Notes
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Kalypso Nicolaidis (( www. sant. ox. ac. uk/ knicolaidis)enseigne les Relations Internationales à l’Université d’Oxford. Elle a co-édité avec Rober Howse La Vision Fédérale : Légitimité et Niveaux de Gouvernance aux Etats-Unis et en Union européenne (OUP, 2001).
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Bien evidemment, cette assertion ne s’applique pas a l’interieur de la théorie politique.
1Apres les ‘Non’ à la Constitution Français et Néerlandais, après l’ouverture au forcing des négociations d’adhésion avec la Turquie, l’Europe traverse aujourd’hui une crise existentielle. Méfiance généralisée entre dirigeants et populations qui s’exprime par le rejet non seulement de la Constitution mais aussi de pans entiers de la jurisprudence européenne, comme dans le cas du principe du pays d’origine pour les échanges de services; méfiance aussi entre gouvernements de moins en moins enclins à jouer le jeu de la loyauté communautaire et du compromis constructif. Alors, on se dit qu’il faut sortir de la crise par le haut et que, partant, il ne s’agit plus seulement de décider comme nous le faisons depuis un demi-siècle, « que faisons-nous ensemble » mais puisque les opinions et les électeurs s’en mêlent, il s’agit aujourd’hui de « donner du sens » à l’entreprise : pourquoi le faisons nous ? Au nom de quelle vision de ce que notre communauté politique européenne représente ? Qu’est-ce qui motive notre action commune, une histoire collective ? Des intérêts communs, des valeurs partagées ? Et en fin de compte quelles sont nos fins, à la fois politiques et géographiques, et comment ces dernières (nos frontières ultimes) affecteront ou seront déterminées par nos fins politiques ?
2Un certain nombres d’intellectuels européens, derrière Habermas en Allemagne et Jean-Marc Ferry dans le monde francophone proposent depuis la fin de la guerre froide une réponse à cette interrogation existentielle de l’Europe autour d’un concept, celui de patriotisme constitutionnel, qui en appelle à l’attachement à la communauté politique fondée sur une loyauté partagée envers des règles communes et un engagement de chacun à délibérer démocratiquement de leurs implications concrètes. Plus généralement, il s’agit de penser et défendre une vision post-nationale de l’Europe débarrassée du schème traditionnel de l’Etat nation et partant l’émergence d’une identité elle aussi post-nationale . Le paradoxe aujourd’hui est que cette philosophie est de plus en plus délaissée dans sa terre d’application d’origine, l’Allemagne, où l’unification remet de plus en plus en cause l’exception « post-nationale » allemande de 1945. Ce n’est donc peut-être pas par hasard si Jürgen Habermas lui même se laisse tenter par une certaine forme de nationalisme européen « doux » depuis la guerre d’Irak, réifiant un modèle européen qui serait selon lui la marque de notre supériorité éthique.
3En réaction à ce que nous percevions alors comme une tentation « euro-nationaliste », nous avions déjà souligné il y a quelques années l’émergence de deux courants assez distincts dans la constellation post-nationale (Nicolaidis et Lacroix 2003). Justine Lacroix dans son article pour ce volume se fait l’avocate inconditionnelle de la deuxième école, qualifiée de « post-nationalisme libéral » par Jean-Marc Ferry dans son propre chapitre. Ce dernier à son tour défend sa variante du post-nationalisme, qu’il nomme « cosmopolitisme républicain ». Le désaccord se cristallise autour des notions alternatives de valeurs et normes comme fondement principal du sentiment d’appartenance à l’Union et partant la question de savoir si oui au non, elle doit être entendue comme une communauté morale et non seulement une communauté légale. D’autres auteurs suggèrent de distinguer entre un patriotisme constitutionnel thick or thin (Kumm 2005 et Müller draft paper ).
4Faut-il nécessairement trancher ? Ne s’agit-il pas là de désaccords en fin de compte assez formels quant à la stratégie argumentative optimale à adopter derrière la notion de norme ? Et s’il y a une réelle divergence de fond, pourquoi la sensibilité libérale devrait-elle se priver des ressources affectives suggérées par l’appel à des « valeurs » pour peu que l’on n’essentialise pas ces valeurs en tant que « valeurs européennes », mais plutôt qu’on les opérationnalise comme des guides procéduraux selon la stratégie même de Jean-Marc Ferry dans ces pages ? Le discours sur les valeurs nous fait craindre l’ethnocentrisme en dépit de leur caractérisation d’« universelles », mais n’y a t’il pas un danger encore plus grand à abandonner le terrain symbolique aux forces qui aujourd’hui en Europe en appellent à nouveau à l’ethnie (religieuse, séparatiste, de race ou de coutumes) pour exclure tous ces autres vivant en son sein et dont le destin scellera certainement en creux celui du continent ? Dans le même temps a-t-on vraiment besoin de rattacher à la notion somme toute acceptable de « valeurs » (telles qu’explicitées) celle de communauté morale proprement dite qui, elle, s’apparente plus évidemment au communautarisme classique ? Un tel langage pour désigner les fondements du « vivre ensemble » ne risque t’il pas de légitimer la tentation sempiternelle des Européens de « faire la morale » au reste du monde ? N’est-il pas possible de lutter contre l’apathie politique sans avoir recours à des notions potentiellement exclusivistes ?
5Sans douter de l’importance de tels débats, il me semble que du point de vue de la science politique, l’intérêt premier d’opérer des distinctions à l’intérieur du patriotisme constitutionnel est de suggérer des pistes d’évolution du cadre commun d’où elles sont toutes les deux issues. D’un point de vue purement politique, l’important n’est pas de subdiviser une école de pensée somme toute minoritaire mais au contraire de penser son élargissement et sortir le libéralisme politique européen de son ghetto intellectuel. [2] Comment autrement répondre au pari impossible qui est de dessiner un avenir de l’UE qui réponde à la fois au non français au nom de plus d’Europe sociale et au non hollandais au nom de moins d’Europe interventionniste ? L’érosion progressive du consensus permissif (permissive consensus), auquel nous assistons aujourd’hui (consensus qui permettait aux élites de mener la barque européenne sans sanctions politiques directes tant qu’elles assuraient le progrès économique), rend d’autant plus nécessaire, mais aussi plus difficile à assurer au niveau européen, le consensus par recoupement (overlapping consensus) cher à Rawls. Comme le rappelle Ferry, un tel consensus est supposé, dans les sociétés dites libérales, permettre à chaque membre de la société d’invoquer pour lui-même des motifs différents d’adhérer aux principes constitutifs de cette société, motifs différents lies non pas à des intérêts différents (après tout, avec les intérêts purs et simples, on peut toujours « couper la poire en deux ») mais à des convictions privées difficilement négociables (droit à la vie, religion). Une telle notion est d’autant plus désirable au niveau européen, non seulement bien sûr au regard de la plus grande hétérogénéité des convictions personnelles, mais surtout parce qu’il s’agit de faire vivre ensemble une mosaïque de contrats (ou consensus) nationaux, où la frontière valeurs privées/principes communs apparaît, sinon intangible, du moins difficilement négociable avec l’extérieur. Dans cette perspective, le projet européen ne peut se payer le luxe du « perfectionnisme libéral » qui voudrait que l’on s’active à créer les pré-conditions du credo libéral dans les Etats membres. Le libéralisme, au contraire, doit se faire aussi discret que possible pour mieux se fondre avec les réalités locales et nationales. Il doit s’accommoder à la fois de ceux pour qui l’Europe est toujours et seulement l’Etat de droit, et de ceux qui y rajoutent, qui un rêve, qui un désir, qui une ambition.
