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Article de revue

L'institutionnalisation de la présidence du Conseil européen : entre dépendance institutionnelle et inflexions franco-allemandes

Pages 55 à 82

Notes

  • [1]
    Je tiens à remercier Ana Mar Fernández Pasarín et Michel Mangenot ainsi que les deux relecteurs anonymes pour leurs commentaires avisés des versions précédentes de cet article.
  • [2]
    Le terme « semi-permanent » reflète le compromis associé à la durée de ce mandat, fixée à deux ans et demi et non pas une temporalité plus classique de quatre ou cinq ans.
  • [3]
    Les ouvrages de science politique dédiés au Conseil européen sont en nombre très réduits et relativement datés (Wessels, 1980 ; Bulmer et Wessels, 1987 ; Hoscheit et Wessels, 1988 ; Johnston, 1994). Jonas Tallberg a récemment enrichi cette littérature avec des analyses focalisées sur les intérêts et jeux de pouvoir (Tallberg, 2006, 2007 ; Johansson et Tallberg, 2008, 2010). Les autres principales analyses approfondies disponibles ont été écrites par des juristes (Taulègne, 1993), des historiens (Young, 2009 ; Mourlon-Druol, 2010a, 2010b ; les Eurocomment Briefing Notes publiées régulièrement par Peter Ludlow) ou par des observateurs ou acteurs (Dondelinger, 1975 ; Von Donat, 1986 ; de Bassompierre, 1988 ; Werts, 2008).
  • [4]
    Plusieurs auteurs devenus « classiques », utilisant diverses approches ont réfléchi à ce concept et mis en avant l’intérêt de son usage, tels que Philip Selznick (1957), Shmuel Eisenstadt (1964) ou Samuel Huntington (1968).
  • [5]
    Le choix de se concentrer sur les acteurs de ces deux États s’explique également par leur rôle déterminant dans la création du Conseil européen. À cela s’ajoute leur statut de « Grands » et leur action de « moteur » de l’intégration européenne (Pedersen, 1998). Ces deux éléments soulignent leur capacité d’influence de premier ordre, laquelle permet une meilleure perception du rôle à la fois dans les changements ou dans la continuité institutionnelle. Enfin, en janvier 2003, c’est également une proposition franco-allemande qui permit de dégager le compromis à l’origine du président stable du Conseil européen.
  • [6]
    « La présidence exerce la fonction de porte-parole des Neuf et se fait leur interprète sur le plan diplomatique. Elle veille à ce que la concertation nécessaire ait toujours lieu en temps utile », Point 4 du Communiqué final de la réunion des chefs de gouvernement de la Communauté, 1974.
  • [7]
    Interview avec un Haut responsable de l’époque, réalisée le 2 juillet 2009.
  • [8]
    Les sommets européens précédents ont été : Paris les 10 et 11 février 1961, Bad Godesberg le 18 juillet 1961, Rome les 29 et 30 mai 1967, La Haye les 1er et 2 décembre 1969, Paris les 19 et 20 octobre 1972, Copenhague les 14 et 15 décembre 1973.
  • [9]
    Interview avec un ancien chef d’État ou de gouvernement, réalisée le 22 avril 2010.
  • [10]
    La littérature sur les institutions européennes et le système politique européen l’illustre parfaitement. Avant les années 1990, le Conseil européen n’était souvent que traité dans une sous-section sur le Conseil de l’UE. Désormais, une partie spécifique lui est généralement consacrée et il est même bien souvent la première des institutions analysées.
  • [11]
    La « troïka » envisagée se serait constituée du chef d’État ou de gouvernement de la présidence en exercice, qui serait accompagné de deux vice-présidents issus des présidences précédente et suivante.
  • [12]
    L’article 2 se limite à des énoncés « pratiques » liminaires précisant uniquement la composition du Conseil européen et la fréquence des réunions.
  • [13]
    La démarche adoptée a pour but d’établir des corrélations entre les moments de critical juncture et les attitudes des acteurs au moyen d’une observation des exercices de rôle. L’optique, bien qu’elle s’intéresse aux changements, n’est donc pas comparative.
  • [14]
    Voir à ce sujet l’interview de Jacques Poos, disponible en ligne : http://www.ena.lu
  • [15]
    « Enlevez ces saletés ! » Interview avec un ancien chef d’État ou de gouvernement, réalisée le 6 avril 2011.
  • [16]
    « Chirac conseille à Merkel d’utiliser une clochette pour limiter les discours », AFP, 15 décembre 2006 et « Chirac vante à Merkel les mérites de “la clochette de Nice” », Reuters, 15 décembre 2006.
  • [17]
    Ibid.
  • [18]
    Dans ses Mémoires, V. Giscard d’Estaing parle du Conseil européen comme « mon initiative », tout comme du fait d’obtenir la régularité des réunions. Il rapporte également des propos que lui aurait adressés Jean Monnet le 9 janvier 1975 : « La création du Conseil européen qui vous est due, est la décision la plus importante en faveur de l’union de l’Europe depuis la signature du traité de Rome ! » (Giscard d’Estaing, 2007, 113-115).
  • [19]
    Interview avec un ancien chef d’État ou de gouvernement réalisée le 6 avril 2011.
  • [20]
    Entretien retranscrit dans Le Monde, 21 juin 1979, p. 8-10.
  • [21]
    « Le chancelier Schmidt, appuyé par M. Giscard d’Estaing, est le principal artisan du redémarrage actuel », Le Monde, « Montée en puissance », 9-10 juillet 1978, p. 1.
  • [22]
    Cité dans la dépêche « Chirac et Jospin “confessent” leurs partenaires », Reuters, 8 décembre 2000.
  • [23]
    Déclaration de Nicolas Sarkozy devant le PE, Strasbourg, 16 décembre 2008.
  • [24]
    « Statt des « Kamingespräche » harte Diskussionen », Frankfurter Allgemeine Zeitung, 10 juillet 1978, p. 3.
  • [25]
    « Die Veranstaltung, die an diesem Donnerstag und Freitag in Bremen stattfindet, ist die wohl am besten vorbereitete Tagung, die es je gegeben hat », in « Anlauf zu einem grösseren Währungsverbund. Bonner Erwartungen an den Europäischen Rat », Frankfurter Allgemeine Zeitung, 5 juillet 1978, p. 1.
  • [26]
    Ibid.
  • [27]
    Procès-verbal de la session du Conseil européen tenue à Bruxelles les 4 et 5 décembre 1978, p. 11.
  • [28]
    Ibid, p. 31, p. 36, p. 50, p. 51, p. 52, p. 58.
  • [29]
    Procès-verbal de la session du Conseil européen tenue à Strasbourg les 21 et 22 juin 1979, p. 16 et 19.
  • [30]
    Ibid. p. 9.
  • [31]
    « Tired leader torn by dual roles », Financial Times, 11 décembre 2000.
  • [32]
    Voir par exemple les perceptions de la presse sur le contexte : « How France’s internal political rivalries influenced the summit », The Economist, 16 décembre 2000 ; « Six mois de schizophrénie politique pour Jacques Chirac et Lionel Jospin », Le Monde, 7 décembre 2000.
  • [33]
    Selon Jean-Claude Juncker, le président Chirac aurait dit : « This century we have beaten Germany twice already. Moreover we have nuclear arms », d’après une interview de Frans Boogard, Algemeen Dagblad, 18 décembre 2000.
  • [34]
    Interview avec un Haut responsable du secrétariat général du Conseil, réalisée le 15 décembre 2010.
  • [35]
    Un membre d’une délégation scandinave aurait declaré : « Chirac is not even pretending to be a neutral chairman » cité in « Nice Summit - Chirac’s ordeal - Britain intervenes to save France from diplomatic disaster », The Independent, 11 décembre 2000.
  • [36]
    Dans un discours prononcé presque un an après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, Angela Merkel réfuta cette idée que « deux camps s’affrontent, d’un côté les intergouvernementalistes et de l’autre les dépositaires et protecteurs de la méthode communautaire » et plaida pour la « méthode de l’Union » qui se présenterait comme une combinaison des deux. (Discours de Angela Merkel, Bruges, 2 novembre 2010).

