Poétique 2018/2 n° 184

Couverture de POETI_184

Article de revue

Qu’est-ce que le portrait de pays ?

Esquisse de physionomie d’un genre mineur

Pages 247 à 268

Notes

  • [1]
    Ce texte s’inscrit dans le cadre d’une recherche consacrée aux portraits de pays développée par le groupe MDRN (www.mdrn.be) de l’Université de Louvain (KU Leuven) en partenariat avec le Répertoire de la photolittérature ancienne et contemporaine (www.phlit.org) dirigé par Jean-Pierre Montier, le Centre des sciences historiques et de la culture de l’Université de Lausanne, le projet « Representations of Israel in French-Language Travel Guidebooks from 1948 to the Present Day » (ISF – Israel Science Foundation) dirigé par Galia Yanoshevsky, ainsi qu’en collaboration avec l’ANR Littépub (www.littepub.net) dirigée par Myriam Boucharenc et Laurence Guellec. Une version antérieure de cette réflexion a été présentée à l’Université de Lausanne en novembre 2016. Je remercie les participants de cette séance de séminaire pour leurs questions et remarques, tout particulièrement Ute Heidmann, Jean-Michel Adam, Christine Le Quellec Cottier et Jérôme Meizoz, ainsi que les collègues dont les commentaires sur une version plus récente de ce travail m’ont permis de l’étoffer et de le préciser : Philippe Antoine, Nadja Cohen, Jean-Pierre Montier et Galia Yanoshevsky.
  • [2]
    Claude Roy, Le Bon Usage du monde, Lausanne, Rencontre, « L’Atlas des voyages », 1964, p. 133.
  • [3]
    Grégoire Holtz et Vincent Masse, « Etudier les récits de voyage. Bilan, enjeux, questionnements », in Arborescences, n° 2, « La Littérature de voyage », sous la dir. de Grégoire Holtz et Vincent Masse, mai 2012, p. 1-30.
  • [4]
    Sur la photolittérature, voir, notamment, Transactions photolittéraires, sous la dir. de Jean-Pierre Montier, Rennes, PUR, 2015, ainsi que Photolittérature, sous la dir. de Marta Caraion, Natalia Granero et Jean-Pierre Montier, catalogue de l’exposition, Montricher, Fondation Jan Michalski, 2016.
  • [5]
    Sur cette notion, voir Yves Jeanneret, Penser la trivialité. Volume 1. La vie triviale des êtres culturels, Paris, Hermès sciences / Lavoisier, « Communication, médiation et construits sociaux », 2008.
  • [6]
    Michael Glowinski, « Les genres littéraires », dans Théorie littéraire : problèmes et perspectives, sous la dir. de Marc Angenot, Jean Bessière, Douwe Fokkema et Eva Kushner, Paris, PUF, 1989, p. 81-94.
  • [7]
    Sur ces éléments, voir David Martens, « Portraits de pays. Jalons pour l’identification d’un genre méconnu », à paraître.
  • [8]
    Voir, par exemple, la page de l’encyclopédie Wikipedia consacrée à l’écrivain.
  • [9]
    Franz Hellens et Maurice Blanc, Belgique, pays de plusieurs mondes, Lausanne, Clairefontaine et La Guilde du livre, 1956, p. III.
  • [10]
    Pierre Glaudes et Jean-François Louette, L’Essai, Paris, Armand Colin, « Lettres Sup./ Théorie des genres », 2011, p. 31.
  • [11]
    Ainsi en va-t-il de plusieurs livres publiés par le photographe Izis à La Guilde du livre, en particulier ces deux grands succès que furent Paris des rêves (1950), qui juxtapose en fac-similé des poèmes manuscrits de différents écrivains et les photographies d’Izis, ou encore Grand Bal de printemps (1951), dont le texte poétique est dû à Jacques Prévert. L’on peut également songer aux livres signés quelques années plus tard par François Cali chez Arthaud (Sortilèges de Paris, 1952, et France aux visages, 1953).
  • [12]
    Günther Klaus Just, « Essay », dans Deutsche Philologie im Aufriss, sous la dir. de Wolfgang Stammer, t. II, Berlin, Eric Schmidt Verlag, 1960, p. 1897-1948 (cité dans Pierre Glaudes et Jean-François Louette, op. cit., p. 15-16).
  • [13]
    Ibid., p. 16.
  • [14]
    Marielle Macé, Le Temps de l’essai. Histoire d’un genre en France au xxe siècle, Paris, Belin, « L’Extrême contemporain », 2006, p. 52, notamment.
  • [15]
    Voir, notamment, Gérard Genette, Fiction et diction, Paris, Seuil, « Poétique », 1991, ainsi que « Fiction ou diction », in Poétique, n° 134 / 2, 2003, p. 131-139.
  • [16]
    Cela explique que tel ou tel écrivain, connu comme connaisseur d’un pays particulier – Blaise Cendrars pour le Brésil, Joseph Kessel pour Israël… – soit sollicité de façon privilégiée, de même que certains écrivains étrangers, pour écrire le texte du volume consacré à leur pays, comme Franz Hellens, ainsi que Roger Bodart et Karel Jonckheere pour la Belgique, Jean Giono pour la Provence ou encore Andrée Chedid pour le Liban.
  • [17]
    Pierre Glaudes et Jean-François Louette, L’Essai, op. cit., p. 246, notamment.
  • [18]
    Ibid., p. 274 et sqq.
  • [19]
    Jean-Michel Adam et Ute Heidmann, Le Texte littéraire. Pour une approche interdisciplinaire, Louvain-la-Neuve, Academia, « Au cœur des textes », 2009, p. 18.
  • [20]
    Ibid.
  • [21]
    Philippe Antoine, Quand le voyage devient promenade. Ecritures du voyage au temps du romantisme, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, « Imago Mundi », 2011.
  • [22]
    Voir à ce sujet Jean-Didier Urbain, L’Idiot du voyage. Histoires de touristes (1991), Paris, Payot & Rivages, « Petite bibliothèque Payot », 2002, ainsi que James Buazard, The Beaten Track : European Tourism, Literature and the Ways to Culture, Oxford, Clarendon, 1993.
  • [23]
    Voir, notamment, Jean-Michel Adam, « Genres, textes, discours : pour une reconception linguistique du concept de genre », in Revue belge de philologie et d’histoire, t. 75, n° 3, 1997, p. 669.
  • [24]
    Voir Philippe Antoine, Quand le voyage devient promenade…, op. cit., p. 75 et sqq.
  • [25]
    Louis Marin, Utopiques : jeux d’espaces, Paris, Minuit, « Critique », 1973, p. 209.
  • [26]
    Bien entendu, il est des récits de voyage, ou des passages de ceux-ci, intégralement rédigés au présent, et qui imitent (parfois parce qu’ils les reprennent) des passages de carnets de note, afin de plonger le lecteur au plus près des actions dépeintes.
  • [27]
    Nicolas Bouvier, L’Usage du monde (1963), dessins de Thierry Vernet, Paris, Payot & Rivages, « Petite bibliothèque Payot – Voyageurs », 2001, p. 9.
  • [28]
    L’Espagne, t. 1, texte de A. t’Serstevens, Monaco, Les Documents d’Art, « Escales du monde », 1952, p. XI.
  • [29]
    Portugal des voiles, texte et photographies de Max-Pol Fouchet, avec la collaboration de Jacques-Adrien Blondeau, Lausanne, La Guilde du livre, 1959.
  • [30]
    Voir Réal Ouellet, La Relation de voyage en Amérique (xvie-xviiie siècle). Au carrefour des genres, Québec, Presses de l’Université Laval / Editions du CIERL, 2010.
  • [31]
    Voir à ce sujet Jacques Chupeau, « Les récits de voyages aux lisières du roman », in Revue d’histoire littéraire de la France, n° 3-4, 1977, p. 536-553.
  • [32]
    Dominique Grandmont, Tchécoslovaquie, Lausanne, Rencontre, « L’Atlas des Voyages », 1968, p. 19.
  • [33]
    Léonard Cottrell, L’Egypte, traduit de l’anglais par Michel Deutsch, Grenoble, Arthaud, « Les beaux pays », 1965, p. 23-38.
  • [34]
    Jean-Michel Adam et André Petitjean, Le Texte descriptif. Poétique historique et linguistique textuelle, Paris, Nathan, « Nathan Université », 1989, p. 161.
  • [35]
    Pierre Dumas, Le Maroc, couverture de Marius Hubert-Robert, ouvrage orné de 205 héliogravures, Grenoble, Rey & Arthaud, 1928, p. 27-28.
  • [36]
    Pierre Devoluy et Pierre Borel, Au gai royaume de l’Azur, préface de M. Maurice Maeterlinck, couverture de G.-A. Mossa, ouvrage orné de 168 héliogravures, Grenoble, Rey & Arthaud, « Les beaux pays », 1926, p. 13.
  • [37]
    Ariane Devanthéry, Guides de voyage et tourisme alpin. 1780-1920, préface de Gilles Bertrand, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, « Le Voyage dans les Alpes », 2016, p. 155.
  • [38]
    Pierre Chirol, Rouen, aquarelles de Germaine Petit, ouvrage orné de 184 héliogravures, Grenoble, Arthaud, 1931, p. 9.
  • [39]
    Voir Christine Montalbetti, Le Voyage, le monde et la bibliothèque, Paris, PUF, « Ecriture », 1997. Voir également Miroirs de textes. Récits de voyage et intertextualité, sous la dir. de Sophie Linon-Chipon, Véronique Magri-Mourgues et Sarga Moussa, Nice, Publications de la Faculté des lettres, arts et sciences humaines, 1999.
  • [40]
    Pierre Dumas, Le Maroc, op. cit., p. 68.
  • [41]
    Jean-Didier Urbain, L’Idiot du voyage…, op. cit., p. 117.
  • [42]
    Camille Mauclair, La Normandie, couverture de Marius Hubert-Robert, ouvrage orné de 183 héliogravures, Grenoble, J. Rey & Arthaud, « Les beaux pays », 1926, p. 9-10.
  • [43]
    Egypte (1962), par Simone Lacouture, Paris, Seuil, « Petite planète », 1963, p. 131.
  • [44]
    Annabelle Seoanne, Les Mécanismes énonciatifs dans les guides touristiques : entre genre et positionnement discursif, Paris, L’Harmattan, 2013, p. 60.
  • [45]
    Ibid., p. 41.
  • [46]
    Jean-Didier Urbain, L’Envie du monde, Paris, Bréal, 2011.
  • [47]
    Yves Jeanneret, Critique de la trivialité. Les médiations de la communication, enjeu de pouvoir, Paris, Editions Non Standard, « SIC – Recherches en sciences de l’information et de la communication », 2014, p. 70.
  • [48]
    Ariane Devanthéry, Guides de voyage et tourisme alpin…, op. cit., p. 59.
  • [49]
    Ibid., p. 23.
  • [50]
    Ibid., p. 136.
  • [51]
    Annabelle Seoanne, Les Mécanismes énonciatifs dans les guides touristiques…, op. cit., p. 105.
  • [52]
    Voir Claude Reichler, « Pourquoi les pigeons voyagent. Remarques sur les fonctions du récit de voyage », in Versants, n° 50, 2005, p. 11-36.
  • [53]
    Jean Baudrillard, Amérique, Paris, Grasset, 1986.
  • [54]
    Un colloque en préparation se donnera pour tâche de cartographier les déclinaisons médiatiques du genre (Portraits de pays. Textes, sons, images, sous la dir. de Sophie Lécole-Solnychkine, David Martens et Jean-Pierre Montier, Centre culture international de Cerisy-la-Salle, été 2019).
  • [55]
    En conclusion de son livre sur le Maroc, Pierre Dumas écrit, dans une perspective de propagande coloniale empreinte d’orientalisme : « [L]e Maroc est un pays unique où l’on peut admirer, comme dans un vaste musée animé, le vie moyenâgeuse de l’Islam conservée dans son archaïque pureté » (Le Maroc, op. cit., p. 189).
  • [56]
    Michel Poivert remarque à ce propos que « [l]’on a beau admettre que notre croyance en une vérité de la photographie est toute culturelle […], rien ne dissout complètement le sentiment d’une réalité du présent enregistré » (Brève Histoire de la photographie, Paris, Hazan, 2015, p. 53).
  • [57]
    Pour une mise en perspective critique sur cette appréhension de la photographie, voir André Gunthert, « Une illusion essentielle. La photographie saisie par la théorie », in Etudes photographiques, n° 34, printemps 2016. [En ligne], URL : http://journals.openedition.org/etudesphotographiques/3592.
  • [58]
    Brésil. Des Hommes sont venus…, texte de Blaise Cendrars, 150 photographies inédites de Jean Manzon, Monaco, Les Documents d’art, « Escales du monde », 1952.
  • [59]
    Suisse, par Dominique Fabre, gravure démontable de Jacques Noël, Paris, Seuil, « Petite planète », 1955.
  • [60]
    Irlande, par Camille Bourniquel, Paris, Seuil, « Petite planète », 1955.
  • [61]
    Louis Marin, Utopiques : jeux d’espaces, op. cit., p. 65.
  • [62]
    Ibid., p. 73.
  • [63]
    Ibid., p. 78. Voir également « La ville dans sa carte et son portrait », dans De la représentation, Paris, Gallimard / Seuil, « Hautes études », 1994, p. 204-218.
  • [64]
    François Maspero, Balkans-Transit, photographies de Klavdij Sluban, Paris, Seuil, « Fiction & Cie », 1997, p. 198-199.
  • [65]
    Jean-Michel Adam, « Genres, textes, discours : pour une reconception linguistique du concept de genre », art. cit., p. 669.
  • [66]
    La collection « Petite planète » se distingue dans le choix de ses couvertures, qui présentent toutes des portraits, en l’occurrence de jeunes femmes, anonymes ou non (c’est, par exemple, Audrey Hepburn qui figure sur la couverture du volume relatif à la Hollande). Adopté tout au long de l’histoire de la collection, à l’exception des volumes correspondant à la fin de la série, consacrés à plusieurs villes, ces portraits donnent le ton générique de l’ensemble à travers une première image relevant d’un genre iconographique particulier.
  • [67]
    Portugal des voiles, op. cit., p. 5.
  • [68]
    Voir David Martens, « L’hier et l’aujourd’hui dans le portrait de pays. Neutralisations de l’historicité », dans Portraits de pays illustrés. Un genre phototextuel, sous la dir. d’Anne Reverseau, Paris, Minard, 2017, p. 225-247.
  • [69]
    Jean-Michel Adam et Ute Heidmann, Le Texte littéraire. Pour une approche interdisciplinaire, op. cit, p. 14.
  • [70]
    Ariane Devanthéry, Guides de voyage et tourisme alpin…, op. cit., p. 23.
  • [71]
    Dans le même ordre d’idées, si les auteurs de récits de voyage empruntent volontiers aux guides (et sans doute aussi aux portraits de pays – il s’agirait de le vérifier), voire les pillent, sans nécessairement le faire apparaître, les guides, aussi bien que les portraits de pays, citent abondamment des écrivains, mais de façon le plus souvent affichée, dans la mesure où il s’agit, dans ces genres à la littérarité problématique, de mobiliser une référence culturelle prestigieuse et d’ainsi capter une part de son capital symbolique.
  • [72]
    Dominique Maingueneau, « Modes de généricité et compétence générique », in La Licorne, n° 79, « Le savoir des genres », sous la dir. de Raphaël Baroni et Marielle Macé, 2007, p. 61.
  • [73]
    Anne Beyaert-Geslin, Sémiotique du portrait. De Dibutade au selfie, Louvain-la-Neuve, De Boeck Supérieur, « Culture & Communication », 2017, p. 133-134.
  • [74]
    Un colloque organisé à l’Université de Louvain (KU Leuven) s’est donné pour tâche d’éclairer la généalogie de ce genre : Portraits de pays phototextuels (xixe-xxie siècle). Généalogie d’un genre polymorphe, sous la dir. de David Martens, Marta Caraion et Jean-Pierre Montier, Université de Louvain, 26-28 avril 2018.
  • [75]
    En la matière, les différentes collections ont un positionnement relativement distinct, certaines se montrant plus enclines à proposer des portraits intemporels, comme « Les beaux pays », chez Arthaud, d’autres mettant au contraire résolument l’accent sur la forme contemporaine du pays comme produit de l’histoire, et d’une histoire récente, à l’instar de « Petite planète » et de « L’Atlas des voyages ».
  • [76]
    Certaines collections se révèlent bien sûr plus patrimoniales que d’autres, ce qui explique la présence plus nette d’écrivains reconnus parmi leurs auteurs (voir David Martens, « Les écrivains au service du patrimoine. Portraits de pays et promotion touristique », communication au colloque Ancrage littéraire et commémoration, sous la dir. de Mathilde Labbé, Université de Nantes, 12 octobre 2017).
Pour Yves Jeanneret
« Les instruments du voyage sont déjà le voyage lui-même. Les trains ne nous font pas seulement voir du pays. Ils sont déjà le pays lui-même. »
Claude Roy [2]

