Notes
-
[1]
Ces chiffres doivent être relativisés au regard du poids du multilinguisme et de la dispersion géographique du PE, qui mobilisent au moins un tiers des effectifs du secrétariat général et absorbent environ la moitié du budget de l’institution.
-
[2]
Malgré le transfert graduel des services du secrétariat de Luxembourg vers Bruxelles, les deux tiers des agents du PE restent localisés dans le Grand-Duché.
-
[3]
Rapport sur l'état prévisionnel des recettes et des dépenses du Parlement pour l'exercice 2003, doc. A5-0117/2002 du 17 avril 2002.
-
[4]
Le coordinateur est le député chargé de superviser, pour le compte de son groupe politique, les activités d’une commission dont il est membre.
-
[5]
Rapport sur l'état prévisionnel des recettes et des dépenses du Parlement pour l'exercice 2003, op. cit.
-
[6]
En 2000, le PE comptait, sur un total de 3242 postes pourvus, 445 italiens, 409 Français, autant de Belges, 196 Luxembourgeois, mais seulement 276 Allemands et 240 Britanniques etc. (Priestley 2000 : 444).
-
[7]
La cogestion de l’assemblée a été quelque peu remise en cause par les résultats de l’élection de juin 1999, et la rupture de « l’accord technique » qui liait le PSE et le PPE à la suite du refus du second de se plier à la règle de l’alternance pour la désignation du Président de l’assemblée. Ce changement n’a toutefois pas pesé significativement sur l’organisation interne de l’assemblée.
-
[8]
Ce phénomène d’allers et retours entre les groupes politiques amène certains fonctionnaires à se présenter aux élections européennes. Le cas de Richard Corbett est à ce titre très symbolique : fonctionnaire du secrétariat général, il a été détaché auprès du groupe socialiste, puis élu au PE sous l’étiquette travailliste au Royaume-Uni. Il est, en outre, l’un des auteurs de référence sur le PE (Corbett 1998 ; Corbett et al. 2000).
-
[9]
On rappellera que, dans les études législatives comparées des années 1970, la capacité d’adaptation des parlements à leur environnement était l’un des principaux critères de leur degré « d’institutionnalisation » – sous-entendu, de « puissance » (Sisson 1973 ; Mezey 1979).
1L’administration des parlements n’est pas une question anodine. Elle détermine étroitement l’équilibre des pouvoirs, que ce soit en régime parlementaire, présidentiel ou dans le cadre du régime atypique que connaît l’Union européenne. L’existence d’une administration parlementaire efficace conditionne la réalité de l’autonomie des chambres vis-à-vis du pouvoir exécutif, et donc leur capacité à mettre en œuvre les compétences qui leur reviennent. L’administration n’a pas pour seule fonction d’assurer le bon fonctionnement de la délibération, à la manière du secrétariat d’un organe délibérant ou du greffe d’un tribunal : elle doit aussi et surtout permettre aux députés de disposer de l’expertise nécessaire à l’exercice d’un véritable contrepouvoir. L’histoire récente des parlements montre qu’un des enjeux principaux du rééquilibrage des pouvoirs dans les systèmes parlementaires est le développement d’une technostructure de la représentation capable de faire contrepoids à la bureaucratie du pouvoir exécutif (Avril 1993 : 502). On constate ainsi un renforcement généralisé des moyens alloués aux parlements, en réponse à une charge de travail accrue et à la montée en puissance de la fonction de médiation qu’induit la complexification des politiques publiques et des débats de société (Sallenave 1993 : 547).
2Qu’en est-il au Parlement européen (PE) ? Les acteurs et les spécialistes de l’institution se plaisent à souligner les spécificités de cette institution et à insister sur les contraintes – linguistiques, géographiques, politiques, organisationnelles – auxquelles elle doit faire face. Ce constat s’accompagne bien souvent de commentaires élogieux quant à l’efficacité relative dont l’assemblée fait preuve dans ce contexte hostile. Paradoxalement, les avis sont généralement plus sévères à l’égard des députés, auxquels il est reproché un fort absentéisme, un certain manque « professionnalisme » et un faible investissement dans leur mandat européen. Ce bilan contrasté laisse penser que l’administration joue un rôle clé dans le fonctionnement du PE et que son efficacité n’est pas étrangère à l’accroissement continu des pouvoirs de l’institution (Corbett 1998). Cette analyse s’accompagne souvent d’un parallèle, généralement implicite, avec le Congrès américain – au sein duquel l’administration joue un rôle clé et pallie les carences des élus – ou encore de l’idée selon laquelle le PE constituerait un laboratoire des transformations à l’œuvre dans les Etats membres. Les données brutes encouragent ce type de raisonnement, qu’il s’agisse des 4500 agents administratifs et assimilés que compte le PE (à comparer aux 2500 agents du Bundestag, aux 1.900 de la Chambre des députés italienne, aux 1300 de la Chambre des Communes ou encore aux 1200 de l’Assemblée nationale) ou de son budget global de plus d’un milliard d’Euros (plus du double de celui de l’Assemblée nationale) [1]. La nature souvent très technique des délibérations de l’assemblée et la tendance des médias à l’assimiler à un « tout bureaucratique » bruxellois jouent dans le même sens. Tous ces facteurs concourent à présupposer, plus qu’à démontrer, l’existence au sein du PE d’une administration puissante.
3Cette contribution est une remise en question d’un a priori qui cadre mal avec ce que l’on sait du fonctionnement du PE (Abélès 1992 ; Corbett et al. 2000 ; Costa 2001). Si les spécificités institutionnelles de l’Union et les contraintes particulières qui s’appliquent au PE étaient de nature à favoriser l’émergence d’un pouvoir administratif fort, tel n’a pas été le cas. L’administration joue certes un rôle clé dans le fonctionnement complexe du PE, mais elle n’a pas de réelle autonomie vis-à-vis des groupes politiques, est dépourvue « d’esprit de corps » et n’exerce aucune forme de leadership. Pour dire les choses autrement, elle ne constitue pas une bureaucratie au sens webérien du terme.
4Au milieu des années quatre-vingt-dix, François-Xavier Camenen, un administrateur du PE, avait déjà souligné la faiblesse de l’administration de l’assemblée et affirmé qu’elle était le produit de la « politisation » excessive du secrétariat général (Camenen 1995). Si l’on partage le constat initial de l’auteur, la définition de la « politisation » qu’il emploie semble problématique. Camenen base son analyse sur deux idéaux-types : celui de « pouvoir administratif », désignant une administration parlementaire capable – à l’extrême – d’influencer le pouvoir politique ; celui de « politisation », qualifiant une administration privée d’autonomie à force de soumission aux élus. La difficulté provient de ce que ces deux idéaux-types sont conçus comme étant antithétiques et constituant les deux extrémités d’un axe permettant de qualifier toute administration parlementaire. Il nous semble au contraire que les deux notions ne sont pas exclusives et que l’analyse du PE appelle une approche plus fine. Surtout, il importe de ne pas tirer de conclusions hâtives d’une éventuelle faiblesse administrative du PE.
