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Article de revue

Gouvergnance et apprentissage social au niveau local : la mise en place d'un programme d'initiative communautaire à Paris

Pages 197 à 220

Notes

  • [1]
    Si, à l’échelle nationale, les immigrants ne représentent que 7,4 % de la population totale, ils représentent 18,2% de la population à Paris (France, INSEE, 1999). Des villes comme Marseille avec 11,4 % ou Lyon avec 10,2 % comptent également des taux de présence d’immigrants supérieurs à la moyenne nationale, mais inférieurs à celui de Paris (France, INSEE, 1999).
  • [2]
    En considérant que la gouvernance promeut une plus grande participation des citoyens à l’action publique conduisant à leur empowerment.
  • [3]
    En 1997, le traité d’Amsterdam enclenche la dynamique du passage de politiques d’immigration nationales vers une politique commune en prévoyant de transférer les questions d’immigration, d’asile, d’admission et de résidence des étrangers non communautaires du troisième pilier au premier, processus illustrant un passage de l’intergouvernementalité vers la communautarisation des politiques (Wihtol de Wenden, 2004,17).
  • [4]
    Equal est doté d’une enveloppe de 2,847 milliards d’euros, dont 320 millions ont été attribués à la France pour la période 2000-2006.
  • [5]
    Les CFA sont considérés comme des organismes parapublics dépendant des chambres des métiers, établissements publics administratifs, tandis que les missions locales ont depuis 1982 un statut associatif loi 1901, sont rattachées à l’État et ont une possibilité de contractualisation avec les régions.
  • [6]
    Directive n°2000/43/CE du 29 juin 2000.
  • [7]
    Le modèle républicain d’intégration des immigrants a évolué, mais le terme d’intégration s’est imposé dans les discours politiques (Weil, 2004). Après une conception assimilationniste héritée de la colonisation, la thématique de l’insertion et du droit à la différence a été privilégiée à la fin des années 1970 et au début des années 1980 (Lapeyronnie, 1992,171). Depuis que le discours sur le droit à la différence a été repris par le Front National sous le thème du maintien des différences des Français par rapport aux étrangers, c’est la conception intégrationniste qui a prévalu.
  • [8]
    Instance de réflexion et de propositions qui, à la demande du Premier ministre ou du comité interministériel, donne son avis sur les questions relatives à l’intégration des résidents étrangers ou d’origine étrangère.
  • [9]
    Avec la mise en place du GED (Groupe d’Études sur les discriminations), des CODAC (Commissions départementales d’accès à la citoyenneté) et l’adoption à l’unanimité d’une « déclaration de Grenelle » en 1999, puis avec la création du GELD (Groupe d’Étude et de Lutte Contre les Discriminations) en 2000 et de la HALDE (Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Égalité) en 2005 (la HALDE traitant notamment des cas de discriminations directes et indirectes).
  • [10]
    L’auteur se distancie cependant de ce lien de causalité.
  • [11]
    Des entrevues ont été menées avec les principaux acteurs locaux français (représentants de la Ville de Paris et des associations franco-chinoises).
  • [12]
    Entretien Chef Mission Intégration, 7 janvier 2005.
  • [13]
    Ibid.
  • [14]
    Entretien Association Pierre Ducerf, 27 juillet 2005 et entretien Président d'Assistance Scolaire, Linguistique et Culturelle, 1er août 2005.
  • [15]
    Entretien Association Pierre Ducerf, 27 juillet 2005.
  • [16]
    Entretien ASLC, 1er août 2005.
  • [17]
    Entretien Mission Intégration, 7 janvier 2005.
  • [18]
    Ibid.
  • [19]
    Entretien Association Pierre Ducerf, 27 juillet 2005.
  • [20]
    L’ASLC participe à un nouveau PIC-Equal sur les migrations asiatiques et la traite des êtres humains.
  • [21]
    Entretien Association Pierre Ducerf, 27 juillet 2005.
  • [22]
    Ibid.
  • [23]
    Ibid.
  • [24]
    Entretien ASLC, 1er août 2005.
  • [25]
    Entretien Association Pierre Ducerf, 27 juillet 2005.
  • [26]
    Entretien ASLC, 1er août 2005.
  • [27]
    Ibid.
  • [28]
    Entretien Mission Intégration, 7 janvier 2005.
  • [29]
    Entretien Association Pierre Ducerf, 27 juillet 2005.
  • [30]
    Le bilan comparatif propose une comparaison des immigrants Chinois de Prato et de Paris à partir de différents thèmes, tels que « l’ancienneté de la migration; la provenance; les profils; l’importance de cette migration; les modes de vue et l’intégration dans le pays d’accueil; la maîtrise de la langue; le mode des enfants; la situation des jeunes à l’école; la médiation et les médiateurs; les secteurs professionnels investis ». Ensuite, les activités mises en place par le PIC-Equal « Chinois d’Europe et Intégration » et celles de leur partenaire italien dans la mise en place du PIC-Equal « Net-Met » sont comparés sur les plans du « travail de recherche; des actions d’information sur la société d’accueil en direction d’intermédiaires comme des bénéficiaires ciblés directs; des actions d’information/de formation en direction d’intermédiaires, de professionnels ou associations en lien avec la communauté chinoise; des actions de formation et de mise à l’emploi de bénéficiaires directs » (Association Pierre Ducerf, 2005).
  • [31]
    Entretien ASLC, 1er août 2005.
  • [32]
    Entretien Association Pierre Ducerf, 27 juillet 2005.
  • [33]
    Le gouvernement italien avait fait la promesse d’une régularisation massive des clandestins au milieu des années 1990 (Bozonnet, 2005)
  • [34]
    La déclaration du maire adjoint de Prato, Andrea Frattani, en témoigne : « Grâce à leur rapidité et à leur capacité d’adaptation aux demandes d’un secteur de la mode très évolutif, ils font revenir à Prato des acheteurs européens qui allaient en Grèce ou en Turquie » (Bozonnet, 2005).
  • [35]
    Leurs conditions de travail ont été décrites comme relevant des formes d’esclavage moderne.
  • [36]
    Si l’entrée sur le territoire se fait principalement de manière légale grâce à un visa touriste (Migrations Études, 2002,5), ces migrants deviennent clandestins à son expiration. Ils sont contraints de payer une dette de passage très élevée à une « tête de serpent », chef d’un réseau de migrations clandestines. Il est estimé que, en travaillant dans la confection, cinq à huit ans de travail sont nécessaires pour rembourser la dette (Migrations Études, 2002,6).
  • [37]
    Entretien ASLC, 1er août 2005.
  • [38]
    Entretien Association Pierre Ducerf, 27 juillet 2005.
  • [39]
    Ibid.
  • [40]
    Entretien Mission Intégration, 7 janvier 2005.
  • [41]
    Entretien Association Pierre Ducerf, 27 juillet 2005 et entretien ASLC, 1er août 2005.
  • [42]
    Voir Poisson, 2005 et Moreno, 2005.
  • [43]
    Entretien ASLC, 1er août 2005.
  • [44]
    Entretien Association Pierre Ducerf, 27 juillet 2005.
  • [45]
    Ce souci de protection rejoint la logique prônée par la commission Stasi quant à une emprise possiblement contraignante des familles sur les jeunes filles de confession musulmane.
  • [46]
    Entretien Mission Intégration, 7 janvier 2005.
  • [47]
    Ibid.
  • [48]
    Ibid.
  • [49]
    Entretien Adjointe au maire de Paris chargée de l'intégration et des étrangers non communautaires, 29 novembre 2004.
  • [50]
    Entretien Mission Intégration, 7 janvier 2005.
  • [51]
    Si ce n’est pour condamner et déplorer l’image négative dont sont victimes les nouveaux immigrants chinois.
  • [52]
    Entretien ASLC, 1er août 2005.
English version

