Poétique 2019/1 n° 185

Couverture de POETI_185

Article de revue

Le système, l’antisystème

Pages 5 à 29

Notes

  • [1]
    Bardadrac, p. 193. Toutes les références à l’œuvre de Genette sont aux éditions originales (voir la bibliographie, p. 3-4).
  • [2]
    Codicille, p. 144-145.
  • [3]
    « On imagine Œdipe, au lever du rideau, déclarant sans préambule au peuple thébain : “Bonnes gens, j’ai tué mon père Laïus et fait quatre enfants à ma mère Jocaste […]. N’allez pas chercher plus loin, tout le mal vient de là”. » Figures II, p. 158.
  • [4]
    Sur Borges et Genette, voir Frank Wagner, « “Jorge Luis Genette” », Fabula-LhT, n° 17, « Pierre Ménard, notre ami et ses confrères », juillet 2016, URL : http://www.fabula.org/lht/17/wagner.html. Frank Wagner étudie précisément les différents aspects de la relation étroite et complexe qu’entretiennent les deux œuvres. Dans le même dossier, Christine Noille propose une lecture serrée de « Pierre Ménard, auteur du Quichotte » et dégage les enjeux propres à la poétique borgésienne (« Le pion de la Tour. Analyse rhétorique des brouillons perdus du Quichotte », juillet 2016, URL : http://www.fabula.org/lht/17/noille.html).
  • [5]
    Michel Foucault, Les Mots et les Choses, Gallimard, « Bibliothèque des sciences humaines », 1966, « Préface », p. 9-10.
  • [6]
    Dans la « Première leçon du cours de poétique », ouvrant la voie à cette « seconde poétique », Valéry parle de « l’instabilité, l’incohérence, l’inconséquence » qui sont, pour qui compose un ouvrage, « des trésors de possibilités » (Œuvres, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1957, t. I, p. 1352).
  • [7]
    Roland Barthes, « Réflexions sur un manuel », dans Œuvres complètes, Seuil, 1994, t. II, p. 1241.
  • [8]
    Lettre sur Mallarmé », dans « Variété », Œuvres, op. cit., t. I, p. 636.
  • [9]
    Contre Sainte-Beuve, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1978, p. 380.
  • [10]
    Mémoires de la Société de linguistique de Paris, Paris, Librairie A. Franck, 1868, « Statuts », t. 1, p. 3.
  • [11]
    Que pourrait être ce monstre ? 1) Un récit fictionnel, 2) que je tiens pour vrai, 3) que j’aime pour ses qualités formelles ? ajoutons, pour le plaisir, 4) et qui serait aussi émouvant… qu’une fiction. (On connaît l’histoire de la fleur artificielle, si vraie qu’elle a l’air d’être une fausse aussi belle qu’une vraie.) Plus sérieusement, on peut penser que tous les monstres sont possibles dès lors qu’il ne s’agit pas de types de discours, mais de régimes de lecture : dans la lecture, tout peut arriver.
  • [12]
    Op. cit., p. 1349.
  • [13]
    [Borges vient de citer Josiah Royce, qui imagine que, sur une portion du sol de l’Angleterre, on veuille tracer une carte d’Angleterre qui soit parfaite. Cette carte devra contenir « une carte de la carte, qui devra contenir une carte de la carte, et ainsi jusqu’à l’infini » (« Magies partielles du “Quichotte”, Enquêtes, Paris, « Folio Essais », 2012, p. 77). N’oublions pas qu’un chapitre de Figures s’intitule « Figures ».]
« Je vois qu’on me prête un attachement maladif à la Poétique d’Aristote [1]. »

1Gérard Genette a expliqué quelque part que, des différentes formes de libido connues ou à connaître, la libido classificandi et/ou nominandi, qui, comme on sait et comme il savait, le touchait particulièrement, est la seule qui soit parfaitement licite [2]. Nommer, classer : Gérard Genette est un vrai poéticien, autant dire un « chercheur à système ». Voilà une première idée reçue. Ne simplifions donc pas. C’est bien connu, il y a deux Gérard Genette : l’auteur austère, trop austère, de Figures III (le vrai poéticien), et l’auteur plaisant et désinvolte de Bardadrac et sa suite (l’écrivain). Ainsi, le poéticien n’en était pas moins homme : derrière Gérard Genette se cachait Frédéric. Or, voilà une seconde idée reçue, même s’il est vrai que « l’auteur » acceptait plus ou moins cette scission (Epilogue, p. 85).

2Il n’y a pas lieu de revenir sur ces malentendus. Les lecteurs avertis se délectent depuis longtemps d’un « tête de Tirésias (tête de Sophocle) », en commentaire de tel passage notoirement œdipien de Brulard[3], ou de la traduction de telle proustienne « petite cousine sur canapé » par une piquante « analepse sur paralipse » (Figures III, p. 94), une des formules cultes de la confrérie genettienne, mais aussi, plus sérieusement, les mêmes ont toujours su apprécier la richesse et l’élégance d’une écriture essayiste et, si Figures III et Fiction et diction sont composés d’« études », les deux premiers Figures rassemblent des « essais », le quatrième est une « mosaïque », le cinquième une « rhapsodie », Mimologiques un « voyage » et Palimpsestes se trouve « écrit entre les lignes ». Cependant, même si, au-delà de ces plaisanteries et de ces quelques signes discrets, le fameux « Genette devient écrivain » (Codicille, p. 32 sq.) n’a pas vraiment étonné ces lecteurs, il faut bien reconnaître que l’œuvre est apparemment multiple, voire fuyante, malgré ses reprises, ses compléments, ses relectures et, disons-le, les modes d’emploi donnés par l’auteur lui-même, qui certes nous guide, mais justement, dans le même temps, nous contraint subtilement, de sorte que n’est exhibé que ce qu’il veut bien exhiber. Il ne s’agira pas ici de « décrypter » Genette, qui s’est largement décrypté sans notre aide, ni de revenir sur le contraste un peu simple qu’exemplifie la mise en regard de Figure III et de Bardadrac, mais de s’attacher à un point particulier : la manière dont le discours théorique considéré en lui-même est traversé, travaillé par des forces contraires. Là sont peut-être sa finesse, son attrait et finalement une part essentielle de sa force persuasive.

La Littérature imaginaire, ou l’antisystème

3Le rapport du discours théorique de Genette à la littérature n’est pas simple. Quand on parle de théorie littéraire, je suppose qu’on veut dire que la littérature est l’objet de ladite théorie. A moins que la théorie puisse être littéraire ? ou qu’elle puisse se prétendre telle ? mais en quel sens et sur quel fondement ?

4Personne ne s’étonnera que le discours d’un critique soit appelé à basculer du côté de la littérature. La consubstantialité des langages favorise l’opération, et le phénomène n’est pas nouveau : pensons à Montaigne et à Valincour, à Diderot et à Stendhal, à Sainte-Beuve, à bien d’autres. Mais il y a cette conscience aiguë que nous pouvons en avoir aujourd’hui, dans un contexte où la littérature, sa pratique, son étude se réorganisent : l’accointance entre la littérature moderne et la critique ouvre une voie royale à la créativité de l’écriture au second degré. De « Raisons de la critique pure » (Figures II) à l’« ouverture métacritique » de Figures V et surtout au « Post-scriptum » de Fiction et diction (le critique, en restructurant les débris d’une œuvre, pratique une poésie du bricolage – rééd. 2004, p. 233), Genette ne cesse de revenir sur le fait que « les frontières entre l’œuvre critique et l’œuvre non critique tendent de plus en plus à s’effacer » (Figures II, p. 21).

5Le cas du poéticien paraît cependant plus complexe, même s’il est évident que, comme le critique et comme tout lecteur, le poéticien, bricoleur à grande échelle, remanie constamment le corpus littéraire. Genette a évolué sur ce sujet. Dans l’« Après propos » de Figures III, pessimiste et plutôt mélancolique, il brosse le portrait du poéticien en « ouvrier d’avance dés-œuvré ». Mais il n’en reste pas là et, dès lors que sa réflexion esthétique pose que chacun décide librement de ce qu’il tient pour littéraire, le discours théorique n’échappe pas plus à cette décision que le Code civil. Il n’est pas sûr que ce soit consolant. En tout cas, on ne perd pas pour autant le droit de se demander comment fonctionne telle écriture seconde, et notamment celle de Genette poéticien, qui présente une forme très particulière d’interaction ou, plus précisément, de mixage de différents discours.

6Près de cinquante ans après son premier livre, Genette nous fait cette énigmatique confidence :

7

Je vois […] bien que j’ai eu assez jeune, et encore pendant quelques années, comme tout le monde, une vague inclination à la diction « poétique », mais aucune à la fiction romanesque. D’un hypothétique roman, je n’ai trimballé quelque temps que le titre, d’allure plutôt abstraite (mais j’en avais en tête une application bien précise) : Figure. On voit peut-être ce qu’il en est advenu.
(Epilogue, p. 132)

8Le voit-on, en vérité ? ou plutôt que voit-on exactement ? « Figure porte absence et présence », écrivait Pascal, qui s’y connaissait, et l’on trouvera en effet sans difficulté des traces d’un projet, sinon romanesque, du moins littéraire et peut-être fictionnel, dans le bien nommé recueil Figures, justement, et dans le suivant, Figures II. Ce n’est pas un hasard si ce que j’appellerai désormais par commodité une « fable » y a une très forte présence. Cette fable est une « idée de la littérature », elle joue le rôle d’une sorte de matrice ou de modèle : c’est, dans la terminologie de Genette, « l’utopie littéraire », qui travaille ces recueils et qui, motif récurrent de toute l’œuvre, reste active bien au-delà. Pour des raisons qui apparaîtront plus loin, je la nommerai la fable de « la Littérature imaginaire ».