Un contexte propice à l’émergence d’une administration parlementaire forte
5S’il est un aspect du PE qui se prête apparemment à une analyse comparée avec les chambres nationales, c’est celui de son administration. En limitant l’analyse à la dimension purement organisationnelle de l’institution on peut espérer évacuer la question de la supranationalité, dont l’impact se fait surtout ressentir sur le fonctionnement « politique » de l’assemblée, qu’il s’agisse de la délibération, de sa structuration partisane, de ses rapports avec les autres institutions ou encore du travail représentatif des élus. Il faut toutefois se garder d’une vision trop « managériale » de l’administration parlementaire et prendre acte des effets induits des multiples spécificités de l’institution.
6On doit revenir, en premier lieu, sur une histoire atypique, a priori favorable à la constitution d’une administration forte. L’Assemblée parlementaire des Communautés était, à l’origine, une chambre purement consultative qui ne siégeait que quelques jours par an, et dont les membres étaient peu impliqués dans la vie de l’institution. Tous étaient des parlementaires nationaux délégués par leur chambre, qui accordaient dans l’ensemble peu d’importance à ce second mandat. L’absence de pouvoirs formels de l’assemblée expliquait en grande partie cette attitude. Ce n’est qu’à la suite de la première élection directe du PE, en 1979, et de l’accroissement de ses pouvoirs au milieu des années quatre-vingt, que les députés ont pris une part plus active dans la délibération et le fonctionnement de l’assemblée ; la disparition progressive des « doublesmandats », de même que l’inflation du nombre d’élus, consécutive à l’élection directe et aux élargissements successifs, ont accentué le phénomène. Durant les trente premières années d’existence du PE, l’administration a néanmoins eu les coudées franches pour affirmer son autonomie et son caractère central, puisque les fonctionnaires étaient les principaux responsables de la continuité et de la cohérence des activités de l’institution. Précisons que les députés avaient obtenu, dès la création de l’assemblée, qu’elle soit dotée d’un secrétariat indépendant et non qu’elle partage – comme le suggéraient les représentants des Etats membres – celui du Conseil de l’Europe. En outre, l’assemblée a bénéficié d’emblée d’une totale indépendance administrative et a obtenu, dès la fin des années soixante-dix, la maîtrise de son propre budget ; aujourd’hui encore, à la différence de toutes les autres institutions, le PE échappe aux pressions du Conseil en la matière.
7D’autres facteurs étaient de nature à favoriser eux aussi la constitution d’une administration parlementaire puissante et autonome. On pense au fort taux de renouvellement des élus lors des élections européennes, à une durée moyenne de mandat nettement plus faible que dans les chambres nationales ou encore à l’éloignement géographique entre les lieux de travails du PE et les circonscriptions des députés et les capitales nationales.
8L’administration du PE a également bénéficié du régime linguistique choisi par les élus. Le recours systématique à toutes les langues officielles (onze aujourd’hui, soit 110 combinaisons linguistiques possibles), aussi bien pour la délibération en séance plénière, en commissions et dans les groupes, que pour la rédaction de l’ensemble des documents de travail et des textes officiels de l’assemblée, confère à l’administration un rôle incontournable. La contrainte linguistique a, plus largement, un retentissement sur l’ensemble des services qui oeuvrent au contact des députés ou du public ; elle exige en effet des effectifs renforcés, afin de garantir un minimum de pluralisme linguistique. Les députés ont souvent délibéré d’un possible aménagement du principe de stricte égalité entre langues officielles et langues de travail au sein de l’institution, en raison des coûts qu’il génère et de l’inflation continue du nombre de langues (21 dans l’UE à 25). En 1999, conformément aux conclusions d’un groupe de travail créé à ce propos, le bureau du PE a décidé de maintenir le principe de parité. Les dispositifs techniques d’interprétation connaîtront une évolution – en raison de l’impossibilité de disposer de 42 cabines de traduction dans chaque salle de réunion – mais les députés conserveront la possibilité de s’exprimer dans leur langue, de bénéficier d’une interprétation de tous les débats et de recevoir et présenter les documents dans la langue de leur choix.
9Le partage des activités et organes de l’assemblée entre Strasbourg, Bruxelles et Luxembourg est une autre donnée qui confère un rôle clé au secrétariat général de l’assemblée. Le PE siège en session plénière à Strasbourg douze fois par an, mais tient des sessions additionnelles à Bruxelles, où se réunissent également les groupes politiques et les commissions parlementaires. Paradoxalement, la majorité des fonctionnaires de l’assemblée n’est affectée dans aucune de ces deux villes, mais à Luxembourg [2]. Cette situation – produit d’une histoire mouvementée, de compromis intergouvernementaux complexe et du refus persistant des représentants des Etats de trancher un dossier devenu explosif – nécessite le déplacement, à l’occasion de chaque session, de plus de 4000 personnes et de tous leurs documents de travail. Le ballet des cantines qui servent à leur transport est devenu l’un des symboles les plus connus d’une institution en mal d’image.
10La nature de la législation communautaire, ainsi que le mode de fonctionnement du triangle institutionnel de l’UE, donnent également une prime importante à l’expertise et, par voie de conséquence, au travail du secrétariat du PE. Pour faire face à la complexité des procédures et des textes législatifs et budgétaires, ainsi qu’à celle des argumentaires de la Commission, du Conseil et des divers groupes d’intérêts concernés par une proposition, les députés sont appelés, quel que soit leur degré de compétence, à bénéficier du concours d’autres acteurs, et notamment de celui des administrateurs affectés au secrétariat des commissions ou à la Direction des études.
11Tous ces éléments étaient, a priori, favorables à l’émergence au sein du PE d’une administration puissante et autonome ; cela n’a toutefois pas été le cas. Avant d’examiner les motifs de cette situation, il importe de préciser ce que recouvre exactement la notion d’« administration » au PE.
L’administration du PE : une pluralité d’acteurs
12L’administration du PE ne dépend pas du seul secrétariat général, mais de multiples acteurs qui interagissent constamment avec celui-ci.
- Il faut, en premier lieu, citer les organes hiérarchiques du PE qui jouent, directement et indirectement, un rôle essentiel dans le fonctionnement administratif de l’institution. Il s’agit du président, du bureau (qui réunit le président et les vice-présidents), du collège des questeurs et de la conférence des présidents (qui réunit le bureau et les présidents des groupes politiques). Dans les parlements nationaux, la répartition de l’autorité entre le Président, les organes collégiaux élus et le secrétaire général ou d’autres fonctionnaires nommés peut prendre des formes très variables (Tocanne, 1993). Au PE, le Bureau et la Conférence des présidents détiennent l’essentiel du pouvoir, ce qui n’est pas sans incidence sur son administration.
