Poétique 2017/1 n° 181

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Article de revue

L’exercice d’amplification comme laboratoire du roman

« Le Gladiateur mourant » de Marcel Proust (1884, classe de troisième)

Pages 109 à 124

Notes

  • [1]
    Cette composition fait partie des « papiers scolaires » du Fonds Proust, désormais numérisés et accessibles sur Gallica. Elle a d’abord été publiée par André Ferré dans Les Années de collège de Marcel Proust en 1959. Elle a ensuite été reprise dans la section « Juvenilia » du volume Contre Sainte-Beuve précédé de Pastiches et mélanges et suivi de Essais et articles, Pierre Clarac et Yves Sandre (éd.), Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1971, p. 321-322.
  • [2]
    André Ferré, Les Années de collège de Marcel Proust, Paris, Gallimard, 1959, p. 65.
  • [3]
    Ibid., p. 112-113.
  • [4]
    La « composition latine » (arrêté du 28 novembre 1864) devient dix ans plus tard la « composition en latin » (décret du 25 juillet 1874).
  • [5]
    Voir André Chervel, « Observations sur l’histoire de l’enseignement de la composition française », Histoire de l’éducation, n° 33, 1987, p. 26.
  • [6]
    Cité par Françoise Douay-Soublin, « Du discours à la dissertation : aspect du passage de la Rhétorique à la Littérature en France au xixe siècle », Nicole Ramognino et Pierrette Vergès, Le Français hier et aujourd’hui : politiques de la langue et apprentissages scolaires, Publications de l’Université de Provence, 2005, p. 131.
  • [7]
    Augustin Pellissier, Principes de rhétorique, chapitre « De la disposition », Leçon XVIII, « De l’amplification », Paris, Hachette, 1873, p. 99.
  • [8]
    La Langue littéraire. Une histoire de la prose en France de Gustave Flaubert à Claude Simon, sous la dir. de Gilles Philippe et Julien Piat, Paris, Fayard, 2009, p. 105.
  • [9]
    Ce texte est celui du manuscrit. La note de l’édition Pléiade ne fait pas apparaître les biffures et rétablit la ponctuation finale. Voir Marcel Proust, Contre Sainte-Beuve, précédé de Pastiches et mélanges, et suivi de Essais et articles, texte établi, présenté et annoté par P. Clarac et Y. Sandre, op. cit., p. 871.
  • [10]
    Ibid.
  • [11]
    Jean-Yves Tadié, Marcel Proust, biographie, Paris, Gallimard, 1996, p. 82.
  • [12]
    « Juvenilia », Essais et articles, op. cit., p. 321-322.
  • [13]
    Villemain note dans sa notice sur Byron, qui figure parfois, d’ailleurs, dans les manuels de Morceaux choisis : « Enfin, il publia Childe Harold. L’enthousiasme fut universel, et le jeune lord, salué grand poète, entouré d’un prestige romanesque et d’une gloire sérieuse, jouit quelque temps de l’enivrement de la faveur publique » (Abel-François Villemain, Etudes de littérature ancienne et étrangère, Paris, Didier 1846, p. 245).
  • [14]
    Lord Byron, « Le Pèlerinage de Childe Harold », Chant IV, Œuvres complètes avec notes et commentaires, vol. 3, Paris, Dondey-Dupré, 1830, p. 260-261.
  • [15]
    Les productions scolaires de Flaubert confirment cette intégration rapide de Byron au canon scolaire vers 1830. En classe de quatrième à Rouen, Flaubert a composé une narration intitulée « Portrait de Lord Byron » dont la matière a été puisée dans le Portrait de lord Byron par Villemain et les Leçons anglaises de Noël et Chapsal. Le portrait débute ainsi : « C’était un de ces hommes à hautes conceptions, à idées généreuses et progressives, aux violentes passions, à une âme tout à la fois sensible et magnanime, bizarre en un mot ; lord Byron, c’était le fils du siècle. » On se reportera au cahier de Narrations & Discours de 1835-1836 publié par Jean Bruneau dans Les Débuts littéraires de Gustave Flaubert, Paris, Armand Colin, 1962.
  • [16]
    Nicolas-Auguste Dubois, Manuel de composition latine ou choix de sujets entièrement neufs, Paris, Delalain, 1833, p. 63.
  • [17]
    Ibid. Françoise Douay-Soublin donne un autre exemple d’absorption par le canon scolaire d’une œuvre littéraire contemporaine : « Gourgaud, le professeur de rhétorique de Flaubert à Rouen, ayant lu le Mateo Falcone de Prosper Mérimée dans la Revue de Paris en 1829, en raconte les grandes lignes à son élève, qui note sur son cahier : “Un enfant joue dans les champs, il entend des coups de fusil. Un homme poursuivi arrive. Il le cache grâce à une pièce de monnaie. Ce même enfant séduit par les promesses d’un garde le livre. Matteo le père de cet enfant apprenant cette lâcheté le couche en joue et le tue.” Ce n’est qu’après avoir composé son propre Matteo Falcone que Flaubert sera autorisé à lire l’original » (Françoise Douay-Soublin, « Du discours à la dissertation », art. cité, p. 131).
  • [18]
    Comme le note Romain Jalabert au sujet de Lamartine, « la fortune latine de Lamartine est contemporaine des Méditations poétiques (1820), comme l’attestent les traductions d’extraits de l’Ode à lord Byron, à l’institution Sainte-Barbe, et de La Gloire, au collège Henri-IV […]. Elle peut être rapportée, à la même époque, aux traductions latines d’œuvres d’inspiration religieuse et métaphysique comme Les Nuits (1742-1745) d’Edward Young, Les Tombeaux (1760) de James Hervey, les poèmes d’Ossian (1760-1765), La Mort d’Abel (1758) de Salomon Gessner, Les Martyrs et le Génie du christianisme de Chateaubriand » (Romain Jalabert, « Tu vates eris ». La poésie et le latin en France au xixe siècle, à paraître aux éditions Garnier, 2017).
  • [19]
    Voir Cahier Jean Giraudoux, n° 43, « Jean le lycéen », Paris, P. U. Blaise Pascal, 2015, p. 40.
  • [20]
    Il s’agit du passage de l’article « De la tradition en littérature et dans quel sens il faut l’entendre » (1858), repris dans les Causeries du lundi, p. 15.
  • [21]
    Sur cette question, on se reportera à Byron et le romantisme français d’Edmond Estève qui met en évidence le continuum qui relie certains procédés des poètes romantiques aux pratiques scolaires d’imitation : « si les littérateurs de cette époque, dont un bon nombre ne faisaient que de quitter les bancs du collège, étaient pleins de leurs études classiques, ils étaient beaucoup moins bien informés de la Grèce moderne. Ils allèrent se renseigner auprès de Chateaubriand et de Byron. C’est à l’Itinéraire, c’est plus encore au Siège de Corinthe, à Childe Harold, à Don Juan, qu’ils empruntèrent les thèmes, les idées, les couleurs, les images. Ils trouvaient là des développements tout faits, qu’au besoin ils se contentaient de traduire ou de paraphraser en vers français (c’est nous qui soulignons). Casimir Delavigne, qui passait depuis la publication de ses premières Messéniennes pour le plus grand poète de la France et son poète national, consacrait ses Nouvelles Messéniennes aux Grecs et ne dédaignait pas de prendre ses inspirations chez son illustre confrère anglais. Vigny, en 1822, dédiait à la Grèce un poème en trois chants, Héléna, où il n’a guère fait que sertir en guirlande poétique des extraits des Martyrs et des réminiscences byroniennes » (Edmond Estève, Byron et le romantisme français, Paris, Hachette, 1907, p. 116).
  • [22]
    Alphonse de Lamartine, « Avertissement », Œuvres complètes en un volume, Bruxelles, Librairie universelle de Mary-Müller, 1838, p. 669.
  • [23]
    Œuvres complètes de Charles de Chênedollé, précédé d’une notice par Sainte-Beuve, Paris, Librairie Firmin-Didot frères, 1864, p. 219-222.
  • [24]
    Charles de Chênedollé, Etudes poétiques, Paris, Gosselin, 1822, p. ix-x.
  • [25]
    Jean Santeuil, édition de Pierre Clarac avec la collaboration d’Yves Sandre, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1971, p. 702.
  • [26]
    D’abord dans la préface : « Mais, s’en tenant aux récits de Trelawney et sans même faire la part de la dureté que Childe Harold affectait volontiers devant le Corsaire, il faut se rappeler que, quelques lignes plus loin, Trelawney racontant l’incinération de Shelley déclare : « Byron ne put soutenir ce spectacle et regagna à la nage le Bolivar. » Puis dans un simple renvoi : « 1. Voir le Childe Harold de Byron – (Note du Traducteur) » (John Ruskin, La Bible d’Amiens, traduction, préface et notes de Marcel Proust, Mercure de France, 1904, p. 17 et p. 160).
  • [27]
    Augustin Pellissier, Principes de rhétorique, op. cit., p. 100.
  • [28]
    La collocation est une structure linguistique qui présente un degré de figement moindre que la locution. Elle se définit comme combinaison usuelle d’un mot avec d’autres mots, « cooccurrence lexicale privilégiée de deux éléments linguistiques entretenant une relation syntaxique » (Agnès Tutin, Francis Grossmann, « Collocations régulières et irrégulières : esquisse de typologie du phénomène collocatif », Revue française de linguistique appliquée, VII-1, p. 9).
  • [29]
    Achille Didier, Principes de rhétorique et de littérature appliqués à l’étude du français, Paris, F. Tandou et Cie, 1863, p. 122.
  • [30]
    Il figure par exemple dans les Morceaux choisis de Gustave Merlet (1870).
  • [31]
    Cette tendance à christianiser l’histoire romaine apparaît nettement aussi dans la narration « Procès de Pison devant le Sénat romain » : Pison est « innocent car un mourant ne se serait pas damné éternellement en parjurant, surtout quand l’amour paternel n’avait plus rien à craindre » (Juvenilia, op. cit., p. 320).
  • [32]
    A l’entrée « suprême » du Dictionnaire de la langue oratoire et poétique de Joseph Planche (1822), on lit : « On dit en poésie et dans le style soutenu, l’instant suprême, l’heure suprême, en parlant de la mort. »
  • [33]
    Selon la terminologie de Dorrit Cohn, La Transparence intérieure (1978), trad. Alain Bony, Paris, Seuil, 1981.
  • [34]
    Françoise Douay-Soublin, « Du discours à la dissertation », art. cité, p. 140.
  • [35]
    Ces exercices préparatoires sont au nombre de quatorze, de difficulté croissante : la fable, le récit, la chrie, la maxime, la contestation, la confirmation, le lieu commun, l’éloge, le blâme, le parallèle, l’éthopée, la description, la thèse et la proposition de loi. L’éthopée ou prosopopée est ainsi définie par le Pseudo-Hermogène : « l’éthopée est l’éthos d’un personnage donné, par exemple : “quelles paroles dirait Andromaque sur la dépouille d’Hector”. Tu respecteras scrupuleusement les qualités propres qui conviennent aux personnages et aux circonstances données » (cité par Michel Patillon, dans La Théorie du discours chez Hermogène le rhéteur, essais sur les structures linguistiques de la rhétorique ancienne, Paris, Les Belles Lettres, 2010, p. 301-302).
  • [36]
    Le rhéteur Libanios a traité vingt-quatre sujets d’éthopée, donnant la parole soit à des figures mythologiques (Médée s’apprêtant à égorger ses enfants, Ulysse au Cyclope en le voyant dévorer ses compagnons …), soit à des figures typiques : une prostituée devenue honnête femme, un eunuque amoureux …
  • [37]
    En particulier dans « Mummius à Corinthe » et dans « Les Nuages ».
  • [38]
    Jean-Yves Tadié relève que « des thèmes profonds s’éveillent dans cette composition académique, celui de la perversion (le mot figure), du sentiment de culpabilité, du désir d’autopunition. Quelques traits de style montrent l’influence de Flaubert et de France (“une douce et cruelle image de sa vie passée”) » (Marcel Proust, op. cit., p. 83).
  • [39]
    « Toutes les idées sont données dans la matière. L’élève ne doit rien ajouter qui modifierait le schéma proposé par le maître […]. A l’élève, il n’est laissé ni la découverte des idées, ni le soin de les organiser pour “composer” réellement son discours » (André Chervel, « Observations sur l’histoire de l’enseignement de la composition française », art. cité, p. 648).
A la mémoire de Philippe Chardin
« Dans chacun des devoirs français où l’on attendait de l’élève un récit bref, sinon élégant au moins correct, il épanchait fiévreusement l’amour ou la pitié d’une heure que lui inspirait le personnage de la vie duquel un trait était proposé. »
Marcel Proust, Jean Santeuil.