1Dans le vaste domaine de la littérature de voyage, deux genres en particulier se détachent. Pratiqué par de nombreux écrivains de renom, le récit de voyage est sans doute celui qui a bénéficié au cours de la modernité récente de la légitimité la plus marquée et de la plus grande reconnaissance littéraire [3]. Présentant d’autres finalités et d’autres formes, le guide touristique, issu du récit de voyage et qui connaît un succès croissant et durable depuis le xixe siècle, s’est métamorphosé en même temps qu’il a transformé la pratique du voyage. Fortement standardisé et relevant de la culture de masse, il est peu voire jamais pratiqué par les écrivains. Ces deux genres semblent se situer aux extrémités d’un spectre allant d’une légitimité littéraire progressivement acquise à des finalités pratiques face auxquelles la littérarité est réduite à peu de chose, tout simplement parce qu’elle n’est pas une préoccupation prioritaire. Entre ces deux pôles de la littérature viatique figurent des ouvrages consistant à décrire un territoire déterminé qui constitue le sujet principal ou exclusif du propos.

2A partir des années 1920, et plus encore durant les Trente Glorieuses, cette production a donné lieu, dans le monde francophone (France et Suisse, tout spécialement), à un nombre considérable de collections d’albums illustrés de photographies. Ces volumes ont pour finalité de générer et d’entretenir l’attirance pour des lieux, durant une période d’expansion majeure de l’industrie touristique. Ils participent d’un genre phototextuel méconnu, que j’ai proposé de baptiser le portrait de pays. Mobilisant nombre d’écrivains, il relève de plein droit de la photolittérature [4] et contribue à la trivialité de ces « êtres culturels [5] » particuliers que constituent les pays, qu’il s’agisse d’une nation, d’une ville ou d’une région. L’identification et la description d’indicateurs témoignent de ce que, en dépit d’une absence de désignateur usuel, ces ouvrages manifestent bien une « conscience générique [6] », qui a laissé au sein de ces livres des traces les distinguant d’autres genres, notamment ceux relevant de la littérature viatique, en les inscrivant sous le signe de ce modèle : le « portrait ».

3Genre issu à l’origine du domaine des arts picturaux, et qui plus est anthropocentré, c’est-à-dire dont le principal centre de gravité est la figure humaine, le portrait ne sous-tend les ouvrages phototextuels consacrés aux lieux que moyennant une adaptation de ce modèle. Passer de la représentation d’êtres humains à celle d’entités telles que des pays ou des villes suppose une forme de dérivation paradigmatique, soit la captation d’une part des prétentions et des valeurs privilégiées associées à un modèle générique – en l’occurence, une représentation synthétique et relativement globale, une propension laudative, la prétention de livrer l’identité profonde du sujet… Dans le même temps, une série de transpositions s’imposent, en vertu des contraintes de la forme livresque et textuelle, qui impriment à cette déclinaison du genre une forme de linéarité, ainsi que de celles de l’objet représenté, car passer d’une figure humaine à un pays ne se fait pas sans aménagement. Si le portrait permet une saisie synoptique, la combinaison d’un texte et d’une série d’images implique le recours à des tropes particuliers qui permettent au livre de proposer un équivalent, dans son ordre, du portrait iconographique.

4Montrer que le portrait de pays est bien un genre à part entière suppose de démontrer qu’il correspond à une réalité spécifique dans un système de genres. A cet égard, faire apparaître qu’une conscience générique est à l’œuvre dans la conjonction d’un ensemble d’indicateurs lexicaux, paratextuels et métatextuels, et au travers d’un réseau métaphorique particulier – celui consistant à rendre compte du « visage » et de l’« âme » des lieux dépeints – suffit peut-être pour donner à penser que genre il y a bel et bien, même si cette conscience ne se dessine qu’en filigrane [7]. Cette appréhension, en revanche, ne caractérise pas le genre en question. Par conséquent, si ces ouvrages se présentent par la bande comme des portraits de pays, encore convient-il de préciser la physionomie de ce genre, c’est-à-dire ses traits formels principaux, en le situant dans un système de genres, notamment par comparaison avec des genres voisins, l’essai notamment, mais aussi des genres ressortissant à la littérature viatique au sens large, le récit de voyage et le guide, sans omettre la part dévolue aux images, évidemment essentielle s’agissant de livres illustrés.

Lisières de l’essai

5La référence au portrait n’est usitée par les auteurs et éditeurs de ce type de livres que de façon relative, non systématique et, le plus souvent, de manière non explicite. En revanche, notamment lorsqu’il s’agit de classer ces ouvrages, l’appellation d’essai se voit ponctuellement mobilisée. Ainsi, dans les éditions d’œuvres complètes d’auteurs ayant contribué à ces livres, leurs textes sont parfois repris sous cette étiquette, notamment Cendrars [8]. Les auteurs eux-mêmes sacrifient parfois à cet usage. Ainsi, dans la préface ouvrant Belgique, pays de plusieurs mondes, ouvrage qu’il co-signe avec le photographe Maurice Leblanc, si Franz Hellens qualifie de « portrait hâtif » un bref développement auquel il vient de se livrer à propos du peuple belge, il ne s’agit que d’une partie de ce texte préfaciel assez concis que, dans la même phrase, l’écrivain désigne comme un « essai [9] ».