6Les pages qui suivent se situent dans la mouvance du patriotisme constitutionnel, tout en déplaçant le propos. Plutôt que de s’attacher aux fondements d’un sentiment d’appartenance possible ou existant des citoyens européens au projet de l’UE, où l’appel à un « patriotisme » contient toujours en germe le risque d’exclusion, je préfère chercher à analyser le projet lui-même, du moins le projet tel qu’il peut de façon plausible constituer l’objet d’un consensus par recoupement au niveau européen. Il s’agit de dessiner, au delà des idéologies partisanes, une vision normative de l’Union déduite de ce qu’elle est aujourd’hui qui puisse en retour inspirer ses évolutions à venir. Pour ce faire, il se peut que certains déplacements conceptuels soient nécessaires, même si ceux ci sont largement sémantiques. Avant tout, la notion même de « post-national » pêche par défaut d’intelligibilité au delà des cercles restreints universitaires. Le terme suggère, même si cela n’est pas son propos, un dépassement des réalités nationales européennes au profit d’une ère nouvelle supranationale, « au delà » du national. On sait bien que le terme est là pour décrire l’originalité du projet européen et non pour nier l’importance et la pérennité des réalités nationales. Paradoxalement, le terme « post-national » ne s’oppose pas assez radicalement au tropisme de la gauche du non français qui rêve de reproduire l’Etat au niveau européen : tropisme jacobin de la centralisation et rousseauiste du peuple souverain et unitaire (Nicolaidis 2005a et Nicolaidis 2005b). On parle chez les nonistes de gauche de forger un Etat européen sans rappeler clairement que celui-ci n’a pas grand chose à voir avec un « Etat » traditionnel, justement parce que ses éléments constitutifs sont bien les nations, ou même les régions et autres entités d’appartenance territoriale en Europe, qui, elles, n’ont pas grand chose de « post ». Le post-nationalisme paraît s’opposer au souverainisme, alors qu’il cherche à le dépasser. Comme on le verra, je préfère parler de transnationalisme.
Europe des nations contre nation européenne : la tyrannie des dichotomies
7Plus ou moins d’Europe. Europe supranationale ou intergouvernementale. Europe puissance ou Europe modèle. Super-Etat européen ou union des Etats Européens. Pour ou contre. Les débats sur l’intégration européenne ont toujours été victimes de la tyrannie des dichotomies et du raisonnement binaire. En bons cartésiens, nous avons tous tendance à penser ainsi. Mais en bons hégéliens, nous dressons d’admirables synthèses et des compromis réalisables : l’Union européenne devient alors une Fédération d’Etats-Nations, une Union des Etats et des Peuples, une Communauté des Nations. Chez eux, les politiciens tendent à être cartésiens. A l’étranger, ils se couvrent de la synthèse hégélienne. Très bien. Mais les questions demeurent, surtout au niveau européen où les compromis importants doivent s'adapter au vaste spectre des familles politiques, des sensibilités nationales et des trajectoires historiques. La synthèse ne peut se résumer à des formules.
8Au moment où, avec le dernier élargissement, l’Union européenne devient synonyme de l’Europe, alors que nous nous trouvons dans un drôle de moment constitutionnel sans constitution, à la recherche de recettes à la fois pragmatiques et symboliques pour relancer la dynamique communautaire, comment décrire, nommer cet étrange animal. Quels sont les choix susceptibles de répondre aux craintes et aux aspirations légitimes d’une majorité de citoyens européens ? Est-il possible d’échapper à une version européenne du consensus mou français qui serait un « consensus pan européen par recoupement mou » ? A quoi devrait ressembler une Europe pour tous, une Union européenne, dont la majorité d'entre nous pourrait se satisfaire à défaut de l'aimer ? Et, si cela implique plus de démocratie européenne, qu’entendons-nous par là ?
9Il faut croire que les réponses apportées par le projet de Constitution n’ont pas inspiré les foules, ni en France, ni aux Pays Bas, ni non plus dans la plupart des autres pays membres, même s’ils n’ont pas eu l’opportunité d’exprimer leur opinion par le vote. Il faut le reconnaître, la mission n’était pas facile, qui se situait quelque part entre la simplification pragmatique et une refondation radicale : donner à l’Union une forme de gouvernement adaptée à sa nouvelle dimension et à ses nouvelles ambitions, tout en la réinventant symboliquement en tant qu’entité démocratique. Pas étonnant alors que la pièce proposée aux publics n’ait pas été à la hauteur. Tandis que l’intrigue et le décor pouvaient avoir l’air impressionnants, avec ces milliers d’acteurs qui pendant trois ans, de 2001 à 2004 se sont déchirés sur des mots, le script en lui-même était loin d’être révolutionnaire. Avant tout, le projet de constitution n’est pas parvenu à accomplir sa mission la plus élémentaire : celle d’aider les citoyens à comprendre en quoi consiste la démocratie européenne telle qu’elle existe avant même de chercher à l’améliorer.
10Il s’agit là en effet du péché originel sans doute nécessaire de l’Union européenne : celle-ci, au moment où les citoyens de l’Europe, du moins ceux qui s’en souciaient, auraient dit « Oui ! », n’a pas été construite sur des bases démocratiques. Cela aurait pu être fait la dernière fois que des délégués provenant de l’ensemble de l’Europe se sont rencontrés en 1948 à La Hay dans l’espoir de fonder les Etats-Unis d’Europe. Rien n’est ressorti de leur débat, sinon les échos de discussions toujours actuelles. On connaît la suite. Cet échec a probablement été le salut de l’Union européenne, en ce qu'elle a laissé la place à une tentative d’intégration plus pragmatique et plus viable dans ce continent dévasté par la guerre. La Communauté européenne a substitué aux grandes visions de la démocratie au niveau européen lesdites « méthodes communautaires », lesquelles accordent un rôle dirigeant aux Etats membres par le biais de l’intense activité diplomatique du Conseil, tout en confiant à la Commission européenne la mission d’équilibrer le pouvoir des grands Etats au nom d'une vision du bien commun. Par la suite, l'ensemble a été complété d'un Parlement européen élu pour ajouter une touche démocratique minimale. Comme Jean Monnet l’avait prédit, les Etats s’engagèrent dans des négociations intenses (« donnez-moi de l'argent pour mes paysans et je vous donnerai un marché pour vos produits ») créant des solidarités ad hoc entre entités nationales. Au cours des décennies suivantes, cette logique nous a, dans la plupart des cas, bien servi. De la Communauté européenne de 1958 jusqu’à l’Union européenne d’aujourd’hui, les gouvernements européens, les industries, les partis politiques, les organisations non-gouvernementales et les syndicats aussi bien que les dirigeants politiques, ont appris à traiter ensemble les sujets les plus divers : de l’alimentation ou des règles de sécurité bancaire à la délivrance des visas et à l’ensemble des négociations commerciales. Dans la mesure où les intérêts nationaux ne concordent pas toujours, ils sont toujours susceptibles de s'affronter, mais ils ont appris à gérer leurs différences d’une façon plus efficace et constructive. La méthode communautaire a permis à l’Union européenne de concilier les intérêts apparemment contraires, anciens et nouveaux membres, idéologies de droite et de gauche, grands et petits Etats, intérêts généraux et intérêts sectoriels, les milieux d'affaires et les consommateurs (Magnette 2005). C’est à cette logique que nous devons notre île de paix kantienne.