1« Le Gladiateur mourant », daté du 1er décembre 1884, est un brouillon de composition française rédigé par Marcel Proust en classe de troisième [1]. Durant cette année, il n’est assidu au lycée qu’au premier trimestre. Au deuxième, son professeur de français note : « La maladie a fait tort au travail. Bon élève. Le succès reviendra avec la santé [2] », et au troisième trimestre, son nom disparaît des listes. Son professeur de français est alors Charles-Jean-Adolphe Guillemot. Agrégé de grammaire et de lettres, il est considéré par le proviseur de Condorcet comme un « esprit peu ouvert ». Son rapport d’inspection, signé Eugène Manuel, indique en 1884, l’année où il est le professeur de Proust :

2

Enseignement sûr et solide, mais sans éclat ni chaleur ; c’est une froideur égale avec un zèle constant. On l’estime plus qu’on ne le goûte. Il obtient du travail de ceux de ses élèves qui sont naturellement laborieux ; il a peu d’action sur le gros de sa classe. On dit qu’il s’est usé par les répétitions : il ne paraît pas que sa classe s’en ressente : on ne s’use pas quand on ne se dépense pas [3].

3Selon toute vraisemblance, ce brouillon très raturé préparait une copie au propre remise à M. Guillemot. Il porte le titre « Composition en français », dénomination étonnante puisque, la composition latine ayant disparu, la référence à la langue française est superflue. Néanmoins, « en français » maintient la mémoire des exercices de « composition en latin[4] » bannis du baccalauréat par les réformes de 1880, mais qui subsistent jusqu’en 1925 en classe de première et de seconde, alors même qu’ils ne préparent plus à une épreuve du baccalauréat [5]. Cette composition prend place dans une décennie de mutation de l’enseignement du français caractérisée par la coexistence de deux modèles de composition : l’amplification et la dissertation, exercices qui correspondent à deux visées concurrentes de l’enseignement de la littérature : l’amplification vise l’apprentissage de l’art d’écrire par l’imitation des grands auteurs ; la dissertation a pour fin la réflexion sur les œuvres et leur histoire. « Le Gladiateur mourant » a été composé quelques années avant la seconde réforme de Jules Ferry sur l’enseignement secondaire (1890) qui supprimera définitivement l’amplification des programmes : « le discours d’amplification est supprimé et remplacé – sous le titre inchangé de composition française – par une dissertation littéraire ou une explication écrite d’auteurs français, dont les formes nous sont encore familières [6] ». Ce brouillon très raturé permet d’observer dans son détail la fabrique de l’amplification qui, en 1884, règle encore la plus grande partie des exercices de composition française dans l’enseignement secondaire, mais qui n’est plus, stricto sensu, un exercice d’application du cours de rhétorique. Le professeur propose une « matière », un « canevas » ou un « sommaire » que l’élève doit amplifier. Dans ses Principes de rhétorique, Augustin Pellissier articule la définition classique de l’amplification et son usage pédagogique :

4

Il est souvent nécessaire d’appuyer sur les arguments et de les développer, afin d’en faire mieux sentir le poids et d’en tirer tout l’avantage ; c’est l’objet de l’amplification, c’est-à-dire d’une affirmation plus étendue et plus forte, qui touche les âmes et les persuade […]. Dire tout ce qu’on doit, tout ce qu’on peut dire en vue de la persuasion, c’est amplifier dans le bon et le vrai sens du mot ; aller au-delà, c’est tomber dans le verbiage. L’abus de ce procédé est cause du sens défavorable qu’on donne trop volontiers au mot amplification[7].