9Cette fable est présentée dans Figures comme borgésienne ; elle est aussi largement valéryenne, ainsi qu’il est dit, mais je la prendrai de toute façon comme proprement genettienne. Il ne s’agira pas en effet d’analyser comment Genette l’a élaborée à partir de la lecture de tel ou tel prédécesseur, mais d’essayer de comprendre comment une forme ou une version de cette fable, remaniée, condensée, réduite à quelques éléments actifs, fonctionne chez lui [4]. Pour aller droit au sujet, la réflexion qui suit est née d’une question simple, mais à laquelle la réponse ne me semble nullement évidente : comment peut-il concilier ou tenir ensemble son œuvre proprement théorique et l’idée de la littérature portée par sa fable ? ou plutôt : comment pouvons-nous définir, ou construire, dans cette perspective la cohérence de son œuvre ?

10De cette fable il est possible de proposer des versions différentes, plus ou moins compatibles avec le discours théorique.

11Telle qu’elle apparaît dans l’essai de Figures, elle définit d’abord la littérature, comme « un espace homogène et réversible où les particularités individuelles et les préséances chronologiques n’ont pas cours » (p. 125). Cette formule donne deux premiers traits : 1) la littérature ne doit pas être morcelée en une multitude d’œuvres attribuées à des auteurs ; 2) l’histoire de la littérature est sans objet (aucune chronologie n’est pertinente). C’est une première version, apparemment compatible, me semble-t-il, avec une poétique « positive ». Cette formule pourrait aussi bien être signée par Valéry – je veux dire par le Valéry de Genette et, justement, dans la perspective d’une poétique, elle y prendrait même un poids particulier. Le dernier essai de Figures est d’ailleurs consacré au grand prédécesseur. C’est une clôture (ou une ouverture) éminemment symbolique. « L’exercice littéraire se réduit [pour Valéry] à un vaste jeu combinatoire à l’intérieur d’un système préexistant qui n’est autre que le langage (p. 262) » : « jeu combinatoire », « système », nous restons dans la rationalité d’une poétique – à ceci près, et j’y reviens, qu’il n’est pas évident que ledit système soit, sans médiation, celui du langage. Ainsi, en tout cas, la succession des formes n’est-elle pas une histoire, ou du moins peut-elle être traitée dans une tout autre perspective : exploration des possibles dans un espace où ils coexistent de tout temps.

12Mais, lorsque Genette cite : « [on peut] considérer le Langage lui-même comme le chef-d’œuvre des chefs-d’œuvre littéraires », ou encore : « on n’invente que ce qui s’invente et veut être inventé » (p. 262), il accompagne Valéry sur des chemins moins sûrs, avec ce Langage majuscule tenu pour le chef-d’œuvre ou cette étrange idée d’une volonté, et l’on progresse ici vers une deuxième version de la fable, plus forte et moins compatible.

13Il est encore possible de durcir le trait, en passant de l’absence de particularités individuelles à l’absence de particularités génériques, en prenant à la lettre l’idée d’homogénéité, de sorte que la notion même de distinction devient impraticable. Il est enfin possible d’assimiler confusément un espace réversible à un espace infini (en passant de l’inversion du début et de la fin à l’absence de début et de fin). Alors on complique profondément le rapport que peuvent entretenir cette fable et une poétique rationnelle. Et l’on arrive à une troisième version, la version « dure », qui prend toute sa force quand on pose que, si l’espace littéraire est infini, s’il n’a pas d’extériorité, si aucune « chose » n’est pensable hors de lui, le livre et le monde sont une même entité. Voilà que nous, lecteurs, nous sommes « embarqués », nous entrons dans ce livre, transformés en personnages de fiction. Une idée de la littérature puissamment séduisante, où convergent tous les fantasmes, et c’est justement elle qui sera récurrente dans l’œuvre de Genette.

14Lui-même voyait dans l’utopie littéraire « une idée excessive de la littérature » (p. 126) :

15

[…] l’idée excessive de la littérature, où Borges se complaît parfois à nous entraîner, désigne peut-être une tendance profonde de l’écrit, qui est d’attirer fictivement dans sa sphère l’intégralité des choses existantes (et inexistantes), comme si la littérature ne pouvait se maintenir et se justifier à ses propres yeux que dans cette utopie totalitaire.
(souligné dans le texte)

16Il me semble que les différentes versions de la fable que j’ai distinguées sont autant de degrés dans l’excès : alors que la version faible posait brillamment les bases d’une poétique, la Littérature imaginaire est, au terme, la forme exacerbée d’une littérature dont tous ses traits sont devenus excessifs.

17D’un point de vue (plus ou moins) rationnel, la clé est dans le processus de lecture. C’est en effet lui qui mêle, égalise, homogénéise le matériau littéraire, c’est là que tout peut arriver :

18

[une œuvre] appartient dès sa naissance (et peut-être avant) au domaine public, et ne vit que de ses relations innombrables avec les autres œuvres dans l’espace sans frontières de la lecture.
(Figures, p. 130, je souligne)

19Le temps réversible aussi ne peut être que celui de la lecture. Et comment penser que la « circulation des textes » (Palimpsestes, p. 453) s’expliquerait suffisamment par des hypothèses touchant leur seule production ? C’est dans la tête du lecteur que se déploie l’espace infini de la fable. La lecture, littéralement, fait la Littérature : en inventant cet « espace homogène et réversible », elle fabrique une Littérature qui n’a désormais d’existence que proprement imaginaire.

20Genette n’aborde pas frontalement la question de la lecture. Il se contente de rappeler (Apostille, p. 166) que ce sont les lecteurs qui font les textes (Fish) et les regardeurs les tableaux (Duchamp), et de poser fortement une subjectivité absolue de la lecture. Il n’a apparemment pas besoin de plus que ce constat pour construire sa poétique et il n’est pas question pour lui de remplacer le cortège des auteurs par celui des lecteurs. C’est en tant que la fable décrit « l’espace sans frontières de la lecture » qu’elle est profondément juste. Or, cet espace est pour Genette un domaine immense dont l’exploration est impossible, voire disqualifiée d’avance. Rien de vraiment fondé, rien qui ne soit pas anecdotique ne pourrait être dit de la lecture, phénomène anarchique, non calculable et de fait, point décisif, toujours tiré, pour son malheur, du côté de l’interprétation, de sorte que la fable garde une dimension d’inconnaissable. Mais si le processus qui élabore la Littérature imaginaire est anarchique et inconnaissable, si l’on considère comme tel l’objet auquel il conduit, un pas de plus et, dans le même mouvement, la fable va basculer vers une sacralisation de la Littérature. Qu’est-ce en effet que ce livre (le Livre) infini ? La perspective est a priori paradoxale s’agissant d’un théoricien aussi peu porté sur une quelconque sacralisation.

21L’« idée de la littérature » que l’on peut attribuer à Genette est pour le moins complexe : telle de ses versions va le conforter dans son travail de théoricien alors que telle autre, plus souvent, suscitera des difficultés ou poussera à des compromis. On est dès lors en droit de se demander ce que deviennent, en relation avec cette fable de la Littérature imaginaire, qui brouille toutes les pistes, qui ne cesse de revenir sous la version la plus forte ou la plus dure, la libido nominandi et/ou classificandi du poéticien, ses distinctions et ses typologies.

22Comme Genette le dit à propos de Borges, l’opération fondatrice de la fable est celle des « rapprochements » :

23

A première vue, l’œuvre critique de Borges semble possédée d’un étrange démon du rapprochement. Certains de ses essais se réduisent à un bref catalogue des diverses intonations prises au cours des siècles par une idée, un thème, une métaphore : Ricketts et Hesketh Pearson attribuent à Oscar Wilde la paternité de l’expression purple patches (rapiéçages de pourpre), mais cette formule est déjà dans l’Epître aux Pisons ; Philipp Mainländer invente, deux siècles après John Donne, l’hypothèse d’un suicide de Dieu […].
(Figures, p. 123)

24Etc. La manière de Kafka est reconnue chez « Zénon, Han Yu, Kierkegaard, Browning, Bloy et Lord Dunsany ». Et l’on peut continuer longtemps ainsi. La littérature apparaît comme une somme d’énoncés, une poussière de formules, un cabinet de curiosités : ni auteurs, ni œuvres, ni genres. On n’est plus dans une version compatible de la fable, et l’on commence à comprendre que s’y cache un principe de désordre et qu’y pointe un antisystème.

25Aussi, plutôt que d’utopie, il eût sans doute fallu parler, comme Michel Foucault, d’hétérotopie. On se souvient de l’ouverture des Mots et les choses (publié en 1966, la même année que Figures). A l’origine du livre, « un texte de Borges » où est citée « une certaine encyclopédie chinoise » qui propose un classement des animaux : « a) appartenant à l’Empereur, b) embaumés, c) apprivoisés […], h) inclus dans la présente classification, i) qui s’agitent comme des fous […], k) dessinés avec un pinceau très fin en poils de chameau… ». Commentaire de Foucault : « Ce qui est impossible, ce n’est pas le voisinage des choses, c’est le site lui-même où elles pourraient voisiner. » Et plus loin :

26

Les utopies consolent : c’est que, si elles n’ont pas de lieu réel, elles s’épanouissent pourtant dans un espace merveilleux et lisse ; elles ouvrent des cités aux vastes avenues, des jardins bien plantés, des pays faciles, même si leur accès est chimérique. Les hétérotopies inquiètent, sans doute parce qu’elles minent secrètement le langage, parce qu’elles empêchent de nommer ceci et cela, parce qu’elles brisent les noms communs ou les enchevêtrent, parce qu’elles ruinent d’avance la « syntaxe », et pas seulement celle qui construit les phrases, – celle moins manifeste qui fait « tenir ensemble » (à côté et en face les uns des autres) les mots et les choses. C’est pourquoi les utopies permettent les fables et les discours : elles sont dans le droit fil du langage, dans la dimension fondamentale de la fabula ; les hétérotopies (comme on en trouve si fréquemment chez Borges) dessèchent le propos, arrêtent les mots sur eux-mêmes, contestent, dès sa racine, toute possibilité de grammaire ; elles dénouent les mythes et frappent de stérilité le lyrisme des phrases [5].