Introduction

1Liée aux politiques d’immigration et au contrôle des frontières, l’intégration des immigrants est au cœur de la souveraineté et de l’identité nationales. A cet égard, elle relève traditionnellement du monopole étatique. Cependant ce monopole statonational est de plus en plus concurrencé par des acteurs supranationaux et subnationaux. Au niveau supranational, les questions d’immigration et d’intégration ont pris une place croissante au sein de l’Union européenne, avec l’accord de Schengen (1985), le traité de Maastricht (1992), la communautarisation des politiques d’immigration (Amsterdam, 1997), l’appel à une approche commune en matière d’intégration (depuis Tampere, 1999) ou encore avec l’adoption de la directive relative à la mise en œuvre du principe d’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique en juin 2000.

2Au niveau subnational, les villes apparaissent comme des acteurs qui s’impliquent dans le domaine de l’intégration des immigrants. Compte tenu de l’installation urbaine des immigrants, ceux-ci vivent majoritairement dans une grande ville. En France, de nombreux immigrants résident à Paris [1] et en région parisienne. Avec la concentration géographique des immigrants, les villes sont les espaces où se joue concrètement et quotidiennement leur intégration. Mais les villes sont aussi conduites à jouer un rôle plus spécifiquement politique, en menant leurs propres politiques locales d’intégration. Elles sont d’ailleurs invitées à le faire par l’Union européenne qui a développé de nombreux programmes d’initiatives communautaires (PIC) comme Equal, qui s’adressent en grande partie aux collectivités locales. Les PIC-Equal prévoient une diversification des acteurs entre les niveaux de gouvernement (aux échelles européennes, nationales et locales) mais aussi au niveau de la société civile et du secteur privé par le biais de pratiques partenariales. Ils proposent de lutter contre les discriminations et les inégalités sur le marché du travail basées, entre autres, sur l’origine ethnique.

Observer les effets de la supra- et de la subnationalisation des politiques sur le modèle d’intégration républicain français

3Si la supranationalisation ou la subnationalisation des politiques d’intégration des immigrants ont fait l’objet depuis longtemps de plusieurs recherches (Soysal, 1994 ; Bauböck, 1994 ; Lapeyronnie, 1992 ; Gaxie et al., 1998 ; Berthet, 1999) ce n’est que très récemment que les liens entre supranationalisation et subnationalisation ont été explorés (Rouault, 2000; Pasquier et Pinson, 2004 ; Arnaud et Pinson, 2005 ; Halpern, 2005).

4Nous nous inscrivons dans ce courant de recherche en étudiant la mise en place de politiques publiques (« policy implementation ») en matière d’intégration des immigrants. Nous traitons d’une étude de cas en France : le PIC-Equal « Chinois d’Europe et Intégration » (2002-2005) mené par la Ville de Paris. Ce programme a abouti à la mise en place de projets favorisant l’intégration des immigrants chinois à Paris pour deux groupes cibles : les jeunes et les femmes. La mise en place de ce PIC-Equal constitue alors un terrain inédit pour étudier les conséquences de la supra- et la subnationalisation des politiques sur les modèles d’intégration des immigrants. Ainsi, la diversification des acteurs et la diversification des pratiques institutionnelles, induites par la mise en place de programmes d’initiatives communautaires au niveau local, changent-elles le modèle républicain d’intégration des immigrants en France ?

Une grille de lecture de la gouvernance en termes d’apprentissage social

5Pour y répondre, nous avons opté pour une grille de lecture de la gouvernance en termes d’apprentissage social. Ainsi, plutôt que d’utiliser la gouvernance comme modèle d’analyse des politiques publiques, nous avons choisi d’utiliser la gouvernance, et en particulier la gouvernance urbaine, comme « objet empirique à étudier » (notre traduction, Pierre, 2005,453).

6Si, depuis l’émergence du néo-institutionnalisme en science politique (Stoker, 2000,91-93) les approches en termes de gouvernance urbaine se dont développées, celles-ci ne sont pas unifiées. Cette diversité a fait dire à plusieurs que la gouvernance urbaine constitue une sorte « d’auberge espagnole » (Jouve, 2003,21), compte tenu du caractère flou et englobant du concept. Certains ont insisté sur le fait que ces approches diluent le politique (Hassenteufel et Smith, 2002,62) et gomment la distribution inégale des ressources du pouvoir (Duran, 2001). D’autres ont montré que la gouvernance urbaine appréhende en fait des situations classiques de négociation et de prises de décisions avec des termes nouveaux (Gaudin, 1998,57). Plusieurs se sont inquiétés du peu de distance critique entre l’idéologie de la gouvernance et son utilisation analytique, que celle-ci soit d’inspiration néolibérale ou « citoyenne [2] » (Saint-Martin, 2004 ; Pierre, 2005,453). De même, au sein des débats sur le déclin de l’État bureaucratique weberien, sur l’apparition de l’État creux (« hollow state ») (Peters, 1993 ; Rhodes, 1994) ou sur la banalisation de l’État (Le Galès, 1995), plusieurs auteurs ont remis en question l’« autonomisation du local » (Jouve et Lefebvre, 1999,852 ; Bherer et al. 2005,4).

7Compte tenu des difficultés liées à l’utilisation de la gouvernance urbaine comme modèle analytique, nous comptons apporter un éclairage nouveau par le biais de l’apprentissage social. La notion d’apprentissage social (« social learning ») a été utilisée par Peter A. Hall. Selon lui, un processus d’apprentissage se produit lorsque les individus « assimilent des nouvelles informations, incluant celle basées sur les expériences passées, et les appliquent à leurs actions subséquentes » (Hall, 1993,278).