5Après avoir identifié la source de la matière proustienne, il s’agira d’observer, à partir de ce manuscrit, le processus d’amplification dans le détail fin de son déploiement. Cet exercice sur un sujet « mixte », qui associe les genres de la narration et du discours, pose aussi la question de la mise en forme énonciative de la composition. « Le Gladiateur mourant » met en scène un personnage dont la subjectivité se manifeste essentiellement par des contenus de pensée. Ils sont représentés au moyen de diverses formes discursives placées sur le même plan que le récit du narrateur qui, de son côté, se présente comme un témoin empathique intégré à l’univers de la fiction. La composition de Proust est globalement « attirée » vers le discours intérieur qui est la matière par excellence du roman, comme le souligne Gilles Philippe : « il n’est pas d’objet linguistique plus littéraire que le discours intérieur, puisque la fiction romanesque est la seule représentation possible de celui-ci [8] ». L’amplification permet ainsi de saisir à l’état natif une forme « pré-romanesque », centrée sur la vie de la conscience saisie dans toutes ses dimensions – sensations, émotions, réflexions –, et dans laquelle fusionnent les discours et les points de vue du personnage et ceux du narrateur.

Questions de « matière »

6Le brouillon de la composition est précédé d’un autre feuillet, également de la main du lycéen, où figure le texte suivant. Nous restituons le texte du folio 9 R du fonds Marcel Proust I de la BnF :

7

Composition en français
Le gladiateur mourant
Le gladiateur blessé à mort est étendu dans sur l’arène. Sa tête appuyée sur sa main.
Il consent à mourir mais il déguise son agonie. Il ne veut avouer ni sa douleur ni sa défaite.
Pendant que tombent les dernières gouttes de son sang, l’amphithéâtre retentit des acclamations qui saluent la victoire de son adversaire.
Il ne s’en émeut pas. Son cœur est bien loin du cirque. Il songe à la hutte sauvage qu’il habitait sur les bords rives du Danube, et à leur mère (sic). | Il va mourir pour le plaisir de Rome, expirera-t-il sans être vengé [9]

8Pour Pierre Clarac,

9

il est évident que ce texte n’est pas celui d’un canevas dicté par le professeur. Proust l’a mis au point en se corrigeant, et il en reprendra les divers passages presque mot pour mot dans la rédaction définitive. Avant de passer au détail de son développement, il a tenu à établir avec force les phrases qui en seraient l’armature [10].

10Jean-Yves Tadié s’accorde à ce point de vue : « Après avoir rédigé un canevas (méthode qu’il n’oubliera jamais), Marcel développe [11] … » En réalité, cet autre texte n’est pas de Proust mais constitue bien le « canevas » de sa narration dicté par le professeur, matière brute, dépourvue de consigne du type « vous décrirez » ou « vous raconterez ». Ce texte est très peu raturé et les quelques biffures et oublis observables (il manque le syntagme « à ses enfants ») peuvent parfaitement être liés à un texte dicté. La matière du « Gladiateur mourant » a une source littéraire : il s’agit de la reprise condensée de deux strophes du quatrième chant du poème « Le Pèlerinage de Childe Harold » (« Childe Harold’s Pilgrimage ») de Byron.

11Nous avons souligné dans le texte de l’amplification de Proust, tel qu’il est restitué par l’édition de la « Bibliothèque de la Pléiade », les mots, groupes et phrases repris de ce canevas :

12

Le gladiateur est blessé à mort. Il est étendu sur l’arène, soutenant d’une main faible sa tête qui chancelle baignée dans un flot de sang. Il sent la vie qui l’abandonne. Il consent à mourir, mais il déguisera son agonie, et il ne sera pas dit qu’il a été vaincu et qu’on la vu souffrir.
Son sang s’écoule toujours ; il n’en a presque plus. Ses forces l’abandonnent goutte à goutte. L’amphithéâtre retentit alors de bruyantes acclamations qui saluent la victoire de son adversaire. Peuple féroce, il te fallait donc insulter à la douleur de cet homme ; il t’a repu des joies du cirque pendant des années. Peuple ingrat, il n’a plus de sang, tu veux donc qu’il te donne des larmes. Peuple cruel, tu viens d’insulter l’homme dans le gladiateur.
Mais il n’entend tes acclamations que comme un murmure confus, comme un dernier écho de la vie quand son âme s’enfuit déjà chez les morts. Il ne s’en émeut pas ; peuple de sang, ce n’est pas à toi qu’il doit ses dernières pensées. Il les porte là-bas, bien loin sur les rives fleuries du Danube, vers une cabane sauvage qu’il entrevoit dans son esprit comme une douce et cruelle image de sa vie passée. Le lierre en couronne le toit. Là sa femme est assise nourrissant avec peine deux petits enfants jeunes encore. Epoux ingrat, père dénaturé ! Il a quitté tous ces biens pour les applaudissements passagers de quelques milliers d’hommes corrompus qui viennent d’insulter à sa défaite. S’il pouvait seulement les revoir et obtenir leur pardon ! Il mourrait tranquille. La sueur au front, usant ses jours dans un labeur au-dessus de ses forces, elle pense à lui, peut-être lui reprochant d’avoir abandonné ses enfants. Si elle savait comme il se repent, comme ces souvenirs sont pour lui une dure punition elle lui pardonnerait peut-être, elle a le cœur si bon, elle l’aime peut-être encore un peu.
Il meurt pour le plaisir de méchants, de sauvages, d’hommes pervertis, pour le plaisir de Rome. Il va s’évanouir de même qu’une de ces violentes tempêtes qui après avoir tout ébranlé se dissipent, ne laissant rien d’elles, pas même un souvenir. Il meurt en lion devant ces tigres altérés de sang. Ne sera-t-il donc pas vengé ? Ne sera-t-elle pas punie cette multitude inconstante et féroce ? Puissent tous ces hommes mourir malheureux, loin de leur femme et de leurs enfants, pleins de remords, insultés à leur dernier moment.
Mais à mesure qu’il s’approche de l’heure suprême, ses sentiments s’épurent et s’élèvent. Il sent qu’il a besoin qu’on lui pardonne, qu’il est aussi coupable que tous ces hommes. L’idée d’un jugement rendu après la mort se présente de plus en plus nette à son esprit. Comment le juge suprême pourra-t-il être indulgent pour lui, qui est si dur envers les autres … Mais le temps ne lui appartient plus. La mort a gagné tous ses membres, la mort va l’avoir glacé complètement, il est au seuil de l’éternité. Réunissant alors toutes ses forces, il bégaie une prière, il supplie au juge (sic) qu’il entrevoit vaguement comme dans un rêve de pardonner à ses ennemis [12].

13« Childe Harold’s Pilgrimage » est un long poème narratif divisé en quatre chants, publié en anglais entre 1812 et 1818. Il s’agit du journal de voyage de Childe Harold à travers l’Europe. Il a connu un immense succès [13] et a fait l’objet de plusieurs traductions au xixe siècle en France : Amédée Pichot, premier traducteur de Byron en 1819-1821, Paulin Paris en 1830-1832 et Benjamin Laroche en 1837. Dans leur grande majorité, ces traducteurs transposent les vers en prose. Ainsi dans la traduction par Paulin Paris des strophes 140 et 141 du Chant IV qui relate le voyage de Childe Harold à Venise puis à Rome :

14

Je vois devant moi le gladiateur étendu sur l’arène ; il repose sa tête sur sa main ; – son mâle regard consent à mourir, mais il déguise son agonie ; et sa tête penchée s’affaisse graduellement ; – les dernières gouttes de son sang, qui sort lentement de sa rouge blessure, tombent épaisses et une à une, de son flanc, comme les premières gouttes d’une pluie d’orage ; mais déjà l’arène tournoie autour de lui : – il succombe avant qu’aient cessé les acclamations barbares qui applaudissent son misérable vainqueur.
Il les a entendues, mais il ne s’en est point ému. – Ses yeux étaient avec son cœur, bien loin du cirque. Il se souciait peu de la vie qu’il perdait sans gloire ; mais sa pensée se portait où s’élevait sa hutte sauvage sur les rives du Danube, là où ses jeunes enfants barbares se livraient aux jeux de leur âge ; là où était leur mère la Dacie. – Lui, leur père, était égorgé pour une fête romaine. Toutes ces pensées se précipitent avec son sang. – Expirera-t-il sans être vengé ? Levez-vous, peuples de Goths ! et venez assouvir votre implacable fureur [14] !

