Notes
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[1]
Leo Spitzer, Linguistics and Literary History. Essays in Stylistics, Princeton, Princeton University Press, 1948, « Linguistic perspectivism in “Don Quijote” », p. 41-85, particulièrement p. 69.
-
[2]
Parmi ceux-ci, signalons Françoise Lavocat, « Transfictionnalité, métafiction et métalepse aux seizième et dix-septième siècles », in La Fiction, suites et variations, Richard Saint-Gelais et René Audet (éd.), Québec, Nota bene, 2007, p. 157-178, qui s’intéresse, pour le xvie siècle, à un cas de quasi-métalepse dans la Déplourable fin de Flamete (1536).
-
[3]
Voir infra l’étude de Jacques Chupeau, citée à la note 1, p. 65.
-
[4]
Gérard Genette, Figures III, Paris, Seuil, 1972, p. 243-246, particulièrement p. 244. Les remarques de Figures III ont donné le jour à d’importants et nombreux travaux qui ont largement étendu la réflexion sur la métalepse. Des mises au point du concept se trouvent dans John Pier et Jean-Marie Schaeffer (éd.), Métalepses : entorses au pacte de la représentation, Paris, Editions de l’EHESS, 2005, et dans l’article de John Pier, « Metalepsis » du site The Living Handbook of Narratology, créé en 2011 et revu en 2016, qu’on pourra consulter à l’URL : http://www.lhn.uni-hamburg.de/article/metalepsis-revised-version-uploaded-13-july-2016 (consulté le 23 février 2017). On lira aussi avec profit l’ouvrage récent de Françoise Lavocat, Fait et fiction. Pour une frontière, Paris, Seuil, 2015, p. 473-520. Dans son essai de 2004, Métalepse. De la figure à la fiction (Paris, Seuil), Genette procède à une extension du concept de métalepse que nous ne suivons pas ici.
-
[5]
Le concept est étranger aux théorisations anciennes, quoi qu’en dise Genette en 1972 (Figures III, op. cit., p. 244 : « figure narrative que les classiques appelaient la métalepse de l’auteur »). Dans une contribution ultérieure (« De la figure à la fiction », Métalepses : entorses au pacte de la représentation, op. cit., p. 21-35, p. 23), il rectifie sa position. Le nom de métalepse sert, dans la théorie antique (Quintilien, Institution Oratoire, VIII, 6, 37.39), à désigner une espèce de métonymie, cf. Gérard Genette, art. cité, et Heinrich Lausberg, Handbuch der literarischen Rhetorik, München, M. Hueber, 1973, index, s.v. « metalepsis ».
-
[6]
Gérard Genette, Figures III, op. cit., p. 243.
-
[7]
Voir les travaux de Marie-Laure Ryan, et particulièrement « Logique culturelle de la métalepse, ou la métalepse dans tous ses états », in Métalepses : entorses au pacte de la représentation, op. cit., p. 201-223. Le concept de métalepse ontologique a été inspiré à Marie-Laure Ryan par l’ouvrage de Brian McHale, Postmodernist Fiction, New York, Methuen, 1987.
-
[8]
Paul Scarron, Le Roman comique, Claudine Nédelec (éd.), Paris, Garnier, 2010, 1re partie, chap. iv, p. 72.
-
[9]
Henri-Jean Martin, « Lectures (pratiques de) », in Encyclopaedia universalis, Paris, Encyclopaedia universalis, 2002, p. 406.
-
[10]
« Transition se faict des choses devant dictes avecques celles que l’en veut dire à ornée continuation [nous corrigeons « aornee continuation »]. Exemple : “Or laissons à parler de ces prodigalités et venons à ces autres enormes cas. Et premier de son excessive libidinité” […]. Et sert beaucoup quand l’en veut saillir de matiere à aultre, car elle fait recappituler les choses devant dictes et estre ententifz es choses subsequentes ; et convient assez avec epilogue ou recapitulation », Pierre Fabri [ou Pierre Le Fèvre], Le Grant et Vrai Art de pleine rhétorique de Pierre Fabri, Alexandre Héron (éd.), Rouen, Imprimerie Espérance Cagniard, 1889, p. 173.
-
[11]
Sur les romans arthuriens à la Renaissance, Jane Taylor, Rewriting Arthurian Romance in Renaissance France. From Manuscript to Printed Book, Cambridge, D. S. Brewer, 2014.
-
[12]
Pour l’Amadis, voir Michel Simonin, « La disgrâce d’Amadis », Studi francesi, no 82, 1984, p. 1-35 [art. repris dans L’Encre et la lumière, Genève, Droz, 2004, p. 189-234], Luce Guillerm, Sujet de l’écriture et traduction autour de 1540, Paris, Aux amateurs de livres, 1988, et Les Amadis en France au xvie siècle, Paris, Presses de l’Ecole nationale supérieure, 2000.
-
[13]
Tristan, Rouen, Jehan le Bourgoys, 1489 [fac-similé éd. par Cedric Edward Pickford, London, Scolar Press, 1978], f. a v vo.
-
[14]
Herberay des Essarts (tr.), Amadis de Gaule. Livre I, Michel Bideaux (éd.), Paris, Champion, 2006, p. 357.
-
[15]
Mireille Huchon, « Amadis, “Parfaicte idée de nostre langue françoise” », in Les Amadis en France au xvie siècle, op. cit., p. 183-200.
-
[16]
Nicole Cazauran, « Amadis de Gaule en 1540 : un nouveau roman de chevalerie ? », in Les Amadis en France au xvie siècle, op. cit., p. 21-39, particulièrement p. 25-26. Voir aussi les observations de Michel Bideaux dans Amadis de Gaule. Livre I, op. cit., p. 558, note 1.
-
[17]
Voir Gustave Reynier, Le Roman sentimental avant l’Astrée, Paris, Colin, 1971 [réimp. de l’édition Paris, 1908], et Véronique Duché Gavet, « Si du mont Pyrénée n’eussent passé le haut fait. » Les romans sentimentaux traduits de l’espagnol en France au xvie siècle, Paris, Champion, 2008.
-
[18]
Roland furieux, Lyon, Jean Thellusson, 1544. Au sujet de cette traduction, voir Francesco Montorsi, L’Apport des traductions de l’italien dans la dynamique du récit de chevalerie (1490-1550), avec une préface de Roger Chartier, Paris, Garnier, 2015, p. 207-238 ; Toshinori Uetani, « Jean Martin, traducteur du Roland Furieux ? », in Esculape et Dionysos. Mélanges en l’honneur de Jean Céard, Jean Dupèbe et al. (éd.), Genève, Droz, 2008, p. 1089-1109 ; Rosanna Gorris Camos, « “Non è lontano a discoprirsi il porto.” Jean Martin, son œuvre et ses rapports avec la ville des Este », in Jean Martin, un traducteur au temps de François Ier et de Henri II, Paris, Presses de l’Ecole normale supérieure, 1999, p. 43-83, et Alexandre Cioranescu, L’Arioste en France, des origines à la fin du xviiie siècle, Paris, Presses modernes, 1939, 2 vol., vol. 1, p. 76-86.
-
[19]
Certains de ces passages du texte italien ont fait l’objet d’analyse de la part de Robert M. Durling, The Figure of the Poet in Renaissance Epic, Cambridge, Harvard University Press, 1965, chap. v, p. 112-181.
-
[20]
Amadis de Gaule. Livre VII, trad. par Nicolas Herberay des Essarts, Paris, Jeanne de Marnef, veufve de feu Denys Janot, 1546.
-
[21]
Feliciano de Silva, Amadís de Grecia [1530], Ana Carmen Bueno Serrano (éd.), Alcalá de Henares, Centro de Estudios Cervantinos, 2004, p. 443.