8Plutôt que de nous ancrer dans cette perspective explicative cognitive qui cherche en amont à identifier les causes du changement, nous avons choisi de nous intéresser à l’aval de ce processus en étudiant non pas les concepteurs des PIC-Equal mais bien leurs destinataires, soit les acteurs locaux. En reprenant les trois composantes du processus d’apprentissage social identifiées par Bennett et Howlett (1992), à savoir, « [q]ui apprend ? Qu’est-ce qui est appris ? Et pour quels effets ? » (notre traduction, Bennett et Howlett, 1992,278), nous nous demandons quels sont les acteurs qui apprennent les principes et les pratiques développés dans les programmes d’initiatives communautaires et avec quels effets sur le modèle d’intégration républicain. Pour cela, nous testons empiriquement la prétendue diffusion des principes et des pratiques véhiculés au nom de la gouvernance par l’Union européenne, leur apprentissage par les acteurs locaux et les conséquences de cet apprentissage - ou non - sur le modèle national d’intégration en France, sans poser de manière ex ante la thèse du changement inexorable vers une horizontalité des relations entre les acteurs effaçant toute hiérarchie dans la conduite des politiques publiques, et sans souscrire à l’effacement du niveau national.

9En présentant les discours relevant de la gouvernance européenne et de la gouvernance urbaine nous montrons leur rencontre mais aussi leur auto-renforcement. Nous décrivons les pratiques et les principes des PIC-Equal pour les mettre en perspective avec ceux du modèle républicain d’intégration. Nous analysons enfin empiriquement le déroulement du PIC-Equal pour pouvoir tester le processus de diffusion des normes de la gouvernance et l’apprentissage social qui en découle pour les acteurs locaux.

10Quand les discours sur la gouvernance européenne et la gouvernance urbaine se rejoignent et « s’auto-renforcent » Si, depuis la fin des années 1990, la Commission fait la promotion de la gouvernance européenne, elle en donne une définition avec la publication du « Livre Blanc sur la gouvernance européenne » en 2001. Le Livre Blanc sur la gouvernance européenne (2001) met l’accent sur la participation de nombreux acteurs, dont les différents niveaux de gouvernement mais aussi la société civile par le biais des partenariats et de l’empowerment. Il suggère le fait que l’UE est passée d’une voie diplomatique à une voie plus démocratique (Commission européenne, 2001,35), justifiant des liens plus directs avec les collectivités locales et la société civile (Jenson et Saint-Martin, 2003,3). En effet, le Livre Blanc indique que les institutions européennes doivent « établir un dialogue plus systématique » avec les collectivités régionales et locales, et ce, « à un stade précoce de l'élaboration des politiques » (Commission européenne, 2001,4) pour mettre en place « des partenariats allant au-delà des normes minimales dans certains domaines » et que l’Union s’engage « à consulter davantage, en contrepartie de meilleures garanties d'ouverture et de représentativité des organisations consultées » (Commission européenne, 2001,5).

11Les discours de la gouvernance européenne rejoignent ceux de la gouvernance urbaine, car les institutions locales font elles aussi la promotion de la démocratie locale (Mairie de Paris, 2006) et encouragent une plus grande participation du public aux décisions municipales. Mais plus que la simple convergence des discours, un processus d’« auto-renforcement » des discours entre institutions européennes et des institutions urbaines se produit, notamment dans des domaines où ces institutions n’ont pas de compétences formelles comme dans le cas de l’intégration des immigrants. En effet, si l’Union européenne a des compétences définies en matière d’immigration [3], en ce qui concerne l’intégration, les politiques de l’Union reposent plus sur des recommandations et des programmes incitatifs de type Equal. L’Union européenne développe un système de régulation soft ne pouvant le faire selon les attributs d’un État traditionnel (Saint-Martin, 2004) et pour éviter des coûts politiques trop importants devant l’affirmation de la souveraineté des États (Caviedes, 2004,290).

12Pour les collectivités locales françaises, les programmes européens constituent une opportunité afin de s’engager dans ce domaine de compétences, compte tenu du fait qu’elles n’ont pas d’attributions formelles en matière d’intégration des immigrants. Comme l’analyse Berthet, « [l]’État, du moins formellement, ne s’est à aucun moment départi de ses prérogatives, tout en se défaussant, d’une certaine manière, sur ces problèmes sensibles » (1999,306).

13Dans ce contexte, les collectivités locales doivent avoir des institutions préalables pour mener des politiques locales d’intégration. La Ville de Paris, en ayant été longtemps contrôlée par l’État central et en ayant relégué les questions d’immigration aux communes alentours (Mahning, 2004,23), n’a pas de tradition de politiques à destination des immigrants. Cependant, après les élections de 2001, la nouvelle équipe municipale a affiché sa volonté de s’impliquer plus directement dans ce domaine, en consacrant un poste d’adjoint au Maire en charge de l’intégration et des étrangers non communautaires et en créant une unité administrative, la Mission Intégration. C’est par son intermédiaire que la Mairie de Paris a posé sa candidature pour mener ce PIC-Equal.

Les PIC-Equal : un instrument de la gouvernance européenne du point de vue des pratiques et des principes

14Les PIC-Equal ont été lancés par la Commission depuis 2000. Ils illustrent bien le lien entre gouvernance européenne et gouvernance urbaine, parce qu’ils invitent particulièrement les collectivités locales et urbaines à y participer, selon les critères fixés par l’UE et selon les objectifs affichés en terme de politiques sociales européennes.

15Les PIC-Equal sont financés à 50% par le Fonds Social Européen [4]. Ils reprennent les caractéristiques de la Méthode Ouverte de Coordination, ont un caractère pluriannuel, une conduite locale de type partenariale, comportent un volet transnational de coopération avec des États membres de l’Union et suivent une approche intégrée et évolutive.

16Les partenariats sont considérés comme l’« entité de base » des PIC-Equal (Commission Européenne, 2000). Selon la logique de la « bonne » gouvernance européenne, les politiques partenariales sont plus efficaces parce que les acteurs s’accordent sur les problèmes et les solutions à mettre en œuvre (Peters, 2000,41). Les partenariats élargis aux organismes de la société civile, supposés avoir une meilleure connaissance des « clients » et suffisamment de flexibilité pour répondre à leurs besoins, sont censés améliorer la qualité des services rendus à la population (Jenson et Phillips, 1996,127). Les acteurs locaux adhérent aussi à cette vision positive des partenariats « à cause d’un climat favorable à la délégation ou à la coopération avec des groupes issus de la société civile entretenu par les institutions européennes, la privatisation des services publics, et généralement l’importance croissante du discours sur le bien fondé du partenariat et de la délégation en politique » (Garbaye, 2005,179).

17Les PIC-Equal prévoient des partenariats de développement (PDD) entre acteurs du même État-membre et des partenariats de coopération transnationale (PCT) qui regroupent des acteurs d’autres Etats membres. Pour le PIC-Equal « Chinois d’Europe et Intégration », les PDD réunissent, outre la Ville de Paris, trois associations (dont deux spécifiquement en lien avec la communauté chinoise), un Centre de Formation des Apprentis (CFA) et une mission locale [5]. Les PCT se composent de la Province Prato en Italie et de la Chambre des Métiers de Münster en Allemagne. Le secteur privé en tant que tel est absent de ces partenariats.