6Ce recours au paradigme de l’essai pour désigner ces livres sous-tendus par le modèle du portrait repose sur une parenté formelle qui s’impose avec une certaine évidence. En effet, si l’essai peut se concevoir, selon une définition usuelle, comme un « [o]uvrage dont le sujet, sans viser à l’exhaustivité, est traité par approches successives, et généralement selon des méthodes ou des points de vue mis à l’épreuve à cette occasion » (TLF), le portrait de pays pourrait bien en constituer un cas de figure particulier, dont le portrait de pays sous forme d’album de photographies serait lui-même l’un des avatars. Dans l’approche minimale qu’ils proposent de l’essai, Pierre Glaudes et Jean-François Louette caractérisent le genre en le situant « du côté de la prose non fictionnelle ».

7

Prose, parce que, en l’absence de toute codification littéraire, aucune contrainte ne restreint la forme de cette classe textuelle qui n’est pas essentiellement caractérisée par le primat de la fonction poétique. Non fictionnelle, parce que l’objet de l’essai n’est pas de simuler des actions dans un récit ou une représentation dramatique, mais de proposer une réflexion sur un sujet quelconque, dans un discours doublement caractérisé par sa référence à la vérité et par le souci de persuader les lecteurs [10].

8Composés, à quelques rares exceptions près [11], de textes non fictionnels en prose destinés à présenter aux lecteurs un lieu particulier (nation, région, ville…) à l’aide de photographies plus ou moins nombreuses, les portraits de pays rassemblés dans les principales collections publiées au cours du xxe siècle dans le monde francophone s’inscriraient ainsi dans le domaine de l’« essai référentiel » identifié par Günther Klaus Just [12], soit d’un « essai consacré à un objet (une ville, un paysage…) [13] ». Ayant pour visée une forme de connaissance, le genre de l’essai apparaît à bien des égards comme un moyen par lequel la littérature a entrepris de reprendre une part du domaine que le développement des sciences humaines lui a progressivement soustrait à la faveur de son processus d’autonomisation [14].

9Cette proximité avec l’essai ainsi que sa dimension foncièrement documentaire inscrivent incontestablement le portrait de pays dans l’espace des genres dont la littérarité n’est nullement constitutive, mais relève, selon la terminologie de Genette, d’une « littérarité conditionnelle [15] » et se négocie par conséquent de façon particulière au sein de chaque ouvrage participant à ce genre. Ce que ces livres proposent au sujet de pays, de régions et de villes est en effet de l’ordre de la diffusion de connaissances (historiques, géographiques et socio-anthropologiques, pour l’essentiel), prodiguées le plus souvent par des non-spécialistes. En tant qu’écrivains pour un nombre considérable d’entre eux, les auteurs des textes de ces livres disposent en revanche de cet atout symbolique que constitue l’attrait de la plume en même temps que, le plus souvent, de la connaissance de première main de ceux qui ont voyagé et séjourné dans les lieux qu’ils dépeignent (les auteurs sont sollicités par les éditeurs en vertu de précédentes publications, qui les posent en connaisseurs du lieu présenté [16]).

10Cette inscription des portraits de pays au sein du domaine protéiforme de l’essai ne va cependant pas de soi. Elle se trouve mise en question par un certain nombre de traits, qui expliquent probablement pourquoi cette identification du portrait de pays au genre de l’essai n’est pas systématique.

11Le principal point de résistance à cette assimilation réside dans le caractère fortement contraint des textes publiés par les écrivains dans le cadre des collections de portraits de pays publiées entre le milieu des années 1920 et la seconde moitié des années 1970. En effet, dans le système des genres, l’essai est largement perçu en fonction de la liberté formelle qu’il autorise à ceux qui le pratiquent. Or, pour la plupart, les maquettes des collections de portraits de pays se révèlent particulièrement formatées, aussi bien en ce qui concerne les attendus de ce type de livres, qui se doivent tout de même d’évoquer les éléments susceptibles d’intéresser le touriste (Big Ben pour Londres, le Colisée pour Rome, la tour Eiffel pour Paris…), que pour ce qui touche à leur agencement icono-textuel, qu’il s’agisse de la longueur des textes ou de la forme des relations qu’ils entretiennent avec les images. Ce faisant, ces ouvrages échappent à une certaine conception de l’essai, à la faveur de laquelle l’auteur livrerait librement sa pensée, avec ses errements, ses fulgurances et ses reprises éventuels.

12Dans cette perspective, l’une des tensions qui polarisent la poétique du genre tient au souci de traiter un sujet – en l’occurrence un lieu – de façon complète, soit en visant l’exhaustivité, soit en tablant sur une approche synthétique. Certes, nombre de portraits de pays privilégient, à travers l’échantillonnage de sites et de types (paysages, bâtiments…), la mise en évidence de l’identité du pays, de son « âme », pour reprendre un terme particulièrement en usage chez les auteurs pour rendre compte de leurs livres. Cependant, la fonction de mise en valeur du patrimoine, à des fins touristiques en particulier, conduit nombre de ces ouvrages à adopter une perspective qui tend à l’exhaustivité, en présentant chacune des parties de la géographie d’un pays, soit en proposant au lecteur la description d’un itinéraire spécifique correspondant à un arpentage qui se donne des airs de complétude – notamment dans les premiers volumes de la série « Les beaux pays » –, soit en évoquant successivement chacune des régions d’un pays ou des quartiers d’une ville de façon synthétique. Or une telle approche contrevient fortement à l’écriture volontiers plus erratique de l’essai telle qu’elle s’est institutionnalisée dans le champ littéraire moderne [17].

13Cette double caractéristique – le formatage contraignant et la prétention à l’exhaustivité – résulte de ce que ces ouvrages sont, le plus souvent, des commandes. Elle réduit le portrait de pays au rang de genre mineur, qui ne peut guère se parer des prestiges associés à une création littéraire idéalement libre de toute contrainte éditoriale (la contrainte au sens de l’Oulipo, à visée créative, est évidemment d’un autre ordre). En outre, il ne peut revendiquer la démarche de constitution personnelle de savoir caractérisant les formes les plus valorisées d’essais, dans la mesure où il relève, presque systématiquement, de l’ordre de la vulgarisation (le savoir qu’il présente est déjà établi, dans des ouvrages auxquels renvoient fréquemment les auteurs). Enfin, la dimension du portrait, dans la plupart des collections envisagées du moins, revêt le plus souvent une portée laudative, qui exclut la part de critique qu’implique une doxa fréquemment associée à l’essai [18]. De même, le portrait de pays accorde une place décisive à la description, qui tient à son inscription dans le domaine des littératures viatiques, ainsi qu’à un double cousinage avec des genres proposant la représentation de territoires : le récit de voyage d’une part, le guide touristique d’autre part.

Cousinages génériques

14Autant les rapports que le portrait de pays entretient avec l’essai sont de l’ordre du cas de figure particulier – le portrait de pays comme type d’essai –, autant ce genre éditorial, relativement formaté dans ses sujets comme dans ses formes, noue avec d’autres genres de la littérature viatique des relations de proximité qui conduisent parfois à des confusions. Dès lors qu’« un genre ne se définit que de façon relative à l’intérieur d’un système de genres [19] », il ne peut se penser qu’au travers d’« un ensemble de ressemblances et de différences entre genres et sous-genres définis par un groupe social à un moment de son histoire », écrivent Jean-Michel Adam et Ute Heidmann, qui ajoutent :

L’identification d’un genre n’est pas un raisonnement abstrait, fondé sur le repérage d’ensembles de propriétés définies. Il s’agit plutôt de regroupements par « airs de famille ». Les genres sont des catégories définissables par des tendances ou des gradients de typicalité, par des faisceaux de régularités et des phénomènes de dominantes [20].
Cette logique des « airs de famille » invite à comparer les portraits de pays avec les genres issus de la littérature de voyage dont ces ouvrages sont le plus spontanément rapprochés. Les différences marquées du portrait de pays avec ses genres cousins – le récit de voyage et le guide touristique – en font un genre à part entière. Préciser la nature des relations que le portrait de pays entretient avec ces deux genres caractérisés eux aussi par la représentation de territoires permet d’en esquisser la physionomie, ainsi que de situer ce qui le constitue en propre au sein de la littérature viatique.

Portrait de pays et récit de voyage

15Le portrait de pays présente tout naturellement de fortes affinités avec le récit de voyage, au point d’être parfois confondu avec lui, sans doute en raison de la place centrale de la « relation viatique [21] » dans le champ de la littérature de voyage. Premièrement, les commanditaires de ce type de textes (éditeurs, directeurs de collections…) sollicitent fréquemment des auteurs de récits de voyage, susceptibles de parler des lieux qu’ils connaissent de première main (ainsi des livres de ce type auxquels ont contribué des auteurs comme Bouvier, Cendrars, Fouchet ou encore t’Serstevens). Ce sont donc en partie les mêmes écrivains qui se sont illustrés dans les deux genres. Deuxièmement, d’un point de vue discursif, outre leur focalisation sur la représentation de lieux et du voyage fait de topiques récurrentes, comme la critique du tourisme (nécessairement de masse…) [22], le portrait de pays se présente, à l’instar du récit de voyage, comme un genre factuel, affichant une prétention à dire le vrai sur une réalité du monde.

16Pour autant, récit de voyage et portrait de pays diffèrent en fonction d’un paramètre non négligeable, à savoir, dans les termes de la théorie des plans d’organisation des textes de Jean-Michel Adam, leur formatage « séquentiel » prédominant, qui configure leur généricité :

17

La caractérisation globale d’un texte […] résulte d’un effet de dominante : le tout textuel est caractérisable, dans sa globalité et sous forme de résumé, comme plus ou moins narratif, argumentatif, explicatif, descriptif ou dialogal. L’effet de dominante est soit déterminé par le plus grand nombre de séquences d’un type donné, soit par le type de la séquence enchâssante [23].

18Pour poser les choses sommairement en première instance, alors que le récit de voyage se révèle davantage régi par l’ordre du narratif, le portrait de pays participe davantage de celui du descriptif, qui constitue le régime prépondérant du portrait dans ses formes écrites. Bien qu’ils se caractérisent par une grande diversité formelle et de tons, les récits de voyage ont en commun le fait d’être des récits, même si cette dimension est réduite parfois à presque rien et se révèle à l’occasion un simple prétexte à la description de lieux. Le récit de voyage est en effet tenu de rendre compte d’un itinéraire, fût-ce de façon minimale et même si cette relation peut donner lieu à un chapelet d’anecdotes ou de digressions, qui confèrent une densité parfois lâche à la narration qu’il propose [24].