-
[22]
Amadis de Gaule. Livre VIII, Paris, Estienne Groulleau, 1548, f. cxx ro. Pour d’autres cas similaires, on renvoie à Amadis de Grecia, op. cit., p. 474, et Amadis de Gaule. Livre VIII, op. cit., f. cxxxvii ro, ou encore Amadis de Grecia, op. cit., p. 518, et Amadis de Gaule. Livre VIII, op. cit., f. clxxvii ro.
-
[23]
El octavo libro de Amadis, Sevilla, Jacobo Cromberger et Juan Cromberger, 1526, f. liii ro.
-
[24]
Dom Florès, Paris, Estienne Groulleau, 1552, f. lvi ro. Pour d’autres exemples de métalepse ajoutée, on comparera El octavo libro de Amadis, op. cit., f. xxi rob avec Dom Florès, op. cit., f. xv ro, et El octavo libro de Amadis, op. cit., f. ciiii roa avec Dom Florès, op. cit., f. cxlii ro.
-
[25]
Sur les interventions du narrateur, plutôt traditionnelles, de Boiardo, voir Durling, The Figure of the Poet in Renaissance Epic, op. cit., chap. iv, p. 91-111.
-
[26]
Matteo Maria Boiardo, Orlando innamorato, Riccardo Bruscagli (éd.), Torino, Einaudi, 2 vol., vol. 1, l. 2, c. 2, st. 32, p. 588.
-
[27]
Roland l’Amoureux, Paris, Vivant Gaultherot, 1549, l. II, f. vii ro [en raison d’une coquille, on lit « ix »].
-
[28]
Palmerin d’Olive, Paris, Jeanne de Marnef, 1546. La présence de ces interventions a été notée par Anna Bettoni, « Il “Palmerin de Oliva” tradotto da Maugin : editori, storie e mode letterarie nella Francia del Cinquecento », in Il n’est nul si beau passe temps que se jouer a sa pensee. Studi di filologia e letteratura francese in onore di Anna Maria Finoli, Pisa, ETS, 1995, p. 173-201, particulièrement p. 199. Elle met le procédé en relation avec la littérature postérieure, notamment Scarron, Sorel et Cervantès. Un cas intéressant de métalepse dans le roman se trouve dans le dernier paragraphe du texte.
-
[29]
Jean Maugin, Nouveau Tristan, Paris, Veuve de La Porte, 1554.
-
[30]
Tristan, 1489, op. cit., f. a v vo.
-
[31]
Jean Maugin, Nouveau Tristan, op. cit, p. 14. Pour repérer l’ajout d’autres métalepses, on pourra comparer Tristan, 1489, op. cit., f. a iiii ro avec Nouveau Tristan, op. cit., p. 9, ainsi que Tristan, 1489, op. cit., f. b i vo avec Nouveau Tristan, op. cit., p. 25-26. Dans son étude sur cette adaptation, Laurence Harf-Lancner remarque ces interventions intrusives et note que ces « notations en fin de chapitre provoquent immanquablement un effet de rupture comique », « Tristan détristanisé : du Tristan en prose (xiiie siècle) au Nouveau Tristan de Jean Maugin (1554) », Nouvelle Revue du seizième siècle, no 2, 1984, p. 5-22, particulièrement p. 20.
-
[32]
Jean-Pierre de Mesmes, « A Monsieur de Maupas Ode », Nouveau Tristan, op. cit., non paginé. Par un admirable paradoxe qui relève du nationalisme littéraire propre à ces années, l’Arioste est accusé par de Mesmes d’avoir plagié le Tristan médiéval.
-
[33]
Le Treizième Livre d’Amadis de Gaule, Paris, Lucas Breyer, 1571.
-
[34]
Pedro de Luján, La dozena parte del invencible cavallero Amadis de Gaula, Sevilla, Dominico de Robertis, 1549 [1546], f. xxx vo.
-
[35]
Jacques Gohory, Le Treizieme livre d’Amadis de Gaule, op. cit., f. 34 vo. On comparera aussi La dozena parte, op. cit., f. xvi rob et Le Treizième Livre …, op. cit., f. 28 ro.
-
[36]
Etienne de Maisonneuve, Gériléon d’Angleterre. Livre 1, Lyon, Benoît Rigaud, 1581 [1572], f. 25 vo. Voir aussi f. 44vo.
-
[37]
Id., Gériléon d’Angleterre. Livre 2, Paris, Jean Houzé, 1586, f. 11 vo. Un autre exemple au f. 110 ro.
-
[38]
Le roman pastoral entre 1540 et 1585 n’est représenté que par une poignée de spécimens en France (Françoise Lavocat, Arcadies malheureuses. Aux origines du roman moderne, Paris, Champion, 1998, p. 485-487). Les romans antiques traduits avant 1585 sont ceux d’Héliodore, d’Apulée, d’Achille Tatius et de Longus. Parmi les romans difficilement classables dans des sous-groupes représentatifs, signalons entre autres les ouvrages de Rabelais, Aneau et Des Autels (pour l’ensemble de ces romans, voir Pascale Mounier, Le Roman humaniste. Un genre novateur français 1532-1564, Paris, Champion, 2007), ou, encore, des traductions telles que celles de l’Hypnerotomachia Poliphili ou de Lazarillo de Tormes.
-
[39]
Gustave Reynier, Le Roman sentimental avant l’Astrée, op. cit., p. 176 : « Pendant la durée des guerres civiles à peine avait-on vu en France un ouvrage nouveau auquel on pût véritablement donner le nom de roman. Nous en comptons (et il est probable que notre liste n’est pas complète) deux en 1593, cinq en 1594, deux en 1595, trois en 1596, sept en 1597, quatre en 1598, neuf en 1599, plus de soixante de 1600 à 1610. » Sur ces romans, voir aussi Frank Greiner, Les Amours romanesques de la fin des guerres de religion au temps de L’Astrée (1585-1628), Paris, Champion, 2008.
-
[40]
Alexandre Cioranescu, L’Arioste en France, op. cit., vol. 1, p. 86.
-
[41]
Jacques Chupeau a évoqué l’usage de cette intrusion du narrateur dans les ouvrages de Nervèze, Du Souhait, Des Escuteaux, Vital d’Audiguier, Camus, La Serre et Préfontaine. Dans son étude, il se demande quelle est l’origine de l’usage en émettant l’hypothèse, sans la vérifier, qu’elle soit liée à l’influence des épopées italiennes : « Il semble avoir été peu pratiqué dans la traduction d’Amadis, où nous l’avons rencontré une fois, au chapitre iii du premier livre. Il ne semble pas appartenir non plus à la tradition de la nouvelle. Peut-être a-t-il été mis à la mode par les épopées italiennes, dont les traductions en prose ont exercé une influence sensible sur le roman. » Voir Jacques Chupeau, « Quelques formes caractéristiques de l’écriture romanesque à la fin du xvie siècle et au début du xviie », in L’Automne de la Renaissance, Jean Lafond et André Stegmann (éd.), Paris, Jacques Vrin, 1981, p. 219-230, particulièrement p. 224.
-
[42]
Au xvie siècle, le mot roman indique, sauf de rares exceptions, les récits de chevalerie, voir Pascale Mounier, « Les sens littéraires de roman en français préclassique », Le Français préclassique, no 8, 2004, p. 157-182.