1 L’entrée en vigueur du traité de Lisbonne a semblé faire apparaître une nouvelle « figure » de l’Europe : le président du Conseil européen [1]. Cette nomination d’un président semi-permanent [2] du Conseil européen, détaché d’appartenance nationale constitue une nouvelle avancée de la personnalisation du jeu politique européen (Foret, 2008, 82-100). Il vient s’ajouter aux figures institutionnelles européennes existantes (président de la Commission européenne, président du Parlement européen, Haut représentant pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité) mais également au chef d’État ou de gouvernement de l’État exerçant la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne (UE), celle-ci continuant d’exister. Pourtant, cet apparent nouvel acteur occupe un rôle qui existe depuis la création du Conseil européen si ce n’est depuis les débuts de la construction européenne.

2 Mais ce rôle de président du Conseil européen a, jusqu’à présent, été largement occulté. Outre le caractère lacunaire de la littérature sur le Conseil européen [3], celle portant sur la présidence de l’Union se focalise en général sur le Conseil des ministres. Cela s’explique par les difficultés pour caractériser et situer le Conseil européen ainsi que par la continuité du travail du Conseil des ministres, opposée à l’apparente nature épisodique du Conseil européen. Les changements entraînés par la création du poste de président semi-permanent du Conseil européen ont certes donné lieu à diverses contributions (Blavoukos, Bourantonis et Pagoulatos, 2007 ; Schout et Van Schaik, 2008 ; Crum, 2009). Mais elles considèrent le traité établissant une Constitution pour l’Europe ou le traité de Lisbonne comme une rupture qui constitue le point de départ de l’analyse et ne s’interrogent que peu sur les fondements de cette institution.

3 Pourtant, non seulement cette fonction existe depuis plusieurs décennies, mais elle a de surcroît fait l’objet d’une évolution majeure qui l’a conduit à être désormais une institution formelle. Comment la présidence du Conseil européen a-t-elle donc émergé ? Comment cette fonction est-elle devenue une institution formelle à laquelle correspond un rôle établi ?

4 Dans le cas d’une institution formelle, le raisonnement est souvent biaisé par la « consécration » institutionnelle. Cette formalisation et la règle de droit qui l’accompagne emprisonnent l’étude de la construction de l’institution. Or la construction d’une institution désigne aussi bien sa genèse, sa création, ses développements ou ses changements. En soulignant la « préexistence » de la présidence du Conseil européen, nous rappelons le précepte de base du néo-institutionnalisme historique selon lequel l’histoire de l’institution compte (Pierson, 2000). Elle compte aussi bien pour le contexte dans lequel les décisions ou évènements politiques se déroulent, que pour l’apprentissage que les acteurs et agents tirent de l’expérience, que pour le modelage des attentes en fonction du passé (Steinmo, 2008). Le concept de path dependence utilisé notamment par Paul Pierson (1993, 1996, 2000, 2004) permet d’expliquer que le sentier emprunté trace une continuité qui contraint le développement. Il ne réfute pas pour autant la possibilité de changements, lesquels surviendraient principalement lors de périodes de critical juncture. Dans la lignée de cette perspective, nous allons donc dégager les séquences de continuité et de critical juncture de la construction institutionnelle de la présidence du Conseil européen.

5 Mais si cette approche nous permet de prendre en compte l’histoire de l’institution, les idées qui l’ont façonné et la manière dont les acteurs sont contraints par l’institution, elle n’est guère en mesure d’expliquer les dynamiques de changements qui l’ont affecté. Comme l’ont récemment montré les travaux de Johan Olsen, le concept d’institutionnalisation permet aux néo-institutionnalistes d’expliquer les changements dont font l’objet les institutions (Olsen, 2007, 2008). Principalement employée par la branche sociologique du néo-institutionnalisme, l’institutionnalisationest cependant un concept en soi, développé depuis plusieurs décennies [4]. Au-delà des nuances qui traversent également ce concept, il constitue une source d’explication du changement dépassant les clivages des approches. Ainsi, de la même manière qu’il a permis de réécrire le néo-fonctionnalisme sous la forme d’une analyse institutionnaliste (Fligstein, Sandholtz et Stone Sweet, 2001), il peut permettre de répondre efficacement aux incitations à des croisements entre les approches néo-institutionnalistes (Hall et Taylor, 1997, 492-495 ; Thelen, 1999, 371 ; Hall, 2010), ainsi qu’au dialogue avec la sociologie des institutions (Mérand, 2008 ; Lagroye et Offerlé, 2010, 293-305).

6 L’institutionnalisation s’intéresse aux processus en tant que tels, en les séparant de leur résultat, et permet donc d’éviter la focalisation sur le moment de l’éventuelle « consécration » institutionnelle (Jepperson, 1991, 145). De plus, en tant que processus par lequel des règles sont créées, appliquées, et interprétées par des acteurs qui sont régis par ces dernières (Stone Sweet et Sandholtz, 1997, 310), elle prend en compte la double dimension de la relation structure-agent. En effet, si comme le soulignent Peter Berger et Thomas Luckmann, les institutions « by the very fact of their existence, control human conduct by setting up predefined patterns of conduct, which channel it in one direction as against the many other directions that would theoretically be possible » (Berger et Luckmann, 1967, 55), ces institutions sont également le produit d’une histoire écrite par ces acteurs (DiMaggio et Powell, 1997, 147). Les actions, habitudes et conceptions des chefs d’État et de gouvernement ont contribué à forger l’institution de président du Conseil européen. Les idées et comportements des acteurs permettent donc de compléter l’analyse néo-institutionnaliste en intégrant les manières dont ils institutionnalisé l’entité.

7 Cet article postule une construction séquentielle de long terme de la présidence du Conseil européen, qui repose sur une path dependence assurant continuité et stabilité. Mais cette dernière est ponctuée par des critical junctures pendant lesquelles certains acteurs ont façonné le rôle qu’ils exerçaient et ont institutionnalisé de nouveaux développements. Compte tenu de la présence, à chacune des périodes d’inflexion relevées, de présidences françaises et allemandes, de surcroît à des intervalles temporels proches, l’hypothèse d’un rôle important des dirigeants franco-allemand est avancée et explique la focalisation sur ces acteurs [5].

8 Par conséquent, le présent article procède, dans un premier temps, à une étude du développement institutionnel formel de la présidence du Conseil européen qui met en évidence les principaux éléments de l’évolution de cette entité et ses points d’inflexion. Dans un second temps, l’analyse se concentre sur ces périodes d’inflexion et observe le cas des acteurs français et allemands afin de mettre en exergue comment en l’investissant ils ont modelé ce rôle tout en étant contraints par ce dernier.

Une création institutionnelle formelle par émancipation

9 Un des fils conducteurs des changements institutionnels dont a fait l’objet la présidence du Conseil européen réside dans sa dissociation du reste de la présidence. Originellement, la présidence du Conseil européen était intrinsèquement liée à celle du Conseil (Hayes-Renshaw et Wallace, 1997, 166). Si désormais la présidence ne constitue plus le principal lien entre les Conseils des ministres et les Conseils européens, l’émancipation a cependant été entravée par l’inertie dans la formalisation des pratiques et les divisions sur le rôle du président du Conseil européen.