11Et pourtant, elle a bien été remise en question par ceux qui prétendent que nous avons épuisé les mérites de cette approche fonctionnaliste et il nous faut considérer maintenant une nouvelle phase de la vie de l’Union européenne. L’extension des pouvoirs de l’Union européenne en direction de ce que chacun perçoit comme les prérogatives traditionnelles de l'Etat régalien du 19ème siècle (l’argent, la police, les mouvements migratoires, le contrôle des frontières extérieures et la politique étrangère) n’aurait pas été parallèlement suivie d'une responsabilité accrue à l'égard des citoyens européens. Et le doublement de la taille de l’Union européenne au cours de ces dix dernières années, après les élargissements de 1995 et de 2004, sonnera son glas s'il ne s’accompagne pas d’une refonte de ses institutions. D’où le projet de constitution.
12Apres le double « Non », doit-on penser que les sceptiques avaient raison qui nous disaient que l’entreprise dans sa totalité avait fait beaucoup de bruit pour rien, qu’elle n’était, au fond, qu’une tentative dévoyée de rafistoler une Union européenne qui ne serait pas en si mauvais état qu'on le dit, et qui serait aussi démocratique qu’il le faille et qu’il se puisse ? Les sceptiques à la Weiler ou Moravcsik nous disent, et ils on raison, que l’Union européenne ne présente pas la moitié des défauts que lui attribuent ses détracteurs souverainistes ou chantres du fameux déficit démocratique. Non seulement elle n’est pas un super-Etat, mais il lui manque les attributs d’un Etat tout court. On se demande bien quel genre d’Etat elle pourrait être avec son budget si serré, son administration minuscule, ses règles approuvées à Bruxelles par des représentants nationaux et dont l’interprétation, le contrôle ou l’application sont assurés par des agents des Etats membres. Par ailleurs, l’Union européenne demeure le plus souvent exclue des domaines des actions étatiques qui importent le plus aux citoyens, depuis les fonctions d'assistance (santé, sécurité sociale et l'éducation) jusqu'à la défense et la sécurité nationale. Lorsqu’elle intervient, elle opère généralement par des moyens plus transparents que les équivalents nationaux et procède à des consultations tous azimuts avec des réseaux associatifs et des groupes de la société civile de tout type et de toute origine. Les nombreux garde-fous démocratiques intégrés à ses procédures décisionnelles et à ses structures institutionnelles (la majorité qualifiée, le veto, l'implication de quatre institutions différentes, le rôle des capitales nationales dans l’élaboration des projets de lois) sont peut être parfois sources d’inertie, mais au moins garantissent qu’aucun intérêt ne sera bafoué. Si imparfait soit-il, le niveau de démocratie de l’Union européenne soutient favorablement la comparaison avec celui de ses Etats membres (Moravcsik 2005). “If it ain’t broke, why fix it ? se demandait Joseph Weiler en 2001 dans The Federal Vision (Weiler 2001). Une constitutionnalisation formelle remplaçant la constitutionnalisation de facto de l’Union tenait du pari impossible : rendre explicite et faire ratifier ces équilibres subtils par des citoyens auxquels on a toujours fait croire que l’Europe fautait si elle ne reflétait pas leurs désirs propres.
13On joue avec le feu en cherchant à constitutionaliser tout cela, c’est vrai. Mais, enfin, le jeu en valait – et en vaut toujours- la chandelle. Il faut en effet reconnaître l’évidence. L’aventure européenne de ces cinq dernières décennies n'était tout simplement pas vouée à l’exploration d’une nouvelle forme de démocratie dépassant celle de l'Etat-nation. Dans l’actuelle Union européenne, le tout (démocratique) est moins que la somme des parties (démocratiques). D’une certaine façon, l’ensemble de ses caractéristiques les plus louables ne constitue pas une forme démocratique reconnaissable par la plupart des Européens. Pourquoi ? Parce que la nature démocratique ne peut être reconnue et développée si nous restons attachés au paradigme conventionnel de l’Etat. Or, dans les faits, voilà bien ce qui s’est passé avec le référendum en France. Il ne suffit pas, pour rassurer les tenants de l’ambition constitutionnelle et répondre aux sceptiques, d’affirmer que les électeurs ont répondu à d’autres questions, ont cherché à sanctionner leurs gouvernements et les élites, ou se sont faits berner sur le sens du texte (Nicolaidis 2005c). Il était de toute façon naïf d’espérer qu’il n’y aurait pas de vraies et fausses raisons de voter non. L’enjeu était de savoir si celles de dire oui l’emporteraient. Mieux encore, si elles l’emporteraient pour une très large majorité d’Européens. Car un texte constitutionnel doit fonder sa légitimité sur l’assentiment du plus grand nombre. Si tant d’Européens ont rejeté ou s’apprêtaient à rejeter le texte, il faut en conclure qu’après près d’un demi-siècle d’existence, l’Union européenne n’a pas réussi à se faire accepter par ses citoyens. En tout cas pas dans les termes proposés dans ce texte-là.
14Le défi reste entier. Quand bien même il n’est pas nécessaire de discréditer les acquis passés, de se débarrasser de Monnet afin de redécouvrir la figure de Périclès, nous devons une nouvelle fois nous demander comment les faire se rencontrer. Comment en d’autres termes constitutionaliser et démocratiser le fonctionnalisme. Partir de l’UE telle qu’elle est et la refonder en des termes qui encouragent l’identification civique chers à Habermas et à Ferry.
15Pour cela, il faut reprendre et épurer l’argument post-national. L’ensemble du débat autour de la Constitution a été faussé par la tyrannie cartésienne des dichotomies abordée plus haut, c'est-à-dire, par toutes les variations auxquelles donne lieu l’opposition entre le « plus » et le « moins » d’Europe. Au sein même de la Convention, les deux principaux camps ont dès le début été identifiés comme intergouvernementalistes d’un côté et supranationalistes (également appelés fédéralistes) de l’autre. Les premiers, qui incluaient les représentants des gouvernements britanniques et français, voulaient répondre aux nouveaux défis en renforçant le Conseil représentant les Etats ; ils préféraient maintenir la règle de l’unanimité pour des domaines proches du cœur de la souveraineté étatique traditionnelle et pensaient que la réponse au déficit démocratique consiste à délimiter de manière plus stricte les pouvoirs de l’Union et des Etats. Les seconds, qui regroupaient la plupart des petits Etats membres et des représentants du Parlement européen, voulaient préserver le rôle de la Commission en tant qu'avocat des parties les plus faibles, renforcer le Parlement européen en tant que lieu du contrôle démocratique, étendre le vote majoritaire au nom de l’efficacité et continuer d’accroître les pouvoirs de l’Union européenne si besoin est. Ils s’étaient désignés comme les « amis de la méthode communautaire ».
16Il n’est pas surprenant que, fidèles à l’injonction initiale de M. Giscard d’Estaing d’essayer de garder le meilleur de chacune des deux approches, les conventionnels, puis les Etats, se soient mis d’accord sur une vision de l’Union européenne fondée sur la double légitimité des Etats et des citoyens, une Communauté des Nations. Certains diront que le produit final était en réalité le résultat de marchandages ad-hoc plutôt qu’une synthèse de visions politiques. Le fait est qu’il ne présentait pas une “troisième voie” capable de dépasser la tyrannie des dichotomies qui semble parfois faire de l’Europe une guerre de tranchées symbolique. L’ironie cependant, c’est que l’Union européenne telle qu’elle est aujourd’hui contient tous les ingrédients nécessaires pour cette troisième voie. L’ébauche de Constitution excelle lorsqu'elle reconnaît et construit à partir de ce que nous avons : notre démoi-cratie européenne.