18Les principes des PIC-Equal reposent sur la diffusion de nouvelles idées et l’incorporation de nouvelles approches dans la mise en œuvre des politiques publiques. Ils sont basés sur une approche thématique, dont huit domaines concernent directement les objectifs de la SEE (Pochet, 2005,58) plus un portant sur les demandeurs d’asile. Parmi ces principes, la discrimination est considérée « comme un problème central empêchant de créer plus d’emplois dans une société plus inclusive » (Commission Européenne, 2000). En effet, le principe de non-discrimination constitue un des principes légaux les plus importants sur lequel se sont basés les États membres pour réguler les droits des Européens (Jenson, 2007). Dès le Traité de Rome, l’Union Européenne s’est dotée de lois anti-discriminatoires, notamment pour la protection sociale des travailleurs migrants et pour les discriminations basées sur le genre (art. 119). Récemment, l’adoption de la directive relative à la mise en œuvre du principe d’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique [6] fondée sur l’article 13 du traité d’Amsterdam et adoptée en juin 2000 réaffirme la portée de la lutte contre les discriminations au niveau européen. Elle établit un vaste système de protection contre les discriminations directes et indirectes tout en permettant les discriminations positives et oblige certains États (dont la France) à une mise en conformité communautaire (Fassin, 2002 ; Geddes et Guiraudon, 2005). Il n’est donc pas surprenant que les programmes Equal soient créés à la même époque que cette directive qui transpose dans le domaine de soft law un principe relevant de hard law.

Quel apprentissage des pratiques et des principes européens compte tenu de la spécificité du modèle républicain ?

19En matière d’intégration des immigrants, les discours et pratiques promues par l’UE viennent-ils changer les pratiques et les principes du modèle républicain français ?

20Notre acception du modèle républicain d’intégration en France renvoie à un ensemble lié de principes et pratiques. Les principes sont universalistes et basés sur l’égalité de traitement. Ils sont par conséquent aveugles à l’origine ethnique qui n’a aucune valeur juridique en droit français. Le modèle républicain d’intégration découle de la conception de la citoyenneté française véhiculée depuis la Révolution [7], qui privilégie un modèle statonational basé sur une représentation de l’universalisme et d’un individu abstrait (Schnapper, 2003). Si l’égalité des droits et des chances est au cœur du modèle républicain, il n’en demeure pas moins qu’il ne reconnaît pas l’existence de groupes ethniques au sein de la République « Une et Indivisible » (Geddes et Guiraudon, 2005,70).

21La montée d’autres demandes identitaires est souvent analysée comme une menace au bien commun devant la prédominance d'intérêts particuliers et de groupes qui revendiquent la reconnaissance de droits spécifiques (Schnapper, 2003). La « communauté des citoyens » (Schnapper, 2003) est alors exhortée comme rempart aux particularismes. Comme le note le Haut conseil à l’intégration [8], « chacun de nous doit faire un effort pour oublier ses seules particularités et retrouver ce qu’il a en commun avec les autres » (HCI, 2003,104) [souligné par nous].

22À la différence des Pays-Bas ou du Royaume-Uni par exemple, la France n’a pas fait de la lutte contre les discriminations le cœur de son modèle d’intégration (Geddes et Guiraudon, 2005,67). Une loi contre les discriminations existe depuis 1972, mais est restée relativement timide dans sa mise en œuvre visant « à faire oublier le passé vichyste du pays et à condamner pénalement les actes racistes » (Geddes et Guiraudon, 2005,70). Depuis, la lutte contre les discriminations a été réaffirmée [9]. Cependant, la lutte contre les discriminations « à la française » ne donne au ciblage ethnique aucune légitimité. La position du HCI à cet égard est claire : « la question de l’intégration ne peut (…) s’appréhender uniquement en termes de discriminations » et ne « passe pas par une politique de discrimination positive » (Cour des comptes, 2005,43).

23Les pratiques du modèle républicain renvoient essentiellement à des politiques de droit commun décidées à un niveau national et ont traditionnellement une visée d’intégration sociale (Lapeyronnie, 1992, 161). De plus, lorsque que certains dispositifs sont spécifiques, ils ne ciblent que de manière indirecte les immigrants. C’est notamment le cas de la politique de la ville, qui, en se basant sur des mécanismes de discrimination positive territoriale, évite la prise en compte directe de critères ethniques alors que les « découpages » territoriaux rejoignent de fait une forte concentration de personnes immigrantes ou d’origine immigrante (Jaillet, 2003).

24Ainsi, nous voyons que du point de vue des pratiques et des principes, les PIC-Equal viennent bouleverser certains fondements du modèle d’intégration en proposant la mise en place de politiques de discrimination positive, un principe banni du registre des politiques nationales.

25Les partenariats menés au sein de « Chinois d’Europe et Intégration » nous permettent dans un premier temps d’analyser s’il y a eu apprentissage des pratiques promues par les PIC-Equal. Le ciblage ethnique et le contenu des politiques sont ensuite traités pour tester l’apprentissage des principes des PIC-Equal. Nous verrons alors dans quelle mesure l’« émergence de nouveaux secteurs de politique publique dont s’emparent les collectivités locales » conduit à ce que ces dernières « développent de nouveaux styles d’action qui ont un impact immédiat sur le contenu même des politiques » (Jouve [10], 2003,86).

Quel apprentissage des pratiques ?

26La perception par les acteurs [11] des formes partenariales proposées par le PIC-Equal est généralement positive que ce soit au niveau du secteur associatif ou de la municipalité. Au niveau des partenariats de développements locaux, la Mission Intégration insiste sur le fait que le programme Equal est considéré comme un programme unique compte tenu des relations particulières qu’elle entretenait avec les associations participantes. Les acteurs de la Mission Intégration ne se considéraient pas comme des simples financeurs du programme où ils agissent « un peu comme les patrons [12] » mais se voyaient plus impliqués et engagés dans « un vrai partenariat [13] ». Les acteurs associatifs expriment quant à eux le fait que cette expérience partenariale leur a permis une plus grande professionnalisation [14]. L’expérience partenariale leur apparaît positive car les réseaux ont permis de diffuser une meilleure connaissance des immigrants chinois et de prendre des mesures plus adaptées à leurs spécificités. Au niveau des partenariats de développements transnationaux, les évaluations sont elles aussi généralement positives dans le sens où les acteurs notent que les actions entreprises par les partenaires européens sont « inspirantes [15] » ou encore que le « partage d’expérience [16] » est enrichissant. Ils considèrent les formes partenariales d’action publique comme une possibilité de produire des projets « expérimentaux [17] », remarquent que ces pratiques s’inscrivent dans le cadre de la « modernisation de l’administration [18] » publique, y voient l’occasion d’« apprendre des autres [19] » et espèrent reproduire ce type de partenariats, si cela n’est pas déjà fait [20].