Une présidence empruntée

10 La présidence du Conseil européen n’est pas apparue au travers d’un acte créateur clairement identifiable. L’acte considéré comme fondateur du Conseil européen, le communiqué final du sommet de Paris de décembre 1974, reste relativement silencieux au sujet de la présidence de l’organe créé. Il se contente d’énoncer trois fonctions relatives à ce nouveau poste : porte-parole, interprète, et concertation [6]. Mais il fait avant tout un renvoi à « la présidence » – celle du Conseil. La présidence du Conseil européen s’est développée à partir d’énoncés très limités, sans valeur juridique, et sans une conception originelle claire. Sur un plan institutionnel, la présidence est apparue et s’est façonnée dès la création de la Communauté économique du charbon et de l’acier (CECA). Le traité de 1952 prévoyait déjà une présidence « exercée à tour de rôle par chaque membre du Conseil pour une durée de trois mois » (Article 27 du traité instituant la CECA), laquelle a ensuite perduré avec le traité de Rome. En effet, l’article 146 du traité instituant la Communauté économique européenne a repris les stipulations dans une forme très proche, se contentant de porter à six mois la durée de la présidence. Au travers de leur rapport consacré aux problèmes de l’unification politique les ministres des Affaires étrangères des États membres ont établi en 1970 un premier lien entre la présidence et les réunions au niveau des chefs d’État et de gouvernement. Ils reprenaient pour les réunions ministérielles qu’ils proposaient d’instituer le mode de fonctionnement existant pour le Conseil, notamment le fait que « Le ministre des Affaires étrangères de l’État qui assure la présidence du Conseil des Communautés européennes préside les réunions ». Mais dans la mesure où ils envisageaient également que quand « la gravité des circonstances ou l’importance des sujets à traiter le justifie, leur réunion peut être remplacée par une conférence des chefs d’État ou de gouvernement » (Rapport Davignon, 1970, 9-14), ils ont établi un lien entre les mécanismes communautaires et la coopération politique européenne. Cette référence aux chefs d’États et de gouvernement, « classique » et « logique » pour cette période de conférences aux sommets [7], a cependant entériné l’utilisation du système de présidence tournante pour des réunions au plus haut niveau.

11 Ces développements ont eu lieu en parallèle des balbutiements du Conseil européen. En effet, bien que le Conseil européen ne soit formellement apparu qu’en décembre 1974, les six sommets européens qui l’ont précédé constituent les premières traces qui ont conduit au développement de cette institution [8]. Mais pour ces derniers, la logique correspondait néanmoins encore à celle des conférences internationales classiques. Ces sommets européens se tenaient sur l’initiative et l’invitation lancée par l’un des dirigeants des États membres, sans pour autant que cet État ne soit nécessairement aux commandes de la Communauté. Ainsi, par exemple, le général de Gaulle organisa un sommet en février 1961 en pleine présidence belge, tandis que Georges Pompidou invita ses collègues en octobre 1972 à Paris, alors que la présidence du Conseil était exercée par les Pays-Bas. Il fut d’ailleurs également à l’origine de la tenue des sommets de La Haye et Copenhague.

12 Cette insistance des présidents français successifs pour la tenue de rencontres au sommet s’explique notamment par la constitution de 1958, laquelle attribue une place de premier ordre au président de la République. Par conséquent, les détenteurs de ce rôle se devaient presque logiquement de réagir face à la prééminence prise dans les affaires européennes par le ministre des Affaires étrangères (Noël, 1975, 3). Mais en 1974, lors de la création du Conseil européen, l’ouverture d’un débat sur la présidence de cette nouvelle entité était irréaliste. Les différentes conceptions en présence ont rendu « impossible » l’éventualité d’une autre solution et le système de présidence tournante fut donc simplement reproduit [9]. Cela était dû en premier lieu à la relative proximité du traité de Rome, lequel avait fait l’objet de complexes négociations pour trouver l’équilibre suscitant le consensus. En second lieu, l’adhésion récente de trois nouveaux États membres (Royaume-Uni, Irlande, Danemark), de surcroît partiellement contestée et remise en question, appelait une période de stabilisation. Enfin, même si un large accord existait sur le principe de l’institutionnalisation de rencontres régulières au plus haut niveau, les négociations finales pour la création du Conseil européen s’étaient déjà avérées complexes (Mourlon-Druol, 2010b).

Débats et nouvelles responsabilités

13 Dans les premières années d’existence des communautés, les spectaculaires développements de l’intégration ont masqué le manque de direction et d’impulsion. Ce n’est qu’avec la crise de la « chaise vide » et celles qui lui ont succédé que cette lacune a commencé à apparaître et a activé le « potentiel dormant » de la présidence (Wallace in O’Nuallain, 1985, 3). De plus, la distinction entre la présidence du Conseil européen et la présidence de la Communauté a également été rendue difficile par le fait que le Conseil européen a pendant très longtemps été perçu principalement comme un prolongement du Conseil des ministres [10].

14 Cependant, peu après son apparition, la présidence du Conseil européen a fait naître des réflexions à son sujet. On retrouve ainsi dès 1975 dans le Rapport sur l’Union européenne, dit Rapport Tindemans, des propositions concernant les moyens d’améliorer cette fonction. Le rapport proposait notamment d’allonger la présidence à un an afin de renforcer l’autorité de la présidence, de permettre un dialogue plus suivi entre le Parlement européen (PE) et le Conseil et de donner plus de continuité à l’action. Bien que ce rapport n’ait guère été suivi d’effets concrets, il n’en a pas moins ouvert la discussion et a pointé l’existence de la présidence du Conseil européen.

15 Le rôle de la présidence s’est, de manière générale, fortement accru au cours des années 1970. Selon le diplomate Jean Dondelinger, observateur privilégié des premiers Conseils européens, « l’origine de ce phénomène se trouve dans l’amalgame – au niveau le plus élevé – des activités communautaires avec celles menées dans le cadre de la Coopération Politique » (Dondelinger, 1975, 20). En effet, le prestige et l’autorité associés aux questions de politique étrangère ont entraîné un renforcement manifeste de la présidence. Cette dernière ne s’est donc plus limitée à un seul rôle de chairman mais a inclus de manière croissante représentation et leadership (Westlake et Galloway, 2004, 325). Mais ce n’est que la Déclaration de Stuttgart en 1983 qui a formalisé cette « élévation » en confiant plusieurs tâches de représentation à la présidence. En externe, elle a été renforcée dans son rôle vis-à-vis des pays tiers. En interne, le président du Conseil européen a été lui-même investi de la responsabilité, déjà mise en pratique depuis juin 1981, de présenter au PE les résultats de chaque réunion du Conseil européen.

16 Les pouvoirs de la présidence dans son ensemble se sont en fait accrus en parallèle de la montée en puissance du Conseil européen. Par le biais des conclusions du Conseil européen de Londres des 29 et 30 juin 1977, la présidence a vu ses pouvoirs légèrement renforcés quant à la préparation de la réunion en étant désignée comme éventuelle destinataire des souhaits des membres du Conseil européen concernant l’ordre du jour. Elle a également obtenu la responsabilité d’établir et de diffuser un « procès-verbal des conclusions » lorsque les délibérations ont pour but de parvenir à des décisions ou que des déclarations doivent être publiées.

17 Mais ce sont surtout les débats au sujet de la forme et des caractéristiques de la présidence du Conseil européen qui ont constitué une première étape notable de son émergence. La question d’une « présidence plus durable » a été discutée de manière plus approfondie dans le Rapport des Trois Sages d’octobre 1979. Ce texte a la particularité de préciser qu’« une modification de la présidence du Conseil européen n’affecterait pas la rotation de la présidence du Conseil des ministres ». Il marque ainsi une importante rupture symbolique en dissociant explicitement la présidence du Conseil européen de la présidence de la Communauté. Ce rapport, présenté lors du Conseil européen des 29 et 30 novembre 1979 à Dublin, a réfléchi à l’idée de faire désigner pour un ou deux ans le président du Conseil européen par ses membres. Tout en insistant sur la nécessité d’accroître la continuité, il rejeta cette hypothèse, de même que celle d’une « troïka » [11], au motif qu’une présidence plus durable du Conseil européen présenterait de réelles difficultés. Le rapport entérine en outre le pragmatisme initial en énonçant la « responsabilité de s’assurer que les pratiques agréées pour la préparation des réunions du Conseil européen sont respectées », ainsi que celle « de conduire les travaux avec le mélange approprié de souplesse et de sens des responsabilités ». Enfin, il souligne la responsabilité de la présidence dans la réalisation des conclusions, cette dernière étant chargée de « s’assurer que les conclusions sont établies en termes appropriés et que leur mise en œuvre est organisée selon les filières appropriées ». Au travers de ce rapport, transparaît donc une double responsabilité liée à l’exercice de cette fonction : d’organisation et d’impulsion politique.