- Les assistants parlementaires constituent une seconde catégorie d’acteurs participant à l’administration - au sens large - du PE. Les députés disposent d’une indemnité globale qui leur permet d’en employer, à leur guise, un ou plusieurs. Malgré des années de discussions sur ce point, il n’existe toujours pas de statut des assistants et de règles précises quant aux modalités de leur recrutement et de leur rémunération. L’affectation géographique des assistants est également du seul ressort des députés ; une large majorité des assistants (1500 à l’heure actuelle) est toutefois localisée à Bruxelles.
- En troisième lieu, on fera mention de l’administration des groupes politiques. Par voie de comparaison avec les parlements nationaux, le secrétariat des groupes du PE est particulièrement étoffé et joue un rôle très important dans sa délibération. Le nombre de fonctionnaires alloué à chaque groupe dépend des effectifs de celui-ci et du nombre de langues dans lesquelles il est amené à travailler : à un minimum de deux agents de catégorie "A" (administrateurs), chaque groupe se voit attribuer un agent "A" supplémentaire par tranche de quatre députés, et un autre pour chacune des trois premières langues, deux pour chacune des deux suivantes, trois pour la sixième et la septième, et ainsi de suite. À chaque poste d'administrateur sont attachés un certain nombre de postes de catégories B, C et D, le nombre total des agents affectés au service d'un groupe ne devant pas dépasser le nombre de ses membres. L'effectif global des secrétariats des groupes a beaucoup crû depuis 1979, à un rythme bien plus rapide que ceux du Secrétariat général, ce qui s’est traduit par un renforcement constant de leur place dans les activités du PE. Le budget 2003 prévoit un total de 630 agents affectés au service des groupes [3]. Il s’agit en majorité d'agents temporaires recrutés par les groupes en marge des concours d'accès à la fonction publique européenne. L'organigramme du secrétariat des groupes est très élaboré, et reprend les grandes lignes de celui du secrétariat général du PE (voir infra). Dans les grands groupes, la spécialisation est très poussée : les travaux de chaque commission sont suivis par un ou deux administrateurs qui aident le coordinateur [4] à superviser les procédures, à assurer la cohésion de la délégation du groupe et à déterminer sa stratégie. Ces agents assistent également les coordinateurs et les rapporteurs lorsqu'ils cherchent à réunir les conditions d'une majorité ou préparent les débats internes au groupe qui relèvent de leurs compétences. Ils effectuent, par ailleurs, un travail de recherche et d'information pour le compte des députés.
- L’administration du PE est, enfin, assurée par le secrétariat général. A l’heure actuelle, il comprend 3738 agents, auxquels il faut ajouter 79 postes de réserve et 108 postes temporaires, affectés essentiellement aux cabinets des membres du bureau [5]. Il n’existe pas de clé de répartition entre nationalité ; le statut fait toutefois référence à une notion d’équilibre géographique général, qui est surtout d’application pour les postes de catégorie A. Pour les postes de catégorie C et D, moins attractifs financièrement, les fonctionnaires sont massivement issus de l’Etat qui accueille l’institution concernée ; le secrétariat général du PE comprend ainsi un grand nombre de fonctionnaires belges et luxembourgeois [6]. Le PE fait également appel, de manière croissante, à des prestataires externes, afin d’assurer des tâches telles que la sécurité, et à des auxiliaires (agents temporaires, interprètes free-lance...), afin de faire face à des surcroîts ponctuels d’activité. Ces personnels représentent au total plus de 1000 agents.
14 Seul le secrétariat général participe à l’administration du PE à proprement parler : les organes hiérarchiques se contentent de tracer les lignes directrices ; les assistants n’interviennent que de manière subsidiaire ; les groupes politiques ont un rôle plus important, mais celui-ci n’est pas formalisé.
Un secrétariat général formellement incontournable
15Le secrétariat général du PE remplit de multiples fonctions qui n’apparaissent que partiellement à la lecture de son organigramme, la répartition des compétences entre les huit directions générales (DG) et le service juridique étant peu rationnelle. Dans un souci de clarté, on présentera les activités de l’administration en distinguant quatre types de tâches : la logistique, le greffe, les « prestations intellectuelles » et les relations extérieures.
161. Une première série d’activités relèvent de l’assistance logistique aux travaux de l’assemblée et mobilisent la majorité des agents ; elles sont du ressort des DG I, V, VI et VIII. La DG I (« Présidence ») est responsable de l’organisation des sessions à Strasbourg et Bruxelles et assure le secrétariat des organes hiérarchiques (conférence des présidents, bureau, collège des questeurs) ; elle est également compétente pour les questions de protocole, d’accès aux locaux et d’informatique. La DG V (« personnel ») est chargée de gérer les ressources humaines, le système d’indemnités lié aux missions dans les différents sièges de l’assemblée et les affaires sociales. La DG VI (« administration ») gère, entre autres, les aspects matériels du fonctionnement de l’institution : immeubles, meubles, restauration, transport. La DG VIII (« finance et contrôle financier ») veille au paiement des indemnité des députés, à l’exécution du budget du PE et à la comptabilité.
172. Le greffe et l’assistance à la délibération constituent un second ensemble d’activités. Elles sont hypertrophiées en raison du recours généralisé à onze langues, à l’écrit comme à l’oral, et d’ordres du jour pléthoriques. Elles sont du ressort des DG II, VI et VII. La DG II (« Commissions et délégations ») assure le secrétariat des commissions, des délégations interparlementaires et des commissions d’enquête ; elle est également chargée du suivi de la procédure législative, en amont et en aval des travaux du PE. Les commissions disposent d'un secrétariat, composé de deux à sept administrateurs, d'un assistant chargé des questions d'organisation et de secrétaires. Ces agents jouent un rôle important dans le fonctionnement des commissions : ils sont les garants de la cohérence et de la continuité de leurs activités face au renouvellement rapide de leurs effectifs. Ils contribuent également à nouer et à entretenir des contacts avec le Conseil et la Commission. Les administrateurs assistent les députés dans leur travail de rédaction des rapports en effectuant des recherches pour leur compte et en les conseillant (voir infra). Les travaux des commissions sont également suivis par les assistants parlementaires et certains agents des groupes politiques : les premiers ont un rôle limité, et sont rarement associés à la rédaction des rapports ; les seconds sont, comme nous le verrons, de plus en plus impliqués.
18La DG VI (« administration ») est responsable, outre des activités mentionnées précédemment, de l’interprétation des débats de l’assemblée plénière et des organes du PE (bureau, conférence des présidents, commissions, groupes politiques, délégations interparlementaires...). La DG VII (« traduction et service généraux ») est compétente pour la traduction, l’impression et la distribution de tous les documents de travail et des documents officiels de l’assemblée. Ces activités ont connu une croissance exponentielle, en terme de coût et de personnel, au fil des élargissements.