19En revanche, en termes de séquençage textuel prédominant, le portrait de pays ne relève pas prioritairement de l’ordre du narratif. La finalité du portrait de pays est en effet de « rendre présente » une entité territoriale, de façon globale ou par la mise en exergue de certains de ses caractères particuliers. Avec en toile de fond le domaine de la représentation iconographique, auquel il renvoie régulièrement – la peinture, métaphoriquement la plupart du temps, et la photographie, pour ce qui concerne les portraits de pays qui nous occupent –, le portrait de pays participe de l’ordre du descriptif de façon prépondérante, même si, bien entendu, il n’est guère d’ouvrages de ce type qui se réduise à l’ordre de la description.

20Sur cette base, les deux genres diffèrent, notamment, dans la mise en forme à laquelle ils se livrent de l’espace et du temps.

21En termes de gestion de l’espace : alors que le récit de voyage rapporte les péripéties d’un parcours, le portrait de pays doit rendre compte d’une entité dans son ensemble, idéalement de la façon générale et unifiée qui sied au modèle iconographique auquel il se réfère. Comme l’écrit Marin, « avec la description, nous avons un regard hors point de vue, synoptique qui embrasse et comprend un ordre stable des lieux. Le texte correspondant sera fait de classifications statives, d’un ordre de distribution des éléments dans des rapports de coexistence, d’agencements structuraux de positions [25] ».

22Corollairement, s’agissant du traitement de la temporalité, le récit de voyage repose sur une opération de remémoration qui se traduit dans une relation située dans le passé le plus souvent [26]. Pour sa part, le portrait de pays paraît prioritairement soumis à un régime présentiste : genre descriptif destiné à rendre compte de l’état présent d’un territoire, il est marqué non seulement par des titres se bornant à désigner l’entité territoriale dépeinte, mais aussi par l’adoption du présent verbal et le recours fréquent aux verbes traduisant un état (le verbe être, tout particulièrement) davantage que des actions ou des mouvements. Soit, à titre d’échantillonnage, l’incipit de L’Usage du monde de Nicolas Bouvier et Thierry Vernet mis en regard avec celui de L’Espagne d’Albert t’Serstevens dans la collection « Escales du monde ».

23

Genève, juin 1953 – Khyber Pass, décembre 1954
J’avais quitté Genève depuis trois jours et cheminais à toute petite allure quand à Zagreb, poste restante, je trouvai cette lettre de Thierry […] [27].

24

Un pays mâle.
[…] On y chercherait en vain les délices de l’Italie ou l’éternelle fraîcheur de la France. Il n’est de verdure, pâturages, bois et vergers, que sur la bande côtière […]. Dès qu’on a traversé ces oasis et atteint les hauts plateaux, on entre de plain-pied dans l’Espagne virile, la vraie [28].

25Comme en témoignent ces deux exemples, en vertu de ce distinguo entre le viatique et le topique, le récit de voyage est le plus souvent précisément situé dans le temps, et se présente comme fondamentalement rétrospectif, chronologique, testimonial et par conséquent subjectif (il est le fait d’un individu parfaitement identifié, en l’occurrence Nicolas Bouvier), tandis que le portrait de pays se veut davantage présentatif, généralisant et objectivant dans ses formulations (le pronom privilégié par t’Serstevens est l’indéfini « on »). Cette opposition recoupe le partage que l’on observe dans les usages de la photographie au sein de ces ouvrages. Même lorsque l’auteur est également le photographe – ce qui n’est guère fréquent, mais survient parfois, comme pour le Portugal des voiles de Max-Pol Fouchet [29] ou certains volumes de t’Serstevens –, les clichés ne sont nullement datés, pas plus qu’ils ne s’inscrivent dans une économie d’ordre narratif, comme celle que l’on peut rencontrer dans le roman-photo.

26Evidemment, cela ne signifie pas que les textes relevant de ces deux genres soient constitués de façon exclusive par ce type de séquences, mais bien que la plupart des séquences dont ils peuvent être constitués sont, le plus souvent du moins, subordonnées à ce mode prédominant d’organisation du dispositif icono-textuel, quoiqu’il soit parfois ardu de déterminer lequel prend effectivement le pas dans cette combinatoire. Portraits de pays et récits de voyage, dans leurs configurations concrètes, peuvent parfaitement intégrer d’autres types de séquences que celles qui prédominent dans leurs formes les plus prototypiques, et jusqu’aux lisières de ce qui les caractérise en propre.

27Le récit de voyage comporte fréquemment des séquences, plus ou moins étendues, qui correspondent à la description d’un territoire. La tension structurelle entre « aventure » et « inventaire [30] » qui caractérise la littérature viatique au sens large fait régulièrement pencher la balance séquentielle des récits de voyage du côté de la description. La narration, dans les récits de voyage, est parfois placée en position ancillaire au regard de la description. En d’autres termes, la part dévolue à la narration semble n’avoir d’autre finalité que de tenir lieu d’armature textuelle à ce qui, fonctionnellement, est l’essentiel, à savoir la peinture des lieux parcourus [31], qu’il s’agisse de décrire l’itinéraire lui-même ou de truffer cette description d’un parcours de séquences qui se bornent à décrire les lieux – ce mode de composition sous-tend ainsi fréquemment l’insertion de portraits de villes, parfois réduits à presque rien, au sein de récits de voyage.

28De même, s’il relève bien de façon prédominante de l’ordre du descriptif, le portrait de pays peut parfaitement comporter des séquences narratives, plus ou moins nombreuses et étendues, par exemple lorsqu’il s’agit pour l’auteur d’évoquer ponctuellement un séjour en des lieux qu’il présente sur la base d’une expérience directe conférant à ses dires l’authenticité de qui sait de quoi il parle. On retrouve également de telles séquences narratives lorsqu’il s’agit de rendre compte de l’histoire du territoire dépeint. Le cas de figure est fréquent, voire presque systématique dans certaines collections dont la vocation documentaire est plus marquée, comme « L’Atlas des voyages » et « Petite planète ». Relevant du discours historiographique, ces séquences narratives sont tantôt disséminées au fil du texte, tantôt localisées, comme dans le volume dévolu à la Tchécoslovaquie dans « L’Atlas des voyages », dont le premier chapitre présente une longue séquence « schématis[ant] l’histoire d’une nation [32] » ou L’Egypte de la collection « Les beaux pays », qui synthétise en une quinzaine de pages une « Brève histoire [33] » du pays faite de plusieurs siècles, et aussi ramassée que l’on peut l’imaginer…

29Enfin, en certaines occasions, le registre narratif à l’œuvre dans les portraits de pays tend vers ce que Jean-Michel Adam et André Petitjean ont qualifié de « description d’actions ». Cette dernière diffère du récit proprement dit, notamment en ce que les « événements » décrits « se succèdent linéairement (chronologiquement), sans autre voie possible et sans aucune “complication” ou “résolution” assurant le passage d’un AVANT […] à un APRÈS […] narratifs [34] ». Il en va ainsi à l’occasion des passages au cours desquels les auteurs relatent des itinéraires en adoptant une rhétorique analogue à celle de la visite guidée. Ils sont particulièrement fréquents dans les ouvrages d’une collection comme « Les beaux pays », comme dans celui consacré au Maroc. « Voyez cette centaine d’hommes groupés en cercle autour d’un charmeur de serpents [35] », écrit son auteur, Pierre Dumas, en recourant à un impératif qui lui permet de passer de la description à la monstration (deixis) et de générer ainsi un effet de présence fréquemment recherché dans ces ouvrages.

30Dans Au gai royaume d’azur, Pierre Devoluy et Pierre Borel proposent une déclinaison de ce procédé qui en passe par un parcours évoqué sur le mode hypothétique :

31

Nous venons de longer les Maures par le sud ; le flot des voyageurs les contourne au nord par la grande voie ferrée ; mais peu de gens pénètrent à l’intérieur du massif. Et pourtant, si, le bâton du pèlerin au poing, nous partons de la Côte ou du Chemin des peuples, pour nous aventurer dans ces landes et escalader ces escarpements, quelles visions merveilleuses nous aurons [36] !

32Devant ces passages, qui ne présentent jamais la moindre péripétie ou « complication » et ne provoquent guère de bouleversements chez ceux dont les itinéraires de visite sont décrits, il devient parfois difficile de savoir s’il s’agit du récit d’un voyage effectivement réalisé par l’auteur ou plutôt d’une visite imaginée, à vivre à la faveur d’une expérience de lecture, et à l’occasion de laquelle l’auteur endosse le rôle du cicérone. Reste qu’en dépit de ces ponctuels rapprochements avec la figure du guide, et avec le genre du guide touristique, le portrait de pays manifeste à plusieurs égards sa spécificité au regard de ce type d’ouvrages.

Portrait de pays et guide touristique

33Plusieurs points de rencontre entre le guide touristique et ce genre contribuent à expliquer que ces deux types de productions se trouvent parfois rapprochés, en particulier sur la base de paramètres dont certains sont précisément ceux qui distinguent le portrait de pays du récit de voyage. D’une part, alors que ce dernier relate un parcours, portrait de pays et guide doivent, même si le premier peut à l’occasion adopter la forme d’une relation de parcours, présenter une image (plus ou moins) globale et exhaustive d’un lieu. D’autre part, tandis que le récit de voyage est le plus souvent le fait d’un auteur singulier, qui bénéficie d’une certaine liberté dans l’élaboration de sa « narration d’une expérience particulière », portraits de pays et guides touristiques ont en commun d’être le fait de plusieurs contributeurs, a minima l’auteur du texte et le ou les photographes. En outre, ils tendent tous deux à se présenter comme des « proposition[s] “neutralisée[s]”, vidée[s] de perception[s] individuelle[s] [37] » – quoique dans une moindre mesure pour le portrait de pays, qui sollicite des écrivains précisément pour insuffler au genre une part de subjectivité. Enfin, ces deux genres partagent une fréquente appartenance à des collections spécialisées caractérisées par un certain formatage.

34Aussi effectifs soient-ils, ces rapprochements apparaissent cependant quelque peu superficiels. Les finalités des portraits de pays et des guides diffèrent en effet sensiblement, par des caractéristiques patentes. Cette différence se manifeste dans la coexistence d’une collection telle que les « Albums des guides bleus », lancée en 1954, avec la fameuse série de guides de Hachette. Davantage, s’il est un genre dont les auteurs et éditeurs de portraits de pays entendent distinguer leur production, c’est bien du guide touristique. Dans le volume de la même collection portant sur Rouen, Pierre Chirol inscrit son livre dans la tradition du portrait, qu’il distingue des guides : « Grande serait l’erreur d’ouvrir ce volume pour y chercher […] un guide complet et pratique [38]. » En citer ou s’y référer est vraiment exceptionnel, alors qu’il n’est pas de raison de considérer a priori que les guides sont moins mis à profit – et parfois tout bonnement pillés – dans les portraits de pays que dans les récits de voyage [39]. Lorsque tel est le cas, au demeurant, c’est le plus souvent à titre de repoussoir. Ainsi, à propos de la ville de Fez, dans le volume consacré au Maroc de la collection « Les beaux pays », l’auteur relève-t-il le caractère incomplet des guides consacrés au pays, et auquel son livre répond :

35

Si la Nejjarine est la fontaine la plus antique, il n’en est pas, pour nous Français, de plus émouvante qu’une tout autre voisine. Les guides ne la mentionnent pas, elle est perdue dans un quartier populaire et je la découvris tout à fait par hasard [40].