Une formalisation à contretemps

18 Si l’Acte unique donne enfin une existence légale formelle au Conseil européen, il se contente d’une évocation minimaliste qui atteste de son existence sans pour autant en préciser la nature, le rôle et la place dans l’architecture institutionnelle européenne [12]. Il n’est fait aucune mention quant au fonctionnement du Conseil européen et à la manière dont il est dirigé. Il faut attendre le traité de Maastricht pour que soit formellement entériné ce qui est une réalité depuis 1974, à savoir le fait que le Conseil européen se réunit « sous la présidence du chef d’État ou de gouvernement de l’État membre qui exerce la présidence du Conseil » (Article D du traité sur l’UE). La présidence n’a donc pas été juridiquement chargée de diriger les Conseils européens avant 1992.

19 Les révisions ultérieures des traités communautaires n’ont, jusqu’au traité de Lisbonne, nullement fait évoluer les énoncés. Les traités d’Amsterdam et de Nice sont en effet restés muets sur la question. Les raisons du silence des traités se trouvent notamment dans la symbolique de la figure présidentielle. Les implications de l’identifiabilité d’une personne à la tête de l’organe suprême de l’Union sont importantes en termes de rapports de force interinstitutionnels. En outre, deux autres questions ont constitué des freins à cette reconnaissance institutionnelle : la rotation et la personne en charge. Le principe d’égalité entre les membres résidait, entre autres, dans ce système de rotation. Mais un allongement de la durée de la présidence n’était pas envisageable si elle restait aux mains d’un État membre (Taulègne, 1993, 240). Et la séparation avec le lien étatique pouvait remettre en question l’équilibre de l’institution voire du système politique. Par conséquent, seule une discussion d’ensemble sur le système politique était en mesure de modifier cette situation.

La dissociation : un président qui s’émancipe de la présidence

20 Ces difficultés ont été débattues avec force lors de la Convention. Mais déjà à Helsinki, en décembre 1999, des lignes directrices ont été adoptées, qui suggèrent notamment que la « présidence à venir », assiste et, si besoin est, « décharge » la présidence. L’idée de fond était de faciliter une plus grande coordination entre les présidences ainsi que la transition entre ces dernières. Ce processus, enclenché lors du Conseil européen de Vienne en décembre 1998, a été marqué par le Rapport Trumpf/Piris remis lors de la présidence allemande du 1er semestre 1999.

21 Ces prémisses ont amorcé les bouleversements institutionnels touchant le Conseil européen. En premier lieu, les Règles d’organisation des travaux du Conseil européen adoptées à Séville en juin 2002, et en second lieu le résultat des débats de la Convention, lesquels ont été repris dans le traité de Lisbonne.

22 Pour le Conseil européen, Séville incarne une étape essentielle. Les Règles d’organisation adoptées précisent les tâches qui incombent aux détenteurs de la présidence du Conseil européen et la latitude dont ils disposent. Elles expriment clairement le fait que la présidence peut « organiser l’ordre dans lequel les points seront traités, limiter le temps de parole ou déterminer l’ordre des interventions » (Alinéa 8 des Règles d’organisation des travaux du Conseil européen, 2002).

23 Le point d’orgue de ces réflexions et négociations se situe dans les débats de la Convention. La question de la présidence du Conseil était alors une des « “hottest” issues » (Westlake et Galloway, 2004, 325) et a réactivé, malgré la composition de la Convention, des processus de négociations interétatiques classiques. La crispation des négociations autour de la réforme de la présidence s’explique par le fait qu’elle concerne « the balance between a more supranational or intergovernmental EU » (Schout et Van Schaik, 2008, 37). À l’exception notable de l’Allemagne, les grands États ont cherché à renforcer le Conseil européen, mettant ainsi en scène le clivage traditionnel qui sépare les petits États, appuyant les institutions « supranationales » et la méthode communautaire, des grands États, favorables à des mécanismes plus intergouvernementaux. Au sein de la Convention, le soutien à l’adoption d’une présidence plus durable provenait essentiellement de la proposition dite « ABC » (formalisée dans un discours de mars 2002 par Jacques Chirac, elle avait été rapidement reprise par Jose Maria Aznar et Tony Blair). Par la suite, l’Allemagne a été ralliée par le biais d’un compromis franco-allemand, conclut en janvier 2003 à l’occasion des quarante ans du traité de l’Elysée. Il a donné lieu à une proposition formulée en janvier 2003 qui envisageait de nommer un président stable du Conseil européen, selon les volontés de la France, et de faire élire le président de la Commission par le PE, conformément aux volontés allemandes. Les petits États, défenseurs de la présidence tournante, ont constitué une coalition afin de s’opposer à ce projet, mais par divers compromis, la proposition franco-allemande – qui constituait déjà elle-même un compromis – a fini par s’imposer en grande partie.

24 Le texte retenu à l’issue des débats de la Convention et repris dans le traité de Lisbonne démontre bien la volonté de ne pas s’exposer aux principaux conflits. Elle évite les cumuls et se limite à des changements ne remettant pas profondément en cause les équilibres institutionnels. L’article I-22 de la Convention, repris à l’article 15 du traité de Lisbonne, distingue la fonction de président du Conseil européen et en détaille les tâches et fonctions. Il se voit confier des responsabilités à tous les niveaux. Au sein du Conseil européen, il prépare, préside, anime, assure la continuité, la cohésion et le consensus. Au niveau de l’Union, il présente un rapport au PE après chaque réunion du Conseil européen. Enfin sur le plan externe, il assure la représentation extérieure de l’Union.

Un rôle façonné par les dirigeants français et allemands

25 Deux tournants se distinguent dans l’évolution de la présidence du Conseil européen : la fin des années 1970 et le début des années 2000. La première correspond à la prise de conscience de la nature spécifique de la présidence du Conseil européen par rapport au reste de la présidence. La seconde coïncide avec la reconnaissance formelle de cette différence et sa distinction en tant qu’entité autonome.

26 Cette partie se consacre au rôle du président du Conseil européen, tel qu’il se dégage des exercices suivant : la présidence de Helmut Schmidt du deuxième semestre 1978, la présidence de Valéry Giscard d’Estaing du premier semestre 1979, la présidence de Gerhard Schröder du premier semestre 1999, et la présidence de Jacques Chirac du deuxième semestre 2000 [13].

27 L’observation de ces exercices fait apparaître des éléments illustrant la manière dont les présidents du Conseil européen ont codifié la fonction et lui ont donné l’envergure d’un rôle présidentiel allant bien au-delà de celui d’un simple facilitateur de compromis. Ce rôle a cependant placé les acteurs l’exerçant dans une situation aux confluents de leurs ordres politiques nationaux et d’un ordre politique européen s’institutionnalisant.

Un chairman qui endosse un rôle présidentiel

28 Compte tenu du caractère ad hoc pragmatique du Conseil européen, la tâche première de son président était celle d’assurer le rôle de chairman. À ce titre, le sens politique du dirigeant exerçant la présidence détermine largement le déroulement de la réunion. Sa responsabilité personnelle est majeure car c’est à lui qu’il revient de modérer les débats, mais surtout de trouver au bon moment la solution qui va concilier les positions et ainsi permettre l’adoption d’un accord unanime [14]. Les procès-verbaux des Conseils européens démontrent bien la manière dont les présidents ont conduit les réunions. Ainsi, lors de la réunion de juillet 1978, le chancelier Schmidt a fait la démonstration de son habilité personnelle en décidant de suspendre la session au moment où la discussion commençait à prendre un tournant négatif. Il en profita pour renvoyer l’étude de la question provoquant des divisions à un « groupe restreint » chargé de l’examiner dans la soirée, afin de trouver les solutions en vue d’un nouveau traitement en séance plénière le lendemain (procès-verbal de la session du Conseil européen tenue à Brême les 6 et 7 juillet 1978, p. 19). Lors de ce même Conseil européen, le chancelier Schmidt a également démontré la capacité du président à contrôler l’agenda de la réunion. En ouverture de la session, il a estimé qu’« une fois de plus les documents soumis au Conseil européen sont trop nombreux » et a par conséquent décidé d’en retenir seulement deux pour la discussion et d’« ignorer tous les autres » (procès-verbal de la session du Conseil européen tenue à Brême les 6 et 7 juillet 1978, p. 2).