193. Le secrétariat général est également chargé de « prestations intellectuelles », c’est-à-dire de la satisfaction des besoins d’étude, de documentation et d’expertise des parlementaires. La DG IV (« Etudes ») a pour mission de réaliser - ou de faire réaliser - des études et recherches à la demande des députés ou des organes de l’assemblée. Elle gère aussi les archives de l’institution et deux bibliothèques, situées à Bruxelles et Luxembourg. Afin de répondre à une demande d’expertise toujours croissante, le PE, comme de nombreux parlements nationaux, s’est inspiré des dispositifs existant au sein du Congrès des Etats-Unis, et tout particulièrement de l’Office of Technology Assessment. Cet organe, qui emploie 140 personnes et consulte ponctuellement plus de 2000 experts extérieurs, est chargé d’éclairer les membres du Congrès sur les aspects techniques et scientifiques des textes de loi. Au PE, la tâche revient à l’unité "STOA" (Scientific and Technical Options Assessment). Ce bureau d'évaluation des choix scientifiques et techniques a été créé en 1987 pour une durée dix-huit mois, puis rendu permanent. Il aide les commissions parlementaires et les députés à prendre position sur les aspects scientifiques et techniques des textes qui leur sont soumis, et à évaluer la validité des argumentations qui les accompagnent. Bien que dépendant de la DG IV, les activités de l’unité sont supervisées par un groupe de députés nommés par les commissions parlementaires. L’unité STOA a un champ d’activité très large et joue un rôle croissant dans le travail législatif et budgétaire du PE. Cette montée en puissance s’est accompagnée d’une délégation quasi systématique des recherches à des institutions ou experts extérieurs, et par la mise en place de collaborations avec certaines directions générales de la Commission et avec le Centre de recherche commun aux institutions de l’UE.
20Les agents affectés au secrétariat des commissions parlementaires contribuent, eux aussi, à ces « prestations intellectuelles ». Bien que les administrateurs ne soient pas assez nombreux pour assurer un véritable travail de recherche, ils sont souvent étroitement associés aux activités des députés, et tout particulièrement des rapporteurs. L’autonomie de ceux-ci est très variable selon leurs compétences, leur disponibilité et l'intensité avec laquelle ils exercent leur mandat. Lorsque les textes sont très techniques ou s’inscrivent dans le sillage de normes plus anciennes, les fonctionnaires jouent souvent un rôle actif dans la rédaction des rapports ; plus ponctuellement, ils sont même contraints de se substituer au rapporteur de bout en bout. Les administrateurs des commissions ont longtemps été des généralistes, en raison du large champ de compétences qu'ils devaient couvrir et des contraintes linguistiques qui leur imposaient de se répartir les dossiers en fonction de la langue de travail du rapporteur, et non de leurs connaissances respectives. Le développement des contacts avec les experts de la Commission et du Conseil, ainsi que les exigences du contrôle de l'exécution des politiques communautaires, ont toutefois suscité un mouvement de spécialisation qui s’accompagne d’un recours croissant à la traduction lors des échanges entre administrateurs et élus. L’implication directe des fonctionnaires dans le travail parlementaire est diversement vécue selon leur nationalité et leur cursus. Les plus attachés à leur neutralité se prêtent assez mal à cet exercice ; ils rédigent des mémentos ou des notes qui présentent une vision technique et neutre des différentes solutions envisageables. Ceux qui ne cachent pas leurs convictions politiques ou sont issus de formations plus universitaires qu’administratives se substituent plus volontiers aux rapporteurs défaillants et laissent parfois libre cours à leurs opinions. Mais tous s’accordent pour porter des jugements sévères sur le laisser-aller de certains élus.
214. La quatrième fonction de l’administration a trait aux relations extérieures de l’assemblée. Celles-ci sont de deux types. En premier lieu, il s’agit des contacts en direction des médias et des citoyens, qui sont du ressort de la DG III (« Information et relations publiques »). Elle est chargée des contacts avec la presse, de la couverture audiovisuelle des activités du PE, des publications grand-public, des contacts avec les citoyens (visites de l’assemblée, communication institutionnelle...) et de la gestion des bureaux et antennes extérieures. Ces activités, jadis marginales, sont désormais stratégiques en raison de la faiblesse persistante de l’intérêt des médias pour le PE et ses activités, et de la nécessité de lutter contre l’abstentionnisme lors des élections européennes. Le PE entretient également des relations avec des institutions au sein de l’Union et dans des pays tiers. Le secrétariat général est amené, en premier lieu, à travailler de plus en plus étroitement avec les services des autres institutions de l’Union. Ces contacts se développent à un niveau administratif et logistique (coopérations dans les domaines de la formation, de l’immobilier, de la traduction, des ressources humaines...), mais aussi à un niveau plus politique (suivi de la procédure législative, contrôle budgétaire...). Le secrétariat général a également des contacts croissants avec les institutions des Etats membres, notamment les parlements nationaux dans le cadre de la coopération interparlementaire. Le PE entretient aussi des liens étroits avec de nombreux parlements de pays tiers dans le cadre des délégations interparlementaires et des commissions mixtes. Au fil des années, les relations de l’assemblée se sont diversifiées et développées en direction de multiples organisations internationales, des régions et collectivités locales de l’UE et des organisations de la société civile.
22D’un point de vue comparatif, le PE dispose de ressources logistiques et administratives confortables, et des moyens d’une indépendance véritable vis-à-vis des autres institutions. Le secrétariat général joue en outre un rôle incontournable dans le fonctionnement de l’assemblée, en raison des multiples contraintes structurelles qui l’affectent. Pour autant, il ne constitue pas le pouvoir administratif auquel l’on pouvait s’attendre.
Une administration atomisée sous contrôle politique
23La « puissance » du secrétariat général du PE ne peut se mesurer au nombre ou au volume des tâches qu’il effectue, ni se déduire de l’incapacité de l’institution à fonctionner sans son assistance. Tout le paradoxe de cette administration provient de ce que, malgré son caractère incontournable, son influence propre dans la marche de l’assemblée est très limitée. On entend que le secrétariat général n’est pas une bureaucratie dotée d’un esprit de corps et d’une vision de l’institution, capable d’imposer ses choix aux élus, mais une administration au service – voire aux ordres – des députés et des groupes politiques. Il importe donc de s’intéresser, non pas tant à l’ampleur du travail effectué par l’administration du PE, mais à l’autonomie dont elle jouit, notamment vis-à-vis des organes hiérarchiques de l’institution (président, bureau, conférence des présidents). Pour ce faire, on insistera sur trois points : les effets contrastés de la « jeunesse » et du caractère plurinational de l’assemblée ; la forte politisation des fonctionnaires ; la puissance du secrétariat des groupes politiques. 1. Nous avons avancé que l’histoire de l’institution était un facteur a priori propice à l’émergence d’une administration forte. On peut toutefois défendre le point de vue inverse et considérer qu’il était particulièrement difficile, pour des fonctionnaires issus d’horizons très divers, dotés de cultures administratives contrastées et dont certains ne jouissaient d’aucune expérience de la vie parlementaire, de former un secrétariat général homogène et dynamique. Les députés des origines partageaient, au contraire, une très bonne connaissance du fonctionnement parlementaire et avaient des visions relativement concordantes en la matière, de sorte qu’ils ont pu délibérer sans préalable.