27Une question se pose, pour le moins délicate : l’hétérotopie foucaldienne et l’utopie genettienne renvoient-elles à deux faces différentes de l’œuvre de Borges ? Sinon, comment comprendre une telle différence d’interprétation ? D’autant que Genette, lui non plus, ne se prive évidemment pas du plaisir de citer la fameuse classification chinoise. Ainsi se moque-t-il de Bertil Romberg, qui reprend et complète la typologie des situations narratives de Stanzel en proposant une quadripartition :

28

1) récit à auteur omniscient, 2) récit à point de vue, 3) récit objectif, 4) récit à la première personne – où le quatrième type est clairement discordant par rapport au principe de classement des trois premiers. Borges introduirait sans doute ici une cinquième classe, typiquement chinoise, celle des récits écrits avec un pinceau très fin.
(Figures III, p. 205)

29Un pinceau en poils de chameau, bien sûr. Il n’est pas douteux que Genette voit là, lui aussi, une hétérotopie. Mais les catalogues borgésiens, tels qu’il les décrivait dans l’ouverture de « L’utopie littéraire », étaient-ils si différents ? Tout n’était-il pas alors dans tout ? Les énumérations érudites de l’œuvre de Borges, « possédée d’un étrange démon du rapprochement », ne s’inscrivaient certainement pas dans « un espace merveilleux et lisse » (Foucault) ni « homogène » (Genette). Disons-le, cette utopie littéraire était bien une hétérotopie et c’est pourquoi je préfère parler de « Littérature imaginaire » en risquant une hypothèse : il y a utopie en ce que la Littérature, qui rassemble le tout dans toutes ses formes, ou tous ses avatars, qui multiplie les relations dans tous les sens, ne classe pas, mais (toujours dans la tête du lecteur) fluidifie, harmonise et, d’une certaine manière, transcende l’hétérotopie première. Pour reprendre la terminologie de Foucault, elle serait capable de fournir un « site » à la multitude, à la totalité des choses. L’essai de Genette le dit assez clairement :

30

[…] cette idée peut apparaître aux esprits positifs comme une simple fantaisie, ou comme une pure folie. Voyons-y plutôt un mythe au sens fort du terme, un vœu profond de la pensée.
(Figures, p. 126, je souligne)

31La raison mettra inévitablement cette fable ou ce « mythe » en défaut, elle contrariera inévitablement ce « vœu », même si, pour le théoricien, et surtout pour lui, la Littérature imaginaire a incontestablement un fort pouvoir de séduction qui assure sa pérennité : ce sont l’attrait des logiques borgésiennes, la tentation mathématique de Valéry et, tout simplement, la puissance même des hypothèses fantastiques. A quoi servira donc notre fable ? Je ne crois pas qu’on puisse simplement la traiter comme un « point d’honneur », ni comme la trace indélébile d’une époque, ni comme une fidélité sans faille à un auteur. Elle sera confrontée non à des faits (de quoi s’agirait-il ?), mais à la possibilité même de tenir un discours rationnel en nommant et classant des objets. Elle va donc d’abord fournir un repère et l’instrument d’une mise en cause du système que construit le théoricien quand il nomme et classe, quand il distingue, délimite, dispose des objets distincts. Elle sera une sorte d’antidote créatif, une dose d’antisystème qui passera « en douce » dans les démonstrations les plus rigoureuses. Genette, dans le long terme, joue de deux poétiques : celle qui nomme et classe des éléments distincts dans un système, et celle qui disperse et fluidifie les notions ; celle du distinguo et de la cohérence, et celle de l’instabilité [6].

La fable marginalisée (1)

32Le théoricien ne travaille pas dans un espace lisse ou homogène. Le nerf de sa réflexion est le distinguo. D’ailleurs, quand on lui demande quelle est son idée de la littérature, ne se hâte-t-il pas d’oublier ou plutôt de cacher sa fable ?

33

Si je craignais moins le ridicule, j’aurais pu gratifier cette étude d’un titre qui a déjà lourdement servi : « Qu’est-ce que la littérature ? » – question à laquelle, on le sait, le texte illustre qu’elle intitule ne répond pas vraiment, ce qui est en somme fort sage : à sotte question, point de réponse ; du coup, la vraie sagesse serait peut-être de ne pas la poser.
(Fiction et diction, p. 11)

34« Fiction et diction » (publié en 1991) est une « étude » brève et lumineuse, dans laquelle, en trente pages, Genette esquisse un historique des réflexions sur cette « sotte question » et aboutit à un schéma, ou un tableau, qui, pour être (« volontairement ») « boiteux », n’en est pas moins clair et efficace. Le point de départ ? Il est donné sous la forme d’une plaisante anecdote. Une dizaine d’années plus tôt, en 1980, candidat « sans lendemain » à une chaire du Collège de France, Genette expose son programme à ses possiblement futurs collègues. Ce sera : « Théorie des formes littéraires ». Compte rendu de l’entretien avec Pierre-Gilles de Gennes :

35

En bon scientifique, [il] me demanda tout de go de lui exposer, brièvement si possible, « ma » théorie de la littérature. Ayant toujours tenu la théorie de la littérature pour une discipline neutre (l’étude générale des formes littéraires) plutôt que comme une hypothèse explicative engagée, je restai à peu près sans voix, m’aliénant du même coup et définitivement la sienne […]. Pendant plusieurs années […] le sentiment de cette lacune dut cheminer souterrainement en moi, jusqu’au jour où je compris qu’en ce domaine, « théorie » pouvait au sens fort signifier : essai, sinon d’explication, au moins de définition, et donc tentative de réponse à ladite question « Qu’est-ce que… » – fût-ce sous la forme […] « Quand y a-t-il… ».
(Figures IV, p. 26)

36Que n’a-t-il répondu en une phrase définitive : « La littérature est un espace homogène et réversible » ! Tête de Pierre-Gilles de Gennes. Il fallait s’en tenir au scientifiquement correct. En vérité, la réflexion de Genette sur cette question va nous emmener assez loin de sa Littérature imaginaire.

37Mais d’abord deux mots sur la méthode. D’une part, l’objet de la théorie n’est pas la littérature, mais la littérarité. C’est dire que cet objet n’est pas le seul « réel », mais la totalité du virtuel littéraire (Figures III, p. 11), ou, en d’autres termes, qu’il n’est pas donné. D’autre part :

38

Si (tant est que) les autres disciplines littéraires se posent des questions de fait (« Qui est l’auteur du Père Goriot ? »), la poétique, à coup sûr, se pose des questions de méthode – par exemple : quelle est la meilleure, ou la moins mauvaise, façon de dire ce que fait l’auteur du Père Goriot ?
(Fiction et diction, p. 46)

39On œuvre à une construction rationnelle, commandée par un souci de cohérence et de clarté, sans prétention à la vérité (« la meilleure ou la moins mauvaise façon de dire ») : l’efficacité suffira.

40Revenons à Fiction et diction. Genette commence par distinguer les poétiques constitutives ou essentialistes (certains textes seraient littéraires par nature, et d’autres non) et les poétiques conditionalistes (à quelles conditions un texte est-il de la littérature ?). Les premières sont fermées, les secondes ouvertes. La poétique aristotélicienne, essentialiste, tient que le langage est créateur quand il produit de la fiction. Est ainsi exclu tout ce qui n’est pas fiction, et spécialement les genres non fictionnels de la poésie – poésie lyrique, satirique… Un nouveau système est élaboré pour pallier cette difficulté : il pose que la littérarité s’attache à deux grands types : la fiction et la poésie (lyrique), l’un et l’autre « [rompant] avec le régime ordinaire de la langue ». Je passe sur les différentes façons de caractériser le lyrique ou la poésie (mode d’énonciation spécifique ou trait formel). Deux critères restent en tout cas concurrents et définissent deux domaines : la fiction en prose et la poésie. Mais cette hypothèse laisse encore hors du champ défini la littérature non fictionnelle en prose (l’Histoire, l’essai, l’autobiographie…). D’où le recours nécessaire à une poétique conditionaliste et donc la position de deux régimes de littérarité (deux critères valant peut-être mieux qu’un) : le constitutif et le conditionnel.

41Et j’en arrive à un premier point qui m’intéresse particulièrement ici. Il faut citer toute la page. Voici donc le principe de cette poétique conditionaliste :

42

« Je considère comme littéraire tout texte qui provoque chez moi une satisfaction esthétique. » Son seul rapport à l’universalité est, comme l’a montré Kant, de l’ordre du désir ou de la prétention : ce que je trouve beau, je souhaite que chacun en juge de même, et je comprends mal qu’il ne le fasse pas.

43A quoi Genette ajoute un commentaire capital :

44

Mais comme nous avons fait, depuis deux siècles, de grands progrès (que certains déplorent) vers le relativisme culturel, il arrive souvent, et de plus en plus, que cette prétention à l’universalité soit laissée au vestiaire de l’humanisme « classique », au profit d’une appréciation plus désinvoltement égocentrique : « Est littérature ce que je décrète tel, moi dis-je et c’est assez, ou, à la rigueur, moi et mes amis, moi et ma “modernité” d’élection. » Pour illustration de ce subjectivisme déclaré, je renvoie par exemple au Plaisir du texte de Roland Barthes, mais il est clair que cette poétique-là anime inconsciemment un grand nombre de nos attitudes littéraires.