Un demos européen ?
17La thèse défendue ici exige de faire un détour par la théorie de la démocratie puisqu'à la racine du conflit entre intergouvernementalistes et supranationalistes, on trouve une ligne de faille plus fondamentale quant à l’état actuel et souhaitable du rapport de l’Union européenne à la démocratie. Une opinion généralement admise est que toute démocratie implique un demos, c'est-à-dire un groupe d’individus ayant suffisamment en commun pour désirer et être à même de prendre des décisions collectives sur leurs propres affaires. Dans le mode représentatif de la démocratie, cela se traduit par la possibilité d’approuver ou non la façon dont ils sont gouvernés. Une démocratie européenne signifierait alors la possibilité de démettre ceux qui nous gouvernent à Bruxelles. En d’autres termes, si une majorité d'Européens s’exprime d’une certaine façon, la minorité devrait considérer leur décision comme définitive et légitime. C'est pourquoi, il faut se demander : existe-t-il un demos européen susceptible d'exprimer une telle approbation ? Pourrait-il exister ? Est-il même souhaitable ?
18Depuis le célèbre jugement de la Cour suprême allemande de 1994, une réponse s'est vue conférer un caractère légal : la thèse dite du nondemos. D’après la Cour Allemande, la démocratie implique un demos ; or, il n’y a pas de demos européen, mais seulement des demoi nationaux. D'où la conclusion que la démocratie au niveau européen est une entreprise vaine. Les fonctions étatiques exigeant de par leur caractère un contrôle démocratique effectif (du maintien de l’ordre au contrôle des frontières) ne devraient jamais être accordées à l’Union européenne.
19Assurément, pour ceux qui se désignent comme des « nationalistes civiques » en Grande Bretagne, ou des « nationaux-souverainistes » en France, la nation n’a pas besoin d’être de nature ethnique, mais elle doit tout au moins fournir les bases d’un sens de l’appartenance partagé, lequel peut tenir à une langue, une culture, une histoire ou des habitudes politiques communes. Telle est la condition préalable de toute démocratie représentative : accepter de faire partie de la minorité aujourd’hui, ou bien parce que l’on espère participer à la majorité demain, ou bien parce que l’on sait que l’on partage assez avec nos compatriotes (une idée de la « bonne société ») pour que toute majorité nous excluant formellement respecte tout de même nos droits et croyances. Partant, ce n’est pas par réflexe réactionnaire que l’on défend la souveraineté nationale, mais parce qu'il s'agit de la garantie ultime de la démocratie elle-même. L’Europe est un espace où sont conclus des accords entre Etats, un espace de démocratie indirecte où nos hommes politiques sont supposés être responsables à l'égard de leurs électeurs pour leurs actes à Bruxelles. C'est seulement à contrecœur que les souverainistes admettent qu’un minimum de démocratie directe doit être injecté au niveau européen par le biais du Parlement européen et que les affaires européennes doivent être plus transparentes, compréhensibles et redevables aux citoyens des Etats membres. Mais ils s’opposent à la création d’un lien direct entre les citoyens et les institutions européennes (par exemple, à un président de la Commission élu au suffrage universel). Les affaires européennes appartiennent à l’intergouvernementalisme.
20De l’autre côté, nous trouvons tous ceux qui croient en un demos européen. Les supranationalistes envisagent l’Union européenne comme l'amorce d'un transfert progressif des allégeances des Etats vers l’Union. Des politiques et des programmes communs créent des solidarités de fait entre les citoyens des différents états et encouragent la mobilité des étudiants, des ouvriers, des professionnels ou des entreprises. A son tour, cette « européanisation » progressive est à la fois l’origine et la conséquence du développement d’un espace public européen dans lequel les politiques nationales convergent vers la création d’une culture et d’un « langage » politique européens et, à la fin, vers une nation civique européenne. Les supranationalistes traditionnels croient en l’émergence d’une identité européenne coexistant avec des identités locales ou nationales. Si, comme l'affirmait Anderson, les identités collectives sont aussi bien construites que transmises de génération en génération, pourquoi ne pourrait-il pas y avoir une identité européenne imaginée (imagined) ? De nouvelles constructions identitaires peuvent se superposer à des identités nationales plus anciennes, elles aussi construites, par l’élaboration de nouveaux symboles communs et des récits historiques véhiculés dans les cursus scolaires et dans les médias, ainsi que par la projection rétrospective dans le passé d’une « destinée commune ». Une telle vision inspire nombre de militants de la cause européenne.
21Il y a bien sûr des nuances. Tandis que certains croient en l’existence d’un demos européen, d’autres s'accordent plutôt sur le fait qu’il y aurait un « demos en devenir », lequel présagerait d’une identité européenne émergente. Mais en définitive, tous les supranationalistes pensent que l’émergence d’un demos européen est à la fois possible et souhaitable dans un futur prévisible. Cela implique en retour que la démocratie dans l’Union européenne puisse et doive être améliorée avant tout conformément aux principes traditionnels de la démocratie représentative majoritaire : deux chambres législatives et un mandat de « premier ministre » émanant d'elles à la tête de la commission.
22Le défi constitutionnel devait-il nécessairement être conçu comme un compromis entre ces deux visions de la démocratie ? Pas si nous reconnaissons que cette version du grand compromis fait l'impasse sur le point crucial : ces deux visions de la démocratie en Europe ne sont rien d’autre que les deux faces de la même pièce. La pensée des souverainistes comme des supranationalistes est en effet centrée sur l’Etat. Les symboles chers aux supranationalistes tels qu’un même drapeau, un même passeport, une même fête nationale ou un même hymne pour l’Europe ainsi que des manuels racontant une histoire « européenne », tentent de recréer au niveau européen la mystique de l’Etat-nation. Les deux bords sont prisonniers d’un même paradigme qui voudrait que la communauté politique soit fondée sur l'existence d'un demos unique, lequel, à son tour, dépend d'une identité commune à tous ses membres - que cela condamne à rester au niveau national ou appelle au contraire un Etat-nation Européen. Toutes deux croient que les communautés politiques doivent être des communautés identitaires; toutes deux font écho à la définition de Gellner du nationalisme qui exige la congruence des unités politiques et nationales.
23Nous ne sortirons de cette crise identitaire européenne que si nous apprenons à célébrer le fait qu’après un demi-siècle d’existence, l’Union européenne s’est établie comme un nouveau genre de communauté politique reposant sur la pluralité persistante des peuples (demoi). Le choix ne se réduit pas à l’alternative : nationalismes nationaux, nationalisme continental. L’UE est et doit continuer à être une demoï-cratie en devenir, une Europe des peuples, par les peuples.
24Il y a pourtant une troisième voie pour l’Europe. Les souverainistes doivent accepter le fait que l’Union européenne est effectivement une communauté de peuples ou de communautés – et pas seulement d’Etats – des peuples qui devraient prendre une part directe dans les politiques européennes. Les supranationalistes doivent accepter que la démocratie en Europe n'exige pas que cette communauté devienne un demos unique dont la volonté s'exprime par le biais d’institutions étatiques traditionnelles.
La troisième voie : une démoï-cratie européenne
25Après un demi-siècle d’existence, l’Union européenne s’est établie comme un nouveau genre de communauté politique reposant sur la pluralité persistante des peuples qui la compose : ses demoï. Il s’agit là plus que d’une version particulièrement forte d’une confédération d’Etats souverains, puisque ses peuples entrent directement en relation les uns avec les autres, et non pas seulement par le biais des négociations de leurs dirigeants. Cependant, dans la mesure où ces peuples sont organisés en Etats, ceux-ci continuent à être au centre de la construction européenne. En bref, l’Union européenne est et doit continuer à être une demoï-cratie en devenir ; une demoï-cratie assujettie aux règles de ses peuples, pour ses peuples et avec ses peuples.