36Le discours critique à l’égard des guides, pris comme métonymies de cet « idiot du voyage » pour lequel passe si souvent le touriste, est bien sûr un topos de la littérature de voyage. « Confirmant les détracteurs dans leurs préjugés », écrit Jean-Didier Urbain, « la critique antitouristique se prolonge souvent à travers celle du guide, outil touristique considéré comme le signe même de l’assujettissement du voyageur aux impératifs de la visite [41]. »

37Quelques années plus tôt, dans l’un des premiers ouvrages de la même série, consacré à la Normandie, Camille Mauclair distingue résolument son ouvrage des guides, précisant ce qu’il convient d’en attendre de différent :

38

Je veux espérer qu’on n’attendra point ici d’un écrivain amoureux d’art et de nature les méthodes et les mérites d’un guide. […] Les guides existent ; abondants, judicieusement composés, ils ont leur valeur et satisfont très utilement à leur but qui est de renseigner avec une exactitude minutieuse. Mais ils ne sont destinés qu’indirectement à faire aimer. […] Si l’amour répandu dans ces pages qu’on va lire peut devenir communicatif, le but de l’auteur de ce « portrait de site » sera rempli […] [42].

39La tendance se confirme après-guerre. Simone Lacouture, dans le petit volume qu’elle consacre à l’Egypte dans « Petite planète », se livre à l’évocation d’un guide avec une pointe d’ironie, qui procède ici du caractère périmé du premier mentionné (il date de soixante-dix ans au moment de la parution de l’ouvrage) et de l’adjonction qu’elle se permet d’apporter au second :

40

Pour visiter Denderah, il est recommandé « de se munir de provisions et d’eau, et d’emprunter, de préférence à toute autre monture, l’âne, véhicule idéal de l’Egypte ». Le conseil du Baedeker de 1890 est toujours valable si l’on ne veut pas voyager comme un touriste étranger, en caravanes de Chevrolet.
Le Guide Bleu est assez encourageant. « Qénah, 658 km du Caire. Station de chemin de fer ; située à 1 km du Nil, en face de Denderah. (Höt.) On trouvera les ressources nécessaires pour organiser l’excursion de Denderah. » A 70 ans de distance, les deux guides sont d’accord […].
Ce que le guide ne dit pas, c’est que Quénah est une ravissante petite ville où l’église copte – bleu ciel, rose, jaune et vert – se mire dans l’eau d’un canal dormant [43].

41Devant ce type de positionnement générique, il est nécessaire de faire la part des choses : s’il y a une mise à distance qu’il importe de prendre au sérieux, elle ne doit pas non plus être prise au pied de la lettre. Tout comme certains récits de voyage, les portraits de pays ne se privent pas de fournir ponctuellement des conseils pratiques. Davantage, certaines collections, plus que d’autres, se montrent proches d’une certaine dimension prescriptive du guide, notamment à travers l’adoption de la rhétorique de la visite guidée. Le public cible des portraits de pays est, en effet, un public de lecteurs curieux, éventuellement d’amateurs de beaux livres, mais aussi, bien entendu, de touristes potentiels. De ce point de vue, les indications pratiques que l’on retrouve systématiquement à la fin des volumes de « Petite planète » apparaissent comme un sacrifice à la loi de cet autre genre, accordé du bout des lèvres, in extremis, et souvent avec force ironie, sans doute parce que, vu son format de poche, cette collection prête davantage que d’autres à confusion.

42De manière générale, le guide revêt une fonction relativement précise, celle de l’organisation pratique des voyages et des séjours (hébergement, visite des sites…). Il est un compendium du voyageur et est par conséquent conçu pour l’accompagner sur place de façon aussi commode que possible. Ainsi que l’écrit Anabelle Seoanne, « la première attente du lecteur – et donc la première contrainte pour le locuteur – pour un guide de voyage, c’est la finalité pratique de la description [44] ». Dans le droit-fil de cette remarque, elle note également :

43

[L]es guides de voyage visent avant tout deux objectifs : le repérage sur place et la présentation des curiosités locales pour le lecteur-touriste […] ou futur touriste. Ils ont aussi une fonction préparatoire au voyage aussi bien qu’un intérêt sur place. Mines d’informations factuelles […], ils servent à déterminer l’itinéraire, les visites projetées et à budgétiser le voyage [45].

44Si le premier objectif recoupe partiellement la teneur de nombreux portraits de pays (tout spécialement ceux qui ont une visée de mise en valeur du patrimoine à vocation touristique, ce qui n’est pas le cas de tous les ouvrages de ce type), le second leur est foncièrement étranger. Dans L’Envie du monde, Jean-Didier Urbain souligne combien le tourisme, qui se fonde sur l’attrait des lieux et de leur découverte, est le produit d’« une mise en désir », c’est-à-dire sur le façonnement d’une aspiration à découvrir des contrées, plus ou moins lointaines, et leurs richesses culturelles ainsi que leurs attraits en matière de loisirs [46]. A l’instar des guides, les portraits de pays ont vocation à susciter un tel désir de découverte. En revanche, s’ils le font ponctuellement au détour d’un chapitre, ils ne visent guère à fournir des informations pratiques et structurées ainsi que des suggestions fonctionnelles en vue d’un séjour.

45Cette différence d’usage concret explique celle des formats les plus usités dans un genre comme dans l’autre. A cet égard, les guides doivent pouvoir être emportés par les voyageurs sur les lieux qu’ils visitent. Comme le souligne Yves Jeanneret, « [l]e guide est héritier du livre portatif (enchiridion), ce qui engage un scénario de pratique faisant de la lecture un ingrédient in situ de la visite [47] ». Il doit donc impérativement se prêter à une manipulation aisée, qui explique l’adoption et la fixation, au cours de l’histoire du genre, d’un format relativement réduit, qui l’apparente au livre de poche – entre le in-12 et le in-8[48]. « Contrairement à un roman ou un essai qu’on lit de manière linéaire dans un fauteuil, un guide doit pouvoir être lu dans les multiples conditions d’un voyage, sur le pont d’un bateau, face aux Alpes ou devant tel porche d’église ou telle fontaine à banneret [49]. » Exception faite des volumes de « Petite planète » et de ceux du « Monde en couleur » des éditions Odé, la plupart des collections de portraits de pays publient des livres de plus grande taille, notamment parce qu’il s’agit pour eux de faire la part belle aux photographies qui mettent en valeur le patrimoine culturel.

46Les collections de guides offrent dans cette optique un formatage du texte et de l’image nettement plus marqué que les portraits de pays. Ils présentent en effet une structuration des textes qui favorise « la pratique d’une lecture discontinue [50] » et « sélective facilitée par la longueur des textes », ainsi qu’une « meilleure circulation dans les pages », de sorte que « le lecteur n’est plus contraint de tout lire pour repérer ce qui l’intéresse [51] ». La distribution de leurs différentes rubriques est précisément déterminée, ce qui n’est guère le cas des portraits de pays. Formatés eux aussi, ils n’en présentent pas moins des contraintes plus pauvres et se prêtent à une lecture linéaire plus classique que celle des guides modernes. Parmi les trois fonctions de la littérature viatique identifiées par Claude Reichler, et comparativement aux guides, ils hypertrophient les fonctions épistémique et, surtout, esthétique [52]. Ce parti pris se traduit notamment dans le format adopté pour la plupart de ces volumes, de même que le soin – plus ou moins marqué selon les collections – apporté à la mise en page et en valeur du livre comme objet, en particulier s’agissant du traitement des images.

47En outre, les guides se doivent d’être complets, autant qu’on peut l’être lorsqu’il s’agit de présenter les centres d’intérêt d’un pays ou d’une ville. Le relevé des adresses, horaires et autres informations utiles suppose une apparence d’exhaustivité qui n’est pas attendue d’un portrait, dont la vocation prépondérante est de livrer une synthèse identitaire. Ce paramètre fonctionnel a un impact déterminant dans le traitement éditorial dont ces ouvrages font l’objet dans la durée. En effet, les guides sont tenus de se renouveler régulièrement pour rendre compte de changements éventuels sur les lieux des visites et dont les touristes potentiels doivent être informés afin de ne pas connaître de déconvenues une fois sur place. Ces ouvrages doivent donc connaître des rééditions fréquentes, annuelles parfois. Ce rythme éditorial n’est nullement de mise pour les portraits de pays. Certes, ils se périment aussi au fil des ans, mais moins rapidement. Ils ne cherchent pas à rendre compte des transformations connues par les lieux de villégiature ou de restauration, absolument indispensables dans un guide. Eu égard au genre dont ils participent, ils inscrivent plus volontiers leur propos dans une forme de longue durée, plus propice à la mise en valeur du patrimoine qui, dans le cas de ces volumes, en passe notamment par le recours à la photographie.

Déclinaison icono-textuelle d’un genre

48Faisant une place, souvent considérable, aux photographies, les portraits de pays se réinscrivent ainsi dans le domaine de la culture visuelle dont leur modèle générique, le portrait, est originellement issu. Cependant, ce recours à l’image est d’un autre ordre, puisqu’il y va non pas d’une seule image, mais bien d’une série d’images, parfois très conséquente (la centaine de photographies est le plus souvent largement dépassée) qui, en outre, ne relèvent pas toutes, peu s’en faut, du genre du portrait. Y figurent notamment de nombreux paysages et clichés de monuments. Dès lors, dans cette économie icono-textuelle particulière, évidemment centrale dans ces livres dont les textes ne sont parfois que de simples préfaces destinées à introduire les images rassemblées, quelles fonctions sont assignées aux images quant à la configuration de la généricité ?

49Une première remarque a trait à la place de l’iconographie dans la détermination du genre. Le genre du portrait de pays n’est nullement réductible à sa déclinaison phototextuelle. En effet, de nombreux portraits de pays sont totalement dépourvus de photographies, et de tout autre type d’images, des ouvrages de la collection « Portrait de la France », publiés durant l’entre-deux-guerres chez Emile Paul aux petits volumes de la collection contemporaine « L’âme des peuples » des éditions Nevicata en passant par « Des villes », série publiée chez Champ Vallon entre 1983 et 1991, ou encore un volume tel qu’Amérique de Jean Baudrillard [53]. Davantage, on en rencontre des avatars dans d’autres médiums, comme le cinéma – en particulier dans le registre du documentaire –, la radio – avec, par exemple, une émission de France Culture telle que « Villes-mondes », qui mobilise de façon explicite le modèle du portrait – ou dans le domaine de l’exposition. C’est dire que le recours à l’image, fréquent dans ce genre polymédiatique [54], n’est nullement une condition sine qua non du genre. Par conséquent, l’iconographie, en dépit de son rôle déterminant dans l’économie de ces livres, paraît tout de même jouer, par rapport au texte, un rôle de second rang dans le façonnement de leur généricité.