45Et maintenant la pointe :

46

Cette nouvelle vulgate, élitiste dans son principe même, est sans doute le fait d’une couche culturelle plus étroite et plus éclairée que celle qui trouve dans la fiction un critère automatique et confortable de littérarité. Mais il lui arrive de coexister avec elle, fût-ce dans l’incohérence, et au moins sous une forme où le descriptif cède le pas à l’évaluatif, dans des jugements où le diagnostic de littérarité équivaut à un label de qualité : comme lorsqu’un partisan du critère fictionnel refuse néanmoins de l’accorder à un roman de quai de gare, le jugeant trop « mal écrit » pour « être de la littérature » – ce qui revient en somme à considérer la fictionalité comme une condition nécessaire mais non suffisante de la littérarité. Ma conviction est exactement inverse […].
(p. 26-27)

47Deux écueils sont à éviter. Le premier consiste à confondre description et évaluation et à introduire la valeur là où elle n’a rien à faire : il faut distinguer entre un subjectivisme vrai et un subjectivisme normatif (« moi, dis-je et c’est assez »), c’est-à-dire un pseudo-subjectivisme. J’ajoute que le relativisme tempéré par « la prétention à l’universalité » ouvre implicitement à quelque chose qui relève du souci (du désir) d’un partage, d’une transmission : faut-il vraiment laisser l’universalité « au vestiaire de l’humanisme “classique” » ? Mais la marge de manœuvre est réduite. Dans notre petit domaine, le point sensible de toute activité critique n’est pas sans rapport avec cette « prétention » : même le « voyez comment c’est fait » risque toujours de renvoyer, subrepticement, à un « voyez comme c’est bien fait ». Il faut se garder de passer d’un légitime désir de persuasion à un prosélytisme mal venu. Un second écueil consiste à considérer que l’espace littéraire est un, qu’il doit être un. Or, il faut préserver les différences : ce sont ici les deux régimes de littérarité. Cette question est liée à la précédente. C’est en effet une confusion entre description et évaluation qui provoque l’intrusion du critère conditionaliste dans le domaine de la fiction et le recours à un « super-critère » (subjectif et désinvolte) supposé capable de subsumer les deux autres.

48Cependant, une fois que tout danger est écarté et que la distinction entre les deux modes de littérarité, la fiction et la diction, est fermement établie, Genette n’esquive pas une question que son lecteur se posera inévitablement :

49

[…] n’y a-t-il rien de commun entre ces deux modes de littérarité que sont la fiction et la diction ?
[…] Le trait commun me semble consister dans ce caractère d’intransitivité que les poétiques formalistes réservaient au discours poétique (et éventuellement aux effets de style), intransitif parce que d’une signification inséparable de sa forme verbale […].
Le texte de fiction est lui aussi intransitif, d’une manière qui ne tient pas au caractère immodifiable de sa forme, mais au caractère fictionnel de son objet […].
Dans les deux cas, cette intransitivité, par vacance thématique ou opacité rhématique, constitue le texte en objet autonome et sa relation au lecteur en relation esthétique, où le sens est perçu comme inséparable de la forme.
(p. 35-37)

50Plus tard, dans un « Post-scriptum » (article de 2003, rééd. 2004, p. 236), Genette reviendra sur ce dernier point : « Ce qui rend l’écriture “transitive” ou “intransitive” n’est rien d’autre que la manière dont la traverse ou s’y arrête le regard d’un lecteur. » Retour, donc, à la possibilité d’envisager un critère unique, en étendant au discours littéraire un caractère réservé au discours poétique et, dans un second temps, en renvoyant la question à une problématique attentionnelle. En toute logique, une poétique conditionaliste peut (pouvait) couvrir la totalité du champ : la littérature n’est qu’une manière particulière qu’a le lecteur de « traverser l’écriture ».

51Comme on l’imagine, Genette avait prévu l’objection (pourquoi deux critères si un peut suffire ?). Voyons plus haut dans le texte :

52

[…] si la poétique conditionaliste a par définition le pouvoir de rendre compte des littérarités conditionnelles au nom d’un jugement esthétique, ce pouvoir […] ne peut s’étendre au domaine des littérarités constitutives. Si une épopée, une tragédie, un sonnet ou un roman sont des œuvres littéraires, ce n’est pas en vertu d’une évaluation esthétique, fût-elle universelle, mais bien par un trait de nature, tel que la fictionalité ou la forme poétique.
(p. 29)

53Il ne faut pas être aveugle aux différences : un sonnet est un sonnet, une page du cardinal de Retz est ce que j’en fais. On ne doit pas hésiter à construire une notion de littérarité qui soit hétérogène. Notons cependant que, d’un côté, on refuse de sacrifier l’idée d’un corpus littéraire constitué, mais que, de l’autre, poussant aussi loin que possible une description précise, rationnelle, non intuitive, on accepte que deux critères différents définissent un objet spontanément perçu et posé par les Modernes comme unique.

54Pour évaluer la position de Genette, intéressons-nous un instant à ce que j’appellerai la fabrique de la littérature. Nous y voyons une autre forme de relativisme concurrencer celle que nous venons de rencontrer.

55La voici : « La littérature, c’est ce qui s’enseigne, un point c’est tout [7]. » Il est probable que Barthes ignorait qu’il reprenait là une formule attribuée par Mme de Staël à un personnage de l’une de ses comédies, Le Capitaine Kernadec : « La littérature, c’est ce qu’on enseigne au collège ; mais à douze ans, c’est fini. » Tel est bien le propos robuste que le capitaine en question tient à son épouse quand elle lui apprend que leur fille Rosalba est amoureuse d’un jeune homme qui « vit de ses rentes et cultive la littérature ». Quoi qu’il en soit, ce jour-là, à Cerisy, Barthes n’avait pas fait dans le détail. Et Genette l’a noté quelque part en passant, comme il a noté la fameuse formule lancée au Collège de France : « La langue est fasciste. » Mais, pour rester à la première assertion, assurément plus modérée dans son fond, même si pas moins brutale dans sa forme, n’est-ce pas, après tout, une façon évidemment péjorative, mais tout à fait économique de désigner à la fois une poétique constitutiviste (la littérature, c’est ce qui est dans le manuel de littérature) et une poétique conditionnelle (la littérature, c’est la décision de l’Ecole), ou bien, pour avoir recours à un terme que Genette lui-même utilisera plus tard, et qui permettrait ici de lier les deux, une poétique « conventionnelle » ? La conséquence est de toute façon une restriction drastique du champ. Solution à bon compte, il faut le reconnaître. On prend acte de la canonisation des textes, « un point c’est tout. » Et, bien sûr, dégât collatéral, on n’a nulle envie de la lire ni de l’enseigner, cette littérature qui n’est que le fruit de la décision de l’Ecole.

56De cette triste conséquence, Barthes a fortement conscience et le dit clairement. Comme il arrive, n’est retenue le plus souvent que la moitié de son propos. Or, ce geste, chez lui, se double évidemment d’un autre. L’assertion a une vertu militante. Il nous dit quelque chose comme : inventons donc une autre histoire de la littérature, une autre lecture de la littérature et, finalement, une autre littérature. A la fin de la communication apparaît le « texte », dans sa polysémie et sa capacité symbolique. Barthes propose une histoire de la littérature à rebours, faite à partir de la « coupure moderne ». L’opération est séduisante, mais voilà notre « modernité » posée en référence, si bien que le risque est alors de sacraliser un autre objet contre celui dont on vient de constater et de dénoncer la sacralisation.

57L’hypothèse de Genette présente, à mon sens, un double avantage. Elle tient la position d’un relativisme très clair, ouvre ainsi un espace de liberté et de plaisir, et garde la prétention à l’universalité. Mais, en même temps, et c’est tout l’intérêt de la distinction des critères, elle limite le champ d’application de ce relativisme et préserve un massif littéraire reconnu ; du même coup, ne préjugeant en rien de ce que peut la transmission, elle en laisse penser l’accroissement ou la modification par le passage d’un régime à l’autre, suggérant que le constitutif n’est pas « constitué » pour l’éternité, autrement dit que le conditionnel peut nourrir le constitutif.

58On a affaire à une première marginalisation de la fable, étroitement liée à la question de l’homogénéité de la Littérature imaginaire. La réflexion théorique a conduit à élaborer un système à partir de deux critères différents, exhibant ainsi l’hétérogénéité de son objet. C’est, en principe, non seulement acceptable, mais efficace. Sauf si l’on convoque, en arrière-plan, la fable. La formule peut alors apparaître incompatible avec l’idée d’un espace utopique et celle d’un livre unique. Aussi n’est-elle pas acceptée sans réticences ni tensions : la réflexion complexe sur l’hypothèse d’un super-critère en est un bon exemple ; et par ailleurs le choix du poéticien, qui laisse ouverte la possibilité d’échanges ou de « transfusions », garde de la Littérature imaginaire quelque chose d’essentiel.

La fable marginalisée (2)

59Chez Borges, la fable suppose que tout est Ecrit ; nous avons vu qu’elle implique que l’écrit tend à attirer « l’intégralité des choses existantes (et inexistantes) ». En d’autres termes, la littérature est un livre infini, il n’y a pas de « choses » en dehors de lui, ou : le monde est un livre, le livre est un monde. Ce thème du « Livre » a lui-même ses variantes. Avant d’être borgésien, le trait est mallarméen, et Valéry semble d’ailleurs déplorer, chez Mallarmé, « une certaine métaphysique, sinon […] un certain mysticisme difficile à définir [8] ». Je ferais volontiers l’hypothèse que Genette partage ce sentiment. Mais il n’y a pas de raison de s’en tenir aux Modernes. Le thème est aussi baroque :

60

Le monde baroque est une scène où l’homme joue sans le savoir, devant des spectateurs invisibles, une comédie dont il ne connaît pas l’auteur, et dont le sens lui échappe.
(Figures, p. 17-18)

61Et ce baroque-là (avec sa touche sombre de scepticisme, j’y reviendrai) apporte sa couleur propre à la Littérature imaginaire, selon Genette.