29 Helmut Schmidt, qui était membre du Conseil européen depuis sa création, tenait à ce qu’il s’agisse d’une « discussion libre, indépendante, sans documents, et donc d’homme à homme directement » et n’hésita donc pas à rejeter avec véhémence les notes des collaborateurs (« Weg mit diesem Dreck ! » se serait-il exclamé) [15]. Malgré un modèle institutionnel fédéral qui, au contraire du modèle français, n’appelle pas à la mise en avant de la figure du leader, le caractère particulier du Conseil européen a offert une certaine liberté aux chanceliers. La nature élitiste et restreinte de la réunion, l’absence de règles formelles, la légitimité apportée par la collaboration avec la France ont favorisé une émancipation par rapport à l’ordre politique national.

30 Lors de la seconde période d’inflexion, qui coïncide avec les problèmes liés aux élargissements, la liberté dans la conduite de la réunion a permis l’instauration de pratiques comme la limitation du temps de parole. L’utilisation par le président Chirac d’une clochette lors du Conseil européen de Nice a eu un impact symbolique. Il faisait usage de cette dernière afin de rappeler à l’ordre les chefs d’État ou de gouvernement lorsque leurs interventions s’avéraient trop longues : « Quand j’avais présidé à Nice, j’avais institué trois minutes et j’avais institué la clochette, c’est-à-dire qu’au bout de trois minutes – j’avais une montre – j’interrompais les gens avec une clochette [16] ». En décembre 2006, il a d’ailleurs recommandé à Angela Merkel de faire usage de cet instrument au motif « qu’il est incompatible avec le bon fonctionnement du Conseil que l’on puisse parler indéfiniment pour répéter d’ailleurs très souvent la même chose » [17]. Bien que l’efficacité de cet outil soit toute relative dans la mesure où le Conseil européen de Nice a été le plus long Conseil européen de l’histoire, cet acte a mis en lumière le problème de la durée des interventions. Il est marquant de constater que les Règles d’organisation adoptées peu de temps après Nice mentionnent explicitement le fait que le président peut prendre « toute mesure propre à favoriser une utilisation optimale du temps disponible » et que pour ce faire, il est, entre autres, habilité à « limiter le temps de parole » (Règles d’organisation des travaux du Conseil européen, 2002).

31 Très tôt le président du Conseil européen ne s’est pas contenté de gérer le déroulement des réunions mais a cherché à les animer d’une manière similaire à celle d’un dirigeant national. Valéry Giscard d’Estaing, qui se considère explicitement comme le « père » du Conseil européen [18], a été à l’origine de diverses impulsions visant à améliorer son fonctionnement. Au travers d’une lettre envoyée à ses homologues des autres États membres de la Communauté le 21 janvier 1977, il a formulé plusieurs propositions. Le Conseil européen de Londres, quelques mois plus tard, renforça de fait les pouvoirs de la présidence. Pour Martin Westlake et David Galloway (2004, 328), « It became clear, in correspondence between the member states’ leaders, that Giscard’s principal objective was to strengthen the powers of the presidency ».

32 L’attitude de V. Giscard d’Estaing s’inscrit pleinement dans la conception française du rôle présidentiel. Selon cette logique, le Conseil européen doit être un exécutif politique et « son président deviendrait une ébauche de chef de l’État de l’Europe » (Moreau Defarges in O’Nuallain, 1985, 120). Dans sa manière d’exercer la fonction de président du Conseil européen, V. Giscard d’Estaing s’est conformé à cette vision en cherchant à donner faste et solennité aux réunions. Lors du Conseil européen de Strasbourg en juin 1979, il a procédé à une véritable mise en scène comme l’explique un des acteurs de l’époque : « Mais ça… c’était extraordinaire. Giscard voulait organiser une sorte de cortège […] Il voulait organiser comme il disait, je me souviens très bien, une sorte de « ballet », qu’il appelait « ballet ». Donc un cortège de tous les membres [19] ». Pendant la réunion, tout juste après avoir salué les nouveaux dirigeants présents, il a commencé, par souligner « qu’il aimerait donner à l’échange de vue de cette séance un caractère essentiellement politique » (procès-verbal de la session du Conseil européen tenue à Strasbourg les 21 et 22 juin 1979, p. 1). Le président Giscard d’Estaing a, à plusieurs reprises, plaidé en faveur d’une présidentialisation à la française de cette présidence du Conseil européen, en insistant avant tout sur la personnalisation. Même s’il n’exerçait plus de responsabilité nationale en 1984, il restait un acteur influent sur le plan national et européen et a proposé d’élire le président du Conseil européen au suffrage universel direct pour cinq ans (Giscard d’Estaing, 1984, 98-100 ; ainsi que sa déclaration sur les objectifs de l’Europe faite à Bruxelles le 23 mai 1984). Bien qu’il limitait le rôle de ce dernier à des fonctions d’organisation et de gestion, il précisait bien que cela ne devait être le cas que « dans un premier temps », l’objectif étant avant tout de personnaliser l’exécutif européen, de « donner à l’Europe une personnalité vivante » (Giscard d’Estaing, 1984, 100).

33 Ce rôle présidentiel trouve sa principale manifestation dans son action d’impulsion politique. Helmut Schmidt et Valéry Giscard d’Estaing ont ainsi tous deux joué un rôle déterminant pour la création et la mise en place du Système monétaire européen (SME). Ils se sont accordés sur un projet qu’ils ont soumis et défendu auprès de l’ensemble des autres États membres, en s’appuyant notamment sur leur rôle de président du Conseil européen qu’ils ont investi successivement. Le président français, réputé pour sa maîtrise de l’outil audiovisuel, a d’ailleurs accordé, moins de 48 heures avant de présider le Conseil européen clôturant la présidence française de la Communauté, une interview télévisée d’une heure dans laquelle il a évoqué la réunion à venir [20]. En s’appuyant sur l’opportunité offerte par la présidence de la Communauté, ils ont été les acteurs déterminants de la création du SME [21]. Le contexte particulier de coalition entre le Parti social-démocrate d’Allemagne (SPD) et le Parti libéral-démocrate (FDP) a sans doute favorisé le projet. En effet, la forte implication personnelle de Helmut Schmidt a vraisemblablement été incitée par la présence du libéral Hans-Dietrich Genscher au poste de ministre des Affaires étrangères. Le chancelier a porté le dossier en évitant les rouages complexes de la diplomatie allemande : « The German Presidency was however dominated by the creation of the European Monetary System, which was not planned ahead of time by the Community machinery within the German bureaucracy, but by Schmidt and his closest advisors, especially Schulmann, who played the decisives roles together with their French counterparts leading up to the Brussels meeting of the European Council in December 1978. » (Regelsberger et Wessels in O’Nuallain, 1985, 82).