15Ces deux strophes du poème de Byron ont connu une notoriété très rapide chez les écrivains français mais aussi chez les professeurs. Entre 1820 et 1830, le poème de Byron est traduit en français et intégré immédiatement au corpus scolaire [15]. En 1833, le Manuel de composition latine ou choix de sujets entièrement neufs de Nicolas-Auguste Dubois propose comme « matière » pour un exercice de vers latins un résumé en prose de cette même strophe 140 :

16

XIV. MATIERE.
Le gladiateur mourant dans l’arène.
Je vois le gladiateur étendu devant moi ; il s’appuie sur sa main.
Son mâle regard consent à mourir … ; sa tête s’affaisse insensiblement vers la terre …
Les dernières gouttes de son sang s’échappent lentement de sa blessure ; ses yeux se troublent ; il voit nager autour de lui ce grand théâtre, et tout ce peuple : il meurt, et l’acclamation retentit encore saluant son vainqueur.
Ses dernières pensées sont bien loin ! il songe à sa hutte sauvage, adossée à un rocher sur le bord du Danube. Tandis qu’il meurt, ses enfans jouent entre eux …
Mourra-t-il sans vengeance ? … Levez-vous, peuples de la Germanie.
(Lord Byron, Childe Harold) [16]

17A l’instar de la matière dictée par le professeur de Proust en 1884, ce canevas semble directement tiré de la traduction de Paulin Paris. Comme le souligne N.-A. Dubois dans la préface de son manuel, ce texte de Byron relève en 1833 des sujets de composition « entourés du prestige de l’actualité [17] ». Le choix de ce sujet semble témoigner d’une ouverture « moderne » de l’enseignement à la littérature étrangère. En réalité, il s’inscrit dans une pratique des années 1820-1830, période durant laquelle le lycée s’ouvre, sous certaines conditions, à la poésie romantique contemporaine [18]. L’intérêt immédiat de l’institution scolaire pour ces deux strophes de Byron est lié au fait qu’elles ont le format idéal du morceau choisi et qu’au plan thématique elles décrivent une pratique de la Rome antique. Elle permet donc à l’élève d’exprimer sa sensibilité mais dans le cadre d’une « matière » néo-latine. Cette « matière » byronienne perdurera relativement tard dans les manuels scolaires, puisqu’en classe de quatrième (1895-1896) Jean Giraudoux composera lui aussi un texte intitulé « Le Gladiateur mourant [19] ». Cependant, en 1884, au moment où Proust compose ce texte, le romantisme de Byron est condamné par l’Ecole : dans les Morceaux choisis de prosateurs et de poètes des xviiie et xixe siècles de Feugère (1882), par exemple, figure un extrait des Causeries du lundi de Sainte-Beuve, « Le classique et le romantique », qui condamne l’œuvre de Byron, emblème de la maladie romantique : « Hamlet, Werther, Childe-Harold, les Renés purs, sont des malades pour chanter et souffrir, pour jouir de leur mal, des romantiques plus ou moins par dilettantisme : – la maladie pour la maladie [20]. »

18Les exercices scolaires d’amplification d’une matière empruntée à Byron, en latin comme en français, en vers comme en prose, prolongent une pratique, très courante chez les poètes romantiques européens, de traduction, transposition, imitation ou continuation des œuvres du poète anglais [21], parfois à la limite du plagiat. Théophile Gautier réécrit le premier chant de « Don Juan » dans ses « Premières poésies » et Lamartine continue le Chant IV de Childe-Harold dans un poème intitulé « Le Dernier chant du Pèlerinage de Childe-Harold », projet ainsi présenté par le poète : « M. de Lamartine voulant conduire le poème de Childe-Harold jusqu’à son véritable terme, la mort du héros, le reprend où lord Byron l’avait laissé, et, sous la fiction transparente du nom d’Harold, chante les dernières actions ou les dernières pensées de Lord Byron lui-même [22]. » Enfin, sur les vingt et une pièces qui composent le livre des Odes de Chênedollé, cinq sont des imitations de Byron. L’une d’elles est intitulée « Le Gladiateur mourant ». Il s’agit d’un véritable calque du poème anglais, comme l’attestent les deux premières strophes :

19

LE GLADIATEUR MOURANT
Dulces moriens reminiscitur Argos.
Vain et sanglant jouet de la fureur romaine,
Le fier Gladiateur cède et tombe expirant ;
Par son glaive trahi, sur l’homicide arène
Il repose calme et mourant.
Il ramasse en son cœur sa force réunie,
Se penche, et se recueille appuyé sur sa main ;
Il consent à la mort, mais domptant l’agonie,
Il brave encore le Romain [23] […]

20Dans l’avertissement de la seconde édition de ses Etudes poétiques en 1822, Chênedollé (1769-1833) indique au lecteur qu’il n’a « pas cru devoir indiquer toutes ses imitations de lord Byron, parce qu’elles pouvaient être reconnues facilement, les ouvrages de ce poète étant entre les mains de tout le monde ». Il précise :

21

on trouve de nombreuses traces des emprunts que j’ai faits à lord Byron dans l’ode du Gladiateur mourant […] il a toujours été permis aux poètes de voyager dans les littératures étrangères pour s’y enrichir de leurs dépouilles : ces sortes d’emprunts sont regardés non comme des vols mais comme des conquêtes [24].

22Le nom de Byron resurgira dans l’œuvre de Proust, d’abord dans Jean Santeuil comme figure de l’écrivain divisé, à l’instar de Jean, par les exigences antagonistes de la vie mondaine et de la vocation poétique : « Sans doute en était-il de même pour Byron et les plus fashionables des écrivains, si, partis pour faire une visite, la vue d’un lilas ou de quelque pensée les incitait à la poésie [25]. » Le nom de Childe Harold reparaît en 1904 dans les notes de Proust à sa traduction de La Bible d’Amiens de John Ruskin [26].

La fabrique de l’amplification : les leçons du manuscrit

23Les nombreux ajouts, ratures, notes marginales ou interlinéaires du manuscrit du « Gladiateur » constituent un document de premier plan sur le processus de l’amplification, dans sa double visée, quantitative et qualitative, d’affirmation à la fois « plus étendue » et « plus forte ». Pellissier précise : « Si l’amplification étend le sujet, ce n’est pas dans un autre but que de faire une impression plus vive, en augmentant l’idée de la chose qui est en question [27]. » La première phrase de ce brouillon est biffée : « Le gladiateur est étendu sur l’arène » ; on peut supposer que c’est parce qu’elle décalque intégralement la matière. Proust va à la ligne et reprend : « Le gladiateur est blessé à mort. Il est étendu sur l’arène, soutenant de sa main, d’une main faible … » Il tente ainsi de se dégager de la formulation de la matière en étoffant la description physique et en intensifiant le pathétique de la scène par l’ajout de « est blessé à mort ». Dans les interstices du canevas fourni, Proust va insérer des unités de dimension variable. A l’échelle microsyntaxique d’abord, il met en œuvre les principaux moyens d’amplification préconisés par les manuels dans les chapitres consacrés à l’elocutio : « épithètes, synonymes, équivalents ». La logique de l’amplification implique ainsi l’ajout d’épithètes aux substantifs fournis par le canevas. Proust ajoute l’adjectif « bruyantes » à « acclamations » et « fleuries » au substantif « rives » ; « sur sa main » est amplifié par le groupe « d’une main faible ». Il biffe parfois une épithète abstraite pour la remplacer par un adjectif plus concret : « les rives poëtiques fleuries » qui souligne le contraste avec la souffrance du gladiateur sur l’arène romaine. Il biffe l’adjectif « pauvre » dans « Une pauvre cabane sauvage » qui marquait trop nettement l’intrusion du point de vue évaluatif du narrateur. Les épithètes interviennent majoritairement dans des collocations[28], structures caractéristiques de la « belle langue » scolaire : « cette multitude inconstante et féroce », « de bruyantes acclamations », « une de ces violentes tempêtes ». L’élève de troisième évite tout effet de surprise et, dans sa recherche de congruence sémantique entre le nom et l’épithète, produit des caractérisations conventionnelles, parfois à la limite de l’épithète de nature comme « un murmure confus » ou « une dure punition ». Proust exploite également les « synonymes » – « la hutte sauvage » de la matière devient « la cabane sauvage » – et les « équivalents » : la phrase du canevas « Il ne veut avouer ni sa douleur ni sa défaite » est réécrite par l’élève sous la forme : « il ne sera pas dit qu’il a été vaincu et qu’on l’a vu souffrir », construction passive et impersonnelle qui transforme les substantifs en verbes et qui surtout réintroduit un point de vue extérieur et collectif sur le gladiateur, celui de la postérité.

