Notes
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[1]
Cet article repose sur des matériaux empiriques recueillis dans le cadre d’une thèse consacrée au processus d’intégration de l’environnement dans la PAC, dans une perspective comparée (France, Hongrie, Royaume-Uni). Nos entretiens ont concerné l’ensemble des acteurs impliqués dans ce processus (administrations communautaires et nationales, société civile : représentants agricoles, environnementalistes, chercheurs, etc.). Notre insertion scientifique à l’INRA – instance de production de l’expertise française en matière d’agriculture – constitue un terrain d’observation supplémentaire ; nous remercions à ce titre Gilles Allaire qui nous a permis de participer aux réunions du Comité de synthèse de l’évaluation des MAE piloté par le ministère de l’Agriculture. Nous remercions également Xavier Cinçon, Andy Smith, Bruno Théret et plus particulièrement Ève Fouilleux pour leurs remarques et commentaires sur des versions précédentes de ce texte. Nous sommes également redevables à l’égard des deux évaluateurs anonymes de Politique européenne pour leurs critiques constructives.
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[2]
CEE/2078/1992.
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[3]
La Royal Society for the Protection of Birds (RSPB), particulièrement active en la matière, compte plus d’un million de membres en Angleterre. Depuis le début des années 1990, elle offre au bureau européen de Birdlife International ses ressources matérielles et analytiques.
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[4]
Par exemple, CE/144/2006.
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[5]
CE/144/2006. Ce texte a été précédé de documents d’orientation dans lesquels la CE définissait les principes et règles devant guider les évaluations nationales (CE, 2002, 2004).
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[6]
Il s’agit de la « croissance », l’« emploi », la « productivité », la « biodiversité », les « zones à haute valeur naturelle », l’« eau » et le « changement climatique ».
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[7]
Entretien, CE, chef du bureau « Environnement, ressources génétiques et OGM », 2008.
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[8]
Ces controverses ont par exemple reçu un écho dans la prestigieuse revue Nature (Whitfield, 2001, 2006).
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[9]
Entretiens : CE, chef du bureau « Environnement, ressources génétiques et OGM », 2008 ; RSPB, ancienne chef de l’Équipe des politiques agricoles, coordinatrice du groupe sur la PAC de Birdlife International, 2008.
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[10]
À savoir la rationalité instrumentale et l’individualisme méthodologique.
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[11]
Ainsi, évoquant au cours d’un entretien les négociations interministérielles entre le MAAP et Bercy, un fonctionnaire du MAAP avançait que « Bercy a une position nuancée, puisque la PAC est la première politique dont bénéficie la France, en termes budgétaires. On leur dit : taisez vous, mieux vaut dépenser l’argent là que dans la politique de cohésion, hein ». (Chef du Bureau de l’Union européenne, Direction générale des politiques économique et internationale, MAAP 2008).
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[12]
Il y a en effet un lien ténu entre l’impératif de contrôle des dépenses (gestion financière) et celui de l’évaluation : le second ne peut être satisfait que par la réalisation du premier, qui permet l’enregistrement des informations nécessaires aux fins de l’évaluation.
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[13]
« Il y a des communications de la Commission qui listent des engagements types en disant : ça c’est contrôlable, ça non ; en disant : contrôler, ça suppose telle ou telle chose » (Entretien, MAAP, chef du Bureau des sols et de l’eau, 2008).
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[14]
Nous pensons notamment à David Baldock, Janet Dwyer, Ian Hodge, Peter Midmore et Martin Whitby.
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[15]
Du côté anglais : Janet Dwyer, Ian Hodge, Peter Midmore ; du côté français : Francis Aubert, Marielle-Berriet-Solliec, Marc Guérin.
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[16]
Considérant que « pour progresser, l’évaluation doit accumuler les expériences, les diffuser, les normaliser », certains de ces articles sur la base de synthèses de travaux existants entendent explicitement « faire progresser la pratique et la culture de l’évaluation » (Guérin et al., 2006, p. 35).
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[17]
Nous pensons à Gilles Allaire.
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[18]
Il est significatif de constater que cette question était largement absente du numéro spécial d’Économie rurale que la Société française des économistes ruraux a consacré au premier programme agro-environnemental français en 1998, Cf. Économie rurale, « Les mesures agro-environnementales. Bilan et perspectives », n° 249, février-mars 1998. Il en est de même des débats sur l’élaboration des Contrats territoriaux d’exploitations, qui conjuguaient les MAE à d’autres instruments de développement rural, pour la période suivante (Brun, 2006).
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[19]
Laurent Barbut est chef du bureau de consultants qui a réalisé l’évaluation, tandis que Jean-François Baschet est chargé de mission à la Direction générale des politiques économique et internationale, Sous-direction de l’évaluation, de la prospective, des études et de l’orientation (MAAP).
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[20]
La note de service afférente prévoit que les Commissions régionales agro-environnementales (CRAE), instance de la Commission régionale de l’économie agricole et du monde rural, placée sous l’autorité du Préfet de région, émettent un avis sur chaque projet. Une CRAE se compose de représentants des administrations régionales et départementales de l’agriculture et de l’environnement, ainsi que des porte-parole professionnels agricoles et de l’environnement. Les services de la DRAF assurent l’instruction des projets. Sans aller dans les détails de la procédure, on peut noter que la note de service liste plusieurs critères d’instruction « afin de concentrer l’action sur des territoires où il existe une volonté collective et une réelle dynamique de souscription » : « (i) le territoire d’application devra être inclus dans une zone d’action prioritaire régionale ; (ii) les enjeux et objectifs identifiés devront être cohérents avec les enjeux retenus comme prioritaires pour la zone d’action concernée ; (iii) la ou les mesures proposées sur chaque territoire devront répondre aux objectifs identifiés sur le territoire de manière appropriée par rapport aux pratiques agricoles habituelles sur le territoire ; (iv) la ou les mesures proposées devront permettre d’attendre une dynamique de souscription suffisante pour atteindre l’objectif environnemental visé ; (v) le coût global de la mesure devra être précisé, au regard des surfaces attendues. » (MAAP, 2007, p. 12).
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[21]
Il visait une « inflexion importante de la lutte contre les effets négatifs de la politique agricole sur l’environnement ». (cité par AsCA, 2004, p. 4).
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[22]
Entretiens, LPO, 2009 ; Réseau agriculture durable, 2008 ; Chef du Bureau des sols et de l’eau, MAAP, 2008.
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[23]
Il s’agit de rechercher une cohérence interne au système d’exploitation, en favorisant des complémentarités fonctionnelles entre les volets agronomique et zootechnique de l’exploitation (Béranger, 2005). Au contraire, dans un système intensif, l’exploitant intensifiera les cultures destinées à son élevage (en substituant par exemple du maïs aux pâturages), afin d’implanter sur les surfaces ainsi libérées des « cultures de vente ».
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[24]
Par exemple, baisser son niveau de fertilisation sur une parcelle dans un objectif de préservation/restauration de la qualité de l’eau.