34 L’efficacité de ce rôle d’impulsion politique est due au dense réseau relationnel et institutionnel dans lequel le président du Conseil européen a été inséré. En amont des Conseils européens, outre les rencontres franco-allemandes récurrentes (Nourry, 2006), les contacts entre les dirigeants des États membres sont nombreux. Dans ce contexte, le président du Conseil européen a pour mission d’agréger les différentes positions afin d’être en mesure, le temps voulu, de trouver le moyen de les concilier en faisant les propositions de compromis adéquates. Pour ce faire, afin de récolter les différentes positions et de s’entretenir en privé avec les autres membres du Conseil européen, la pratique quasi systématique du tour des capitales par le président du Conseil européen a été mise en place et est, depuis longtemps, devenue la norme (Ludlow, 2005, 12). Ce rôle de conciliateur et d’intermédiaire se prolonge pendant la réunion au travers d’éventuels « confessionnaux » pour lesquels le président du Conseil européen a le premier rôle. Cette pratique, d’abord assez ponctuelle, n’a eu de cesse de prendre de l’importance. Le Premier ministre français Lionel Jospin avait défini l’utilité de ces apartés de la manière suivante : « Ces rencontres bilatérales permettront d’entendre chacune des délégations sur les points qui leur tiennent particulièrement à cœur et de les tester sur ce que pourrait être une série d’avancées permettant de constituer un compromis [22]. » Le président du Conseil européen est donc incontestablement devenu le « centre of gravity and the pivot of the European Council » et possède un « prestigious key role in the preparation and the direction of it » (Werts, 2008, 62).

35 Au sein de l’UE, le président du Conseil européen s’est établi en pivot des relations entre les chefs d’État et de gouvernement, mais est également devenu un personnage incontournable pour les autres institutions européennes. La présence de la Commission au sein du Conseil européen revêt à ce titre une importance particulière. Bien qu’elle n’ait pas été mentionnée dans le communiqué du sommet de Paris, sa présence n’a pas été remise en cause et s’est affirmée comme une situation établie jusqu’à être entérinée par l’Acte unique. Le président de la Commission a, tout comme le président du Conseil européen un statut particulier au sein du Conseil européen, si bien qu’une « special relation » (Tallberg in Elgström, 2003, 24) s’est développée entre les deux. Elle se matérialise notamment par leur présence commune lors de la conférence de presse qui conclut la réunion. Enfin, même si cette relation reste ténue, elle existe malgré tout avec le PE. La pratique de venir présenter et discuter les résultats du Conseil européen avec les députés européens, après avoir été encouragée par le Rapport Antoniozzi et le Rapport du Comité des Trois Sages, a été initiée par Margaret Thatcher en 1981. Et réciproquement, le président du PE a obtenu en 1987 la possibilité de présenter les positions du PE en ouverture de la réunion des chefs d’État et de gouvernement.

36 En outre, le président du Conseil européen bénéficie aussi du prestige lié à son rôle sur le plan externe. Dès 1974, le communiqué de Paris avait prévu que « La présidence exerce la fonction de porte-parole des Neuf et se fait leur interprète sur le plan diplomatique » (Point 4). Cette responsabilité est devenue une valeur ajoutée dont les détenteurs de la fonction ont pu tirer profit : « Being the President and the official spokesman of the largest political union in the world is not only a very distinctive honour for the Prime Minister of a small country such as Luxembourg but also for the President of the French Republic or the German Chancellor. » (Werts, 2008, 61).

37 La présidence du Conseil européen s’est, dès ses origines, distanciée de la seule responsabilité de chairman pour devenir une force politique investie de capacités d’établissement et de gestion de l’agenda, de conclusion d’accords, ainsi que d’incarnation de l’institution décisionnelle vis-à-vis des tiers (Tallberg, 2007, 23). Assumer la présidence du Conseil européen était une tâche aux fortes potentialités qui en l’absence de stipulations a offert une liberté notoire aux chefs d’État et de gouvernement. Ils ont pu très librement agir dans le sens de la construction d’un rôle présidentiel. Cette « conséquence inattendue » a placé les détenteurs du rôle dans une tension croissante entre le national et l’européen puisque l’émergence progressive d’un rôle supranational venait de plus en plus interférer avec leur rôle national.

Un dirigeant national dans un rôle supranational : des effets transformatifs limités par la contrainte identitaire.

38 L’apparition d’un nouveau rôle présidentiel européen a induit un « effet transformatif » sur les dirigeants européens qui ont été à tour de rôle président du Conseil européen. Cet effet implique des changements dans les comportements ou conceptions de la personne entre l’avant et le moment où elle investit le rôle. Nicolas Sarkozy, l’un des derniers chefs d’État ou de gouvernement a avoir exercé la présidence du Conseil européen pour six mois, avait retenu l’attention des médias en déclarant devant le PE à la fin de cet exercice : « J’ai essayé de bouger l’Europe mais l’Europe m’a changé [23] ». La tonalité de cette phrase qui contraste avec le style associé à son énonciateur suggère bien cette idée d’un rôle à même de transformer l’acteur qui l’investit. D’autant qu’il n’est pas nécessaire d’avoir des éléments formels contraignants puisque les attitudes et comportements associés au rôle s’imposent de par eux-mêmes à l’acteur (Goffman, 1959). L’acteur se conforme à des pratiques en partie modelées par ses prédécesseurs (Jepperson, 1991) et à des attentes des partenaires, accrues dans le cas d’un rôle à forte visibilité, tout en restant à même de transformer son rôle en fonction des conjonctures (Lagroye, 1997).

39 Le cas du SME permet également d’illustrer ces effets du rôle sur les acteurs. En effet, le passage du statut de chancelier à celui de chancelier présidant le Conseil européen semble avoir eu un effet transformatif qui met en évidence l’influence de l’institution sur le comportement de son acteur. L’acceptation de cette union monétaire constitue une évolution notable dans le positionnement du chancelier Schmidt. Même si cela doit être relativisé en prenant en compte la déception créée en Allemagne par la politique monétaire des États-Unis, il n’était pas envisageable pour le chancelier, à peine quelques mois plus tôt, d’imaginer un tel projet sans un ajustement préalable des économies [24]. Il en fut au final le principal artisan, alors qu’il rencontrait de surcroît de nombreuses oppositions en Allemagne envers ce projet. En outre, le Conseil européen de Brême s’est caractérisé par une importante préparation de la réunion, la FAZ évoquant même « la réunion la mieux préparée, qu’il n’y ait jamais eu [25] », alors qu’à peine quelques mois auparavant le chancelier Schmidt considérait encore que le Conseil européen n’était pas là pour prendre des décisions spectaculaires ni pour discuter des ordres du jour préparé avec attention. Lors du Conseil européen de Copenhague qui s’était tenu en avril 1978, il avait même, avec son ton traditionnellement ironique voire sarcastique, interrogé les journalistes sur les raisons de leur présence [26].

40 Toutefois, cette européanisation des préférences pose la question du rapport entre les identités nationales et européennes pour un président du Conseil européen qui restait dans le même temps chef d’État ou de gouvernement. Le dirigeant était sujet à une contrainte identitaire puisqu’il ne pouvait se départir de son mandat et de ses responsabilités nationales pendant les six mois de son mandat présidentiel européen. Par conséquent, cela peut laisser supposer un ordonnancement des allégeances au profit du national comme cela a pu être constaté pour le Conseil (Beyers, 2005) ; d’autant que le mandat de président du Conseil européen procède du mandat national puisqu’il est obtenu par le biais de ce dernier. Mais le prestige associé à ce rôle européen, les intérêts qui en découlent et la responsabilité des éventuels échecs viennent contrebalancer cette hypothèse.

41 Dans les procès-verbaux, cette double identité circonstancielle s’apparente quasiment à une double personnalité. Elle transparaît constamment au travers de la multitude de formulations telles que « s’exprimant au nom du gouvernement allemand » [27], « s’exprimant au nom de la délégation allemande » [28] ou « parlant pour la France » [29]. Le procès-verbal du Conseil européen de juin 1979 porte particulièrement à confusion en employant à la fois « M. Giscard d’Estaing » et « le Président » pour désigner les prises de parole de celui qui n’est en fait qu’un seul et même orateur.