-
[43]
Sur la théorisation du roman en France, ou plutôt son absence, on lira entre autres Annick Boilève-Guerlet, Le Genre romanesque. Des théories de la Renaissance italienne aux réflexions du xviie siècle français, Santiago de Compostela, Services de publications de l’Université, 1993 ; Sergio Cappello, « Aux origines de la réflexion française sur le roman », Du roman courtois au roman baroque. Actes du colloque de Versailles ‒ Saint-Quentin-en-Yvelines, 2-5 juillet 2002, Emmanuel Bury et Francine Mora (éd.), Paris, Les Belles Lettres, 2004, p. 415-435, et François Lecercle, « La théorie des genres littéraires », in L’Epoque de la Renaissance (1400-1600), vol. 3, Maturations et mutations, Eva Kushner (éd.), Amsterdam, J. Benjamins, 2011, p. 255-265. Plus en général sur la fiction poétique, voir les travaux d’Anne Duprat et Teresa Chevrolet, entre autres l’article à quatre mains « La bataille des fables : conditions de l’émergence d’une théorie de la fiction en Europe (xive-xviie siècle) », Françoise Lavocat et Anne Duprat (dir.), Fiction et cultures, avec une préface de Jean-Marie Schaeffer, Paris / Nîmes, Lucie éditions, 2010, p. 239-254.
« For let us not be mistaken : the hero is Cervantes, the artist himself who combines a critical and illusionistic art according to his free will. From the moment we open the book to the moment we put it down, we are given to understand that an almighty overlord is directing us, who leads us where he pleases [1]. »
1De nos jours, les études sur la métalepse abondent sous la forme de réflexions théoriques ou d’études de cas. Les panoramas historiques sont en revanche plus rares [2]. De telles recherches diachroniques ont pourtant un grand intérêt pour mieux comprendre non seulement l’évolution de cette forme narrative, mais aussi l’histoire du concept de fiction lui-même. La métalepse étant un indice textuel de fictionnalité (elle révèle la nature d’artefact du texte), l’étude de sa dynamique montre, par le biais d’une approche « interne », les évolutions ayant cours dans la conception et la pratique du récit de fiction.
2L’objectif de cette contribution est d’amorcer une recherche diachronique pour montrer la diffusion de la métalepse entre 1544 et 1586. C’est une période du plus grand intérêt, selon nous, car elle constitue la phase inaugurale de la métalepse rhétorique dans le roman français. En effet, essentiellement ignorée des proses du Moyen Age comme de celles des premières décennies du xvie siècle, cette figure se répand dans les belles-lettres à partir de 1544. Par « phase inaugurale », nous entendons non pas une invention ex nihilo de la figure – qui peut bien avoir été employée, quoique de manière sporadique, avant cette période –, mais le début d’un usage récurrent par les prosateurs. Le choix de 1586 comme date limite sert à exclure de notre enquête ces romans sentimentaux qui se multiplient dans les années 1580 et spécialement 1590. Ceux-ci font un usage, parfois étendu, de cette figure qu’il a déjà été mis en relief par la critique [3].
La métalepse rhétorique
3Le concept de métalepse [4], étranger aux théorisations anciennes [5], a été forgé par Gérard Genette en 1974 dans Figures III. Il trouve ses fondements dans la théorie des niveaux diégétiques. Selon elle, dans tout acte de narration, il existe deux niveaux : le niveau de la narration ou extradiégétique (le narrateur s’adresse à quelqu’un), et le niveau du monde narré ou diégétique (ce dont le narrateur parle). La métalepse consiste dans la transgression paradoxale de la frontière, invisible mais en théorie infranchissable, qui sépare ces deux niveaux ou, pour le dire avec Genette, dans « toute intrusion du narrateur ou du narrataire extradiégétique dans l’univers diégétique (ou de personnages diégétiques dans un univers métadiégétique, etc.), ou inversement [6] ».
4On peut, grâce aux recherches de Marie-Laure Ryan, distinguer deux types de métalepse : d’un côté, la métalepse rhétorique et, de l’autre, la métalepse ontologique ou littérale [7]. La première est un événement du discours, alors que la seconde est un événement de la narration. La métalepse ontologique, très probablement inconnue du xvie siècle, affecte les événements de l’intrigue et représente une transgression durable et essentielle entre les niveaux diégétiques : par exemple, dans une nouvelle (Continuidad de los Parques de Julio Cortázar), un lecteur est tué par un personnage sorti du livre qu’il était en train de lire. En revanche, la métalepse rhétorique est un événement propre à l’acte d’énonciation et constitue, en un sens, un développement paradoxal de la voix narrative. Ici, la diégèse est interrompue par une contamination de brève durée entre les deux niveaux. Le narrateur s’affiche dans le monde diégétique par une adresse au lecteur ou au personnage, ou par l’affirmation de son rôle de régie. Ainsi, dans cette phrase de Scarron (c’est le narrateur principal qui parle) :
Ils se dirent encore cent belles choses, que je ne vous dirai point, parce que je ne les sais pas et que je n’ai garde de vous en composer d’autres, de peur de faire tort à Dom Carlos et à la Dame Inconnue [8].
6L’une des caractéristiques de la métalepse, qu’elle soit ontologique ou rhétorique, est de montrer, comme ici, la relation causale unissant l’auteur à l’œuvre, le producteur d’une représentation à la représentation elle-même. A ce titre, la métalepse présuppose un contrat de lecture fondé sur un savoir partagé de l’illusion fictionnelle : le lecteur sait que le texte qu’il lit n’est pas une reproduction fidèle de la réalité, mais le produit d’un acte créateur. Etant une forme qui révèle le statut de création littéraire propre au texte, la métalepse est un indice interne de fictionnalité.
7Il n’est pas aisé d’identifier absolument une métalepse rhétorique. S’il n’y a pas d’hésitation pour le passage de Scarron, il est plus difficile de trancher pour une transition du type « nous laissons aller nos personnages X, pour retrouver notre personnage Y ». Utilisé dans un sens métaphorique, le verbe « laisser » semble attribuer à l’auteur une influence directe dans le déroulement de la matière littéraire. Employé de manière factitive, le verbe renverrait au rôle de créateur propre au narrateur. De telles transitions, courantes aux xve et xvie siècles, représentent des cas de développement de la formule de transition traditionnelle « L’histoire laisse / Nous laissons à parler du personnage X pour parler du personnage Y » (ce qui peut être paraphrasé par « Nous cessons de parler du personnage X pour parler … »). Les auteurs qui l’utilisent ne font que se plier à un usage ambiant et il est peu vraisemblable que leurs lecteurs aient aperçu dans le verbe « laisser » un clin d’œil mettant en scène l’artiste derrière le texte. Cet exemple suggère que la métalepse est un concept dont la définition dépend du sens que l’on donne au mot « intrusion ». Les définitions peuvent être plus ou moins extensives, mais il semble néanmoins primordial de postuler que l’intervention du narrateur dans la diégèse doit être suffisamment intrusive.
8Pour qu’il y ait métalepse, l’intervention ne doit pas être seulement développée, elle doit aussi être portée par une volonté transgressive. Il est utile de rappeler que des formes considérées comme métaleptiques relèvent parfois, au xvie siècle, moins d’une intention d’auteur que d’une rhétorique qui conçoit le texte comme destiné à être porté par la voix. En effet, comme le dit Henri-Jean Martin,
le texte imprimé fut longtemps conçu comme la représentation fidèle d’un discours oral, fictif ou non, en un monde où les rapports de l’oral et de l’écrit étaient très différents des nôtres. Pour les hommes de la Renaissance, les grands écrivains devaient être avant tout, comme dans l’Antiquité, des orateurs et des hommes d’action [9].
10Or, la volonté transgressive n’est pas toujours discernable dans des procédés qui, du point de vue du critique moderne, semblent mettre en acte un brouillage des plans, mais qui dépendent en réalité de cette rhétorique de la voix propre à l’Ancien Régime. Parmi ces procédés, on peut penser aux adresses aux lecteurs et aux apostrophes aux personnages, des figures très présentes dans la prose du xvie siècle comme dans la littérature médiévale.