62Quelle qu’en soit sur ce point la variante, la fable, dans sa version dure, définit un espace sans extériorité (c’est le côté « totalitaire » de l’utopie borgésienne). Or, une démarche rationnelle conduit sans doute à poser une extériorité à la littérature et à l’art, elle mène au refus du paradoxe d’Oscar Wilde (« La vie imite l’art bien plus que l’art n’imite la vie ») et à un rejet de l’esthétisme :

63

Sans l’action de l’art, la nature ne pourrait être un objet esthétique, et ne pourrait donc présenter aucune valeur esthétique, ni positive ni négative. Cette thèse me semble à la fois juste et excessive […].
(« Quelles valeurs esthétiques », Figures IV, p. 76)

64Je résume la suite : « la nature sans l’homme n’est ni belle ni laide, tout simplement parce que le jugement qui la rend belle ou laide ne peut être que le fait d’un être humain », mais on ne dira pas pour autant que « la nature ne peut devenir esthétique que par l’action de l’art ». Il faut en effet comprendre que « le fait d’un être humain » ne signifie pas nécessairement « l’action de l’art ». Reste une difficulté : il est étonnant que Genette déclare « juste » une thèse qu’il trouve « excessive ». La suite précise en quoi consiste l’excès – sans pour autant résoudre vraiment notre difficulté :

65

[…] ce regard, certes presque toujours plus ou moins informé par l’art, ne l’est pas de manière nécessaire et absolue : pour citer de nouveau Proust, en l’occurrence plus nuancé que Wilde, à propos des natures mortes de Chardin : « Si tout cela vous semble maintenant beau à voir, c’est que Chardin l’a trouvé beau à peindre. Et il l’a trouvé beau à peindre parce qu’il le trouvait beau à voir » – phrase qui place au point de départ de l’ensemble une appréciation esthétique apparemment libre de toute influence artistique.
(ibid., je souligne)

66Il est vrai que ce n’est qu’une « nuance ». Genette fait alors cette ultime concession :

67

[…] si je m’appelle Corot, Pissarro ou Cézanne, il n’est peut-être pas trop spécieux de dire que mon attitude esthétique subit alors l’influence d’une œuvre ultérieure, celle-là même que je m’apprête à produire […].

68Mais justement Chardin, qui a trouvé « beau à voir » tel ensemble d’objets, est un peintre, il a l’œil du peintre, il a sa nature morte en tête. L’exemple n’est donc pas si bon et Proust pas si nuancé. Genette le note d’ailleurs et la suite le confirmera.

69Voilà en tout cas, de la part de Genette, beaucoup de nuances : « presque toujours », « plus ou moins », « pas de manière nécessaire et absolue », « plus nuancé », « apparemment », « peut-être pas trop spécieux ». Je vois deux interprétations possibles à ces réserves ou à ces tensions. La première semble s’imposer : Genette pense que, dans un certain nombre de cas, une attitude esthétique peut ne pas être informée par l’art ; il nuance parce que c’est complexe, qu’il faut distinguer, etc. Une seconde interprétation me paraît cependant envisageable : le propos de Genette rencontre une aporie avec la question de l’origine. Selon la fable (version dure), il n’y a pas d’origine : le « livre de sable » de Borges, parce qu’il est infini, n’a ni première ni dernière page. Et il se trouve ici que le propos de la fable est particulièrement fort, que de bons arguments (rationnels) peuvent l’étayer. S’agissant d’un Chardin ou d’un Cézanne, toute l’histoire des concepts de paysage ou de nature morte, qui ne sont certainement pas des objets donnés, jetterait déjà un doute sérieux sur la possibilité de définir une origine. Plus généralement, il semble très difficile d’imaginer un esprit vierge de toute « influence ». Sinon par principe. Raison contre raison ? Peut-être. Soit on pose une origine, soit on accepte une régression à l’infini.

70S’agissant de littérature, nous lisons dans Palimpsestes (p. 453) : « Andromaque et Docteur Faustus ne sont pas plus loin du réel qu’Illusions perdues ou Madame Bovary. » Resurgit ici la question de l’illusion réaliste, obstacle majeur à l’idée de la littérature impliquée par la fable : exposée dès l’essai de Figures sur Valéry, elle consiste à « croire que la littérature peut reproduire le réel » (p. 258). Et Genette de citer le mot de Valéry à propos de Flaubert : « Le seul réel dans l’art, c’est l’art. » Au fond, ici encore, peut-être la fable de la Littérature imaginaire dit-elle juste et donne-t-elle au poéticien une bonne hypothèse quand elle retravaille et extrémise la notion d’espace « réversible » et pose l’idée d’infinitude ? Mais si l’illusion réaliste est tenue avec raison pour un obstacle épistémologique, il n’empêche qu’on peut avoir besoin d’un point fixe et d’un repère. De nouveau raison contre raison ?

71Ne concluons pas trop vite sur une rationalité à deux visages et revenons un instant à Proust. Le texte de Proust sur Chardin se poursuit avec l’exemple de Rembrandt. La perspective change alors très sensiblement : « Avec Rembrandt la réalité même sera dépassée. Nous comprendrons que la beauté n’est pas dans les objets [9]. » Elle n’est pas dans les objets. Dois-je comprendre, comme il a été dit, qu’elle est dans le regard que je peux porter sur eux ? Non, elle n’est pas non plus dans mon regard, pas même si je suis peintre, et, plus surprenant, elle n’est pas même dans le regard de Rembrandt. Elle est, chez ce dernier, dans la lumière qui baigne et éclaire les objets. Voici la suite :

72

[…] la beauté n’est pas dans les objets, car sans doute alors elle ne serait si profonde et si mystérieuse. Nous verrons les objets n’être rien par eux-mêmes, orbites creux dont la lumière est l’expression changeante, le reflet prêté de la beauté, le regard divin.
(ibid.)

73La spéculation sur l’origine dérive vers un discours du mystère (quel rôle joue, dans l’affaire, le regard de Rembrandt ?) et, ultimement, un discours mystique (« le regard divin »).

74La référence à un regard qui ne soit pas sous influence me semble répondre à deux impératifs : rester cohérent avec l’hypothèse subjectiviste de départ et trouver une « sortie ». Que la réflexion sur l’esthétique conduise à refuser le propos d’Oscar Wilde sur l’imitation de l’art par la vie est en effet cohérent. Mais que fait-on alors de celui de Valéry sur l’illusion réaliste (« Le seul réel dans l’art, c’est l’art ») ? Ce dernier s’inscrit parfaitement dans la perspective de la fable et il a une valeur stratégique : il faut disqualifier une vue simplifiante du rapport de la littérature au « vrai ». Comment refuser Wilde et accepter Valéry ? Genette va pourtant trancher, et tant pis pour la fable. Il s’agit alors de trouver une « sortie » :

75

Je sais bien que Chardin n’est pas le premier peintre de natures mortes, mais je sais aussi que ce genre a bien dû commencer un jour par une première nature morte, qui par définition ne s’inspirait d’aucun modèle pictural antérieur.
(Figures IV, p. 78)

76Et la suite :

77

L’idée « formaliste », en somme, que l’art, et la nature même, ne procèdent que de l’art, est certes une idée stimulante, mais à condition de ne pas la prendre trop longtemps à la lettre, de ne pas s’y enfermer, de ne pas en être dupe.

78Bref, la fable est d’autant meilleure qu’elle est plus courte. La voilà congédiée.

79Même si la comparaison devait conduire à forcer le trait, je ferais volontiers référence aux fameux deux premiers articles définissant, en 1866, les buts de la Société de linguistique de Paris :

80

Article premier : la Société de linguistique a pour but l’étude des langues, celle des légendes, traditions, coutumes, documents, pouvant éclairer la science ethnographique. Tout autre objet d’études est rigoureusement interdit.
Article 2 : la Société n’admet aucune communication concernant soit l’origine du langage, soit la création d’une langue universelle [10].

81Il y avait des raisons idéologiques, voire politiques à cette promulgation, mais aussi des raisons « scientifiques » : c’était se garder, assez brutalement, de toute spéculation hasardeuse. Pour poursuivre un instant sur ce chemin un peu périlleux, je soulignerais qu’il est à cet égard remarquable que Genette ait abordé une fois les deux questions interdites sous la forme d’une sorte de fable, justement. Mimologiques, ce titre vaguement romanesque (je pense aux Ethiopiques), n’évoque-t-il pas un voyage imaginaire ? et, proprement, un voyage en Utopie ? Ce « voyage en Cratylie » n’explore-t-il pas « un genre littéraire jusqu’ici méconnu » ?

82

Malgré la constante et multiple sollicitation de tant de disciplines concernées (histoire des idées, histoire de la linguistique, philosophie du langage, épistémologie, etc.), le nerf de cette étude aura donc été, plutôt, la séduction esthétique d’un mimologisme considéré comme un des beaux-arts – disons (redisons) comme un genre littéraire.
(p. 427, je souligne)

83Mimologiques est un excursus et une excursion. Une excursion, car le livre fait défiler d’étonnants paysages, proches ou lointains dans le temps et dans l’espace, il sollicite puissamment notre imaginaire ; un excursus, car il a dans l’œuvre théorique un statut très particulier, sinon exceptionnel, tout entier sous l’emprise d’une fable, séduit par elle.