42 En outre, les comportements respectifs de H. Schmidt et de V. Giscard d’Estaing reflètent cette ambiguïté identitaire. L’exercice de la présidence du Conseil européen induit une responsabilité du compromis mais elle peut conduire à un arbitrage entre les différentes légitimités. Ainsi, lors du Conseil européen de juillet 1978, le chancelier s’est montré particulièrement compréhensif à l’égard des réserves britanniques formulées par le Premier ministre Callaghan. Pour sa part, lors du Conseil européen de Strasbourg en juin 1979, le président français, alors qu’il exerçait la responsabilité de la présidence, a formulé « la critique la plus fondamentale et la plus vive de la position prise par Mme Thatcher » [30]. Pourtant, leurs personnalités respectives auraient laissé supposer l’inverse, le chancelier Schmidt étant réputé pour ses prises de position tranchées, contrairement au président français plutôt porté vers la modération et le consensus.

43 Quand des intérêts nationaux prononcés sont en jeu, il peut s’avérer difficile pour le président du Conseil européen de conserver le masque stevensonien du Dr Jekyll et de ne pas laisser apparaître celui de M. Hyde. Cette tension a été particulièrement apparente au début des années 2000. L’épisode de Nice a en effet rappelé les difficultés liées à la double casquette que doit revêtir le président du Conseil européen [31]. Les propos des deux dirigeants français, Jacques Chirac et Lionel Jospin, vraisemblablement accrus par le contexte de coalition [32], ont pris une dimension particulière compte tenu du fait qu’ils présidaient alors la réunion. Les difficultés ont culminé à Nice, lorsque le président Chirac s’est vivement opposé à ce que l’Allemagne ait un nombre de votes supérieur à celui de la France, du Royaume-Uni ou de l’Italie [33]. Son attitude a été perçue comme ambivalente : « President Chirac’s voluntarism (« The Treaty has to be done ») contrasted with his unwillingness to make any concession. » (Costa, Couvidat et Daloz in Elgström, 2003, 134-135). La situation complexe dans laquelle il se trouvait a affecté à la fois son image personnelle et le déroulement de la réunion : « Chirac lui-même était catastrophé. Il était en grande partie responsable de ce qui se passait à Nice, mais je me souviens que… enfin tout le monde était défait ! C’était un véritable cauchemar [34]. » Pour certains acteurs, il était clair que le président français défendait ses intérêts nationaux au détriment de ses responsabilités européennes, sans même prétendre agir de manière neutre [35].

44 Cet exemple pourrait être interprété comme un jeu à deux niveaux dans lequel le négociateur n’est pas en mesure d’aboutir à un win-set (Putnam, 1988). Mais comme l’esquissait déjà Robert Putnam à la fin de son article, contrairement aux négociations internationales, les négociations au niveau européen sont influencées par les nombreux liens directs entre les acteurs. Le Conseil européen s’apparente à un « club » (Dinan, 2005, 237) dont les chefs d’État et de gouvernement sont membres et dans le cadre duquel ils se rencontrent plusieurs fois par an. Être à la tête de ce « club » européen suggère une certaine européanisation avec des effets transformatifs, mais également donc des réactivations du national dans des conjonctures particulières. In fine, la configuration principale s’apparenterait plutôt à l’idée d’un dirigeant « double hatted » avec une distinction entre le national et l’Européen largement brouillée (Lewis 2003, 2005).

Conclusion

45 La présidence du Conseil européen résulte donc d’un processus, combinant plusieurs séquences en partie parallèles, dominé par de longues périodes de latence qui expliquent entre autres le peu d’attention que son institutionnalisation a suscité. Mais cette apparente stabilité a été accompagnée de périodes de réflexion et d’évolution des idées, lesquelles ont été suivies de nouveaux comportements et pratiques des acteurs institutionnalisant de nouveaux développements. Leur formalisation juridique revêtait un caractère secondaire et ne survenait qu’a posteriori. Les présidents français et chanceliers allemands ont activement participé aux deux moments d’inflexion qui ont marqué l’évolution de la présidence du Conseil européen. Ils ont rapidement construit un nouveau rôle présidentiel avec des tâches d’impulsion, de conciliation et d’incarnation, puis ont prolongé cette action – en se heurtant à des contraintes nouvelles – lors de la seconde période d’inflexion. L’analyse menée n’étant pas comparative, elle ne s’avère pas suffisante pour affirmer le caractère principal et déterminant des dirigeants français et allemands, mais le faisceau d’éléments relevés et la cohérence de son inscription dans le processus d’ensemble permettent de confirmer leur rôle majeur.

46 La complexité de la longue émergence institutionnelle de la présidence du Conseil européen ainsi que sa position et sa composition particulière nous ont conduits à expérimenter un cadre théorique qui articule différentes approches. Le développement discret d’une structure institutionnelle avec une relative continuité, l’analogie instable entre l’institution et l’acteur qui l’incarne dans la mesure où l’institution se limite à une seule personne qui fait l’objet d’une forte rotation, et enfin la rencontre directe des ordres politiques nationaux et européens sont des traits spécifiques qui trouvaient un écho dans des approches différentes. L’objectif était de proposer une manière d’articuler ces approches et concepts différents encore très isolés malgré la multiplication des appels au décloisonnement et aux emprunts. Plusieurs éléments du cadre déterminé mériteraient toutefois d’être affinés comme le rôle des acteurs dans les phases de stabilisation ou la manière dont les idées se rencontrent et évoluent en fonction des intérêts des acteurs.

47 Les résultats de notre analyse posent la question fondamentale du passage de l’intergouvernemental au supranational au sein des institutions. La thèse de la communautarisation de la présidence développée pour le Conseil (Fernández Pasarín, 2008) semble pouvoir être largement étendue à la présidence du Conseil européen. D’autant que le Conseil européen, qui a longtemps été présenté comme le symbole de l’intergouvernemental dans l’UE, est désormais dirigé par une personne qui ne représente plus des intérêts nationaux et est détachée de tout lien national. Le président semi-permanent possède de surcroît son propre cabinet indépendant des différents États membres et autres institutions européennes. Alors que certains estimaient que « l’idée de faire présider par une autorité indépendante une institution par nature intergouvernementale sembl[ait] riche en conflits virtuels » (Jacqué et Simon in Taulègne, 1993, 242), cette crainte n’a in fine que peu préoccupé les décideurs et n’a, à l’heure actuelle, pas suscité de tension manifeste.

48 La question du changement de nature des institutions et de la validité de la vision dichotomique entre l’intergouvernemental et le supranational est clairement posée par la construction institutionnelle de la présidence du Conseil européen. Avec la mise en évidence de processus de socialisation et d’européanisation, l’emploi du qualificatif d’« intergouvernemental » pour caractériser le Conseil n’a eu de cesse de décroître, certains le désignant même comme une institution avant tout « supranationale » (Westlake et Galloway, 2004, 8). Il en est désormais de même pour le Conseil européen. Il ressort des entretiens réalisés que tous les acteurs, y compris les plus fédéralistes, rejettent la présentation du Conseil européen comme une incarnation de l’intergouvernemental. Cela traduit l’évolution de l’intégration européenne par les processus d’institutionnalisation présentés dans cette analyse, mais se retrouve également dans les discours de certains acteurs politiques à l’instar d’Angela Merkel [36]. L’obsolescence de cette distinction qui a structuré les principales théories de l’intégration européenne est un incitant majeur à revoir les cadres établis et dépasser les frontières.

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  • Rapport des ministres des Affaires étrangères des États membres sur les problèmes de l’unification politique (dit Rapport Davignon), Bulletin de la Communauté économique européenne, n° 11, novembre 1970, p. 9-14.
  • Rapport sur les institutions européennes, Comité des Trois Sages, 1980.
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  • Déclaration solennelle sur l’Union européenne, Stuttgart, 19 juin 1983, Bulletin des Communautés européennes, juin 1983, n° 6, p. 26-31.
  • Interviews avec des anciens chefs d’État ou de gouvernement, et des hauts responsables des administrations européennes ou nationales.