24Plusieurs passages de ce brouillon mettent en évidence la visée à la fois quantitative (il s’agit d’augmenter le matériel lexical et syntaxique) et expressive de l’amplification. L’expansion du groupe nominal prend parfois la forme d’une proposition subordonnée relative, équivalent amplifié de l’adjectif épithète : « la tête » de la matière est amplifiée – « rerum » et « verborum » – en « la tête qui chancelle dans un flot de sang ». Dans un premier temps, la phrase du canevas « Il va mourir pour le plaisir de Rome » fait l’objet d’une amplification à l’échelle microsyntaxique par la juxtaposition de trois groupes prépositionnels : « Il meurt pour le plaisir de mille méchants, de mille sauvages, de mille hommes pervertis », qui à la fois augmentent et intensifient le syntagme neutre, au plan énonciatif, de la matière. Cette phrase, sans doute perçue par l’élève comme dépassant les limites acceptables de l’hyperbole, le conduit dans un second temps à biffer les trois déterminants numéraux. Ces biffures manifestent le conflit, au cœur même du processus d’amplification, entre la visée intensifiante des insertions et l’exigence antagoniste de la mesure : l’idéal du bien-écrire des manuels de rhétorique dont, à l’origine, l’exercice d’amplification est l’application repose sur une véritable posologie fondée sur le « ni trop ni trop peu ». Au plan syntaxique, le modèle de la phrase périodique, à tout le moins la phrase longue à dominante hypotaxique, constitue le cadre syntaxique le plus favorable à l’amplification et fonctionne aussi comme signe de la langue cultivée : « Il va s’évanouir de même qu’une de ces violentes tempêtes qui après avoir tout ébranlé se dissipent, ne laissant rien d’elles, pas même un souvenir. »

25L’amplification se déploie également au plan macrosyntaxique. L’élève intègre à l’armature proposée par le professeur des modules textuels qui dépassent largement l’unité phrastique. Ainsi, l’interrogation finale proposée par le canevas : « Ne sera-t-il donc pas vengé ? » fait l’objet d’une première amplification, qui se plie au motif imposé de la vengeance. Elle repose au plan modal sur l’interrogation et l’expression du souhait : « Ne sera-t-elle pas punie cette multitude inconstante et féroce ? Puissent tous ces hommes mourir malheureux, loin de leur femme et de leurs enfants, pleins de remords, insultés à leur dernier moment », énoncés dont la source est indéterminée (narrateur ou personnage ?). Cette dernière phrase, appel à la juste réciprocité des souffrances, est un ajout dans la marge. Un peu plus loin, l’élève intercale entre deux phrases de la matière reprises sans la moindre modification (« L’amphithéâtre retentit alors de bruyantes acclamations qui saluent la victoire de son adversaire » et « Il ne s’en émeut pas ») cette cellule discursive où le narrateur, et non le personnage, interpelle directement le peuple de Rome :

26

Peuple féroce, il te fallait donc insulter à la douleur de cet homme ; il t’a repu des joies du cirque pendant des années. Peuple ingrat, il n’a plus de sang, tu veux donc qu’il te donne des larmes. Peuple cruel, tu viens d’insulter l’homme dans le gladiateur.

27Scandée par trois apostrophes en anaphore avec une variation sur l’épithète évaluative / hyperbolique (« féroce », « cruel », « ingrat »), elle vise le pathétique et repose sur l’identification empathique du narrateur au personnage mourant.

28L’amplification fonctionne fondamentalement comme un exercice « à trous » que l’élève doit remplir grâce à des citations apprises par cœur, des épithètes attendues, des lieux communs imités des grands auteurs. Dans « Le Gladiateur mourant », Proust emprunte à plusieurs reprises aux grands textes classiques. L’exclamation : « Epoux ingrat, père dénaturé ! », par sa structure binaire, peut être rapprochée du vers de Polyeucte : « Père dénaturé, malheureux politique ! » (V, 6). La phrase « Il meurt en lion devant ces tigres altérés de sang » s’impose également comme une réminiscence du théâtre de Corneille. Le syntagme caractérisant « altérés de sang » est ajouté, cette surcharge rendant visible le processus de l’amplification. Le « tigre altéré de sang » apparaît en emploi métaphorique dans Horace : « Tigre altéré de sang, qui me défends les larmes, Qui veux que dans sa mort je trouve encor des charmes », mais aussi dans Polyeucte : « Tigre altéré de sang, Décie impitoyable, Ce Dieu t’a trop longtemps abandonné les siens. » Dans les manuels de rhétorique, ce vers de Corneille illustre la métaphore, par exemple dans les Principes de rhétorique d’Achille Didier :

29

La comparaison se fait avec trois termes, le signe, l’objet auquel on le compare, et le signe de la comparaison. La métaphore supprime le sujet et le signe pour donner plus de vivacité au style […]
Tigre altéré de sang, Décie impitoyable. Corneille [29]

30Il apparaît également dans le texte de Buffon « Le lion et le tigre », très présent dans les Morceaux choisis de l’enseignement secondaire : « le lion ne court, ne chasse que quand la faim le presse. Le tigre, au contraire, quoique rassasié de chair, semble toujours être altéré de sang[30] ». Cette caractérisation stéréotypée du tigre confirme l’importance de la collocation dans la langue scolaire. Ainsi, le processus de l’amplification dans « Le Gladiateur » procède par intercalation de modules à forte coloration subjective, hyperboliques et fortement évaluatifs, où dominent apostrophes et interrogations oratoires, ressources majeures du pathétique et marqueurs de la présence du locuteur. Mais il s’agit là, aussi, de procédés de mise en scène de la parole caractéristiques de l’éloquence religieuse, référence fondamentale du genre scolaire du discours et modèle du « grand style ». Le discours intérieur du gladiateur, programmé dans le canevas par des verbes comme « avouer », « s’émouvoir », « songer à », permet précisément à l’élève de troisième de retrouver les réflexes rhétoriques de ce genre dans le cadre, familier aux élèves, de l’agonie d’un personnage. C’est en effet une thématique que l’on trouve fréquemment dans les exercices de discours (« Alexandre mourant à ses amis » ; « Louis IX mourant, à son fils et à ses barons » ; « Marc Aurèle mourant, à ses amis et à son fils » …) comme dans les Morceaux choisis : « Mort de Vatel, de Turenne, de Fléchier, de Madame, de Charles Ier, de Montesquieu, de Mirabeau, de Jeanne d’Arc, de Socrate … »

31Cependant, dans sa dernière partie, la composition de l’élève de troisième s’écarte de la « matière » imposée ou, à tout le moins, investit la mise en suspens opérée par l’interrogation finale : « Expirera-t-il sans être vengé ? » A la thématique de la vengeance, imposée par le canevas et à laquelle il fait droit dans un premier temps, Proust ajoute, dans une sorte de bifurcation narrative, un développement inattendu :

32

Mais à mesure qu’il s’approche de l’heure suprême, ses sentiments s’épurent et s’élèvent. Il sent qu’il a besoin qu’on lui pardonne, qu’il est aussi coupable que tous ces hommes. L’idée d’un jugement rendu après la mort se présente de plus en plus nette à son esprit.