50Ce constat n’implique cependant pas que les photographies aient dans ces volumes une fonction négligeable. L’image, qui constitue l’une des caractéristiques déterminantes de ces livres, joue bien entendu un rôle notable dans la constitution de leur généricité. Ces ouvrages affichent leur caractère illustré de façon systématique et, dans certains cas, accordent aux photographes, lorsqu’ils sont les seuls auteurs des photographies publiées, une place d’auteurs à part entière, par exemple en affichant leur nom sur la couverture et la page de titre, notamment dans les volumes publiés à La Guilde du livre, qui adoptent cette politique de façon systématique. Dans les albums de portraits de pays, les photographies revêtent une double valeur, à la fois documentaire et esthétique, qu’attestent le format de la plupart de ces livres et le soin apporté à la mise en valeur des clichés. De façon générale, le traitement de l’image contribue à dissocier les portraits de pays des récits de voyage – ils n’ont pas vocation à témoigner d’un avoir-été-là des auteurs, qui peuvent parfaitement ne pas s’être rendus ensemble sur les lieux – comme des guides, au sein desquels la place dévolue à la photographie a une fonction indicative, fournissant des informations permettant par exemple de procéder à des choix quant aux sites à visiter.

51Dans nombre de collections, les photographies endossent un rôle à la fois central – elles sont mises en vedette et les textes n’ont parfois d’autre fonction que de les mettre en valeur et d’en orienter la lecture – et dans le même temps relativement secondaire. S’il s’agit de proposer des « beaux livres », et donc, à bien des égards, de belles images, la photographie y endosse fréquemment le rôle subalterne que lui assignait le Baudelaire renfrogné des imprécations du Salon de 1859 lorsque, selon ce qui est devenu un topos de l’histoire de la photographie, celle-ci devait à ses yeux se faire « l’humble servante » des autres arts. En l’occurrence, un nombre considérable des clichés utilisés dans ces volumes ont pour fonction de faire connaître des lieux en donnant à voir, de façon aussi avantageuse que possible, les réalisations humaines (paysages, architecture, peintures, sculptures…) qu’il s’agit de faire connaître et de magnifier. A tel point que certains de ces livres en viennent à assumer pleinement un rôle de musées portatifs, en faisant à l’occasion des pays dépeints de véritables musées en plein air [55].

52En outre, le caractère indiciel en fonction duquel la photographie est le plus souvent perçue au sein du grand public [56] (comme d’une part de la recherche au demeurant [57]) contribue à la dimension fondamentalement documentaire de ces ouvrages, qui ont pour finalité de proposer un échantillonnage de paysages, de réalisations architecturales et de types humains représentatifs de l’entité historique, géographique et sociale portraiturée. De ce point de vue, la photographie contribue à accentuer l’inscription de ces livres dans le domaine des genres factuels. Corollairement, dans la mesure où le genre du portrait de pays est régi par une dominante descriptive, l’agencement des images n’est pas conçu de façon à raconter une histoire. Même lorsque le texte adopte la forme de la visite guidée pour proposer un parcours ponctué de choses vues, la finalité demeure d’ordre descriptif. Dans les volumes d’une série comme « Les beaux pays » qui retiennent cette formule, les images se bornent à donner à voir les sites ou monuments dépeints et revêtent, ce faisant, une dimension descriptive qui accentue celle structurant le texte.

53De façon sans doute plus directement liée au façonnement de l’horizon d’attente générique, l’insertion de cartes au sein des volumes contribue également à les rattacher au modèle du portrait. Le plus souvent uniques et représentant l’ensemble du territoire dépeint, elles figurent soit à leur entame, soit à la fin du volume. Une collection comme « Escales du monde » reprend, pour chacun de ses quelque huit volumes, une carte du pays portraituré en vis-à-vis de la page de droite sur laquelle figure l’entame du texte. Ainsi de la carte figurant « Le Brésil et ses principales villes » dans le volume dû à Blaise Cendrars et Jean Manzon [58]. Il en va de même pour la collection « Que j’aime… », qui fait figurer à la fin de ses ouvrages une carte du pays, de même que dans « Petite planète ». Selon une formule plus distanciée, et qui joue volontiers des stéréotypes nationaux, les volumes de cette série, initialement dirigée par Chris Marker, affichent une carte, souvent stylisée au point d’être créditée et dont les couleurs correspondent à la gamme chromatique dominante adoptée au sein de chaque volume : rouge et blanc pour la Suisse [59], vert pour l’Irlande [60].

54Selon Louis Marin, la carte est une « icône géographique ». Elle correspond à « la construction du monde sous forme d’un modèle analogique qui recouvre la réalité du réseau de ses lignes et de ses surfaces, mais aussi de ses noms et en donne ainsi un équivalent transformé [61] ». Une carte se donne ainsi à voir comme la présentation synthétique d’un territoire.

55

[S]on caractère synoptique […] vise à construire un mode particulier de lecture : celle-ci n’obéit plus au principe de linéarité de la chaîne syntagmatique, mais à une sorte de synchrodiachronisme procédant de la totalité à la partie, de l’ensemble au détail, type de lecture qui est précisément celle de la représentation iconique selon la coprésence de ses éléments [62].

56La carte fait à cet égard, en tant que modélisation globale et présentant une certaine prétention à l’exhaustivité, figure de portrait de territoire. Prolongeant ses réflexions, Marin souligne que, devant une telle situation, « s’esquisse la tentation de définir le texte descriptif comme un objet iconique, un espace dominé par un regard absolu ». Et d’ajouter que « le présent de la description », qui semble la tonalité verbale dominante de ces ouvrages,

57

[…] est la marque de la pseudo-présence de la représentation, tout entière offerte à l’examen, sans dissimulation ni secret, dans l’« a-plat » ou la « superficialité » d’une carte géographique qui n’est rien d’autre que l’ensemble cohérent des éléments et des relations qu’elle conserve [63].

58Certes, certains récits de voyage présentent des cartes, à l’instar de Balkans-Transit de François Maspero [64], mais ils le font essentiellement afin de permettre au lecteur de visualiser l’itinéraire parcouru et rapporté dans le récit. Ce n’est jamais le cas des portraits de pays, même lorsqu’ils adoptent le principe de la description d’itinéraire. De même, tout guide qui se respecte comprend des cartes des lieux qu’il présente. Cependant, à la différence de celles figurant dans les portraits de pays, elles ont une finalité pratique qui explique leur degré de précision relativement poussé : aider le lecteur à se guider dans l’espace, ce que ne permettent guère les cartes, autrement plus générales et schématiques, figurant dans les portraits de pays. Elles ont en somme pour fonction de donner à voir la physionomie ou le « visage » du territoire dépeint.

59Que ces cartes figurent au début ou à la fin de ces livres, soit en ces lieux où se joue de façon privilégiée le réglage générique, n’est pas pour surprendre. Placées en ces seuils, elles revêtent une fonction enchâssante, qui contribue à la note dominante que la théorie des plans d’organisation textuels de Jean-Michel Adam confère à l’entame et à la clôture des textes [65] et dont on peut se demander en quoi elle ne vaudrait pas pour les images situées à l’entame ou au terme de tels volumes. Selon une logique similaire, outre cette donne liée à la maquette de certaines collections, de nombreux ouvrages utilisent à des fins génériques les images de couverture. Souvent, il s’agit de paysages qui paraissent avoir pour finalité de représenter l’ensemble du territoire que l’on va portraiturer, en vertu d’un principe de « typicité » structurant de façon prégnante ces échantillonnages d’images. Qu’ils donnent à voir un lieu précis et parfaitement identifiable – la tour Eiffel pour Paris, le Colisée pour Rome… – ou un paysage quelconque, et qui peut tout à fait n’être pas précisément identifié, ces clichés se trouvent placés dans une situation qui en fait, par voie de dérivation, des synthèses de l’identité à présenter [66].

60Parfois, de façon plus individuée, c’est-à-dire spécifique à un volume, les auteurs des textes nouent un dialogue plus ou moins développé avec certaines images pour figurer le pays. Dans Portugal des voiles, Max-Pol Fouchet commence son texte par une description de La Vénération de Saint-Vincent, polyptyque du milieu du xvie siècle de Nuno Gonçalvès, dont une reproduction figure sur la double page qui ouvre le volume. De ce tableau, il fait « l’idéogramme » du peuple portugais :

61

Les chemins du Portugal, pour ingénus qu’ils soient […], conduisent le voyageur au même lieu : l’étroite salle de musée où six panneaux de bois peint proposent d’un peuple l’idéogramme.
Filant au travers du temps, le polyptyque de Nuno Gonçalvès. Il retient des inconnus que nos yeux reconnaissent. Nous les avons croisés. Nous leur avons parlé. Nous les écoutions même, et touchions leur main. Cet archevêque vend aujourd’hui des filigranes dans la rue de l’Or. Ce navigateur nous entretenait de littérature dans un café du Rossio. Ce jeune saint courtisait une fille dans une ruelle de l’Alfama, près d’un pot de basilic. Nous ne savions pas. Nous ne savons jamais que les hommes ont un immuable double […].
Sur ces panneaux, chaque Portugais à son port d’attache. L’œuvre manquerait-elle, une commune mesure, un dénominateur commun disparaîtraient. On chercherait vainement ce qui unit le marinier du Tage à ses ancêtres hissant voile pour l’au-delà de la Mer Ténébreuse. Dans les traits de ces inconnus se révèle non la fortuité de la vie humaine, mais la fatalité d’une aventure collective [67].

62Dans ces lignes, Fouchet procède à une forme de réglage générique en multipliant les déictiques et en entrelaçant deux temps verbaux – passé composé et présent – de façon à gommer le passage du temps et ce qu’il peut imprimer de transformations. Poursuivant dès la page suivante, l’ouvrage met en regard deux détails de ce tableau – il s’agit de gros plans sur les visages de deux personnages – avec des portraits de Portugais contemporains. Pareille entrée en matière relève d’une forme de neutralisation de l’historicité fréquente dans les portraits de pays [68]. Elle tranche avec les modalités du récit de voyage – par son recours au modèle iconographique du portrait, qui échappe à la narration – comme avec celles qui caractérisent le guide : par le geste auquel il se livre et qui instaure une identité entre Portugais peints du passé et Portugais photographiés du présent, Fouchet instrumentalise une image et lui confère une valeur cardinale dans l’économie iconotextuelle de ce portrait du Portugal.

Une généricité plastique

63Sans doute « le » portrait de pays ne correspond-il à aucune réalité effective. Bien que le principe de la collection contribue de façon marquée au formatage des ouvrages de ce type, il n’existe jamais que « des » portraits de pays, d’autant plus singuliers en dépit de la standardisation du genre qu’il s’agit pour chacun d’eux de donner à voir le propre d’un pays, ce qui le rend « unique ». La participation à ce genre repose sur la combinaison d’un ensemble de variables potentielles : d’une part, l’inscription dans des collections spécialisées ; d’autre part, le métadiscours générique, implicite ou explicite, métaphorique ou littéral, figurant dans le paratexte ou au sein même des textes, et leur articulation à l’iconographie ; enfin, la dominante icono-discursive de ces livres, qui contribue à placer ce genre à la vocation à la fois documentaire et patrimoniale sous le signe de la description (ce qui tend à le distinguer du prototype des récits de voyage) et dans le domaine de l’esthétique (ce qui les distingue des guides, dont la visée est plus directement pratique).