-
[25]
À titre d’exemple, la Ligue pour la protection des oiseaux a en vain cherché à promouvoir une action de gestion des zones humides, ainsi qu’une action visant les zones céréalières dédiée à la sauvegarde de l’outarde canepetière (Entretien, LPO, 2009). Un agent du MAAP confiait en ce sens : « Il y avait beaucoup de choses que les organisations environnementalistes souhaitaient ajouter dans les cahiers des charges et on disait : ça, on ne sait pas faire, on n’a pas les moyens de le contrôler. » (Entretien, chef du Bureau des sols et de l’eau, 2008).
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[26]
Pour une analyse récente des stratégies professionnelles de résistance aux politiques de l’environnement dans le cas de la production porcine bretonne, se reporter aux travaux de Magalie Bourblanc et d’Hélène Brives (2009).
Introduction
1 Le discours de la « nouvelle gouvernance européenne » met constamment en jeu quelques « bonnes pratiques » : la « responsabilité », la « transparence », l’« efficacité » (Georgakakis, 2007). Elles impliquent une multiplicité de mécanismes de contrôle et de responsabilité politiques qui, contrairement à la théorie du gouvernement représentatif, ne sont plus tant axés sur les rapports entre Gouvernement et Parlement ; une dimension nouvelle du pouvoir exécutif s’affirme, le contrôle des gouvernants (Rosanvallon, 2008).
2 Au sein de l’Union européenne (UE), la question du contrôle des gouvernants prend deux formes. La première, qui concerne le contrôle de l’action des institutions européennes par le Parlement européen (Commissions d’enquête) et des autorités indépendantes (Cour des comptes, Office de lutte anti-fraude par exemple, etc.), a fait l’objet d’investigations approfondies (Costa et al., 2003 ; Magnette, 2003). La seconde, qui renvoie au contrôle par la Commission européenne (CE) des actions des États membres par lequel elle cherche à vérifier leur conformité aux normes communautaires, a jusqu’alors suscité peu de travaux. Ces mécanismes de contrôle et de responsabilité politiques constituent autant d’étalons de mesure des politiques publiques des États membres, les contraignant à rendre compte à la CE et au public en général de l’exercice de leur mandat et de la façon dont ils dépensent l’argent public. Consacrée à ce second cas de figure, la question posée dans cet article est celle de savoir en quoi et comment le contrôle opéré par la CE provoque une dynamique d’européanisation des politiques publiques nationales. Pour ce faire, il s’intéresse principalement à l’évaluation des politiques publiques. Cherchant à asseoir l’action publique sur les acquis scientifiques, loin des clivages partisans, l’évaluation semble être un instrument symptomatique de la « nouvelle gouvernance européenne ». Mécanisme de reddition de compte, elle a prétention à proposer une échelle de valeur objective permettant d’indiquer au public l’efficacité de l’action publique ; outil de pilotage (Jacob, 2006), elle prétend proposer aux décideurs une mesure objective et chiffrée de l’action publique, établissant en quelque sorte la « vérité du moment » (Zarka, 2009).
3 L’exemple empirique retenu pour illustrer notre propos est celui des Mesures agro-environnementales (MAE), un instrument de la Politique agricole commune (PAC) dont l’importance a été renforcée ces deux dernières décennies. Leur mise en œuvre passe par la définition de programmes nationaux pluriannuels ; les actions les composant visent à rémunérer contractuellement les « services agro-environnementaux » produits par les agriculteurs. Dans le temps, le développement réglementaire des MAE s’est accompagné d’un processus d’approfondissement des mécanismes européens de contrôle des programmes nationaux : ainsi, aux côtés des pratiques d’instruction et de contrôle in situ a récemment été renforcée, élargie et précisée, l’obligation de leur évaluation continue.
4 Cet article envisage les effets de cette obligation nouvelle sur les contours des programmes français. La France constitue pour cela un terrain intéressant, pour deux raisons principales. D’abord, l’État français est largement étranger au développement des MAE, le syndicalisme majoritaire les ayant longtemps perçues comme une négation de son identité professionnelle et une mise en accusation de son modèle productif (Alphandéry et Billaud, 1994). Ensuite, si l’histoire de l’évaluation a plus de quarante ans en France, si elle fut consacrée par les pouvoirs publics comme un instrument clé de la réforme de l’État, il n’en reste pas moins que son développement est inégal dans les secteurs de l’administration (Thoenig, 2005) ; plus particulièrement, jusqu’au renforcement récent des mécanismes communautaires de contrôle des programmes nationaux en matière d’agro-environnement et de développement rural, cette pratique était largement absente du répertoire d’action publique de l’administration agricole française.
5 Dans la lignée de travaux récents sur l’européanisation (Saurugger et Surel, 2006), cet article appréhende ce changement comme un transfert institutionnel (Dolowitz et Marsh, 2000), dont nous chercherons à analyser le processus et les conséquences principales, en retraçant les processus sociaux et politiques de sa diffusion et de sa réception, ainsi que ses principaux effets sur les contours des programmes agro-environnementaux successifs ; nous nous focaliserons non pas sur les phénomènes de résistance nationale, mais sur les changements domestiques induits par ce transfert. Trois programmes agro-environnementaux se sont succédés en France : le premier, de 1992 à 1999, fut marqué par la « prime à l’herbe », un soutien déguisé au revenu agricole cherchant à compenser les écarts de revenus entre céréaliers et éleveurs ; intégré dans le cadre plus large du Contrat territorial d’exploitation (CTE), l’instrument de politique agricole de la gauche plurielle, le second programme (2000-2006) visait une réorientation générale de l’agriculture française suivant les perspectives d’une agriculture multifonctionnelle et durable ; celui qui lui a succédé en 2007 est, quant à lui, placé sous le sceau de la recherche d’« efficacité » : poursuivant des ambitions plus modestes que son prédécesseur, nombre de ses actions sont « ciblées » sur quelques enjeux environnementaux (eau, biodiversité) identifiés dans des zones géographiques restreintes et sont mises en opération via des mécanismes de marché favorisant des comportements concurrentiels.
6 Cherchant à nous départir du caractère procédural (« descendant ») qui caractérise souvent les études européennes (par exemple Smith, 2004 ; Palier et al., 2007), notre enquête a d’abord concerné les évolutions réglementaires qui ont affecté les MAE – notamment le processus de renforcement de l’obligation de leur évaluation continue – à l’origine du processus de transfert institutionnel ; celui-ci fut ensuite observé à partir des échanges et interactions qu’il a induits entre les acteurs sociaux et administratifs français et communautaires, resitués dans la matrice sociale dans laquelle ils évoluent (Pasquier et Weisbein, 2004 ; Smith, 2004 ; Saurugger, 2008). Notre attention s’est plus précisément focalisée sur les points de rupture qu’a suscités ce transfert, les controverses induites cristallisant les processus politiques alors plus aisément déchiffrables (Nay et Smith, 2002).