11Ces précautions méthodologiques nous amèneront à nous concentrer sur des passages où l’intrusion du narrateur est suffisamment marquante et, de plus, se fonde sur une volonté transgressive affichée. Nous étudierons donc les passages où le narrateur intervient de manière intrusive pour organiser son propre récit, en révélant ainsi de façon évidente son rôle de créateur. Ces métalepses, parfois dites « de régie », se concentrent entre autres, comme c’est aussi souvent le cas dans la tradition ultérieure, dans les passages de transition.
Traductions et réécritures
12Pour venir au sujet de notre étude, entre 1544 et 1586 la métalepse de régie se répand dans un corpus de textes français qui sont des traductions et réécritures des romans de chevalerie. L’étude comparative entre le texte-source et le texte-cible montre que, dans ces récits, les traducteurs français développent des formules de transition traditionnelles propres à leur modèle (en langues italienne, espagnole ou française) et les transforment en des métalepses. Un modèle de transition traditionnelle est la formule, déjà évoquée, « L’histoire laisse / Nous laissons à parler du personnage X pour parler du personnage Y ». Abordées au début du xvie siècle par le rhétoricien Pierre Fabri dans un passage consacré à la « transition [10] », ces expressions sont typiques de la littérature médiévale et de la prose de la première Renaissance. De telles formules sont remplacées dans les traductions par des phrases comme « Maintenant je cesse de parler de X parce que Y me demande que je le rappelle ». Il arrive aussi que ces transitions soient développées en produisant des effets métaleptiques, sans qu’on ait affaire, si l’on adopte une définition stricte d’« intrusion », à une transgression entre plans. Pour la clarté du propos, nous nous intéresserons ici tout particulièrement aux cas les plus clairs de métalepses.
13Le récit chevaleresque est un type de texte qui se caractérise par l’entrelacement de plusieurs fils narratifs et de fréquentes interventions de régie. Composés à partir du début du xiiie siècle, les romans arthuriens en prose, par exemple, sont très goûtés aux xve et xvie siècles, grâce à la diffusion de l’imprimé [11]. Dans ces récits, les transitions sont portées par les formules traditionnelles. Ces formules traditionnelles se retrouvent presque identiques dans les romans de chevalerie modernes qui font leur entrée en France à partir des années 1540, les libros de caballerías castillans [12]. En effet, malgré les siècles qui les séparent, les mêmes phrases, ou presque, se lisent dans le Tristan en prose, roman du début du xiiie siècle imprimé à plusieurs reprises à la Renaissance, et le livre d’Amadis, traduit de l’espagnol par Nicolas Herberay des Essarts vers 1540 :
Mais à tant se taist le compte à parler de lui et parle du roy Thanor, comme il lui advint quant il fut cheu en l’eaue si comme je vous ay compté devant [13].
Maintenant l’auteur laisse ce propos, pour vous dire ce qu’il survint à Agraies, depuis qu’il fut retourné de la guerre de Gaule [14].
16Si le procédé est inscrit dans des champs sémantiques différents – d’un côté le « compte » qui « se taist », de l’autre « l’auteur » qui « laisse » le propos –, la figure est identique. Il est par ailleurs intéressant de remarquer que l’Amadis, un des textes qui incarnent la modernité littéraire en ce milieu de siècle [15], ne fait que prolonger le type médiéval. Cette continuité a été remarquée par des critiques comme Michel Bideaux et Nicole Cazauran. Cette dernière souligne par exemple l’inspiration de l’Amadis par rapport aux romans médiévaux, en particulier Lancelot, et conclut même que « le jeu est moins habile dans Amadis [16] ».
17La métalepse de régie est absente des romans sentimentaux de la première moitié du xvie siècle. Ce sont des textes narratifs – des romans traduits de l’italien et de l’espagnol, et quelques rares textes originaux, dont les Angoisses douloureuses d’Hélisenne de Crenne – qui paraissent entre 1526 et 1555 [17]. Ici, l’absence d’interventions intrusives du narrateur et, plus généralement, l’absence de transitions développées s’expliquent par la structure du récit (certains se présentant comme des expériences autobiographiques, d’autres s’appuyant de manière étendue sur les passages dialogués). La métalepse n’est pas pratiquée non plus, au début du xvie siècle, par un prosateur tel que Lemaire de Belges, qui utilise de multiples formules de transition traditionnelles. Plus tard, au milieu du siècle, nous ne la trouverons pas non plus chez des auteurs comme François Rabelais, Barthélemy Aneau ou Guillaume des Autels, et elle sera également absente, sauf erreur de notre part, des quelques traductions de romans grecs parues ou des aussi rares romans pastoraux de l’époque.
18La métalepse fait son entrée véritable dans la prose française à la faveur d’une traduction de l’Arioste. Le Roland furieux, poème chevaleresque italien paru d’abord en 1516 et dans sa version définitive en 1532, est publié à Lyon en 1544 dans une version en prose très fidèle à l’original, voire servile [18]. Cette traduction, la seule qui offre un texte intégral du chef-d’œuvre de l’Arioste pendant la Renaissance, jouit d’un certain succès public tout au long du xvie siècle.
19Dans le texte de l’Arioste, différentes figures présentent des effets de brouillage diégétique : apostrophes aux personnages, adresses aux lecteurs, interventions digressives du narrateur, transitions appuyées. En quête d’une métalepse qui soit une intervention suffisamment intrusive et qui dépende d’une volonté transgressive, nous nous concentrerons sur des transitions qui sont des cas de métalepse de régie. On peut citer ces passages directement d’après le texte français de 1544 qui est le plus souvent une traduction mot à mot du texte italien [19].
20Au milieu du chant XLI, on lit :
Mais, Seigneur, il me sembleroit faire trop grande faulte, si pour vouloir dire de ceulx-cy, je laissois tant Rogier en mer qu’il se noyast.
22Au lieu de « retourner à parler » du chevalier X, ainsi que le faisaient les romans médiévaux, le narrateur va « sauver » un personnage qu’il a, il y a peu, abandonné. La transgression entre énonciation narratoriale et monde fictionnel est concrétisée par une phrase hypothétique, dont le narrateur est le sujet, complétée par une phrase consécutive, dont l’acteur est un personnage. Alors que la première concerne l’énonciation de l’auteur, la seconde évoque la mort du personnage en cas d’inaction de la part du narrateur. Cette figure de métalepse se fonde sur un emploi ludique du verbe « laisser », cher à la transition traditionnelle, entendu ici de manière paradoxalement littérale.
23Un autre exemple de transition avec métalepse se trouve au chant XV. Ici, l’instance narrative abandonne l’un des fils de la narration de cette manière :
Mais je vous ay à rendre ailleurs compte de cecy car il y a un grand Duc, lequel me crie, et de loing me fait signe, & me prie, que je ne le laisse en ma plume.
25Alors que, dans l’exemple précédent, la transgression se manifestait dans les conséquences que l’énonciation faisait peser sur les personnages du récit, se produit ici, au moins dans le monde de la fiction, le cas inverse. C’est un acteur du poème qui réussit à influer sur la volonté du narrateur pour que ce dernier le fasse sortir de sa plume. La métalepse, dont la portée transgressive est évidente, présente le récit comme un monde autonome fondé sur le bon vouloir de l’écrivain.