84Cette fois, la marginalisation de la fable est liée à la question de la réversibilité de l’espace littéraire et, au-delà, à son infinitude, qui est, on s’en souvient, un trait de la version exacerbée de la Littérature imaginaire. De nouveau, le discours théorique de Genette résiste à ses séductions, comme par une sorte d’ascèse. Il s’agissait plus haut de préserver les différences, il s’agit ici d’éviter une régression à l’infini, de répondre à des exigences de clarté et d’efficacité, et finalement de choisir le « raisonnable » à défaut du rationnel. Mais, dans un cas comme dans l’autre, la fable reste active sur les marges du discours, ne fût-ce que par les tensions qu’elle y imprime, les hésitations et les nuances dont elle l’agite, et cette vibration nourrie d’incertitudes qui n’est pas le moindre attrait du propos théorique.

Le travail de la fable (1)

85Les cas les plus complexes de combinaison de la fable et du discours théorique sont ceux où la première travaille le second de l’intérieur et non plus sur sa périphérie. Alors cette poétique fait siennes une inquiétude et une fragilité remarquables, mais aussi incorpore une forme inédite de créativité.

86Prenons un peu de recul et voyons dans leur ensemble les fameux tableaux et les non moins fameux classements qui relèvent de la puissante libido classificandi. Il arrive que le tableau, dès sa construction, soit frappé d’obsolescence et renvoie à un autre, meilleur… et (peut-être ?) impossible. Ainsi, dans l’Introduction à l’architexte :

87

[…] lorsque Fielding, dans un esprit encore très aristotélicien, définit Joseph Andrews (et, d’avance, Tom Jones et quelques autres) comme une « épopée comique en prose », même si l’on peut ramener sans trop de peine le terme épopée comique à la quatrième case aristotélicienne, la spécification « en prose » introduit inévitablement un troisième axe de paramètres qui déborde et invalide le modèle de la grille tabulaire, car l’opposition en prose/en vers n’est pas propre au mode narratif […], mais traverse aussi le mode dramatique […]. Il y faudrait donc un volume à trois dimensions […].
(p. 82-83)

88Et Genette de rêver à « une espèce de cube translucide » qui « donnerait au moins pendant quelque temps l’illusion d’y faire face et d’en rendre compte ». Faut-il préciser que l’on ne verra pas ce cube ?

89Si même on évite ce genre de complications, il arrive fréquemment, comme chacun sait, que le tableau ne puisse pas être « rempli ». Ce sont les fameuses cases vides. Leurs fonctions principales : assurer une certaine souplesse aux tableaux, permettre l’anticipation (Aristote laisse aimablement une place à Fielding), lier réflexion théorique et création (un auteur viendra peut-être, qui comblera la case, tant il est vrai que la théorie sert aussi à « inventer la pratique » – Nouveau Discours du récit, p. 109). Accessoirement, mais l’accessoire a vocation à être essentiel, elles compensent les lacunes de l’information :

90

Il me semble […] que le principe taxinomique qui a guidé cette recherche lui aura évité les lacunes les plus graves […], grâce à ce que j’appellerai la vertu heuristique de la case vide.
(Palimpsestes, p. 446)

91Précision essentielle, en effet, car il s’agit alors de couvrir l’ensemble du champ, donc de manifester la coprésence de tous les possibles et d’assurer le maximum de liens entre les différents matériaux, premier pas vers leur cohésion et vers une homogénéité de l’espace littéraire. Ainsi, dans Fiction et diction (p. 35), la case laissée vide est celle qu’occuperait une très étrange « fiction conditionnellement littéraire », que Genette tient pour impensable. Une lacune serait en quelque sorte comblée par un monstre [11]. Enfin, toujours accessoirement et essentiellement, cette variante :

92

L’essentiel est pour moi, non dans telle ou telle combinaison effective, mais dans le principe combinatoire lui-même, dont le mérite essentiel est de poser les diverses catégories dans une relation libre et sans contrainte a priori : ni détermination […] unilatérale […], ni interdépendance […], mais de simples constellations où tout paramètre peut a priori jouer avec tout autre.
(Nouveau Discours du récit, p. 89)

93Le propos et l’idée sont valéryens : on reconnaît l’idée de « combinatoire », bien sûr, et cette proposition : tout ce qui est possible se réalisera (souvenons-nous de « On n’invente que ce qui s’invente et veut être inventé »). Certes, Genette, comme toujours, est prudent et note simplement que nul ne peut assurer que telle combinaison ne se réalisera pas : « Nature et Culture engendrent chaque jour des milliers de “monstres”, qui se portent comme des charmes (ibid.). » Il n’empêche que cette pratique fondamentale de la case vide peut être interprétée de deux façons : comme pur produit du classement et pièce indispensable du système, mais aussi comme une forme de respect à l’égard d’un continuum littéraire, un effort pour densifier le réseau et, à ce titre, comme un trait de la fable.

94Le plus souvent, le tableau s’inscrit dans une triple perspective : sa genèse, son exposé, son commentaire. Genette procède d’abord à un parcours historique : il passe en revue les poéticiens qui l’ont précédé sur le sujet, les critique, ajuste leurs propositions et leurs classements – son Introduction à l’architexte est un exemple très pur de cette démarche. Dans un deuxième temps, il présente son propre tableau. La spatialisation de notions éparpillées dans l’Histoire répond ainsi d’abord à un souci d’ordre. Nous avons affaire à un « pseudo-espace homogène et réversible ». « Pseudo » parce que, a priori, les éléments en sont bien définis, ne se recoupent pas, ne s’échangent pas. Mais il y a un troisième temps : Genette se refuse rarement le plaisir de désorganiser son tableau ; il ne manque pas de l’accompagner de commentaires insistant sur sa fragilité, son caractère provisoire, son côté bancal, etc.

95C’est ainsi que Palimpsestes commence par énumérer cinq types de relations transtextuelles : l’intertextualité, la paratextualité, la métatextualité, l’hypertextualité et l’architextualité (p. 8 sq.). Et Genette ajoute aussitôt :

96

Tout d’abord, il ne faut pas considérer les cinq types de transtextualité comme des classes étanches, sans communication ni recoupements réciproques. Leurs relations sont au contraire nombreuses, et souvent décisives. Par exemple […].
(p. 14)

97Et de continuer en brouillant joyeusement les cartes, en exposant les liens entre architextualité générique et hypertextualité, mais aussi paratextualité, et encore métatextualité, etc. Le propos reste précis, le lecteur attentif peut suivre (à condition toutefois qu’il prenne son temps et relise), mais, évidemment, la question (naïve ?) se pose de la manière dont ces ajouts, nuances, mises au point pourraient bien s’intégrer dans le classement. De fait, ils ne le pourraient probablement pas : la liste est débordée, le classement perturbé parce qu’un principe dynamique est pris en compte, multipliant les « rapprochements ». C’est le retour de la fable. A une autre échelle, le phénomène est décrit dans les dernières phrases de Palimpsestes :

98

Ainsi s’accomplit l’utopie borgésienne d’une Littérature en transfusion perpétuelle (ou perfusion transtextuelle), constamment présente à elle-même dans sa totalité et comme Totalité, dont tous les auteurs ne font qu’un et dont tous les livres sont un vaste Livre, un seul Livre infini. L’hypertextualité n’est qu’un des noms de cette incessante circulation des textes sans quoi la littérature ne vaudrait pas une heure de peine. Et quand je dis une heure…
(p. 453, je souligne)

99Dans cette façon de traiter le tout par glissements, dérapages, adjonctions, bifurcations…, on pourra voir une forme de coquetterie, ou le simple effet de la prudence. On pourra, mais il me semble qu’il y a plus.

100Et je reviens à Fiction et diction. A titre d’exemple, encore quelques mots, après bien d’autres, sur l’étrange et célèbre tableau que Genette nous propose (p. 32) :

RégimeConstitutifConditionnel
Critère
ThématiqueFICTION
RhématiqueDICTION
POESIEPROSE

101Ce tableau est le fruit d’un jeu de distinctions qui ne se recouvrent pas (Genette parle d’une « situation dissymétrique ») :

102

Il y a […] des dictions de littérarité constitutive et des dictions de littérarité conditionnelle, alors que la fiction, elle, est toujours constitutivement littéraire.

103En d’autres termes, la diction ne s’oppose pas à la fiction comme le conditionnel s’oppose au constitutif et, par ailleurs, poésie et prose (les deux régimes de littérarité par diction) ne peuvent figurer dans deux cases différentes (contrairement aux autres notions, elles s’enchaînent sans solution de continuité).

104Ce n’est pas tout. Dans un essai de Figures IV (« Du texte à l’œuvre », conçu en 1997, soit après le premier volume de L’Œuvre de l’art et l’année où paraît le second), Genette va revenir sur ces distinctions. On lui a reproché de donner une préséance à la fiction sur la diction (comme le montrerait l’ordre des termes dans le titre). Il répond :

105

Contrairement à ce que l’on a dit, il n’y a donc, dans l’ordre des termes fiction et diction (si on les tient, en simplifiant beaucoup, pour synonymes, ou emblématiques, de constitutif et conditionnel, ou d’intentionnel et attentionnel), aucun ordre de « préséance ».
(p. 28)

106« [S]i on les tient… ». Fiction et diction ne sont en effet pas synonymes de constitutif et conditionnel, on l’a vu, c’est le premier point. Genette dira plus tard, à propos de constitutif et conditionnel : « Bien davantage qu’à la précédente, je tiens à cette dernière distinction » (Postscript, p. 168). Par ailleurs, un nouveau couple est introduit : intentionnel et attentionnel. Or, c’est une autre problématique et il n’est pas possible de superposer ce couple aux précédents : j’ai l’intention d’une œuvre littéraire qui n’a pas sa place dans le corpus constitué et il arrive, pour mon malheur, qu’elle ne la trouve pas, cette place espérée, tant est difficile la voie de l’innovation… D’où les nuances du propos de Genette : « en simplifiant beaucoup », « synonymes, ou emblématiques ». Et je ne parle pas, à propos de cette chaîne de substitutions, d’un ultime repentir :

107

[…] j’aurais peut-être dû proposer, au lieu de constitutif, d’allure un peu trop essentialiste, l’adjectif conventionnel, qui aurait davantage fait droit au caractère d’artefact culturel de ce genre d’attributions génériques.
(Postscript, p. 171)

108Il l’aurait peut-être dû, en effet, mais ce n’est pas ce qui nous importe ici. Il suffit de souligner un déplacement de plus, et d’ailleurs capital.