33Jusque-là, l’amplification avait orienté les attentes du lecteur vers le dénouement de la mort du gladiateur dans l’appel à la juste réciprocité des souffrances. In fine, Proust opte pour une orientation contraire, préférant à la vengeance la mystique chrétienne du pardon [31]. L’amplification s’achève sur la reconnaissance par le gladiateur de sa propre culpabilité, l’affirmation de la croyance en un jugement après la mort et surtout l’exhortation au pardon de ses ennemis, qui donne à ce final une couleur chrétienne. Si l’amplification fonctionne bien comme un « texte à trous », ce ne sont plus ici les vers du théâtre classique mais une citation de l’Evangile que le jeune Proust convoque pour remplir les interstices de ce canevas, la parole de Jésus sur la Croix priant son Père de « pardonner à ses ennemis » : « Mon Père ! pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font ! » (Lc 23, 34). Cette chute est aussi rendue possible par une omission délibérée du canevas par rapport au texte-source. Le rédacteur de la matière a en effet supprimé la dernière phrase de Byron appelant au déchaînement de la fureur des « barbares » : « Expirera-t-il sans être vengé ? Levez-vous, peuples de Goths ! et venez assouvir votre implacable fureur ! » L’élève est ainsi convié à rédiger une fin représentant un comportement noble et digne d’être imité, c’est-à-dire conforme à la morale encore très prégnante dans les exercices rhétoriques à la fin du xixe siècle, attente à laquelle Proust répond par la christianisation de la matière antique païenne.

34Les ratures de l’élève se concentrent principalement sur deux moments du récit. Le premier est la fin de l’agonie du gladiateur et son passage vers l’au-delà, l’agonie étant décrite dès le début de la composition :

35

Il sent la vie qui l’abandonne, ses forces de même qu’une violente tempête qui agite qui se dissipe après. Il consent à mourir mais il veut dégu. Il consent à mourir mais il déguisera son agonie et il ne sera pas dit qu’il a été vaincu et qu’on l’a vu souffrir. La dernière goutte de son sang. Ses forces le quittent goutte. Son sang s’écoule toujours ; il n’en a presque plus. Les forces l’abandonnent goutte à goutte.

36Le problème stylistique à régler est visiblement ici celui des métaphores : la « tempête » intérieure, l’image concrète du « goutte à goutte », puis celle de l’âme qui fuit : « Il les a entendus comme un dernier mot écho de la vie quand son âme est saisie s’enfuit déjà par la mort. » Proust reprend la rédaction de la proposition subordonnée dans la marge, choisissant le mot « âme », plus spirituel, au détriment de celui d’« être », plus philosophique : « Quand son être âme est déjà s’enfuit chez la mo s’enfuit déjà chez les morts. » Ces corrections mettent en évidence le processus de « dosage » des ornements : l’élève supprime de ce passage la métaphore de la tempête intérieure (« ses forces de même qu’une violente tempête qui agite qui se dissipe après. Il consent à mourir mais il veut dégu ») pour la déplacer plus loin dans sa composition : « Il va s’évanouir de même qu’une de ces violentes tempêtes qui après avoir tout ébranlé se dissipent, ne laissant rien d’elles, pas même un souvenir. » L’amplification implique un processus d’ornementation de la phrase, par la périphrase euphémisante et ennoblissante : « A mesure qu’il s’approche de la mort l’heure suprême [32] », et surtout par la métaphore : « l’écho » plutôt que « le mot », la métaphore dynamique de la fuite plutôt que le simple verbe « être » en emploi locatif et l’image conventionnelle de la mort qui « glace » : la phrase « La mort a gagné tous ses membres elle va glacer son cœur » est un ajout dans la marge. Le second passage très raturé est celui de l’évocation des pensées du gladiateur tournées vers son épouse demeurée sur les rives du Danube. Après la phrase : « Il mourrait tranquille », Proust biffe tout une expansion pathétique au discours indirect libre au présent, qui multiplie les marques énonciatives, interrogations, exclamations et interjections, à partir de cette simple phrase du canevas : « il songe [à ses enfants] et à leur mère ». Passage étonnant où les tâtonnements de la rédaction renforcent l’effet de discours intérieur :

37

Sa femme pour le moment travaille peut-être la sueur front fane ses jours peut-être en faisant peut-être en. Sa femme est obligée de travailler comme un homme lui reprochant de l’avoir abandonnée, non pour elle, mais pour ses enfants. Elle est forcée contrainte d’user ses forces pour ces pauvres petits êtres encore incapables de travailler. Elle pense à lui ? Oh comme il se repent comme ces souvenirs sont une dure punition.

38L’évocation de l’épouse se stabilise, au final, dans une formulation plus sobre et surtout plus resserrée : « elle pense à lui, peut-être lui reprochant d’avoir abandonné ses enfants. Si elle savait comme il se repent, comme ces souvenirs sont pour lui une dure punition elle lui pardonnerait peut-être, elle a le cœur si bon, elle l’aime peut-être encore un peu », comme si Proust procédait à une hiérarchisation des plans du récit, qui le conduit à se concentrer sur le discours intérieur du mourant et sur son examen de conscience à « l’heure suprême ». Il n’en reste pas moins que cette structure énonciative complexe démultiplie « l’effet d’intériorité » par l’enchâssement du discours intérieur de l’épouse (totalement absent de la matière) dans celui du gladiateur et par la fusion des voix qui en résulte.

De l’éthopée au discours indirect libre : l’émergence du roman

39Quand il a fabriqué son canevas, le professeur a transposé à la troisième personne le discours à la première personne du poème de Byron (« Je vois le gladiateur étendu sur l’arène »), orientant ainsi expressément le devoir vers le genre de la narration. Celle-ci précède le discours dans les apprentissages rhétoriques : l’élève doit d’abord maîtriser le récit à la troisième personne avant de pouvoir dire Je dans un discours où il « incarnera » Alexandre ou Louis IX. La composition du jeune Proust se présente, globalement, comme une hybridation de narration et de discours intérieur, où affleurent ponctuellement les réflexes du discours oratoire. En effet, deux « discours » se superposent et s’interpénètrent : celui du locuteur Proust qui s’adresse avec une certaine emphase à une figure de destinataire, le peuple de Rome (discours dont le sujet je n’apparaît jamais en tant que tel), et celui du gladiateur mourant. Proust réintroduit donc la prise en charge à la première personne qui était celle du texte-source, avec les adresses constantes de l’énonciateur au peuple romain, instance apostrophée qui retrouve ensuite un statut de délocuté : « ne sera-t-elle pas punie cette multitude inconstante et féroce ? ». Mais le devoir est surtout centré sur la vie intérieure du personnage, tantôt sur un mode légèrement distancié qui relève du « psycho-récit » : le narrateur transmet alors le discours intérieur du gladiateur qu’il formule à sa place (« il porte ses pensées vers … » ou « il sent qu’il a besoin »), tantôt sur un mode plus empathique qui repose sur la fusion des voix et des points de vue. C’est alors le discours indirect libre, majoritairement au présent, ou « monologue narrativisé [33] » qui prend en charge le discours intérieur du personnage, discours non prononcé et non adressé comme : « Epoux ingrat et dénaturé » ou : « S’il pouvait seulement les revoir et obtenir leur pardon ! » et qui n’est pas programmé par la matière. Cette fusion des voix du narrateur et du personnage répond en réalité à des exigences rhétoriques précises. Françoise Douay-Soublin a mis en évidence le rôle du mécanisme d’identification qui sous-tend ces exercices, tout particulièrement le plus prestigieux d’entre eux, le discours, pratiqué en classe de rhétorique :

40

le discours a ceci de spécifique qu’il doit être tenu à la première personne, à la place du personnage historique ou fictif que l’élève doit incarner : la prosopopée en est donc la figure obligée ; mais dans le dispositif où elle intervient – qui n’est pas, quoi qu’on en ait dit, celui du pastiche – elle n’est que la forme ultime d’un processus général d’identification, exigé par tous ces exercices, et qui triomphe avec le discours français [34].