7 S’inscrivant dans une perspective constructiviste, cet article [1] repose sur le postulat selon lequel la conduite des politiques publiques est le fruit de controverses alimentant le débat public autour d’une question de société donnée ; celles-ci définissent les cadres cognitifs et normatifs qui guident l’action publique (Jobert et Muller, 1987 ; Muller, 2005 ; Schmidt, 2008) ; elles se déploient de façon éclatée, en fonction des acteurs sociaux qui les produisent, selon des registres d’argumentation hétérogènes (Jobert, 1994 ; Fouilleux, 2000). Une variété d’acteurs alimentent le débat français sur les rapports entre agriculture et environnement, soit qu’ils évoluent (i) sur le forum professionnel agricole (les agriculteurs biologiques, le Réseau agriculture durable par exemple), (ii) sur le forum des agronomes dominé par l’Institut national de recherche agronomique (INRA), (iii) sur le forum environnementaliste (la Ligue de protection des oiseaux, France Nature Environnement par exemple) et, enfin, (iv) sur le forum des économistes agricoles (scientifiques et experts) ; certains de ces forums présentent clairement une dimension transnationale, comme par exemple celui des économistes agricoles.
8 Déduite de ce cadre d’analyse, notre hypothèse est que le transfert institutionnel étudié est à l’origine d’un processus de médiation, pris dans sa double dimension (Muller, 1995). Premièrement, en tant que contrôle de performance de l’action publique, l’évaluation tend à circonscrire le débat national sur les rapports entre agriculture et environnement à la seule question de l’« efficacité environnementale » des programmes nationaux, jouant en faveur d’un processus de limitation du débat national. Deuxièmement, en tant que processus de médiation, ce transfert institutionnel est à l’origine d’une réorganisation du jeu d’acteurs, de leurs relations de pouvoir : ce transfert tend à renforcer les capacités de pilotage de l’État central qui se voit à la fois doté de responsabilités administratives et de ressources intellectuelles nouvelles, les pratiques d’évaluation renforçant la production d’expertise étatique. C’est cette double hypothèse qui sera explorée par la suite.
9 Cet article débute en retraçant le développement des MAE, notamment le processus d’approfondissement de l’obligation d’évaluation continue des programmes nationaux (1). Ce développement réglementaire a doté l’exécutif européen de ressources nouvelles pour exercer une pression institutionnelle sur l’administration agricole française, enclenchant le processus de transfert. Mais celui-ci n’est pas pour autant le seul produit de la contrainte, l’appropriation nationale de l’instrument ayant été facilitée par l’existence préalable d’un forum transnational mettant en jeu une science globale (la science économique) ; le prosélytisme de quelques économistes agricoles, agissant comme experts auprès de l’administration française, a ainsi largement préparé le « terrain » du transfert en offrant aux agents de l’administration agricole les outils intellectuels et techniques nécessaires pour se conformer aux exigences communautaires nouvelles (2). La suite de l’article envisage les effets liés à la généralisation des pratiques d’évaluation, en se penchant sur les principaux changements qui ont affecté les programmes agro-environnementaux français. D’une part, le débat national afférent tend à s’ordonner autour de la seule question de l’« efficacité » des actions agro-environnementales, favorisant notamment l’introduction de mécanismes de marché dans les programmes nationaux (3). D’autre part, ce transfert tend à déterminer le contenu et l’instrumentation de l’action publique nationale, dans le sens où les exigences imposées par les évaluations en termes de gestion administrative influencent les contours des programmes nationaux (4). Sur la base de ces développements, nous nous interrogerons en conclusion sur la question de la légitimité démocratique des évaluations telles que pratiquées en l’espèce, ainsi que sur leurs effets sur le débat public.
Les mesures agro-environnementales : discours et instrument
10 Au tournant des années 1980, sous l’effet des négociations commerciales internationales, le référentiel de marché s’impose à la PAC qui connaît une transformation radicale de ses instruments. Largement issue des débats britanniques, une catégorie nouvelle d’action publique émerge alors, « l’agro-environnement » ; instituées en 1985 sur le modèle britannique des « Environmental sensitive areas », les MAE deviennent d’application obligatoire en 1992 [2]. Chaque État membre doit définir à leur titre un programme pluriannuel, qui sera instruit par la CE ; il consigne une liste d’actions cofinancées par l’UE et l’État membre concerné qui rémunèrent de façon contractuelle les pratiques agronomiques et environnementales favorables à l’environnement mises en jeu par les agriculteurs.
11 À la fin des années 1990, un discours dominant s’impose en Europe sur les rapports entre agriculture et environnement. Il est intimement lié aux débats britanniques alimentés par quelques puissantes organisations caritatives environnementalistes [3], œuvrant depuis le tournant des années 1980 pour une réforme de la PAC (Cox et al., 1985). Leurs propositions reposent sur l’axiome libéral « public money for public goods » : la PAC renouvelée aurait alors non plus pour vocation d’organiser les marchés agricoles, mais de rémunérer les « biens publics » mis en jeu par les agriculteurs dans le cadre de leur activité professionnelle (Birdlife International, 2008). Les MAE deviennent à ce titre l’instrument central de cette nouvelle politique, venant rémunérer les biens publics (les « services agro-environnementaux ») induits par la production alimentaire. Certaines de ces propositions, qui entrent pleinement en résonance avec celles des économistes néo-classiques les plus éminents en Europe (Buckwell et al., 1997 ; Mahé et Ortalo-Magné, 2001), ont progressivement été sélectionnées et institutionnalisées par les autorités européennes au début des années 2000. À travers leur programme agro-environnemental, les États membres sont chargés d’organiser les règles permettant la transaction des services agro-environnementaux ; cependant, ils sont tenus de faire un usage « optimal » des aides publiques allouées en la matière et ce, tant pour les générations futures que pour créer, hic et nunc, un maximum de richesses, condition du bien-être collectif [4]. Une injonction à la responsabilisation leur est adressée : à vous de faire un usage optimal des aides publiques, à vous d’en rendre compte.
12 Ce discours prend corps dans un ordre institutionnel, progressivement développé à partir des années 2000 ; l’obligation d’évaluation continue des programmes agro-environnementaux en est une pièce maîtresse. En 2006, l’UE s’est désormais dotée d’une Stratégie communautaire pour le développement rural [5], objectivée par quelques « indicateurs d’impact » communautaires [6] que les programmes nationaux doivent poursuivre. En vertu de cette Stratégie communautaire, la CE a défini un Cadre commun de suivi et d’évaluation (CE, 2006) précisant et élargissant l’obligation d’évaluation continue des programmes nationaux, qui intervient dorénavant à chaque étape de leur développement. Deux éléments ont motivé ce choix [7]. Premièrement, la première génération de MAE a fait l’objet de vives critiques formulées par des environnementalistes et des écologues dénonçant leur peu d’« efficacité », sinon le détournement des aides publiques [8]. Ces critiques invoquent toutes la nécessité de renforcer les exigences réglementaires en matière d’évaluation, credo vivement défendu par les environnementalistes britanniques depuis les années 1990 (par ex. RSPB, 1995). Ces derniers ont tôt fondé leurs propositions de réforme de la PAC sur des rapports d’évaluation de ses instruments commandités à un think tank londonien particulièrement influent dans ce domaine, l’Institute for an European environmental policy, générant ainsi un réservoir d’informations important. Deuxièmement, par la production du Cadre commun de suivi et d’évaluation, il s’agissait pour la CE de répondre à deux rapports successifs de la Cour des comptes européenne (2000, 2005), pointant son incapacité à garantir le caractère vérifiable des dépenses agro-environnementales. Un échange politique entre la CE et les environnementalistes a alors été noué face aux États membres, majoritairement réticents à la multiplication et à l’approfondissement des contrôles : la première a bénéficié de l’expertise des seconds ainsi que de leur représentativité pour fonder ses propositions ; les seconds obtenaient le soutien politique de la première pour faire avancer leurs propositions [9].