27Dans un premier temps, les acteurs reprennent donc la rhétorique qui est utilisée dans les programmes Equal, comme si, suite à leur familiarisation avec les guidelines des PIC-Equal (pour participer au projet ou encore pour rendre les rapports d’étapes par exemple), ils les récitaient.

28Dans un deuxième temps, plus que les buts généraux associés aux partenariats, les acteurs expriment les conséquences positives, anticipées ou réelles, d’une participation aux formes partenariales : outre le fait qu’ils visent avant tout à favoriser l’intégration des immigrants chinois à Paris, les partenariats leurs permettent de bénéficier d’un « effet vitrine [21] » du projet, de certaines sources de financement prévues pour la participation au programme, de « créer des emplois » [22] ou encore de développer des « contacts [23] » avec plusieurs acteurs spécialisés dans l’accueil des migrants, mais aussi avec des acteurs de l’Education Nationale, de la formation professionnelle ou encore de l’Aide Sociale à l’Enfance, utiles à la poursuite de leurs activités.

29Mais les perceptions a priori positives des formes partenariales se révèlent, à mesure que l’entretien se déroule, moins « mythiques » (Desage et Godard, 2005) qu’elles n’apparaissent au premier abord. Concernant les partenariats locaux, les associations s’accordent pour dire qu’« il y avait des discussions et des désaccords [24] » ou « des tensions très importantes [25] » quant aux mesures à mettre en place et quant au partage des responsabilités. Ces conflits illustrent le fait que si la forme partenariale est surtout présentée comme une collaboration et un partage, elle n’est pas non plus exempte de rapports de force et de pouvoir entre les acteurs. En effet, dans notre cas, établir des partenariats entre acteurs œuvrant dans un même secteur d’activité a suscité, voire attisé une concurrence entre les associations. La remarque d’un responsable associatif concernant les partenariats transnationaux, « on avait peu de points communs, donc peu de frictions [26] », offre la preuve par l’inverse que la présence d’enjeux communs peut être une source de friction entre associations. Du coup, cette concurrence entre partenaires a placé la Mairie dans un rôle « où elle essayait d’arbitrer les désaccords [27] ». Cette position d’arbitre, ajoutée au fait qu’elle avait avant tout un rôle de coordination et de suivi du projet sur les plans administratifs et financiers, n’ont pas banalisé la Ville comme un acteur comme les autres sur le plan local, mais a plutôt perpétué sa position de gestion financière des subventions, agissant à titre de contractant de services et suivant une approche top down des politiques.

30Le décalage et le contraste entre les structures et les ressources de l’administration parisienne et celles des associations spécialisées dans l’accueil des immigrants chinois ont contribué à la non banalisation des rôles et des pratiques. Les représentations de chacun restent traditionnelles dans le sens où l’administration parisienne met l’emphase sur la différence des « échelles [28] » d’action avec les associations, tandis que ces dernières insistent sur le côté bureaucratique et « non précaire [29] » de l’administration.

31Enfin, la non participation du secteur privé aux partenariats locaux et la présence des acteurs locaux rattachés à l’État (mission locale Paris centre) situent les partenariats dans la logique de la contractualisation des politiques publiques post 1982, et ce, même si l’État n’est pas le maître d’œuvre et l’initiateur du programme.

32Du point de vue des partenariats transnationaux, appréciés dans l’ensemble, les acteurs apportent des nuances importantes quant à l’effectivité du partage d’expérience. En effet, hormis le partenariat avec Prato qui a donné lieu à des ateliers communs et à la réalisation de bilans comparatifs sur l’intégration des immigrants chinois dans les deux villes, les autres activités partenariales au niveau transnational avaient peu de choses en commun [30].

33Étant venus se « rajouter » au tandem franco-italien, les partenaires allemands sont très peu évoqués par les acteurs français. Compte tenu du fait qu’ils n’ont pas de communauté chinoise significative sur leur territoire, les associations spécialisées relèvent le manque de cohérence de ce partenariat, « hasard de la cuisine communautaire [31] » ou fruit de l’« urgence et du copinage [32] ». De plus, les acteurs associatifs s’entendent pour dire que la multiplicité des thèmes abordés (personnes handicapées, femmes et migrants pas seulement d’origine chinoise) a réduit les centres d’intérêts communs. Au sein de l’atelier « migrants », les acteurs ont souvent changé, limitant les possibilités de suivi sur le long terme.

34Ces réactions mettent en valeur certaines limites à un traitement transversal des discriminations, tel qu’il est encouragé dans les PIC-Equal à savoir qu’il ne faut pas sous-estimer le fait, que si les pratiques discriminatoires, à leur source, relèvent de mécanismes comparables, elles ne revêtent pas les mêmes formes et n’ont les mêmes effets sur les différents publics, chaque type de discrimination ayant ses propres ressorts (Fassin, 2002,415). Ces limites internes, propres à la conception des PIC-Equal, peuvent constituer un frein aux possibilités d’apprentissage.

35Le bilan de l’apprentissage des pratiques partenariales est mitigé. En se conformant aux PDD et aux PDT, les pratiques des participants ont été marquées par une plus grande décentralisation, une internationalisation, et une participation de la société civile à l’élaboration et à la mise en place des politiques. Cependant, la reprise de certains discours, pouvant être perçue au premier abord comme une forme d’apprentissage, correspond plutôt à un changement en surface. Les partenariats se sont déroulés en reproduisant une conduite plutôt hiérarchique des politiques publiques. Les acteurs se sont pliés aux exigences partenariales tout en se les appropriant, c'est-à-dire en les interprétant à partir de leurs normes d’action traditionnelles.

Quel apprentissage des principes ?

36La mise en place du PIC-Equal « Chinois d’Europe et intégration » cible les jeunes et les femmes d’origine chinoise originaires du Zhejiang (de la Ville de Wenzhou et de sa région avoisinante). Pour la première fois à Paris, ce projet se tourne vers les difficultés particulières d’intégration d’un groupe ethnique plutôt que de traiter de problématiques communes aux immigrants. De ce point de vue, le programme Equal a une influence très importante sur les principes d’intégration des immigrants en considérant directement un groupe ethnique comme une cible légitime d’action publique.

37Comment expliquer ce choix ? Une des raisons réside dans le rôle moteur joué par la province italienne qui a contacté la Mairie de Paris, qu’elle savait concernée par la présence d’immigrants chinois. Comme l’a expliqué Véronique Poisson, dans les années 1990, les entrepreneurs chinois, constatant une saturation du marché textile en France immigrent vers l’Italie [33]. La reprise des ateliers de confection textile par des entrepreneurs chinois a constitué un véritable levier économique [34] pour la province italienne que celle-ci a cherché à « utiliser » et à valoriser (Poisson, 2005,69-70).