24A certains égards, le multilinguisme et le caractère plurinational du PE ont été, eux aussi, des obstacles à la formation d’une administration forte. Ces spécificités ont certes fait du secrétariat général un acteur incontournable, mais elles se sont opposées à l’émergence d’un pouvoir administratif cohérent. Si, on l’a dit, un certain consensus existait quant à la manière d’organiser la délibération du PE, il n’en était pas de même quant au rôle de l’administration et au comportement de ses agents. Dans certains Etats membres, tels que l’Italie, la politisation des fonctionnaires parlementaires était la règle ; dans d’autres, tel que la France, l’obligation de neutralité prévalait. En l’absence de contrainte et d’incitations suffisantes, les députés ne parvirent pas à transcender leurs divergences de vues sur ce point et à imposer une conception univoque de la fonction administrative et du comportement des fonctionnaires au sein du PE. 2. La faiblesse relative du secrétariat général du PE s’explique, en second lieu, par la forte « politisation » de ses membres – entendue comme l’affichage par ceux-ci de préférences partisanes. Ce phénomène a trois conséquences principales : il suscite de nettes divergences de vues entre les fonctionnaires ; il tend à les soumettre aux responsables politiques ; il limite les ambitions collectives du secrétariat général. Les origines de cette politisation sont multiples.
25Selon François-Xavier Camenen, elle est d’abord liée au caractère plurinational de l’institution (1995 : 146). L’effet est direct en raison de la tendance des députés à faire en sorte que les postes de rang A, notamment les plus importants, soient pourvus dans le respect d’un certain équilibre entre les Etats membres. Au-delà de la défense d’intérêts nationaux, ce comportement s’explique par l’utilité de voir figurer en bonne place des compatriotes avec lesquels les contacts sont supposés plus faciles. Les fonctionnaires sont, de ce fait incités à se rapprocher des députés de leur pays d’origine afin qu’ils défendent ces équilibres nationaux et favorisent ainsi leurs perspectives de carrière. Cette situation induit une forme de dépendance, voire de clientélisme, entre les fonctionnaires de rang élevé et les députés, qui n’est pas très propice à l’indépendance des premiers. Le caractère plurinational de l’assemblée suscite aussi une politisation indirecte, en ce sens que la prédominance des clivages politiques a été conçue, dès la naissance de l’institution, comme un contre-poids à ses divisions nationales. Dès 1952, les députés ont choisi de siéger par groupes politiques, et non par délégations nationales, sans que les traités ne leur en fassent obligation (Westlake, 1994). Ce choix révèle le primat systématique donné aux logiques partisanes – les délégations nationales n’ayant pas droit de cité dans le règlement intérieur de l’assemblée – et la volonté d’attribuer aux représentants des groupes et aux membres du bureau du PE l’essentiel des pouvoirs, au détriment notamment des responsables administratifs. Le bureau défendit cette position avec une grande fermeté et n’hésita pas, en 1960, à révoquer simultanément le secrétaire général et son adjoint afin de sanctionner leur excès d’indépendance et de dissuader leurs successeurs d’empiéter sur les prérogatives des élus (Camenen, 1995 : 149).
26La prédominance de la logique partisane est particulièrement manifeste lors de la désignation des plus hauts responsables du secrétariat général (secrétaire général, directeurs généraux, directeurs). Au PE, comme dans la plupart des parlements, ce choix revient au bureau ; toutefois, contrairement à ce qui prévaut habituellement au niveau national, les critères partisans y prennent largement le pas sur ceux de compétence ou de dévouement à l’institution. Cette situation tient à la prédominance historique des logiques partisanes, mais aussi à l’apparition progressive d’une « cogestion » de l’assemblée par les deux principaux groupes, ceux du Parti des socialistes européens (PSE) et du Parti populaire européen (démocrate-chrétien) (PPE) (Westlake 1994 ; Raunio 1997 ; Bowler et Farrell 1999). En raison de la proximité de leurs positions sur l’intégration européenne, d’intérêts communs liés à leur position de force au sein de l’institution et de la nécessité de réunir de larges majorités dans le cadre des procédures législatives et budgétaires, ces deux groupes ont imposé au fil des ans un mode de fonctionnement à mi-chemin entre la logique majoritaire (les deux principaux groupes constituant une coalition de fait, pour les décisions organisationnelles tout au moins [7] ) et la logique de consociation (l’ensemble des groupes se partageant équitablement les ressources de l’assemblée). Les groupes PSE et PPE ont orchestré une politisation poussée du fonctionnement de l’assemblée – qui l’affecte dans ses aspects les plus matériels – mais ont refusé de le faire sur un mode réellement pluraliste. Le PE est ainsi régi par une sorte de « consociation en trompe l’œil ». On entend par là que la règle d’Hondt, qui est supposée assurer une répartition équitable de toutes les ressources de l’assemblée entre les groupes politiques (qu’il s’agisse du temps de parole en plénière, des rapports, des bureaux, des présidences de commission ou encore des agents des groupes) (Abélès 1992), s’accompagne d’une nette domination des deux principaux groupes, qui disposent d’une écrasante majorité lorsqu’ils s’entendent pour faire prévaloir leurs intérêts.
27Les nominations sont ainsi davantage conditionnées par les intérêts des deux principaux groupes et ceux de leurs « clientèles », que par des impératifs d’efficacité et de cohésion administrative. Le bureau a, par exemple, pour habitude de ne pas pourvoir immédiatement les postes vacants, mais de procéder à des nominations multiples, de manière à respecter un certain équilibre partisan et national. Ces pratiques valent aussi pour les fonctionnaires de rang A3 ; qu’ils soient nommés par le Président de l’assemblée et non par le bureau ne change rien, dans la mesure où le premier est également un farouche défenseur de la règle d’Hondt. Ces pratiques, qui ne concernent qu’une centaine de postes, affectent l’attitude de l’ensemble des fonctionnaires de catégorie A. En effet, même si leur avancement jusqu’au grade A4 n’est pas du ressort des responsables politiques, de nombreux administrateurs veillent à ménager très tôt leurs chances d’accéder aux postes les plus prestigieux.