13 Le Cadre commun de suivi et d’évaluation de la CE emprunte largement à l’analyse économique des politiques publiques qui, fondée sur les postulats de l’économie néo-classique et de l’économie de l’environnement [10], cherche à mesurer l’« utilité collective » des décisions publiques, c’est-à-dire à mettre en rapport leurs coûts et bénéfices (Vallée, 2002). L’« efficacité économique » – en l’espèce l’« efficacité environnementale » – devient le principe gouvernant la formulation des programmes nationaux et l’étalon de mesure de leurs performances. Le Cadre commun de suivi et d’évaluation définit une méthode d’action publique en fonction de laquelle les États membres sont tenus – en plus du droit positif propre aux MAE – de formuler, de suivre et de rendre compte de leur programme. La « chaîne causale de la logique d’intervention » (CE, 2006) doit ainsi présider à leur définition : après avoir identifié les besoins à moyen et long termes, l’État membre est tenu de préciser pour chaque action de son programme les objectifs et résultats visés, les moyens affectés, le tout en rapport avec la situation de départ, chacune de ces étapes étant objectivée, quantifiée et chiffrée au moyen d’indicateurs d’état, d’intrant, de réalisation et d’impact. A priori dépourvue de force juridique, cette méthodologie d’action publique expose les critères en fonction desquels l’exécutif européen instruira chaque programme national. Observons maintenant la façon dont s’est joué en France le processus de transfert induit par ces transformations réglementaires.
Le transfert des pratiques d’évaluation comme processus institutionnel et social
14 Pour commencer, deux éléments peuvent être avancés pour comprendre l’introduction tardive des pratiques d’évaluation dans le répertoire d’action de l’administration agricole française. Le premier tient au corporatisme sectoriel, qui caractérise la production des politiques agricoles en France (Jobert et Muller, 1987 ; Coulomb et al., 1990, Fouilleux, 2003) ; il fonde un échange politique État/profession clos, peu publicisé, défavorable à l’émergence de mécanismes de reddition de comptes. Étroitement lié, le second tient aux importants retours budgétaires dont bénéficie la France au titre de la PAC ; ils confèrent une position de toute-puissance dans le jeu interministériel au ministère de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Pêche (MAAP) ; aucun ministère, notamment celui en charge de l’Économie et des Finances, ne parait à même de lui imposer un contrôle de ses dépenses budgétaires [11].
15 L’approfondissent récent des exigences communautaires en matière d’évaluation a doté l’exécutif européen de ressources nouvelles, lui permettant d’exercer une pression institutionnelle sur le MAAP, afin que celui-ci veille à ce que le programme agro-environnemental qu’il formule soit évaluable. Pour cela, des objectifs précis, des critères et indicateurs de réalisation doivent y être intégrés dès sa formulation. Le langage administratif consigne cette exigence à travers l’expression de « contrôlabilité des actions [12] ». Cette exigence nouvelle fit largement défaut précédemment, ainsi que le confiait un fonctionnaire du MAAP évoquant l’évaluation à mi-parcours du programme à l’œuvre sur la période 2000-2006 :
« Ça a posé un souci dans le cadre de la programmation antérieure. On était incapable de contrôler si un agriculteur avait respecté son contrat ou pas, et ça, on le disait pudiquement en espérant que la Commission n’allait pas trop voir qu’en fait on avait fait des mesures qu’on ne savait pas contrôler, qu’on ne pouvait pas évaluer. » (Entretien, chef du Bureau des actions territoriales et de l’agro-environnement, MAAP, 2008).
17 C’est notamment à l’occasion de l’instruction par la CE du programme français aujourd’hui à l’œuvre que la contrainte sur le MAAP s’est exprimée. Le déroulement des instructions prend la forme de négociations tripartites, qui se traduisent par des rencontres informelles entre les délégations des administrations nationales et les services concernés de la Direction générale de l’Agriculture et du Développement rural et de la Direction générale de l’Environnement. Au cours de cette procédure d’instruction, bon nombre de controverses surgissent et des ajustements sont apportés en conséquence aux programmes nationaux. Impliqué tant dans la formulation du programme national que dans la procédure de son instruction, un agent du MAAP confiait ainsi au cours d’un entretien :
« La contrôlabilité, c’est un souci important. La Commission est vigilante à ce que les mesures soient contrôlables, il y a des financements à la clé et il faut qu’on s’assure que les cahiers des charges soient mis en œuvre, il y a des exigences dans ce sens là. La Commission pousse dans ce sens. Au moment de la notification des mesures, dans le cadre des négociations qu’on a eues, la question qui se posait était : comment allez-vous contrôler telle et telle choses ? » (Entretien, chef du Bureau des sols et de l’eau, 2008).
19 Un second élément communautaire facilitateur du transfert qu’il convient de mentionner est la diffusion auprès des États membres de documents communautaires listant les « bonnes » et « mauvaises » pratiques, c’est-à-dire offrant des solutions opérationnelles aux problèmes professionnels rencontrés par les agents administratifs leur permettant ainsi de conformer plus aisément les dispositions nationales aux exigences réglementaires communautaires [13].
20 Le processus de transfert n’est cependant pas uniquement le résultat mécanique de l’action de l’exécutif européen. Il nous semble en effet indissociable du travail mené par une poignée d’économistes de l’INRA et des Écoles d’agronomie. Ces derniers évoluent sur un forum transnational, mettant en jeu un savoir global, la science économique. Impliqués depuis maintenant une petite décennie dans les travaux d’évaluation des programmes français de développement rural, ils ont largement fourni aux acteurs administratifs les outils intellectuels et techniques nécessaires à la réalisation des exercices d’évaluation. Certains d’entre eux ont participé à l’importation de l’expertise britannique, laquelle, on l’a mentionné, est particulièrement développée dans ce domaine. Ainsi, ce sont les travaux des experts britanniques [14] qui ont nourri les premiers rapports de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) consacrés aux « indicateurs agro-environnementaux », publiés dès le début des années 1990. Outre les séminaires et rapports de l’OCDE, des programmes et colloques de recherche ont facilité l’importation de cette expertise, par le partage de connaissances et d’expériences autour d’un même problème. Ainsi, en 2006, une rencontre entre la Société française des économistes ruraux et l’Agricultural economics society fut consacrée à ces questions. Elle réunit à Paris les experts britanniques et français les plus reconnus [15], ainsi que les agents du MAAP chargés des exercices d’évaluation. Un des objectifs affichés était de bénéficier de l’expérience acquise outre-Manche (Berriet-Solliec et Vollet, 2008), notamment en important certains modèles d’analyse éprouvés, tels que l’« evidence-based policy ». Plus récemment encore, un colloque organisé par la Société française de l’évaluation a réuni les mêmes acteurs les 3 et 4 juillet 2008 au Parlement européen. Bon nombre de travaux des experts économistes français trouvent depuis maintenant une petite décennie leur place dans les colonnes de Notes et études économiques, la revue du MAAP [16]. Ayant constaté les déficits informationnels (la dispersion des informations entre les différents segments de l’administration) et techniques (l’hétérogénéité des codages informatiques empêchant les traitements informatiques) à l’occasion de précédentes évaluations, d’autres économistes de l’INRA [17] ont joué sur un autre terrain, en développant un Observatoire du développement rural afin de doter les évaluateurs et le MAAP d’un système d’information et de suivi fin des politiques en question.