26Notre demoï-cratie européenne n’est ni une simple Union des démocraties, ni une Union pour la démocratie. Notre demoï-cratie européenne est bien plutôt une invention politique unique visant à créer et organiser des interdépendances multiformes, non seulement économiques, mais aussi démocratiques.
27Cette troisième voie repose sur la prémisse que l’Etat-nation est une catégorie trop importante en Europe pour être détournée par l’Union européenne elle-même. C’est précisément pour défendre la démocratie dans le cadre de l'Etat-nation que nous devons « faire autre chose » et « mettre en place quelque chose d’autre » au niveau de l’Union européenne. Si l’Union européenne n’est pas aujourd’hui un Etat, nous ne devrions pas vouloir qu'elle en devienne un. Au lieu de cela, elle doit être envisagée comme une Union des Etats et des Peuples.
28C’est la raison pour laquelle une telle troisième voie est placée sous l’égide de la pensée post-nationale à la Habermas. Une communauté post-nationale constitue une alternative à – et non pas une réplique de – l’Etat nation dans laquelle la citoyenneté doit être conceptuellement détachée de la nationalité. Et pourtant, pour en revenir aux propos introductifs, l’approche post-nationale tend à devenir une version du supranationalisme traditionnel, lorsqu’il se met à puiser dans des catégories conceptuelles qui permettent d’exclure un ou des autres. C'est pourquoi l’idée d’une demoï-cratie européenne en présente une version à la fois plus large et plus radicale puisqu’elle tire des prémisses leurs conséquences ultimes, impliquées par le pluralisme et le rejet du discours identitaire classique pour « faire l’Europe » politique. Dans ce sens, une demoï-cratie Européenne accomplie participerait aussi bien de la vision libérale que de la vision cosmopolite. Non pas libérale tel que ce terme est souvent compris sur le continent, c'est-à-dire le libre-échange plus les droits de l’homme. Mais libérale dans la mesure où elle met l’accent sur les exigences éthiques et politiques qu'entraîne la présence des autres parmi nous. Non pas cosmopolite au sens de la revendication de l’incongruité des frontières nationales. Mais cosmopolite dans la mesure où elle insiste sur les responsabilités et les opportunités créées par l’existence des autres au delà de nos frontières.
29Il s'agit là du manifeste trop implicite que contenait le projet de constitution ou, du moins, ce que l'on pouvait tirer d'une lecture bienveillante de celui-ci. Si l’Union européenne actuelle est une « démoicratie européenne » émergente, elle en est une très imparfaite. Le projet actuel a échoue pour de multiples raisons, y compris justement parce qu’il était perçu de façon négative comme un compromis donnant trop aux souverainistes pour les uns, trop aux supranationalistes pour les autres. Tant que la troisième voie pour l’Europe n’est pas définie positivement, mais comme un (suspect) entre deux, elle a peu de chance d’être appropriée par le plus grand nombre et partant d’emporter leur adhésion.
30Plus précisément, une Constitution instituant l’Union européenne sous la forme d'une demoï-cratie implique trois déplacements consécutifs par rapport au mode de pensée prévalant dans les milieux constitutionnels classiques. Le premier : de l’identité commune vers le partage des identités ; le second : d'une communauté d’identité vers une communauté de projet ; et enfin : des formes de gouvernance à plusieurs niveaux vers des formes de gouvernance à centres multiples.
Identité fusionnelle, identité relationnelle
31Notre demoï-cratie européenne est fondée sur la reconnaissance mutuelle, la confrontation et le partage de plus en plus exigeant de nos identités respectives et distinctes ; pas sur leur fusion. L’Union européenne est une communauté d’autres. D'une certaine manière, ce premier déplacement était déjà contenu dans l’intuition des pères fondateurs : l’appel à une union toujours plus étroite, mais non une fusion entre les peuples d’Europe. Que l’on garde ultimement cette expression qu’ils récusent ou pas, il faut que les souverainistes admettent que ce qui importe ici est le « s » de la formulation « peuples d'Europe ». De leur côté, les supranationalistes doivent accepter qu’un texte fondateur de l’Union ne doit pas appeler à l'émergence d'une communauté homogène dans laquelle la solennité de la loi serait fondée sur la volonté d’un seul demos. Le projet de Constitution respectait d’ailleurs au contraire les identités nationales de ses Etats membres telles qu'elles se reflètent dans leurs structures politiques et constitutionnelles fondamentales qu’énonce un de ses premiers articles. En termes politiques, une demoï-cratie ne se fonde ni sur une identité commune, ni sur une vie politique et un espace public européen uniques. Au lieu de cela, elle exige une curiosité avertie de la vie politique de nos voisins et des mécanismes qui permettent à nos voix d’être entendues dans les forums des uns et des autres. Au moment approprié, une politique multinationale devrait émerger des confrontations, des compromis et des prises en compte mutuelles de nos cultures politiques respectives. Les partis politiques transeuropéens, ainsi que les medias, ont un rôle clef à jouer à cet égard. Il faudra bien que nos hommes politiques réfléchissent plus à fond aux incitations qui pourraient être utiles dans cette perspective.
32L’identification mutuelle rend compatible la diversité et l'intégration. Nous n’avons pas besoin de développer une identité commune si nous n’avons aucun problème à emprunter celles des autres. Nous n’avons pas besoin d’inventer une histoire européenne commune si nous apprenons à emprunter le passé des autres et à nous identifier, par exemple, aux victimes des crimes que notre nation a pu commettre comme Ferry le souligne avec verve (Ferry 2000). La clause constitutionnelle, introduite dans le traité de Maastricht, qui déclare qu’en dehors de l’Union européenne, nous pouvons bénéficier des consulats des uns et des autres, fournit une métaphore appropriée : à l’étranger, je peux être un peu anglais et un peu italien – plus qu’européen per se. Qu’avons nous à gagner à faire virer l’arc-en-ciel au blanc ?
Une communauté de projet
33Mais qu’est ce qui nous lie alors ? Cette question nous amène au second déplacement par rapport aux idées prévalant dans les milieux constitutionnels. A la lecture des traites existants, il est très clair que cette communauté politique ne repose pas, comme cela est habituellement supposé avec les Etats-nations, sur une identité partagée, mais plutôt sur des projets et des objectifs partagés. Comme il est dit dans son tout premier article, les Etats membres confèrent des compétences à l’Union européenne « afin d’atteindre des objectifs qu’ils ont en commun » et non pas parce que ce serait l'expression d’une sorte d’essence collective de type étatique. Ces objectifs sont ensuite exhaustivement définis ; cela va de la promotion de la paix, de la justice sociale ou des droits des enfants, jusqu’aux actions pour un développement durable, le plein emploi ou la solidarité avec les générations futures. Un des plus grands griefs faits au projet de Constitution, en particulier à sa partie 3 tant décriée, a été qu’elle était trop longue et détaillée. Effectivement, la liste est longue et chacun de ces objectifs donne lieu à un chapitre. Le problème est bien que comme il ne s’agit pas pour l’Union de s’approprier ses domaines d’action, mais plutôt de soutenir dans chacun d’eux l’action des Etats membres, les modes d’actions communs doivent être explicites dans des détails qui peuvent paraître aberrants.