64Le caractère convergent des réalités icono-discursives propres à ces albums conduit à les envisager comme participant d’un genre, le portrait de pays. Cette identification permet de considérer comme un ensemble – et d’aborder sur la base d’un questionnement précis – une série de publications auparavant envisagées de façon relativement hétérogène. Pour autant, dans une approche théorique qui envisage la généricité plutôt que l’appartenance à un genre, l’objectif n’est nullement de se demander de façon tranchée si tel ou tel livre relève ou non du genre du portrait de pays. « Un texte relevant généralement de plusieurs genres, il ne s’agit plus de le classer dans une catégorie – son appartenance –, mais d’observer les potentialités génériques qui le traversent – sa participation à un ou plusieurs genres [69]. » La finalité de cette approche est non tant de définir un genre que de le caractériser en fonction de ses points de convergence et de divergence avec d’autres genres et, par-là, d’identifier un ensemble de variables à prendre en considération dans l’analyse de cas particuliers, qu’il s’agisse de volumes singuliers ou d’orientations de collections.

65Aucun portrait de pays et aucun récit de voyage n’est régi de façon exclusive par le type de séquence dont il participe en priorité. Cela explique les nombreux chevauchements entre ces deux genres dès lors que l’on se penche sur des ouvrages spécifiques. Si, comme l’écrit Ariane Devanthéry, « les guides ne peuvent être appréhendés de manière isolée et doivent être considérés comme une part du plus vaste ensemble qu’est la littérature de voyage [70] », le portrait de pays apparaît en ce sens comme un genre qui comble un espace. Davantage que deux territoires génériques dont la frontière serait nettement identifiable, dans la cartographie des genres qui constituent la littérature de voyage, il paraît plus indiqué d’envisager leurs rapports comme ceux de deux domaines qui se superposent et interfèrent ponctuellement, au point de favoriser des confusions. Dans l’écosystème de la littérature viatique, il semble que le récit de voyage bénéficie de davantage de prestige que le portrait de pays, lui-même plus valorisé que le guide touristique. En témoigne le nombre considérable d’écrivains qui ont contribué à des portraits de pays, et leur part autrement plus restreinte (quasi inexistante, en réalité) pour les guides de la même période [71].

66Le portrait de pays, qui a donné lieu à des albums d’une grande diversité formelle et discursive, apparaît comme un hypergenre. Dominique Maingueneau désigne par ce terme des « catégorisations comme “lettre”, “essai”, “journal”, “dialogue”, etc., qui permettent de “formater” le texte. Ce n’est pas, comme le genre de discours, un dispositif de communication historiquement défini, mais un mode d’organisation textuelle aux contraintes pauvres, qu’on retrouve à des époques et dans des lieux divers et à l’intérieur duquel peuvent se développer des mises en scène de la parole très variées [72] ». Cette plasticité explique la dimension scalaire du genre, qui tient sans doute d’ailleurs au modèle du portrait lui-même, relativement peu codifié (dans sa forme discursive du moins). « L’hypergenre du portrait, écrit Anne Beyaert-Geslin, se scinde en genres ou sous-genres dont les textualités se déduisent les unes des autres en révélant, au travers de continuités et de ruptures, certaines parentés [73] », qui supposent une mise en perspective historique [74], dans la mesure où les systèmes de genres ne cessent d’évoluer.

67A cette aune, il s’agit de s’interroger sur le positionnement de chaque ouvrage par rapport au genre du portrait, mais aussi au récit de voyage et au guide. S’agissant d’un genre éditorialement aussi contraint par les logiques de collections, certains ouvrages sont plus proches du guide touristique, tandis que d’autres affichent davantage d’affinités avec le récit de voyage, dont ils adoptent volontiers certaines formules. Dans cette perspective, ce sont autant les orientations des auteurs que celles des collections (et leurs interactions) qu’il s’agit aussi d’envisager [75], en ne manquant pas de prendre en considération les limites inhérentes à une approche théorique dont la visée est essentiellement heuristique. Déterminée par le caractère tout de même spécifique du corpus abordé – des livres de photographies issus de collections déterminées et d’une époque précise –, l’ambition de ce travail n’est pas de dire le tout du genre, mais bien plutôt de fournir un outillage pour entreprendre une recherche plus globale et panoramique.

68On peut voir dans ces ouvrages, qui procèdent d’un genre mineur au regard de la valeur littéraire instituée, des petits musées de poche ou des expositions en miniature. Rien de bien surprenant à cet égard que plusieurs de ces collections soient publiées par des éditeurs de livres d’art (Arthaud, Les Documents d’art, La Guilde du livre à certains égards), dont on peut aisément comprendre qu’ils aient été enclins à faire paraître des ouvrages de ce type, en vertu de leur vocation à la mise en valeur du patrimoine. L’inclination muséale de nombre de ces collections [76] explique pourquoi ces livres ne se présentent pas tant comme des guides fournissant des indications pratiques en vue d’une visite que comme des succédanés de la visite elle-même. Ils permettent au lecteur de voyager sans quitter son fauteuil (pour autant qu’il lise dans un fauteuil, bien sûr). Le portrait se substitue à ce qu’il portraiture, dans la mesure où il en est conçu comme un équivalent. Instrument du voyage par la lecture, préambule aux rêveries sur les lieux à découvrir, le portrait de pays doit en quelque sorte se donner à lire comme s’il était déjà le pays lui-même.