38Si l’idée d’un ciblage ethnique, conforme aux principes des PIC-Equal, est venue de la province italienne et non directement des acteurs parisiens, ces derniers, en acceptant d’y participer, ont rompu avec l’un des principes centraux du modèle d’intégration français, à savoir l’indivisibilité de la République. Cependant, la Ville de Paris ne se situait pas - et ne s’est pas située - dans la même perspective, ce qui tend à montrer le peu d’apprentissage des principes mis de l’avant par le partenaire italien. En France, il s’agissait plutôt d’éviter que les jeunes et les femmes se retrouvent dans la confection. Le public cible et le contenu des actions du PIC-Equal ont été déterminés en fonction de caractéristiques locales particulières, qui relèvent de mécanismes migratoires liés au pays d’origine et surtout des spécificités de l’intégration de ces immigrants au sein de la société d’accueil parisienne.

39A Paris, il a été relevé que ces immigrants s’organisent autour d’un fort relais communautaire (Béja et Chunguang, 1999) et concentrent leur activité dans des secteurs d’activités fermés, la maroquinerie, la restauration et la confection, que l’on appelle « le secteur des trois couteaux ». Mis à part le 13ème arrondissement, d’installation plus ancienne qui est habité par les immigrants d’origines ethniques diverses, arrivés dans les années 1970 (Béja et Chunguang, 1999,61), les immigrants chinois récents s’installent dans le Nord-est de la capitale, majoritairement dans le 3ème arrondissement, regroupant plus du tiers des ressortissants chinois à Paris (Poisson, 2005,71), mais aussi dans le 11ème (appelé aussi le Sentier chinois), le 10ème et le 20ème arrondissement.

40Alors que les immigrants de la Chinatown du 13ème ont longtemps servi d’exemple d’une communauté jugée « bien intégrée » au sein de la capitale française, les nouveaux immigrants Wenzhou, cristallisent au contraire les peurs des pouvoirs publics. Les mineurs étrangers isolés ou encore les formes d’esclavage moderne apparaissent comme autant de phénomènes qui inquiètent la scène politique française. Les média ont quant à eux multiplié leurs enquêtes sur les communautés chinoises à Paris en insistant sur le travail forcé [35], les rackets et la clandestinité [36].

41La monoactivité de certains « quartiers chinois » a créé des tensions, comme en témoignent les manifestations organisées par la mairie du 11ème arrondissement en 2003. Les participants faisaient valoir les risques associés à la monoactivité, comme la perte d’identité du quartier ou le départ des résidents. Par la suite, afin de contrer cette monoactivité, certains de ces locaux commerciaux ont été rachetés par la Mairie de Paris et une vingtaine de magasins ou ateliers ont été fermés par le préfet de Police de Paris (Chabrun et Thiolay, 2004).

42Ces éléments de contexte sont importants car ils situent la manière dont les acteurs locaux ont envisagé la problématique d’intégration des nouveaux immigrants chinois, et par conséquent, le contenu des actions menées dans le programme « Chinois d’Europe et Intégration ».

43Dans leur manière de poser le problème, les acteurs locaux ont proposé leur propre interprétation de la lutte contre les discriminations véhiculée par les PIC-Equal. Le « problème » a été posé à Paris comme une question d’intégration sociale, de diversification des activités professionnelles des immigrants et de lutte contre le communautarisme, plus que comme un projet qui vise spécifiquement à lutter contre les pratiques discriminatoires de la société d’accueil.

44La monoactivité est considérée par les acteurs impliqués non comme une nuisance pour le quartier mais bien comme une « menace » pour les immigrants chinois eux-mêmes. Pour les intégrer à la société parisienne, les acteurs locaux pensent qu’il faut les aider à sortir de la communauté, du travail forcé, et par conséquent leur permettre de travailler dans d’autres secteurs.

45Les femmes et les jeunes ont été désignés comme les groupes cibles parmi les immigrants chinois parce qu’ils sont considérés comme les groupes les plus fragiles. Pour les acteurs locaux, les jeunes sont considérés comme étant des « victimes [37] » au « cœur des stratégies familiales [38] », ne « pouvant pas s’autonomiser [39] » de la structure familiale. Le souci de diversification professionnelle des jeunes repose sur l’idée que l’acquisition d’un nouveau métier évite qu’ils ne soient « repris pour travailler directement dans la communauté [40] ». Les femmes sont elles-aussi prises en considération compte tenu du fait qu’elles sont nombreuses à travailler dans des ateliers ou comme domestiques et que les migrations récentes en France comptent beaucoup de femmes isolées qui se retrouvent ensuite dans la prostitution [41].

46Un des axes du programme était la formation et la médiation, illustré par la création d’une plateforme d’accueil mutualisée (PFAM). Un volet de la plateforme visait à accueillir, informer et suivre les jeunes et les femmes sur la formation et l’insertion professionnelle, par le biais de séances d’informations collectives avec un interprétariat en mandarin et de la dispense d’un accompagnement individualisé. Lors de ces séances, différents acteurs de l’insertion sont présents comme les référents de la mission locale et de l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE), des responsables de centres professionnels ou encore des spécialistes du droit des jeunes étrangers, de même que des professionnels chinois qui viennent faire partager leur expérience professionnelle hors du secteur des « trois couteaux » [42].

47Un des autres axes du PIC-Equal a été d’orienter les jeunes vers des cours de formation professionnelle au sein d’un centre pour apprentis mais les acteurs locaux se sont souvent heurtés au problème du statut juridique des jeunes de plus de 16 ans et en situation irrégulière. En effet, au début du projet « Chinois d’Europe et Intégration », une des raisons pour lesquelles la cible jeune avait été choisie, tenait au fait que les mineurs entre 16 et 18 ans ne pouvaient être scolarisés. Depuis l’ordonnance du 20 mars 2003 relative aux modalités d’inscription et de scolarisation des élèves de nationalité étrangère des premier et second degrés, ceux-ci peuvent être acceptés dans des parcours pré-professionnels. Cependant, sur le terrain, il apparaît que cela est plus difficile et que les jeunes restent toujours en difficulté (Moreno, 2005,62).

48Une autre action visant les jeunes a été la mise en place en collaboration avec la Croix rouge d’un Lieu d’accueil et d’orientation (LAO) pour accueillir des mineurs étrangers isolés, venant de Roissy et qui, en tant que mineurs étaient non expulsables (Poisson, 2005, 73). Ce projet a été l’enjeu des nombreux désaccords entre partenaires. Pour certains responsables associatifs et des acteurs de l’Aide Sociale à l’Enfance, ce projet participait à une sorte de « trafic » ou de « stratégie familiale » pour « obtenir la nationalité française [43] ». Pour une autre association au contraire, le foyer et la prise en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) représentaient une porte de sortie des ateliers clandestins pour les jeunes [44]. Mais au-delà de l’opposition de ces deux versions, celles-ci se rejoignent sur le fait que, dans les deux cas, le « jeune » est considéré comme une victime potentielle de sa famille [45].