34Dans une communauté de projet, le sens de l’appartenance à – et de l’engagement envers – l’Union européenne doit être fondé sur l’agir plus que sur l’être, sur des ambitions partagées, tant sur le plan interne que sur le plan externe. Une communauté de projet n’est pas nécessairement moins exigeante qu’une communauté d’identité. Elle est en revanche volontaire et différentielle plutôt qu’essentialiste et holiste. Il vaut la peine de se rappeler que l'objectif du marché unique demeure le projet le plus massivement partagé en Europe. En d’autres termes, l’européanisation des citoyens nationaux à travers les opportunités et les bénéfices auxquels donne lieu l’Union n’exige pas ou ne conduit pas forcément à leur européanité.
35Cela empêche t’il que l’appartenance à l’Union soit définie à travers ses valeurs ? L’on revient à la controverse de départ et au sujet développé ici par Jean-Marc Ferry et Justine Lacroix. Le sujet dépasse bien sûr de loin la question constitutionnelle. Mais pour ce qui est de celle-ci, il est difficile de voir en quoi l’énumération de valeurs qui sont, après tout, universelles sinon universellement appliquées pourrait être en soi un péché de lèse-libéralisme. Les valeurs qui y étaient énumérées – respect de la dignité humaine, de la liberté, de la démocratie, du règne de la loi et des droits de l’homme – sont des valeurs à usage politique, ou, du moins, c’est comme cela qu’il faudrait les comprendre, comme l’expose justement Ferry. Une autre façon d’exprimer la même exigence est de souligner qu’il devrait s’agir là aussi de refuser de distendre le lien entre valeurs et actions en ce qui concerne l’Union. En l’occurrence, ce qui importait dans la constitution, n’était pas la proclamation de ces valeurs, mais la praxis qui leur est associée. La liste des valeurs est limitée et brève (est-ce là tout ce en quoi nous croyons ?) parce qu’elle est en fait « justiciable ». Un Etat membre peut voir ses droits suspendus et, en dernier recours, se voir expulsé pour avoir agi contre elles. Ce qui devrait nous poser problème est de voir ces valeurs essentialisées dans le discours politique et philosophique. Combien de fois n’a-t-on pas entendu la thèse selon laquelle, même si elles sont devenues universelles, il faut rappeler l’appellation d’origine de ces fameuses valeurs dans une belle démonstration d’ethnocentrisme, ce que j’appelle le syndrome du « invented here ». Laissons la controverse aux historiens. Ce qui importe est que les valeurs auxquelles nous tenons ne soient pas le substrat d’une identité européenne par définition exclusive, mais plutôt servent d’inspiration pour une action ambitieuse.
Le transnationalisme comme horizon de l’intégration
36Le troisième déplacement par rapport aux idées prévalant dans les milieux constitutionnels consiste à traduire l’ethos de la reconnaissance mutuelle des identités et des projets partagés en termes légaux et institutionnels. Une demoï-cratie ne doit pas se fonder sur une compréhension verticale de la gouvernance, avec des normes constitutionnelles supranationales supplantant celles des nations et des institutions supranationales placées au-dessus des institutions nationales. Au lieu de cela, notre demoï-cratie doit naître d’un mode de partage horizontal de la responsabilité et d’un transfert horizontal de souveraineté entre Etats plutôt que des Etats à « Brussels ». Elle implique un dialogue plutôt qu’une hiérarchie entre les différentes autorités politiques ou légales, tels que les Cours constitutionnelles, les parlements nationaux et européens et les exécutifs nationaux et européens. Il s’agit d’une gouvernance multi-centrée et non seulement à multi-niveaux, avec des décisions qui ne sont pas prises par Bruxelles, mais à Bruxelles, aussi bien que partout ailleurs en Europe. Pour ce qui est des règles, des procédures et des institutions, une demoï-cratie européenne n’est ni nationale, ni supranationale, mais transnationale.
Le constitutionalisme à l’aune de l’idéal demoï-cratique
37Il se peut que l’on abandonne à nouveau l’ambition constitutionnelle pour un temps en Europe. Mais elle refera inéluctablement surface (Nicolaidis 2005a). Et il faudra à nouveau se demander à quoi un projet (radicalement ou marginalement) amendé devra ressembler dans l’esprit de la demoï-cratie. Pour certains, l’idée même d’élaborer une constitution constituait de toutes façons un anathème envers l’esprit non hiérarchique de gouvernance qu’ils reconnaissent dans l’Union. Pour Joseph Weiler par exemple, l’Union européenne a été fondée jusqu’à présent, sur ce qu’il a décrit comme une tolérance constitutionnelle en vertu de laquelle les constitutions nationales et les tribunaux qui les protègent ont coexisté sans le besoin d’une voûte d’ensemble. Pour pallier l'absence d'une constitution supranationale formelle supplantant les constitutions nationales, les Européens ont choisi de renouveler constamment et volontairement leur engagement envers leurs règles communes tandis que se poursuivait le dialogue portant sur les implications d’un tel engagement. Ceux-la diraient que c’était une erreur de chercher à écrire une Constitution pour l’Europe et que le non est une bénédiction, qui nous permet de revenir à la logique antérieure de tolérance constitutionnelle.
38Les tenants du patriotisme constitutionnel de leur côté récusent une telle conclusion, même s’ils partent des mêmes prémisses, c’est-à-dire la nécessité d’inventer une logique différente de celle des nations au niveau européen. Le pari constitutionnel européen était, et continue d’être, d’écrire une constitution d’un type nouveau détachée des paradigmes nationaux. Peut être vaudrait-il alors la nommer autrement – alors on ne pourrait plus parler de patriotisme « constitutionnel » au niveau européen. Plus généralement, il ne s’agit pas ici de proposer un post-mortem du projet constitutionnel, mais plutôt de suggérer par quelques exemples ses points de convergence et de divergence avec l’idée de demoï-cratie européenne.
39Dans cette optique, les débats autour de la notion de "fédéralisme" ont valeur paradigmatique. Comme dans le passé, le terme de fédéralisme pour qualifier l’Union a bien sûr opposé les supranationnalistes et les souverainistes. Cependant, le fédéralisme ne veut pas dire plus d’Europe et moins d’Etats-nation tel qu’il est compris au Royaume-Uni. Il ne signifie pas non plus simplement un gouvernement décentralisé (comme les Allemands aiment le souligner), ce qui est un point de vue toujours empreint d’un mode de pensée hiérarchique. En réalité, il s'agit d'un mode d’organisation aussi ancien que la société humaine qui s'adapte à l’existence de plusieurs demoi plutôt qu’à un seul demos. Le fédéralisme ne devrait pas signifier qu’il faut constituer une seule entité administrative à partir de plusieurs, même si celle-ci est décentralisée. Il signifie au contraire : préserver ce qui est distinct, le demoi, en dépit de tout ce qui est commun. Si nous oublions cela aujourd’hui, c’est parce que, tandis qu'Althusius développait la notion au 17ème siècle contre la vision qu’avait Bodin de l’Etat, l’histoire du fédéralisme est celle de sa subversion progressive par le paradigme étatique de la centralisation. Il faut donc reconnaître aux souverainistes soft la légitimité de leur méfiance vis-à-vis de cette dynamique. En même temps, il faut reconnaître aux supranationalistes la pertinence du terme de fédéral pour designer le modus operandi de l’Union, bien évidemment seulement dans les domaines où elle a des pouvoirs. Cette constitution aurait dû être suffisamment audacieuse pour présenter l’Union européenne comme une union fédérale et non pas comme un Etat fédéral–une distinction qui ne rentre pas dans la problématique du patriotisme constitutionnel; elle aurait alors sauvé le bébé fédéral de son eau de bain étatique. Au lieu de cela, et il s'agit là d'un second choix acceptable, elle évoquait dans son tout premier article la « voie communautaire » de règlement des affaires ce qui ne pouvait que renforcer le sentiment d’obscuration de beaucoup d’électeurs.