21 Ayant investi une « niche » de recherche qu’ils savaient en expansion, ces économistes occupent ainsi depuis quelques années une position d’experts, en contact direct avec les agents administratifs agricoles concernés ; ils ont ainsi joué un rôle clé dans le processus de transfert institutionnel en favorisant la diffusion d’un savoir global offrant aux fonctionnaires du MAAP les outils intellectuels et techniques nécessaires pour se conformer aux exigences réglementaires communautaires. En ce sens, si le processus d’européanisation fut enclenché par la pression institutionnelle exercée par la CE, le processus d’apprentissage intellectuel a été facilité par l’existence d’un forum transnational mettant en jeu une science globale. Les développements suivants sont consacrés aux effets de ce transfert institutionnel sur la formulation des programmes agro-environnementaux français.
Les effets de l’évaluation sur le débat national
22 Notre enquête donne à penser que les exercices d’évaluation sont à l’origine de processus de médiation ; progressivement le débat national tend à s’ordonner autour de la seule question de l’« efficacité environnementale » du programme agro-environnemental : c’est à l’aune du seul rapport coût/bénéfice de l’action publique que celui-ci se voit désormais interrogé. Les effets d’apprentissage intellectuel induit par le transfert institutionnel paraissent pour le moins importants, cette question de l’« efficacité » n’ayant pas ou peu présidé à la formulation des programmes précédents [18].
23 L’évaluation à mi-parcours du programme agro-environnemental (2000-2006) a semble-t-il joué un rôle déterminant dans ce processus. Elle a conduit les acteurs impliqués à porter sur ce programme un regard rétrospectif, en quelque sorte « médiatisé » par les cadres cognitifs et normatifs propres à la méthodologie de l’évaluation ; c’est en fonction de son schéma de pensée, de ses catégories sémantiques et de son principe – l’efficacité économique – qu’ils ont identifié ses points forts et faiblesses. Ainsi, faisant le constat des principales faiblesses du programme (son manque de ciblage, le peu de précisions des pratiques agricoles faisant l’objet de contrats), le rapport d’évaluation à mi-parcours du programme agro-environnemental (2000-2006) avançait que « le référentiel élaboré dans le cadre de l’évaluation a cherché à combler une partie de ces lacunes en définissant un cadre logique de la politique basé sur : (i) un zonage à l’échelle nationale des enjeux agro-environnementaux ; (ii) deux principes d’action des MAE, l’un orienté vers le soutien de pratiques favorables et l’autre vers le changement de pratiques » (AsCA, 2004, p. 4). De ce « référentiel » découlent quelques enseignements mis au jour par l’évaluation, synthétisés dans un article paru dans la revue Notes et études économiques (Barbut et Baschet, 2005) [19]. De manière centrale, c’est l’absence d’« efficacité » du programme qui y est sans cesse répétée. Celle-ci s’explique, selon les auteurs, par le manque de « ciblage » du programme, c’est-à-dire à la fois l’absence de « cibles » géographiques qui a conduit à une « dispersion observée des actions » (p. 49), et l’absence de « cibles » environnementales, qui, quant à elle, a conduit à une « articulation mal pensée » (p. 49) du programme avec la directive-cadre sur l’eau et les directives sur les oiseaux et les habitats naturels.
24 Les caractères participatif et déconcentré de cette évaluation, ainsi que l’expérience acquise par les acteurs impliqués dans la conduite de ce programme, ont semble-t-il favorisé la diffusion des enseignements révélés, c’est-à-dire le partage d’un ensemble de certitudes sur le réel. Plus de 100 acteurs étaient impliqués au niveau national ; outre les fonctionnaires des administrations de l’agriculture et de l’environnement (respectivement 43 et 10), on y comptait 18 chercheurs et 20 représentants associatifs et syndicaux (professionnels agricoles et environnementalistes). Au niveau régional, 21 groupes régionaux ont été mis sur pied, rassemblant au total plus de 200 acteurs (Vindel et Gergely, 2005). Dans le cadre de nos entretiens, des schémas communs d’appréhension de la réalité liés à ces travaux étaient systématiquement exprimés et ce, par l’ensemble des acteurs concernés dans la conduite du programme, à toutes les échelles d’action publique. Citons par exemple les propos d’un directeur adjoint d’une Direction régionale de l’agriculture et de la forêt (DRAF), déplorant le « saupoudrage des aides », conséquence de l’absence de « ciblage » du programme précédemment à l’œuvre :
« Notre analyse par rapport aux MAE anciennes générations… c’est qu’on avait saupoudré tout un tas d’aides, des mesures dont l’effet global était nul. Donc ça a coûté très cher, c’était intéressant pour les exploitants, mais par rapport à des enjeux prioritaires, ce n’était pas ciblé. » (Entretien, 2008).
26 Quels sont les effets concrets de ce processus de limitation du débat national ? L’introduction dans le programme actuel de mécanismes de marché favorisant des comportements concurrentiels n’est sans doute pas étranger à ce processus. Se référant à l’évaluation réalisée en 2003, un agent du MAAP chargé de la formulation de ce programme confiait en ce sens :
« On est allés rapidement vers des mesures ciblées sur les territoires avec un système par appel à projets, pour avoir une meilleure application, une approche collective groupée, avec une animation sur le terrain – il y avait ça aussi qui était mis en avant par l’évaluation, afin d’être plus efficace. » (Entretien, chef du Bureau des sols et de l’eau, 2008).
28 Ainsi, pour garantir « l’émergence effective d’un projet agro-environnemental » (MAAP, 2007), des Mesures agro-environnementales dites territorialisées sont aujourd’hui mises en opération via des appels d’offre formulés par les services déconcentrés du MAAP (DRAF), sur des enjeux environnementaux liés à la directive-cadre sur l’eau et aux directives sur les oiseaux et les habitats naturels. Les « porteurs de projet » – les chambres d’agriculture, les syndicats de bassins versants par exemple – définissent un « diagnostic » auquel répond un « cahier des charges » et, enfin, apprécient les coûts des actions et leurs résultats attendus. Élément clé de la théorie économique sur le fonctionnement des marchés, l’« information » nécessaire pour sélectionner les opérateurs jugés les meilleurs offrants (c’est-à-dire pour faire jouer la concurrence) est rendue disponible aux services du MAAP par les « diagnostics [20] ». Ainsi la généralisation des pratiques d’évaluation, par les processus d’apprentissage intellectuel collectif qu’elle induit, semble-t-elle jouer en faveur d’une « marketisation » de l’action publique, c’est-à-dire de l’institutionnalisation de mécanismes de marché dans la conduite des politiques (Bouckaert, 2003).