109Sans doute doit-on encore noter, comme si ce n’était pas assez, qu’en 2003, dans l’article appelé à devenir le « Post-scriptum » de Fiction et diction, Genette avait déjà délibérément faussé la distinction première. Si un même texte peut évidemment relever des deux régimes de littérarité que sont la fiction et la diction, on est en effet en droit de douter que ces deux critères soient pleinement compatibles :

110

[…] je ne suis pas très sûr, à bien y réfléchir, que les œuvres, constitutivement littéraires, de fiction narrative ou dramatique suscitent aussi fortement que les autres [celles qui ne sont que de diction : Montaigne, Pascal, Saint-Simon…] l’appréciation esthétique propre à leur conférer, comme par surcroît, la littérarité conditionnelle dont peuvent jouir les œuvres de « diction ».
(rééd. 2004, p. 224)

111La remarque, très fine, mériterait un long commentaire. Elle note un phénomène frappant, et d’autant plus « frappant », d’ailleurs, que Genette le met remarquablement en lumière. En tout cas, elle complique encore le jeu des distinctions.

112A voir cela de loin, on pourra parler de désinvolture, s’en régaler ou s’en irriter. Question de goût. D’un peu plus près, il saute aux yeux qu’on a affaire à un travail « en progrès », non seulement ouvert, mais instable, soumis à d’incessantes corrections. Le poéticien se relit, rectifie, précise, s’inquiète de la réception, redoute le malentendu. Bref, le désinvolte était un scrupuleux. Mais il ne faut pas en rester à cette appréciation vaguement psychologique et tout aussi vaguement morale. On doit aller plus loin. Et je reviens à mon hypothèse. Le travail d’assouplissement et de dynamisation des classements et des tableaux peut être rapporté à l’effet de la fable. La fable, en effet, œuvrant dans l’indistinct, fluidifie les notions, multiplie les rapprochements, densifie à l’extrême l’espace littéraire. Ainsi, subrepticement, sans être jamais explicitée dans le discours théorique, elle l’oriente, l’infléchit, l’homogénéise. Son effet est particulièrement repérable dans le temps : dans la succession et la superposition progressive des tableaux. C’est bien la « transfusion perpétuelle » dont il était question plus haut. Un seuil a été franchi. Tout se passe comme si les termes de la problématique que nous suivons s’étaient inversés. Le tableau mettait la fable en défaut ; ici, c’est le tableau qui est mis en défaut et qui, à force de corrections et d’amendements, perd la pureté de ses lignes et la clarté de ses distinctions. Dans le long processus de l’élaboration théorique, dans la succession cumulative des modèles, la Littérature imaginaire reprend ses droits. Si chaque étape de l’analyse s’inscrit dans une poétique positive, l’analyse en elle-même, considérée dans un temps long et prise dans sa totalité, relève bel et bien du modèle de cette Littérature imaginaire.

113Le titre Fiction et diction, si simple, si net, est un bon exemple de ces tensions. Genette lui-même a souligné les inconvénients de la paronomase : un beau titre, qui sonne bien, marque une opposition forte, mais perd les nuances de la démonstration et la complexité du cheminement. On peut penser aux premiers travaux sur le baroque. « L’or tombe sous le fer », écrit Saint-Amant en parlant de la moisson (Figures, p. 29). Les deux figures (l’or, métaphore du blé, et le fer, métonymie de la faucille) dissonent : « l’épi n’est pas d’or comme la lame est de fer ». Le poète « sauve les apparences ». Je me risquerai à un parallèle : le titre Fiction et diction ne renvoie pas à une symétrie, mais il n’est pas non plus le fait de quelque coquetterie « littéraire ». L’argumentation force les différences, la paronomase unifie le champ, « sauve les apparences ». On peut lire toute l’argumentation comme la recherche d’un équilibre et une tentative pour fixer un vertige. Ainsi Genette navigue-t-il entre le goût du paradoxe, du vertige, et un rationalisme affirmé.

114Considérons pour finir, dans le même esprit, l’architecture de nombre de ses livres. Sans souci de la chronologie, allons des constructions les plus conformes aux plus atypiques.

115Nous avons des ouvrages construits selon des modèles canoniques avec parties et chapitres : Seuils, les deux volumes de L’Œuvre de l’art.

116Des livres sont agencés en listes : ainsi Mimologiques. Parfois, l’ossature de ces listes tend à l’invisibilité : c’est Palimpsestes, dont les éléments numérotés se succèdent uniment dans le corps du livre et ne sont titrés que dans la table des matières (le « Sommaire »). Notons par ailleurs que le lecteur ne peut recourir à des titres courants : ils sont remarquablement absents.

117Le cas des recueils d’articles ou d’essais n’est pas aussi simple qu’on pourrait croire. Si la composition de Figures et Figures II relève évidemment d’une stratégie pour l’ordre des textes, leur présentation répond parfaitement aux normes du recueil. Mais voyons Figures V, le dernier du genre (2002). La table (justement intitulée « Repères ») présente une liste de quatre essais précédés d’une « ouverture ». En revanche, dans le corps du livre, les titres des essais sont de purs intertitres, qui « tombent » où ils peuvent, et parfois au beau milieu d’une page de droite ou de gauche, si bien que, par exemple, « L’art en question » enchaîne sans vraie solution de continuité sur « Morts de rire » (p. 225). Ce sont les titres courants qui exhibent le découpage du livre. Ce contraste entre leur visibilité et la discrétion des titres de chapitres (traités en intertitres) n’est pas sans rappeler quelques pratiques romanesques. Quant aux subdivisions, elles sont indiquées pour la première fois par des astérisques.

118Avec Métalepse, pas d’autres « parties » que celles que marquent des astérisques. Pas de table. En titres courants, le titre et le sous-titre du livre. L’exposé systématique a pris délibérément l’allure d’une liste sans noms ni ordre explicite. Nous retrouverons cette disposition à la fin de la suite bardadraque : Epilogue et Postscript.

119Voilà qui est au moins paradoxal. Tout se passe comme si, dans ces exercices d’architecture (un art qu’il aimait tout particulièrement), Genette jouait avec l’image d’une « Littérature en transfusion perpétuelle », comme si, encore une fois, au terme des analyses et du travail de mise en ordre, il retournait ostensiblement à la fable, comme si le « système » pouvait ou devait être volontairement défait, comme si c’était là le prix à payer. Dans sa « Première leçon du cours de poétique », Valéry ne déclarait-il pas que « tout ce que nous pouvons définir se distingue aussitôt de l’esprit producteur et s’y oppose[12] » ?

Le travail de la fable (2)

120Dans l’essai de Figures qu’il lui consacre, Genette commente ce qu’il appelle l’à quoi bon de Valéry (« La littérature comme telle », p. 253 sq.). Après avoir cité ce propos de Tel Quel, aussi plaisant qu’abrupt : « La littérature est pleine de gens qui ne savent au juste que dire, mais qui sont forts de leur besoin d’écrire », il « rattrape » charitablement Valéry et interprète la formule d’une façon moins sombre, plus convenable : « le besoin d’écrire sans savoir quoi » serait en fait une force. Dont acte. Il enchaîne alors sur l’ennui qu’inspire l’écriture à son auteur :

121

Cet à quoi bon, ce dégoût d’écrire qui saisit Rimbaud après son œuvre, intervient chez Valéry pour ainsi dire avant elle.

122Plus loin :

123

[…] la majeure partie de son œuvre fait suite, comme par dérogation perpétuelle, à une très sérieuse et définitive décision de ne plus écrire. C’est littéralement un post-scriptum, un long codicille.

124Et enfin cette règle :

125

[…] vivre dans la littérature comme en une terre étrangère, habiter l’écriture comme en visite ou en exil, et porter sur elle un regard à la fois intérieur et distant.
(ibid.)

126Il y aurait ainsi, à l’origine d’une œuvre qui ne serait qu’un post-scriptum ou un codicille (heureuse rencontre terminologique), une « dépréciation, ou dévaluation salutaire ». Ce n’est assurément pas vers l’ennui d’écrire qu’il convient de tirer l’œuvre de Genette, mais cet à quoi bon, cette dépréciation, cette dévaluation affichée, voire affectée, qui s’inscrivent d’ailleurs dans une très longue lignée littéraire dont Montaigne est le maître incontesté, peuvent nous indiquer une autre piste et un chemin plus sûr : celui du jeu. Le jeu se nourrit de l’inquiétude et du doute, et je ne retiendrai ici, de l’idée de jeu, ni le goût des plaisanteries, ni celui des curiosités, ni même le « ton » de l’écriture théorique genettienne. La question n’est pas non plus de savoir si Genette considère ou pratique généralement la littérature comme un jeu, mais si, dans le moment où il s’en occupe comme poéticien, il la traite rigoureusement comme un jeu.