26Par de tels procédés, dont les exemples dans le Roland furieux sont nombreux, l’Arioste exhibe sa maîtrise sur le texte et révèle ainsi aux lecteurs sa figure d’artiste. C’est en effet le rôle de démiurge de l’auteur, une conception chère à l’humanisme, qui est proclamé par ces figures. La distance entre les formules de transition traditionnelles et les métalepses de l’Arioste incarne à elle seule le clivage qui sépare une ancienne conception du fait littéraire et celle propre à certains courants de la Renaissance. Assurément, aucun auteur des romans en prose du xiiie siècle n’aurait pu dire qu’il allait chercher Lancelot de peur qu’il ne s’égarât dans la forêt.
27Les métalepses du Roland furieux représentaient une nouveauté radicale dans le panorama de la narration chevaleresque, et de la narration tout court, de l’époque. Les autres proses fictionnelles disponibles alors en France, que ce soient les romans médiévaux, les romans castillans modernes, les romans sentimentaux, les romans antiques ou d’inspiration humaniste, ne les connaissaient pas. Ainsi, les métalepses du Furieux ont exercé une influence sur un certain nombre de textes composés entre les années 1540 et 1580. Si celle-ci n’a pas été mise en lumière jusqu’ici, c’est qu’elle s’est exercée sur des textes peu fréquentés par la critique. Pour l’apprécier, il faut se pencher sur des récits du xvie siècle doublement jugés mineurs, à la fois par leur appartenance au genre chevaleresque et par leur statut de traduction.
28Nous avons dit plus haut que Herberay des Essarts n’utilise pas la métalepse. Cela est vrai pour ses premiers Amadis où, ainsi que l’avaient remarqué Michel Bideaux et Nicole Cazauran, le traducteur prolonge la technique médiévale de transition. Mais les choses n’en vont pas de même dans ses dernières versions de l’espagnol, notamment dans l’Amadis VIII, traduction de l’Amadis de Grecia publiée en 1548, et dans le Dom Flores, version du Lisuarte de Grecia publiée en 1552. Alors qu’en 1546, pour l’Amadis VII [20], des Essarts écrivait essentiellement des formules traditionnelles, dans ces dernières traductions, il lui arrive de transformer les anciens clichés de la source en des transitions appuyées et parfois en de véritables métalepses. Ainsi en 1548 :
Mas dexalles emos ora ir y diremos del Cavallero de la Ardiente Espada que de Apolonia partió como ya oístes [21]. (Mais à présent il nous faut les laisser partir et nous parlerons du Chevalier de l’ardente épée qui partit d’Apolonie, ainsi que vous l’avez entendu.)
Mais si les arresterons nous pour ceste heure parce qu’Amadis de Grece se tourmente de ce qu’en l’autre chapitre je l’ay laissé si court, l’ayant apellé pour preferer à luy ces discours et preparatifz d’armées, tant de mer que de terre [22].
31Ou en 1552 :
Dela quel agora dexemos de hablar et digamos del Cavallero de los fuegos que yva en socorro del marido de la dueña [23]. (A présent nous cessons de parler d’elle et nous parlons du Chevalier des flammes qui allait au secours du mari de la dame.)
Aussi la laisserons nous pleurer ton son saoul jusqu’à ce qu’il vienne à propos car j’oy le Chevalier des flammes qui se plaint de l’avoir si longuement oublié encores qu’il ne se tint paresseux ce pendant [24].
34Les deux passages s’inspirent des métalepses de l’Arioste. Dans les textes espagnols que le français traduit, la digression était assurée par le recours au verbe dexar (laisser) et « dire » (digamos, diremos). Le traducteur introduit, en revanche, la fiction d’une interaction entre narrateur et personnages. Dans la première occurrence, il joue, comme l’Arioste, sur le sens du verbe « laisser », en évoquant un personnage qui se tourmente d’avoir été délaissé. Dans la seconde, comme cela arrive aussi dans le Roland furieux, l’auteur motive les mouvements de l’intrigue par l’intervention d’un personnage qui se plaint d’avoir été oublié.
35En 1549-1550, Jacques Vincent traduit, lui aussi en prose, les strophes de l’Orlando innamorato de Matteo Maria Boiardo, poème chevaleresque inachevé dont le récit de l’Arioste est la suite. A la différence de ce qui se passe chez son successeur, les interventions du narrateur chez Boiardo n’impliquent pas, le plus souvent, d’intrusions sur le plan de la diégèse [25]. Dans un grand nombre de cas, il s’agit de variantes plus ou moins élaborées des formules traditionnelles. Or, le traducteur français développe parfois ces transitions pour leur donner plus de relief, et il en arrive aussi, dans quelques rares cas, à de véritables métalepses, comme dans cet exemple :
Dove odirno suonare uno alto corno. / Ora de Astolfo vi voglio lasciare [26].
([…] où ils entendirent un cor résonner fortement. Maintenant je veux laisser Astolphe.)
Là où ilz entendirent sonner un cor fort haultement, pour le bruit duquel je suis incité d’abandonner Astolphe, pour retourner aux Chevaliers [27].
38Le texte italien distinguait le plan de l’énoncé de celui de l’énonciation : d’abord, les personnages du récit entendent le bruit d’un cor ; ensuite, dans une phrase séparée, le narrateur signale le changement de fil narratif. Dans le texte français, les deux phrases sont reliées par une nouvelle formulation syntaxique : les personnages entendent un bruit de cor et c’est ce bruit qui arrive aux oreilles du narrateur en l’encourageant à changer d’intrigue. Les niveaux sont maintenant confondus.
39Jean Maugin est l’auteur, en 1554, du Nouveau Tristan, un remaniement du Tristan en prose d’où nous avons extrait un cas typique de transition traditionnelle. Alors que sa traduction précédente, le Palmérin paru en 1546, présente quelques cas intéressants de transitions développées, mais peu de véritables métalepses [28], ces dernières sont nombreuses dans le Nouveau Tristan [29]. Pour s’en apercevoir, il suffit de lire ce que devient sous sa plume notre formule de transition traditionnelle :
Mais à tant se taist le compte à parler de lui et parle du roy Thanor, comme il lui advint quant il fut cheu en l’eaue si comme je vous ay compté devant [30].
Et en telle voye estoit encor’quand il se trouva entre les siens, qui le cherchoient de tous costez. Avec lesquelz le laisserons en cest ayse et irons sauver Thanor qui nage aval l’eau [31].
42Ici encore, une transition métaleptique remplace une formule traditionnelle. De même que dans le Furieux, le narrateur du Nouveau Tristan prétend non pas parler d’un personnage, mais aller le sauver. Ce n’est pas un hasard si l’un des péritextes du Nouveau Tristan cite le poème de l’Arioste, qui a sans doute inspiré ces passages [32]. Par la mise en scène d’une transgression des frontières diégétiques, le narrateur révèle que les actions des personnages du récit dépendent seulement de son inspiration, de son désir de créateur.
43Dans sa traduction du douzième livre espagnol de l’Amadis de Gaule en 1571 [33], Jacques Gohory se borne le plus souvent à développer les formules traditionnelles qu’il trouve dans le texte-source, en donnant le jour à des transitions développées. Mais il arrive aussi qu’il produise des formules qui sont, pour nous, de véritables métalepses :
E siendo hora, las tablas fueron puestas donde fueron servidos con la realeza que a [b] tales mesas pertenecía. Adonde acontesció lo que agora oyreys [34]. (Et l’heure venue ils préparèrent les tables, où ils furent servis avec la magnificence qui revenait à un tel festin. En ce lieu arriva ce que vous entendrez maintenant.)
Or entrent tous et toutes en la grande sale où les tables furent dressees pour le soupper qui fut pour le vous faire court tres-magnifique, avecques dances, aprés comedies et autres divers ebatemens. Pour desquels prendre part nous y convient presentement conduire le gentil Prince Sylves de la Selve, celui des gestes duquel depent le principal ornement de nostre histoire [35].