Les effets de l’évaluation sur les contours du programme national
29 D’autres conséquences sur la définition des contours du programme agro-environnemental aujourd’hui à l’œuvre peuvent être rapportées. Premièrement, la Stratégie communautaire pour le développement rural, en listant quelques « indicateurs d’impact » communautaires, a favorisé une européanisation des objectifs des programmes nationaux. Celui dont s’est doté la France poursuit les objectifs « eau » et « biodiversité » ; le programme précédent ne comportait pas explicitement de tels objectifs [21]. Cette européanisation des objectifs parait toutefois assez faible, compte tenu du degré de généralité des « indicateurs d’impact » communautaires.
30 Deuxièmement, à travers l’obligation d’évaluation continue des actions, le contrôle politique européen a favorisé le renforcement des capacités de pilotage stratégique de l’État central. En effet, qui dit obligation de reddition de compte, dit autorité responsable – donc renforcement de la tendance à la centralisation. Ainsi, en 1999, la gauche plurielle avait cherché à définir un programme décentralisé, laissant à l’échelon départemental une marge d’autonomie considérable dans la formulation des actions agro-environnementales (Rémy, 1999) ; face aux exigences exprimées par la CE lors de l’instruction du programme, le MAAP avait repris en main sa formulation finale (Brun, 2006). Fort de cette expérience, le programme actuel a été défini centralement. Mais, plus encore, il semble bien que le renforcement progressif des exigences en matière d’évaluation ait doté les agents du MAAP de ressources nouvelles pour piloter l’action publique depuis le centre. D’une part, ils disposent désormais de ressources intellectuelles et techniques supplémentaires pour concevoir le programme : le développement des évaluations ayant généré la production d’une expertise étatique, des capacités analytiques et un système d’information leur sont désormais disponibles. D’autre part, le fait de rendre des comptes aux autorités européennes et au public implique pour les agents du MAAP de doter le programme de mécanismes de surveillance et de contrôle de ses échelons déconcentrés et, par là même, de lutter contre la fragmentation de l’exécutif. Ainsi, ces agents ont-ils intégré dans la procédure de mise en œuvre des Mesures agro-environnementales territorialisées des mécanismes de surveillance et de contrôle, véritables décalques des mécanismes européens ; la note de service afférente liste des objectifs, des critères et indicateurs de réalisation que les « porteurs de projets » doivent sur le terrain satisfaire pour être sélectionnés par les DRAF lesquelles, en bout de course, devront faire « remonter » à l’échelon central les informations sur la réalisation du programme (MAAP, 2007).
31 Troisièmement, l’obligation d’évaluation implique de rendre les programmes évaluables, c’est-à-dire de prévoir dès leur formulation un système d’évaluation et de recueil des données. Pour être évaluable, chaque action doit être assortie d’un ou plusieurs objectifs, de critères et d’indicateurs. Une conséquence est de limiter le champ des possibles de l’action publique, pour des impératifs de gestion administrative. Lors de la formulation du programme actuel, les fonctionnaires de l’administration agricole avaient érigé la « contrôlabilité des actions » en « critère absolu [22] ». Cette contrainte nouvelle s’est notamment exprimée lors de la consultation qui a précédé la formulation du programme actuel. Des groupes de travail pilotés par le MAAP réunissaient les porte-parole des forums impliqués dans le débat, notamment les représentants professionnels agricoles et des associations environnementalistes. Les acteurs de la société civile essayaient d’y faire valoir auprès des pouvoirs publics la légitimité de leur propre recette agro-environnementale. L’impératif de « contrôlabilité » a fait surgir nombre de controverses. Ainsi, le codage administratif des approches dites « systémiques » – qui cherchent à réorienter les systèmes de production agricole, et non d’agir à leur marge – s’est révélé problématique. Paradigme dominant chez les agronomes de l’INRA, l’approche systémique cherche à étudier tous les phénomènes physiques, biologiques, humains et économiques dans leurs relations d’interdépendance [23]. Ces approches convergent avec des modèles d’exploitation développés depuis les années 1980 par des agriculteurs proches des gauches syndicales paysannes. Or, si le codage administratif des actions – la définition d’un objectif, de critères et d’indicateurs – visant une adaptation marginale des systèmes de production est aisée [24], il n’en va pas de même pour les approches qui engagent le système de production dans son ensemble ; de telles actions comme celle, controversée, promue par le Réseau agriculture durable poursuivent une pluralité d’objectifs, nécessitant autant de critères et d’indicateurs. Des controverses similaires ont concerné des actions spécifiquement tournées vers la préservation d’espèces et de milieux naturels, c’est-à-dire des actions ayant vocation à s’appliquer à des écosystèmes intrinsèquement hétérogènes. Face à l’impossibilité de les traduire et de les circonscrire dans les nomenclatures administratives, certaines furent rejetées par les agents du MAAP [25]. Dans la compétition pour l’institutionnalisation de recettes agro-environnementales, leur objectivation – à savoir la déconstruction permettant leur codage administratif – devient une ressource essentielle.
Conclusion
32 Cet article avait pour point de départ un constat, celui de la multiplication des mécanismes de contrôle et de responsabilité politiques, par lesquels la Commission européenne (CE) cherche à vérifier la conformité des actions des États membres au regard des normes communautaires. La question posée était celle de savoir en quoi et comment le contrôle des gouvernants nationaux favorisait un processus d’européanisation des politiques publiques nationales, en se penchant précisément sur un mécanisme de contrôle, l’évaluation des politiques publiques. Les Mesures agro-environnementales (MAE) constituaient pour cela un exemple intéressant, les exigences d’évaluation associées ayant été renforcées, élargies et précisées par les autorités européennes au cours de leur développement. Cet exemple permettait donc à la fois d’étudier les processus sociaux et politiques de ce transfert institutionnel et d’apprécier ses effets sur les programmes agro-environnementaux français. Fondée sur les prédictions de l’analyse cognitive des politiques publiques, l’hypothèse qui a guidé cet article était que ce transfert était à l’origine d’un processus de médiation, impliquant un apprentissage intellectuel collectif et une réorganisation des rapports de pouvoirs. Au terme de nos développements, quatre éléments méritent d’être soulignés ; le premier concerne les limites du processus d’européanisation étudié, le second la nature de ce processus d’européanisation, le troisième les transformations de l’action publique à l’œuvre, tandis que le quatrième considère la légitimité démocratique des évaluations étudiées, ainsi que leurs implications sur le débat public.
33 Dans cet article, si nous avons fait le choix de nous focaliser sur les changements induits par le processus de transfert institutionnel observé, il convient cependant de souligner des phénomènes de résistance nationale. Ceux-ci renvoient principalement au corporatisme sectoriel, qui caractérise encore largement les modalités de formulation des politiques agricoles en France [26]. La « prime à l’herbe » en est une illustration nette : cette action fut instituée par l’État français au titre des MAE après la réforme de la PAC de 1992, afin de compenser les écarts de soutiens alloués aux éleveurs et céréaliers. La reconduction de cette action dans le programme agro-environnemental actuel fut le fruit d’une négociation entre le Cabinet du ministre et le syndicalisme majoritaire. Sans doute le principe de l’« efficacité environnementale » n’a pas présidé à la reconduction de cette action ; dans le même temps, les visibilités nouvelles de l’action publique qu’offrent les évaluations mettent en débat de tels arrangements, justement au nom de l’efficacité environnementale.