49Pour les femmes plus particulièrement, une première crèche franco-chinoise a été créée à Paris, dans le but d’accueillir au moins 50% d’enfants d’origine chinoise. Cette crèche donne la possibilité de former des femmes (et dans certains cas embaucher) aux métiers de la petite enfance. Outre les objectifs de formation professionnelle, ces projets visent aussi à sortir les femmes et les jeunes d’un mode de vie jugé trop communautaire.

50Le cas de la crèche est emblématique de cette volonté. Les « crèches sauvages » désignent un système de garde hors des structures jugées plus traditionnelles et avaient déjà été « pointées du doigt » dans un état des lieux de l’intégration des immigrants à Paris (Allal, 2003). Comme l’indique un acteur local participant au projet, « les gosses, ils peuvent passer jusqu’à la maternelle en vase clos sans entendre un mot de français [46] ». Pour les acteurs impliqués, il est considéré que l’enfant doit être socialisé dans des « règles d’éducation comparables à celles qui sont mises en place en France [47] ». De même, la crèche vise à sortir les femmes d’une relative « autarcie [48] » et de « renfermement sur la communauté [49] », en cherchant des contacts plus directs avec la société d’accueil et les amenant à se former dans des métiers jugés plus « standard [50] ».

51En ce sens, le PIC-Equal « Chinois d’Europe et intégration » s’inscrit plus dans le registre de la lutte contre le communautarisme, que dans celui de lutte contre les discriminations, presque absente du discours des acteurs locaux [51]. Comme l’exprime très ouvertement un des responsables associatifs, le principe de lutte contre les discriminations s’appliquerait mal aux immigrants chinois :
« Mais est-ce qu’on peut parler de discrimination quand les gens ne parlent pas le français ? Non. Ce qu’on a pu remarquer, c’est que les gens qui ne parlent pas le français, ne travaillent pas, ne vivent pas dans un univers français. Ils ont des contacts épisodiques avec l’administration, généralement il n’a pas beaucoup d’échanges ou il y a un interprète qui est là. A l’école, ils n’y vont pas parce qu’ils se disent pourquoi aller à l’école, je vais rien comprendre…. Ils ont des contacts avec la société française pour prendre le bus, acheter un ticket de métro… Il n’a pas de discrimination. La discrimination c’est pour les gens qui sont d’origine étrangère, qui parlent très très bien le français, qui vont aller vers la société d’accueil, et qui là, on va les refuser, qui auront une discrimination au travail. Les arrivants qui ne parlent pas le français, vont dans une structure qui est prédéfinie pour eux, pour les Chinois, c’est la communauté [52] ».

52Le fait de penser des programmes en termes de protection contre le communautarisme plus qu’en termes d’anti-discrimination, rejoint un des principes au cœur du discours républicain, considérant d’un mauvais œil le renfermement communautaire. A cet égard, le fait que la notion de discrimination soit « suffisamment polysémique et ambiguë » (Geddes et Guiraudon, 2005,85) peut expliquer l’appropriation par des acteurs locaux de ce type d’actions jugées conformes au contexte et aux principes aux seins desquels ils œuvraient.

53Ainsi, les trois grands axes des politiques mises en place dans ce PIC-Equal, à savoir des programmes de diversification professionnelle et d’insertion sociale, le souci de protection des groupes cibles fragiles et la lutte contre le communautarisme, illustrent, que même si un groupe ethnique est désigné comme cible de l’action publique, les acteurs se conforment aux principes du modèle d’intégration républicain, rejoignant l’analyse de plusieurs autres auteurs (Favell, 2001; Geddes et Guiraudon, 2005) qui montrent la prégnance de ces principes en France.

54L’implication des collectivités locales dans le domaine de l’intégration des immigrants et les nouvelles formes d’action publique promues par les PIC-Equal ne conduisent pas nécessairement à un changement de contenu des politiques. Dans notre cas, ceci s’explique par l’appropriation des nouvelles formes d’action publiques par les acteurs locaux, qui reproduisent des processus hiérarchiques de prise de décision au sein de formes partenariales pourtant marquées par l’horizontalité des relations. D’autre part, le ciblage ethnique découle bien de la diversification des relations horizontales, puisque l’UE n’interdit pas un tel ciblage et que ce ciblage a été proposé par un autre État membre. Cependant, même si les programmes s’adressent à une communauté ethnique en particulier, les principes et le contenu des politiques menées restent conformes au modèle d’intégration français.

Conclusion

55Le PIC-Equal « Chinois d’Europe et intégration » nous a permis de montrer de manière inductive les effets de la supra- et de la subnationalisation des politiques. Nous avons montré une convergence et un auto-renforcement des discours entre gouvernance urbaine et gouvernance européenne, permettant l’implication de ces deux acteurs dans le domaine de l’intégration des immigrants, traditionnellement contrôlé par l’État-nation. Nous avons ensuite utilisé la notion d’apprentissage social pour analyser comment les acteurs locaux « réagissent » aux objectifs véhiculés par les institutions européennes. Nous avons montré que les acteurs s’approprient les pratiques et les principes des PIC-Equal plus qu’ils ne les « apprennent ». Cette appropriation explique que des formes nouvelles d’action publiques peuvent être investies de façon plus traditionnelle et hiérarchique et que, malgré des principes résolument nouveaux comme le ciblage ethnique, les actions menées restent conformes au modèle républicain.

56Notre analyse ne signifie en aucun cas que nous privilégions un modèle d’intégration par rapport à un autre, ni que l’appropriation est une forme « ratée » d’apprentissage par les acteurs locaux. Notre but a été de montrer que, au-delà des discours, la mise en place des politiques publiques laisse une marge de manœuvre importante aux acteurs. Cette appropriation se traduit par l’incorporation des principes et des pratiques « traditionnels » au sein de pratiques et principes nouveaux.