41Ces multiples marqueurs de l’identification de l’énonciateur au personnage dans « Le Gladiateur mourant » peuvent se lire comme la rémanence d’un exercice très ancien, hérité des progymnasmata de la pédagogie grecque [35], nommé « prosopopée » ou « éthopée ». Ces brefs exercices, qui structurent les pratiques scolaires de la Renaissance et de l’âge classique (ils font partie de la pédagogie des Jésuites), permettaient à l’élève de se préparer à la rédaction de discours complets. L’éthopée ne constitue pas un exercice en soi, mais diffuse ses exigences dans tous les genres scolaires, narration, description et discours. Elle consiste à imaginer ce que dirait un personnage singulier ou un type de personnage dans des circonstances données, en visant son ethos, c’est-à-dire le caractère qu’on lui prête [36]. Elle repose sur l’appropriation par l’élève de la parole du personnage fictif et doit le conduire à s’interroger sur le vocabulaire et le ton de sa parole. La thématique d’un personnage à l’agonie appelle tout particulièrement l’éthopée. La structure de celle-ci est souvent tripartite : le personnage évoque d’abord son présent, puis son passé et enfin son futur. C’est le cas dans la composition de Proust, qui décline ces trois moments : le gladiateur est blessé à mort, étendu sur l’arène ; il voit ensuite les images « de sa vie passée » sur les bords du Danube ; il s’imagine, enfin, au moment du « jugement rendu après la mort ». La projection personnelle qu’appelle l’exercice paraît ici réellement ressentie. « Le Gladiateur mourant » livre un motif qui sera au cœur de la Recherche et qui reparaîtra dans d’autres amplifications de Proust [37] : celui de la souffrance que crée la séparation avec les êtres aimés, motif présent dès l’ouverture du roman avec l’épisode du baiser du soir [38]. Les pensées du gladiateur le conduisent vers « une douce et cruelle image de sa vie passée », sa maison près du Danube et son épouse, « assise nourrissant avec peine deux petits enfants jeunes encore ».

42Ce brouillon très raturé permet d’observer l’amplification dans le détail de son déploiement : les ajouts interlinéaires et marginaux de syntagmes ou de phrases rendent visible le processus de dilatation, d’enrichissement et d’ornement du canevas byronien. Mais les ratures de l’élève mettent en évidence une autre visée, antagoniste, orientée vers la simplicité et le dépouillement du style. Cette tension entre deux exigences contraires reflète les prescriptions de la rhétorique : les ornements doivent être distribués avec discrétion, sans quoi l’amplification devient « diffuse » et « énerve le style ». Au-delà de l’ornementation du discours, la technique de l’amplification prend également en charge l’organisation et la dynamique du récit. De ce point de vue, la composition de Proust, très tardive dans l’histoire de ce genre scolaire, s’éloigne du modèle traditionnel de l’amplification, normalement cantonnée à la sphère de l’elocutio[39]. Dans « Le Gladiateur », le jeune Proust se plie aux contraintes, déjà bien maîtrisées, de l’exercice du discours – mécanisme d’identification et réflexe de l’éthopée –, mais pour l’infléchir vers le discours intérieur, matière par excellence du roman. Même s’il subsiste des traces de la rhétorique du discours, genre qui occupait le cœur de l’imaginaire rhétorique, l’appropriation proustienne de la matière marque une rupture forte avec les fonctions sociales du genre, entretenues par l’enseignement secondaire, et un net infléchissement vers l’écriture littéraire. Elle donne à voir des compétences scolaires à la fois maîtrisées et détournées de leurs fins : les contraintes rédactionnelles de l’amplification permettent de faire éclore un embryon d’écriture romanesque.