34 Second élément : s’inscrivant à la suite de travaux récents sur l’européanisation (Pasquier et Weisbein, 2004 ; Smith, 2004 ; Palier et al., 2007) et la convergence des politiques publiques (Hassenteufel, 2005), notre enquête fut centrée sur les acteurs du transfert, resitués dans la matrice sociale dans laquelle ils évoluent. Cette perspective sociologique a permis de relativiser le rôle joué par les autorités européennes dans ce processus ; si la pression institutionnelle de la CE sur l’administration agricole française a permis d’enclencher le transfert, nous avons souligné le rôle joué par quelques économistes agricoles français. Évoluant sur un forum transnational mettant en jeu une science globale, ils ont participé à l’importation d’une expertise internationale, par exemple en établissant des partenariats avec des chercheurs britanniques ayant développé des travaux pionniers en matière d’évaluation agro-environnementale. Ce faisant, ces économistes agricoles ont largement facilité l’appropriation administrative de l’instrument, en mettant à disposition de l’administration agricole française les outils intellectuels et techniques nécessaires pour se conformer aux exigences communautaires. Cette perspective de recherche a ainsi permis de nous départir du biais procédural qui souvent caractérise les études européennes.
35 Troisième élément : le transfert institutionnel étudié a induit des changements significatifs de l’action publique, l’introduction et la généralisation des évaluations ayant joué en faveur de l’institutionnalisation de mécanismes de marché dans la conduite des programmes agro-environnementaux français. Prétendant mesurer l’« utilité collective » de l’action publique, les évaluations mettent en rapport ses coûts et bénéfices. En conséquence, un processus d’apprentissage collectif est à l’œuvre, jouant comme un phénomène de limitation du débat national sur les rapports entre agriculture et environnement, progressivement ordonné autour de la question de l’efficacité environnementale des programmes nationaux. Outil de pilotage de l’action publique, les évaluations jouent alors en faveur du renforcement des capacités de pilotage stratégique de l’administration centrale agricole. La recherche coûte que coûte d’efficacité a conduit ses agents à recourir à des mécanismes de marché (appels d’offres), afin de mettre les acteurs impliqués dans la conduite de l’action publique en concurrence et optimiser ainsi les dépenses publiques. Quoique pointant peut-être plus fortement les ressorts cognitif et normatif de ces changements, nos résultats croisent des travaux plus anciens de Patrick Le Galès et d’Alan Scott (2008) sur les secteurs de la santé et de la gestion publique locale en Grande-Bretagne, d’Isabelle Bruno (2007) sur le benchmarking, ou bien de Patrick Hassenteufel et de ses collègues (2000) sur la libéralisation des systèmes de protection maladie européens ; ces travaux convergent pour souligner une tendance à la « concurrence encadrée » (Hassenteufel et al., 2000) dans la production de services (de santé, environnementaux, etc.), mise en opération par les pouvoirs publics via des instruments de marché et de mesure des performances.
36 Enfin, le quatrième élément que nous souhaitons souligner considère la légitimité démocratique des évaluations étudiées, ainsi que leurs implications sur le débat public. S’intéressant aux transformations de la légitimité démocratique liées au contrôle des gouvernants opéré par les pouvoirs exécutifs, les travaux de Pierre Rosanvallon (2008) nous offrent pour cela une grille de lecture. Le caractère représentatif des instances d’évaluation d’abord : nous avons souligné le caractère participatif des évaluations agro-environnementales, celles-ci ayant impliqué une certaine variété d’acteurs (administrations de l’agriculture et de l’environnement, représentants agricoles et environnementalistes, chercheurs). Les évaluations ont ainsi pu donner une certaine publicité à des processus politiques jusqu’alors marqués par un échange politique corporatiste, par définition exclusif des autres composantes de la société civile. Toutefois, le Parlement – instance de formation de la volonté démocratique – est mis à l’écart ; de plus, la faiblesse de la société civile française dans le domaine de l’environnement n’a permis qu’une faible appropriation sociale des résultats des évaluations. Les épreuves d’établissement des instances d’évaluation ensuite : la représentativité des acteurs impliqués leur confère une légitimité démocratique, les uns poursuivant l’intérêt général (les fonctionnaires), les autres représentant la société civile. Exercice technique, le déroulé des évaluations implique cependant très majoritairement des fonctionnaires de l’administration centrale agricole, plus marginalement de l’administration de l’environnement, ainsi que des économistes agricoles mobilisés à titre d’experts ; généralement issus des écoles nationales d’agronomie, ces acteurs présentent un même bagage social, donc une certaine homogénéité cognitive. De plus, l’implication des représentants de la société civile arrive en bout de course, quand le choix des objectifs, critères et indicateurs, est fait, lors des restitutions publiques. Enfin, le type de généralité mis en jeu par l’instance d’évaluation : échelle de valeur fondée sur la pensée économique, l’évaluation des politiques publiques apprécie leur « utilité collective » (le « bien-être collectif ») ; le but est de faire le meilleur usage de l’argent public, pour produire un maximum de biens publics. Mais cette généralité d’efficacité bute sur une limitation bien connue, la nécessité technique de rendre évaluable l’action publique ; la crainte est que cette exigence intrinsèque ne réduise le politique à la gestion (par ex. Gibert, 2003), enfermant le débat public dans des considérations techniques, excluant la question des valeurs. Notre enquête a souligné cette difficulté à satisfaire les exigences des évaluations, évoquant l’exemple des approches systémiques, peinant à faire valoir leur projet de refonte complète des systèmes d’exploitation agricoles : compte tenu de leur visée, elles ne poursuivent pas un objectif, que permettraient respectivement de contrôler et d’apprécier un critère et un indicateur, mais une pluralité d’objectifs, donc autant de critères et d’indicateurs, impliquant un véritable casse-tête administratif. La politique agricole de la gauche plurielle, qui entendait réorienter fondamentalement l’agriculture française dans une perspective de développement durable, a essuyé cette même critique (entre autres).
37 Ces derniers éléments ont proposé de confronter l’analyse des politiques publiques avec des éléments de théorie politique. Alors que la multiplication des mécanismes de contrôle des autorités européennes semble jouer en faveur d’une démocratisation de l’UE (Costa et al., 2003 ; Magnette, 2003), des doutes peuvent être émis à cet égard quant aux effets de ceux qui visent le contrôle des gouvernants nationaux. Compte tenu du champ restreint de notre enquête, nous n’avons pu donner qu’un aperçu limité de certaines implications de l’intégration européenne sur le fonctionnement démocratique en France. Sans doute cette perspective de recherche mériterait-elle d’être approfondie significativement.
Bibliographie
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Notes
-
[1]
Cet article repose sur des matériaux empiriques recueillis dans le cadre d’une thèse consacrée au processus d’intégration de l’environnement dans la PAC, dans une perspective comparée (France, Hongrie, Royaume-Uni). Nos entretiens ont concerné l’ensemble des acteurs impliqués dans ce processus (administrations communautaires et nationales, société civile : représentants agricoles, environnementalistes, chercheurs, etc.). Notre insertion scientifique à l’INRA – instance de production de l’expertise française en matière d’agriculture – constitue un terrain d’observation supplémentaire ; nous remercions à ce titre Gilles Allaire qui nous a permis de participer aux réunions du Comité de synthèse de l’évaluation des MAE piloté par le ministère de l’Agriculture. Nous remercions également Xavier Cinçon, Andy Smith, Bruno Théret et plus particulièrement Ève Fouilleux pour leurs remarques et commentaires sur des versions précédentes de ce texte. Nous sommes également redevables à l’égard des deux évaluateurs anonymes de Politique européenne pour leurs critiques constructives.