46Le traducteur s’éloigne de la source castillane pour renforcer l’exhibition de la dignité royale, en énumérant des « ebatements » princiers absents de la source. Mais, outre cela, il crée une nouvelle complicité avec le lecteur, en feignant d’inviter celui-ci au festin qui se prépare dans le monde narré. La figure du poète courtisan se double de celle du poète démiurge, capable d’introduire le lecteur à l’intérieur de son monde fictionnel.
47Parmi les cas intéressants de métalepses dans la prose de l’époque se trouvent ceux d’un roman de chevalerie tardif et peu connu : le Gériléon d’Angleterre d’Etienne de Maisonneuve dont la première partie est parue en 1572 et la seconde en 1586. Ici aussi, nous trouvons, à côté de transitions traditionnelles et de transitions développées, des phrases comme :
Puis […] le mirent en une fort estrange & malheureuse prison, où nous le laisserons pour un long-temps vivre miserablement, jusques à ce que l’occasion se presente de vous reciter comment il en fut délivré [36].
49Ou encore :
et là luy advint ce que vous ourrez et pourrez lire cy après car il la faut laisser un peu en repos pour parler d’autre chose [37].
Hypothèses
51Etant donné que les textes où nous avons repéré la diffusion de la nouvelle forme sont, sauf le dernier, des traductions, une question s’impose. Est-ce que le passage des formules traditionnelles aux métalepses serait encouragé par le travail de réécriture propre à l’acte de traduction ? Cela est plausible dans la mesure où l’usage de la métalepse implique une esthétique qui pourrait être particulièrement propre aux traductions. La métalepse se fonde en effet sur une conception du fait littéraire qui voit le texte moins comme le support d’une vérité, qu’elle soit d’ordre historique ou allégorique, que comme un artefact dont il est licite de révéler les rouages. Le sentiment de l’artificialité du texte pourrait être favorisé par les caractères propres aux « écritures secondes », c’est-à-dire ces entreprises qui produisent un écrit à partir d’un autre écrit. Par la spécificité du travail qu’ils accomplissent, les auteurs de réécritures sont amenés à prendre particulièrement conscience de l’artificialité du récit.
52Cela étant, la nouveauté représentée par les métalepses de l’Arioste est une condition suffisante pour en expliquer la diffusion en France. Cette diffusion a été ensuite encouragée par une nouvelle conception de l’artiste propre à l’époque de l’humanisme. Un écrivain comme Herberay des Essarts, qui pratique la traduction dès l’an 1540, utilise les métalepses de manière récurrente seulement à partir de 1548, quelques années après la parution du Roland furieux, un texte qu’il cite dans la préface de son sixième Amadis (1545). Il est sûr aussi que, à une époque où la traduction était parfois vue comme un exercice d’amplification, il était tentant pour les traducteurs d’exploiter la richesse rhétorique des transitions nouvelles afin de rompre la monotonie des formules traditionnelles.
53Par ailleurs, la présence de plusieurs romans de chevalerie traduits dans notre relevé ne doit pas trop étonner. Elle s’explique par le fait que la tradition de la métalepse a été lancée par la traduction de l’Arioste, vue à l’époque, en raison du passage à la prose, comme un roman de chevalerie. Elle s’explique aussi par le fait que le champ de la fiction narrative en prose en France, bien que très varié, reste alors encore réduit. Les romans chevaleresques, d’origine médiévale et renaissante, en constituent sans doute une partie importante. Hormis les romans sentimentaux parus au début du siècle, les autres sous-genres de fictions longues en prose ont une ampleur somme toute limitée [38]. Pour qu’on ait affaire à une vaste production romanesque en France, il faudra attendre les années 1580 et surtout 1590 [39], lorsque que la fortune du roman chevaleresque s’estompera et que commencera une nouvelle vague, vigoureuse et durable, de romans sentimentaux, cette fois caractérisée par la présence de nombreux textes originaux.
54L’apparition d’un usage récurrent des métalepses rhétoriques dans la prose française est liée en premier lieu à un événement littéraire, la traduction du Roland furieux de l’Arioste en 1544, un texte dont l’impact se révèle plus considérable qu’on ne l’a cru [40]. L’auteur italien, considéré en France ainsi que dans son pays d’origine comme l’un des grands auteurs modernes, avait développé un emploi très original de la voix du narrateur. La traduction française, qui est aussi une mise en prose, fait apparaître pour la première fois dans le roman en France l’emploi récurrent de métalepses rhétoriques, dont plusieurs sont concentrées dans les transitions narratives.
55L’exemple de l’Arioste frappe les lecteurs et les écrivains de l’époque. Fascinés par ces procédés, certains prosateurs les reprennent à leur compte. Parmi eux se trouvent un écrivain célèbre et influent comme Herberay des Essarts, dès 1548, et des traducteurs comme Jacques Vincent, Jean Maugin, Jacques Gohory, ainsi qu’un auteur de romans originaux, Etienne de Maisonneuve. On a là les premiers exemples d’usages récurrents de la métalepse dans le roman français, avant que la figure ne se répande encore davantage dans la prose du dernier quart du xvie siècle. En effet, la métalepse investit les romans sentimentaux dont la vogue commence dans les années 1590. Dans ces récits de l’automne de la Renaissance, Jacques Chupeau a constaté la « présence, souvent indiscrète, d’un auteur-conteur qui affirme sa maîtrise de la narration ». On y a trouvé en somme, pour utiliser un concept qui venait de naître, des métalepses rhétoriques [41]. Après les auteurs de romans sentimentaux, ce seront les auteurs des antiromans qui feront un large usage de cette figure. Mais nous arrivons avec eux au seuil du xviie, et nous effleurons ainsi un domaine qui mérite une étude à part entière.
56Pour conclure, l’enjeu d’une histoire de la métalepse tient non seulement à son intérêt intrinsèque, mais aussi au fait que cette figure sous-tend une certaine conception de la fiction narrative, en raison de sa qualité d’indice de fictionnalité. Or, si l’on situe cet indice de fictionnalité dans le contexte historique étudié, force est de constater que l’usage de la métalepse est particulièrement significatif pour la Renaissance. En effet, à cette époque, la fiction en prose – ce que nous appelons aujourd’hui le « roman » et pour lequel le xvie siècle n’avait pas de nom [42] – ne fait pas l’objet d’une théorisation esthétique [43]. Nous pouvons donc supposer que la métalepse a suggéré l’idée d’une autonomie fictionnelle du discours romanesque, à un moment où la théorie ne pouvait encore définir cette idée. En d’autres termes, elle aurait développé une conscience de la fictionnalité du genre. Il est sûr, en tout cas, que la métalepse a contribué à imposer dans les proses françaises du xvie siècle l’image d’un écrivain-démiurge, artifex souverain de sa matière narrative.
Notes
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[1]
Leo Spitzer, Linguistics and Literary History. Essays in Stylistics, Princeton, Princeton University Press, 1948, « Linguistic perspectivism in “Don Quijote” », p. 41-85, particulièrement p. 69.
-
[2]
Parmi ceux-ci, signalons Françoise Lavocat, « Transfictionnalité, métafiction et métalepse aux seizième et dix-septième siècles », in La Fiction, suites et variations, Richard Saint-Gelais et René Audet (éd.), Québec, Nota bene, 2007, p. 157-178, qui s’intéresse, pour le xvie siècle, à un cas de quasi-métalepse dans la Déplourable fin de Flamete (1536).
-
[3]
Voir infra l’étude de Jacques Chupeau, citée à la note 1, p. 65.
