n’entend en aucun cas se substituer à eux ni les amender.
36 Les motivations pour activer une mémoire européenne à connotation chrétienne sont de différents ordres : au niveau de l’UE comme système politique ; dans l’articulation du national et de l’européen ; dans le jeu politique. Au niveau systémique, le principal objectif est de donner un mythe des origines à l’UE qui soit distinct des histoires nationales et qui leur soit antérieur, justifiant ainsi un ordre politique européen autonome. Il peut s’agir aussi de définir les critères historiques de l’appartenance à une communauté culturelle européenne. En fonction de leur conformité avec ces critères, les sociétés et les populations peuvent être hiérarchisées (anciens/nouveaux États membres ayant subi ou non la soumission au matérialiste athée communiste ; rôles historiques de foyer central ou de bastion avancé de la chrétienté ; selon le niveau de religiosité/sécularisation et/ou la confession dominante) ou être exclues. Au niveau de l’articulation du national et de l’européen, la religion peut servir de variable d’ajustement ou de résistance dans l’adaptation de l’identité nationale au contexte de l’intégration européenne. Les tenants d’une France laïque s’opposent à la mention de l’héritage chrétien dans la Constitution européenne au nom des principes issus des Lumières qui fondent son identité républicaine et qu’elle a exporté partout sur le continent (Foret et Riva, 2010). Au rebours, les forces catholiques dans l’affaire Lautsi défendent la signification culturelle des crucifix dans les salles de classe comme des symboles de l’identité nationale italienne. Dans ces usages à chaque fois différents du religieux pour soutenir ou au contraire résister à l’européanisation de l’identité nationale, des observateurs (Risse, 2010, 6, 61 sq.) pointent néanmoins la récurrence d’une opposition. Le clivage séparerait les partisans d’une Europe moderne et séculière revendiquant les valeurs humanistes, et ceux d’une Europe de « blancs chrétiens » se voyant comme membres d’une civilisation distincte qui justifie le rejet de l’étranger et celui de l’UE quand cette dernière ne protège pas cet héritage commun. Des représentations de l’Europe basées sur une mémoire à connotations religieuses s’exprimeraient ainsi différemment dans chaque espace politique national mais en suivant les mêmes grandes lignes de partage.
37 Enfin, au niveau du jeu politique à Bruxelles, la revendication des Églises de voir reconnue la primauté dans le temps des valeurs chrétiennes ne vise pas qu’à prendre acte d’un fait historique, même si elles ont tenté d’en minorer la portée en ces termes. Si l’on souscrit à l’idée que les droits de l’homme découlent du christianisme, l’étape suivante conduit à reconnaître aux Églises gardiennes de la tradition chrétienne une place prépondérante dans la délibération pour le bien public, et aux préférences collectives informées par les valeurs chrétiennes une influence particulière sur les choix en matière de politique publique. Pour finir, le religieux peut aussi être utilisé pour critiquer tout ou partie de l’intégration européenne. Invoquer les fondements chrétiens de la civilisation européenne autorise à contester le matérialisme ou le libéralisme culturel (sur l’avortement, l’homosexualité, etc.) excessifs des politiques communautaires comme une trahison des origines communes. Cela peut être un argument pour justifier ou disqualifier la candidature d’un pays à l’adhésion, ou la solidarité avec une population persécutée pour ses convictions dans le monde.
38 Toutes ces motivations sont bien présentes dans les usages du religieux dans le jeu politique bruxellois. Quels que soient l’objectif poursuivi et les acteurs concernés, les répertoires d’action du policy-making bruxellois prennent toutefois le pas sur le normativisme propre au discours religieux. La condition pour être entendu est de parler le langage de la raison publique : la mémoire religieuse s’énoncera donc comme une expertise ancienne dans « l’humain ». La condition pour espérer exercer une influence est de s’allier avec d’autres acteurs pour constituer une coalition, si possible avec des groupes d’intérêt religieux de confessions et de pays différents. La mémoire religieuse sera donc racontée en mettant l’accent sur l’ouverture aux autres et la tolérance. Commémorer les figures du prosélytisme du passé (par exemple les « évangélisateurs » catholiques en terre protestante ou orthodoxe) crée systématiquement des crispations. Les institutions européennes n’accorderont leur soutien politique, voire financier, qu’à des entreprises de préservation d’un patrimoine relatif à l’échange culturel, comme par exemple la protection des chemins de pèlerinage.