Date de mise en ligne : 12/01/2012.

https://doi.org/10.3917/poeu.035.0055

Notes

  • [1]
    Je tiens à remercier Ana Mar Fernández Pasarín et Michel Mangenot ainsi que les deux relecteurs anonymes pour leurs commentaires avisés des versions précédentes de cet article.
  • [2]
    Le terme « semi-permanent » reflète le compromis associé à la durée de ce mandat, fixée à deux ans et demi et non pas une temporalité plus classique de quatre ou cinq ans.
  • [3]
    Les ouvrages de science politique dédiés au Conseil européen sont en nombre très réduits et relativement datés (Wessels, 1980 ; Bulmer et Wessels, 1987 ; Hoscheit et Wessels, 1988 ; Johnston, 1994). Jonas Tallberg a récemment enrichi cette littérature avec des analyses focalisées sur les intérêts et jeux de pouvoir (Tallberg, 2006, 2007 ; Johansson et Tallberg, 2008, 2010). Les autres principales analyses approfondies disponibles ont été écrites par des juristes (Taulègne, 1993), des historiens (Young, 2009 ; Mourlon-Druol, 2010a, 2010b ; les Eurocomment Briefing Notes publiées régulièrement par Peter Ludlow) ou par des observateurs ou acteurs (Dondelinger, 1975 ; Von Donat, 1986 ; de Bassompierre, 1988 ; Werts, 2008).
  • [4]
    Plusieurs auteurs devenus « classiques », utilisant diverses approches ont réfléchi à ce concept et mis en avant l’intérêt de son usage, tels que Philip Selznick (1957), Shmuel Eisenstadt (1964) ou Samuel Huntington (1968).
  • [5]
    Le choix de se concentrer sur les acteurs de ces deux États s’explique également par leur rôle déterminant dans la création du Conseil européen. À cela s’ajoute leur statut de « Grands » et leur action de « moteur » de l’intégration européenne (Pedersen, 1998). Ces deux éléments soulignent leur capacité d’influence de premier ordre, laquelle permet une meilleure perception du rôle à la fois dans les changements ou dans la continuité institutionnelle. Enfin, en janvier 2003, c’est également une proposition franco-allemande qui permit de dégager le compromis à l’origine du président stable du Conseil européen.
  • [6]
    « La présidence exerce la fonction de porte-parole des Neuf et se fait leur interprète sur le plan diplomatique. Elle veille à ce que la concertation nécessaire ait toujours lieu en temps utile », Point 4 du Communiqué final de la réunion des chefs de gouvernement de la Communauté, 1974.
  • [7]
    Interview avec un Haut responsable de l’époque, réalisée le 2 juillet 2009.
  • [8]
    Les sommets européens précédents ont été : Paris les 10 et 11 février 1961, Bad Godesberg le 18 juillet 1961, Rome les 29 et 30 mai 1967, La Haye les 1er et 2 décembre 1969, Paris les 19 et 20 octobre 1972, Copenhague les 14 et 15 décembre 1973.
  • [9]
    Interview avec un ancien chef d’État ou de gouvernement, réalisée le 22 avril 2010.
  • [10]
    La littérature sur les institutions européennes et le système politique européen l’illustre parfaitement. Avant les années 1990, le Conseil européen n’était souvent que traité dans une sous-section sur le Conseil de l’UE. Désormais, une partie spécifique lui est généralement consacrée et il est même bien souvent la première des institutions analysées.
  • [11]
    La « troïka » envisagée se serait constituée du chef d’État ou de gouvernement de la présidence en exercice, qui serait accompagné de deux vice-présidents issus des présidences précédente et suivante.
  • [12]
    L’article 2 se limite à des énoncés « pratiques » liminaires précisant uniquement la composition du Conseil européen et la fréquence des réunions.
  • [13]
    La démarche adoptée a pour but d’établir des corrélations entre les moments de critical juncture et les attitudes des acteurs au moyen d’une observation des exercices de rôle. L’optique, bien qu’elle s’intéresse aux changements, n’est donc pas comparative.
  • [14]
    Voir à ce sujet l’interview de Jacques Poos, disponible en ligne : http://www.ena.lu
  • [15]
    « Enlevez ces saletés ! » Interview avec un ancien chef d’État ou de gouvernement, réalisée le 6 avril 2011.
  • [16]
    « Chirac conseille à Merkel d’utiliser une clochette pour limiter les discours », AFP, 15 décembre 2006 et « Chirac vante à Merkel les mérites de “la clochette de Nice” », Reuters, 15 décembre 2006.
  • [17]
    Ibid.
  • [18]
    Dans ses Mémoires, V. Giscard d’Estaing parle du Conseil européen comme « mon initiative », tout comme du fait d’obtenir la régularité des réunions. Il rapporte également des propos que lui aurait adressés Jean Monnet le 9 janvier 1975 : « La création du Conseil européen qui vous est due, est la décision la plus importante en faveur de l’union de l’Europe depuis la signature du traité de Rome ! » (Giscard d’Estaing, 2007, 113-115).
  • [19]
    Interview avec un ancien chef d’État ou de gouvernement réalisée le 6 avril 2011.
  • [20]
    Entretien retranscrit dans Le Monde, 21 juin 1979, p. 8-10.
  • [21]
    « Le chancelier Schmidt, appuyé par M. Giscard d’Estaing, est le principal artisan du redémarrage actuel », Le Monde, « Montée en puissance », 9-10 juillet 1978, p. 1.
  • [22]
    Cité dans la dépêche « Chirac et Jospin “confessent” leurs partenaires », Reuters, 8 décembre 2000.
  • [23]
    Déclaration de Nicolas Sarkozy devant le PE, Strasbourg, 16 décembre 2008.
  • [24]
    « Statt des « Kamingespräche » harte Diskussionen », Frankfurter Allgemeine Zeitung, 10 juillet 1978, p. 3.
  • [25]
    « Die Veranstaltung, die an diesem Donnerstag und Freitag in Bremen stattfindet, ist die wohl am besten vorbereitete Tagung, die es je gegeben hat », in « Anlauf zu einem grösseren Währungsverbund. Bonner Erwartungen an den Europäischen Rat », Frankfurter Allgemeine Zeitung, 5 juillet 1978, p. 1.
  • [26]
    Ibid.
  • [27]
    Procès-verbal de la session du Conseil européen tenue à Bruxelles les 4 et 5 décembre 1978, p. 11.
  • [28]
    Ibid, p. 31, p. 36, p. 50, p. 51, p. 52, p. 58.
  • [29]
    Procès-verbal de la session du Conseil européen tenue à Strasbourg les 21 et 22 juin 1979, p. 16 et 19.
  • [30]
    Ibid. p. 9.
  • [31]
    « Tired leader torn by dual roles », Financial Times, 11 décembre 2000.
  • [32]
    Voir par exemple les perceptions de la presse sur le contexte : « How France’s internal political rivalries influenced the summit », The Economist, 16 décembre 2000 ; « Six mois de schizophrénie politique pour Jacques Chirac et Lionel Jospin », Le Monde, 7 décembre 2000.
  • [33]
    Selon Jean-Claude Juncker, le président Chirac aurait dit : « This century we have beaten Germany twice already. Moreover we have nuclear arms », d’après une interview de Frans Boogard, Algemeen Dagblad, 18 décembre 2000.
  • [34]
    Interview avec un Haut responsable du secrétariat général du Conseil, réalisée le 15 décembre 2010.
  • [35]
    Un membre d’une délégation scandinave aurait declaré : « Chirac is not even pretending to be a neutral chairman » cité in « Nice Summit - Chirac’s ordeal - Britain intervenes to save France from diplomatic disaster », The Independent, 11 décembre 2000.
  • [36]
    Dans un discours prononcé presque un an après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, Angela Merkel réfuta cette idée que « deux camps s’affrontent, d’un côté les intergouvernementalistes et de l’autre les dépositaires et protecteurs de la méthode communautaire » et plaida pour la « méthode de l’Union » qui se présenterait comme une combinaison des deux. (Discours de Angela Merkel, Bruges, 2 novembre 2010).
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