28L’absence d’esprit de corps et la politisation du secrétariat général s’expliquent également par son histoire et par le mode de recrutement de ses membres. On rappellera, tout d’abord, que les premiers administrateurs de rang A ont été directement choisis par les « Pères fondateurs » et les membres de l’Assemblée dans leurs entourages respectifs. Les premiers haut-responsables de l’assemblée (restés pour la plupart en poste longtemps après l’introduction du statut des fonctionnaires européens en 1962) avaient donc des liens étroits avec les députés. Ces liens étaient faits d’un attachement commun à la construction européenne, mais aussi de convergences partisanes. Après l’entrée en vigueur du statut des fonctionnaires européens, et à mesure que les besoins de l’assemblée se sont développés, les administrateurs ont été recrutés par des voies plus propices à leur indépendance. La coexistence d’agents issus de différents horizons et sélectionnés selon des critères et procédures variés n’a pas favorisé l’émergence d’un pouvoir administratif fort. En outre, ce que les nouvelles procédures de recrutement ont permis de gagner en neutralité a été compensé par le moindre idéalisme « européen » des nouveaux venus et leur tendance à se rapprocher des députés pour favoriser leur carrière. L’accroissement progressif des pouvoirs du PE, ainsi que l’investissement plus grand des députés dans leur mandat européen, n’ont fait que renforcer ce phénomène. 3. Le développement du secrétariat général du PE a été, en dernier lieu, entravé par l’absence de cloisonnement entre celui-ci et les secrétariats des groupes politiques, et par la priorité relative donnée – en termes de moyens financiers et humains – aux seconds. On l’a dit, depuis les années 50, les effectifs des groupes ont cru beaucoup plus rapidement que ceux du secrétariat général. En 2003, les premiers restaient assez modestes par rapport aux seconds (630 contre 3738), mais la perspective est différente si l’on limite la comparaison aux cadres de rang A (244 contre 476, linguistes exclus) et si l’on compare ce ratio à celui qui prévaut dans les chambres nationales.
29Cette « puissance » de l’administration des groupes se mesure plus encore au rôle qu’elle joue dans le fonctionnement du PE. Bien que les agents du PE et des groupes aient la même vocation à assister les députés, les premiers sont davantage impliqués dans un travail de fond et de longue haleine, essentiellement législatif et budgétaire (greffe, rédaction finale des rapports, suivi des procédures de leur origine au vote de l'assemblée), tandis que les seconds jouent également un rôle déterminant dans le travail d'actualité de l'assemblée (résolutions de clôture des débats, questions orales, amendements, débats d'urgence et d'actualité). Les activités de « court terme » sont donc pour l'essentiel du ressort des agents des groupes. Au sein des groupes, la frontière entre les rôles respectifs des agents et des députés tend par ailleurs à se brouiller. En raison de la stabilité de la composition de la structure administrative et de la « volatilité » des députés, certains agents deviennent des acteurs incontournables de l’élaboration et de la négociation des textes dans leur domaine de compétence. Cette participation directe à l'action politique est d’ailleurs l’un des motifs qui poussent certains fonctionnaires, mécontents de leur obligation de relative neutralité, à demander leur détachement auprès d’un groupe.
30Le poids du secrétariat des groupes a été renforcé par la possibilité pour les agents d’y faire carrière – ce qui n’était pas prévu à l’origine – et par le fait que les progressions s’y sont révélées beaucoup plus rapides qu’au sein du secrétariat général. Les groupes offraient, en revanche, une moindre sécurité de l’emploi : les agents restaient à la merci d’un licenciement en cas de revers politique de leur formation ou de mésentente avec ses responsables. Aussi, des concours internes furent-ils organisés pour leur permettre de rejoindre le secrétariat général – y compris aux rangs les plus élevés – de manière relativement aisée. Il était fréquent que ces fonctionnaires nouvellement nommés soient immédiatement détachés auprès du groupe dont ils étaient issus, cette possibilité figurant explicitement dans le premier statut des fonctionnaires adopté en 1962. La formule choisie (le détachement « dans l’intérêt du service ») était particulièrement avantageuse, puisque les fonctionnaires bénéficiaient d’un droit à la réintégration et conservaient leur droit à l’avancement et la possibilité d’être promus. Ces allers et retours, devenus très courants, ont suscité une forte politisation d’une partie du secrétariat général et une nette emprise des groupes sur celui-ci [8]. Ces pratiques ont connu un coup d’arrêt à la fin des années soixante-dix, en vertu d’une nouvelle réglementation, mais les groupes ont conservé leur influence par d’autres voies, telles que la nomination directe d’agents des groupes aux emplois supérieurs (A1 et A2).
Les effets contrastés de la faiblesse administrative du PE
31L’administration du PE, qui paraît puissante si l’on limite l’analyse à la prise en compte d’éléments formels et d’indicateurs quantitatifs ou à une comparaison abstraite, se révèle faible lorsqu’on se penche sur le fonctionnement courant de l’institution. S’il est normal qu’elle soit « au service des députés » – pour reprendre le titre d’un article de l’actuel secrétaire général de l’assemblée (Priestley 2000) – il semble plus dispensable que les postes clés soient pourvus sur un mode partisan et que certains députés se comportent comme les supérieurs hiérarchiques des fonctionnaires. Il est, par exemple, fréquent que les présidents des commissions parlementaires considèrent que son secrétariat est placé sous leur autorité, et demandent en conséquence à choisir les agents qui le composent ou à décider de leurs promotions. Cette situation amène une partie significative des fonctionnaires à développer des stratégies partisanes motivées, non par des convictions politiques – ce qui est admis dans certains parlements –, mais par des préoccupations de carrière, le désir d’échapper à des obligations ou la volonté de se soustraire à la hiérarchie. L’implication très forte des responsables politiques dans l’organisation et le fonctionnement quotidien du secrétariat général aboutit, par ailleurs, à des décisions parfois irrationnelles, telles que la création de services à l’utilité douteuse ou le refus d’affecter des moyens à des tâches stratégiques.
32Nous partageons ainsi le constat de faiblesse dressé par F.X. Camenen (1995). Toutefois, comme indiqué en introduction, l’auteur oppose les notions de « puissance » et de « politisation » d’une manière, à notre sens, insatisfaisante. La difficulté provient de la polysémie du terme « politisation » qui, appliqué au secrétariat général du PE, peut désigner trois phénomènes distincts : la soumission du secrétariat et de ses membres aux députés et aux groupes politiques ; la manifestation par les fonctionnaires de préférences partisanes et leur tendance à agir en fonction de celles-ci et des relations qu’elles induisent avec les groupes, plutôt que des consignes de leur autorité hiérarchique ; la poursuite par le secrétariat, en tant qu’entité bureaucratique, d’objectifs non strictement organisationnels et logistiques, mais politiques. Les effets de la « politisation » de l’administration peuvent donc être très contrastés. Dans le premier cas, celui de la soumission aux groupes, l’administration tend à perdre toute autonomie et à s’affaiblir. Dans le second, celui de l’engagement partisan des agents, l’administration subit un processus d’atomisation, qui affecte la cohérence globale de son action et sa capacité à s’affirmer comme pouvoir au sein de l’institution. Dans le troisième, la « politisation » de l’administration n’est pas un signe de faiblesse, mais au contraire de puissance, que l’on peut juger excessive si elle empiète sur les compétences des députés, méconnaît leurs instructions ou contrarie leur action.