39 Les institutions européennes réagissent différemment face à une mémoire religieuse de l’Europe. Le Conseil européen et le Conseil des ministres reflètent une logique intergouvernementale selon laquelle les affaires spirituelles restent indissociables des identités nationales. Chaque État membre défend une position en harmonie avec son modèle historique de relations Église-État (conflit, coexistence ou collusion). La Commission européenne, notamment avec l’organisation d’un dialogue avec les religions dès les années 1980, insiste surtout sur la forme œcuménique du discours pour faire émerger un sens commun conciliable avec les règles du jeu communautaire en termes de compromis et de consensus. Enfin, le Parlement européen est l’arène de la confrontation régulière de mémoires en concurrence : des députés européens initient une pétition populaire pour la reconnaissance de l’héritage chrétien, d’autres se mobilisent pour défendre la séparation du politique et du religieux (Schlesinger et Foret, 2006, 59-81).
Vers un modèle d’analyse des usages stratégiques de la mémoire européenne
40 L’analyse transversale de ces trois cas met en exergue des logiques communes concernant les causes externes de la réactivation de la mémoire comme enjeu politique ; les types de mémoire développés, entre représentation téléologique de l’histoire du continent ou histoire orale des acteurs du processus d’intégration ; les finalités poursuivies dans l’usage de la ressource mémorielle ; les publics visés et les répertoires utilisés ; les jeux d’institutions selon l’acteur qui assume le leadership de l’entreprise mémorielle.
41 Les causes externes de la réactivation de la mémoire comme enjeu politique au plan supranational/transnational sont de trois ordres. D’abord, les évolutions sociétales consacrent la pluralisation du rapport au temps et le droit à la reconnaissance de chaque vision particulière de l’histoire. Ensuite, les changements politiques que sont les élargissements, le fait migratoire et la démocratisation du voisinage de l’UE conduisent à la confrontation d’expériences historiques très différentes. Ces changements ramènent aux critères d’appartenance d’un pays ou d’un groupe à la communauté politique européenne, et donc à ce qui peut en justifier la limitation ou l’exclusion. Enfin, depuis la prise de conscience des limites du consensus permissif dès les années 1970, l’avortement de l’aventure constitutionnelle et les difficultés de la crise économique, la crise latente de légitimation du système européen alimente la recherche de modes alternatifs de justification. Les types de mémoire développés renvoient, premièrement, au « coloriage » des mémoires nationales pour en faire ressortir des éléments partagés et favoriser la mise en compatibilité progressive des temporalités des Européens ; deuxièmement, à la production d’une l’histoire de l’intégration européenne stricto sensu et, au-delà, à l’inventaire des éléments spécifiques dans le passé du continent qui ont rendu possible cette nouvelle manière de faire de la politique ; troisièmement, à des projets d’écriture d’une histoire générale de l’Europe aux tonalités civilisationnelles, une histoire européenne qui préexisterait aux histoires nationales et qui engloberait en la transcendant largement l’événement singulier que constitue la construction de l’UE. Les stratégies des acteurs oscillent entre ces trois types de mémoire ou les instrumentalisent de manière concomitante.
42 Cela dépend notamment des finalités poursuivies par ces stratégies. Il peut s’agir d’inscrire l’intégration européenne dans le temps vécu des citoyens ou de restituer l’expérience des entrepreneurs politiques de l’intégration pour sédimenter leur pratique et transmettre le savoir-faire accumulé. Les initiatives mémorielles peuvent être également des prétextes à mobiliser des fractions de la société civile intéressées autour d’enjeux particuliers pour s’assurer de leur soutien. Passer du côté des entrepreneurs d’une mémoire européenne peut fournir des bénéfices, mais peut avoir un coût : les historiens universitaires considèrent avec méfiance la finalité civique d’une mémoire destinée à solliciter l’allégeance du citoyen au pouvoir et à la communauté politique.