Notes

  • [1]
    Ce texte s’inscrit dans le cadre d’une recherche consacrée aux portraits de pays développée par le groupe MDRN (www.mdrn.be) de l’Université de Louvain (KU Leuven) en partenariat avec le Répertoire de la photolittérature ancienne et contemporaine (www.phlit.org) dirigé par Jean-Pierre Montier, le Centre des sciences historiques et de la culture de l’Université de Lausanne, le projet « Representations of Israel in French-Language Travel Guidebooks from 1948 to the Present Day » (ISF – Israel Science Foundation) dirigé par Galia Yanoshevsky, ainsi qu’en collaboration avec l’ANR Littépub (www.littepub.net) dirigée par Myriam Boucharenc et Laurence Guellec. Une version antérieure de cette réflexion a été présentée à l’Université de Lausanne en novembre 2016. Je remercie les participants de cette séance de séminaire pour leurs questions et remarques, tout particulièrement Ute Heidmann, Jean-Michel Adam, Christine Le Quellec Cottier et Jérôme Meizoz, ainsi que les collègues dont les commentaires sur une version plus récente de ce travail m’ont permis de l’étoffer et de le préciser : Philippe Antoine, Nadja Cohen, Jean-Pierre Montier et Galia Yanoshevsky.
  • [2]
    Claude Roy, Le Bon Usage du monde, Lausanne, Rencontre, « L’Atlas des voyages », 1964, p. 133.
  • [3]
    Grégoire Holtz et Vincent Masse, « Etudier les récits de voyage. Bilan, enjeux, questionnements », in Arborescences, n° 2, « La Littérature de voyage », sous la dir. de Grégoire Holtz et Vincent Masse, mai 2012, p. 1-30.
  • [4]
    Sur la photolittérature, voir, notamment, Transactions photolittéraires, sous la dir. de Jean-Pierre Montier, Rennes, PUR, 2015, ainsi que Photolittérature, sous la dir. de Marta Caraion, Natalia Granero et Jean-Pierre Montier, catalogue de l’exposition, Montricher, Fondation Jan Michalski, 2016.
  • [5]
    Sur cette notion, voir Yves Jeanneret, Penser la trivialité. Volume 1. La vie triviale des êtres culturels, Paris, Hermès sciences / Lavoisier, « Communication, médiation et construits sociaux », 2008.
  • [6]
    Michael Glowinski, « Les genres littéraires », dans Théorie littéraire : problèmes et perspectives, sous la dir. de Marc Angenot, Jean Bessière, Douwe Fokkema et Eva Kushner, Paris, PUF, 1989, p. 81-94.
  • [7]
    Sur ces éléments, voir David Martens, « Portraits de pays. Jalons pour l’identification d’un genre méconnu », à paraître.
  • [8]
    Voir, par exemple, la page de l’encyclopédie Wikipedia consacrée à l’écrivain.
  • [9]
    Franz Hellens et Maurice Blanc, Belgique, pays de plusieurs mondes, Lausanne, Clairefontaine et La Guilde du livre, 1956, p. III.
  • [10]
    Pierre Glaudes et Jean-François Louette, L’Essai, Paris, Armand Colin, « Lettres Sup./ Théorie des genres », 2011, p. 31.
  • [11]
    Ainsi en va-t-il de plusieurs livres publiés par le photographe Izis à La Guilde du livre, en particulier ces deux grands succès que furent Paris des rêves (1950), qui juxtapose en fac-similé des poèmes manuscrits de différents écrivains et les photographies d’Izis, ou encore Grand Bal de printemps (1951), dont le texte poétique est dû à Jacques Prévert. L’on peut également songer aux livres signés quelques années plus tard par François Cali chez Arthaud (Sortilèges de Paris, 1952, et France aux visages, 1953).
  • [12]
    Günther Klaus Just, « Essay », dans Deutsche Philologie im Aufriss, sous la dir. de Wolfgang Stammer, t. II, Berlin, Eric Schmidt Verlag, 1960, p. 1897-1948 (cité dans Pierre Glaudes et Jean-François Louette, op. cit., p. 15-16).
  • [13]
    Ibid., p. 16.
  • [14]
    Marielle Macé, Le Temps de l’essai. Histoire d’un genre en France au xxe siècle, Paris, Belin, « L’Extrême contemporain », 2006, p. 52, notamment.
  • [15]
    Voir, notamment, Gérard Genette, Fiction et diction, Paris, Seuil, « Poétique », 1991, ainsi que « Fiction ou diction », in Poétique, n° 134 / 2, 2003, p. 131-139.
  • [16]
    Cela explique que tel ou tel écrivain, connu comme connaisseur d’un pays particulier – Blaise Cendrars pour le Brésil, Joseph Kessel pour Israël… – soit sollicité de façon privilégiée, de même que certains écrivains étrangers, pour écrire le texte du volume consacré à leur pays, comme Franz Hellens, ainsi que Roger Bodart et Karel Jonckheere pour la Belgique, Jean Giono pour la Provence ou encore Andrée Chedid pour le Liban.
  • [17]
    Pierre Glaudes et Jean-François Louette, L’Essai, op. cit., p. 246, notamment.
  • [18]
    Ibid., p. 274 et sqq.
  • [19]
    Jean-Michel Adam et Ute Heidmann, Le Texte littéraire. Pour une approche interdisciplinaire, Louvain-la-Neuve, Academia, « Au cœur des textes », 2009, p. 18.
  • [20]
    Ibid.
  • [21]
    Philippe Antoine, Quand le voyage devient promenade. Ecritures du voyage au temps du romantisme, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, « Imago Mundi », 2011.
  • [22]
    Voir à ce sujet Jean-Didier Urbain, L’Idiot du voyage. Histoires de touristes (1991), Paris, Payot & Rivages, « Petite bibliothèque Payot », 2002, ainsi que James Buazard, The Beaten Track : European Tourism, Literature and the Ways to Culture, Oxford, Clarendon, 1993.
  • [23]
    Voir, notamment, Jean-Michel Adam, « Genres, textes, discours : pour une reconception linguistique du concept de genre », in Revue belge de philologie et d’histoire, t. 75, n° 3, 1997, p. 669.
  • [24]
    Voir Philippe Antoine, Quand le voyage devient promenade…, op. cit., p. 75 et sqq.
  • [25]
    Louis Marin, Utopiques : jeux d’espaces, Paris, Minuit, « Critique », 1973, p. 209.
  • [26]
    Bien entendu, il est des récits de voyage, ou des passages de ceux-ci, intégralement rédigés au présent, et qui imitent (parfois parce qu’ils les reprennent) des passages de carnets de note, afin de plonger le lecteur au plus près des actions dépeintes.
  • [27]
    Nicolas Bouvier, L’Usage du monde (1963), dessins de Thierry Vernet, Paris, Payot & Rivages, « Petite bibliothèque Payot – Voyageurs », 2001, p. 9.
  • [28]
    L’Espagne, t. 1, texte de A. t’Serstevens, Monaco, Les Documents d’Art, « Escales du monde », 1952, p. XI.
  • [29]
    Portugal des voiles, texte et photographies de Max-Pol Fouchet, avec la collaboration de Jacques-Adrien Blondeau, Lausanne, La Guilde du livre, 1959.
  • [30]
    Voir Réal Ouellet, La Relation de voyage en Amérique (xvie-xviiie siècle). Au carrefour des genres, Québec, Presses de l’Université Laval / Editions du CIERL, 2010.
  • [31]
    Voir à ce sujet Jacques Chupeau, « Les récits de voyages aux lisières du roman », in Revue d’histoire littéraire de la France, n° 3-4, 1977, p. 536-553.
  • [32]
    Dominique Grandmont, Tchécoslovaquie, Lausanne, Rencontre, « L’Atlas des Voyages », 1968, p. 19.
  • [33]
    Léonard Cottrell, L’Egypte, traduit de l’anglais par Michel Deutsch, Grenoble, Arthaud, « Les beaux pays », 1965, p. 23-38.
  • [34]
    Jean-Michel Adam et André Petitjean, Le Texte descriptif. Poétique historique et linguistique textuelle, Paris, Nathan, « Nathan Université », 1989, p. 161.
  • [35]
    Pierre Dumas, Le Maroc, couverture de Marius Hubert-Robert, ouvrage orné de 205 héliogravures, Grenoble, Rey & Arthaud, 1928, p. 27-28.
  • [36]
    Pierre Devoluy et Pierre Borel, Au gai royaume de l’Azur, préface de M. Maurice Maeterlinck, couverture de G.-A. Mossa, ouvrage orné de 168 héliogravures, Grenoble, Rey & Arthaud, « Les beaux pays », 1926, p. 13.
  • [37]
    Ariane Devanthéry, Guides de voyage et tourisme alpin. 1780-1920, préface de Gilles Bertrand, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, « Le Voyage dans les Alpes », 2016, p. 155.
  • [38]
    Pierre Chirol, Rouen, aquarelles de Germaine Petit, ouvrage orné de 184 héliogravures, Grenoble, Arthaud, 1931, p. 9.
  • [39]
    Voir Christine Montalbetti, Le Voyage, le monde et la bibliothèque, Paris, PUF, « Ecriture », 1997. Voir également Miroirs de textes. Récits de voyage et intertextualité, sous la dir. de Sophie Linon-Chipon, Véronique Magri-Mourgues et Sarga Moussa, Nice, Publications de la Faculté des lettres, arts et sciences humaines, 1999.
  • [40]
    Pierre Dumas, Le Maroc, op. cit., p. 68.
  • [41]
    Jean-Didier Urbain, L’Idiot du voyage…, op. cit., p. 117.
  • [42]
    Camille Mauclair, La Normandie, couverture de Marius Hubert-Robert, ouvrage orné de 183 héliogravures, Grenoble, J. Rey & Arthaud, « Les beaux pays », 1926, p. 9-10.
  • [43]
    Egypte (1962), par Simone Lacouture, Paris, Seuil, « Petite planète », 1963, p. 131.
  • [44]
    Annabelle Seoanne, Les Mécanismes énonciatifs dans les guides touristiques : entre genre et positionnement discursif, Paris, L’Harmattan, 2013, p. 60.
  • [45]
    Ibid., p. 41.
  • [46]
    Jean-Didier Urbain, L’Envie du monde, Paris, Bréal, 2011.
  • [47]
    Yves Jeanneret, Critique de la trivialité. Les médiations de la communication, enjeu de pouvoir, Paris, Editions Non Standard, « SIC – Recherches en sciences de l’information et de la communication », 2014, p. 70.
  • [48]
    Ariane Devanthéry, Guides de voyage et tourisme alpin…, op. cit., p. 59.
  • [49]
    Ibid., p. 23.
  • [50]
    Ibid., p. 136.
  • [51]
    Annabelle Seoanne, Les Mécanismes énonciatifs dans les guides touristiques…, op. cit., p. 105.
  • [52]
    Voir Claude Reichler, « Pourquoi les pigeons voyagent. Remarques sur les fonctions du récit de voyage », in Versants, n° 50, 2005, p. 11-36.
  • [53]
    Jean Baudrillard, Amérique, Paris, Grasset, 1986.
  • [54]
    Un colloque en préparation se donnera pour tâche de cartographier les déclinaisons médiatiques du genre (Portraits de pays. Textes, sons, images, sous la dir. de Sophie Lécole-Solnychkine, David Martens et Jean-Pierre Montier, Centre culture international de Cerisy-la-Salle, été 2019).
  • [55]
    En conclusion de son livre sur le Maroc, Pierre Dumas écrit, dans une perspective de propagande coloniale empreinte d’orientalisme : « [L]e Maroc est un pays unique où l’on peut admirer, comme dans un vaste musée animé, le vie moyenâgeuse de l’Islam conservée dans son archaïque pureté » (Le Maroc, op. cit., p. 189).
  • [56]
    Michel Poivert remarque à ce propos que « [l]’on a beau admettre que notre croyance en une vérité de la photographie est toute culturelle […], rien ne dissout complètement le sentiment d’une réalité du présent enregistré » (Brève Histoire de la photographie, Paris, Hazan, 2015, p. 53).
  • [57]
    Pour une mise en perspective critique sur cette appréhension de la photographie, voir André Gunthert, « Une illusion essentielle. La photographie saisie par la théorie », in Etudes photographiques, n° 34, printemps 2016. [En ligne], URL : http://journals.openedition.org/etudesphotographiques/3592.
  • [58]
    Brésil. Des Hommes sont venus…, texte de Blaise Cendrars, 150 photographies inédites de Jean Manzon, Monaco, Les Documents d’art, « Escales du monde », 1952.
  • [59]
    Suisse, par Dominique Fabre, gravure démontable de Jacques Noël, Paris, Seuil, « Petite planète », 1955.
  • [60]
    Irlande, par Camille Bourniquel, Paris, Seuil, « Petite planète », 1955.
  • [61]
    Louis Marin, Utopiques : jeux d’espaces, op. cit., p. 65.
  • [62]
    Ibid., p. 73.
  • [63]
    Ibid., p. 78. Voir également « La ville dans sa carte et son portrait », dans De la représentation, Paris, Gallimard / Seuil, « Hautes études », 1994, p. 204-218.
  • [64]
    François Maspero, Balkans-Transit, photographies de Klavdij Sluban, Paris, Seuil, « Fiction & Cie », 1997, p. 198-199.
  • [65]
    Jean-Michel Adam, « Genres, textes, discours : pour une reconception linguistique du concept de genre », art. cit., p. 669.
  • [66]
    La collection « Petite planète » se distingue dans le choix de ses couvertures, qui présentent toutes des portraits, en l’occurrence de jeunes femmes, anonymes ou non (c’est, par exemple, Audrey Hepburn qui figure sur la couverture du volume relatif à la Hollande). Adopté tout au long de l’histoire de la collection, à l’exception des volumes correspondant à la fin de la série, consacrés à plusieurs villes, ces portraits donnent le ton générique de l’ensemble à travers une première image relevant d’un genre iconographique particulier.
  • [67]
    Portugal des voiles, op. cit., p. 5.
  • [68]
    Voir David Martens, « L’hier et l’aujourd’hui dans le portrait de pays. Neutralisations de l’historicité », dans Portraits de pays illustrés. Un genre phototextuel, sous la dir. d’Anne Reverseau, Paris, Minard, 2017, p. 225-247.
  • [69]
    Jean-Michel Adam et Ute Heidmann, Le Texte littéraire. Pour une approche interdisciplinaire, op. cit, p. 14.
  • [70]
    Ariane Devanthéry, Guides de voyage et tourisme alpin…, op. cit., p. 23.
  • [71]
    Dans le même ordre d’idées, si les auteurs de récits de voyage empruntent volontiers aux guides (et sans doute aussi aux portraits de pays – il s’agirait de le vérifier), voire les pillent, sans nécessairement le faire apparaître, les guides, aussi bien que les portraits de pays, citent abondamment des écrivains, mais de façon le plus souvent affichée, dans la mesure où il s’agit, dans ces genres à la littérarité problématique, de mobiliser une référence culturelle prestigieuse et d’ainsi capter une part de son capital symbolique.
  • [72]
    Dominique Maingueneau, « Modes de généricité et compétence générique », in La Licorne, n° 79, « Le savoir des genres », sous la dir. de Raphaël Baroni et Marielle Macé, 2007, p. 61.
  • [73]
    Anne Beyaert-Geslin, Sémiotique du portrait. De Dibutade au selfie, Louvain-la-Neuve, De Boeck Supérieur, « Culture & Communication », 2017, p. 133-134.
  • [74]
    Un colloque organisé à l’Université de Louvain (KU Leuven) s’est donné pour tâche d’éclairer la généalogie de ce genre : Portraits de pays phototextuels (xixe-xxie siècle). Généalogie d’un genre polymorphe, sous la dir. de David Martens, Marta Caraion et Jean-Pierre Montier, Université de Louvain, 26-28 avril 2018.
  • [75]
    En la matière, les différentes collections ont un positionnement relativement distinct, certaines se montrant plus enclines à proposer des portraits intemporels, comme « Les beaux pays », chez Arthaud, d’autres mettant au contraire résolument l’accent sur la forme contemporaine du pays comme produit de l’histoire, et d’une histoire récente, à l’instar de « Petite planète » et de « L’Atlas des voyages ».
  • [76]
    Certaines collections se révèlent bien sûr plus patrimoniales que d’autres, ce qui explique la présence plus nette d’écrivains reconnus parmi leurs auteurs (voir David Martens, « Les écrivains au service du patrimoine. Portraits de pays et promotion touristique », communication au colloque Ancrage littéraire et commémoration, sous la dir. de Mathilde Labbé, Université de Nantes, 12 octobre 2017).
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