33Qu’en est-il au PE ? Intuitivement, en raison de la faiblesse relative des députés européens et de l’image bureaucratique des institutions de l’UE, il est tentant d’imaginer un secrétariat général politisé au troisième sens, sorte de maître d’œuvre occulte de la délibération. La réalité est toute différente : le secrétariat général est à la fois soumis aux groupes politiques – qui prennent de nombreuses décisions relatives à son organisation et aux carrières des fonctionnaires – et atomisé – en raison de la politisation de ses membres. L’administration du PE est donc puissante, en ce sens qu’elle jouit de moyens relativement importants et qu’elle joue un rôle clé dans le fonctionnement de l’assemblée, mais faible, dans la mesure où elle est largement soumise aux élus et présente une cohérence restreinte. Cette situation a trois ordres de conséquences.
341. Au sein du PE, elle pose le problème du pluralisme. Dans la mesure où les deux principaux groupes politiques ont un poids déterminant dans toutes les décisions qui touchent à l’administration du PE et où les fonctionnaires sont davantage portés à se tourner vers ceux-ci pour défendre leurs intérêts, la « politisation » est de nature à provoquer un accaparement des moyens d’expertise et d’information par les deux principaux groupes. Cette situation est toutefois tempérée par deux caractéristiques du PE. La première est la permanence des logiques nationales. Même si la dimension nationale est niée sur un plan juridique, elle est l’un des principaux déterminants des rapports interpersonnels. Les élus ont très souvent des contacts privilégiés avec les fonctionnaires de leur nationalité, que ce soit pour des motifs culturels, linguistiques ou parce que ceux-ci escomptent un soutien dans la perspective d’une promotion. Le second élément qui vient modérer la domination des groupes PSE et PPE est la logique consociative : même imparfaitement appliquée, c’est un garde-fou qui empêche une marginalisation excessive des « petits » groupes politiques.
35On ajoutera que la domination de l’administration par les élus n’a pas les mêmes conséquences dans l’UE que dans un régime parlementaire. Au niveau national, en particulier dans les systèmes partisans bipolarisés, elle tend à susciter un règne sans partage des partis de la majorité gouvernementale, qui a pour conséquence une réduction des moyens mis à la disposition de l’opposition. Or, celle-ci est souvent seule à défendre les capacités de contrôle, d’amendement et de proposition du parlement. Dans l’UE, en l’absence de lien partisan entre le PE et la Commission et de clivage stable entre majorité et opposition, la soumission de l’administration parlementaire aux élus n’entame pas l’indépendance de l’assemblée ou sa volonté d’exercer ses pouvoirs. Les changements politiques intervenus depuis juin 1999, et notamment la remise en cause de « l’accord technique » qui liait les deux principaux groupes, ont en outre favorisé une application plus équitable de la règle d’Hondt.
362. La faiblesse de l’administration du PE est plus problématique envisagée à l’échelle institutionnelle. Il convient en effet de retourner l’argument de la spécificité institutionnelle de l’UE pour constater qu’en régime parlementaire, les députés de la majorité peuvent, dans une certaine mesure, compter sur le gouvernement pour les informer de leur action. Dans l’UE, par contre, ils ne peuvent tabler sur la seule bonne volonté de la Commission pour exercer leurs pouvoirs décisionnels et de contrôle avec efficacité : il importe qu’ils disposent de leurs propres moyens d’information et d’expertise, ainsi que d’un cadre favorable à une délibération constructive. Les relations entre le PE et la Commission s’apparentent en effet davantage à celles du Congrès et de l’administration présidentielle aux Etats-Unis, qu’à celle d’un parlement et d’un gouvernement en régime parlementaire. En raison de son asservissement à des logiques autres qu’administratives, le secrétariat général du PE manque cruellement de cohérence et de dynamisme face à aux services de la Commission et du Conseil. Malgré la « sectorisation » qui affecte ces institutions depuis les années soixante-dix, leurs secrétariats généraux respectifs sont autrement homogènes et énergiques.
373. Il faut aussi considérer la question à l’échelle du système politique européen dans son ensemble, et notamment des relations du PE avec les citoyens. La faiblesse administrative du PE est à ce titre problématique, dans la mesure où la capacité de l’assemblée à affirmer sa représentativité, et donc à « signifier » quelque chose pour ses électeurs, dépend étroitement de l’image publique qu’elle offre. Compte tenu de la « jeunesse » du PE, du renouvellement rapide de ses effectifs, de la faible implication d’une partie de ses membres, de l’absence de « classe politique européenne », de la désaffection dont souffrent les élections européennes, etc., l’affirmation de l’identité et de la permanence de l’institution ressortit en grande partie à son secrétariat général.
38Sans se faire l’avocat du diable, on peut avancer que les liaisons dangereuses entre les groupes politiques du PE et son administration n’ont pas que des aspects négatifs : elles ont aussi une dimension fonctionnelle. En premier lieu, les contacts étroits entre – certains – députés et – certains – fonctionnaires sont à l’origine d’une forme d’efficacité que personne ne conteste. Si l’individualisation des pratiques et des comportements, qui affecte tout particulièrement le secrétariat des commissions, induit un phénomène d’atomisation préjudiciable à l’efficacité d’ensemble de l’administration, elle est également porteuse d’une forme alternative de dynamisme. Les administrateurs qui jouissent de la confiance de députés influents (présidents de commission, coordinateurs, rapporteurs...) et travaillent en bonne intelligence avec eux, disposent d’une marge de manœuvre d’autant plus grande qu’ils peuvent se soustraire au besoin à l’autorité de leur hiérarchie. Pour une institution qui a acquis nombre de ses pouvoirs par des initiatives unilatérales, une interprétation extensive de la lettre des traités et une grande inventivité (Hix, 2002 ; Corbett, 1998 ; Costa et Magnette, 2003), cette liberté d’action et d’initiative est essentielle. Dans le contexte particulier de l’UE, qui se distingue par la souplesse de son « cadre constitutionnel » et l’évolution permanente des pratiques et équilibres institutionnels, la faiblesse relative de l’administration du PE peut – paradoxalement – être considérée comme un atout pour celui-ci. Une administration puissante, cohésive et autonome impliquerait des rigidités – produit de routines et de la défense d’intérêts bureaucratiques ou catégoriels – peu propices à une adaptation rapide de l’assemblée aux changements institutionnels et politiques [9]. La situation particulière de l’administration au sein du PE permet, tout au contraire, une bonne prise en compte des idées et suggestions des députés, qui sont d’autant plus nombreuses que l’assemblée jouit d’une parfaite autonomie d’organisation interne et accueille constamment de nouveaux élus, que ce soit à l’occasion des élections européennes (qui suscitent un renouvellement massif de la composition de l’assemblée), des nombreuses démissions en cours de mandat ou des élargissements de l’UE.