43 Les finalités poursuivies vont dicter le public ciblé et le registre utilisé. Des opérations de vulgarisation à l’adresse du grand public peuvent connaitre un certain succès quand elles s’incarnent dans des supports symboliques parlants, comme des lieux de mémoire consensuels ou les figures des pères fondateurs. La notoriété très inégale de Jean Monnet dans les anciens et dans les nouveaux États membres montre toutefois les limites de cette dissémination mémorielle qui vient tôt ou tard se heurter aux vécus historiques différents des sociétés. La recherche de la manière dont les simples citoyens ont vécu l’intégration dans le temps long s’est révélée illusoire du fait de la faible conscience européenne de l’opinion publique. Le répertoire de prédilection reste un discours plus élitaire ayant vocation à faire sens auprès des publics forts : catégories socioprofessionnelles (historiens, enseignants) ; société civile organisée ; autres acteurs institutionnels européens.
44 Le choix de l’audience et des moyens est lié à l’acteur qui est force motrice des entreprises mémorielles. La Commission européenne est traditionnellement le maître d’œuvre en la matière et a toujours manifesté une grande prudence, revenant à plusieurs reprises sur des initiatives jugées trop risquées politiquement. Le PE, souvent occulté, joue pourtant un rôle majeur. Il a contribué très tôt à la diffusion dans les politiques communautaires la notion de patrimoine européen, devenue ensuite une catégorie que les acteurs nationaux et locaux se réapproprient. Dès 1993, l’assemblée introduit une mémoire négative intégrant les pages les plus noires de l’histoire européenne. Tout dernièrement, le Parlement reprend à son compte l’ambition de créer un « lieu » officiel de mémoire européenne à travers le chantier d’une « Maison de l’histoire de l’Europe » dont l’ouverture est prévue en 2014. Il ne faut pas négliger le Conseil européen, qui n’est pas en prise directe avec le traitement de la mémoire dans les politiques publiques européennes mais tient un rôle majeur de grand architecte de l’UE sur le plan institutionnel et symbolique. Les dirigeants nationaux qui le composent restent les plus habilités à formuler le rapport au passé. L’enceinte européenne les oblige néanmoins à prendre en compte la sensibilité historique de leurs partenaires. Les polémiques récurrentes dès qu’un gouvernant national se réfère de façon inappropriée à un événement traumatique pour un autre État membre l’illustrent. Le changement institutionnel de l’Europe post-Lisbonne peut instaurer une nouvelle donne. La perte d’importance des présidences nationales tournantes limite à la fois l’influence et les obligations de censure données au pays qui la détient (l’Italie avait par exemple mis en sourdine son soutien à l’héritage chrétien lors de sa présidence pour ne pas diviser, avant de reprendre son militantisme ensuite). A contrario, le nouveau président du Conseil européen pourrait théoriquement gagner en autorité symbolique et peser sur le débat mémoriel. Les réflexions argumentées d’Herman Van Rompuy sur les fondements éthiques de l’intégration européenne (Van Rompuy, 2009) n’ont cependant eu qu’un écho très restreint. Il est impossible d’occulter le rôle pionnier du Conseil de l’Europe qui a fréquemment lancé des entreprises symboliques que l’UE s’est ensuite réappropriées et qui apparait souvent plus audacieux. La Convention sur le paysage européen, signée pour la première fois en 2000, offre un nouvel exemple de transformation d’un symbole des identités nationales, la ville, en patrimoine commun à protéger et donc en vecteur d’européanisation. Cette influence marquante du Conseil européen rappelle les interdépendances constitutives persistantes de l’UE avec des acteurs qui lui sont extérieurs (Sassatelli, 2009).
45 La contractualisation de la communication européenne depuis les années 2000 et l’expérience de l’euro, avec la pratique d’associer systématiquement dans un partenariat acteurs supranationaux, nationaux voire locaux, brouille la distinction entre niveaux fonctionnels et territoriaux. Ce nouveau paradigme du partenariat fait aussi une place majeure aux acteurs non institutionnels, notamment issus de la société civile ou même aux opérateurs économiques spécialisés par exemple dans la muséographie. Ces acteurs non-institutionnels (parfois même extra-européens, comme la Fondation Ford) ont toujours joué un rôle notable dans les entreprises mémorielles européennes comme dans la communication européenne en général (Aldrin et Dakowska, 2011). Cela confirme le principe général de « secondarité symbolique » (Foret, 2008) des institutions européennes, qui dépendent d’autres locuteurs faute d’avoir l’autonomie et les ressources politiques et culturelles suffisantes pour construire seules des identités.