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Notes

  • [1]
    Si, à l’échelle nationale, les immigrants ne représentent que 7,4 % de la population totale, ils représentent 18,2% de la population à Paris (France, INSEE, 1999). Des villes comme Marseille avec 11,4 % ou Lyon avec 10,2 % comptent également des taux de présence d’immigrants supérieurs à la moyenne nationale, mais inférieurs à celui de Paris (France, INSEE, 1999).
  • [2]
    En considérant que la gouvernance promeut une plus grande participation des citoyens à l’action publique conduisant à leur empowerment.
  • [3]
    En 1997, le traité d’Amsterdam enclenche la dynamique du passage de politiques d’immigration nationales vers une politique commune en prévoyant de transférer les questions d’immigration, d’asile, d’admission et de résidence des étrangers non communautaires du troisième pilier au premier, processus illustrant un passage de l’intergouvernementalité vers la communautarisation des politiques (Wihtol de Wenden, 2004,17).
  • [4]
    Equal est doté d’une enveloppe de 2,847 milliards d’euros, dont 320 millions ont été attribués à la France pour la période 2000-2006.
  • [5]
    Les CFA sont considérés comme des organismes parapublics dépendant des chambres des métiers, établissements publics administratifs, tandis que les missions locales ont depuis 1982 un statut associatif loi 1901, sont rattachées à l’État et ont une possibilité de contractualisation avec les régions.
  • [6]
    Directive n°2000/43/CE du 29 juin 2000.
  • [7]
    Le modèle républicain d’intégration des immigrants a évolué, mais le terme d’intégration s’est imposé dans les discours politiques (Weil, 2004). Après une conception assimilationniste héritée de la colonisation, la thématique de l’insertion et du droit à la différence a été privilégiée à la fin des années 1970 et au début des années 1980 (Lapeyronnie, 1992,171). Depuis que le discours sur le droit à la différence a été repris par le Front National sous le thème du maintien des différences des Français par rapport aux étrangers, c’est la conception intégrationniste qui a prévalu.
  • [8]
    Instance de réflexion et de propositions qui, à la demande du Premier ministre ou du comité interministériel, donne son avis sur les questions relatives à l’intégration des résidents étrangers ou d’origine étrangère.
  • [9]
    Avec la mise en place du GED (Groupe d’Études sur les discriminations), des CODAC (Commissions départementales d’accès à la citoyenneté) et l’adoption à l’unanimité d’une « déclaration de Grenelle » en 1999, puis avec la création du GELD (Groupe d’Étude et de Lutte Contre les Discriminations) en 2000 et de la HALDE (Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Égalité) en 2005 (la HALDE traitant notamment des cas de discriminations directes et indirectes).
  • [10]
    L’auteur se distancie cependant de ce lien de causalité.
  • [11]
    Des entrevues ont été menées avec les principaux acteurs locaux français (représentants de la Ville de Paris et des associations franco-chinoises).
  • [12]
    Entretien Chef Mission Intégration, 7 janvier 2005.
  • [13]
    Ibid.
  • [14]
    Entretien Association Pierre Ducerf, 27 juillet 2005 et entretien Président d'Assistance Scolaire, Linguistique et Culturelle, 1er août 2005.
  • [15]
    Entretien Association Pierre Ducerf, 27 juillet 2005.
  • [16]
    Entretien ASLC, 1er août 2005.
  • [17]
    Entretien Mission Intégration, 7 janvier 2005.
  • [18]
    Ibid.
  • [19]
    Entretien Association Pierre Ducerf, 27 juillet 2005.
  • [20]
    L’ASLC participe à un nouveau PIC-Equal sur les migrations asiatiques et la traite des êtres humains.
  • [21]
    Entretien Association Pierre Ducerf, 27 juillet 2005.
  • [22]
    Ibid.
  • [23]
    Ibid.
  • [24]
    Entretien ASLC, 1er août 2005.
  • [25]
    Entretien Association Pierre Ducerf, 27 juillet 2005.
  • [26]
    Entretien ASLC, 1er août 2005.
  • [27]
    Ibid.
  • [28]
    Entretien Mission Intégration, 7 janvier 2005.
  • [29]
    Entretien Association Pierre Ducerf, 27 juillet 2005.
  • [30]
    Le bilan comparatif propose une comparaison des immigrants Chinois de Prato et de Paris à partir de différents thèmes, tels que « l’ancienneté de la migration; la provenance; les profils; l’importance de cette migration; les modes de vue et l’intégration dans le pays d’accueil; la maîtrise de la langue; le mode des enfants; la situation des jeunes à l’école; la médiation et les médiateurs; les secteurs professionnels investis ». Ensuite, les activités mises en place par le PIC-Equal « Chinois d’Europe et Intégration » et celles de leur partenaire italien dans la mise en place du PIC-Equal « Net-Met » sont comparés sur les plans du « travail de recherche; des actions d’information sur la société d’accueil en direction d’intermédiaires comme des bénéficiaires ciblés directs; des actions d’information/de formation en direction d’intermédiaires, de professionnels ou associations en lien avec la communauté chinoise; des actions de formation et de mise à l’emploi de bénéficiaires directs » (Association Pierre Ducerf, 2005).
  • [31]
    Entretien ASLC, 1er août 2005.
  • [32]
    Entretien Association Pierre Ducerf, 27 juillet 2005.
  • [33]
    Le gouvernement italien avait fait la promesse d’une régularisation massive des clandestins au milieu des années 1990 (Bozonnet, 2005)
  • [34]
    La déclaration du maire adjoint de Prato, Andrea Frattani, en témoigne : « Grâce à leur rapidité et à leur capacité d’adaptation aux demandes d’un secteur de la mode très évolutif, ils font revenir à Prato des acheteurs européens qui allaient en Grèce ou en Turquie » (Bozonnet, 2005).
  • [35]
    Leurs conditions de travail ont été décrites comme relevant des formes d’esclavage moderne.
  • [36]
    Si l’entrée sur le territoire se fait principalement de manière légale grâce à un visa touriste (Migrations Études, 2002,5), ces migrants deviennent clandestins à son expiration. Ils sont contraints de payer une dette de passage très élevée à une « tête de serpent », chef d’un réseau de migrations clandestines. Il est estimé que, en travaillant dans la confection, cinq à huit ans de travail sont nécessaires pour rembourser la dette (Migrations Études, 2002,6).
  • [37]
    Entretien ASLC, 1er août 2005.
  • [38]
    Entretien Association Pierre Ducerf, 27 juillet 2005.
  • [39]
    Ibid.
  • [40]
    Entretien Mission Intégration, 7 janvier 2005.
  • [41]
    Entretien Association Pierre Ducerf, 27 juillet 2005 et entretien ASLC, 1er août 2005.
  • [42]
    Voir Poisson, 2005 et Moreno, 2005.
  • [43]
    Entretien ASLC, 1er août 2005.
  • [44]
    Entretien Association Pierre Ducerf, 27 juillet 2005.
  • [45]
    Ce souci de protection rejoint la logique prônée par la commission Stasi quant à une emprise possiblement contraignante des familles sur les jeunes filles de confession musulmane.
  • [46]
    Entretien Mission Intégration, 7 janvier 2005.
  • [47]
    Ibid.
  • [48]
    Ibid.
  • [49]
    Entretien Adjointe au maire de Paris chargée de l'intégration et des étrangers non communautaires, 29 novembre 2004.
  • [50]
    Entretien Mission Intégration, 7 janvier 2005.
  • [51]
    Si ce n’est pour condamner et déplorer l’image négative dont sont victimes les nouveaux immigrants chinois.
  • [52]
    Entretien ASLC, 1er août 2005.
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