-
[2]
CEE/2078/1992.
-
[3]
La Royal Society for the Protection of Birds (RSPB), particulièrement active en la matière, compte plus d’un million de membres en Angleterre. Depuis le début des années 1990, elle offre au bureau européen de Birdlife International ses ressources matérielles et analytiques.
-
[4]
Par exemple, CE/144/2006.
-
[5]
CE/144/2006. Ce texte a été précédé de documents d’orientation dans lesquels la CE définissait les principes et règles devant guider les évaluations nationales (CE, 2002, 2004).
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[6]
Il s’agit de la « croissance », l’« emploi », la « productivité », la « biodiversité », les « zones à haute valeur naturelle », l’« eau » et le « changement climatique ».
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[7]
Entretien, CE, chef du bureau « Environnement, ressources génétiques et OGM », 2008.
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[8]
Ces controverses ont par exemple reçu un écho dans la prestigieuse revue Nature (Whitfield, 2001, 2006).
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[9]
Entretiens : CE, chef du bureau « Environnement, ressources génétiques et OGM », 2008 ; RSPB, ancienne chef de l’Équipe des politiques agricoles, coordinatrice du groupe sur la PAC de Birdlife International, 2008.
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[10]
À savoir la rationalité instrumentale et l’individualisme méthodologique.
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[11]
Ainsi, évoquant au cours d’un entretien les négociations interministérielles entre le MAAP et Bercy, un fonctionnaire du MAAP avançait que « Bercy a une position nuancée, puisque la PAC est la première politique dont bénéficie la France, en termes budgétaires. On leur dit : taisez vous, mieux vaut dépenser l’argent là que dans la politique de cohésion, hein ». (Chef du Bureau de l’Union européenne, Direction générale des politiques économique et internationale, MAAP 2008).
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[12]
Il y a en effet un lien ténu entre l’impératif de contrôle des dépenses (gestion financière) et celui de l’évaluation : le second ne peut être satisfait que par la réalisation du premier, qui permet l’enregistrement des informations nécessaires aux fins de l’évaluation.
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[13]
« Il y a des communications de la Commission qui listent des engagements types en disant : ça c’est contrôlable, ça non ; en disant : contrôler, ça suppose telle ou telle chose » (Entretien, MAAP, chef du Bureau des sols et de l’eau, 2008).
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[14]
Nous pensons notamment à David Baldock, Janet Dwyer, Ian Hodge, Peter Midmore et Martin Whitby.
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[15]
Du côté anglais : Janet Dwyer, Ian Hodge, Peter Midmore ; du côté français : Francis Aubert, Marielle-Berriet-Solliec, Marc Guérin.
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[16]
Considérant que « pour progresser, l’évaluation doit accumuler les expériences, les diffuser, les normaliser », certains de ces articles sur la base de synthèses de travaux existants entendent explicitement « faire progresser la pratique et la culture de l’évaluation » (Guérin et al., 2006, p. 35).
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[17]
Nous pensons à Gilles Allaire.
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[18]
Il est significatif de constater que cette question était largement absente du numéro spécial d’Économie rurale que la Société française des économistes ruraux a consacré au premier programme agro-environnemental français en 1998, Cf. Économie rurale, « Les mesures agro-environnementales. Bilan et perspectives », n° 249, février-mars 1998. Il en est de même des débats sur l’élaboration des Contrats territoriaux d’exploitations, qui conjuguaient les MAE à d’autres instruments de développement rural, pour la période suivante (Brun, 2006).
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[19]
Laurent Barbut est chef du bureau de consultants qui a réalisé l’évaluation, tandis que Jean-François Baschet est chargé de mission à la Direction générale des politiques économique et internationale, Sous-direction de l’évaluation, de la prospective, des études et de l’orientation (MAAP).
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[20]
La note de service afférente prévoit que les Commissions régionales agro-environnementales (CRAE), instance de la Commission régionale de l’économie agricole et du monde rural, placée sous l’autorité du Préfet de région, émettent un avis sur chaque projet. Une CRAE se compose de représentants des administrations régionales et départementales de l’agriculture et de l’environnement, ainsi que des porte-parole professionnels agricoles et de l’environnement. Les services de la DRAF assurent l’instruction des projets. Sans aller dans les détails de la procédure, on peut noter que la note de service liste plusieurs critères d’instruction « afin de concentrer l’action sur des territoires où il existe une volonté collective et une réelle dynamique de souscription » : « (i) le territoire d’application devra être inclus dans une zone d’action prioritaire régionale ; (ii) les enjeux et objectifs identifiés devront être cohérents avec les enjeux retenus comme prioritaires pour la zone d’action concernée ; (iii) la ou les mesures proposées sur chaque territoire devront répondre aux objectifs identifiés sur le territoire de manière appropriée par rapport aux pratiques agricoles habituelles sur le territoire ; (iv) la ou les mesures proposées devront permettre d’attendre une dynamique de souscription suffisante pour atteindre l’objectif environnemental visé ; (v) le coût global de la mesure devra être précisé, au regard des surfaces attendues. » (MAAP, 2007, p. 12).
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[21]
Il visait une « inflexion importante de la lutte contre les effets négatifs de la politique agricole sur l’environnement ». (cité par AsCA, 2004, p. 4).
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[22]
Entretiens, LPO, 2009 ; Réseau agriculture durable, 2008 ; Chef du Bureau des sols et de l’eau, MAAP, 2008.
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[23]
Il s’agit de rechercher une cohérence interne au système d’exploitation, en favorisant des complémentarités fonctionnelles entre les volets agronomique et zootechnique de l’exploitation (Béranger, 2005). Au contraire, dans un système intensif, l’exploitant intensifiera les cultures destinées à son élevage (en substituant par exemple du maïs aux pâturages), afin d’implanter sur les surfaces ainsi libérées des « cultures de vente ».
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[24]
Par exemple, baisser son niveau de fertilisation sur une parcelle dans un objectif de préservation/restauration de la qualité de l’eau.
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[25]
À titre d’exemple, la Ligue pour la protection des oiseaux a en vain cherché à promouvoir une action de gestion des zones humides, ainsi qu’une action visant les zones céréalières dédiée à la sauvegarde de l’outarde canepetière (Entretien, LPO, 2009). Un agent du MAAP confiait en ce sens : « Il y avait beaucoup de choses que les organisations environnementalistes souhaitaient ajouter dans les cahiers des charges et on disait : ça, on ne sait pas faire, on n’a pas les moyens de le contrôler. » (Entretien, chef du Bureau des sols et de l’eau, 2008).
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[26]
Pour une analyse récente des stratégies professionnelles de résistance aux politiques de l’environnement dans le cas de la production porcine bretonne, se reporter aux travaux de Magalie Bourblanc et d’Hélène Brives (2009).