-
[4]
Gérard Genette, Figures III, Paris, Seuil, 1972, p. 243-246, particulièrement p. 244. Les remarques de Figures III ont donné le jour à d’importants et nombreux travaux qui ont largement étendu la réflexion sur la métalepse. Des mises au point du concept se trouvent dans John Pier et Jean-Marie Schaeffer (éd.), Métalepses : entorses au pacte de la représentation, Paris, Editions de l’EHESS, 2005, et dans l’article de John Pier, « Metalepsis » du site The Living Handbook of Narratology, créé en 2011 et revu en 2016, qu’on pourra consulter à l’URL : http://www.lhn.uni-hamburg.de/article/metalepsis-revised-version-uploaded-13-july-2016 (consulté le 23 février 2017). On lira aussi avec profit l’ouvrage récent de Françoise Lavocat, Fait et fiction. Pour une frontière, Paris, Seuil, 2015, p. 473-520. Dans son essai de 2004, Métalepse. De la figure à la fiction (Paris, Seuil), Genette procède à une extension du concept de métalepse que nous ne suivons pas ici.
-
[5]
Le concept est étranger aux théorisations anciennes, quoi qu’en dise Genette en 1972 (Figures III, op. cit., p. 244 : « figure narrative que les classiques appelaient la métalepse de l’auteur »). Dans une contribution ultérieure (« De la figure à la fiction », Métalepses : entorses au pacte de la représentation, op. cit., p. 21-35, p. 23), il rectifie sa position. Le nom de métalepse sert, dans la théorie antique (Quintilien, Institution Oratoire, VIII, 6, 37.39), à désigner une espèce de métonymie, cf. Gérard Genette, art. cité, et Heinrich Lausberg, Handbuch der literarischen Rhetorik, München, M. Hueber, 1973, index, s.v. « metalepsis ».
-
[6]
Gérard Genette, Figures III, op. cit., p. 243.
-
[7]
Voir les travaux de Marie-Laure Ryan, et particulièrement « Logique culturelle de la métalepse, ou la métalepse dans tous ses états », in Métalepses : entorses au pacte de la représentation, op. cit., p. 201-223. Le concept de métalepse ontologique a été inspiré à Marie-Laure Ryan par l’ouvrage de Brian McHale, Postmodernist Fiction, New York, Methuen, 1987.
-
[8]
Paul Scarron, Le Roman comique, Claudine Nédelec (éd.), Paris, Garnier, 2010, 1re partie, chap. iv, p. 72.
-
[9]
Henri-Jean Martin, « Lectures (pratiques de) », in Encyclopaedia universalis, Paris, Encyclopaedia universalis, 2002, p. 406.
-
[10]
« Transition se faict des choses devant dictes avecques celles que l’en veut dire à ornée continuation [nous corrigeons « aornee continuation »]. Exemple : “Or laissons à parler de ces prodigalités et venons à ces autres enormes cas. Et premier de son excessive libidinité” […]. Et sert beaucoup quand l’en veut saillir de matiere à aultre, car elle fait recappituler les choses devant dictes et estre ententifz es choses subsequentes ; et convient assez avec epilogue ou recapitulation », Pierre Fabri [ou Pierre Le Fèvre], Le Grant et Vrai Art de pleine rhétorique de Pierre Fabri, Alexandre Héron (éd.), Rouen, Imprimerie Espérance Cagniard, 1889, p. 173.
-
[11]
Sur les romans arthuriens à la Renaissance, Jane Taylor, Rewriting Arthurian Romance in Renaissance France. From Manuscript to Printed Book, Cambridge, D. S. Brewer, 2014.
-
[12]
Pour l’Amadis, voir Michel Simonin, « La disgrâce d’Amadis », Studi francesi, no 82, 1984, p. 1-35 [art. repris dans L’Encre et la lumière, Genève, Droz, 2004, p. 189-234], Luce Guillerm, Sujet de l’écriture et traduction autour de 1540, Paris, Aux amateurs de livres, 1988, et Les Amadis en France au xvie siècle, Paris, Presses de l’Ecole nationale supérieure, 2000.
-
[13]
Tristan, Rouen, Jehan le Bourgoys, 1489 [fac-similé éd. par Cedric Edward Pickford, London, Scolar Press, 1978], f. a v vo.
-
[14]
Herberay des Essarts (tr.), Amadis de Gaule. Livre I, Michel Bideaux (éd.), Paris, Champion, 2006, p. 357.
-
[15]
Mireille Huchon, « Amadis, “Parfaicte idée de nostre langue françoise” », in Les Amadis en France au xvie siècle, op. cit., p. 183-200.
-
[16]
Nicole Cazauran, « Amadis de Gaule en 1540 : un nouveau roman de chevalerie ? », in Les Amadis en France au xvie siècle, op. cit., p. 21-39, particulièrement p. 25-26. Voir aussi les observations de Michel Bideaux dans Amadis de Gaule. Livre I, op. cit., p. 558, note 1.
-
[17]
Voir Gustave Reynier, Le Roman sentimental avant l’Astrée, Paris, Colin, 1971 [réimp. de l’édition Paris, 1908], et Véronique Duché Gavet, « Si du mont Pyrénée n’eussent passé le haut fait. » Les romans sentimentaux traduits de l’espagnol en France au xvie siècle, Paris, Champion, 2008.
-
[18]
Roland furieux, Lyon, Jean Thellusson, 1544. Au sujet de cette traduction, voir Francesco Montorsi, L’Apport des traductions de l’italien dans la dynamique du récit de chevalerie (1490-1550), avec une préface de Roger Chartier, Paris, Garnier, 2015, p. 207-238 ; Toshinori Uetani, « Jean Martin, traducteur du Roland Furieux ? », in Esculape et Dionysos. Mélanges en l’honneur de Jean Céard, Jean Dupèbe et al. (éd.), Genève, Droz, 2008, p. 1089-1109 ; Rosanna Gorris Camos, « “Non è lontano a discoprirsi il porto.” Jean Martin, son œuvre et ses rapports avec la ville des Este », in Jean Martin, un traducteur au temps de François Ier et de Henri II, Paris, Presses de l’Ecole normale supérieure, 1999, p. 43-83, et Alexandre Cioranescu, L’Arioste en France, des origines à la fin du xviiie siècle, Paris, Presses modernes, 1939, 2 vol., vol. 1, p. 76-86.
-
[19]
Certains de ces passages du texte italien ont fait l’objet d’analyse de la part de Robert M. Durling, The Figure of the Poet in Renaissance Epic, Cambridge, Harvard University Press, 1965, chap. v, p. 112-181.
-
[20]
Amadis de Gaule. Livre VII, trad. par Nicolas Herberay des Essarts, Paris, Jeanne de Marnef, veufve de feu Denys Janot, 1546.
-
[21]
Feliciano de Silva, Amadís de Grecia [1530], Ana Carmen Bueno Serrano (éd.), Alcalá de Henares, Centro de Estudios Cervantinos, 2004, p. 443.
-
[22]
Amadis de Gaule. Livre VIII, Paris, Estienne Groulleau, 1548, f. cxx ro. Pour d’autres cas similaires, on renvoie à Amadis de Grecia, op. cit., p. 474, et Amadis de Gaule. Livre VIII, op. cit., f. cxxxvii ro, ou encore Amadis de Grecia, op. cit., p. 518, et Amadis de Gaule. Livre VIII, op. cit., f. clxxvii ro.
-
[23]
El octavo libro de Amadis, Sevilla, Jacobo Cromberger et Juan Cromberger, 1526, f. liii ro.
-
[24]
Dom Florès, Paris, Estienne Groulleau, 1552, f. lvi ro. Pour d’autres exemples de métalepse ajoutée, on comparera El octavo libro de Amadis, op. cit., f. xxi rob avec Dom Florès, op. cit., f. xv ro, et El octavo libro de Amadis, op. cit., f. ciiii roa avec Dom Florès, op. cit., f. cxlii ro.