Notes

  • [1]
    Cette composition fait partie des « papiers scolaires » du Fonds Proust, désormais numérisés et accessibles sur Gallica. Elle a d’abord été publiée par André Ferré dans Les Années de collège de Marcel Proust en 1959. Elle a ensuite été reprise dans la section « Juvenilia » du volume Contre Sainte-Beuve précédé de Pastiches et mélanges et suivi de Essais et articles, Pierre Clarac et Yves Sandre (éd.), Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1971, p. 321-322.
  • [2]
    André Ferré, Les Années de collège de Marcel Proust, Paris, Gallimard, 1959, p. 65.
  • [3]
    Ibid., p. 112-113.
  • [4]
    La « composition latine » (arrêté du 28 novembre 1864) devient dix ans plus tard la « composition en latin » (décret du 25 juillet 1874).
  • [5]
    Voir André Chervel, « Observations sur l’histoire de l’enseignement de la composition française », Histoire de l’éducation, n° 33, 1987, p. 26.
  • [6]
    Cité par Françoise Douay-Soublin, « Du discours à la dissertation : aspect du passage de la Rhétorique à la Littérature en France au xixe siècle », Nicole Ramognino et Pierrette Vergès, Le Français hier et aujourd’hui : politiques de la langue et apprentissages scolaires, Publications de l’Université de Provence, 2005, p. 131.
  • [7]
    Augustin Pellissier, Principes de rhétorique, chapitre « De la disposition », Leçon XVIII, « De l’amplification », Paris, Hachette, 1873, p. 99.
  • [8]
    La Langue littéraire. Une histoire de la prose en France de Gustave Flaubert à Claude Simon, sous la dir. de Gilles Philippe et Julien Piat, Paris, Fayard, 2009, p. 105.
  • [9]
    Ce texte est celui du manuscrit. La note de l’édition Pléiade ne fait pas apparaître les biffures et rétablit la ponctuation finale. Voir Marcel Proust, Contre Sainte-Beuve, précédé de Pastiches et mélanges, et suivi de Essais et articles, texte établi, présenté et annoté par P. Clarac et Y. Sandre, op. cit., p. 871.
  • [10]
    Ibid.
  • [11]
    Jean-Yves Tadié, Marcel Proust, biographie, Paris, Gallimard, 1996, p. 82.
  • [12]
    « Juvenilia », Essais et articles, op. cit., p. 321-322.
  • [13]
    Villemain note dans sa notice sur Byron, qui figure parfois, d’ailleurs, dans les manuels de Morceaux choisis : « Enfin, il publia Childe Harold. L’enthousiasme fut universel, et le jeune lord, salué grand poète, entouré d’un prestige romanesque et d’une gloire sérieuse, jouit quelque temps de l’enivrement de la faveur publique » (Abel-François Villemain, Etudes de littérature ancienne et étrangère, Paris, Didier 1846, p. 245).
  • [14]
    Lord Byron, « Le Pèlerinage de Childe Harold », Chant IV, Œuvres complètes avec notes et commentaires, vol. 3, Paris, Dondey-Dupré, 1830, p. 260-261.
  • [15]
    Les productions scolaires de Flaubert confirment cette intégration rapide de Byron au canon scolaire vers 1830. En classe de quatrième à Rouen, Flaubert a composé une narration intitulée « Portrait de Lord Byron » dont la matière a été puisée dans le Portrait de lord Byron par Villemain et les Leçons anglaises de Noël et Chapsal. Le portrait débute ainsi : « C’était un de ces hommes à hautes conceptions, à idées généreuses et progressives, aux violentes passions, à une âme tout à la fois sensible et magnanime, bizarre en un mot ; lord Byron, c’était le fils du siècle. » On se reportera au cahier de Narrations & Discours de 1835-1836 publié par Jean Bruneau dans Les Débuts littéraires de Gustave Flaubert, Paris, Armand Colin, 1962.
  • [16]
    Nicolas-Auguste Dubois, Manuel de composition latine ou choix de sujets entièrement neufs, Paris, Delalain, 1833, p. 63.
  • [17]
    Ibid. Françoise Douay-Soublin donne un autre exemple d’absorption par le canon scolaire d’une œuvre littéraire contemporaine : « Gourgaud, le professeur de rhétorique de Flaubert à Rouen, ayant lu le Mateo Falcone de Prosper Mérimée dans la Revue de Paris en 1829, en raconte les grandes lignes à son élève, qui note sur son cahier : “Un enfant joue dans les champs, il entend des coups de fusil. Un homme poursuivi arrive. Il le cache grâce à une pièce de monnaie. Ce même enfant séduit par les promesses d’un garde le livre. Matteo le père de cet enfant apprenant cette lâcheté le couche en joue et le tue.” Ce n’est qu’après avoir composé son propre Matteo Falcone que Flaubert sera autorisé à lire l’original » (Françoise Douay-Soublin, « Du discours à la dissertation », art. cité, p. 131).
  • [18]
    Comme le note Romain Jalabert au sujet de Lamartine, « la fortune latine de Lamartine est contemporaine des Méditations poétiques (1820), comme l’attestent les traductions d’extraits de l’Ode à lord Byron, à l’institution Sainte-Barbe, et de La Gloire, au collège Henri-IV […]. Elle peut être rapportée, à la même époque, aux traductions latines d’œuvres d’inspiration religieuse et métaphysique comme Les Nuits (1742-1745) d’Edward Young, Les Tombeaux (1760) de James Hervey, les poèmes d’Ossian (1760-1765), La Mort d’Abel (1758) de Salomon Gessner, Les Martyrs et le Génie du christianisme de Chateaubriand » (Romain Jalabert, « Tu vates eris ». La poésie et le latin en France au xixe siècle, à paraître aux éditions Garnier, 2017).
  • [19]
    Voir Cahier Jean Giraudoux, n° 43, « Jean le lycéen », Paris, P. U. Blaise Pascal, 2015, p. 40.
  • [20]
    Il s’agit du passage de l’article « De la tradition en littérature et dans quel sens il faut l’entendre » (1858), repris dans les Causeries du lundi, p. 15.
  • [21]
    Sur cette question, on se reportera à Byron et le romantisme français d’Edmond Estève qui met en évidence le continuum qui relie certains procédés des poètes romantiques aux pratiques scolaires d’imitation : « si les littérateurs de cette époque, dont un bon nombre ne faisaient que de quitter les bancs du collège, étaient pleins de leurs études classiques, ils étaient beaucoup moins bien informés de la Grèce moderne. Ils allèrent se renseigner auprès de Chateaubriand et de Byron. C’est à l’Itinéraire, c’est plus encore au Siège de Corinthe, à Childe Harold, à Don Juan, qu’ils empruntèrent les thèmes, les idées, les couleurs, les images. Ils trouvaient là des développements tout faits, qu’au besoin ils se contentaient de traduire ou de paraphraser en vers français (c’est nous qui soulignons). Casimir Delavigne, qui passait depuis la publication de ses premières Messéniennes pour le plus grand poète de la France et son poète national, consacrait ses Nouvelles Messéniennes aux Grecs et ne dédaignait pas de prendre ses inspirations chez son illustre confrère anglais. Vigny, en 1822, dédiait à la Grèce un poème en trois chants, Héléna, où il n’a guère fait que sertir en guirlande poétique des extraits des Martyrs et des réminiscences byroniennes » (Edmond Estève, Byron et le romantisme français, Paris, Hachette, 1907, p. 116).
  • [22]
    Alphonse de Lamartine, « Avertissement », Œuvres complètes en un volume, Bruxelles, Librairie universelle de Mary-Müller, 1838, p. 669.
  • [23]
    Œuvres complètes de Charles de Chênedollé, précédé d’une notice par Sainte-Beuve, Paris, Librairie Firmin-Didot frères, 1864, p. 219-222.
  • [24]
    Charles de Chênedollé, Etudes poétiques, Paris, Gosselin, 1822, p. ix-x.
  • [25]
    Jean Santeuil, édition de Pierre Clarac avec la collaboration d’Yves Sandre, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1971, p. 702.
  • [26]
    D’abord dans la préface : « Mais, s’en tenant aux récits de Trelawney et sans même faire la part de la dureté que Childe Harold affectait volontiers devant le Corsaire, il faut se rappeler que, quelques lignes plus loin, Trelawney racontant l’incinération de Shelley déclare : « Byron ne put soutenir ce spectacle et regagna à la nage le Bolivar. » Puis dans un simple renvoi : « 1. Voir le Childe Harold de Byron – (Note du Traducteur) » (John Ruskin, La Bible d’Amiens, traduction, préface et notes de Marcel Proust, Mercure de France, 1904, p. 17 et p. 160).
  • [27]
    Augustin Pellissier, Principes de rhétorique, op. cit., p. 100.
  • [28]
    La collocation est une structure linguistique qui présente un degré de figement moindre que la locution. Elle se définit comme combinaison usuelle d’un mot avec d’autres mots, « cooccurrence lexicale privilégiée de deux éléments linguistiques entretenant une relation syntaxique » (Agnès Tutin, Francis Grossmann, « Collocations régulières et irrégulières : esquisse de typologie du phénomène collocatif », Revue française de linguistique appliquée, VII-1, p. 9).
  • [29]
    Achille Didier, Principes de rhétorique et de littérature appliqués à l’étude du français, Paris, F. Tandou et Cie, 1863, p. 122.
  • [30]
    Il figure par exemple dans les Morceaux choisis de Gustave Merlet (1870).
  • [31]
    Cette tendance à christianiser l’histoire romaine apparaît nettement aussi dans la narration « Procès de Pison devant le Sénat romain » : Pison est « innocent car un mourant ne se serait pas damné éternellement en parjurant, surtout quand l’amour paternel n’avait plus rien à craindre » (Juvenilia, op. cit., p. 320).
  • [32]
    A l’entrée « suprême » du Dictionnaire de la langue oratoire et poétique de Joseph Planche (1822), on lit : « On dit en poésie et dans le style soutenu, l’instant suprême, l’heure suprême, en parlant de la mort. »
  • [33]
    Selon la terminologie de Dorrit Cohn, La Transparence intérieure (1978), trad. Alain Bony, Paris, Seuil, 1981.
  • [34]
    Françoise Douay-Soublin, « Du discours à la dissertation », art. cité, p. 140.
  • [35]
    Ces exercices préparatoires sont au nombre de quatorze, de difficulté croissante : la fable, le récit, la chrie, la maxime, la contestation, la confirmation, le lieu commun, l’éloge, le blâme, le parallèle, l’éthopée, la description, la thèse et la proposition de loi. L’éthopée ou prosopopée est ainsi définie par le Pseudo-Hermogène : « l’éthopée est l’éthos d’un personnage donné, par exemple : “quelles paroles dirait Andromaque sur la dépouille d’Hector”. Tu respecteras scrupuleusement les qualités propres qui conviennent aux personnages et aux circonstances données » (cité par Michel Patillon, dans La Théorie du discours chez Hermogène le rhéteur, essais sur les structures linguistiques de la rhétorique ancienne, Paris, Les Belles Lettres, 2010, p. 301-302).
  • [36]
    Le rhéteur Libanios a traité vingt-quatre sujets d’éthopée, donnant la parole soit à des figures mythologiques (Médée s’apprêtant à égorger ses enfants, Ulysse au Cyclope en le voyant dévorer ses compagnons …), soit à des figures typiques : une prostituée devenue honnête femme, un eunuque amoureux …
  • [37]
    En particulier dans « Mummius à Corinthe » et dans « Les Nuages ».
  • [38]
    Jean-Yves Tadié relève que « des thèmes profonds s’éveillent dans cette composition académique, celui de la perversion (le mot figure), du sentiment de culpabilité, du désir d’autopunition. Quelques traits de style montrent l’influence de Flaubert et de France (“une douce et cruelle image de sa vie passée”) » (Marcel Proust, op. cit., p. 83).
  • [39]
    « Toutes les idées sont données dans la matière. L’élève ne doit rien ajouter qui modifierait le schéma proposé par le maître […]. A l’élève, il n’est laissé ni la découverte des idées, ni le soin de les organiser pour “composer” réellement son discours » (André Chervel, « Observations sur l’histoire de l’enseignement de la composition française », art. cité, p. 648).
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