39Cette lecture « positive » de la faiblesse du secrétariat général du PE n’est toutefois pas viable à long terme, l’assemblée étant affectée par un double processus de « normalisation ». En premier lieu, tout laisse penser que la Constitution – ou du moins la réforme des traités – qui conclura la CIG 2004 stabilisera durablement le schéma institutionnel de l’UE. Les gains que le PE pourra espérer en vertu de sa capacité d’adaptation seront désormais marginaux : l’important ne sera plus d’innover, mais de « gérer ». En second lieu, la structuration partisane du PE a, semble-t-il, vocation à évoluer vers un clivage gauche/droite plus marqué (Kreppel 2000 ; 2002). Dans un tel contexte, la soumission du secrétariat général aux groupes politiques se traduira, soit par une gestion ouvertement conflictuelle des affaires administratives, soit par la domination sans partage d’une « coalition » majoritaire restreinte. Le passage du PE d’une logique de conquête institutionnelle et d’opposition entre députés pro- et antieuropéens, à fonctionnement plus proche du modèle parlementaire exigera une administration plus puissante, capable de donner à l’action des députés la stabilité et le suivi qui leur font défaut.
Bibliographie
BIBLIOGRAPHIE
- Abélès, M. (1992), La vie quotidienne au Parlement européen, Paris : Hachette.
- Avril, P. (1993), Revue française d’Administration publique, n° 68, octobredécembre.
- Bowler, S., Farrell D. (1999) “Parties and Party Discipline within the European Parliament : A Norms-Based Approach“, in S. Bowler, D. Farrell and R. S. Katz (eds.) Party Discipline and Parliamentary Government, Columbus : Ohio State University Press.
- Camenen, F.-X. (1995), « Administration et autorité politique au Parlement européen », Revue Française d’Administration Publique, n° 73, janviermars, pp. 143-155.
- Corbett, R. (1988) The European Parliament’s Role in Closer EU Integration, Londres : Palgrave.
- Corbett, R., Jacobs F., Shackleton M. (2000) The European Parliament, 4ème édition, Londres : Catermill.
- Costa, O. (2001) Le Parlement européen, assemblée délibérante, Bruxelles : Editions de l’Université de Bruxelles.
- Costa, O., Magnette, P. (2003) « Idéologies et changement institutionnel dans l’Union européenne. Pourquoi les gouvernements ont-ils constamment renforcé le Parlement européen ? », Politique européenne, n° 9, hiver, p. 49-75.
- Hix, S. (2002), “Constitutional Agenda-Setting Through Discretion in Rule Interpretation : Why the European Parliament Won at Amsterdam”, British Journal of Political Science, 32, p. 259-280.
- Kreppel, A. (2000) “Rules, Ideology and Coalition Formation in the European Parliament : Past, Present and Future“, European Union Politics 1,340-62.
- Kreppel, A. (2002) The European Parliament and the Supranational Party System, Cambridge : Cambridge University Press.
- Mezey, M.L. (1979), Comparative Legislatures, Durham : Duke University Press.
- Priestley, J. (2000), « L’administration du Parlement européen au service des députés », Revue française d’administration publique, n° 95, juillet-septembre 2000, pp. 439-451.
- Raunio, T. (1997) The European Perspective : Transnational Party Groups in the 1989-1994 European Parliament, Londres : Ashgate.
- Sallenave, E. (1993), « Un renforcement des moyens d’action du parlement. Les facilités et l’assistance fournies aux parlementaires dans l’exercice de leur mandat », Revue française d’administration publique, n° 68, octobre-décembre, pp. 547-557.
- Sisson, R. (1973), « Comparative Legislative Institutionnalization : A Theoretical Exploration », in Kronberg A. (ed.), Legislatures in Comparative Perspective, New-York : David Mc Kay Company, p. 16 et s.
- Tocanne, V. (1993), « Les structures administratives des parlements. Perspectives comparatives », Revue française d’administration publique, n° 68, octobre- décembre, pp. 505-519.
- Westlake, M. (1994) A Modern Guide to the European Parliament, London : Pinter.
Notes
-
[1]
Ces chiffres doivent être relativisés au regard du poids du multilinguisme et de la dispersion géographique du PE, qui mobilisent au moins un tiers des effectifs du secrétariat général et absorbent environ la moitié du budget de l’institution.
-
[2]
Malgré le transfert graduel des services du secrétariat de Luxembourg vers Bruxelles, les deux tiers des agents du PE restent localisés dans le Grand-Duché.
-
[3]
Rapport sur l'état prévisionnel des recettes et des dépenses du Parlement pour l'exercice 2003, doc. A5-0117/2002 du 17 avril 2002.
-
[4]
Le coordinateur est le député chargé de superviser, pour le compte de son groupe politique, les activités d’une commission dont il est membre.
-
[5]
Rapport sur l'état prévisionnel des recettes et des dépenses du Parlement pour l'exercice 2003, op. cit.
-
[6]
En 2000, le PE comptait, sur un total de 3242 postes pourvus, 445 italiens, 409 Français, autant de Belges, 196 Luxembourgeois, mais seulement 276 Allemands et 240 Britanniques etc. (Priestley 2000 : 444).
-
[7]
La cogestion de l’assemblée a été quelque peu remise en cause par les résultats de l’élection de juin 1999, et la rupture de « l’accord technique » qui liait le PSE et le PPE à la suite du refus du second de se plier à la règle de l’alternance pour la désignation du Président de l’assemblée. Ce changement n’a toutefois pas pesé significativement sur l’organisation interne de l’assemblée.
-
[8]
Ce phénomène d’allers et retours entre les groupes politiques amène certains fonctionnaires à se présenter aux élections européennes. Le cas de Richard Corbett est à ce titre très symbolique : fonctionnaire du secrétariat général, il a été détaché auprès du groupe socialiste, puis élu au PE sous l’étiquette travailliste au Royaume-Uni. Il est, en outre, l’un des auteurs de référence sur le PE (Corbett 1998 ; Corbett et al. 2000).
-
[9]
On rappellera que, dans les études législatives comparées des années 1970, la capacité d’adaptation des parlements à leur environnement était l’un des principaux critères de leur degré « d’institutionnalisation » – sous-entendu, de « puissance » (Sisson 1973 ; Mezey 1979).