-
[25]
Sur les interventions du narrateur, plutôt traditionnelles, de Boiardo, voir Durling, The Figure of the Poet in Renaissance Epic, op. cit., chap. iv, p. 91-111.
-
[26]
Matteo Maria Boiardo, Orlando innamorato, Riccardo Bruscagli (éd.), Torino, Einaudi, 2 vol., vol. 1, l. 2, c. 2, st. 32, p. 588.
-
[27]
Roland l’Amoureux, Paris, Vivant Gaultherot, 1549, l. II, f. vii ro [en raison d’une coquille, on lit « ix »].
-
[28]
Palmerin d’Olive, Paris, Jeanne de Marnef, 1546. La présence de ces interventions a été notée par Anna Bettoni, « Il “Palmerin de Oliva” tradotto da Maugin : editori, storie e mode letterarie nella Francia del Cinquecento », in Il n’est nul si beau passe temps que se jouer a sa pensee. Studi di filologia e letteratura francese in onore di Anna Maria Finoli, Pisa, ETS, 1995, p. 173-201, particulièrement p. 199. Elle met le procédé en relation avec la littérature postérieure, notamment Scarron, Sorel et Cervantès. Un cas intéressant de métalepse dans le roman se trouve dans le dernier paragraphe du texte.
-
[29]
Jean Maugin, Nouveau Tristan, Paris, Veuve de La Porte, 1554.
-
[30]
Tristan, 1489, op. cit., f. a v vo.
-
[31]
Jean Maugin, Nouveau Tristan, op. cit, p. 14. Pour repérer l’ajout d’autres métalepses, on pourra comparer Tristan, 1489, op. cit., f. a iiii ro avec Nouveau Tristan, op. cit., p. 9, ainsi que Tristan, 1489, op. cit., f. b i vo avec Nouveau Tristan, op. cit., p. 25-26. Dans son étude sur cette adaptation, Laurence Harf-Lancner remarque ces interventions intrusives et note que ces « notations en fin de chapitre provoquent immanquablement un effet de rupture comique », « Tristan détristanisé : du Tristan en prose (xiiie siècle) au Nouveau Tristan de Jean Maugin (1554) », Nouvelle Revue du seizième siècle, no 2, 1984, p. 5-22, particulièrement p. 20.
-
[32]
Jean-Pierre de Mesmes, « A Monsieur de Maupas Ode », Nouveau Tristan, op. cit., non paginé. Par un admirable paradoxe qui relève du nationalisme littéraire propre à ces années, l’Arioste est accusé par de Mesmes d’avoir plagié le Tristan médiéval.
-
[33]
Le Treizième Livre d’Amadis de Gaule, Paris, Lucas Breyer, 1571.
-
[34]
Pedro de Luján, La dozena parte del invencible cavallero Amadis de Gaula, Sevilla, Dominico de Robertis, 1549 [1546], f. xxx vo.
-
[35]
Jacques Gohory, Le Treizieme livre d’Amadis de Gaule, op. cit., f. 34 vo. On comparera aussi La dozena parte, op. cit., f. xvi rob et Le Treizième Livre …, op. cit., f. 28 ro.
-
[36]
Etienne de Maisonneuve, Gériléon d’Angleterre. Livre 1, Lyon, Benoît Rigaud, 1581 [1572], f. 25 vo. Voir aussi f. 44vo.
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[37]
Id., Gériléon d’Angleterre. Livre 2, Paris, Jean Houzé, 1586, f. 11 vo. Un autre exemple au f. 110 ro.
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[38]
Le roman pastoral entre 1540 et 1585 n’est représenté que par une poignée de spécimens en France (Françoise Lavocat, Arcadies malheureuses. Aux origines du roman moderne, Paris, Champion, 1998, p. 485-487). Les romans antiques traduits avant 1585 sont ceux d’Héliodore, d’Apulée, d’Achille Tatius et de Longus. Parmi les romans difficilement classables dans des sous-groupes représentatifs, signalons entre autres les ouvrages de Rabelais, Aneau et Des Autels (pour l’ensemble de ces romans, voir Pascale Mounier, Le Roman humaniste. Un genre novateur français 1532-1564, Paris, Champion, 2007), ou, encore, des traductions telles que celles de l’Hypnerotomachia Poliphili ou de Lazarillo de Tormes.
-
[39]
Gustave Reynier, Le Roman sentimental avant l’Astrée, op. cit., p. 176 : « Pendant la durée des guerres civiles à peine avait-on vu en France un ouvrage nouveau auquel on pût véritablement donner le nom de roman. Nous en comptons (et il est probable que notre liste n’est pas complète) deux en 1593, cinq en 1594, deux en 1595, trois en 1596, sept en 1597, quatre en 1598, neuf en 1599, plus de soixante de 1600 à 1610. » Sur ces romans, voir aussi Frank Greiner, Les Amours romanesques de la fin des guerres de religion au temps de L’Astrée (1585-1628), Paris, Champion, 2008.
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[40]
Alexandre Cioranescu, L’Arioste en France, op. cit., vol. 1, p. 86.
-
[41]
Jacques Chupeau a évoqué l’usage de cette intrusion du narrateur dans les ouvrages de Nervèze, Du Souhait, Des Escuteaux, Vital d’Audiguier, Camus, La Serre et Préfontaine. Dans son étude, il se demande quelle est l’origine de l’usage en émettant l’hypothèse, sans la vérifier, qu’elle soit liée à l’influence des épopées italiennes : « Il semble avoir été peu pratiqué dans la traduction d’Amadis, où nous l’avons rencontré une fois, au chapitre iii du premier livre. Il ne semble pas appartenir non plus à la tradition de la nouvelle. Peut-être a-t-il été mis à la mode par les épopées italiennes, dont les traductions en prose ont exercé une influence sensible sur le roman. » Voir Jacques Chupeau, « Quelques formes caractéristiques de l’écriture romanesque à la fin du xvie siècle et au début du xviie », in L’Automne de la Renaissance, Jean Lafond et André Stegmann (éd.), Paris, Jacques Vrin, 1981, p. 219-230, particulièrement p. 224.
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Au xvie siècle, le mot roman indique, sauf de rares exceptions, les récits de chevalerie, voir Pascale Mounier, « Les sens littéraires de roman en français préclassique », Le Français préclassique, no 8, 2004, p. 157-182.
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Sur la théorisation du roman en France, ou plutôt son absence, on lira entre autres Annick Boilève-Guerlet, Le Genre romanesque. Des théories de la Renaissance italienne aux réflexions du xviie siècle français, Santiago de Compostela, Services de publications de l’Université, 1993 ; Sergio Cappello, « Aux origines de la réflexion française sur le roman », Du roman courtois au roman baroque. Actes du colloque de Versailles ‒ Saint-Quentin-en-Yvelines, 2-5 juillet 2002, Emmanuel Bury et Francine Mora (éd.), Paris, Les Belles Lettres, 2004, p. 415-435, et François Lecercle, « La théorie des genres littéraires », in L’Epoque de la Renaissance (1400-1600), vol. 3, Maturations et mutations, Eva Kushner (éd.), Amsterdam, J. Benjamins, 2011, p. 255-265. Plus en général sur la fiction poétique, voir les travaux d’Anne Duprat et Teresa Chevrolet, entre autres l’article à quatre mains « La bataille des fables : conditions de l’émergence d’une théorie de la fiction en Europe (xive-xviie siècle) », Françoise Lavocat et Anne Duprat (dir.), Fiction et cultures, avec une préface de Jean-Marie Schaeffer, Paris / Nîmes, Lucie éditions, 2010, p. 239-254.