40Ceci dit, le projet de constitution est le plus souvent fidèle au paradigme de demoï-cratie européenne en réaffirmant la validité de la voie communautaire de ces dernières décennies. Par exemple, le principe de la reconnaissance mutuelle des lois et des régulations est intégré dans les articles inchangés consacrés au marché unique ; c’est là la forme de reconnaissance hautement régulée et encadrée qui a été adoptée dans les années 1980. Dans le même esprit, les articles révisés qui servent de base de travail pour la mise au point dans les domaines de la justice, de la sécurité et de la liberté ont placé la reconnaissance mutuelle des pratiques pénales et judiciaires au centre de la coopération entre les policiers et les juges. Il n’est fait appel qu'à un minimum de normes communes et seulement dans la mesure où elles s'avèrent nécessaires pour assurer une confiance mutuelle. Lorsqu’il s’agit de créer des garde-fous contre les risques potentiels liés à la liberté de mouvement des gens et des marchandises à l'intérieur des frontières européennes, l’Union n’a pas recours à un FBI européen. Une demoïcratie n'exige des règles ou des institutions de supervision que lorsqu'il n'est pas possible de remédier efficacement aux « crimes » au niveau national. Mais c’est là peut-être justement, que le bât blesse. La réaction passionnée et quasi unanime à la directive Bolkestein qui a inaugure la montée du non à la Constitution témoigne du fait que cette philosophie est loin d’avoir fait son chemin dans les esprits français. La directive avait besoin d’une sacrée toilette, mais n’était pas contestable dans son principe qui consiste à décider ensemble où commencent et où s’arrêtent les différences légitimes et donc tolérables entre pays d’origine et pays destinataires. Toute interaction, toute interdépendance et a fortiori toute intégration formelle est conditionnée par l’identification de telles différences légitimes entre groupes, nations, systèmes sociaux et systèmes politiques. Mais le fait même de partir d’un tel présupposé – la différence légitime jusqu'à preuve du contraire – est conditionné par un vouloir être ensemble. Il se peut que le dernier élargissement ait accentué les différences en Europe à tel point, amoindrissant si considérablement le sentiment d'appartenance à ce grand ensemble, que la logique soit aujourd’hui à réinventer. Il faudra qu’une constitution européenne, si un jour elle existe, sache raconter cette histoire-là entre l’apologie des différences nécessaires et légitimes et le besoin de convergences qui rassurent.
41Sur un autre plan, on peut se demander quelle version juridique de la citoyenneté européenne correspond à l’idée de demoï-cratie. La citoyenneté dans l’Union a presque toujours été rattachée aux droits horizontaux avec la liberté de mouvement et la non-discrimination sur la base de la nationalité – droits que nous exerçons lorsque nous traversons les frontières à l’intérieur de l’Union européenne. Mais au moins ces droits figuraient de façon éminente au sein du projet de constitution. Malheureusement, ses auteurs n’ont pas eu l’imagination ou le courage d’étendre de manière explicite l’octroi mutuel de droits politiques dans les entités politiques des uns et des autres ; ils ne veulent pas aller au-delà du droit de vote aux élections locales mentionné dans le traité de Maastricht. Comme le montre Magnette dans son travail, les Grecs de l’Antiquité appelaient cela le principe de l’isopolitie (Magnette 1999). Conformément à ce principe, les cités devaient, sur une base réciproque, accorder des droits équivalents aux citoyens étrangers qui résidaient à l'intérieur de leur enceinte. En même temps, la constitution renforce l’aspect vertical des droits – la sympolitie chez les Grecs – en incorporant la Charte des droits fondamentaux. En renforçant le pouvoir des citoyens vis-à-vis de leur Etat, la Charte s’inscrit dans une tendance universelle qui découple la notion de droits de celle d’appartenance à une entité politique. De ce fait, les citoyens non européens qui vivent sur le sol de l’Union européenne bénéficient eux aussi de ces droits. La portée de la Charte ne devrait pas être exagérée, comme cela est souvent le cas en Grande-Bretagne. Elle est censée protéger des abus de pouvoir au cours du processus de construction et de mise en œuvre des lois de l’Union européenne, mais elle n’est pas destinée à supplanter les pratiques nationales.
42La Convention avait pour mission de s’atteler à la répartition des pouvoirs entre les Etats et l’Union et de répondre aux craintes largement répandues d'une « prolifération des champs d'intervention ». Là encore, la constitution ne change pas les données de base : l’Union européenne est toujours largement exclue des domaines étatiques dont la plupart des citoyens se soucient le plus et qui font l’objet de débats démocratiques intenses au niveau national. Des fonctions sociales telles que la sécurité sociale, la santé et l’éducation jusqu’à celles relatives à la défense et à la sécurité nationale, aucune « majorité européenne » ne peut dire ce qu'il convient de faire à la majorité des citoyens d’un Etat donné. Pour ce qui concerne les fonctions de l’Etat-providence telle que la sécurité sociale, l’Union européenne ne se prononce que lorsque le libre mouvement des individus est en jeu. Le veto est maintenu à juste titre pour les impôts et la défense, lesquels impliquent un type de sacrifice réciproque qui est toujours rattaché à un demos individuel. Le plus important est que, pour la première fois dans l’histoire de l’Union européenne et du fait d’un des mouvements les plus audacieux de la Convention, l’expansion des pouvoirs de la Communauté est soumise à un « système d’alerte préventif », c'est-à-dire que les parlements nationaux, sur la base de la subsidiarité, peuvent exercer un droit de veto sur les lois de l’Union européenne. La supposition ici est que la gouvernance doit intervenir au niveau le plus bas possible. Contrairement à ce que craignent beaucoup de supranationalistes, un tel contrôle démocratique au niveau national sur l’expansion des pouvoirs de l’Union européenne ne signifie pas « moins » d’Europe. Il est dans la droite ligne de l’esprit de la demoï-cratie que des représentants élus directement contrôlent les limites des compétences au nom des majorités nationales individuelles.
43En effet, une Union européenne ne peut pas faire reposer sa légitimité sur une démocratie représentative à la façon de ses Etats membres. Par-delà le type classique de démocratie à la Westminster, il est peut-être possible pour l’Union européenne de promouvoir de nouvelles formes de démocratie participatives et délibératives – y compris par le recours au moyen du Web – qui soient plus ambitieuses et plus inclusives que celles existant dans les Etats membres eux-mêmes, mais qui n’agrègent pas les expressions de la volonté populaire. Dans cet esprit, le projet de constitution consacre des articles séparés à la démocratie participative et s'est vu complété à la dernière minute d'une clause autorisant l’initiative des citoyens. Mais le projet de constitution échouait à faire comprendre ce qui importe pour une demoïcratie, à savoir que la question de la démocratie en Europe ne se limite pas aux rôles des citoyens et de la société civile dans la gouvernance de l'Union européenne, mais qu'elle concerne aussi le rôle de la gouvernance de l'Union européenne dans le soutien aux sociétés civiles vivantes et à la démocratie locale dans les Etats membres.