127Il parle, dans Bardadrac, de « ces moments rafraîchissants où la vigilance théorique s’efface au profit du sens le plus commun » :

128

J’entends encore, quoique silencieuse, la consternation d’une personne narratologiquement correcte à qui je parlais, au fil d’une conversation à bâtons très rompus, de Combray à propos d’Illiers et de Proust à propos de Marcel : j’étais bien le dernier dont elle aurait attendu des glissements aussi irresponsables, de l’auteur au narrateur, et de la fiction à la réalité.
(p. 141)

129« à bâtons très rompus : Genette reconnaît plaisamment une sorte d’excès dans ce récit d’une curieuse métalepse mondaine. Mais, plus sérieusement, l’important est bien d’affirmer que nous jouons des rôles (encore le baroque), que nous vivons, lisons, écrivons dans différents « champs » ou différents « ordres », différents « espaces », pour reprendre un mot de la fable, et ni le comportement ni le langage n’y sont, n’y doivent être les mêmes. L’idée de jeu, considéré dans sa plus simple dimension, c’est l’idée de différenciation des espaces. Le grand jeu littéraire n’est pas le tout du monde, il y a des espaces extérieurs, et où nous sommes peut-être davantage nous-mêmes. Transposons en termes poéticiens pour dire, très sagement : quand on veut comprendre, dégager, exposer les règles du jeu, mieux vaut un regard distant ; l’objet est irrationnel, mais l’analyse et l’élaboration théorique sont rationnelles (La Relation esthétique, p. 145) – ou encore : l’objet est désordonné, mais on construit un système. Les positions ou les postures sont différentes selon qu’on éprouve l’œuvre, ou qu’on l’analyse, étant bien entendu par ailleurs que le même peut changer de posture. Il y a des cas et des moments où l’on est dans le jeu, d’autres où l’on est hors du jeu, « un point c’est tout ». Ce discours est évidemment tout à fait raisonnable et telle est d’ailleurs la vulgate, le « théoriquement correct ».

130Mais, dans la formule valéryenne que, après Genette, je viens de citer : « porter sur [la littérature] un regard à la fois intérieur et distant », il y a cet « à la fois » un peu inquiétant, qui semble en appeler à un exercice impossible. N’est-il vraiment pas possible de « tenir les deux » ? On peut au moins en rêver et cultiver le désir, avoué ou non, de relever ce défi. Il me semble que l’inflexion très particulière que Genette a donnée au discours théorique et à la poétique tient à l’affirmation d’un tel désir. C’est ainsi que la fable de la Littérature imaginaire travaille l’œuvre théorique, qu’elle la dramatise, et fait que cette poétique n’est pas une « discipline neutre ». Nous avons affaire au retour inattendu d’une question de valeur. On ne va pas introduire en fraude l’évaluation dans la description, mais, dans un tout autre ordre, se demander, en déplaçant la question valéryenne, si et par quoi le travail, la recherche, l’écriture au second degré valent la peine. J’ai rappelé la remarque de Genette : « cette incessante circulation des textes sans quoi la littérature ne vaudrait pas une heure de peine. Et quand je dis une heure… ». C’est une variante de l’à quoi bon, et une réponse (très discrètement) positive, grâce à la fable qui apparaît au bout de ce long chemin. Long chemin, en effet. Y avait-il une « voie courte » ? Une autre façon de saisir l’« incessante circulation des textes » que ce jeu incessant et cette confrontation de la distinction et de l’instabilité ? Peut-être, mais, quoi qu’il en soit, c’est ici dans la durée de l’œuvre de toute une vie que se mesure l’impact de la fable et que s’évaluent ses exigences : reprises, déplacements, corrections, tensions, inquiétudes. Telle est la manière Genette : les plaisirs purs de l’exercice théorique et la poétique la moins désincarnée qui soit.

131Avec Métalepse (2004), le dernier ouvrage proprement théorique de Genette, retour in extremis à la fable – et à « Figure ». Façon légère de boucler le propos – par une citation de Borges. C’est un double bouclage, car il se trouve que cette même citation figure dans le premier essai de Figures, consacré au baroque (« L’univers réversible », p. 17) :

132

« Pourquoi sommes-nous inquiets que la carte soit incluse dans la carte [ [13]] et les mille et une nuits dans le livre des Mille et Une Nuits ? Que don Quichotte soit lecteur du Quichotte et Hamlet spectateur d’Hamlet ? Je crois en avoir trouvé la cause : de telles inversions suggèrent que si les personnages d’une fiction peuvent être lecteurs ou spectateurs, nous, leurs lecteurs ou leurs spectateurs, pouvons être des personnages fictifs. En 1833, Carlyle a noté que l’histoire universelle est un livre sacré, infini, que tous les hommes écrivent et lisent et tâchent de comprendre, et où, aussi, on les écrit. »

133Et le poéticien de conclure :

134

Un livre, donc – sacré, je ne sais, infini, j’en doute un peu –, où quelqu’un (mais qui ?) sans cesse nous écrit, et parfois aussi, et toujours finalement, nous efface. C’est là, peut-être, faire inconsidérément endosser à une simple figure un peu plus qu’elle n’y songeait, mais sait-on jamais vraiment à quoi songe une figure ?
(Métalepse, p. 131-132)

135Il faudrait sans doute en rester là, mais je ne résiste pas au plaisir de souligner, encore une fois, la discrète atténuation de la fable et sa mise à distance (« je ne sais », « j’en doute un peu », « mais qui ? ») au moment même où elle revient en force – comme si, à ce moment décisif de clôture, le discours théorique et le discours fabuleux, le système et l’antisystème devaient mystérieusement fusionner.

136*

137En mai 1969, des malheureux se trouvaient enfermés dans une immense salle, sommés de méditer sur un sujet de concours : une citation sur Le Côté de Guermantes, inscrit cette année-là au programme de l’agrégation. Quelques appariteurs les surveillaient sous l’autorité de deux ou trois membres du jury. Parmi ces derniers, un dix-septiémiste, aussi connu pour sa bienveillance que pour son érudition. Il sortit un moment et revint tout heureux de montrer à ses collègues un livre apparemment flambant neuf. Certains candidats purent voir de loin que c’était Figures II. L’évidente curiosité et la mine réjouie du professeur les rassurèrent. Un petit air frais circula dans la salle.


Date de mise en ligne : 15/05/2019

https://doi.org/10.3917/poeti.185.0005

Notes

  • [1]
    Bardadrac, p. 193. Toutes les références à l’œuvre de Genette sont aux éditions originales (voir la bibliographie, p. 3-4).
  • [2]
    Codicille, p. 144-145.
  • [3]
    « On imagine Œdipe, au lever du rideau, déclarant sans préambule au peuple thébain : “Bonnes gens, j’ai tué mon père Laïus et fait quatre enfants à ma mère Jocaste […]. N’allez pas chercher plus loin, tout le mal vient de là”. » Figures II, p. 158.
  • [4]
    Sur Borges et Genette, voir Frank Wagner, « “Jorge Luis Genette” », Fabula-LhT, n° 17, « Pierre Ménard, notre ami et ses confrères », juillet 2016, URL : http://www.fabula.org/lht/17/wagner.html. Frank Wagner étudie précisément les différents aspects de la relation étroite et complexe qu’entretiennent les deux œuvres. Dans le même dossier, Christine Noille propose une lecture serrée de « Pierre Ménard, auteur du Quichotte » et dégage les enjeux propres à la poétique borgésienne (« Le pion de la Tour. Analyse rhétorique des brouillons perdus du Quichotte », juillet 2016, URL : http://www.fabula.org/lht/17/noille.html).
  • [5]
    Michel Foucault, Les Mots et les Choses, Gallimard, « Bibliothèque des sciences humaines », 1966, « Préface », p. 9-10.
  • [6]
    Dans la « Première leçon du cours de poétique », ouvrant la voie à cette « seconde poétique », Valéry parle de « l’instabilité, l’incohérence, l’inconséquence » qui sont, pour qui compose un ouvrage, « des trésors de possibilités » (Œuvres, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1957, t. I, p. 1352).
  • [7]
    Roland Barthes, « Réflexions sur un manuel », dans Œuvres complètes, Seuil, 1994, t. II, p. 1241.
  • [8]
    Lettre sur Mallarmé », dans « Variété », Œuvres, op. cit., t. I, p. 636.
  • [9]
    Contre Sainte-Beuve, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1978, p. 380.
  • [10]
    Mémoires de la Société de linguistique de Paris, Paris, Librairie A. Franck, 1868, « Statuts », t. 1, p. 3.
  • [11]
    Que pourrait être ce monstre ? 1) Un récit fictionnel, 2) que je tiens pour vrai, 3) que j’aime pour ses qualités formelles ? ajoutons, pour le plaisir, 4) et qui serait aussi émouvant… qu’une fiction. (On connaît l’histoire de la fleur artificielle, si vraie qu’elle a l’air d’être une fausse aussi belle qu’une vraie.) Plus sérieusement, on peut penser que tous les monstres sont possibles dès lors qu’il ne s’agit pas de types de discours, mais de régimes de lecture : dans la lecture, tout peut arriver.
  • [12]
    Op. cit., p. 1349.
  • [13]
    [Borges vient de citer Josiah Royce, qui imagine que, sur une portion du sol de l’Angleterre, on veuille tracer une carte d’Angleterre qui soit parfaite. Cette carte devra contenir « une carte de la carte, qui devra contenir une carte de la carte, et ainsi jusqu’à l’infini » (« Magies partielles du “Quichotte”, Enquêtes, Paris, « Folio Essais », 2012, p. 77). N’oublions pas qu’un chapitre de Figures s’intitule « Figures ».]

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