Conclusion
46 L’analyse des mobilisations de la mémoire européenne comme ressource politique montre que l’UE est soumise à des contraintes structurelles fortes qui en circonscrivent souvent l’efficacité. Pour autant, la floraison des tentatives en la matière suggère que l’UE n’est pas exonérée de la question du rapport au temps. Les entrepreneurs mémoriels européens empruntent des modèles existants en les adaptant, les hybrident et innovent à la marge. En pratique, l’UE apparait moins a-historique que reflétant de façon exacerbée les mutations sociétales et politiques contemporaines qui touchent aussi les États membres.
47 La mémoire reste à dominante nationale, ce qui ne veut pas dire qu’elle est exclusivement nationale. Des mémoires transnationales peuvent exister pour des populations qui expérimentent le dépassement du cadre de l’État-nation, sur des territoires transfrontaliers, à travers des liens binationaux privilégiés (le couple franco-allemand), au sein de diasporas ou dans des communautés épistémiques spécialisées (certaines parties du monde éducatif par exemple). Elles ne peuvent cependant porter que des récits parcellaires et minoritaires. Il peut exister une multitude de cadres sociaux de la mémoire à dimension européenne. Mais il n’existe pas d’autorité symbolique suffisamment forte et légitime pour mettre ces cadres en congruence et les hiérarchiser de façon à imposer l’UE comme le « patron » (au double sens de centre et de périmètre) de tous ces récits, pour assurer la compatibilité du contenu cognitif et des connotations normatives et affectives des différentes représentations du passé en compétition. Un trop grand nombre de cadres mémoriels possibles équivaut à l’absence d’un cadre structurant.
Bibliographie
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Notes
-
[1]
Cité dans : « L’UE scelle son élargissement à 25 membres », Le Monde, 17 avril 2003
-
[2]
Une autre stratégie d’invention d’un patrimoine européen est la représentation muséale de l’Europe. Voir Mazé (2009) et Kaiser (2011).
-
[3]
Voir le site de la Commission européenne, DG Education et Culture : <http://ec.europa.eu/culture/our-programmes-and-actions/doc2519_en.htm>, consulté le 23 septembre 2011.
-
[4]
Il est à souligner que des initiatives académiques indépendantes des institutions européennes ont eu pour but de mettre en lumière des « lieux de mémoires européens », voir François et Sicard (à paraître).
-
[5]
Conseil de l’UE : Décision n° 1904/2006/EC du Parlement européen et du Conseil européen, OJEC L 378/32, 27 décembre 2006.
-
[6]
Commission européenne, DG X, rapport, avril 1982, Conférence internationale des professeurs d’histoire contemporaine, Luxembourg 28-29 janvier 1982. Étude des débuts de l’intégration européenne.
-
[7]
Entretien avec Michel Dumoulin, Bruxelles, 4 septembre 2009.
-
[8]
Archives historiques de l’Union européenne (AHUE) : Fonds Émile Noël, EN-1137, Note de René Girault sur le futur du Groupe de liaison des historiens et sur les projets de recherche, Paris, 1er décembre 1987.
-
[9]
Voir Girault (1994) et Frank (2004).
-
[10]
AHUE : Fonds Émile Noël, EN-1045, Note de Manuel Santarelli à M. Ripa de Maena, Report on the feasibility of a « Lived history of the Community » as proposed by the Ministers of Culture on 20 December 1985 », Bruxelles, 7 décembre 1987.
-
[11]
Entretien avec Michel Dumoulin, Bruxelles, 4 septembre 2009 et archives personnelles de M. Dumoulin : dossier « Groupe de Liaison des Historiens », Procès-verbal de la réunion du 30 janvier 1986.
-
[12]
AHUE : Fonds Émile Noël, EN-2503, F. Delouche (1988), Manuel d’Histoire de l’Europe » DG X, Unité Information universitaire, 15 février 1986.
-
[13]
Ibid. Le livre de Le Goff, qui établit la chrétienté médiévale comme origine de l’Europe actuelle, fut cependant publié et connu un grand succès. L’ouvrage fait partie de la collection « Faire l’Europe », publiée simultanément par cinq maisons d’édition européennes, avec l’intention « d’ouvrir les Européens sur le caractère unique de leur civilisation et de leur projet politique » (Le Goff, 2003).
-
[14]
Johan Galtung évoque (1994, 224) « a totally uncritical book presenting a gender biased and sanitised view of history ».