44Ce qu’implique en dernière instance le fait de voir l’Union européenne comme une demoï-cratie a un rapport avec la nature et la permanence du lien qui unit les peuples de l’Europe. Peut-être que le critère le plus important qui distingue l’Etat d'une union est le « droit de se retirer », comme l’ébauche l’indique. L’inclusion d’un tel droit dans le projet de constitution attestait de l’intuition largement partagée dans la Convention que les différents peuples impliqués dans l’aventure de l’Union européenne se sont mis ensemble par choix et qu'ils continueraient à se percevoir comme demoi séparés. Cette clause a été fortement contestée par quelques supranationalistes qui ont fait remarquer qu'elle n'était pas prévue dans les précédents traités et qu'elle constituerait une régression dans le cheminement vers l’intégration. Cependant, le droit de retrait doit être ardemment défendu non pas en tant que concession à la souveraineté nationale, mais au nom de la démoi-cratie dans l’Union européenne. Plus simplement, si, dans un pays, une majorité souhaitait un jour se séparer du tout, elle devrait pouvoir le faire.
45La plupart de ces caractéristiques auraient dû sonner agréablement aux oreilles des eurosceptiques tout en n'étant pas considérées par les euroenthousiastes comme des obstacles insurmontables sur la voie de l’intégration. Il y avait pour autant un point majeur dans le projet et concernant la sempiternelle question institutionnelle : qui devrait gouverner l’Union européenne ? Paradoxalement, les gouvernements britanniques et français ont agi en promouvant une innovation qui ne semble pas faire écho à l’esprit de la demoï-cratie, à savoir, la création d’un poste de président permanent du Conseil européen. Combiné avec un président de la Commission élu au suffrage indirect, le système de l’Union européenne se rapprocherait insidieusement d’un modèle national qui associerait un chef d’Etat avec un premier ministre. Les pays de petite et de moyenne taille s’y sont opposés, mais en vain. Toutefois, une rotation à la tête de l'Union devrait être défendue, pas seulement au nom de l’égalité entre les Etats membres, mais aussi en tant que symbole institutionnel clef de l’idéal de la demoïcratie. De nos jours, la présidence tournante fait comprendre dans une certaine mesure que la politique de l’Union européenne n’est pas « faite à Bruxelles » mais qu'il s'agit d'une entreprise partagée et décentralisée menée partout en Europe, d’Helsinki jusqu’à Lisbonne. Quel meilleur symbole de nos demoi que la famille des villes européennes ? Aujourd’hui le défi reste entier qui est de trouver une solution associant le besoin de permanence avec le partage du leadership dans l’Union.
46Certains ont comparé ces débats constitutionnels à ceux ayant eu lieu à Philadelphie, en 1787. D’autres ont répondu que cette comparaison était beaucoup trop ambitieuse. Il n'en demeure pas moins que la mission de cette Convention constitutionnelle est au plus au point exigeante. Jefferson et Madison n’ont pas eu affaire à Internet, pas plus que leur dialogue ne comprenait les femmes, les pauvres et les indigènes. Plus important encore, les treize Etats américains étaient des squelettes d’Etats et non pas des Etats-providence pleinement développés et reconnus comme ceux de l'Europe actuelle, avec leurs longues histoires, leurs identités nationales fortes, leurs différentes langues et leur obsession à l'égard de la souveraineté nationale.
47Il est probable que d’ici deux ou trois ans, on s’attelle à produire un nouveau projet de constitution. Le défi sera immense et en même temps aidé par l’existence d’un premier jet. Il faudra transformer l’essai. En fait, le type de constitution dont l’Union européenne a besoin ne s'est jamais rencontré auparavant. Il s'agit d'une constitution qui devrait nier la supposition étayant d'habitude les constitutions, à savoir, la préexistence d’un demos constitué ou même d’un demos en cours de constitution par le moment constitutionnel lui-même. C’est une constitution qui devrait poser les fondements d’une authentique demoï-cratie européenne et nous aider à dépasser les dichotomies traditionnelles – les variantes du plus ou moins d’Union européenne– pour cheminer vers une Union européenne différente, acceptée par le plus grand nombre, à savoir une large majorité des citoyens européens. Une idée intéressante a été avancée à la Convention avant d'être malheureusement oubliée : il s’agissait, pour chaque pays membre de l’Union européenne, de s’engager avec un Préambule le citant de manière individuelle : « Nous, peuple de Grande-Bretagne », « Nous, peuple de France …». Un tel dialogue de demoi aurait pu être énoncé par des écoliers des différents pays européens, ce qui aurait constitué un départ approprié.
48Obsédés comme nous le sommes par le mirage de l’unique et de l’unité, nous avons tendance à négliger la nature radicale de l’ouverture et de la reconnaissance mutuelles des identités et de la citoyenneté qui ont, au moins partiellement, caractérisé l’Union au cours des dernières décennies. Au sein d’une Union européenne élargie, dans une Union européenne dont les ambitions pourraient être celles d’un médiateur global, cet esprit de la demoï-cratie européenne est plus nécessaire que jamais.
49Inspirons-nous de l’accueil enthousiaste de Frank Thompson devant la perspective d’une union de l’Europe de l’Ouest, juste avant sa mort dans la résistance en 1944 : « Comme il serait merveilleux d’appeler l’Europe une seule patrie et de penser à Cracovie, Munich, Rome, Arles et Madrid comme des villes de chez soi….
50Les différences entre les peuples européens, même si elles sont importantes, ne sont pas fondamentales. Ce qui différencie les gens ne fait que leur donner plus d'attrait les uns aux autres ». Après un demi-siècle de paix, célébrons avec lui le plaisir qui peut être tiré de la multiplicité de l’Europe, de ses nations, de ses folklores, de ses langues, de ses milieux politiques et de ses villes, ainsi que des attractions réciproques qui se déploient entre ses peuples distincts.
Bibliographie
Références bibliographiques
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- Kumm Matthias (2005) “Thick Constitutional Patriotism and Political Liberalism : On the Role and Structure of European Legal History” in German Law Journal, Vol 6, n°2
- Magnette Paul (2005), What is the European Union, Basignstoke, Palgrave
- Magnette Paul (1999), La Citoyennete Europeenne, droits, politiques, institution, Éditions de l’Université de Bruxelles, collection " Etudes européennes "
- Moravcsik Andrei, “Europe without illusions”, Prospect, July 2005
- Müller Jan-Werner, “A Thick Constitutional Patriotism for Europe ? On Morality, Memory and Militancy” , Draft paper
- Nicolaidis Kalypso (2005a), “UE : Un Moment tocquevillien” Politique Etrangère, 3/2005
- Nicolaidis Kalypso (2005b) “La France doit changer d’UEtopie” Le Monde, 7 Mai 2005
- Nicolaidis Kalypso (2005c), “The Struggle for EUrope” Dissent, October
- Nicolaidis Kalypso et Lacroix Justine (2003), “Order and Justice in the European Union,” in Foot R., Gadds J., Hurell A. (eds), Justice and Order in International Relations, Oxford University Press
- Weiler Joseph. H. H. (2001), “Federalism without Constitutionalism : Europe's Sonderweg”, in, Howse Robert et Nicolaïdis Kalypso (Sous la direction de), The Federal Vision : Legitimacy and Levels of Governance in the Us and the European Union
Notes
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[1]
Kalypso Nicolaidis (( www. sant. ox. ac. uk/ knicolaidis)enseigne les Relations Internationales à l’Université d’Oxford. Elle a co-édité avec Rober Howse La Vision Fédérale : Légitimité et Niveaux de Gouvernance aux Etats-Unis et en Union européenne (OUP, 2001).
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[2]
Bien evidemment, cette assertion ne s’applique pas a l’interieur de la théorie politique.